Le Tiers Livre/Texte entier

LE
TIERS LIVRE
DES FAICTS ET DICTS
Heroïques du bon Pantagruel :
Compoſé par M. Fran.
Rabelais docteur
en Medi-
cine.[1]
Reueu, & corrigé par l’Autheur, ſus
la cenſure antique.
L’AVTHEVR SVSDICT
ſupplie les Lecteurs beneuoles, ſoy
reſeruer à rire au ſoixante
& dixhuytieſme
Liure.[2]
A PARIS,
De l'imprimerie de Michel Fezandat, au mont
S. Hilaire, a l’hoſtel d’Albret.

1552.
Auec priuilege du Roy.[3]

FRANCOIS RABELAIS

à l'eſprit de la royne
de Nauarre.[4]

Eſprit abſtraict, rauy, & ecſtatic,
Qui frequentant les cieulx, ton origine,
As delaiſſé ton hoſte & domeſtic,
Ton corps concords, qui tant ſe morigine
A tes edictz, en vie peregrine
Sans ſentement, & comme en Apathie :
Vouldrois tu poinct faire quelque ſortie
De ton manoir diuin, perpetuel ?
Et ça bas veoir vne tierce partie
Des faictz ioyeux du bon Pantagruel ?


Priuilege du Roy.


Henry par la grace de Dieu Roy de France, au Preuoſt de Paris, Bailly de Rouen, Seneſchaulx de Lyon, Tholouze, Bordeaux, Daulphine, Poictou, & a tous nos autres iuſticiers & officiers, ou a leurs lieutenans, & a chaſcun d’eulx ſi comme a luy appartiendra, ſalut & dilection. De la partie de noſtre cher & bien ayme M. François Rabelais docteur en medicine, nous a eſte expoſe que icelluy ſuppliant ayant par cy deuant baille a imprimer pluſieurs liures : en Grec, Latin, François, & Thuſcan, meſmement certains volumes des faicts & dicts Heroïques de Pantagruel, non moins vtiles que delectables : les Imprimeurs auroient iceulx liures corrompuz, deprauez, & peruertiz en pluſieurs endroictz. Auroient d’auantaige imprimez pluſieurs autres liures ſcandaleux, ou nom dudict ſuppliant, a ſon grand deſplaiſir, preiudice, & ignommie, par iuy totalement deſaduouez comme faulx & ſuppoſez : lesquelz il deſireroit ſoubs noſtre bon plaiſir & volonté ſupprimer. Enſemble les autres ſiens aduouez, mais deprauez & deſguiſez, comme dict eſt, reueoir & corriger & de nouueau reimprimer. Pareillement mettre en lumière & vente la ſuitte des faicts & dicts Heroïques de Pantagruel. Nous humblement requerant ſurce, luy octroyer nos letres a ce neceſſaires & conuenables. Pource eſt il que nous enclinans liberalement a la ſupplication & requeſte dudict M. François Rabelais expoſant, & deſirans le bien & fauorablement traicter en ceſt endroict. A icelluy pour ces cauſes & autres bonnes conſiderations a ce nous mouuans, auons permis accordé & octroyé. Et de noſtre certaine ſcience pleine puiſſance & auctorite Royal, permettons accordons & octroyons par ces preſentes, qu’il puiſſe & luy ſoit loiſible par telz imprimeurs qu’il aduiſera faire imprimer, & de nouueau mettre & expoſer en vente tous & chaſcuns leſdicts liures & ſuitte de Pantagruel par luy compoſez & entreprins, tant ceulx qui ont ia eſte imprimez, qui ſeront pour ceſt effect par luy reueuz & corrigez. Que auſſi ceulx qu’il delibere de nouuel mettre en lumiere. Pareillement ſupprimer ceulx qui faulcement luy font attribuez. Et affin qu’il ayt moyen de ſupporter les fraiz neceſſaires a l’ouuerture de ladicte impreſſion : auons par ces preſentes treſexpreſſement inhibe & deſſendu, inhibons & deſſendons a tous autres libraires & imprimeurs de ceſtuy noſtre Royaulme, & autres nos terres & ſeigneuries, qu’ilz n’ayent a imprimer ne faire imprimer mettre & expoſer en vente aucuns des deſſuſdicts liures, tant vieux que nouueaux, durant le temps & terme de dix ans enſuiuans & conſecutifz, commencans au iour & dacte de l’impreſſion deſdicts liures ſans le vouloir & conſentement dudict expoſant, & ce ſur peine de confiſcation des liures qui ſe trouuerront auoir eſte imprimez au preiudice de celle noſtre preſente permiſſion, & d’amende arbitraire.

Si voulons & vous mandons & a chaſcun de vous endroict ſoy & ſi comme a luy appartiendra, que nos preſens conge licence & permiſſion, inhibitions & deſſenſes, vous entretenez gardez & obſeruez. Et ſi aucuns eſtoient trouuez y auoir contreuenu, procedez & faictes procéder a l’encontre d’eulx, par les peines ſuſdictes & autrement. Et du contenu cy deſſus faictes, ledict ſuppliant iouyr & vſer plainement & paiſiblement durant ledict temps a commencer & tout ainſi que deſſus eſt dict. Ceſſans & faiſans ceſſer tous troubles & empeſchemens au contraire : car tel eſt noſtre plaiſir. Nonobſtant quelzconques ordonnances, reſtrinctions, mandemens, ou deſſenſes a ce contraires. Et pource que de ces preſentes lon pourra auoir a faire en pluſieurs & diuers lieux, Nous voulons que au vidimus d’icelles, faict ſoubs ſeel Royal, ſoy ſoit adiouſtee comme a ce preſent original.

Donne a ſainct Germain en laye le ſixieſme iour d’Aouſt, L’an de grace mil cinq cens cinquante. Et de noſtre regne le quatreieſme.

Par le Roy, le cardinal de Chaſtillon præſent.

Signe Du Thier.

PROLOGVE DE L’AVTHEVR

M. François Rabelais povr le tiers livre
des faicts et dicts heroiqves
dv bon Pantagrvel.


Bonne gens, Beuueurs treſilluſtres, & vous Goutteux treſprecieux[5], veiſtez vous oncques Diogenes le philoſophe Cynic ? Si l’auez veu, vous n’auiez perdu la veue : ou ie ſuis vrayement foriſſu d’intelligence, & de ſens logical. C’eſt belle choſe veoir la clairté du (vin & eſcuz) Soleil. I’en demande à l’aueugle né tant renommé par les treſſacrées bibles[6] : lequel ayant option de requerir tout ce qu’il vouldroit, par le commendement de celluy qui eſt tout puiſſant, & le dire duquel eſt en vn moment par effect repreſenté, rien plus ne demanda que veoir. Vous item n’eſtiez ieunes. Qui eſt qualité competente, pour en vin, non en vain, ainſi plus que phyſicalement philoſopher, & deſormais eſtre du conſeil Bacchicque : pour en lopinant opiner[7] des ſubſtance, couleur, odeur, excellence, eminence, proprieté, faculté, vertus, effect, & dignité du benoiſt & deſiré piot. Si veu ne l’auez (comme facilement ie ſuis induict à croire) pour le moins auez vous ouy de luy parler. Car par l’aër & tout ce ciel eſt ſon bruyt & nom iusques à preſent reſté memorable & celèbre aſſés : & puys vous eſtez tous du ſang de Phrygie extraictz[8], (ou ie ne me abuſe) & ſi n’auez tant d’eſcuz comme auoit Midas, ſi auez vous de luy ie ne ſçay quoy, que plus iadis louoient les Perſes en tous leurs Otacuſtes : & que plus ſoubhaytoit l’empereur Antonin : dont depuys feut la ſerpentine de Rohan ſurnommée Belles aureilles. Si n’en auez ouy parler, de luy vous veulx preſentement vne hiſtoire narrer, pour entrer en vin, (beuuez doncques) & propous, (eſcoutez doncques). Vous aduertiſſant (affin que ne ſoyez pippez comme gens meſcreans) qu’en ſon temps il feut philoſphe rare, & ioyeux entre mille. S’il auoit quelques imperfections : auſſi auez vous, auſſi auons nous. Rien n’eſt, ſi non Dieu, perfaict. Si eſt ce que Alexandre le grand, quoy qu’il euſt Ariſtoteles pour Præcepteur & domeſtic, l’auoit en telle eſtimation, qu’il ſoubhaytoit en cas que Alexandre ne feuſt, eſtre Diogenes Sinopien.

Quand Philippe roy de Macedonie entreprint aſſieger & ruiner Corinthe[9], les Corinthiens par leurs eſpions aduertiz, que contre eulx il venoit en grand arroy & exercite numereux, tous feurent non à tort eſpouentez, & ne feurent negligens ſoy ſoigneuſement mettre chaſcun en office & debuoir, pour à ſon hoſtile venue, reſiſter, & leur ville defendre. Les vns des champs es fortereſſes retiroient meubles, beſtail, grains, vins, fruictz, victuailles, & munitions neceſſaires. Les autres remparoient murailles, dreſſoient baſtions, eſquarroient rauelins, cauoient foſſez, eſcuroient contremines, gabionnoient defenſes, ordonnoient plates formes, vuidoient chaſmates, rembarroient faulſes brayes, erigeoient caualliers, reſſapoient contreſcarpes, enduiſoient courtines, taluoient parapetes, enclauoient barbacanes, aſſeroient machicoulis, renouoient herſes Sarrazinesques, & Cataractes, aſſoyoient ſentinelles, foriſſoient patrouilles. Chaſcun eſtoit au guet, chaſcun portoit la hotte. Les vns poliſſoient corſeletz, verniſſoient alecretz, nettoyoient bardes, chanfrains, aubergeons, briguandines, ſalades, bauieres, cappelines, guiſarmes, armetz, mourions, mailles, iazerans, braſſalz, taſſettes, gouſſetz, guorgeriz, hoguines, plaſtrons, lamines, aubers, pauoys, boucliers, caliges, greues, ſoleretz, eſprons. Les autres appreſtoient arcs, fondes, arbaleſtes, glands, catapultes, phalarices, micraines, potz, cercles, & lances à feu : baliſtes, ſcorpions, & autres machines bellicques repugnatoires & deſtructiues des Helepolides. Eſguiſoient vouges, picques, rancons, halebardes, hanicroches, volains, lancers, azes guayes, fourches fières, parthiſanes, maſſues, haſches, dards, dardelles, iauelines, iauelotz, eſpieux. Affiloient cimeterres, brands d’aſſier, badelaires, paſſuz, eſpées, verduns, eſtocz, piſtoletz, viroletz, dagues, mandouſianes, poignars, couſteaulx, allumelles, raillons. Chaſcun exerceoit ſon penard : chaſcun deſrouilloit ſon braquemard. Femme n’eſtoit, tant preude ou vieille feuſt, qui ne feiſt fourbir ſon harnoys : comme vous ſçauez que les antiques Corinthiennes eſtoient au combat couraigeuſes[10].

Diogenes les voyant en telle ferueur meſnaige remuer, & n’eſtant par les magiſtratz enployé à choſe aulcune faire, contempla par quelques iours leur contenence ſans mot dire : puys comme excité d’eſprit Martial, ceignit ſon palle en eſcharpe, recourſa ſes manches iusques es coubtes, ſe trouſſa en cueilleur de pommes, bailla à vn ſien compaignon vieulx ſa bezaſſe, ſes liures, & opiſtographes, feit hors la ville tirant vers la Cranie (qui eſt vne colline & promontoire lez Corinthe) vne belle eſplanade : y roulla le tonneau fictil, qui pour maiſon luy eſtoit contre les iniures du ciel, & en grande vehemence d’eſprit deſployant ſes braz le tournoit, viroit, brouilloit, barbouilloit, herſoit, verſoit, renuerſoit, grattoit, flattoit, barattoit, baſtoit, boutoit, butoit, tabuſtoit, cullebutoit, trepoit, trempoit, tapoit, timpoit, eſtouppoit, deſtouppoit, detraquoit, triquotoit, chapotoit, croulloit, elançoit, chamailloit, branſloit, eſbranloit, leuoit, lauoit, clauoit, entrauoit, bracquoit, bricquoit, blocquoit, tracaſſoit, ramaſſoit, claboſſoit, afeſtoit, baffouoit, enclouoit, amadouoit, goildronnoit, mittonnoit, taſtonnoit, bimbelotoit, claboſſoit, terraſſoit, biſtorioit, vreloppoit, chaluppoit, charmoit, armoit, gizarmoit, enharnachoit, empennachoit, carapaſſonnoit, le deualloit de mont à val, & præcipitoit par le Cranie : puys de val en mont le rapportoit, comme Siſyphus faict ſa pierre : tant que peu s’en faillit, qu’il ne le defonçaſt. Ce voyant quelq’vn de ſes amis, luy demanda, quelle cauſe le mouuoit, à ſon corps, ſon eſprit, ſon tonneau ainſi tormenter ? Auquel reſpondit le philoſophe, qu’à autre office n’eſtant pour la republicque employé, il en ceſte façon ſon tonneau tempeſtoit, pour entre ce peuple tant feruent & occupé, n’eſte veu ſeul ceſſateur & ocieux.

Ie pareillement quoy que ſoys hors d’effroy, ne ſuis toutesfoys hors d’esmoy : de moy voyant n’estre faict aulcun pris digne d’œuure, & consyderant par tout ce tresnoble royaulme de France, deça, delà les mons, vn chascun auiourd’huy soy instantement exercer & trauailler : part à la fortification de la patrie, & la defendre : part au repoulsement des ennemis, & les offendre : le tout en police tant belle, en ordonnance si mirificque, & à profit tant euident pour l’aduenir (Car desormais sera France superbement bournée, seront François en repous asceurez) que peu de chose me retient, que ie n’entre en l’opinion du bon Heraclitus, affermant guerre estre de tous biens père : & croye que guerre soit en Latin dicte belle, non par Antiphrase[11], ainsi comme ont cuydé certains rapetasseurs de vieilles ferrailles Latines, par ce qu’en guerre guères de beaulté ne voyoient : mais absolument, & simplement par raison qu’en guerre apparoisse tout espece de bien & beau, soit decelée toute espece de mal & laidure. Qu’ainsi soit, le Roy saige & pacific Solomon, n’a sceu mieulx nous repræsenter la perfection indicible de la sapience diuine, que la comparant à l’ordonnance d’vne armée en camp[12].

Par doncques n’estre adscript & en ranc mis des nostres en partie offensiue, qui me ont estimé trop imbecile & impotent : de l’autre qui est defensiue n’estre employé aulcunement, feust ce portant hotte, cachant crotte, ployant rotte, ou cassant motte, tout m’estoys indifferent : ay imputé à honte plus que mediocre, estre veu spectateur ocieux de tant vaillans, diuers, & cheualereux personnaiges, qui en veue & spectacle de toute Europe iouent ceste insigne fable & Tragicque comedie : ne me esuertuer de moy-mesmes, & non y consommer ce rien mon tout, qui me restoit. Car peu de gloire me semble accroistre à ceulx qui seulement y emploient leurs œilz, au demeurant y espargnent leurs forces : cèlent leurs escuz, cachent leur argent, se grattent la teste auecques vn doigt, comme landorez desgoustez, baislent aux mousches comme Veaulx de disme, chauuent des aureilles comme asnes de Arcadie au chant des musiciens, & par mines en silence : signifient qu’ilz consentent à la prosopopée.

Prins ce choys & election, ay pensé ne faire exercice inutile & importun, si ie remuois mon tonneau Diogenic, qui seul m’est resté du naufrage faict par le passé on far de Mal’encontre. A ce triballement de tonneau, que feray ie en vostre aduis ? Par la Vierge qui se rebrasse[13], ie ne sçay encores. Attendez vn peu que ie hume quelque traict de ceste bouteille : c’est mon vray & seul Helicon : c’est ma fontaine Caballine : c’est mon unicque Enthusiasme. Icy beuuant ie delibère, ie discours, ie resoulz & concluds. Apres l’epilogue ie riz, i’escripz, ie compose, ie boy. Ennius beuuant escripuoit, escripuant beuuoit. Æschylus (si à Plutarche foy auez in Symposiacis)[14] beuuoit composant, beuuant composoit. Homere iamais n’escriuit à ieun[15]. Caton iamais n’escripuit que apres boyre[16]. Affin que ne me dictez ainsi viure sans exemple des biens louez mieulx prisez. Il est bon & frays assez, comme vous diriez sus le commencement du second degré : Dieu le bon Dieu Sabaoth, (c’est à dire des armées) en soit eternellement loué. Si de mesmes vous autres beuuez vn grand ou deux petitz coups en robbe, ie n’y trouue inconuenient aulcun, pour veu que du tout louez Dieu : vn tantinet.

Puys doncques que telle est ou ma sort ou ma destinée : (car à chascun n’est oultroyé entrer & habiter Corinthe) ma deliberation est seruir & es vns & es autres : tant s’en fault que ie reste cessateur & inutile. Envers les vastadours, pionniers & rempareurs ie feray ce que feirent Neptune & Apollo en Troie soubs Laomedon, ce que feit Renaud de Montaulban[17] sus ses derniers iours : ie seruiray les massons, ie mettray bouillir pour les massons, & le past terminé au son de ma musette mesureray la musarderie des musars. Ainsi fonda, bastit, & edifia Amphion sonnant de la lyre la grande & celebre cité de Thebes. Enuers les guerroyans ie voys de nouueau percer mon tonneau. Et de la traicte (laquelle par deux præcedens volumes (si par l’imposture des imprimeurs n’eussent esté peruertiz & brouillez) vous feust assez congneue) leurs tirer du creu de nos passetemps epicenaires vn guallant tiercin, & consecutiuement vn ioyeulx quart de sentences Pantagruelicques. Par moy licite vous sera les appeler Diogenicques. Et ne auront, puys que compaignon ne peuz estre, pour Architriclin loyal refraischissant à mon petit povoir leur retour des alarmes : & laudateur, ie diz infatigable, de leurs prouesses & glorieux faicts d’armes. Ie n’y fauldray par Lapathium acutum[18] de Dieu : si Mars ne failloit à Quaresme. Mais il s’en donnera bien guarde le paillard.

Me souuient toutesfoys auoir leu[19], que Ptoleme filz de Lagus quelque iour entre autres despouilles & butin de ses conquestes, præsentant aux Ægyptiens en plain theatre vn chameau Batrian tout noir, & vn esclaue biguarré, tellement que de son corps l’vne part estoit noire, l’autre blanche : non en compartiment de latitude par le diaphragme, comme feut celle femme sacrée à Venus Indicque, laquelle feut recongnue du philosophe Tyanien[20] entre le fleuue Hydaspes, & le mont Caucase : mais en dimension perpendiculaire : choses non encores veues en Ægypte, esperoit par offre de ces nouueaultez l’amour du peuple enuers soy augmenter. Qu’en aduient il ? A la production du Chameau tous feurent effroyez & indignez : à la veue de l’homme biguarré aulcuns se mocquèrent, autres le abhominerent comme monstre infame, créé par erreur de nature. Somme, l’esperance qu’il auoit de complaire à ses Ægyptiens, par ce moyen extendre l’affection qu’ilz luy pourtoient naturellement, luy decoulla des mains. Et entendit plus à plaisir & delices leurs estre choses belles, eleguantes, & perfaictes, que ridicules & monstrueuses. Depuys eut tant l’Esclaue que le Chameau en mespris : si que bien toust apres par negligence & faulte de commun traictement feirent de Vie à Mort eschange. Cestuy exemple me faict entre espoir & craincte varier, doubtant que pour contentement propensé, ie rencontre ce que ie abhorre : mon thesaur soit charbons : pour Venus aduieigne Barbet le chien : en lieu de les seruir, ie les fasche : en lieu de les esbaudir, ie les offense : en lieu de leurs complaire : ie desplaise : & soit mon aduenture telle que du Coq de Euclion tant celebré par Plaute en sa Marmite[21], & par Ausone en son Gryphon[22], & ailleurs : lequel pour en grattant auoir descouuert le thesaur, eut la couppe guorgée[23]. Aduenent le cas, ne seroit ce pour cheureter ? Austresfoys est il aduenu : aduenir encores pourroit. Non fera Hercules. Ie recongnois en eux tous vne forme specificque, & proprieté indiuiduale, laquelle nos maieurs nommoient Pantagruelisme, moienant laquelle iamais en mauluaise partie ne prendront choses quelconques, ilz congnoistront sourdre de bon, franc, & loyal couraige. Ie les ay ordinairement veuz bon vouloir en payement prendre, & en icelluy acquiescer, quand debilité de puissance y a esté associée.

De ce poinct expédié, à mon tonneau ie retourne. Sus à ce vin compaings. Enfans beuuez à plein guodetz. Si bon ne vous semble, laissez le. Ie ne suys de ces importuns Lifrelofres, qui par force, par oultraige & violence, contraignent les Lans & compaignons trinquer, voire caros & alluz, qui pis est. Tout beuueur de bien, tout Goutteux de bien, alterez, venens à ce mien tonneau, s’ilz ne voulent ne beuuent : s’ilz voulent, & le vin plaist au guoust de la seigneurie de leurs seigneuries, beuvent franchement, librement, hardiment, sans rien payer, & ne l’espargnent. Tel est mon decret. Et paour ne ayez, que le vin faille, comme feist es nopces de Cana en Galilée. Autant que vous en tireray par la dille, autant vous en entonneray par le bondon. Ainsi demeurera le tonneau inexpuisible. Il a fource viue, & vene perpetuelle. Tel estoit le brevaige contenu dedans la couppe de Tantalus representé par figures entre les saiges Brachmanes : telles estoit en Iberie la montaigne de sel tant celebrée par Caton : tel estoit le rameau d’or sacré à la deesse soubterraine, tant celebré par Virgile[24]. C’est vn vray Cornucopie de ioyeuseté & raillerie. Si quelque foys vous semble estre expuysé iusques à la lie, non pourtant sera il à sec. Bon espoir y gist au fond, comme en la bouteille de Pandora : non desespoir, comme on bussart des Danaïdes.

Notez bien ce que i’ay dict, & quelle manière de gens ie inuite. Car (affin que personne n’y soit trompé) à l’exemple de Lucillius[25], lequel protestoit n’escrire que à ses Tarentins & Consentinois : ie ne l’ay persé que pour vous Gens de bien, Beuueurs de la prime cuuée, & Goutteux de franc alleu. Les geants Doriphages aualleurs de frimars, ont au cul passions[26] assez, & assez sacs au croc pour venaison. Y vacquent s’ilz voulent. Ce n’est icy leur gibbier. Des cerueaulx à bourlet[27] grabeleurs de corrections ne me parlez, ie vous supplie on nom & reuerence des quatre fesses qui vous engendrerent : & de la viuificque cheuille, qui pour lors les coupploit. Des Caphars encores moins : quoy que tous soient beuveurs oultrez : tous verollez crousteleuez : guarniz de leur alteration inextinguible, & manducation insatiable. Pourquoy ? Pource qu’ilz ne font de bien, ains de mal : & de ce mal duquel iournellement à Dieu requerons estre deliurez : quoy qu’ilz contrefacent quelques foys des gueux. Oncques vieil cinge : ne feit belle moue. Arriere mastins. Hors de la quarriere : hors de mon Soleil Cahuaille au Diable. Venez vous icy culletans articuler mon vin & compisser mon tonneau. Voyez cy le baston que Diogenes par testament, ordonna estre près luy porté après sa mort, pour chasser & esrener ces larues bustuaires, & mastins Cerbericques. Pourtant arriere, Cagotz. Aux ouailles, mastins. Hors d’icy, Caphards de par le Diable, hay. Estez vous encores là ? Ie renonce ma part de Papimanie, si ie vous happe. G22. g222. g222222[28]. Dauant, dauant. Iront ilz ? Iamais ne puissiez vous fianter, que à sanglades d’estriuieres. Iamais pisser, que à l’estrapade : iamais eschauffer, que à coups de baston.


Comment Pantagruel transporta vne colonie
de Vtopiens en Dipsodie.


Chapitre I.


Pantagrvel auoir entierement conquesté le pays de Dipsodie, en icelluy transporta vne colonie de Vtopiens en nombre de 9876543210. homes, sans les femmes & petitz enfans[29] : artizans de tous mestiers, & professeurs de toutes sciences liberales : pour ledict pays refraichir, peupler, & orner, mal autrement habité, & desert en grande partie. Et les transporta non tant pour l’excessiue multitude d’homes & femmes, qui estoient en Vtopie multipliez comme locustes. Vous entendez assez, ia besoing n’est d’aduentaige vous l’exposer, que les Vtopiens auoient les genitoires tant feconds, & les Vtopienes portoient matrices tant amples, gloutes, tenaces, & cellulées par bonne architecture, que au bout de chascun neufuiesme moys, sept enfans pour le moins, que masles que femelles, naissoient par chascun mariage, à l’imitation du peuple Iudaic en Ægypte : si de Lyra ne delyre. Non tant aussi pour la fertilité du sol, salubrité du ciel, & commodité du pays de Dipsodie, que pour icelluy contenir en office & obeissance par nouueau transport de ses antiques & feaulx subiectz. Lesquelz de toute memoire autre seigneur n’auoient congneu, recongneu, aduoué, ne seruy, que luy. Et les quelz des lors que nasquirent & entrerent on monde, auec le laict de leurs meres nourrices auoient pareillement sugcé la doulceur & debonnaireté de son regne, & en icelle estoient tousdiz confictz, & nourriz. Qui estoit espoir certain, que plus tost defauldroient de vie corporelle, que de ceste première & vnicque subiection naturellement deue à leur prince, quelque lieu que feussent espars & transportez. Et non seulement telz seroient eulx & les enfans successiuement naissans de leur sang, mais aussi en ceste feaulté & obeissance entretiendroient les nations de nouueau adioinctes à son empire. Ce que veritablement aduint, & ne feut aulcunement frustré en sa deliberation. Car si les Vtopiens auant cestuy transport, auoient esté feaulx & bien recongnoissans, les Dipsodes auoir peu de iours auecques eulx conuersé, l’estoient encores d’aduentaige, par ne sçay quelle ferueur naturelle en tous humains au commencement de toutes œuures qui leur viennent à gré. Seulement se plaignoient obtestans tous les cieulx & intelligences motrices, de ce que plus toust n’estoit à leur notice venue la renommée du bon Pantagruel.

Noterez doncques icy Beuueurs, que la maniere d’entretenir & retenir pays nouuellement conquestez, n’est (comme a esté l’opinion erronée de certains espritz tyrannicques à leur dam & deshonneur) les peuples pillant, forçant, angariant, ruinant, mal vexant, & regissant auecques verges de fer : brief les peuples mangeant & deuorant, en la façon que Homere appelle le roy inique Demouore[30], c’est à dire mangeur de peuple. Ie ne vous allegueray à ce propous les histoires antiques, seulement vous reuocqueray en recordation de ce qu’en ont veu vos pères, & vous mesmes, si trop ieunes n’estez. Comme enfant nouuellement né, les fault alaicter, berser, esiouir. Comme arbre nouuellement plantée, les fault appuyer, asceurer, defendre de toutes vimeres, iniures, & calamitez. Comme personne saulué de longue & forte maladie, & venent à conualescence, les fault choyer, espargner, restaurer. De sorte qu’ilz conçoipuent en soy ceste opinion, n’estre on monde Roy ne Prince, que moins voulsissent ennemy, plus optassent amy. Ainsi Osiris[31] le grand roy des Ægyptiens toute la terre conquesta : non tant à force d’armes, que par soulaigement des angaries, enseignemens de bien & salubrement viure, loix commodes, gratieuseté & biensfaicts. Pourtant du monde feut il surnommé le grand roy Euergetes (c’est à dire le bienfaicteur) par le commandement de Iuppiter faict à vne Pamyle. De faict Hesiode en sa Hierarchie[32] colloque les bons Dæmons (appellez les si voulez Anges ou Genies) comme moyens & mediateurs des Dieux & homes : superieurs des homes, inferieurs des Dieux. Et pource que par leurs mains nous aduiennent les richesses & biens du Ciel, & sont continuellement enuers nous bienfaisans, tousiours du mal nous præseruent : les dict estre en office de Roys : comme bien tousiours faire, iamais mal, estant acte vnicquement Royal. Ainsi feut empereur de l’vniuers Alexandre Macedon. Ainsi feut par Hercules tout le continent possedé, les humains soullageant des monstres, oppressions, exactions, & tyrannies : en bon traictement les gouuernant : en æquité & iustice les maintenant : en benigne police & loix conuenentes à l’assieté des contrées les instituent : suppliant à ce que defailloit : ce que abondoit aualluant : & pardonnant tout le passé, auecques oubliance sempiternelle de toutes offenses præcedentes, comme estoit la Amnestie des Atheniens, lors que feurent par la prouesse & industrie de Thrasybulus les tyrans exterminez : depuys en Rome exposée par Ciceron[33], & renouuellée soubs l’empereur Aurelian.

