supplièrent Pantagruel n’être fait scandale en son vaisseau. Dont fut appointé[1] tout leur différend, et touchèrent les mains ensemble Panurge et le marchand, et burent d’autant l’un à l’autre de hait[2], en signe de parfaite réconciliation.
COMMENT, LE DÉBAT APAISÉ, PANURGE MARCHANDE AVEC DINDENAULT UN DE SES MOUTONS.
Ce débat du tout apaisé, Panurge dit secrètement à Épistémon et à frère Jean : « Retirez-vous ici un peu à l’écart, et joyeusement passez temps à ce que verrez. Il y aura bien beau jeu, si la corde ne rompt. » Puis s’adressa au marchand, et derechef but à lui plein hanap de bon vin lanternois. Le marchand le pleigea[3] gaillard[4], en toute courtoisie et honnêteté. Cela fait, Panurge dévotement le priait lui vouloir de grâce vendre un de ses moutons. Le marchand lui répondit : « Halas, halas ! mon ami, notre voisin, comment vous savez bien truffer[5] des pauvres gens. Vraiment vous êtes un gentil chaland. Ô le vaillant acheteur de moutons ! Vrai bis, vous portez le minois non mie[6] d’un acheteur de moutons, mais bien d’un coupeur de bourses. Deu Colas, faillon[7], qu’il ferait bon porter bourse pleine auprès de vous en la triperie, sur le dégel ! Han, han, qui ne vous connaîtrait, vous feriez bien des vôtres. Mais voyez, hau, bonnes gens, comment il taille de l’historiographe !
— Patience, dit Panurge. Mais, à propos, de grâce spéciale, vendez-moi un de vos moutons. Combien ?
— Comment, répondit le marchand, l’entendez-vous, notre ami, mon voisin ? Ce sont moutons à la grande laine. Jason y prit la toison d’or. L’ordre de la maison de Bourgogne en fut extrait. Moutons de levant, moutons de haute futaie, moutons de haute graisse !
— Soit, dit Panurge, mais de grâce vendez m’en un, et pour cause, bien et promptement vous payant en monnaie de ponant[8], de taillis et de basse graisse. Combien ?
— Notre voisin, mon ami, répondit le marchand, écoutez ça un peu de l’autre oreille.
À votre commandement.