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LE TIERS LIVRE
des faits et dits héroïques du noble Pantagruel,
composé par M. Franç. Rabelais,
docteur en médecine et calloïer des îles
d’Hyères.

COMMENT PANURGE FUT FAIT CHÂTELAIN DE SALMIGONDIN EN DIPSODIE, ET MANGEAIT SON BLÉ EN HERBE.


Donnant Pantagruel ordre au gouvernement de toute Dipsodie, assigna la châtellenie de Salmigondin à Panurge, valant par chacun an 6,789,106,789 royaux[1], en deniers certains, non compris l’incertain revenu des hannetons et caquerolles[2], montant, bon an mal an, de 2,435,768 à 2,435,769 moutons à la grande laine[3]. Quelquefois revenait à 1,234,554,321 seraphs[4] quand était bonne année de caquerolles et hannetons de requête[5] ; mais ce n’était tous les ans.

Et se gouverna si bien et prudentement monsieur le nouveau châtelain, qu’en moins de quatorze jours il dilapida le revenu certain et incertain de sa châtellenie pour trois ans. Non proprement dilapida, comme vous pourriez dire, en fondations de monastères, érections de temples, bâtiments de collèges et hôpitaux, ou jetant son lard aux chiens ; mais dépendit[6] en mille petits banquets et festins joyeux, ouverts à tous venants, mêmement à tous bons compagnons, jeunes fillettes et mignonnes galoises[7], abattant bois, brûlant les grosses souches pour la vente des cendres, prenant argent d’avance, achetant cher, vendant à bon marché et mangeant son blé en herbe.

Pantagruel, averti de l’affaire, n’en fut en soi aucunement indigné, fâché, ni marri. Je vous ai jà dit, et encore redis, que

  1. Monnaie d’or.
  2. Escargots.
  3. Monnaie d’or.
  4. Monnaie d’or arabe.
  5. Redevance.
  6. Dépensa.
  7. Luronnes.