Ce sont les philtres, Iynges, & attraictz d’amour, moienans lequelz pacificquement on retient, ce que peniblement on avoit conquesté. Et plus en heur ne peut le conquerant regner, soit roy, soit prince ou philosophe, que faisant Iustice à Vertus succeder. Sa Vertu est apparue en la victoire & conqueste : sa iustice apparoistra en ce que par la volunté & bonne affection du peuple donnera loix : publiera edictz, establira religions, fera droict à vn chascun : comme de Octauian Auguste dict le noble poëte Maro[34].

Il estoit victeur, par le vouloir
Des gens vaincuz, faisoit les loix valoir.

C’est pourquoy Homere en son Iliade[35], les bons princes & grands Roys appelle ϰοσμήτορας λαῶν, c’est à dire : ornateurs de peuples. Telle estoit la consideration de Numa Pompilus, Roy second des Romains iuste, politic, & philosophe, quand il ordonna au Dieu Terme, le iour de sa feste, qu’on nommoit Terminales, rien n’estre sacrifié, qui eust prins mort : nous enseignant, que les termes, frontieres, & annexes des royaulmes conuient en paix, amitié, debonnaireté guarder & regir, sans ses mains souiller de sang & pillerie. Qui aultrement faict, non seulement perdera l’acquis, mais aussi patira ce scandale & opprobre, qu’on le estimera mal & à tort auoir acquis : par ceste consequence, que l’acquest luy est entre mains expiré. Car les choses mal acquises, mal deperissent[36]. Et ores qu’il eust toute sa vie pacificque iouissance, si toutesfoys l’acquest deperit en ses hoirs, pareil sera le scandale sus le defunct, & sa memoire en malediction, comme le conquerant inique. Car vous dictez en prouerbe commun : Des choses mal acquises le tiers hoir ne iouira[37].

Notez aussi, Goutteux fieffez, en cestuy article, comment par ce moyen Pantagruel feit d’vn ange deux, qui est accident opposite au conseil de Charles Maigne, lequel feist d’vn diable deux, quand il transporta les Saxons en Flandre, & les Flamens en Saxe. Car non pouant en subiection contenir les Saxons par luy adioincts à l’empire : que à tous momens n’entrassent en rebellion, si par cas estoit distraict en Hespaigne, ou autres terres loingtaines : les transporta en pays sien, & obeissant naturellement, sçauoir est Flandres : & les Hannuiers & Flamens ses naturels subiectz transporta en Saxe, non doubtant de leur feaulté, encores qu’ilz transmigrassent en regions estranges. Mais aduint que les Saxons continuerent en leur rebellion & obstination premiere : & les Flamens habitans en Saxe, embeurent les meurs & contradictions des Saxons.


Comment Panurge feut faict chastellain
de Salmiguondin en Dipsodie, & mangeoit
son bled en herbe.


Chapitre II.


Donnant Pantagruel ordre au gouuernement de toute Dipsodie, assigna la chastellenie de Salmiguondin à Panurge, valent par chascun an. 6789106789. Royaulx[38] en deniers certains, non comprins l’incertain reuenu des Hanetons, & Cacquerolles, montant bon an mal an de. 2435768. à. 2435769. moutons à la grande laine. Quelques foys reuenoit à. 1234554321. Seraphz : quand estoit bonne année de Cacquerolles, & Hanetons de requeste. Mais ce n’estoit tous les ans. Et se gouuerna si bien & prudentement monsieur le nouueau chastellain, qu’en moins de quatorze iours il dilapida le reuenu certain & incertain de sa Chastellenie pour troys ans. Non proprement dilapida, comme vous pourriez dire en fondations de monasteres, erections de temples, bastimens de collieges & hospitaulx, ou iectant son lard aux chiens. Mais despendit en mille petitz banquetz & festins ioyeulx, ouuers à tous venens, mesmement bons compaignons, ieunes fillettes, & mignonnes gualoises[39]. Abastant boys, bruslant les grosses souches pour la vente des cendres, prenent argent d’auance[40], achaptant cher, vendent à bon marché, & mangeant son bled en herbe. Pantagruel aduerty de l’affaire, n’en feut en soy aulcunement indigné, fasché, ne marry. Ie vous ay ia dict, et encores rediz, que c’estoit le meilleur petit & grand bon homet, que oncques ceignït espée. Toutes choses prenoit en bonne partie, tout acte interpretoit à bien. Iamais ne se tourmentoit, iamais ne se scandalizoit. Aussi eust il esté bien forissu du Deificque manoir de raison, si aultrement se feust contristé ou alteré. Car tous les biens que le Ciel couure : & que la Terre contient en toutes ses dimensions : hauteur, profondité, longitude, & latitude, ne sont dignes d’esmouuoir nos affections, & troubler nos sens & espritz.

Seulement tira Panurge à part, & doulcettement luy remonstra, que si ainsi vouloit viure, & n’estre aulcunement mesnagier, impossible seroit, ou pour le moins bien difficile, le faire iamais riche. Riche ? respondit Panurge. Auiez vous là fermé vostre pensée ? Auiez vous en soing pris me faire riche en ce monde ? Pensez viure ioyeux de par li bon Dieu, & li bons homs. Autre soing, autre soucy, ne soy receup on sacrosainct domicile de vostre celeste cerueau. La serenité d’icelluy iamais ne soit troublée par nues quelconques de pensement passementé de meshaing & fascherie. Vous viuant ioyeulx, guaillard, dehayt, ie ne seray riche que trop. Tout le monde crie mesnaige, mesnaige. Mais tel parle de mesnaige, qui ne sçayt mie que c’est. C’est de moy que fault conseil prendre. Et de moy pour ceste heure prendrez aduertissement, que ce qu’on me impute à vice, a esté imitation des Vniuersités & Parlement de Paris : lieux esquelz consiste la vraye source & viue Idée de Pantheologie, de toute iustice aussi. Hæreticque qui en doubte, & fermement ne le croyt. Ilz toutesfoys en vn iour mangent leur euesque, ou le reuenu de l’euesché (c’est tout vn) pour vne année entiere, voyre pour deux aulcunes foys : C’est au iour qu’il y faict son entrée. Et n’y a lieu d’excuse, s’il ne vouloit estre lapidé sus l’instant. A esté aussi acte des quatre vertus principales. De Prudence, en prenent argent d’auance. Car on ne sçayt qui mord, ne qui rue[41]. Qui sçayt si le monde durera troys ans ? Et ores qu’il durast d’aduentaige, est il home tant fol qui se ausast promettre viure troys ans ?

Oncq’homme n’eut les Dieux tant bien à main,
Qu’asseuré feust de viure au lendemain[42].

De iustice : Commutatiue, en achaptant cher (ie diz à credit) vendent à bon marché (ie diz argent comptant). Que dict Caton en sa mesnagerie sus ce propos ? Il fault (dict il) que le perefamiles soit vendeur perpetuel[43]. Par ce moyen est impossible qu’en fin riche ne deuieigne, si tousiours dure l’apothecque. Distributiue : donnant à repaistre aux bons (notez bons) & gentilz compaignons : lesquelz Fortune auoit iecté comme Vlyxes, sus le roc de bon appetit, sans prouision de mangeaille : & aux bonnes (notez bonnes) & ieunes gualoises (notez ieunes : Car scelon la sentence de Hippocrates, ieunesse est impatience de faim : mesmement si elle est viuace, alaigre, brusque, mouente, voltigeante). Lesquelles gualoises voluntiers & de bon hayt font plaisir à gens de bien[44] : & sont Platonicques & Ciceronianes iusques là, qu’elles se reputent estre on monde nées non pour soy seulement : ains de leurs propres personnes font part à leur patrie, part à leurs amis.

De force, en abastant les gros arbres, comme vn second Milo : ruinant les obscures forestz, tesnieres de Loups, de Sangliers, de Renards : receptacles de briguans & meurtriers : taulpinieres de assassinateurs, officines de faulx monnoieurs, retraicte d’hæreticques : & les complanissant en claires guarigues & belles bruieres : iouant des haulx boys[45], & præparant les sieges pour la nuict du iugement.

De Temperance : mangeant mon bled en herbe, comme vn Hermite, viuant de sallades & racines : me emancipant des appetitz sensuelz : & ainsi espargnant pour les estropiatz & souffreteux. Car ce faisant, i’espargne les sercleurs qui guaignent argent : les mestiuiers, qui beuuent voluntiers, & sans eau : les gleneurs, es quelz fault de la fouace : les basteurs, qui ne laissent ail, oignon, ne eschalote es iardins par l’auctorité de Thestilis Virgiliane[46] : les meusniers, qui sont ordinairement larrons : & les boulangiers, qui ne valent gueres mieulx. Est ce petite espargne : Oultre la calamité des Mulotz, le deschet des greniers, & la mangeaille des Charrantons & Mourrins. De bled en herbe vous faictez belle saulse verde, de legiere concoction : de facile digestion. Laquelle vous esbanoist le cerueau, esbaudist les espritz animaulx, resiouist la veue, ouure l’appetit, delecte le goust, assere le cœur, chatouille la langue, faict le tainct clair, fortifie les muscles, tempere le sang, alliege le diaphragme, refraischit le foye, desoppile la ratelle, soulaige les roignons, assoupist les reins, desgourdist les spondyles, vuide les uretères, dilate les vases spermaticques, abbreuie les cremasteres, expurge la vessie, enfle les genitoires, corrige le prepuce, incruste le balane, rectifie le membre : vous faict bon ventre, bien rotter, vessir, peder, fianter, uriner, esternuer, sangloutir, toussir, cracher, vomiter, baisler, mouscher, haleiner, inspirer, respirer, ronfler, suer, dresser le virolet, & mille autres rares aduentaiges. I’entends bien (dist Pantagruel) vous inferez que gens de peu d’esprit ne sçauroient beaucoup en brief temps despendre. Vous n’estez le premier, qui ayt conceu ceste hæresie. Neron le maintenoit, & sus tous humains admiroit C. Caligula son oncle, lequel en peu de iours auoir par inuention mirificque despendu tout l’auoir & patrimoine que Tiberius luy auoit laissé. Mais en lieu de guarder & obseruer les loix cœnaires & sumptuaires des Romains[47], la Orchie, la Fannie, la Didie, la Licinie, la Cornelie, la Lepidiane, la Antie, & des Corinthiens : par les quelles estoit rigoureusement à vn chascun defendu, plus par an despendre, que portoit son annuel reuenu : vous auez faict Proteruie : qui estoit entre les Romains sacrifice tel que de l’aigneau Paschal entre les Iuifz. Il y conuenoit tout mangeable manger : le reste iecter on feu : rien ne reseruer au lendemain. Ie le peuz de vous iustement dire, comme le dist Caton de Albidius, lequel auoit en excessiue despense mangé tout ce qu’il possedoit, restant seulement vne maison, y mist le feu dedans, pour dire, consummatum est, ainsi que depuys dist sainct Thomas Dacquin[48], quand il eut la Lamproye toute mangée. Cela non force.


Comment Panurge loue les debteurs & emprunteurs.

Chapitre III.


Mais (demanda Pantagruel) quand serez vous hors de debtes ? Es Calendes Grecques, respondit Panurge ; lors que tout le monde sera content, & que serez heritier de vous mesmes. Dieu me guarde d’en estre hors. Plus lors ne trouuerois qui vn denier me pretast. Qui au soir ne laisse leuain, ia ne fera au matin leuer pasté. Doibuez tous iours à quelq’vn ? par icelluy sera continuellement Dieu vous donner bonne, longue, & heureuse vie : craignant sa debte perdre, tousiours bien de vous dira en toutes compaignies : tousiours nouueaulx crediteurs vous acquestera : affin que par eulx vous faciez versure, & de terre d’aultruy remplissez son fossé. Quand iadis en Gaulle par l’institution des Druydes, les serfz, varletz, & appariteurs estoient tous vifz bruslez aux funerailles & exeques de leurs maistres & seigneurs : n’auoient ilz belle paour que leurs maistres & seigneurs mourussent ? Car ensemble force leurs estoit mourir. Ne prioient ilz continuellement leur grand Dieu Mercure, auecques Dis[49] le pere aux escuz, longuement en santé les conseruer ? N’estoient ilz soingneux de bien les traicter & seruir ? Car ensemble pouoient ilz viure au moins iusques à la mort. Croyez qu’en plus feruente deuotion vos crediteurs priront Dieu que viuez, craindront que mourez, d’autant que plus ayment la manche que le braz[50], & la denare que la vie. Tesmoings les vsuriers de Landerousse, qui nagueres se pendirent, voyans les bleds & les vins raualler en pris[51], & bon temps retourner. Pantagruel rien ne respondent, continua Panurge. Vray bot, quand bien ie y pense, vous me remettez à poinct en ronfle veue, me reprochant mes debtes & crediteurs. Dea en ceste seule qualité ie me reputois auguste, reuerend, & redoubtable, que sus l’opinion de tous Philosophes (qui disent rien de rien n’estre faict) rien ne tenent, ne matiere premiere, estoit facteur & createur. Auois créé. Quoy ? Tant de beaulx & bons crediteurs. Crediteurs sont (ie le maintiens iusques au feu exclusiuement[52]) creatures belles & bonnes. Qui rien ne preste, est creature laide & mauuaise : creature du grand villain diantre d’enfer. Et faict. Quoy ? Debtes. O chose rare & antiquaire. Debtes, diz ie, excedentes le nombre des syllabes resultantes au couplement de toutes les consonantes auecques les vocales, iadis proiecté & compté par le noble Xenocrates[53]. A la numerosité des crediteurs si vous estimez la perfection des debteurs, vous ne errerez en Arithmetique praticque. Cuidez vous que ie suis aise quand tous les matins autour de moy ie voy ces crediteurs tant humbles, seruiables, & copieux en reuerences ? Et quand ie note que moy faisant à l’vn visaige plus ouuert, & chere meilleure que es autres, le paillard pense auoir sa depesche le premier, pense estre le premier en date, & de mon ris cuyde que soit argent content. Il m’est aduis, que ie ioue encores le Dieu de la passion de Saulmur[54], accompaigné de ses Anges & Cherubins. Ce sont mes candidatz, mes parasites, mes salueurs, mes diseurs de bons iours, mes orateurs perpetuelz. Et pensois veritablement en debtes consister la montaigne de Vertus heroicque descripte par Hesiode[55], en laquelle ie tenois degré premier de ma licence : à laquelle tous humains semblent tirer & aspirer, mais peu y montent pour la difficulté du chemin : voyant au iourdhuy tout le monde en desir feruent, & strident appetit de faire debtes, & crediteurs nouueaulx. Toutesfoys il n’est debteur qui veult : il ne faict crediteurs qui veult. Et vous me voulez debouter de ceste felicité soubeline ? vous me demandez quand seray hors de debtes ?

Bien pis y a, ie me donne à sainct Babolin le bon sainct, en cas que toute ma vie ie n’aye estimé debtes estre comme vne connexion & colligence des Cieulx & Terre : vn entretenement vnicque de l’humain lignaige : ie dis sans lequel bien tost tous humains periroient : estre par aduenture celle grande ame de l’vniuers, laquelle scelon les Academicques, toutes choses viuifie. Qu’ainsi soit, repræsentez vous en esprit serain l’idée & forme de quelque monde, prenez si bon vous semble, le trentiesme de ceulx que imaginoit le philosophe Metrodorus : ou le soixante & dix huyctiesme de Petron : on quel ne soit debteur ne crediteur aulcun. Vn monde sans debtes. Là entre les astres ne sera cours regulier quiconque. Tous seront en desarroy. Iuppiter ne s’estimant debiteur à Saturne, le depossedera de sa sphære, & auecques sa chaine Homericque[56] suspendera les intelligences, Dieu, Cieulx, Dæmons, Genies, Heroes, Diables, Terre, mer, tous elemens. Saturne se r’aliera auecques Mars, & mettront tout ce monde en perturbation. Mercure ne vouldra soy asseruir les aultres, plus ne sera leur Camille, comme langue Hetrusque estoit nommé. Car il ne leurs est en rien debteur. Venus ne sera venerée, car elle n’aura rien presté. La Lune restera sanglante & tenebreuse. A quel propous luy departiroit le Soleil sa lumiere ? Il n’y estoit en rien tenu. Le Soleil ne luyra sus leur terre : les Astres ne y feront influence bonne. Car la terre desistoit leurs prester nourrissement par vapeurs & exhalations : des quelles disoit Heraclitus, prouuoient les Stoiciens, Ciceron maintenoit estre les estoilles alimentées. Entre les elemens ne sera symbolisation, alternation, ne transmutation aulcune. Car l’vn ne se reputera obligé à l’autre, il ne luy auoit rien presté. De terre ne sera faicte eau : l’eau en aer[57] ne sera transmuée : de l’aer ne sera faict feu : le feu n’eschauffera la terre. La terre rien ne produira que monstres, Titanes, Aloides[58], Geans : Il n’y pluyra pluye, n’y luyra lumiere, n’y ventera vent, n’y sera esté ne automne. Lucifer se desliera, & sortant du profond d’enfer auecques les Furies, les Poines, & Diables cornuz, vouldra deniger des cieulx tous les dieux tant des maieurs comme des mineurs peuples. De cestuy monde rien ne prestant ne sera qu’vne chienerie : que vne brigue plus anomale que celle du Recteur de Paris, qu’vne Diablerie plus confuse que celle des ieuz de Doué[59]. Entre les humains l’vn ne saluera l’aultre : il aura beau crier à l’aide, au feu, à l’eau, au meurtre. Personne ne ira à secours. Pourquoy ? Il n’auoit rien presté, on ne luy debuoit rien. Personne n’a interest en sa conflagration, en son naufrage, en sa ruine, en sa mort. Aussi bien ne prestoit il rien. Aussi bien n’eust il par apres rien presté. Brief de cestuy monde seront bannies Foy, Esperance, Charité. Car les homes sont nez pour l’ayde & secours des homes. En lieu d’elles succederont Defiance, Mespris, Rancune, auecques la cohorte de tous maulx, toutes maledictions, & toutes miseres. Vous penserez proprement que là eust Pandora versé sa bouteille[60]. Les homes seront loups es homes. Loups guaroux, & lutins, comme feurent Lychaon, Bellerophon, Nabugotdonosor : briguans, assassineurs, empoisonneurs, malfaisans, malpensans, malueillans, haine portans vn chascun contre tous, comme Ismael, comme Metabus, comme Timon Athenien, qui pour ceste cause feut surnommé μισάνθρωπος[61]. Si que chose plus facile en nature seroit, nourrir en l’aër les poissons, paistre les cerfz on fond de l’Ocean, que supporter ceste truandaille de monde, qui rien ne preste. Par ma foys ie les hays bien.

Et si au patron de ce fascheux & chagrin monde rien ne prestant, vous figurez l’autre petit monde, qui est l’home, vous y trouuerez vn terrible tintamarre. La teste ne vouldra prester la veue de ses œilz, pour guider les piedz & les mains. Les piedz ne la daigneront porter : les mains cesseront de trauailler pour elle. Le cœur se faschera de tant se mouuoir pour les pouls des membres, & ne leurs prestera plus. Le poulmon ne luy fera prest de ses souffletz. Le foye en luy enuoyra sang pour son entretien. La vessie ne vouldra estre debitrice aux roignons : l’vrine sera supprimée. Le cerueau considerant ce train desnaturé, se mettra en resuerie, & ne baillera sentement es nerfz, ne mouuement es muscles. Somme, en ce monde desrayé, rien ne debuant, rien ne prestant, rien ne empruntant, vous voirez vne conspiration plus pernicieuse, que n’a figuré Æsope en son Apologue[62]. Et perira sans doubte : non perira seulement : mais bien tost perira, feust ce Æsculapius mesmes[63]. Et ira soubdain le corps en putrefaction : l’ame toute indignée prendra course à tous les Diables, apres mon argent.


Continuation du discours de Panurge, à la louange
des presteurs & debteurs.


Chapitre IIII.


Dv contraire representez vous vn monde autre, on quel vn chascun preste, vn chascun doibue, tous soient debteurs, tous soient presteurs. O quelle harmonie sera parmy les reguliers mouuemens des Cieulz. Il m’est aduis que ie l’entends aussi bien que feist oncques Platon[64]. Quelle sympathie entre les elemens. O comment Nature se y delectera en ses œuures & productions. Ceres chargée de bleds : Bacchus de vins : Flora de fleurs : Pomona de fruictz : Iuno en son aër serain seraine, salubre, plaisante. Ie me pers en ceste contemplation. Entre les humains Paix, Amour, Dilection, Fidelité, repous, banquetz, festins, ioye, liesse, or, argent, menue monnoie, chaisnes, bagues, marchandises, troteront de main en main. Nul proces, nulle guerre, nul debat : nul n’y sera vsurier, nul leschart, nul chichart, nul refusant. Vray Dieu, ne sera ce l’aage d’or, le regne de Saturne ? L’idée des regions Olympicques : es quelles toutes autres vertus cessent : Charité seule regne, regente, domine, triumphe. Tous seront bons, tous seront beaulx, tous seront iustes. O monde heureux. O gens de cestuy monde heureux. O beatz troys & quatre foys. Il m’est aduis que ie y suis. Ie vous iure le bon Vraybis, que si cestuy monde, beat monde ainsi à vn chascun prestant, rien ne refusant eust Pape foizonnant en Cardinaulx, & associé de son sacre colliege, en peu d’années vous y voiriez les sainctz plus druz, plus miraclificques, à plus de leçons, plus de veuz, plus de bastons, & plus de chandelles, que ne sont tous ceulx des neufz eueschez de Bretaigne. Exceptez seulement sainct Iues. Ie vous prie considerez comment le noble Patelin voulant deifier & par diuines louenges mettre iusques au tiers ciel le pere de Guillaume Iousseaulme, rien plus ne dist sinon,

Et si prestoit,
Ses denrées, à qui en vouloit.[65]

O le beau mot. A ce patron figurez vous nostre microcosme, id est, petit monde, c’est l’home, en tous ses membres, prestans, empruntans, doibuans, c’est à dire en son naturel. Car nature n’a créé l’home que pour prester & emprunter. Plus grande n’est l’harmonie des cieux, que sera de sa police. L’intention du fondateur de ce microcosme, est y entretenir l’ame, laquelle il y a mise comme hoste : & la vie. La vie consiste en sang. Sang est le siege de l’ame. Pourtant vn seul labeur poine en ce monde, c’est forger sang continuellement. En ceste forge sont tous membres en office propre : & est leur hierarchie telle que sans cesse l’vn de l’autre emprunte, l’vn à l’autre preste, l’vn à l’autre est debteur. La matiere & metal conuenable pour estre en sang transmué, est baillée par nature : Pain & Vin. En ces deux sont comprinses toutes especes des alimens. Et de ce est dict le companage en langue Goth. Pour icelles trouuer, præparer, & cuire, trauaillent les mains, cheminent les piedz, & portent toute ceste machine : les œilz tout conduisent. L’appetit en l’orifice de l’estomach moyennant vn peu de melancholie aigrette, que luy est transmis de la ratelle, admonneste de enfourner viande. La langue en faict l’essay : les dens la maschent : l’estomach la reçoit, digere & chylifie. Les venes mesaraïcques en sugcent ce qu’est bon & idoine : delaissent les excremens. Les quelz par vertu expulsiue sont vuidez hors par expres conduictz : puys la portent au foye. Il la transmue derechef, & en faict sang. Lors quelle ioye pensez vous estre entre ces officiers, quand ils ont veu ce ruisseau d’or, qui est leur seul restaurant ? Plus grande n’est la ioye des Alchymistes, quand apres longs trauaulx, grand soin & despense, ilz voyent les metaulx transmuez dedans leurs fourneaulx. Adoncques chascun membres se præpare & s’esuertue de nouueau à purifier & affiner cestuy thesaur. Les roignons par les venes emulgentes en tirent l’aiguosité, que vous nommez vrine, & par les vreteres la decoullent en bas. Au bas trouue receptacle propre, c’est la vessie, laquelle en temps oportun la vuide hors. La ratelle en tire le terrestre, & la lie, que vous nommez melancholie. La bouteille du fiel en soubstrait la cholere superflue. Puys est transporté en vne autre officine pour mieulx estre affiné, c’est le Cœur. Lequel par ces mouuemens diastolicques & systolicques le subtilie & enflambe, tellement que par le ventricule dextre le met à perfection, & par les venes l’enuoye à tous les membres. Chascun membre l’attire à soy, & s’en alimente à sa guise : pieds, mains, œilz, tous : & lors sont faictz debteurs, qui parauant estoient presteurs. Par le ventricule gausche il le faict tant subtil, qu’on le dict spirituel : & l’enuoye à tous les membres par ses arteres, pour l’autre sang des venes eschauffer & esuenter. Le poulmon ne cesse auecques es lobes & souffletz le refraischir. En recongnoissance de ce bien le Cœur luy en depart le meilleur par la uene arteriale. En fin tant est affiné dedans le retz merueilleux, que par à present sont faictz les espritz animaulx, moyenans les quelz elle imagine, discourt, iuge, resoust, delibere, ratiocine, & rememore. Vertus guoy ie me naye, ie me pers, ie m’esguare, quand ie entre on profond abisme de ce monde ainsi prestant, ainsi doibuant. Croyez que chose diuine est prester : debuoir est vertus Heroïcque.

Encores n’est ce tout. Ce monde prestant, doibuant, empruntant, est si bon, que ceste alimentation paracheuée, il pense desia prester à ceulx qui ne sont encores nez : & par prest se perpetuer s’il peult, & multiplier en images à soy semblables, ce sont enfans. A ceste fin chascun membre du plus precieux de son nourrissement decide & roigne vne portion, & la renuoye en bas : nature y a præparé vases & receptacles opportuns, par les quelz descendent es genitoires en longs ambages & flexuositez : reçoit forme competente, & trouue lieux idoines tant en l’homme comme en la femme, pour conseruer & perpetuer le genre humain. Ce faict le tout par prestz & debtes de l’vn à l’autre : dont est dict le debuoir de mariage. Poine par nature est au refusant interminée, acre vexation parmy les membres, & furie parmy les sens : au prestant loyer consigné, plaisir, alaigresse, & volupté.


Comment Pantagruel deteste les debteurs
& emprunteurs.


Chapitre V.


Ientends (respondit Pantagruel) & me semblez bon topicqueur & affecté à vostre cause. Mais preschez & patrocinez d’icy à la Pentecoste[66], en fin vous serez esbahy, comment rien ne me aurez persuadé, & par vostre beau parler, ia ne me ferez entrer en debtes. Rien (dict le sainct Enuoyé[67]) à personne en doibuez, fors amour & dilection mutuelle.

Vous me vsez icy de belles graphides & diatyposes, & me plaisent tresbien : mais ie vous diz, que si figurez vn affronteur efronté, & importun emprunteur entrant de nouueau en vne ville ia aduertie de ses meurs, vous trouuerez que à son entrée plus seront les citoyens en effroy & trepidation, que si la Peste y entroit en habillement tel que la trouua le Philosophe Tyanien[68] dedans Ephese. Et suys d’opinion que ne erroient les Perses, estimans le second vice estre mentir : le premier estre debuoir. Car debtes & mensonges sont ordinairement ensemble ralliez. Ie ne veulx pourtant inferer, que iamais ne faille debuoir, iamais ne faille prester. Il n’est si riche qui quelques foys ne doibue. Il n’est si paouure, de qui quelques foys on ne puisse emprunter. L’ocasion sera telle que la dict Platon en ses loix[69], quand il ordonne qu’on ne laisse chez soy les voysins puiser eau, si premierement ilz n’auoient en leurs propres pastifz foussoyé & beché iusques à trouuer celle espece de terre qu’on nomme Ceramite (c’est terre à potier) & là n’eussent rencontré source ou degout d’eaux. Car icelle terre par sa substance qui est grasse, forte, lize, & dense, retient l’humidité, & n’en est facilement fait escours ne exhalation. Ainsi est ce grande vergouigne, touisours, en tous lieux, d’vn chascun emprunter, plus toust que trauailler & guaingner. Lors seulement deburoit on (selon mon iugement) prester, quand la personne trauaillant n’a peu par son labeur faire guain : ou quand elle est soubdainement tombée en perte inopinée de ses biens. Pourtant laissons ce propos, & dorenauant ne vous atachez à crediteurs : du passé ie vous deliure.

Le moins de mon plus (dist Panurge) en cestuy article sera vous remercier : & si les remerciemens doibuent estre mesurez par l’affection des biensfaicteurs, ce sera infiniment, sempiternellement : car l’amour que de vostre grace me portez, est hors le dez d’estimation, il transcende tout poix, tout nombre, toute mesure, il est infiny, sempiternel. Mais le mesurant au qualibre des biensfaictz, & contentement des recepuans, ce sera assez laschement. Vous me faictez des biens beaucoup, & trop plus que m’appartient, plus que n’ay enuers vous deseruy, plus que ne requeroient mes merites, force est que le confesse : mais non mie tant que pensez en cestuy article. Ce n’est là que me deult, ce n’est là que me cuist & demange. Car dorenauant estant quitte quelle contenence auray ie ? Croiez que ie auray mauluaise grace pour les premiers moys, veu que ie n’y suis ne nourry ne accoustumé. I’en ay grand paour. D’aduentaige desormais ne naistra ped en tout Salmiguondinoys, qui ne ayt son renuoy vers mon nez. Tous les peteurs du monde petans disent. Voy la pour les quittes. Ma vie finera bien toust, ie le præuoy. Ie vous recommande mon Epitaphe : Et mourray tout confict en pedz. Si quelque iour pour restaurant à faire peter les bonnes femmes, en extreme passion de colicque venteuse, les medicamens ordinaires ne satisfont aux medicins, la momie de mon paillard & empeté corps leur fera remede præsent. En prenent tant peu que direz, elles peteront plus qu’ilz n’entendent. C’est pourquoy ie vous prirois voluntiers que de debtes me laissez quelque centurie : comme le roy Loys vnzième iectant hors de proces Miles d’Illiers euesque de Chartres[70], feut importuné luy en laisser quelque vn pour se exercer. I’ayme mieux leur donner toute ma Cacquerolière, ensemble ma Hannetonnière : rien pourtant ne deduisant du sort principal. Laissons (dist Pantagruel) ce propos, ie vous l’ay ia dict vne foys.


Pourquoy les nouueaulx mariez estoient exemptz
d’aller en guerre.


Chapitre VI.


Mais (demanda Panurge) en quelle loy estoit ce constitué & estably, que ceulx qui vigne nouuelle planteroient : ceulx qui logis neuf bastiroient : & les nouueaulx mariz seroient exemptz d’aller en guerre pour la premiere année ? En la loy (respondit Pantagruel) de Moses[71]. Pour quoy (demanda Panurge) les nouueaulx mariez ? Des planteurs de vigne, ie suis trop vieulx pour me soucier : ie acquiesce on soucy des vendangeurs : & les beaulx bastisseurs nouueaux de pierres mortes ne sont escriptz en mon liure de vie. Ie ne bastis que pierres viues, ce sont homes. Scelon mon iugement (respondit Pantagruel) c’estoit, affin que pour la premiere année, ilz iouissent de leurs amour à plaisir, vacassent à production de lignage, & feissent prouision de heritiers. Ainsi pour le moins, si l’année seconde estoient en guerre occis, leur nom & armes restat en leurs enfans. Aussi que leurs femmes on congneust certainement estre brehaignes ou fecondes (car l’essay d’vn an leur sembloit suffisant, attendu la maturité de l’aage en laquelle ilz faisoient nopces) pour mieulx apres le decés des mariz premiers les colloquer en secondes nopces : les fecondes, à ceulx qui vouldroient multiplier en enfans : les brehaignes, à ceulx qui n’en appeteroient : & les prendroient pour leurs vertus, sçauoir, bonnes graces, seulement en consolation domesticque, & entretenement de mesnaige. Les prescheurs de Varenes (dist Panurge) detestent les secondes nopces, comme folles & deshonnestes. Elles sont (respondist Pantagruel) leurs fortes fiebures quartaines. Voire (dist Panurge) & à frere Enguainnant aussi, qui en plain sermon preschant à Parillé, & detestant les nopces secondes, iuroit, & se donnoit au plus viste Diable d’enfer, en cas que mieulx n’aymast depuceller cent filles[72], que biscoter vne vefue. Ie trouue vostre raison bone & bien fondée. Mais que diriez vous, si ceste exemption leurs estoit oultroyée, pour raison que tout le decours d’icelle prime année, ilz auroient tant taloché leurs amours de nouueau possedez (comme c’est l’æquité & debuoir) & tant esgoutté leurs vases spermaticques, qu’ilz en restoient tous effilez, tous euirez, tous eneruez, & flatriz. Si que aduenent le iour de bataille plus tost se mettroient au plongeon comme canes, auecques le baguaige, que auecques les combatans & vaillans champions on lieu on quel par Enyo est meu le hourd, & sont les coups departiz. Et soubs l’estandart de Mars ne frapperoient coup qui vaille. Car les grands coups auroient ruez soubs les courtines de Venus s’amie. Qu’ainsi soit nous voyons encores maintenant entre autres reliques & monumens d’antiquité, qu’en toutes bonnes maisons apres ne sçay quantz iours l’on enuoye ces nouueaux mariez veoir leur oncle : pour les absenter de leurs femmes, & ce pendent soy reposer, & de rechief se auitailler pour mieux au retour combatre : quoy que souuent ilz n’ayent ne oncle ne tante. En pareille forme que le roy Petault apres la iournée des Cornabons, ne nous cassa proprement parlant, ie diz moy & Courcaillet, mais nous enuoya refraischir en nos maisons. Il est encores cherchant la sienne[73]. La marraine de mon grand pere me disoit, quand i’estois petit, que

Patenostres & oraisons,
Sont pour ceulx là qui les retiennent
Vn fiffre allans en fenaisons
Est plus fort que deux qui en viennent.

Ce que me induict en ceste opinion, est que les planteurs de vigne, à poine mangeoient raisins, ou beuuoient vin de leur labeur durant la premiere année : & les bastisseurs pour l’an premier, ne habitoient en leurs logiz de nouueau faictz, sur poine de y mourir : suffocquez par deffault de expiration, comme doctement a noté Galen. lib. 2. de la difficulté de respirer. Ie ne l’ay demandé sans cause bien causée : ne sans raison bien resonnante. Ne vous desplaise.


Comment Panurge auoit la pusse en l’aureille,
& desista porter sa magnificque braguette.


Chapitre VII.


Av lendemain Panurge se feit perser l’aureille dextre[74] à la Iudaicque, & y attacha vn petit anneau d’or à ouuraige de tauchie, on caston duquel estoit vne pusse enchassée. Et estoit la pusse noire, affin que rien ne doubtez. C’est belle chose, estre en tout cas bien informé. La despence de laquelle raportée à son bureau ne montoit par quartier gueres plus que le mariage d’vne Tigresse Hircanicque, comme vous pourriez dire 6000000. maluedis. De tant excessiue despence se fascha lors qu’il feut quitte, & depuis la nourrit en la faczon des tyrans & aduocatz, de la sueur et du sang de ses subiectz. Print quatre aulnes de bureau : s’en acoustra comme d’vne robbe longue à simple cousture : desista porter le hault de ses chausses : & attacha des lunettes à son bonnet. En tel estat se præsenta dauant Pantagruel : lequel trouua le desguisement estrange, mesmement ne voyant plus la belle & magnificque braguette, en laquelle il souloit comme en l’ancre sacre constituer son dernier refuge contre tous naufraiges d’aduersité. N’entendent le bon Pantagruel ce mystère, le interrogea demandant que prætendoit ceste nouuelle prosopopée. I’ay (respondit Panurge) la pusse en l’aureille. Ie me veulx marier. En bonne heure soit, dist Pantagruel, vous m’en auez bien resiouy. Vrayement ie n’en vouldrois pas tenir vn fer chauld[75]. Mais ce n’est la guise des amoureux, ainsi auoir bragues aualades, & laissé pendre sa chemise sur les genoilx sans hault de chausses : auecques robbe longue de bureau, qui est couleur inusitée en robbes talares entre gens de bien & de vertus. Si quelques personaiges de hæresies & sectes particuliaires s’en sont autres fois acoustrez, quoy que plusieurs l’ayent imputé à piperie, imposture, & affectation de tyrannie sus le rude populaire, ie ne veulx pourtant les blasmer, & en cela faire d’eulx iugement sinistre. Chascun abonde en son sens : mesmement en choses foraines, externes, & indifferentes, lesquelles de soy ne sont bonnes ne mauluaises : pource qu’elles ne sortent de nos cœurs & pensées, qui est l’officine de tout bien & tout mal : bien, si bonne est, & par le esprit munde reiglée l’affection : mal, si hors æquité par l’esprit maling est l’affection deprauée. Seulement me desplaist la nouueaulté & mespris du commun visaige.

La couleur, respondit Panurge, est aspre aux potz, à propos[76], c’est mon bureau[77], ie le veulx dorenauant tenir, & de près reguarder à mes affaires. Puys qu’vne foys ie suis quitte, vous ne veistes oncques home plus mal plaisant que ie seray, si Dieu ne me ayde. Voiez cy mes bezicles. A me veoir de loing vous diriez proprement que c’est frere Ian Bourgeoys. Ie croy bien que l’année qui vient ie prescheray encores vne foys la croysade. Dieu guard de mal les pelotons. Voiez vous ce bureau. Croiez qu’en luy consiste quelque occulte proprieté à peu de gens congneue. Ie ne l’ay prins qu’à ce matin, mais desia i’endesue, ie deguene, ie grezille d’estre marié, & labourer en diable bur, dessus ma femme, sans craincte des coups de baston. O le grand mesnaiger que ie seray. Apres ma mort on me fera brusler en bust honorificque : pour en auoir les cendres en memoire & exemplaire du mesnaiger perfaict. Corbieu, sus cestuy mien bureau ne se ioue mon argentier d’allonger les.ss. Car coups de poing troteroient en face. Voyez moy dauant & darriere : c’est la forme d’vne Toge, antique habillement des Romains en temps de paix. I’en ay prins la forme en la colonne de Traian à Rome, en l’arc triumphal aussi de Septimius Seuerus. Ie suis las de guerre : las des sages[78] & hocquetons. I’ay les espaules toutes vsées à force de porter harnois. Cessent les armes, regnent les Toges. Au moins pour toute ceste subsequente année si ie suis marié, comme vous me allegastez hier par la loy Mosaïque.

Au reguard du hault de chausses, ma grand tante Laurence iadis me disoit, qu’il estoit faict pour la braguette. Ie le croy, en pareille induction, que le gentil falot Galen. lib. 9. De l’vsage de nos membres, dict la teste estre faicte pour les œilz. Car nature eust peu mettre nos testes aux genoulx ou au coubtes : mais ordonnant les œilz pour descouurir au loing, les fixa en la teste comme en vn baston au plus hault du corps : comme nous voyons les Phares & haultes tours sus les haures de mer estre erigées, pour de loing estre veue la lanterne. Et pource que ie vouldrois quelque espace de temps, vn an pour le moins, respirer de l’art militaire, c’est à dire, me marier, ie ne porte plus de braguette, ne par consequent hault de chausses. Car la braguette est premiere piece de harnoys pour armer l’homme de guerre. Et maintiens iusques au feu (exclusiuement entendez[79]) que les Turcs ne sont aptement armez, veu que braguettes porter est chose en leurs loix defendue.


Comment la braguette est premiere piece de harnois[80]
entre gens de guerre.


Chapitre VIII.


Vovlez vous, dist Pantagruel, maintenir que la braguette est piece premiere de harnois militaire ? C’est doctrine moult paradoxe & nouuelle. Car nous disons que par esprons on commence soy armer. Ie le maintiens, respondit Panurge : & non à tord ie le maintiens. Voyez comment nature[81] voulant les plantes, arbres, arbrisseaulx, herbes, & Zoophytes vne fois par elles creez, perpetuer & durer en toute succession de temps, sans iamais deperir les especes, encores que les indiuidus perissent, curieusement arma leurs germes & semences, es quelles consiste icelle perpetuité, & les a muniz & couvers par admirable industrie de gousses, vagines, testz, noyaulx, calicules, coques, espiz, pappes, escorces, echines poignans : qui leur font comme belles & fortes braguettes naturelles. L’exemple y est manifeste en Poix, Febues, Faseolz, Noix, Alberges, Cotton, Colocynthes, Bleds, Pauot, Citrons, Chastaignes : toutes plantes generalement. Es quelles voyons apertement le germe & la semence plus estre ouuerte, munie, & armée, qu’autre partie d’icelles. Ainsi ne pourueut nature à la perpetuité de l’humain genre. Ainsi crea l’homme nud, tendre, fragile, sans armes ne offensiues, ne defensiues, en estat d’innocence & premier aage d’or, comme animant, non plante : comme animant (diz ie) né à paix non à guerre : animant né à iouissance mirificque de tous fruictz & plantes vegetables, animant né à domination pacificque sus toutes bestes. Aduenent la multiplication de malice entre les humains en succession de l’aage de fer, & regne de Iuppiter la terre commença à produire Orties, Chardons, Espines, & telle autre maniere de rebellion contre l’homme entre les vegetables : d’autre part, presque tous animaulx par fatale disposition se emanciperent de luy, & ensemble tacitement conspirerent plus ne le seruir, plus ne luy obeir, en tant que resister pourroient, mais luy nuire scelon leur faculté & puissance. L’homme adoncques voulant la premiere iouissance maintenir & sa premiere domination continuer : non aussi pouant soy commodement passer du service de plusieurs animaulx, eut necessité soy armer de nouueau. Par la diue Oye guenet (s’escria Pantagruel) depuys les dernieres pluyes tu es devenu grand lifrelofre, voyre diz ie Philosophe.

Considerez (dist Panurge) comment nature l’inspira soy armer, & quelle partie de son corps il commença premier armer. Ce feut (par la vertus Dieu) la couille, & le bon messer Priapus, quand eut faict ne la pria plus[82]. Ainsi nous le tesmoigne le capitaine & philosophe Hebrieu Moses, affermant qu’il se arma d’une braue & gualante braguette, faicte par moult inuention de feueilles de figuier : les quelles sont naïfues, & du tout commodes en dureté, incisure, frizure, polissure, grandeur, couleur, odeur, vertus, faculté pour couurir & armer couilles : Exceptez moy les horrificques couilles de Lorraine[83], les quelles à bride auallée descendent au fond des chausses, abhorrent le mannoir des braguettes haultaines : & sont hors toute methode : tesmoing Viardiere le noble Valentin, lequel vn premier iour de May, pour plus guorgias estre, ie trouuay à Nancy, descrotant ses couilles extendues sur vne table comme vne cappe à l’Hespaignole. Doncques ne fauldra dorenauant dire, qui ne vouldra improprement parler, quand on enuoyra le franc taulpin en guerre, Saulue Teuot le pot au vin[84], c’est le cruon. Il fault dire, Saulue Teuot le pot au laict, ce sont les couilles : de par tous les diables d’enfer. La teste perdue, ne perist que la persone : les couilles perdues, periroit toute l’humaine nature. C’est ce que meut le gualant Cl. Galen[85], lib. I. de spermate[86], à brauement conclure, que mieulx (c’est à dire moindre mal) seroit, poinct de cœur n’auoir, que poinct n’auoir de genitoires. Car là consiste comme en vn sacre repositoire le germe conseruatif de l’humain lignage. Et croieroys pour moins de cent francs, que ce sont les propres pierres, moyenans les quelles Deucalion & Pyrrha restituerent le genre humain aboly par le deluge Poëtique. C’est ce qui meut me vaillant Iustinian lib. 4. de cagotis tollendis[87], à mettre summum bonum in braguibus & braguetis[88].

Pour ceste & aultres causes le seigneur de Meruille essayant quelque iour vn harnoys neuf, pour suyure son Roy en guerre (car du sien antique & demy rouillé plus bien seruir ne pouoit, à cause que depuys certaines années la peau de son ventre s’estoit beaucoup esloingnée des roignons) sa femme consydera en esprit contemplatif, que peu de soing avoit du pacquet & baston commun de leur mariage, veu qu’il ne l’armoit que de mailles, & feut d’aduis qu’il le munist tresbien & gabionnast d’vn gros armet de ioustes, lequel estoit en son cabinet inutile. D’icelle sont escriptz ces vers on tiers liure du Chiabrena des pucelles[89].

Celle qui veid son mary tout armé,
Fors la braguette aller à l’escarmouche,
Luy dist. Amy, de paour qu’on ne vous touche,
Armez cela, qui est le plus aymé.
Quoy ? tel conseil doibt il estre blasmé ?
Ie diz que non : Car sa paour la plus grande
De perdre estoit, le voyant animé,
Le bon morceau, dont elle estoit friande.

Desistez doncques vous esbahir de ce nouueau mien acoustrement.


Comment Panurge se conseille à Pantagruel
pour sçauoir s’il se doibt marier.
[90]

Chapitre IX.


Pantagrvel rien ne replicquant, continua Panurge, & dist auecques vn profond soupir. Seigneur, vous auez ma deliberation entendue, qui est me marier, si de mal encontre n’estoient tous les trouz fermez, clous, & bouclez. Ie vous supply par l’amour, que si longtemps m’auez porté, dictez m’en vostre aduis. Puis (respondit Pantagruel) qu’vne foys en auez iecté le dez, & ainsi l’auez decreté, & prins en ferme deliberation, plus parler n’en fault, reste seulement la mettre à execution.

Voyre mais (dist Panurge) ie ne la vouldrois executer sans vostre conseil & bon aduis. I’en suis (respondit Pantagruel) d’aduis, & vous le conseille. Mais (dist Panurge) si vous congnoissiez, que mon meilleur feust tel que ie suys demeurer, sans entreprendre cas de nouuelleté, i’aymerois mieulx ne me marier poinct. Point doncques ne vous mariez, respondit Pantagruel. Voire mais (dist Panurge) vouldriez vous qu’ainsi seulet ie demeurasse toute ma vie sans compaignie coniugale ? Vous sçauez qu’il est escript, Veh soli[91]. L’homme seul n’a iamais tel soulas qu’on veoyd entre gens mariez. Mariez vous doncq, de par Dieu, respondit Pantagruel.

Mais si (dist Panurge) ma femme me faisoit coqu, comme vous sçauez qu’il en est grande année, ce seroit assez pour me faire trespasser hors les gonds de patience. I’ayme bien les coquz, & me semblent gens de bien, & les hante voluntiers : mais pour mourir ie n’en vouldroys estre. C’est vn poinct qui trop me poingt[92]. Poinct doncques ne vous mariez : (respondit Pantagruel) Car la sentence de Senecque[93] est veritable hors toute exception. Ce qu’à aultruy tu auras faict, soys certain qu’aultruy te fera. Dictez vous, demanda Panurge, cela sans exception ? Sans exception il le dict, respondit Pantagruel. Ho ho (dist Panurge) de par le petit diable. Il entend en ce monde, ou en l’aultre.

Voyre mais puis que de femme ne me peuz passer en plus qu’vn aueugle de baston (Car il faut que le virolet trote, aultrement viure ne sçauroys) n’est ce le mieulx que ie me associe quelque honneste & preude femme, qu’ainsi changer de iour en iour auecques continuel dangier de quelque coup de baston, ou de la verolle pour le pire ? Car femme de bien oncques ne me feut rien. Et n’en desplaise à leurs mariz. Mariez vous doncq de par Dieu, respondit Pantagruel.

Mais si, dist Panurge, Dieu le vouloit, & aduint que i’esposasse quelque femme de bien, & elle me bastist, ie seroys plus que tiercelet de Iob, si ie n’enrageois tout vif. Car l’on m’a dict, que ces tant femmes de bien ont communement mauluaise teste, aussi ont elles bon vinaigre en leur mesnaige. Ie l’auroys encore pire, & luy batteroys tant & trestant sa petite oye, ce sont braz, iambes, teste, poulmon, foye, & ratelle : tant luy deschicqueterois ses habillemens à bastons rompuz, que le grand Diole en attendroit l’ame damnée à la porte. De ces tabus ie me passerois bien pour ceste année, & content serois n’y entrer poinct. Point doncques ne vous mariez, respondit Pantagruel.

Voire mais, dist Panurge, estant en estat tel que ie suis, quitte, & non marié. Notez que ie diz quitte en la male heure. Car estant bien fort endebté, mes crediteurs ne seroient que trop soigneux de ma paternité. Mais quitte, & non marié, ie n’ay personne qui tant de moy se souciast, & amour tel me portast, qu’on dist estre amour coniugal. Et si par cas tombois en maladie, traicté ne serois qu’au rebours. Le saige dict. Là où n’est femme, i’entends mere familes[94], & en mariage legitime, le malade est en grand estrif. I’en ay veu claire experience en papes, legatz, cardinaulx, euesques, abbez, prieurs, prebstres, & moines. Or là iamais ne m’auriez. Mariez vous doncq de par Dieu, respondit Pantagruel.

Mais si, dist Panurge, estant malade & impotent au debuoir de mariage, ma femme impatiente de ma langueur, à aultruy se abandonnoit, & non seulement ne me secourust au besoing, mais aussi se mocquast de ma calamité, & (que pis est) me desrobast, comme i’ay veu souuent aduenir : ce seroit pour m’acheuer de paindre, & courir les champs en pourpoinct. Poinct doncques ne vous mariez, respondit Pantagruel.

Voire mais, dist Panurge, ie n’aurois iamais aultrement filz ne filles legitimes, es quelz i’eusse espoir mon nom & armes perpetuer[95] : es quelz ie puisse laisser mes heritaiges & acquetz, (i’en feray de beaulx vn de ces matins, n’en doubtez, & d’abondant seray grand retireur de rantes) auecques les quelz ie me puisse esbaudir, quand d’ailleurs serois meshaigné, comme ie voys iournellement vostre tant bening & debonnaire pere faire auecques vous, & font tout gens de bien en leur serrail & priué. Car quite estant, marié non estant, estant par accident fasché, en lieu de me consoler, aduis m’est que de mon mal riez. Mariez vous doncq de par Dieu, respondit Pantagruel.


Comment Pantagruel remonstre à Panurge difficile
chose estre le conseil de mariage, & des sors
Homeriques & Virgilianes[96].


Chapitre X.


Vostre conseil (dist Panurge) soubs correction, semble à la chanson de Ricochet : Ce ne sont que sarcasmes, mocqueries, & redictes contradictoires. Les vnes destruisent les aultres. Ie ne sçay es quelles me tenir. Aussi (respondit Pantagruel) en vos propositions tant y a de Si, & de Mais, que ie n’y sçaurois rien fonder ne rien resouldre. N’estez vous asceuré de vostre vouloir ? Le poinct principal y gist : tout le reste est fortuit & dependent des fatales dispositions du Ciel. Nous voyons bon nombre de gens tant heureux à ceste rencontre, qu’en leur mariage semble reluire quelque Idée & repræsentation des ioyes de paradis. Aultres y sont tant malheureux, que les Diables qui tentent les Hermites par les desers de Thebaide & Monsserrat, ne le sont d’aduentaige. Il se y conuient mettre à l’aduenture, les œilz bandez, baissant la teste, baisant la terre, & se recommandant à Dieu au demourant, puys qu’vne foys l’on se y veult mettre. Aultre asceurance ne vous en sçauroys ie donner.

Or voyez cy que vous ferez, si bon vous semble. Aportez moy les œuures de Virgile, & par troys foys auecques l’ongle les ouurant, explorerons par les vers du nombre entre nous conuenu, le sort futur de vostre mariage. Car comme par sors Homericques souuent on a rencontré sa destinée, tesmoing Socrates, lequel oyant en prison reciter ce metre de Homere dict de Achille 9. Iliad.

Ἥματί ϰὲν τριτάτῳ Φθίην ἐρίϐωλον ἱϰοίμην.
Ie paruiendray sans faire long seiour,
En Phthie belle & fertile, au tiers iour.

præueid qu’il mourroit le tiers subsequent iour, & le asceura à Æschines : comme escripuent Plato in Critone, Ciceron primo de diuinatione, & Diogenes Laertius. Tesmoing Opilius Macrinus au quel conuoitant sçauoir s’il seroit Empereur de Rome aduint en sort ceste sentence. 8. Iliad. :

ὦ γέρον, ἦ μάλα δή σε νέοι τείρουσι μαχηταί
Σὴ δὲ βίη λέλυται, χαλεπόν δέ σε γῆρας ὀπάζει.
O home vieulx, les soubdars desormais
Ieunes & fors te lassent certes, mais
Ta vigueur est resolüe, & vieillesse
Dure & moleste accourt & trop te presse.

De faict il estoit ia vieulx, & ayant obtenu l’Empire seulement vn an & deux mois, feut par Heliogabalus ieune & puissant depossedé & occis. Tesmoing Brutus[97], lequel voulant explorer le sort de la bataille Pharsalicque[98], en laquelle il feut occis, rencontra ce vers dict de Patroclus, Iliad. 16.

Ἀλλά με μοῖρ’ ὀλοὴ, ϰαὶ Αητοῦς ἔϰτανεν ὑἱός.
Par mal engroin de la Parce felonne
Ie feuz occis, & du filz de Latonne.

C’est Apollo, qui feut pour mot du guet le iour d’icelle bataille. Aussi par sors Virgilianes ont esté congneues anciennement & preueues choses insignes, & cas de grande importance : voire iusques à obtenir l’empire Romain, comme aduint à Alexandre Seuere, qui rencontra en ceste maniere de sort ce vers escript, Æneid. 6.

Tu regere imperio populos, Romane, memento.
Romain enfant quand viendras à l’Empire,
Regiz le monde en sorte qu’il n’empire.

Puys feut apres certaines années realement & de faict créé Empereur de Rome. En Adrian empereur Romain, lequel estant en doubte & poine de sçauoir quelle opinion de luy auoit Traian, & quelle affection il luy portoit, print aduis par sors Virgilianes, & rencontra ces vers, Eneid. 6.

Quid procul ille autem ramis insignis oliuæ
Sacra ferens ? nosco crines, incanaque menta
Regis Romani.

Qui est cestuy qui là loing en sa main,
Porte rameaulx d’oliue, illustrement ?
A son gris poil & sacré acoustrement,
Ie recongnois l’antique Roy Romain.

Puys feut adopté de Traian, & luy succeda à l’Empire.

En Claude second empereur de Rome bien loué : auquel aduint par sort ce vers, escript. 6. Æneid.

Tertia dum Latio regnantem viderit æstas.
Lors que t’aura regnant manifesté
En Rome & veu tel le troiziesme æsté.

De faict il ne regna que deux ans. A icelluy mesmes s’enquerant de son frere Quintel, lequel il vouloit prendre au gouuernement de l’Empire, aduint ce vers. 6. Æneid.

Ostendent terris hunc tantum fata.
Les Destins seulement le monstreront es terres.

Laquelle chose aduint. Car il feut occis dix & sept iours après qu’il eut le maniment de l’Empire. Ce mesmes sort escheut à l’empereur Gordian le ieune. A Clode Albin soucieux d’entendre sa bonne aduenture aduint ce qu’est escript. Æneid. 6.

Hic rem Romanam magno turbante tumultu
Sistet eques, &c.

Ce cheuallier grand tumulte aduenent,
L’estat Romain sera entretenent
Des Cartagiens victoires aura belles :
Et des Gaulois, s’ilz se montrent rebelles.

En D. Claude empereur predecesseur de Aurelian, auquel se guementant de sa posterité, aduint ce vers en sort, Æneid. 1.

His ego nec metas rerum, nec tempora pono.
Longue durée à ceulx cy ie pretends,
Et à leurs biens ne metz borne ne temps.

Aussi eut il successeurs en longues genealogies.

En M. Pierre Amy : quand il explora pour sçauoir s’il eschapperoit de l’embusche des Farfadetz, & rencontra ce vers, Æneid. 3.

Heu fuge crudeles terras, fuge littus auarum.
Laisse soubdain ces nations Barbares,
Laisse soubdain ces riuages auares.

Puys eschappa de leurs mains sain & saulue. Mille aultres, des quelz trop prolix seroit narrer les aduentures aduenues scelon la sentence du vers par tel sort rencontré. Ie ne veulx toutesfoys inferer, que ce sort vniuersellement soit infaillible, affin que ne y soyez abusé.


Comment Pantagruel remonstre le sort
des dez estre illicite.


Chapitre XI.


Ce seroit (dis Panurge) plus toult faict & expedié à troys beaulx dez. Non, respondit Pantagruel. Ce sort est abusif, illicite, & grandement scandaleux. Iamais ne vous y fiez. Le mauldict liure du passetemps des dez feut long temps a inuenté par le calumniateur ennemy en Achaïe pres Boure : & dauant la statue de Hercules Bouraïque y faisoit iadis, de præsent en plusieurs lieux faict, maintes simples ames errer, & en ses lacz tomber. Vous sçauez comment Gargantua mon pere par tous ses royaulmes l’a defendu, bruslé auecques les moules & protraictz, & du tout exterminé, supprimé & aboly, comme peste tresdangereuse. Ce que des dez ie vous ay dict, ie diz semblablement des tales. C’est sort de pareil abus. Et ne m’alleguez pas au contraire le fortuné iect des tales que feit Tibere[99] dedans la fontaine de Apone à l’oracle de Gerion. Ce sont hamessons par les quelz le calumniateur tire les simples ames à perdition eternelle.

Pour toutesfoys vous satisfaire, bien suys d’aduis que iectez troys des dez sus ceste table. Au nombre des poinctz aduenens nous prendrons les vers du feuillet que aurez ouuert. Auez vous icy dez en bourse ? Pleine gibessiere, respondit Panurge. C’est le verd du Diable, comme expose Merl. Coccaius, libro secundo de patria Diabolorum[100]. Le Diable me prendroit sans verd, s’il me rencontroit sans dez. Les dez feurent tirez & iectez, & tomberent es poinctz de cinq, six, cinq. Ce sont, dist Panurge, seze. Prenons les vers seziemes du feueillet. Le nombre me plaist, & croy que nos rencontres seront heureuses. Ie me donne à trauers tous les Diables, comme vn coup de boulle à trauers vn ieu de quilles, ou comme vn coup de canon à trauers vn bataillon de gens de pied : guare Diables qui vouldra, en cas que autant de foys ie ne belute ma femme future la premiere nuyct de mes nopces. Ie ne en fays doubte, respondit Pantagruel, ia besoing n’estoit en faire si horrificque deuotion. La premiere foys sera vne faulte, & vauldra quinze[101] : au desiucher vous l’amenderez : par ce moyen seront seze. Et ainsi (dict Panurge) l’entendez ? Oncques ne feut faict solœcisme[102] par le vaillant champion, qui pour moy faict sentinelle au bas ventre. Me auez vous trouué en la confrerie des faultiers ? Iamais, iamais, au grand fin iamais. Ie le fays en pere & en beat pere sans faulte. I’en demande aux ioueurs.

Ces parolles acheuées feurent aportez les œuures de Virgile. Auant les ouurir, Panurge dist à Pantagruel. Le cœur me bat dedans le corps comme vne mitaine. Touchez vn peu mon pouls en ceste artere du bras guausche. A sa frequence & eleuation vous diriez qu’on me pelaude en tentatiue de Sorbonne. Seriez vous poinct d’aduis, auant proceder oultre, que inuocquions Hercules, & les déesses Tenites, les quelles on dict præsider en la chambre des Sors ? Ne l’vn (respondit Pantagruel) ne les aultres. Ouurez seulement auecques l’ongle.


Comment Pantagruel explore par sors Virgilianes,
quel sera le mariage de Panurge.


Chapitre XII.


Adoncqves ouurant Panurge le liure, rencontra on ranc sezieme ce vers.

Nec Deus hunc mensa, Dea nec dignata cubili est.[103]
Digne ne feut d’estre en table du Dieu,
Et n’eut on lict de la Déesse lieu.

Cestuy (dist Pantagruel) n’est à vostre aduentaige. Il denote que vostre femme sera ribaulde, vous coqu par consequent. La Déesse que aurez fauorable, est Minerue vierge tresredoubtée, Déesse puissante, fouldroiante, ennemie des coquz, des muguetz, des adulteres : ennemie des femmes lubricques, non tenentes la foy promise à leurs mariz, & à aultruy soy abandonnantes. Le Dieu est Iuppiter tonnant, & fouldroyant des cieulx. Et noterez par la doctrine des anciens Ethrusques, que les manubies (ainsi appeloient ilz les iectz des fouldres Vulcanicques) competent à elle seulement : exemple de ce feut donné en la conflagration des nauires de Aiax Oileus, & à Iuppiter son pere capital. A aultres dieux Olympicques n’est licite fouldroier. Pourtant ne sont ilz tant redoubtez des humains. Plus vous diray, & le prendrez comme extraict de haulte mythologie. Quand les Geantz entreprindrent guerre contre les Dieux, les Dieux au commencement se mocquerent de telz ennemis, & disoient qu’il n’y en auoit pas pour leurs pages. Mais quand ilz veirent par le labeur des Geantz le mons Pelion posé dessus le mons Osse, & ia esbranlé le mons Olympe pour estre mis au dessus des deux, feurent[104] tous effrayez. Adoncques tint Iuppiter chapitre general. Là feut conclud de tous les Dieux, qu’ilz se mettroient vertueusement en defence. Et pource qu’ilz auoient plusieurs foys veu les batailles perdues par l’empeschement des femmes qui estoient parmy les armées, feut decreté, que pour l’heure on chasseroit des cieulx en Ægypte & vers les confins du Nil, toute ceste vessaille des Déesses desguisées en Beletes, Fouines, Ratepenades, Museraignes, & aultres Metamorphoses. Seule Minerue feut de retenue pour fouldroier auecques Iuppiter, comme Déesse des lettres & de guerre, de conseil & execution : Déesse née armée, Déesse redoubtée on ciel, en l’air, en la mer, & en terre.

Ventre guoy (dist Panurge) seroys ie bien Vulcan, duquel parle le poëte ? Non. Ie ne suys ne boiteux, ne faulx monnoieur, ne forgeron, comme il estoit. Par aduenture ma femme sera aussi belle & aduenente comme sa Venus : mais non ribaulde comme elle : ne moy coqu comme luy. Le villain iambe torte se feist declairer coqu par arrest & en veute figure de tous les Dieux. Pource entendez au rebours. Ce sort denote que ma femme sera preude, pudicque, & loyalle, non mie armée, rebousse, ne eceruelée & extraicte de ceruelle[105], comme Pallas : & ne me sera corriual ce beau Iuppin, & ia ne saulsera son pain en ma souppe[106], quand ensemble serions à table. Considerez ses gestes & beaulx faictz. Il a esté le plus fort ruffien, & plus infame Cor, ie diz Bordelier[107], qui oncques feut : paillard tousiours comme vn Verrat : aussi feut il nourry par vne Truie en Dicte de Candie, si Agathocles Babylonien ne ment[108] : & plus boucquin que n’est vn Boucq : aussi disent les autres, qu’il feut alaicté d’vne cheure Amalthée. Vertus de Acheron, il belina pour vn iour la tierce partie du monde, bestes & gens, fleuues, & montaignes : ce feut Europe. Pour cestuy belinaige les Ammoniens le faisoient protraire en figure de belier belinant, belier cornu. Mais ie sçay comment guarder se fault de ce cornart. Croyez qu’il n’aura trouué vn sot Amphitrion, vn niais Argus auecques ses cent bezicles : vn couart Acrisius, vn lanternier Lycus de Thebes, vn resueur Agenor, vn Asope phlegmaticq, vn Lychaon patepelue, vn modourre Corytus de la Toscane, vn Atlas à la grande eschine. Il pourroit cent & cent foys se transformer en Cycne, en Taureau, en Satyre, en Or, en Coqu, comme feist quand il depucella Iuno sa sœur : en Aigle, en Belier, en Pigeon, comme feist estant amoureux de la pucelle Phtie, laquelle demouroit en Ægie : en Feu, en Serpent, voire certes en Pusse, en Atomes Epicureicques, ou magistronostralement[109] en secondes intentions. Ie vous grupperay au cruc. Et sçauez que luy feray ? Cor bieu, ce que feist Saturne au Ciel son pere. Senecque l’a de moy predict, & Lactance confirmé. Ce que Rhea feist à Athys. Ie vous luy coupperay les couillons tout rasibus du cul. Il ne s’en fauldra vn pelet. Par ceste raison ne fera il iamais Pape, car testiculos non habet[110]. Tout beau, fillol (dist Pantagruel) tout beau. Ouurez pour la seconde foys. Lors rencontra ce vers.

Membra quatit, gelidusque coït formidine sanguis.[111]
Les os luy rompt, & les membres luy casse,
Dont de la paour le sang on corps luy glasse.

Il denote (dist Pantagruel) qu’elle vous battera dos & ventre. Au rebours (repondist Panurge). C’est de moy qu’il prognosticque, & dict, que ie la batteray en Tigre si elle me fasche. Martin baston[112] en fera l’office. En faulte de baston, le Diable me mange, si ie ne la mangeroys toute viue : comme la sienne mangea Cambles, roy des Lydiens. Vous estez (dist Pantagruel) bien couraigeux. Hercules ne vous combatteroit en ceste fureur : mais c’est ce que lon dict, que le Ian en vault deux[113], & Hercules seul n’auza contre deux combattre. Ie suis Ian ? dist Panurge. Rien, rien, repondist Pantagruel. Ie pensois au ieu de l’ourche & tricquetrac.

Au tiers coup rencontra ce vers.

Fæmino prædæ & spoliorum ardebat amore.[114]
Brusloit d’ardeur en feminin vsaige
De butiner, & robber le baguaige.

Il denote (dist Pantagruel) qu’elle vous desrobera. Et ie vous voy bien en poinct, scelon ces troys sors. Vous serez coqu, vous serez batu, vous serez desrobbé. Au rebours, (repondist Panurge) ce vers denote, qu’elle m’aymera d’amour perfaict. Oncques n’en mentit le Satyricque[115], quand il dict : que femme bruslant d’amour supreme, prent quelquefoys plaisir à desrobber son amy. Sçauez quoy ? Vn guand, vne aiguillette, pour la faire chercher. Peu de chose, rien d’importance. Pareillement ces petites noisettes, ces riottes qui par certain temps sourdent entre les amans, sont nouueaulx refraischissemens, & aiguillons d’amour. Comme nous voyons par exemple les coustelleurs leurs coz quelque foys marteler, pour mieulx aiguiser les ferremens. C’est pourquoy ie prens ces troys sors à mon grand aduantaige. Aultrement i’en appelle. Appeller (dist Pantagruel) iamais on ne peult des iugemens decidez par Sort & Fortune, comme attestent nos antiques Iurisconsultes : & le dict Balde. L. vlt. C. de leg.[116] La raison est : pource que Fortune ne recongnoist poinct de superieur, auquel d’elle & de ses sors on puisse appeller. Et ne peult en ce cas le mineur estre en son entier restitué, comme apertement il dict in L. Ait prætor. §. vlt. ff. de minor.


Comment Pantagruel conseille Panurge preuoir l’heur
ou malheur de son mariage par songes.


Chapitre XIII.


Or puys que ne conuenons ensemble en l’exposition des sors Virgilianes, prenons aultre voye de divination. Quelle ? (demanda Panurge). Bonne, (respondit Pantagruel) antique, & authenticque, c’est par songes. Car en songeant auecques conditions les quelles descriuent Hippocrates lib. περί ἑνπνίων[117], Platon, Plotin, Iamblicque, Synesius, Aristoteles, Xenophon, Galen, Plutarche, Artemidorus Daldianus, Herophilus, Q. Calaber, Theocrite, Pline, Athenæus, et aultres, l’ame souuent prevoit les choses futures. Ia n’est besoing plus au long vous le prouuer. Vous l’entendez par exemple vulguaire, quand vous voyez lors que les enfans bien nettiz, bien repeuz, & alaictez, dorment profondement, les nourrices s’en aller esbatre en liberté, comme pour icelle heure licentiées à faire ce que vouldront : car leur presence au tour du bers sembleroit inutile. En ceste façon nostre ame lors que le corps dort, & que la concoction est de tous endroictz paracheuée, rien plus n’y estant necessaire iusques au reueil, s’esbat & reueoit sa patrie, qui est le ciel. De là reçeoit participation insigne de sa prime & diuine origine, & en contemplation de ceste infinie & intellectuale sphære[118], le centre de laquelle est en chascun lieu de l’vniuers, la circunference poinct (c’est Dieu scelon la doctrine de Hermes[119] trismegistus) à laquelle rien ne aduient, rien ne passe, rien ne dechet, tous temps sont præsens : note non seulement les choses passées en mouuement inferieurs, mais aussi les futures : & les raportent à son corps, & par les sens & organes d’icelluy les exposant aux amis, est dicte vaticinatrice & prophete. Vray est qu’elle ne les raporte en telle syncerité, comme les auoit veues, obstant l’imperfection & fragilité de sens corporelz : comme la Lune receuant du Soleil sa lumiere, ne nous la communicque telle, tant lucide, tant pure, tant viue & ardente comme l’auoit receue. Pourtant reste à ces vaticinations somniales interprete, qui soit dextre, saige, industrieux, expert, rational, & absolu Onirocrite, & Oniropole : ainsi sont appelez des Græcs. C’est pourquoy Heraclitus disoit[120] rien par songe ne nous estre exposé, rien aussi ne nous estre celé : seulement nous estre donnée signification & indice des choses aduenir ou pour l’heur & malheur nostre, ou pour l’heur & malheur d’aultruy. Les sacres letres le tesmoignent, les histoires prophanes l’asceurent : nous exposant mille cas aduenuz scelon les songes tant de la persone songeante, que d’aultruy pareillement. Les Atlanticques & ceulx qui habitent en l’isle de Thasos l’une des Cyclades, sont priuez de ceste commodité, on pays desquelz iamais persone ne songea. Aussi feurent Cleon de Daulie, Thrasymedes, & de nostre temps le docte Villanouanus François, lesquelz oncques ne songerent. Demain doncques sus l’heure que la ioyeuse Aurore aux doigtz rosatz dechassera les tenebres nocturnes, adonnez vous à songer parfondement. Ce pendent despouillez vous de toute affection humaine : d’amour, de haine, d’espoir, & de craincte. Car comme iadis le grand vaticinateur Proteus estant desguisé & transformé en feu, en eau, en tigre, en dracon, & aultres masques estranges ne prædisoit les choses aduenir : pour les prædire force estoit, qu’il feust restitué en sa propre & naïfue forme : aussi ne peult l’home recepuoir diuinité, & art de vaticiner, sinon lors que la partie qui en luy plus est diuine (c’est Νοῦς & Mens) soit coye, tranquille, paisible, non occupée ne distraicte par passions & affections foraines.

Ie le veulx, dist Panurge. Fauldra il peu ou beaucoup soupper à ce soir ? Ie ne le demande sans cause. Car si bien & largement ie ne souppe, ie ne dors rien qui vaille, la nuict ne foys que rauasser, & autant songe creux que pour lors restoit mon ventre. Poinct soupper (respondit Pantagruel) seroit le meilleur, attendu vostre bon en poinct & habitude. Amphiaraus vaticinateur antique vouloit ceulx qui par songes recepuoient les oracles, rien tout celluy iour ne manger, & vin ne boyre troys iours dauant. Nous ne vserons de tant extreme, & rigoureuse diæte. Bien croy ie l’homme replet de viandes & crapule, difficilement concepuoir notice des choses spirituelles : ne suys toutesfoys en l’opinion de ceulx qui apres longs & obstinez ieusnes cuydent plus auant entrer en contemplation des choses celestes. Souuenir assez vous peut comment Gargantua mon pere (lequel par honneur ie nomme) nous a souuent dict, les escriptz de ces hermites ieusneurs autant estre fades, ieiunes, & de mauluaise saliue, comme estoient leurs corps lors qu’ilz composoient : & difficile chose estre, bons & serains rester les espritz, estant le corps en inanition : veu que les Philosophes & Medicins afferment les espritz animaulx sourdre, naistre, & practiquer par le sang arterial purifié & affiné à perfection dedans le retz admirable, qui gist soubs les ventricules du cerueau. Nous baillans exemple d’un Philosophe, qui en solitude pensant estre, & hors la tourbe pour mieulx commenter, discourir, & composer : ce pendent toutesfoys au tour de luy abayent les chiens, vllent les loups, rugient les Lyons, hannissent les cheuaulx, barrient les elephans, siflent les serpens, braislent les asnes, sonnent les cigalles, lamentent les tourterelles : c’est à dire plus estoit troublé, que s’il feust à la foyre de Fontenay, ou Niort : car la faim estoit on corps : pour à laquelle remedier, abaye l’estomach, la veue esblouit, les venes sugcent de la propre substance des membres carniformes : & retirent en bas cestuy esprit vaguabond, negligent du traictement de son nourrisson & hoste naturel, qui est le corps : comme si l’oizeau sus le poing estant, vouloit en l’aër son vol prendre, & incontinent par les longes seroit plus bas deprimé. Et à ce propous nous alleguant l’auctorité de Homere pere de toute Philosophie, qui dict les Gregeoys lors, non plus tost, auoir mis à leurs larmes fin du dueil de Patroclus le grand amy de Achilles, quand la faim se declaira[121], & leurs ventres protesterent plus de larmes ne les fournir. Car en corps exinaniz par long ieusne plus n’estoit de quoy pleurer & larmoier. Mediocrité est en tous cas louée : & icy la maintiendrez. Vous mangerez à soupper non febues, non lieures, ne aultre chair, non Poulpre (qu’on nomme Polype) non choulx, ne aultres viandes qui peussent vos espritz animaulx troubler & obfusquer. Car comme le mirouoir ne peult repræsenter les simulachres des choses obiectées & à luy exposées, si sa polissure est par halaines ou temps nubileux obfusquée, aussi l’esprit ne receoit les formes de diuination par songes, si le corps est inquieté & troublé par les vapeurs & fumées des viandes præcedentes, à cause de la sympathie, laquelle est entre eulx deux indissoluble. Vous mangerez bonnes poyres Crustumenies, & Berguamottes, vne pome de Court pendu, quelques pruneaulx de Tours, quelques Cerizes de mon verger. Et ne sera pourquoy doibuez craindre que vos songes en prouiennent doubteux, fallaces, ou suspectz, comme les ont declairez aulcuns Peripateticques on temps de Automne : lors sçauoir est que les humains plus copieusement vsent de fructaiges qu’en aultre saison. Ce que les anciens prophetes & poëtes mysticquement nous enseignent, disans les vains & fallacieux songes gesir & estre cachez soubs les feuilles cheutes en terre. Par ce qu’en Automne les feuilles tombent des arbres. Car ceste ferueur naturelle laquelle abonde es fruictz nouueaulx, & laquelle par son ebullition facillement euapore es parties animales (comme nous voyons faire le moult) est long temps a, expirée & resolüe. Et boyrez belle eau de ma fontaine. La condition (dist Panurge) est quelque peu dure. Ie y consens toutesfois. Couste & vaille[122]. Protestant desieuner demain à bonne heure, incontinent apres mes songeailles. Au surplus ie me recommende aux deux portes de Homere[123], Morpheus, à Icelon, à Phantasus & Phabetor. Si au besoing ilz me secourent, ie leurs erigeray vn autel ioyeux tout composé de fin dumet. Si en Laconie i’estois dedans le temple de Ino entre Oetyle & Thalames, par elle seroit par perplexité resolüe en dormant à beaulx & ioyeulx songes.

Puys demanda à Pantagruel. Seroit ce poinct bien faict si ie mettoys dessoubs mon coissin quelques branches de Laurier ? Il n’est (respondit Pantagruel) ia besoing. C’est chose superstitieuse : & n’est que abus ce qu’en escript Serapion Ascalonites, Antiphon, Philochorus, Artemon, & Fulgentius Placiades. Autant vous en diroys ie de l’espaule guausche du Crocodile & du Chameleon, sauf l’honneur du vieulx Democrite. Autant de la pierre des Bactrians nommée Eumetrides. Autant de la corne de Hammon. Ainsi nomment les Æthiopiens vne pierre precieuse à couleur d’or & forme d’vne corne de belier, comme est la corne de Iuppiter Hammonien : affirmans autant estre vrays & infallibles les songes de ceulx qui la portent, que sont les oracles diuins. Par aduenture est ce que escripuent Homere & Virgile des deux portes de songe[124], es quelles vous estes recommendé. L’vne est de Iuoyre, par laquelle entrent les songes confus, fallaces, & incertains, comme à trauers l’iuoire, tant soit deliée que vouldrez, possible n’est rien veoir : sa densité & opacité empesche la penetration des espritz visifz & reception des especes visibles. L’aultre est de corne, par laquelle entrent les songes certains, vrays, & infallibles, comme à trauers la corne par sa resplendeur & diaphaneïté apparoissent toutes especes certainement & distinctement. Vous voulez inferer (dist frere Ian) que les songes des coquz cornuz, comme sera Panurge, Dieu aydant & la femme son tousiours vrays & infallibles.


Le songe de Panurge & interpretation d’icelluy.

Chapitre XIIII.


Svs les sept heures du matin subsequent Panurge se præsenta dauant Pantagruel, estans en la chambre Epistemon, frere Ian des entommeures, Ponocrates, Eudemon, Carpalim, & aultres : es quelz à la venue de Panurge dist Pantagruel. Voyez cy nostre songeur[125]. Ceste parolle, dict Epistemon, iadis cousta bon, & feut cherement vendue es enfans de Iacob. Adoncques dist Panurge, i’en suys bien ches Guillot le songeur. I’ay songé tant & plus, mais ie n’y entends note. Exceptez que par mes songeries i’auoys vne femme ieune, gualante, belle en perfection : laquelle me traitoit & entretenoit mignonnement, comme vn petit dorelot. Iamais home ne feut plus aise, ne plus ioyeux. Elle me flattoit, me chatouilloit, me tastonnoit, me testonnoit, me baisoit, me accolloit, & par esbattement me faisoit deux belles petites cornes au dessus du front. Ie luy remonstroys en folliant qu’elle me les debuoit mettre au dessoubz des œilz, pour mieulx veoir ce que i’en vouldroys ferir : affin que Momus ne trouuast en elle chose aulcune imperfaicte, & digne de correction, comme il feist en position des cornes bouines[126]. La follastre non obstant ma remonstrance me les fischoyt encore plus auant. Et en ce ne me faisoit mal quiconques, qui est cas admirable. Peu apres me sembla que ie feuz ne sçay comment transformé en tabourin, & elle en Chouette. Là feut mon sommeil interrompu, & en sursault me resueiglay tout fasché, perplex, & indigné. Voyez là vne belle platelée de songes, faictez grand chere là dessus. Et l’exposez comme l’entendez. Allons desieuner Carpalim.

I’entends (dist Pantagruel) si i’ay iugement aulcun en l’art de diuination par songes, que vostre femme ne vous fera realement & en apparence exterieure cornes au front, comme portent les Satyres : mais elle ne vous tiendra foy ne loyauté coniugale, ains à aultruy se abandonnera, & vous fera coqu. Cestuy poinct est apertement exposé par Artemidorus comme le diz. Aussi ne vous sera de vous faicte metamorphose en tabourin, mais d’elle vous serez battu comme tabour à nopces : ne d’elle en Chouette : mais elle vous desrobbera, comme est le naturel de la chouette. Et voyez vos songes conformes es sors Virgilianes. Vous serez coqu : vous serez battu : vous serez desrobbé. Là s’escria frere Ian, & dist. Il dict par Dieu vray, tu seras coqu home de bien, ie t’en asceure : tu auras belles cornes. Hay, hay, hay, nostre maistre de cornibus, Dieu te guard, faiz nous deux motz de prædication, & ie feray la queste parmy la paroece.

Au rebours (dist Panurge) mon songe presagist qu’en mon mariage, i’auray planté de tous biens, auecques la corne d’abondance. Vous dictez que seront cornes de Satyres. Amen, amen, fiat[127], fiatur, ad differentia papæ. Ainsi auroys ie eternellement le virolet en poinct & infatiguable, comme l’ont les Satyres. Chose que tous desirent, & peu de gens l’impetrent des cieulx. Par consequent, coqu iamais : car faulte de ce est cause sans laquelle non, cause vnicque, de faire les mariz coquz. Qui faict les coquins mandier ? C’est qu’ilz n’ont en leurs maisons de quoy leur sac emplir. Qui faict le loup sortir du bois ? Default de carnage. Qui faict les femmes ribauldes ? Vous m’entendez assez. I’en demande à messieurs les clers, à messieurs les presidens, conseillers, aduocatz, proculteurs & aultres glossateurs de la venerable rubricque de frigidis et maleficiatis[128].

Vous (pardonnez moy si ie mesprens) me semblez euidentement errer interpretant cornes pour cocuage. Diane les porte en teste à forme de beau croissant. Est elle coqüe pourtant ? Comment diable seroyt elle coquüe, qui ne feut oncques mariée ? Parlez de grace correct, craignant qu’elle vous en face au patron que feist à Acteon. Le bon Bacchus porte cornes semblablement : Pan : Iuppiter Ammonien, tant d’aultres. Sont ilz coquz ? Iuno seroit elle putain ? Car il s’ensuiuroyt par la figure dicte Metalepsis. Comme appelant vn enfant en præsence de pere & mere, champis ou auoistre, c’est honnestement, tacitement dire le pere coqu, & sa femme ribaulde. Parlons mieulx. Les cornes que me faisoit ma femme sont cornes d’abondance, & planté de tous biens. Ie le vous affie. Au demourant ie seray ioyeulx comme vn tabour à nopces, tousiours sonnant, tousiours ronflant, tousiours bourdonnant & petant. Croyez que c’est l’heur de mon bien. Ma femme sera coincte & iolie : comme vne belle petite Chouette. Qui ne le croid, d’enfer aille au gibbet. Noel nouuelet[129].

Ie note (dist Pantagruel) le poinct dernier que auez dict, & le confere auecques le premier. Au commencement vous estiez tout confict en delices de vostre songe. En fin vous esueiglastez en sursault fasché, perplex & indigné. (Voire, dist Panurge, car ie n’auoys poinct dipné) Tout ira en desolation, ie le preuoy. Sçaichez pour vray, que tout sommeil finissant en sursault, & laissant la persone faschée & indignée, ou mal signifie, ou mal præsagist. Mal signifie, c’est à dire maladie cacoethe, maligne, pestilente, oculte, & latente dedans le centre du corps : laquelle par sommeil, qui tousiours renforce la vertu concoctrice (scelon les theoremes de medicine) commenceroit soy declairer, & mouuoir vers la superficie. Au quel triste mouuement seroyt le repous dissolu, & le premier sensitif admonnesté de y compatir & pourueoir. Comme en prouerbe lon dict, irriter les freslons, mouuoir la Camarine, esueigler le chat qui dort. Mal præsagist, c’est à dire, quant au faict de l’ame en matiere de diuination somnialle, nous donne entendre que quelque malheur y est destiné & preparé, lequel de brief sortira en son effect. Exemple on songe & resueil espouantable de Hecuba. On songe de Eurydice femme de Orpheus, lequel parfaict, les dict Ennius[130] s’estre esueiglées en sursault & espouantées. Aussi apres veid Hecuba son mary Priam, ses enfans, sa patrie occis & destruictz : Eurydice bien tost apres mourut miserablement. En Æneas[131] songeant qu’il parloit à Hector defunct : soubdain en sursault s’esueiglant. Aussi feut celle propre nuict Troie sacagée & bruslée. Aultre foys songeant qu’il veoyt ses dieux familiers & Penates, & en espouuantement s’esueiglant, patit au subsequent iour horrible tormente sus mer. En Turnus, lequel estant incité par vision phantasticque de la furie infernale à commencer guerre contre Æneas, s’esueigla en sursault tout indigné : puis feut apres longues desolations occis par icelluy Æneas. Mille aultres. Quand ie vous compte de Æneas, notez que Fabius pictor dict rien par luy n’auoir esté faict ne entreprins, rien ne luy estre aduenu, que preallablement il n’eust congneu[132] & præueu par diuination somniale. Raison ne default es exemples. Car si le sommeil & repous est don & benefice special des Dieux, comme maintiennent les philosophes, & atteste le poete disant.

Lors l’heure estoit, que sommeil, don des Cieulx,
Vient aux humains fatiguez, gracieux.[133]

Tel don en fascherie & indignation ne peut estre terminé, sans grande infelicité prætendue. Aultrement seroit repous non repous : don non don. Non des dieux amis prouenent, mais des diables ennemis, iouxte le mot vulgaire : ἐχθρῶν ἄδωρα δῶρα[134]. Comme si le perefamile estant à table opulente, en bon appetit, au commencement de son repas, on voyoit en sursault espouenté soy leuer. Qui n’en sçauroit la cause s’en pourroit esbahir. Mais quoy ? il auoit ouy ses seruiteurs crier au feu : ses seruantes crier au larron : ses enfans crier au meurtre. Là failloit, le repas laissé, accourir, pour y remedier, & donner ordre. Vrayment ie me recorde, que les Caballistes & Massorethz interpretes des sacres letres, exposans en quoy lon pourroit par discretion congnoistre la verité des apparitions angelicques[135] (car souuent l’Ange de Sathan se transfigure en Ange de lumiere) disent la difference de ces deux estres en ce, que l’Ange bening & consolateur apparoissant à l’home, l’espouante au commencement, le console en la fin, le rend content & satisfaict : l’Ange maling & seducteur au commencement resiouist l’home, en fin le laisse perturbé, fasché, & perplex.


Excuse de Panurge, & exposition de Caballe
monasticque en matiere de beuf sallé.


Chapitre XV.


Diev (dist Panurge) guard de mal qui void bien & n’oyt[136] goutte. Ie vous voy tresbien, mais ie ne vous oy poinct. Et ne sçay que vous dictez. Le ventre affamé n’a poinct d’aureilles. Ie brame par Dieu de mal rage de faim. I’ay faict couruée trop extraordinaire. Il sera plus que maistre mousche, qui de cestuy an me fera[137] estre de songeailles. Ne souper poinct, de par le Diable ? Cancre. Allons, frere Ian desieuner. Quand i’ay bien à poinct desieuné, & mon stomach est bien à poinct affené & agrené, encores pour vn besoing & en cas de necessité me passeroys ie de dipner. Mais ne soupper poinct ? Cancre. C’est erreur. C’est scandale en nature. Nature a faict le iour pour soy exercer, pour trauailler, & vacquer chascun en sa neguociation : & pour ce plus aptement faire, elle nous fournist de chandelle, c’est la claire & ioyeuse lumiere du Soleil. Au soir elle commence nous la tollir : & nous dict tacitement. Enfans, vous estez gens de bien. C’est assez trauaillé. La nuyct vient : il conuient cesser du labeur : & soy restaurer par bon pain, bon vin, bonnes viandes : puys soy quelque peu esbaudir, coucher, & reposer, pour au lendemain estre frays & alaigres au labeur comme dauant. Ainsi font les Faulconniers : quand ilz ont peu leurs oyzeaulx, ilz ne les font voler sus leurs guorges : ilz les laissent enduire sus la perche. Ce que tresbien entendit le bon Pape premier instituteur des ieusnes[138]. Il ordona qu’on ieusnast iusques à l’heure de Nones : le reste du iour feut mis en liberté de repaistre. On temps iadis peu de gens dipnoient, comme vous diriez les moines & chanoines, aussi bien n’ont ilz autre occupation, tous les iours leurs sont festes : & obseruent diligemment vn prouerbe claustral, de missa ad mensam : & ne differeroient seulement attendans la venue de l’Abbé, pour soy enfourner à table : là en baufrant attendent les moines l’Abbé, tant qu’il vouldra, non aultrement ne en aultre condition : mais tout le monde souppoit, exceptez quelques resueurs songears, dont est dicte la cene comme cœne[139], c’est à dire à tous commune. Tu le sçaiz bien, frere Ian. Allons, mon amy, de par tous les Diables, allons. Mon stomach abboye de male faim comme vn Chien. Iectons luy force souppes en gueule pour l’appaiser : à l’exemple de la Sibylle enuers Cerberus[140]. Tu aymes les souppes de prime : plus me plaisent les souppes de Leurier, associées de quelque piece de laboureur sallé à neuf leçons.

Ie te entends (respondit frere Ian). Ceste metaphore est extraicte de la marmite claustrale. Le laboureur c’est le beuf, qui laboure ou a labouré : à neuf leçons, c’est à dire cuyct à perfection. Car les bons peres de religion par certaine Caballisticque institution des anciens, non escripte, mais baillée de main en main, soy leuans, de mon temps, pour matines, faisoient certains præambules notables auant entrer en l’eclise. Fiantoient aux fiantouoirs, pissoient aux pissouoirs, crachoient aux crachouoirs, toussoient aux toussouoirs melodieusement, resuoient aux resuoirs, affin de rien immonde ne porter au seruice diuin. Ces choses faictes, deuotement se transportoient en la saincte Chapelle (ainsi estoit en leurs Rebus nommée la cuisine claustrale) & deuotement sollicitoient que des lors feust au feu le beuf mis pour le desieuner des religieux freres de nostre Seigneur. Eulx mesmes souuent allumoient le feu soubs la marmite. Or est que matines ayant neuf leçons, plus matin se leuoient par raison. Plus aussi multiplioient en appetit & alteration aux abboys du parchemin : que matines estantes ourlées d’vne, ou trois leçons seulement. Plus matin se leuans, par la dicte Caballe, plus tost estoit le beuf au feu : plus y estant, plus cuict restoit : plus cuyct restant, plus tendre estoit, moins vsoit les dens, plus delectoit le palat : moins greuoit le stomach, plus nourrissoit les bons religieux. Qui est la fin vnicque & intention premiere des fondateurs : en contemplation de ce qu’ilz ne mangent mie pour viure, ils viuent pour manger, & ne ont que leur vie en ce monde. Allons Panurge.

A ceste heure (dist Panurge) te ay ie entendu, couillon velouté, couillon claustral & Cabalicque. Il me y va du propre cabal. Le fort, l’vsure, & les interestz ie pardonne. Ie me contente des despens : puys que tant disertement nous as faict repetition sus le chapitre singulier de la Caballe culinaire & monasticque. Allons, Carpalim. Frere Ian, mon baudrier, allons. Bon iour, tous mes bons seigneurs. I’auoys assez songé pour boyre. Allons.

Panurge n’auoit ce mot acheué, quand Epistemon à haulte voix s’escria, disant. Chose bien commune & vulguaire entre les humains est, le malheur d’aultruy entendre, præuoir, congnoistre, & prædire. Mais ô que chose rare est son malheur propre prædire, congnoistre, præuoir & entendre. Et que prudentement le figura Æsope en ses Apologes, disant chascun home en ce monde naissant vne bezace au coul porter : on sachet de laquelle dauant pendent sont les faultes & malheurs d’aultruy tousiours exposées à nostre veue & congnoissance : on sachet darriere pendent sont les faultes & malheurs propres : & iamais ne sont veues ne entendues, fors de ceulx qui des cieulx ont le beneuole aspect.


Comment Pantagruel conseille à Panurge de conferer
auecques vne Sibylle de Panzoust[141].


Chapitre XVI.


Pev de temps apres Pantagruel manda querir Panurge, & luy dist. L’amour que ie vous porte inueteré par succession de longs temps me sollicite de penser à vostre bien & profict. Entendez ma conception : On m’a dict que à Panzoust pres le Croulay est vne Sibylle tresinsigne, laquelle prædict toutes choses futures : prenez Epistemon de compaignie, & vous transportez deuers elle, & oyez de ce que vous dira. C’est (dist Epistemon) par aduenture vne Canidie, vne Sagane, vne Phitonisse & sorciere. Ce que me le faict penser, est que celluy lieu est en ce nom diffamé, qu’il abonde en sorcieres plus que ne feit oncques Thessalie. Ie ne iray pas voluntiers. La chose est illicite & defendue en la loy de Moses[142]. Nous (dist Pantagruel) ne sommez mie Iuifz, & n’est chose confessée ne auerée que elle soit sorciere. Remettons à vostre retour le grabeau & belutement de ces matieres. Que sçauons nous si c’est une vnzième Sibylle : vne seconde Cassandre ? Et ores que Sibylle ne feust, & de Sibylle ne meritast le nom, quel interest encourrez vous auecques elle conferent de vostre perplexité ? entendu mesmement qu’elle est en existimation de plus sçauoir, plus entendre, que ne porte l’vsance ne du pays, ne du sexe. Que nuist sçauoir tousiours, & tous iours aprendre, feust ce d’vn sot, d’vn pot, d’vne guedoufle, d’vne moufle, d’vne pantoufle ? Vous soubuieigne que Alexandre le grand : ayant obtenu victoire du roy Darïe en Arbelles, præsens ses Satrapes quelque foys refusa audience à vn compaignon, puys en vain mille & mille foys s’en repentit. Il estoit en Perse victorieux, mais tant esloigné de Macedonie son royaulme hæreditaire, que grandement se contristoit, par non pouoir moyen aulcun inuenter d’en sçauoir nouuelles : tant à cause de l’enorme distance des lieux, que de l’interposition des grands fleuues, empeschement des desers, & obiection des montaignes. En cestuy estrif & soigneux pensement, qui n’estoit petit, (Car on eust peu son pays & royaulme occuper, & là installer Roy nouueau & nouuelle colonie long temps dauant que il en eust aduertissement pour y obuier) dauant luy se præsenta vn home de Sidoine, marchant perit, & de bon sens, mais au reste assez pauure & de peu d’apparence, luy denonceant & affermant auoir chemin & moyen inuenté, par lequel son pays pourroit de ses victoires Indianes, luy de l’estat de Macedonie & Ægypte estre en moins de cinq iours asçauanté. Il estima la promesse tant abhorrente & impossible, qu’oncques l’aureille prester ne luy voulut, ne donner audience. Que luy eust cousté ouyr & entendre ce que l’home auoit inuenté. Quelle nuisance, quel dommaige eust il encouru pour sçauoir quel estoit le moyen, quel estoit le chemin, que l’home luy vouloit demonstrer ? Nature me semble non sans cause nous avoir formé aureilles ouuertes, n’y appousant porte ne clousture aulcune, comme a faict es œilz, langue, & aultres issues du corps. La cause ie cuide estre, affin que tous iours toutes nuyctz, continuellement, puissions ouyr : & par ouye perpetuellement aprendre : car c’est le sens sus tous aultres plus apte es disciplines. Et peut estre : que celluy home estoit ange, c’est à dire messagier de Dieu enuoyé, comme feut Raphael à Thobie. Trop soubdain le contemna trop long temps apres s’en repentit.

Vous dictez bien, respondit Epistemon : mais ia ne me ferez entendre, que chose beaucoup aduentaigeuse soit, prendre d’vne femme, & d’vne telle femme, en tel pays, conseil & aduis. Ie (dist Panurge) me trouue fort bien du conseil des femmes, & mesmement des vieilles. A leur conseil ie foys tous iours vne selle ou deux extraordinaires. Mon amy, ce sont vrays chiens de monstre, vrays rubricques de droict. Et bien proprement parlent ceulx qui les appellent Sages femmes. Ma coustume & mon style est les nommer Præsages femmes. Sages sont elles : car dextrement elles congnoissent. Mais ie les nomme Præsages, car diuinement elles præuoyent, & prædisent certainement toutes choses aduenir. Aulcunesfoys ie les appelle non Maunettes, mais Monettes[143], comme la Iuno des Romains. Car de elles tousiours nous viennent admonitions salutaires & profitables. Demandez en à Pythagoras, Socrates, Empedocles, & nostre maistre Ortuinus. Ensemble ie loue iusques es haulx cieulx l’antique institution des Germains, les quelz prisoient au poix du Sanctuaire & cordialement reueroient le conseil des vieilles : par leurs aduis & responses tant heureusement prosperoient, comme les auoient prudentement receues. Tesmoings la vieille Aurinie, & la bonne mere Vellede[144] on temps de Vaspasian. Croyez que vieillesse feminine est tousiours foisonnante en qualité soubeline[145] : ie vouloys dire Sybilline. Allons par l’ayde, allons par la vertus Dieu, allons. Allons, frere Ian, ie te recommande ma braguete. Bien (dist Epistemon) ie vous suiuray, protestant que si i’ay aduertissement qu’elle vse de sort ou enchantement en ses responses, ie vous laisseray à la porte, & plus de moy acompaigné ne serez.


Comment Panurge parle à la Sibylle de Panzoust.

Chapitre XVII.


Levr chemin feut de troys iournées. La troizieme à la croppe de vne montaigne soubs vn grand & ample Chastaignier leurs feut monstrée la maison de la vaticinatrice. Sans difficulté ilz entrerent en la case chaumine, mal bastie, mal meublée, toute enfumée. Baste, dist Epistemon, Heraclitus grand Scotiste[146] & tenebreux philosophe ne s’estonna entrant en maison semblable, exposant à ses sectateurs & disciples, que là aussi bien residoient les Dieux, comme en palais pleins de delices. Et croy que telle estoit la case de la tant celebrée Hecale, lors qu’elle y festoya le ieune Theseus : telle aussi cele de Hireus ou Oenopion, en laquelle Iuppiter, Neptune, & Mercure ensemble ne prindrent à desdaing entrer, repaistre, & loger : en laquelle officialement pour l’escot forgerent Orion. Au coing de la cheminée trouverent la vieille. Elle est (s’escria Epistemon) vraye Sibylle & vray protraict naïfuement repræsenté par τῇ ϰαμινοῖ[147] de Homere. La vieille estoit mal en poinct, mal vestue, mal nourrie, edentée, chassieuse, courbassée, roupieuse, languoureuse, & faisoit vn potaige de choux verds, auecques vne couane de lard iausne, & vn vieil sauorados. Verd & bleu (dist Epistemon) nous auons failly. Nous ne aurons d’elle responce aulcune. Car nous n’auons le rameau d’or[148]. Ie y ay (respondit Panurge) pourueu. Ie l’ay icy dedans ma gibbesiere en vne verge d’or acompaigné de beaulx & ioyeulx Carolus.

Ces motz dictz, Panurge la salüa profondement, luy præsenta six langues de beuf fumées, vn grand pot beurrier plein de coscotons, vn bourrabaquin guarny de breuaige, une couille de belier pleine de Carolus nouuellement forgez : en fin auecques profonde reuerence luy mist on doigt medical vne verge d’or bien belle : en laquelle estoit vne Crapaudine de Beusse magnificquement enchassée. Puys en briefues parolles luy exposa le motif de sa venue, la priant courtoisement luy dire son aduis & bonne fortune de son mariage entreprins.

La vieille resta quelque temps en silence pensiue & richinante des dens, puys s’assit sus le cul d’vn boisseau, print en ses mains troys vieulx fuseaulx, les tourna & vira entre ses doigtz en diuerses manieres : puys esprouua leurs poinctes, le plus poinctu retint en main, les deux aultres iecta soubs vne pille à mil. Apres print ses deuidoueres, & par neuf foys les tourna, au neufuieme tour consydera sans plus toucher le mouuement des deuidoueres, & attendit leur repous perfaict. Depuys ie veidz qu’elle deschaussa vn de ses esclos, (nous les nommons Sabotz) mist son dauantau sus sa teste, comme les prebstres mettent leur amict quand ilz voulent messe chanter : puys auecques vn antique tissu riolé, piolé, le lia soubs la guorge. Ainsi affeublée, tira vn grand traict du bourrabaquin, print de la couille beliniere trois carolus, les mist en trois coques de noix, & les posa sus le cul d’vn pot à plume, feist trois tours de balay par la cheminée, iecta on feu demy fagot de bruiere, & vn rameau de laurier sec. Le consydera brusler en silence, & veid que bruslant ne faisoit grislement ne bruyt aulcun. Adoncques s’escria espouantablement, sonnant entre les dens quelques motz barbares & d’estrange termination, de mode que Panurge dit à Epistemon. Par la vertus Dieu ie tremble, ie croy que ie suys charmé, elle ne parle poinct Christian[149]. Voyez comment elle me semble de quatre empans plus grande, que n’estoit lors qu’elle se capitonna de son dauantau. Que signifie ce remuement de badiguoinces ? Que pretend ceste iectigation des espaulles ? A quelle fin fredonne elle des babines, comme vn Cinge demembrant Escreuisses ? Les aureilles me cornent, il m’est aduis que ie oy Proserpine bruyante : les Diables bien toust en place sortiront. O les laydes bestes. Fuyons. Serpe Dieu, ie meurs de paour. Ie n’ayme poinct les Diables. Ilz me faschent & sont mal plaisans. Fuyons. Adieu, ma Dame, grand mercy de vos biens. Ie ne me marieray poinct, non. Ie y renonce des à præsens comme allors. Ainsi commençoit escamper de la chambre, mais la vieille anticipa, tenente le fuseau en sa main : & sortis en vn courtil pres sa maison. Là estoit vn Sycomore antique : elle l’escrousla par troys fois, & sus huyct feueilles qui en tomberent, sommairement auecques le fuseau escriuit quelques briefz vers. Puys les iecta au vent, & leurs dist. Allez les chercher si voulez, trouuez les si pouez, le sort fatal de vostre mariage y est escript.

Ces parolles dictes, se retira en sa tesniere, & sus le perron de la porte se recoursa robbe, cotte, & chemise iusques aux escelles, & leurs monstroit son cul. Panurge l’aperceut, & dist à Epistemon. Par le sambre guoy de boys, voy là le trou de la Sibylle[150]. Soubdain elle barra sus soy la porte : depuys ne feut veue. Ilz coururent apres les feueilles, & les recueillerent, mais non sans grand labeur. Car le vent les auoit esquartées par les buissons de la vallée. Et les ordonnans l’vne apres l’aultre, trouuerent ceste sentence en metres.

T’esgoussera
de renom.
Engroissera
de toy non.
Te sugsera
le bon bout.
T’escorchera
mais non tout.


Comment Pantagruel & Panurge diuersement exposent
les vers de la Sibylle de Panzoust.


Chapitre XVIII.


Les feueilles recueillies, retournerent Epistemon & Panurge en la court de Pantagruel, part ioyeulx, part faschez. Ioyeulx pour le retour : faschez pour le trauail du chemin, lequel trouuerent raboteux, pierreux, & mal ordonné. De leur voyage feirent ample raport à Pantagruel, & de l’estat de la Sibylle. En fin luy præsenterent les feueilles de Sycomore, & monstrerent l’escripture en petitz vers. Pantagruel auoir leu le totaige dist à Panurge en souspirant. Vous estez bien en poinct. La prophetie de la Sibyle apertement expose ce que ia nous estoit denoté tant par les sors Virgilianes, que par vos propres songes, c’est que par vostre femme serez deshonoré : que elle vous fera coqu se abandonant à aultruy, & par aultruy deuenent grosse : que elle vous desrobbera par quelque bonne partie, & qu’elle vous battera escorchant & meurtrissant quelque membre du corps.

Vous entendez autant (respondit Panurge) en exposition de ces recentes propheties, comme faict Truye en espices. Ne vous desplaise si ie le diz. Car ie me sens vn peu fasché. Le contraire est veritable. Prenez bien mes motz. La vieille le dict. Ainsi comme la febue n’est veue se elle ne est esgoussée, aussi ma vertu & ma perfection iamais ne seroit mise en renom, si marié ie n’estoys. Quantes foys vous ay ie ouy disant que le magistrat, & l’office descœuure l’home, & mect en euidence ce qu’il auoit dedans le iabot ? C’est à dire que lors on congnoist certainement, quel est le personaige, & combien il vault, quand il est appellé au maniment des affaires. Parauant, sçauoir est estant l’home en son priué, on ne sçait pour certain quel il est, non plus que d’une febue en gousse. Voylà quant au premier article. Aultrement vouldriez vous maintenir que l’honneur & bon renom d’vn home de bien pendist au cul d’vne pvtain ?

Le second dict. Ma femme engroissera, (entendez icy la prime felicité de mariage) mais non de moy. Cor Bieu, ie le croy. Ce sera d’vn beau petit enfantelet qu’elle sera grosse. Ie l’ayme desia tout plein, & ia en suys tout assoty. Ce sera mon petit bedault. Fascherie du monde tant grande & vehemente n’entrera desormais à mon esprit, que ie ne passe, seulement le voyant & le oyant iargonner en son iargonnoys pueril. Et benoiste soit la vieille. Ie luy veulx vraybis constituer en Salmigondois quelque bonne rente, non courante comme bacheliers insensez, mais assise comme beaulx docteurs regens. Aultrement vouldriez vous que ma femme dedans ses flans me portast ? me conceust ? me enfantast ? & qu’on dist, Panurge est vn second Bacchus. Il est deux foys né. Il est René, comme feut Hippolytus, comme feut Proteus, vne foys de Thetis, & secondement de la mere du Philosophe Apollonius. Comme feurent les deux Palices pres le fleuve Symethos en Sicile. Sa femme estoit grosse de luy. En luy est renouuellée l’antique Palintocie des Megariens, & la Palingenesie de Democritus. Erreur. Ne m’en parlez iamais.

Le tiers dict. Ma femme me sugsera le bon bout. Ie m’y dispose. Vous entendez assez que c’est le baston à vn bout, qui me pend entre les iambes. Ie vous iure & promectz que tousiours le maintiendray succullent & bien auitaillé. Elle ne me le sugsera poinct en vain. Eternellement y sera le petit picotin[151] ou mieulx. Vous exposez allegoricquement ce lieu, & le interpretez à larrecin & furt. Ie loue l’exposition, l’allegorie me plaist, mais non à vostre sens. Peut estre que l’affection syncere que me portez, vous tire en partie aduerse & refraictaire, comme disent les clercs chose merueilleusement crainctiue estre amour, & iamais le bon amour estre sans craincte. Mais (scelon mon iugement) en vous mesmes vous entendez que furt en ce passaige, comme en tant d’aultres des scipteurs Latins & antiques, signifie le doulx fruict de amourettes : lequel veult Venus estre secretement & furtiuement cuilly. Pourquoy, par vostre foy ? Pour ce que la chosette faicte à l’emblée, entre deux huys, à trauers les degrez, darriere la tapisserie, en tapinois, sus vn fagot desroté, plus plaist à la déesse de Cypre, (& en suys là, sans præiudice de meilleur aduis) que faicte en veue du Soleil, à la Cynique, ou entre les precieulx conopées, entre les courtines dorées, à longs interualles, à plein guogo, auec vn esmouchail de soye cramoisine, & vn panache de plumes Indicques chassant les mousches d’autour, & la femelle s’escurante les dens auecques vn brin de paille, qu’elle ce pendent auroit desraché du fond de la paillasse. Aultrement vouldriez vous dire qu’elle me desrobbast en sugsant comme on aualle les huytres en escalle, & comme les femmes de Cilicie (tesmoing Dioscorides) cuillent la graine de Alkermes ? Erreur. Qui desrobbe, ne sugse, mais gruppe : ne aualle, mais emballe, rauist & ioue de passe passe.

Le quart dict. Ma femme me l’escorchera, mais non tout. O le beau mot. Vous l’interpretez à batterie & meurtrissure. C’est bien à propous truelle, Dieu te guard de mal masson. Ie vous supply leuez vn peu vos espritz de terriene pensée en contemplation haultaine des merueilles de Nature : & icy condemnez vous vous mesmes, pour erreurs qu’auez commis peruersement exposant les dictz propheticques de la Diue Sibylle. Posé, mais non admis ne concedé le cas, que ma femme par l’instigation de l’ennemy d’enfer voulust & entreprint me faire vn mauluais tour, me diffamer, me faire coqu iusqu’au cul, me desrober & oultrager : encores ne viendra elle à fin de son vouloir & entreprinse.

La raison qui à ce me meut, est en ce poinct dernier fondée, & est extraicte du fond de Pantheologie monasticque. Frere Artus Culletant me l’a aultres foys dict, & feut par vn Lundy matin, mangeans ensemble vn boisseau de guodiueaulx, & si pleuuoit, il m’en souuient, Dieu luy doint le bon iour.

Les femmes au commencement du monde, ou peu apres, ensemblement conspirerent escorcher les homes tous vifz, par ce que sus elles maistriser vouloient en tous lieux. Et feut cestuy decret promis, confermé, & iuré entre elles par le sainct sang breguoy. Mais ô vaines entreprinses des femmes, ô grande fragilité du sexe feminin. Elles commencerent escorcher l’home, ou gluber, comme le nomme Catulle, par la partie qui plus leurs hayte, c’est ce membre nerueulx, cauerneulx, plus de six mille ans a, & toutesfoys iusques à præsent n’en ont escorché que la teste. Dont par fin despit les Iuifz eulx mesmes en circuncision se le couppent & retaillent, mieulx aymans estre dictz recutitz & retaillatz marranes, que escorchez par femmes, comme les aultres nations. Ma femme non degenerante de ceste commune entreprinse, me l’escorchera, s’il ne l’est. Ie y consens de franc vouloir, mais non tout : ie vous en asceure mon bon Roy.

Vous (dist Epistemon) ne respondez à ce que le rameau de laurier nous voyans, elle consyderant & exclamante en voix furieuse & espouantable, brusloit sans bruyt ne grislement aulcun. Vous sçauez que c’est triste augure & signe grandement redoutable, comme attestent Properce, Tibulle, Porphyre philosophe argut, Eustathius sus l’iliade Homericque, & aultres. Vrayement (dist Panurge) vous me alleguez de gentilz veaulx. Ils feurent folz comme poëtes, & resueurs comme philosophes : autant pleins de fine follie, comme estoit leur philosophie.


Comment Pantagruel loue le conseil des muetz.

Chapitre XIX.


Pantagrvel, ces motz acheuez, se teut assez longtemps, & sembloit grandement pensif. Puys dist à Panurge. L’esprit maling vous seduyt : mais escoutez. I’ay leu qu’on temps passé les plus veritables & sceurs oracles n’estoient ceulx que par escript on bailloit, ou par parolle on proferoit. Maintes foys y ont faict erreur ceulx voyre qui estoient estimez fins & ingenieux, tant à cause des amphibologies, equiuocques, & obscuritez des motz, que de la briefueté des sentences. Pourtant feut Apollo dieu de vaticination surnommé Λοξίας[152]. Ceulx que l’on exposoit par gestes & par signes, estoient les plus veritables & certains estimez. Telle estoit l’opinion de Heraclitus. Et ainsi vaticinoit Iuppiter en Amon : ainsi prophetisoit Apollo entre les Assyriens. Pour ceste raison le paingnoient ilz auecques longue barbe, & vestu comme personaige vieulx, & de sens rassis : non nud, ieune, & sans barbe, comme faisoient les Grecz. Vsons de ceste maniere : & par signes sans parler, conseil prenez de quelque Mut. I’en suys d’aduis (respondit Panurge). Mais (dist Pantagruel) il conuiendroit que le Mut feust sourd de sa naissance : & par consequent Mut. Car il n’est Mut plus naïf, que celluy qui oncques ne ouyt.

Comment (respondit Panurge) l’entendez ? Si vray feust que l’home ne parlast, qui n’eust ouy parler, ie vous menerois à logicalement inferer vne proposition bien abhorrente & paradoxe. Mais laissons la. Vous doncques ne croyez ce qu’escript Herodote[153] des deux enfans guardez dedans vne case par le vouloir de Psammetic roy des Ægyptiens, & nourriz en perpetuelle silence ? les quelz apres certain temps prononcerent ceste parolle Becus, laquelle en langue Phrygienne signifie pain ? Rien moins, respondit Pantagruel. C’est abus dire que nous ayons languaige naturel. Les languaiges sont par institutions arbitraires & conuenences des peuples : les voix (comme disent les Dialecticiens) ne signifient naturellement, mais à plaisir. Ie ne vous diz ce propous sans cause. Car Barthole[154] l. prima de verb. oblig. raconte que de son temps, feut en Eugube vn nommé messer Nello de Gabrielis, lequel par accident estoit sourd deuenu : ce non obstant entendoit tout homme Italian parlant tant secretement que ce feust, seulement à la veue de ses gestes, & mouuement des bauleures. I’ay d’aduentaige leu en autheur docte & eleguant[155], que Tyridates roy de Armenie, on temps de Neron, visita Rome, & feut receu en solennité honorable, & pompes magnificques affin de l’entretenir en amitié sempiternelle du Senat & peuple Romain : & n’y eut chose memorable en la cité, qui ne luy feust monstrée & exposée. A son departement l’empereur luy feist dons grands, & excessifz : oultre, luy feist option, de choisir ce que plus en Rome luy plairoit, auecques promesse iurée de non l’esconduire quoy qu’il demandast. Il demanda seulement vn ioueur de farces, lequel il auoit veu on theatre, & ne entendent ce qu’il disoit, entendoit ce qu’il exprimoit par signes & gesticulations : alleguant que soubs sa domination estoient peuples de diuers languaiges, pour es quelz respondre & parler luy conuenoit vser de plusieurs truchemens : il seul à tous suffiroit. Car en matiere de signifier par gestes estoit tant excellent, qu’il sembloit parler des doigtz. Pourtant vous fault choisir vn mut sourd de nature, affin que ses gestes & signes vous soient naïfuement propheticques : non saincts, fardez, ne affectez. Reste encores sçauoir si tel aduis voulez ou d’home ou de femme prendre.

Ie (respondit Panurge) voluntiers d’vne femme le prendroys, ne feust que ie crains deux choses. L’vne, que les femmes quelques choses qu’elles voyent, elles se repræsentent en leurs espritz, elles pensent, elles imaginent, que soit l’entrée du sacre Ithyphalle. Quelques gestes, signes, & maintiens que l’on face en leur veue & præsence, elles les interpretent & referent à l’acte mouuent de belutaige. Pourtant y serions nous abusez. Car la femme penseroit tous nos signes, estre signes Veneriens. Vous souuieigne de ce que aduint[156] en Rome deux cens lx. ans apres la fondation d’icelle. Vn ieune gentil home Romain rencontrant on mons Cœlion vne dame Latine nommée Verone mute & sourde de nature, luy demanda auecques gesticulations Italicques en ignorance d’icelle surdité, quelz senateurs elle auoit rencontré par la montée ? Elle non entendent ce qu’il disoit, imagina estre ce qu’elle pourpensoit, & ce que vn ieune home naturellement demande d’vne femme. Adoncques par signes (qui en amour sont incomparablement plus attractifz, efficaces, & valables que parolles) le tira à part en sa maison, signes luy feist que le ieu luy plaisoit. En fin sans de bouche mot dire, feirent beau bruit de culletis.

L’aultre : qu’elles ne feroient à nos signes responce aulcune : elles soubdain tomberoient en arriere comme reallement consententes à nos tacites demandes. Ou si signes aulcuns nous faisoient responsifz à nos propositions, ilz seroient tant follastres & ridicules, que nous mesmes estimerions leurs pensemens estre Venereicques. Vous sçauez comment à Croquignoles[157] quand la nonnain seur Fessue[158], feut par le ieune briffault dam Royddimet engroissée, & la groisse congnue, appellée par l’abbesse en chapitre & arguée de inceste, elle s’excusoit, alleguante que ce n’auoit esté de son consentement, ce auoit esté par violence & par la force du frere Royddimet. L’abbesse replicante & disante, meschante, c’estoit on dortouoir, pourquoy ne crioys tu à la force ? Nous toutes eussions couru à ton ayde ? Respondit qu’elle ne ausoit crier on dortouoir[159] : pource qu’on dortouoir y a silence sempiternelle. Mais (dist l’abbesse) meschante que tu es, pourquoy ne faisois tu signes à tes voisines de chambre ? Ie (respondit la Fessue) leurs faisois signes du cul[160] tant que pouois, mais persone ne me secourut. Mais (demanda l’abbesse) meschante, pourquoy incontinent ne me le veins tu dire, & l’accuser reguliairement ? Ainsi eusse ie faict, si le cas me feust aduenu, pour demonstrer mon innocence. Pource (respondit la fessue) que craignante demourer en peché & estat de damnation, de paour que ne feusse de mort soubdaine præuenue, ie me confessay à luy auant qu’il departist de la chambre : & il me bailla en penitence non le dire ne deceler à persone. Trop enorme eust esté le peché, reueler sa confession, & trop detestable dauant Dieu & les anges. Par aduenture eust ce esté cause que le feu du Ciel eust ars toute l’abbaye : & toutes feussions tombées en abisme auecques Dathan & Abiron.

Vous (dist Pantagruel) ia ne m’en ferez rire. Ie sçay assez que toute moinerie moins crainct les commandemens de Dieu transgresser, que leurs statutz provinciaulx. Prenez doncques vn homme. Nazdecabre me semble idoine. Il est mut & sourd de naissance.


Comment Nazdecabre par signes respond à Panurge.

Chapitre XX.


Nazdecabre feut mandé, & au lendemain arriua. Panurge à son arrivée luy donna vn veau gras, vn demy pourceau, deux bussars de vin, vne charge de bled, & trente francs en menue monnoye : puis le mena dauant Pantagruel & en præsence des gentilz homes de chambre luy feist tel signe. Il baisla assez longuement, & en baislant faisoit hors la bouche auecques le poulce de la main dextre la figure de la lettre Grecque dicte Tau, par frequente reiterations. Puis leua les œilz au Ciel, & les tournoyoit en la teste comme vne chevre qui auorte : toussoit ce faisant & profondement souspiroit. Cela faict monstroit le default de sa braguette : puys soubs sa chemise print son pistolandier à plein poing, & le faisoit melodieusement clicquer entre ses cuisses : se enclina flechissant le genoil guausche, & resta tenent les deux braz sus la poictrine lassez l’vn sus l’aultre.

Nazdecabre curieusement le reguardoit, puys leua la main guausche en l’aër, & retint clous en poing tous les doigtz d’icelle, excepté le poulce & le doigt indice, des quelz il acoubla mollement les deux ongles ensemble. I’entends (dist Pantagruel) ce qu’il prætend par cestuy signe. Il denote mariage : & d’abondant le nombre trentenaire scelon la profession des Pythagoriens. Vous serez marié. Grand mercy (dist Panurge se tournant vers Nazdecabre) mon petit architriclin, mon comite, mon algousan, mon sbire, mon barizel.

Puis leua en l’aër plus hault la dicte main guausche, extendent tous les cinq doigtz d’icelle, & les esloignant vns des aultres, tant que esloigner pouoit. Icy (dist Pantagruel) plus amplement nous insinue par signification du nombre quinaire, que serez marié. Et non seulement effiancé, espousé, & marié, mais en oultre que habiterez & serez bien auant de feste. Car Pythagoras appelloit le nombre quinaire, nombre nuptial[161], nopces, & mariage consommé : pour ceste raison qu’il est composé de Trias, qui est nombre premier impar & superflu : & de Dyas, qui est nombre premier par : comme de masle & de femelle coublez ensemblement. De faict à Rome iadis au iour des nopces on allumoit cinq flambeaulx de cire, & n’estoit licite d’en allumer plus, feust es nopces des plus riches : ne moins, feust es nopces des plus indigens. D’aduentaige on temps passé les Payens imploroient cinq Dieux, ou vn Dieu en cinq benefices, sus ceulx que l’on marioit : Iuppiter nuptial : Iuno præsidente de la feste : Venus la belle : Pitho déesse de persuasion & beau parler : & Diane pour secours on travail d’enfantement.

O (s’escria Panurge) le gentil Nazdecabre. Ie luy veulx donner vne metairie pres Cinay, & vn moulin à vent en Mirebalais. Ce faict, le mut esternua en insigne vehemence & concussion de tout le corps se destournant à guausche. Vertus beuf de boys (dist Pantagruel) qu’est ce là ? Ce n’est à vostre aduentaige. Il denote que vostre mariage sera infauste & malheureux. Cestuy esternuement (scelon la doctrine de Terpsion) est le dæmon Socraticque[162] : lequel faict à dextre signifie qu’en asceurance & hardiment on peut faire & aller ce & la part qu’on a deliberé, les entrée, progrés, & succés seront bons & heureux : faict à guausche, au contraire. Vous (dist Panurge) tous iours prenez les matieres au pis, & tous iours obturbez, comme vn aultre Dauus[163]. Ie n’en croy rien. Et ne congneuz oncques sinon en deception ce vieulx trepelu Terpsion. Toutesfoys (dist Pantagruel) Ciceron en dict ie ne sçay quoy, on second liure de diuination[164].

Puys se tourne vers Nazdecabre, & luy faict tel signe. Il renuersa les paulpieres des œilz contre mont, tortoit les mandibules de dextre en senestre, tira la langue à demy hors la bouche. Ce faict, posa la main guausche ouuerte, exceptez le maistre doigt, lequel retint perpendiculairement sus la paulme, & ainsi l’assist au lieu de sa braguette : la dextre retint clause en poing, exceptez le poulce, lequel droict il retourna arriere soubs l’escelle dextre, & l’assist au dessus des fesses on lieu que les Arabes appellent Al Katim. Soubdain apres changea, & la main dextre tint en forme de la senestre, & la posa sus le lieu de la braguette, la guausche tint en forme de la dextre, & la posa sus l’Al Katim. Cestuy changement de main reïtera par neuf foys. A la neufiesme remist les paupieres des œilz en leur position naturelle : aussi feist les mandibules, & la langue : puys iecta son reguard biscle sus Nazdecabre, branlant les bauleures, comme font les Cinges de seiour, & comme font les Connins mangeans auoine en gerbe.

Adoncques Nazdecabre eleua en l’aër la main dextre toute ouuerte, puys mist le poulce d’icelle iusques à la premiere articulation entre la tierce ioincture du maistre doigt & du doigt medical, les resserrant assez fort au tour du poulce : le reste des ioinctures d’iceulx retirant on poing, & droictz extendent les doigtz Indice & Petit. La main ainsi composée posa sus le nombril de Panurge mouuent continuellement le poulce susdict, & appuyant icelle main sus les doigtz Petit & Indice, comme sus deux iambes. Ainsi montoit d’icelle main successiuement à trauers le ventre, le stomach, la poictrine, & le coul de Panurge : puys au menton, & dedans la bouche luy mist le susdict poulce branslant : puys luy en frota le nez, & montant oultre aux œilz faignoit les luy couloir creuer auecques le poulce. A tant Panurge se fascha, & taschoit se defaire & retirer du Mut. Mais Nazdecabre continuoit luy touchant auecques celuy poulce branslant, maintenant les œilz, maintenant le front, & les limittes de son bonnet. En fin Panurge s’escria, disant. Par Dieu, maistre fol, vous serez battu si ne me laissez, si plus me faschez, vous aurez de ma main vn Masque sus vostre paillard visaige. Il est (dist lors frere Ian) sourd. Il n’entend ce que tu luy diz, couillon. Faictz luy en signe vne gresle de coups de poing sus le mourre. Que Diable (dist Panurge) veult prætendre ce maistre Alliboron ? Il m’a presque poché les œilz au beurre noir. Par Dieu, da iurandi[165], ie vous festoiray d’vn banquet de Nazardes, entrelardé de doubles Chinquenaudes. Puys le laissa luy faisant la petarrade. Le Mut voyant Panurge demarcher, guaingna le dauant, l’arresta par force, & luy feist tel signe. Il baissa le braz dextre vers le genoil tant que pouoit l’extendre, clouant tous les doigtz en poing, & passant le poulce entre les doigtz Maistre & Indice. Puys auecques la main guausche frottoit le dessus du coubte du susdict braz dextre, & peu à peu ce frottement leuoit en l’aër la main d’icelluy iusques au coubte & au dessus, soubdain la rabaissoit comme dauant : puys à interualles la releuoit, la rabaissoit, & la monstroit à Panurge.

Panurge de ce fasché leua le poing pour frapper le Mut : mais il reuera la præsence de Pantagruel & se retint. Alors dist Pantagruel. Si les signes vous faschent, ô quant vous fascheront les choses signifiées. Tout vray à tout vray consone[166]. Le Mut prætend & denote, que serez marié, coqu, battu, & desrobbé. Le mariage (dist Panurge) ie concede, ie nie le demourant. Et vous prie me faire ce bien de croyre, que iamais home n’eut en femme & en chevaulx heurt tel que m’est predestiné.


Comment Panurge prent conseil d’vng vieil Poëte
François nommé Raminagrobis.


Chapitre XXI.


Ie ne pensoys (dist Pantagruel) iamais rencontrer homme tant obstiné à ses apprehensions comme ie vous voy. Pour toutesfoys vostre doubte esclarcir, suys d’aduis que mouuons toute pierre[167]. Entendez ma conception. Les Cycnes, qui sont oyseaulx sacrez à Apollo, ne chantent iamais, si non quand ilz approchent de leur mort : mesmement en Meander fleuue de Phrygie (ie le diz pource que Ælianus, & Alexander Myndius escriuent en auoir ailleurs veu plusieurs mourir, mais nul chanter en mourant) de mode que chant de Cycne est præsaige certain de sa mort prochaine, & ne meurt que præalablement n’ayt chanté. Semblablement les poëtes qui sont en protection de Apollo, approchans de leur mort ordinairement deuiennent prophetes, & chantent par Apolline inspiration vaticinans des choses futures.

I’ay d’aduentaige souuent ouy dire que tout home vieulx, decrepit, & pres de sa fin, facilement diuine des cas aduenir. Et me souuient que Aristophanes en quelque comedie appelle les gens vieulx Sibylles, Ὁ δὲ γέρων σίϐυλλιᾷ[168]. Car comme nous estans sur le moule, & de loing voyans les mariniers & voyagiers dedans leurs naufz en haulte mer, seulement en silence les considerons, & bien prions pour leur prospere abourdement : mais lors qu’ilz approchent du haure, & par parolles & par gestes les salüons, & congratulons de ce que à port de saulueté sont auecques nous arriuez : aussi les Anges, les Heroes, les bons Dæmons (scelon la doctrine des Platonicques) voyans les humains prochains de mort, comme de port tresceur & salutaire : port de repous, & de tranquilité, hors les troubles & sollicitudes terrienes, les salüent, les consolent, parlent auecques eulx, & ia commencent leurs communicquer art de diuination. Ie ne vous allegueray exemples antiques, de Isaac, de Iacob[169], de Patroclus enuers Hector, de Hector enuers Achilles[170], de Polynestor[171] enuers Agamemnon & Hecuba : du Rhodien celebré par Posidonius[172], de Calanus Indian[173] enuers Alexandre le grand, de Orodes[174] enuers Mezentius, & aultres : seulement vous veulx ramenteuoir le docte & preux cheuallier Guillaume du Bellay, seigneur iadis de Langey, lequel on mont de Tarare mourut le 10. de Ianuier l’an de son aage le climatere & de nostre supputation l’an 1543. en compte Romanicque. Les troys & quatre heures auant son decés il employa en parolles viguoureuses, en sens tranquil & serain nous prædisant ce que depuys part avons veu, part attendons aduenir. Combien que pour lors nous semblassent ces propheties aulcunement abhorrentes & estranges, par ne nous apparoistre cause ne signe aulcun præsent pronostic de ce qu’il prædisoit. Nous auons icy pres la Villaumere, vn home & vieulx & poëte, c’est Raminagrobis, lequel en seconde nopces espousa la grande Guorre, dont nasquit la belle Bazoche. I’ay entendu qu’il est en l’article & dernier moment de son decés : transportez vous vers luy, & oyez son chant. Pourra estre que de luy aurez ce que prætendez, & par luy Apollo vostre doubte dissouldra. Ie le veulx (respondit Panurge). Allons y, Epistemon, de ce pas : de paour que mort ne le præuieigne. Veulx tu venir, frere Ian ? Ie le veulx (respondit frere Ian) bien voluntiers, pour l’amour de toy, couillette. Car ie t’ayme du bon du foye.

Sus l’heure feut par eulx chemin prins, & arriuans au logis poëticque trouuerent le bon vieillart en agonie, auecques maintient ioyeulx, face ouuerte, & reguard lumineux. Panurge le salüant luy mist on doigt Medical de la main guausche en pur don vn anneau d’or, en la palle duquel estoit vn sapphyr oriental beau & ample : puys à l’imitation de Socrates luy offrit vn beau coq blanc, lequel incontinent posé sus son lict la teste eleuée en grande alaigresse secoua son pennaige, puys chanta en bien hault ton. Cela faict, Panurge requist courtoisement dire & exposer son iugement sus le doubte du mariage prætendu. Le bon vieillard commenda luy estre apporté ancre, plume, & papier. Le tout feut promptement liuré. Adoncques escriuit ce que s’ensuyt.

Prenez la, ne la prenez pas.[175]
Si vous la prenez, c’est bien faict.
Si ne la prenez en effect,
Ce sera œuuré par compas.

Guallopez, mais allez le pas.
Recullez, entrez y de faict.
Prenez-la, ne.

Ieusnez, prenez double repas.
Defaictez ce qu’estoit refaict.
Refaictez ce qu’estoit defaict.
Soubhaytez luy vie & trespas.
Prenez la, ne.

Puys leurs bailla en main, & leurs dist. Allez enfans en la guarde du grand Dieu des cieulx, & plus de cestuy affaire ne de aultre que soit, ne me inquietez. I’ay ce iourd’huy, qui est le dernier & de May & de moy, hors ma maison à grande fatigue & difficulté chassé vn tas de villaines, immondes, & pestilentes bestes, noires, guarres, fauues, blanches, cendrées, griuolées : les quelles laisser ne me vouloient à mon aise mourir : & par fraudulentes poinctures, gruppemens harpyiacques, importunitez freslonnicques, toutes forgées en l’officine de ne sçay quelle insatiabilité, me euocquoient du doulx pensement on quel ie acquiesçois contemplant, & voyans & ia touchant & guoustant le bien, & felicité, que le bon Dieu a præparé à ses fideles & esleuz en l’aultre vie & estat de immortalité. Declinez de leur voye, ne soyez à elles semblables : plus ne me molestez, & me laissez en silence, ie vous supply.


Comment Panurge patrocine à l’ordre
des fratres Mendians.


Chapitre XXII.


Issant de la Chambre de Raminagrobis, Panurge comme tout effrayé dist. Ie croy, par la vertus Dieu, qu’il est Hæreticque, ou ie me donne au Diable. Il mesdict des bons peres mendians Cordeliers, & Iacobins, qui sont les deux hemisphæres de la Christianté, & par la gyrognomonique circumbiliuagination des quelz comme par deux filopendoles cœliuages, tout l’Antonomatic matagrabolisme de l’eclise Romaine, soy sentente emburelucoquée d’aulcun baraguouïnage d’erreur ou de hæresie, homocentricalement se tremousse. Mais que tous les Diables luy ont faict les paouures Diables de Capussins, & Minimes ? Ne sont ilz assez meshaignez les paouures diables ? Ne sont ilz assez enfumez & perfumez de misere & calamité les paouures haires extraictz de Ichthyophagie ? Est il, frere Ian, par ta foy, en estat de saluation ? Il s’en va, par Dieu, damné comme vne serpe à trente mille hottées de Diables. Mesdire de ces bons & vaillans piliers d’eclise ? Appellez vous cela fureur poëticque ? Ie ne m’en peuz contenter : il peche villainement, il blaspheme contre la religion. I’en suys fort scandalisé. Ie (dist frere Ian) ne m’en soucie d’vn bouton. Ilz mesdisent de tout le monde : si tout le monde mesdit d’eulx, ie n’y pretends aulcun interest. Voyons ce qu’il a escript.

Panurge leut attentement l’escripture du bon vieillart : puys leurs dist. Il resue le paouure Beuueur. Ie l’excuse toutesfoys. Ie croy qu’il est pres de sa fin. Allons faire son epitaphe. Par la response qu’il nous donne, ie suys aussi saige que oncques puys ne fourneasmes nous. Escoute ça, Epistemon, mon bedon. Ne l’estimez tu pas bien resolu en ses responses ? Il est, par Dieu, sophiste argut, ergoté, & naïf. Ie guaige qu’il est Marrabais. Ventre beuf, comment il se donne guarde de mesprendre en ses parolles. Il ne respond que par disionctiues. Il ne peult dire vray. Car à la verité d’icelles suffist l’vne partie estre vraye. O quel Patelineux. Sainct Iago de Bressuire, en est il encores de l’eraige ? Ainsi (respondit Epistemon) protestoit Tiresias le grand Vaticinateur au commencement de toutes ses diuinations, disant apertement à ceulx qui de luy prenoient aduis. Ce que ie diray, aduiendra, ou ne aduiendra poinct[176]. Et est le style des prudens prognosticqueurs. Toutesfoys (dist Panurge) Iuno luy creua les deux œilz. Voyre (respondit Epistemon) par despit de ce que il auoit mieulx sententié que elle, sus le doubte propousé par Iuppiter. Mais (dist Panurge) quel Diable possede ce maistre Raminagrobis, qui ainsi sans propous, sans raison, sans occasion, mesdict des paouures beatz peres Iacobins, Mineurs, & Minimes ? Ie en suys grandement scandalisé, ie vous assie, & ne me en peuz taire. Il a grefuement peché. Son ame s’en va à trente mille panerées de Diables[177]. Ie ne vous entends poinct (respondit Epistemon). Et me scandalisez vous mesmes grandement, interpretant peruersement des fratres Mendians, ce que le bon Poëte disoit des bestes noires, fauues, & aultres. Il ne l’entend (scelon mon iugement) en telle sophisticque & phantasticque allegorie. Il parle absolument & proprement des pusses, punaises, cirons, mousches, culices, & aultres telles bestes : les quelles sont vnes noires, aultres fauues, aultres cendrées, aultres tannées & basanées : toutes importunes, tyrannicques, & molestes, non es malades seulement, mais aussi à gens sains & viguoureux. Par aduenture a il des Ascarides, Lumbriques, & Vermes dedans le corps. Par aduenture patist il (comme est en Ægypte, & lieux confins de la mer Erithrée, chose vulgaire & vsitée) es bras & iambes quelque poincture de Draconneaulx griuolez, que les Arabes appellent Meden. Vous faictez mal aultrement expousant ses parolles. Et faictez tord au bon Poëte par detraction, & es dictz Fratres par imputation de tel meshain. Il fault tousiours de son presme interpreter toutes choses à bien.

Aprenez moy (dist Panurge) à congnoistre mousches en laict. Il est, par la vertus Dieu, hæreticque. Ie diz hæreticque formé, hæreticque clauelé[178], hæreticque bruslable, comme vne belle petite horologe. Son ame s’en va à trente mille charretées de Diables. Sçauez vous où ? Cor Bieu, mon amy, droict dessoubs la scelle persée de Proserpine, dedans le propre bassin infernal, on quel elle rend l’operation fecale de ses clysteres, à cousté guausche de la grande chauldiere, à trois toises pres les gryphes de Lucifer, tirant vers la chambre noire de Demiourgon. Ho le villain.


Comment Panurge faict discours pour
retourner à Raminagrobis.


Chapitre XXIII.


Retovrnons (dist Panurge continuant) l’admonester de son salut. Allons on nom, allons en la vertus de Dieu. Ce sera œuure charitable à nous faicte : au moins s’il perd le corps & la vie, qu’il ne damne son ame. Nous le induirons à contrition de son peché : à requerir pardon es dictz tant beatz peres absens comme præsens. Et en prendrons acte, affin qu’apres son trespas ilz ne le declairent hæreticque & damné : comme les Farfadetz feirent de la præuoste d’Orleans[179] : & leurs satisfaire de l’oultrage, ordonnant par tous les conuens de ceste prouince aux bons peres religieux force bribes, force messes, force obitz & anniuersaires. Et que au iour de son trespas sempiternellement ilz ayent tous quintuple pitance : & que le grand bourrabaquin plein du meilleur trote de ranco par leurs tables, tant des Burgotz, Layz, & Briffaulx, que des presbtres & des clercs : tant des Nouices, que des Profés. Ainsi pourra il de Dieu pardon auoir.

Ho, ho, ie me abuse, & me esguare en mes discours. Le Diable me emport si ie y voys. Vertus Dieu, la chambre est desia pleine de Diables. Ie les oy desia soy pelaudans & entrebattans en Diable, à qui humera l’ame Raminagrobidicque, & qui premier de broc en bouc la portera à messer Lucifer. Houstez vous de là. Ie ne y voys pas. Le Diable me emport si ie y voys. Qui sçait s’ilz vseroient de qui pro quo, & en lieu de Raminagrobis grupperoient le paouure Panurge quitte ? Ilz y ont maintes foys failly estant safrané & endebté. Houstez vous de là. Ie ne y voys pas. Ie meurs, par Dieu, de male raige de paour. Soy trouuer entre Diables affamez ? entre Diables de faction ? entre Diables negocians ? Houstez vous de là. Ie guage que par mesmes doubte à son enterrement n’assistera Iacobin, Cordelier, Carme, Capussin, Theatin, ne Minime. Et eulx saiges. Aussi bien ne leurs a il rien ordonné par testament. Le Diable me emport si ie y voys. S’il est damné, à son dam. Pour quoy mesdisoit il des bons peres de religion ? Pour quoy les auoit il chassé hors sa chambre, sus l’heure que il auoit plus de besoing de leur ayde, de leurs deuotes prieres, de leurs sainctes admonitions ? Pour quoy par testament ne leurs ordonnoit il au moins quelques bribes, quelque bouffaige, quelque carreleure de ventre, aux paouufres gens qui n’ont que leur vie en ce monde ? Y aille qui vouldra aller. Le Diable me emport si ie y voys. Si ie y allois, le Diable me emporteroit. Cancre. Houstez vous de là.

Frere Ian, veulx tu que præsentement mille charretées de Diables t’emportent[180] ? Fays trois choses. Baille moy ta bourse[181]. Car la croix est contraire au charme. Et te aduiendroit ce que nagueres aduint à Ian Dodin[182] recepueur du Couldray au gué de Vede, quand les gens d’armes rompirent les planches. Le pinart rencontrant sus la riue frere Adam Couscoil Cordelier obseruantin de Myrebeau, luy promist vn habit en condition qu’il le passast oultre l’eau à la cabre morte sus ses espaules. Car c’estoit vn puissant ribault. Le pacte feut accordé. Frere Couscoil se trousse iusques aux couilles, & charge à son dours comme vn beau petit sainct Christophle, ledict suppliant Dodin. Ainsi le portoit guayement, comme Æneas porta son pere Anchises hort la conflagration de Troie, chantant vn bel Aue maris stella[183]. Quand ilz feurent au plus parfond du gué, au dessus de la roue du moulin, il luy demanda, s’il auoit poinct d’argent sus luy. Dodin respondit, qu’il en auoit pleine gibbessière, & qu’il ne se desfiast de la promesse faicte d’vn habit neuf. Comment (dist frere Couscoil) tu sçaiz bien que par chapitre expres de nostre reigle il nous est riguoureusement defendu de porter argent sus nous. Malheureux es tu bien certes : qui me as faict pecher en ce poinct. Pourquoy ne laissas tu ta bourse au meusnier ? Sans faulte tu en seras præsentement puny. Et si iamais ie te peuz tenir en nostre chapitre à Myrebeau, tu auras du Miserere iusques à Vitulos[184]. Soubdain se descharge, & vous iecte Dodin en pleine eau la teste au fond. A cestuy exemple, frere Ian mon amy doulx, affin que les Diables t’emportent mieulx à ton aise, baille moy ta bourse : ne porte croix aulcune sus toy. Le danger y est euident. Ayant argent, portant croix, ilz te iecteront sus quelques rochiers, comme les aigles iectent les tortues pour les casser, tesmoing la teste pelée du poëte Æschylus. Et tu te ferois mal, mon amy. I’en seroys bien fort marry : ou te laisseront tomber dedans quelque mer ie ne sçay où, bien loing, comme tomba Icarus. Et seroit par apres nommée la mer Entommericque. Secondement fois quitte. Car les Diables ayment fort les quictes. Ie le fçay bien quant est de moy. Les paillars ne cessent me mugueter, & me faire la court. Ce que ne souloient estant safrané & endebté. L’ame d’vn home endebté est toute hectique & discrasiée. Ce n’est viande à Diables. Tiercement auecques ton froc & ton domino de grobis retourne à Raminagrobis. En cas que trente mille batelées de Diables ne t'emportent ainsi qualifié, ie payeray pinthe & fagot. Et si pour ta sceureté, tu veulx compaignie auoir, ne me cherchez pas, non. Ie t'en aduise. Houstez vous de là. Ie n’y voys pas. Le Diable m’emport si ie y voys.

Ie ne m'en souciroys (respondist frere Ian) pas tant par aduenture que lon diroyt, ayant mon bragmard on poing. Tu le prens bien (dist Panurge) & en parle comme docteur subtil en lard. On temps que j’estudiois à l'eschole de Tolete, le reuerend pere en Diable Picatris recteur de la faculté diabolologicque, nous disoit que naturellement les Diables craignent la splendeur des espées, aussi bien que la lueur du Soleil. Defaict Hercules descendent en enfer à tous les Diables, ne leurs feist tant de paour ayant seulement sa peau de Lion, & sa massue, comme par apres feist Æneas estant couuert d’vn harnoy resplendissant, & guarny de son bragmard bien à poinct fourby & desrouillé à l’ayde & conseil de la Sibylle Cumane. C’estoit (peut estre) la cause pourquoy le seigneur Ian Iacques Triuolse mourant à Chartres[185], demanda son espée, & mourut l’espée nue on poing, s’escrimant tout au tour du lict, comme vaillant & cheualeureux, & par ceste escrime mettant en fuyte cous les Diables qui le guestoient au passaige de la mort. Quand on demande aux Massorethz & Caballistes, pourquoy les Diables n’entrent iamais en paradis terrestre ? Ilz ne donnent aultre raison, si non que à la porte est un Cherubin tenent en main une espée flambante. Car parlant en vraye diabolologie de Tolete, ie confesse que les Diables vrayment ne peuuent par coups d’espée mourir : mais ie maintiens scelon la dicte diabolologie, qu’ilz peuuent patir solution de continuité. Comme si tu couppois de trauers auecques ton bragmard vne flambe de feu ardent, ou vne grosse & obscure fumée. Et crient comme Diables à ce sentement de solution, laquelle leurs est doloreuse en Diable.

Quand tu voyds le hourt de deux armées, pense tu, Couillasse, que le bruyt si grand & horrible que lon y oyt, prouiene des voix humaines ? du hurtis des harnoys ? du clicquetis des bardes, du chaplis des masses ? du froissis des picques, du bris des lances, du cris des naurez ? du son des tabours & trompettes ? du hannissement des cheuaulx ? du tonnoire des escouppettes & canons ? Il en est veritablement quelque chose : force est que le confesse. Mais le grand effroy, & vacarme principal prouient du dueil & vlement des Diables : qui là guestans pelle melle les paouures ames des blessez, reçoiuent coups d’espée à l’improuiste, & patissent solution en la continuité de leurs substances aërées & inuisibles : comme si à quelque lacquais crocquant les lardons de la broche, maistre Hordoux donnoit vn coup de baston sus les doigts. Puys crient & vlent comme Diables : comme Mars, quand il feut blessé par Diomedes dauant Troie, Homere dict[186] auoir crié en plus hault ton & plus horrificque effroy, que ne feroient dix mille homes ensemble. Mais quoy ? Nous parlons de harnoys fourbiz, & d’espées resplendentes. Ainsi n’est il de ton bragmard. Car discontinuation de officier, & par faulte de operer, il est par ma foy plus rouillé, que la claueure d’vn vieil charnier[187]. Pourtant faiz de deux choses l’vne. Ou le desrouille bien apoinct & guaillard : ou maintenant ainsi rouillé, guarde que ne tourne en la maison de Raminagrobis. De ma part ie n’y voys pas. Le Diable m’emport si ie y voys.


Comment Panurge prend conseil de Epistemon.

Chapitre XXIIII.


Laissans la Villaumere, & retournans vers Pantagruel, par le chemin Panurge s’adressa à Epistemon, & luy dist. Compere mon antique amy, vous voyez la perplexité de mon esprit. Vous sçauez tant de bons remedes. Me sçauriez vous secourir ? Epistemon print le propous, & remonstroit à Panurge comment la voix publicque estoit toute consommée en mocqueries de son desguisement : & luy conseilloit prendre quelque peu de Ellebore, affin de purger cestuy humeur en luy peccant, & reprendre ses accoustremens ordinaires. Ie suys (dist Panurge) Epistemon mon compere, en phantasie de me marier. Mais ie crains estre coqu & infortuné en mon mariage. Pourtant ay ie faict veu à sainct François le ieune, lequel est au Plessis lez Tours reclamé de toutes femmes en grande deuotion (car il est premier fondateur des bons homes, lesquelz elles appetent naturellement) porter lunettes au bonnet, ne porter braguette en chausses, que sus ceste mienne perplexité d’esprit ie n’aye eu resolution aperte. C’est (dist Epistemon) vrayement vn beau & ioyeulx veu. Ie me esbahys de vous, que ne retournez à vous mesmes, & que ne reuocquez vos sens de ce farouche esguarement en leur tranquillité naturelle. Vous entendent parler, me faictez souuenir du veu des Argiues[188] à la large perrucque, les quelz ayans perdu la bataille contre les Lacedæmoniens en la controuerse de Tyrée, feirent veu cheueux en teste ne porter, iusques à ce qu’ilz eussent recouuert leur honneur & leur terre : du veu aussi du plaisant Hespaignol Michel Doris, qui porta le trançon de greue en sa iambe. Et ne sçay lequel des deux seroit plus digne & meritant porter chapperon verd & iausne à aureilles de lieure, ou icelluy glorieux champion, ou Enguerrant[189] qui en faict le tant long, curieux, & fascheux compte, oubliant l’art & maniere d’escrire histoires, baillée par le philosophe Samosatoys[190]. Car lisant icelluy long narré, lon pense que doibue estre commencement, & occasion de quelque forte guerre, ou insigne mutation des Royaulmes : mais en fin de compte on se mocque & du benoist champion, & de l’Angloys qui le deffia, & de Enguerrant leur tabellion plus baueux qu’vn pot à moustarde. La mocquerie est telle que de la montaigne d’Horace, laquelle crioyt & lamentoyt enormement, comme femme en trauail d’enfant. A son cris & lamentation accourut tout le voisinaige en expectation de veoir quelque admirable & monstrueux enfantement, mais en fin ne nasquit d’elle qu’vne petite souriz[191].

Non pourtant (dist Panurge) ie m’en soubrys[192]. Se mocque qui clocque. Ainsi seray comme porte mon veu. Or long temps a que auons ensemble vous & moy, foy & amitié iurée, par Iuppiter Philios : dictez m’en vostre aduis. Me doibz ie marier, ou non ? Certes (respondit Epistemon) le cas est hazardeux, ie me sens par trop insuffisant à la resolution. Et si iamais feut vray en l’art de medicine le dict du vieil Hippocrates de Lango, ivgement difficile[193], il est en cestuy endroict verissime. I’ay bien en imagination quelques discours moiennans les quelz nous aurions determination sus vostre perplexité. Mais ilz ne me satisfont poinct apertement. Aulcuns Platonicques disent que qui peut veoir son Genius, peut entendre ses destinées. Ie ne comprens pas bien leur discipline, & ne suys d’aduis que y adhærez. Il y a de l’abus beaucoup. I’en ay veu l’experience en vn gentil homme studieux & curieux on pays d’Estangourre. C’est le poinct premier. Vn aultre y a. Si encores regnoient les oracles de Iuppiter en Amon : de Apollo en Lebadie, Delphes, Delos, Cyrrhe, Patare, Tegyres, Preneste, Lycie, Colophon : en la fontaine Castallie pres Antioche en Syrie : entre les Branchides : de Bacchus, en Dodone : de Mercure, en Phares pres Patras : de Apis, en Ægypte : de Serapis, en Canobe : de Faunus, en Mænalie & en Albunée pres Tiuoli : de Tyresias, en Orchomene : de Mopsus, en Cilicie : de Orpheus, en Lesbos : de Trophonius, en Leucadie. Ie seroys d’aduis (paraduanture non seroys) y aller & entendre quel seroit leur iugement sus vostre entreprinse. Mais vous sçauez que tous sont deuenuz plus mutz que poissons, depuys la venue de celluy Roy seruateur on quel ont prins fin tous oracles & toutes propheties : comme aduenente la lumiere du clair Soleil disparent tous Lutins, Lamies, Lemures, Guaroux, Farfadetz, & Tenebrions. Ores toutesfoys qu’encores feussent en regne, ne conseilleroys ie facillement adiouster soy à leurs responfes. Trop de gens y ont esté trompez. D’aduentaige ie me recorde que Agripine mist sus à Lollie la belle, auoir interrogué l’oracle de Apollo Clarius pour entendre si mariée elle seroit auecques Claudius l’empereur. Pour ceste cause feut premierement banie, & depuys à mort ignominieusement mise.

Mais (dist Panurge) faisons mieulx. Les isles Ogygies ne sont loing du Port Sammalo, faisons y vn voyage apres qu’aurons parlé à nostre Roy. En l’vne des quatre, laquelle plus a son aspect vers Soleil couchant, on dict, ie l’ay leu en bons & antiques autheurs[194], habiter plusieurs diuinateurs, vaticinateurs, & prophetes : y estre Saturne lié de belles chaines d’or, dedans vne roche d’or, alimenté de Ambrosie & Nectar diuin, les quelz iournellement luy sont des cieulx transmis en abondance par ne sçay quelle espece d’oizeaulx (peut estre que sont les mesmes Corbeaulx, qui alimentoient es defers sainct Paul premier hermite) & apertement prædire à vn chascun qui veult entendre son sort, sa destinée, & ce que luy doibt aduenir. Car les Parces rien ne fillent, Iuppiter rien ne propense & rien ne delibere, que le bon pere en dormant ne congnoisse. Ce nous seroit grande abbreuiation de labeur, si nous le oyons vn peu sus celle mienne perplexité. C’est (respondit Epistemon) abus trop euident, & fable trop fabuleuse. Ie ne iray pas.


Comment Panurge se conseille à Her Trippa[195].

Chapitre XXV.


Voyez cy (dist Epistemon continuant) toutesfoys que ferez, auant que retournons vers nostre Roy, si me croyez. Icy pres l’isle Bouchart demeure Her Trippa, vous sçauez comment par art de Astrologie, Geomantie, Chiromantie, Metopomantie[196], & aultres de pareille farine il prædict toutes choses futures : conferons de vostre affaire auecques luy. De cela (respondit Panurge) ie ne sçay rien. Bien sçay ie que luy vn iour parlant au grand Roy des choses celestes & transcendentes, les lacquais de court par les degrez, entre les huys, sabouloient sa femme à plaisir, laquelle estoit assez bellastre. Et il voyant toutes choses ætherées & terrestres sans bezicles, discourant de tous cas passez & præsens, prædisant tout l’aduenir, seulement ne voioit sa femme brimballante, & oncques n’en sceut les nouuelles. Bien allons vers luy, puys qu’ainsi le voulez. On ne sçauroit trop apprendre.

Au lendemain arriuerent au logis de Her Trippa. Panurge luy donna vne robbe de peau de loup, vne grande espée bastarde bien dorée à fourreau de velours, & cinquante beaulx angelotz[197] : puis familiairement auecques luy confera de son affaire. De première venue Her Trippa le reguardant en face dist. Tu as la metoposcopie & physionomie d’vn coqu. Ie diz coqu scandalé & diffamé. Puys consyderant la main dextre de Panurge en tous endroictz, dist. Ce faulx traict que ie voy icy au dessus du mons Iouis, oncques ne feut qu’en la main d’vn coqu. Puys auecques vn style feist hastiuement certain nombre de poinctz diuers, les accoubla par Geomantie, & dist. Plus vraye n’est la vérité, qu’il est certain que seras coqu, bien tost apres que seras marié. Cela faict, demanda à Panurge l’horoscope de sa natiuité. Panurge luy ayant baillé, il fabrica promptement sa maison du ciel en toutes ses parties, & consyderant l’assiete, & les aspectz en leurs triplicitez, iesta vn grand souspir, & dist. I’auois ia prædict apertement que tu serois coqu, à cela tu ne pouoys faillir : icy i’en ay d’abondant asceurance nouuelle. Et te afferme que tu seras coqu. D’aduentaige seras de ta femme battu, & d’elle seras desrobbé. Car ie trouue la septiesme maison en aspectz tous malings, & en batterie de tous signes portans cornes, comme Aries, Taurus, Capricorne, & aultres. En la quarte ie trouue decadence de Iouis, ensemble aspect tetragone de Saturne, associé de Mercure. Tu seras bien poyuré, home de bien.

Ie seray (respondit Panurge) tes fortes fiebures quartaines, vieulx fol sot mal plaisant que tu es. Quand tous coqus s’assembleront, tu porteras la baniere[198]. Mais dont me vient ce Cyron icy entre ces deux doigtz ? Cela disoit tirant droict vers Her Trippa les deux premiers doigtz ouuers en forme de deux cornes, & fermant on poing tous les aultres. Puys dict à Epistemon. Voyez cy le vray Ollus de Martial. Lequel tout son estude adonnoit à obseruer & entendre les maulx & miseres d’aultruy. Ce pendent sa femme tenoit le brelant[199]. Il de son cousté paouure plus que ne feut Irus. Au demeurant glorieux, oultrecuydé, intolerable plus que dix sept diables, en vn mot, πτωχαλάζων[200] comme bien proprement telle peaultraille de belistrandiers nommoient les anciens. Allons. Laissons icy ce fol enraigé, mat de cathene, rauasser tout son saoul auecques ses diables priuez. Ie croirois tantost que les diables voulussent seruir vn tel marault. Il ne sçait le premier traict de philosophie, qui est, congnois toy[201], & se glorifiant veoir vn festu en l’œil d’aultruy, ne void vne grosse souche laquelle luy poche les deux œilz. C’est vn tel Polypragmon, que descript Plutarche[202]. C’est vne aultre Lamie, laquelle en maisons estranges, en public, entre le commun peuple, voyant plus penetramment qu’vn Oince, en sa maison propre estoit plus aueugle qu’vne Taulpe : chés soy rien ne voioyt. Car retournant du dehors en son priué, oustoit de sa teste ses œilz exemptiles comme lunettes, & les cachoit dedans vn sabot attaché darriere la porte de son logis. A ces motz print Her Trippa vn rameau de Tamarix. Il prend bien (dist Epistemon) Nicander[203] la nomme diuinatrice.

Voulez vous (dist Her Trippa) en sçauoir plus amplement la verité par Pyromantie, par Aëromantie celebrée par Aristophanes en ses nuées, par Hydromantie, par Lecanomantie, tant iadis celebrée entre les Assyriens & exprouee par Hermolaus Barbarus ? Dedans vn bassin plein d’eaue ie te monstreray ta femme future brimballant auecques deux rustres. Quand (dist Panurge) tu mettras ton nez en mon cul, soys recors de deschausser tes lunettes. Par Catoptromancie (dist Her Trippa continuant) moyenant laquelle Didius Iulianus empereur de Rome præuoyoit tout ce que luy doibuoit aduenir, il ne te fauldra poinct de lunettes. Tu la voyras en vn mirouoir brisgoutant aussi apertement, que si ie te la monstrois en la fontaine du temple de Minerue pres Patras. Par Coscinomantie iadis tant religieusement obseruée entre les cerimonies des Romains. Ayons vn crible & des forcettes, tu voyras Diables. Par Alphitomantie designée par Theocrite en sa Pharmaceutrie[204], & par Aleuromantie, meslant du froment auecques de la farine. Par Astragalomantie. I’ay ceans les proiectz tous prestz. Par Tyromantie. I’ay vn fromaige de Brehemont à propous. Par Gyromantie : ie te feray icy tournoyer force cercles, les quelz tous tomberont à gausche ie t’en asceure. Par Sternomantie : par ma foy, tu as le pictz assez mal proportionné. Par Libanomantie. Il ne fault qu’vn peu d’encent. Par Gastromantie, de la quelle en Ferrare longuement vsa la dame Iacoba Rhodogine[205] Engastrimythe. Par Cephaleonomantie, de laquelle vser souloient les Alemans, routissans la teste d’vn Asne sus des charbons ardens. Par Ceromantie. Là par la cire fondue en eaue tu voiras la figure de ta femme & de ses taboureurs. Par Capnomantie. Sus des charbons ardens nous mettrons de la semence de Pauot & de Sisame. O chose gualante ! Par Axinomantie. Fais icy prouision seulement d’vne coingnée & d’vne pierre Gagate, laquelle nous metterons sus la braze. O comment Homere en vse brauement enuers les amoureux de Penelope. Par Onymantie. Ayons de l’huylle & de la cire. Par Tephramantie. Tu voiras la cendre en l’aër figurante ta femme en bel estat. Par Botanomantie. I’ay icy des feuilles de Saulge à propos. Par Sycomantie. O art diuine en feuielle de figuier ! Par Ichthyomantie tant iadis celebrée & practiquee par Tiresias & Polydamas. Aussi certainement que iadis estoit faict en la fosse Dina on boys sacré à Apollo en la terre des Lyciens. Par Chœromantie. Ayons force pourceaulx, tu en auras la vescie. Par Cleromantie, comme l’on trouue la febue on guasteau la vigile de l’Epiphanie. Par Anthropomantie, de laquelle vsa Heliogabalus empereur de Rome. Elle est quelque peu fascheuse. Mais tu l’endureras assez, puis que tu es destiné coqu. Par Stichomancie Sibylline. Par Onomatomantie. Comment as tu nom ? (Maschemerde, respondit Panurge) ou bien par Alectryomantie. Ie feray icy vn cerne gualantement, lequel ie partiray, toy voyant & considerant en vingt & quatre portions equales. Sus chascune ie figureray vne letre de l’alphabet : sus chascune letre ie poseray vn grain de froment : puys lascheray vn beau coq vierge à trauers. Vous voirez (ie vous affie) qu’il mangera les grains posez sus les letres C. O. Q. V. S. E. R. A. aussi fatidicquement, comme soubs l’empereur Valens estant en perplexité de sçauoir le nom de son successeur, le coq vaticinateur & Aledryomantic mangea sus les letres Θ. Ε. Ο. Δ. Voulez vous en sçauoir par l’art de Aruspicine ? par Extispicine ? par Augure prins du vol des oizeaulx ? du chant des Oscines ? du bal solistime des canes ? (par Estronspicine, respondit Panurge) ou bien par Necromantie ? Ie vous feray soubdain resusciter quelqu’vn peu cy deuant mort, comme feist Apollonius de Tyane[206] enuers Achilles, comme feist la Phitonisse en præsence de Saul[207] : lequel nous en dira le totage, ne plus ne moins que à l’inuocation de Erictho vn deffunct prædist à Pompée tout le progres & issue de la bataille Pharsalicque. Ou si auez paour des mors, comme ont naturellement tous coquz, ie vseray seulement de Sciomantie.

Va (respondit Panurge) fol enraigé, au Diable : & te faiz lanterner à quelque Albanoys, si auras vn chapeau poinctu. Diable, que ne me conseillez tu aussi bien tenir vne Esmeraulde, ou la pierre de Hyene soubs la langue ? ou me munir de langues de Puputz, & de cœurs de Ranes verdes ? ou manger du cœur & du foye de quelque Dracon, pour à la voix & au chant des Cycnes & oizeaulx entendre mes destinées, comme faisoient iadis les Arabes on pays de Mesopotamie ? A trente Diables soit le coqu, cornu, marrane, sorcier au Diable, enchanteur de l’Antichrist. Retournons vers nostre Roy. Ie suys asceuré que de nous content ne sera, s’il entend vne foys que soyons icy venuz en la tesniere de ce Diable engiponné. Ie me repens d’y estre venu. Et donnerois voluntiers cent nobles[208] & quatorze roturiers, en condition que celluy qui iadis souffloit on fond de mes chausses, præsentement de son crachatz luy enluminast les moustaches. Vray Dieu, comment il m’a perfumé de fascherie & diablerie, de charme & de sorcellerie ! Le Diable le puisse emporter. Dictez amen, & allons boyre. Ie ne feray bonne chere de deux, non de quatre iours.


Comment Panurge prent conseil de frere
Ian des Entommeures.


Chapitre XVI.


Panvrge estoit fasché des propous de Her Trippa, & avoir passé la bourgade de Huymes, s’addressa à frere Ian, & luy dist becguetant & soy gratant l’aureille guausche. Tien moy vn peu ioyeulx, mon bedon. Ie me sens tout matagrabolisé en mon esprit, des propous de ce fol endiablé. Escoute, couillon mignon[209].


Couillon moignon.

c. paté.

c. plombé

c. feutré.

c. madré.

c. de stuc.

c. Arabesque.

c. troussé à la leuresque.

c. asceuré.

c. calandré.

c. diapré.

c. martelé.

c. iuré.

c. grené.

c. endesué.

c. palletoqué.

c. lyripipié.

c. vernissé.

c. de Bresil.

c. organizé.

c. de passe.

c. d’estoc.

c. forcené.

c. entassé.

c. farcy.

c. polly.

c. poudrebif.

c. positif.

c. genitif.

c. gigantal.

c. oual.

c. claustral.

c. viril.

c. de respect.

c. de seiour.

c. massif.

c. manuel.

c. absolu.

c. membru.

c. gemeau.

c. turquoys.

c. brislant.

c. estrillant.

c. vrgent.

c. duisant.

c. prompt.

c. fortuné.

c. coyrault.

c. de hault lisse.

c. requis.

c. cullot.

c. de raphe.

c. Vrfin.

c. de paraige.

c. patronymicque.

c. guespin.

c. d’algamala.

c. robuste.

c. d’appetit.

c. secourable.

c. redoubtable.

c. affable.

c. memorable.

c. palpable.

c. bardable.

c. Tragicque.

c. transpontin.

c. digestif.

c. incarnatif.

c. sigillatif.

c. ronssinant.

c. refaict.

c. tonnant.

c. martelant.

c. strident.

c. timpant.

c. pimpant.

c. paillard.

c. guaillard.

c. brochant.

c. auorté.

c. syndicqué.

c. belutant.


c. de renom.

c. naté.

c. laicté.

c. calfaté.

c. relevé.

c. de crotesque.

c. asseré.

c. antiquaire.

c. guarancé.

c. requamé.

c. estamé.

c. entrelardé.

c. bourgeois.

c. d’esmorche.

c. goildronné.

c. aposté.

c. desiré.

c. d’Ebene.

c. de Bouys.

c. Latin.

c. à croc.

c. effrené.

c. affecté.

c. compassé.

c. bouffy.

c. iolly.

c. brandif.

c. gerondif.

c. actif.

c. vital.

c. magistral.

c. monachal.

c. subtil.

c. de relés.

c. d’audace.

c. lascif.

c. guoulu.

c. resolu.

c. cabus.

c. courtoys.

c. fecond.

c. sifflant.

c. gent.

c. banier.

c. brusquet.

c. prinsaultier.

c. clabault.

c. vsual.

c. exquis.

c. fallot.

c. picardent.

c. Guelphe.

c. de triage.

c. de mesnage.

c. pouppin.

c. d’alidada.

c. d’algebra.

c. venuste.

c. insuperable.

c. agreable.

c. espouantable.

c. profitable.

c. notable.

c. musculeux.

c. subsidiaire.

c. Satyricque.

c. repercussif.

c. conuulsif.

c. restauratif.

c. masculinant.

c. baudouinant.

c. fulminant.

c. estincelant.

c. arietant.

c. aromatisant.

c. diaspermatisant.

c. ronflant.

c. pillard.

c. hochant.

c. talochant.

c. eschalloté.

c. farfouillant.

c. culbutant.

Couillon hacquebutant, couillon culletant frere Ian mon amy, ie te porte reuerence bien grande, & te reseruoys à bonne bouche : ie te prie, diz moy ton aduis. Me doibs ie marier ou non ? Frere Ian luy respondit en alaigresse d’esprit, disant. Marie toy de par le Diable, marie toy, & carrillonne à doubles carrillons de couillons. Ie diz & entends le plus toust que faire pourras. Des huy au soir faiz en crier les bancs[210] & le challit. Vertus Dieu, à quand te veulx tu reseruer ? Sçaiz tu pas bien, que la fin du monde approche ? Nous en sommes huy plus pres de deux trabutz & demie toise, que n’estions auant hier. L’Antichrist est desia né, ce m’a lon dict. Vray est que il ne faict encores que esgratigner sa nourriste & ses gouuernantes : & ne monstre encores les thesaurs. Car il est encores petit. Crescite. Nos qui viuimus. Multiplicamini[211], il est escript. C’est matiere de breuiaire. Tant que le sac de bled ne vaille trois patacz, & le bussart de vin, que six blancs. Vouldrois tu bien qu’on te trouuast les couilles pleines au iugement ? dum venerit iudicare[212]. Tu as (dist Panurge) l’esprit moult limpide & serain, frere Ian couillon Metropolitain, & parlez pertinemment, C’est ce dont Leander de Abyde en Asie, nageant par la mer Hellesponte pour visiter s’amie Hero de Seste en Europe, prioit Neptune & tous les Dieux marins.

Si en allant ie suys de vous choyé,
Peu au retour me chault d’estre noyé.[213]

Il ne vouloit poinct mourir les couilles pleines. Et suys d’aduis que dorenauant en tout mon Salmigondinoys quand on vouldra par iustice executer quelque malfaiteur, vn iour ou deux dauant on le face brisgoutter en Onocrotale, si bien que en tous les vases spermaticques ne reste de quoy protraire vn Y Gregoys. Chose si precieuse ne doibt estre follement perdue. Par aduenture engendrera il vn home. Ainsi mourra il sans regret, laissant home pour home.


Comment frere Ian ioyeusement conseille Panurge.

Chapitre XXVII.


Par sainct Rigomé (dict frere Ian) Panurge mon amy doulx, ie ne te conseille chose que ie ne feisse, si i’estoys en ton lieu. Seulement ayez esguard & consyderation de tous iours bien lier & continuer tes coups. Si tu y fays intermission, tu es perdu, paouuret : & t’aduiendra ce que aduient es nourrisses. Si elles desistent alaicter enfans, elles perdent leur laict. Si continuellement ne exercez ta mentule, elle perdra son laict, & ne te seruira que de pissotiere : les couilles pareillement ne te seruiront que de gibbessiere. Ie t’en aduise, mon amy. I’en ay veu l’experience en plusieurs : qui ne l’ont peu quand ilz vouloient : car ne l’auoient faict quand le pouoient[214]. Aussi par non vsaige sont perduz tous priuileges, ce disent les clercs. Pourtant, fillol, maintien tout ce bas & menu populaire Troglodyte, en estat de labouraige sempiternel. Donne ordre qu’ilz ne viuent en gentilz homes : de leurs rantes, sans rien faire[215].

Ne dea[216] (respondit Panurge) frere Ian mon couillon guausche, ie te croiray. Tu vas rondement en besoigne. Sans exception ne ambages tu m’as apertement dissolu toute craincte qui me pouoit intimider. Ainsi te soit donné des cieulx, tousiours bas & roydde operer. Or doncques à ta parolle ie me mariray. Il n’y aura poinct de faulte. Et si auray tousiours belles chambrieres, quand tu me viendras veoir, & seras protecteur de leur sororité. Voy là quand à la premiere partie du sermon. Escoute (dist frere Ian) l’oracle des cloches de Varenes[217]. Que disent elle ? Ie les entends, (respondit Panurge). Leur son est par ma soif plus fatidicque que des chauldrons de Iuppiter en Dodone. Escoute. Marie toy, marie toy : marie, marie. Si tu te marie, marie, marie, tresbien t’en trouueras, veras, veras. Marie, marie. Ie te asceure que ie me mariray : tous les elemens me y inuitent. Ce mot te soit comme vne muraille de bronze[218].

Quant au second poinct, tu me semblez aulcunement doubter, voyre deffier de ma paternité : comme ayant peu fauorable le roydde Dieu des iardins. Ie te supply me faire ce bien de croire, que ie l’ay à commandement, docile, beneuole, attentif, obeissant en tout & par tout. Il ne luy fault que lascher les longes, ie diz l’aiguillette, luy monstrer de pres la proye : & dire, hale, compaignon. Et quand ma femme future seroit aussi gloutte du plaisir Venerien que fut oncques Messalina, ou la marquise de Oinsestre en Angleterre, ie te prie croire, que ie l’ay encores plus copieux au contentement. Ie ne ignore que Solomon dict[219], & en parloit comme clerc & sçauant : depuys luy Aristoteles[220] a declairé l’estre des femmes estre de soy insatiable : mais ie veulx qu’on saiche que de mesmes qualibre i’ay le ferrement infatiguable. Ne me allegue poinct icy en paragon les fabuleux ribaulx Hercules, Proculus Cæsar[221], & Mahumet, qui se vente en son Alchoran auoir en ses genitoires la force de soixante guallefretiers. Il a menty, le paillard. Ne me alleguez poinct l’Indian tant celebré par Theophraste, Pline, & Athenæus[222], lequel auecques l’ayde de certaine herbe le faisoit en vn iour soixante & dix fois & plus. Ie n’en croy rien, le nombre est supposé. Ie te prie ne le croyre. Ie te prie croyre (& ne croyras chose que ne soit vraye) mon naturel le sacre Ithyphalle messer Cotal d’Albingues, estre le prime del monde[223]. Escoute ça, couillette. Veidz tu oncques le froc du moine de Castres[224] ? Quand on le posoit en quelque maison, feust à descouuert, feust à cachettes, soubdain par sa vertus horrificque tous les manens & habitans du lieu entroient en ruyt bestes & gens : homes & femmes, iusques aux ratz & aux chatz. Ie te iure qu’en ma braguette i’ay aultres foys congneu certaine energie encores plus anomale. Ie ne te parleray de maison ne de buron : de sermon ne de marché : mais à la passion qu’on iouoit à sainct Maixent[225] entrant vn iour dedans le parquet ie veidz par la vertus & occulte proprieté d’icelle soubdainement tous tant ioueurs que spectateurs entrer en tentation si terrificque, qu’il ne y eut Ange, Home, Diable, ne Diablesse, qui ne voulust biscoter. Le Portecole abandonna sa copie : celluy qui iouoit sainct Michel, descendit par la volerie : les Diables sortirent d’enfer, & y emportoient toutes ces paoures femmelettes : mesme Lucifer se deschayna. Somme, voyant le desarroy, ie deparquay du lieu : à l’exemple de Caton le Censorin[226] : lequel voyant par sa præsence les festes Floralies en desordre, desista estre spectateur.


Comment frere Ian reconforte Panurge
sus le doubte de Coquage.


Chapitre XXVIII.


Ie t’entends (dist frere Ian) mais le temps matte toutes choses. Il n’est le Marbre ne le Porphyre, qui n’ayt sa vieillesse & decadence. Si tu ne en es là pour ceste heure, peu d’années apres subsequentes ie te oiray confessant, que les couilles pendent à plusieurs par faulte de gibessiere. Desia voy ie ton poil grisonner en teste. Ta barbe par les distinctions du gris, du blanc, du tanné, & du noir, me semble vne Mappemonde. Reguarde icy. Voy là Asie. Icy sont Tigris & Euphrates. Voy là Afrique. Icy est la montaigne de la Lune. Voydz tu les paluz du Nil ? Deça est Europe. Voydz tu Theleme ? Ce touppet icy tout blanc, sont les mons Hyperborées. Par ma soif, mon amy, quand les neiges sont es montaignes : ie diz la teste & le menton, il n’y a pas grand chaleur par les valées de la braguette.

Tes males mules (respondit Panurge). Tu n’entends pas les Topiques. Quand la neige est sus les montaignes : la fouldre, l’esclair, les lanciz, le mau lubec, le rouge grenat, le tonnoirre, la tempeste, tous les Diables, sont par les vallées. En veulx tu veoir l’experience ? Va on pays de Souisse : & consydere le lac de VVunderberlich à quatre lieues de Berne, tirant vers Sion. Tu me reproches mon poil grisonnant, & ne consydere poinct comment il est de la nature des pourreaux, es quelz nous voyons la teste blanche, & la queue verde droicte & viguoureuse. Vray est que en moy ie recongnois quelque signe indicatif de vieillesse. Ie diz verde vieillesse : ne le diz à personne. Il demeurera secret entre nous deux. C’est que ie trouue le vin meilleur & plus à mon goust sauoureux, que ne soulois : plus que ne soulois, ie crains la rencontre du mauuais vin. Note que cela argüe ie ne sçay quoy du ponent, & signifie que le midy est passé. Mais quoy ? Gentil compaignon tousiours, autant ou plus que iamais. Ie ne crains pas cela, de par le Diable. Ce n’est là où me deult. le crains que par quelque longue absence de nostre roy Pantagruel, au quel force est que ie face compaignie, voire allast il à tous les Diables, ma femme me face coqu. Voy là le mot peremptoire. Car tous ceulx à qui i’en ay parlé, me en menassent. Et afferment qu’il me est ainsi prædestiné des cieulx. Il n’est (respondit frere Ian) coqu, qui veult[227]. Si tu es coqu, ergò ta femme sera belle : ergò tu seras bien traicté d’elle : ergò tu auras des amis beaucoup : ergò tu seras saulué. Ce sont Topicques monachales. Tu ne en vauldras que mieulx, pecheur. Tu ne feuz iamais si aise. Tu n’y trouueras rien moins. Ton bien acroistra d’aduentaige. S’il est ainsi prædestiné, y vouldrois tu contreuenir ? diz, Couillon flatry[228], C. moisy.


c. rouy.

c. poitry d’eaue froyde.

c. transy.

c. auallé.

c. fené.

c. esrené.

c. de faillance.

c. hallebrené.

c. prosterné.

c. engroué.

c. ecremé.

c. supprimé.

c. retif.

c. moulu.

c. dissolu.

c. morfondu.

c. dyscrasié.

c. disgratié.

c. flacque.

c. esgoutté.

c. acrauanté.

c. escharbotté.

c. mitré.

c. baratté.

c. bimbelotté.

c. entouillé.

c. vuidé.

c. chagrin.

c. demanché.

c. vereux.

c. vesneux.

c. malandré.

c. thlasié.

c. spadonicque.

c. bistorié.

c. farineux.

c. hergneux.

c. gangreneux.

c. crousteleué.

c. depenaillé.

c. matté.

c. guoguelu.

c. trepelu.

c. trepané.

c. basané.

c. euiré.

c. feueilleté.

c. estiomené.

c. etrippé.

c. nieblé.

c. syncopé.

c. ripoppé.

c. dechicqueté.

c. ventousé.

c. effructé.

c. gersé.

c. pantois.

c. fusté.

c. de godalle.

c. fistuleux.

c. languoureux.

c. maleficié.

c. hectique.

c. vsé.

c. quinault.

c. matagrabolisé.

c. maceré.

c. paralyticque.

c. degradé.

c. perclus.

c. de Ratepenade.

c. de petarrade.

c. hallé.

c. dessiré.

c. hebeté.

c. cornant.

c. appellant.

c. barré.

c. assassiné.

c. deualizé.

c. anonchaly.

c. de matasain.

c. badelorié.

c. deschalandé.


c. chaumeny.

c. pendillant.

c. appellant.

c. guauasche.

c. esgrené.

c. incongru.

c. forbeu.

c. lanterné.

c. embrené.

c. amadoué.

c. exprimé.

c. chetif.

c. putatif.

c. vermoulu.

c. courbatu.

c. malautru.

c. biscarié.

c. liegé.

c. diaphane.

c. desgousté.

c. chippoté.

c. hallebotté.

c. chapitré.

c. chicquané.

c. eschaubouillé.

c. barbouillé.

c. riddé.

c. haue.

c. morné.

c. pesneux.

c. forbeu.

c. meshaigné.

c. thlibié.

c. sphacelé.

c. deshinguangé.

c. farcineux.

c. varicqueux.

c. vereux.

c. esclopé.

c. franfreluché.

c. frelatté.

c. farfelu.

c. mitonné.

c. boucané.

c. effilé.

c. vietdazé.

c. mariné.

c. extirpé.

c. constippé.

c. greslé.

c. soufleté.

c. buffeté.

c. corneté.

c. talemousé.

c. balafré.

c. eruyté.

c. putois.

c. poulsé.

c. frilleux.

c. scrupuleux.

c. fellé.

c. rance.

c. diminutif.

c. tintalorisé.

c. marpault.

c. rouillé.

c. indague.

c. antidaté.

c. manchot.

c. confus.

c. Maussade.

c. acablé.

c. assablé.

c. desolé.

c. decadent.

c. solœcisant.

c. mince.

c. vlecré.

c. bobeliné.

c. engourdely.

c. aneanty.

c. de zero.

c. frippé.

c. febricitant.

Couillonnas au diable, Panurge mon amy : puys qu’ainsi t’est prædestiné, vouldroys tu faire retrograder les planetes ? demarcher toutes les sphaeres celestes ? propouser erreur aux Intelligences motrices ? espoinder les fuzeaulz, articuler les vertoilz, calumnier les bobines, reprocher les detrichoueres, condempner les frondrillons, defiller les pelotons des Farces ? Tes fiebures quartaines, Couillu. Tu ferois pis que les Geants. Vien ça, couillaud. Aimerois tu mieulx estre ialous sans cause, que coqu sans congnoissance ? Ie ne vouldrois (respondit Panurge) estre ne l’vn ne l’autre. Mais si l’en suys vne fois aduerty, ie y donneray bon ordre, ou bastons fauldront on monde. Ma foy, frere Ian, mon meilleur sera poinct ne me marier. Escoute que me disent les cloches à ceste heure que sommes plus pres. Marie poinct, marie poinct, poinct, poinct, poinct, poinct. Si tu te marie : marie poinct, marie poinct, poinct, poinct, poinct, poinct : tu t’en repentiras, tiras, tiras : coqu seras. Digne vertus de Dieu, ie commence entrer en fascherie. Vous aultres cerueaulx enfrocquez, n’y sçauez vous remede aulcun ? Nature a elle tant destitué les humains, que l’home marié ne puisse passer ce monde sans tomber es goulphres & dangiers de Coqüage ?

Ie te veulx (dist frère Ian) enseigner vn expedient, moyenant lequel iamais ta femme ne te fera coqu sans ton sceu & ton consentement. Ie t’en prie (dist Panurge) couillon velouté. Or diz, mon amy. Prens (dist frère Ian) l’anneau de Hans Carüel[229] grand lapidaire du Roy de Melinde. Hans Carüel estoit home docte, expert, studieux, home de bien, de bon sens, de bon iugement, debonnaire, charitable, aulmonsnier, philosophe : ioyeulx au reste, bon compaignon, & raillart, si oncques en feut : ventru quelque peu, branslant de teste, & aulcunement mal aisé de sa persone. Sus ses vieulx iours il espousa la fille du baillif Concordat, ieune, belle, frisque, guallante, aduenente, gratieuse par trop enuers ses voisins & seruiteurs. Dont aduint en succession de quelques hebdomades, qu’il en deuint ialous, comme vn Tigre : & entra en soubson, qu’elle se faisoit tabourer les fesses d’ailleurs. Pour à laquelle chose obuier, luy faisoit tout plein de beaulx comptes touchant les desolations aduenues par adultere : luy lisoit souuent la legende des preudes femmes[230] : la preschoit de pudicité, luy feist vn liure des louanges de fidelité coniugale, detestant fort & ferme la meschanceté des ribauldes mariées : & luy donna vn beau carcan tout couuert de Sapphyrs orientaulx. Ce non obstant, il la voioyt tant deliberée, & de bonne chere auecques ses voisins, que de plus en plus croissoit sa ialousie. Vne nuyct entre les aultres estant auecques elle couché en telles passions, songea qu’il parloit au diable & qu’il luy comptoit ses doleances. Le diable le reconfortoit, & luy mist vn anneau on maistre doigt, disant. Ie te donne cestuy anneau : tandis que l’auras on doigt ta femme ne sera d’aultruy charnellement congneue sans ton sceu & consentement. Grand mercy (dist Hans Carüel) monsieur le diable. Ie renye Mahon, si iamais on me l’oste du doigt. Le diable disparut : Hans Carüel tout ioyeulx s’esueigla, & trouua qu’il auoit le doigt on comment a nom ? de sa femme. Ie oubliois à compter comment sa femme le sentent, reculloit le cul arriere, comme disant ouy nenny, ce n’est ce qu’il y fault mettre : & lors sembloit à Hans Carüel qu’on luy voulust desrobber son anneau. N’est ce remede infallible ? A cestuy exemple faiz, si me croys, que continuellement tu ayez l’anneau de ta femme on doigt. Icy feut fin & du propous & du chemin[231].


Comment Pantagruel faict assemblée d’vn Theologien
d’vn medicin, d’vn Legiste & d’vn Philosophe,
pour la perplexité de Panurge.


Chapitre XXIX.


Arrivez au palais, compterent à Pantagruel le discours de leur voyage, & luy monstrerent le dicté de Raminagrobis. Pantagruel, l’auoir leu & releu, dist. Encores n’ay ie veu response, que plus me plaise. Il veult dire sommairement, qu’en l’entreprinse de mariage chascun doibt estre arbitre de ses propres pensées, & de soy mesmes conseil prendre. Telle a tousiours esté mon opinion : & autant vous en diz la premiere foys que m’en parlastez. Mais vous en mocquiez tacitement, il m’en soubuient, & congnois que Philautie & amour de soy vous deçoit. Faisons aultrement. Voicy quoy. Tout ce que sommes & qu’auons, consiste en trois choses, En l’ame, on corps, es biens. A la conseruation de chascun des trois respectiuement sont au iourdhuy destinées troys manieres de gens. Les Theologiens à l’ame, les Medicins au corps, les Iurisconsultes aux biens. Ie suys d’aduis que dimanche nous ayons icy à dipner vn Theologien, vn Medicin, & vn Iurisconsulte. Auecques eulx ensemble nous confererons de vostre perplexité. Par sainct Picault (respondit Panurge) nous ne serons rien qui vaille, ie le voy desia bien. Et voyez comment le monde est vistempenardé. Nous baillons en guarde nos ames aux Théologiens, les quelz pour la plus part sont hæreticques : Nos corps es medicins, qui tous abhorrent les medicamens, iamais ne prennent medicine : Et nos biens es Aduocatz, qui n’ont iamais procés ensemble. Vous parlez en Courtisan (dist Pantagruel). Mais le premier poinct ie nie, voyant l’occupation principale, voyre vnicque & totale des bons Theologiens, estre emploictée par faictz, par dictz, par escriptz, à extirper les erreurs & hæresies, (tant s’en fault qu’ilz en soient entachez) & planter profundement es cueurs humains la vraye & viue foy catholicque. Le second ie loue, voyant les bons Medicins donner tel ordre à la partie prophylastice & conseruatrice de santé en leur endroict, qu’ilz n’ont besoing de la therapeutice & curatiue par medicamens. Le tiers ie concede, voyant les bons aduocatz tant distraictz en leurs patrocinations & responses du droict d’aultruy, qu’ilz n’ont temps ne loisir d’entendre à leur propre. Pourtant dimanche prochain ayons pour Theologien nostre pere Hippothadée : pour medicin, nostre maistre Rondibilis[232] : pour Legiste, nostre amy Bridoye. Encores suys ie d’aduis que nous entrons en la tetrade Pythagoricque, & pour soubrequart ayons nostre feal le Philosophe Trouillogan, attendu mesmement que le Philosophe perfaict, & tel qu’est Trouillogan, respond assertiuement de tous doubtes proposez. Carpalim donnez ordre que les ayons tous quatre dimanche prochain à dipner.

Ie croy (dist Epistemon) qu’en toute la patrie vous ne eussiez mieulx choisy. Ie ne diz seulement touchant les perfections d’vn chascun en son estat, les quelles sont hors tout dez de iugement : mais d’abondant en ce que Rondibills marié est, ne l’auoit esté : Hippothadée oncques ne le feut, & ne l’est : Bridoye l’a esté, & ne l’est : Trouillogan l’est, & l’a esté. Ie releueray Carpalim d’vne peine. Ie iray inuiter Bridoye, (si bon vous semble) lequel est de mon antique congnoissance : & au quel i’ay à parler pour le bien & aduencement d’vn sien honeste & docte filz, lequel estudie à Tholose soubs l’auditoire du tresdocte & vertueux Boissoné. Faictez (dist Pantagruel) comme bon vous semblera. Et aduisez si ie peuz rien pour l’aduencement du filz, & dignité du seigneur Boissoné, lequel ie ayme & reuere comme l’vn des plus suffisans qui soit huy en son estat. Ie me y emploiray de bien bon cœur.


Comment Hippothadée Theologien donne conseil
à Panurge sus l’entreprinse de mariage.


Chapitre XXX.


Le dipner au dimanche subsequent ne feut si tost prest, comme les inuitez comparurent, excepté Bridoye lieutenant de Fonsberon. Sus l’apport de la seconde table Panurge en parfonde reuerence dist. Messieurs, il n’est question que d’vn mot. Me doibs ie marier, ou non ? Si par vous n’est mon doubte dissolu, ie le tiens pour insoluble comme sont Insolubilia de Alliaco[233]. Car vous estes tous esleuz, choisiz, & triez chascun respectiuement en son estat, comme beaulx Pois sus le volet.

Le pere Hippothadée à la semonce de Pantagruel, & reuerence de tous les assistans respondit en modestie incroyable. Mon amy, vous nous demandez conseil, mais premier fault que vous mesmes vous conseillez. Sentez vous importunement en vostre corps les aiguillons de la chair ? Bien fort, (respondit Panurge) ne vous desplaise, nostre pere. Non faict il (dist Hippothadée) mon amy. Mais en cestuy estrif auez vous de Dieu le don & grace speciale de continence ? Ma foy non, respondit Panurge. Mariez vous donc, mon amy, dist Hippothadée. Car trop meilleur est soy marier, que ardre[234] on feu de concupiscence. C’est parlé cela (s’escria Panurge) gualantement, sans circumbiliuaginer au tour du pot. Grand mercy, monsieur nostre pere. Ie me mariray sans poinct de faulte & bien tost. Ie vous conuie à mes nopces. Corpe de galline, nous ferons chere lie. Vous aurez de ma liurée, & si mangerons de l’oye, cor beuf, que ma femme ne roustira poinct[235]. Encores vous priray ie mener la premiere dance des pucelles, s’il vous plaist me faire tant de bien & d’honneur, pour la pareille. Reste vn petit scrupule à rompre. Peut diz ie, moins que rien. Seray ie poinct coqu ? Nenny dea, mon amy (respondit Hippothadée) si Dieu plaist. O la vertus de Dieu (s’escria Panurge) nous soit en ayde. Où me renuoyez vous, bonnes gens ? Aux conditionales, les quelles en Dialectique reçoiuent toutes contradictions & impossibilitez. Si mon mulet Transalpin voloit, mon mulet Transalpin auroit æsles. Si Dieu plaist, ie ne seray poinct coqu : ie seray coqu, si Dieu plaist. Dea, si feust condition à laquelle ie peusse obuier, ie ne me desespererois du tout. Mais vous me remettez au conseil priué de Dieu : en la chambre de ses menuz plaisirs. Où prenez vous le chemin pour y aller, vous aultres François ? Monsieur nostre pere, ie croy que vostre mieulx sera ne venir pas à mes nopces. Le bruyt & la triballe des gens de nopces vous romperoient tout le testament[236]. Vous aymez repous, silence, & solitude. Vous n’y viendrez pas, ce croy ie. Et puys vous dansez assez mal, & seriez honteux menant le premier bal. Ie vous enuoiray du rillé en vostre chambre, de la liurée nuptiale aussy. Vous boirez à nous s’il vous plaist.

Mon amy (dift Hippothadée) prenez bien mes parolles, ie vous en prie. Quand ie vous diz, s’il plaist à Dieu, vous fays ie tord ? Est ce mal parlé ? Est ce condition blaspheme ou scandaleuse ? N’est ce honorer le seigneur, createur, protecteur, seruateur ? N’est ce le recongnoistre vnicque dateur de tout bien ? N’est ce nous declairer tous dependre de sa benignité ? Rien sans luy n’estre, rien ne valoir, rien ne pouoir : si sa saincte grace n’est sus nous infuse ? N’est ce mettre exception canonicque à toutes nos entreprinses ? & tout ce que proposons remettre à ce que sera disposé par sa saincte volunté, tant es cieulx comme en la terre ? N’est ce veritablement sanctifier son benoist nom ? Mon amy, vous ne serez[237] poinct coqu, si Dieu plaist. Pour sçauoir sur ce quel est son plaisir, ne fault entrer en desespoir, comme de chose absconse, & pour laquelle entendre, fauldroit consulter son conseil priué, & voyager en la chambre de ses tressainctz plaisirs. Le bon Dieu nous a faict ce bien, qu’il nous les a reuelez, annoncez, declairez, & apertement descriptz par les sacres bibles. Là vous trouuerez que iamais ne serez coqu, c’est à dire que iamais vostre femme ne sera ribaulde, si la prenez issue de gens de bien, instruicte en vertus & honesteté, non ayant hanté ne frequenté compaignie que de bonnes meurs, aymant & craignant Dieu, aymant complaire à Dieu par foy & obseruation de ses sainctz commandemens : craignant l’offenser & perdre sa grace par default de foy & transgression de sa diuine loy, en laquelle est rigoureusement defendu adultere, & commendé adhærer vnicquement à son mary, le cherir, le seruir, totalement l’aymer apres Dieu. Pour renfort de ceste discipline vous de vostre cousté l’entretiendrez en amitié coniugale, continuerez en preud’homie, luy monstrerez bon exemple, viurez pudicquement, chastement, vertueusement en vostre mesnaige, comme voulez qu’elle de son cousté viue. Car comme le mirouoir[238] est dict bon & perfaict, non celluy qui plus est orné de dorures & pierreries, mais celluy qui véritablement repræsente les formes obiectes : aussi celle femme n’est la plus à estimer, laquelle seroit riche, belle, elegante, extraicte de noble race : mais celle qui plus s’efforce auecques Dieu soy former en bonne grace, & conformer aux meurs de son mary. Voyez comment la Lune ne prent lumiere ne de Mercure, ne de Iuppiter, ne de Mars, ne d’aultre planette ou estoille qui soyt on ciel. Elle n’en reçoit que du Soleil son mary, & de luy n’en reçoit poinct plus qu’il luy en donne par son infusion & aspectz. Ainsi serez vous à vostre femme en patron & exemplaire de vertus & honesteté. Et continuement implorerez la grace de Dieu à vostre protection. Vous voulez doncques (dist Panurge fillant les moustaches de sa barbe) que i’espouse la femme forte descripte par Salomon[239]. Elle est morte sans poinct de faulte. Ie ne la veid oncques, que ie saiche, Dieu me le veuille pardonner. Grand mercy toutesfoys, mon pere. Mangez ce taillon de massepain. Il vous aydera à faire digestion : puys boirez vne couppe de Hippocras clairet : il est salubre & stomachal. Suyuons.


Comment Rondibilis medicin conseille Panurge.

Chapitre XXXI.


Panvrge continuant son propous, dist. Le premier mot que dist celluy qui escouilloit les moines beurs à Saussignac, ayant escouillé le frai Cauldaureil, feut : aux aultres. Ie diz pareillement : aux aultres. Cza, monsieur nostre maistre Rondibilis, depeschez moy. Me doibz ie marier ou non ? Par les ambles de mon mulet (respondit Rondibilis) ie ne sçay que ie doibue respondre à ce probleme. Vous dictez que sentez en vous les poignans aiguillons de sensualité. Ie trouue en nostre faculté de Medicine, & l’auons prins de la resolution des anciens Platonicques, que la concupiscence charnelle est refrenée par cinq moyens. Par le vin. Ie le croy, dist frere Ian. Quand ie suys bien yure, ie ne demande qu’à dormir. I’entends (dist Rondibilis) par vin prins intemperamment. Car par l’intemperance du vin aduient au corps humain refroidissement de sang, resolution des nerfs, dissipacion de semence generatiue, hebetation des sens, peruersion des mouuemens. Qui sont toutes impertinences à l’acte de generation. Defaict vous voyez painct Bacchus Dieu des Yuroignes, sans barbe, & en habit de femme, comme tout effœminé, comme eunuche & escouillé. Aultrement est du vin prins temperement. L’antique prouerbe nous le designe, on quel est dist : que Venus se morfond sans la compaignie de Ceres & Bacchus[240]. Et estoit l’opinion des anciens, scelon le recit de Diodore Sicilien[241], mesmement des Lampsaciens : comme atteste Pausanias[242], que messer Priapus feut filz de Bacchus & Venus.

Secondement par certaines drogues & plantes, les quelles rendent l’home refroidy, maleficié, & impotent à generation. L’experience y est en Nymphæa Heraclia, Amerine, Saule, Cheneué, Periclymenos, Tamarix, Vitex, Mandragore, Cigüe, Orchis le petit, la peau d’vn Hippopotame, & aultres : les quelles dedans les corps humains tant par leurs vertus elementaires, que par leurs proprietez specificques glassent & mortifient le germe prolificque : ou dissipent les espritz, qui le doibuoient conduire aux lieux destinez par nature : ou oppilent les voyes & conduictz, par les quelz pouoit estre expulsé. Comme au contraire nous en auons qui eschauffent, excitent, & habilitent l’home à l’acte Venerien. Ie n’en ay besoing (dist Panurge) Dieu mercy, & vous, nostre maistre. Ne vous desplaife toutesfoys. Ce que i’en diz, n’est par mal que ie vous veuille.

Tiercement (dist Rondibilis) par labeur assidu. Car en icelluy est faicte si grande dissolution du corps, que le sang qui est par icelluy espars pour l’alimentation d’vn chascun membre, n’a temps, ne loisir, ne faculté de rendre celle resudation seminale, & superfluité de la tierce concoction. Nature particuliairement se la reserue, comme trop plus necessaire à la conseruation de son indiuidu, qu’à la multiplication de l’espece & genre humain. Ainsi est dicte Diane chaste, laquelle continuellement trauaille à la chasse. Ainsi iadis estoient dictz les Castres, comme castes[243] : es quelz continuellement trauailloient les Athletes & soubdars. Ainsi escript Hippocrates lib. de aëre, aqua, & locis, de quelques peuples en Scythie, les quelz de son temps plus estoient impotens que Eunuches, à l’esbatement Venerien : par ce que continuellement ilz estoient à cheual & au trauail. Comme au contraire disent les Philosophes, Oysiueté estre mere de Luxure. Quand lon demandoit à Ouide, quelle cause feut parquoy Ægistus deuint adultere[244] ? rien plus ne respondoit, si non, parce qu’il estoit ocieux. Et qui housteroit Oyfiueté du monde, bien toust periroient les ars de Cupido : son arc, sa trousse, & ses fleches, luy seroient en charge inutile : iamais n’en feriroit persone. Car il n’est mie si bon archier, qu’il puisse ferir les Grues volans par l’aër, & les Cerfz relancez par les boucaiges, comme bien faisoient les Parthes : c’est à dire les humains tracassans & trauaillans. Il les demande quoys, assis, couchez, & à seiour. De faict Theophraste quelques foys interrogé, quelle beste, quelle chose il pensoit estre Amourettes ? respondit que c’estoient passions des espritz ocieux. Diogenes pareillement disoit Paillardise estre l’occupation des gens non aultrement occupez. Pourtant Canachus Sicyonien sculpteur voulent donner entendre que Oysiueté, Paresse, non chaloir, estoient les gouuernantes de ruffiennerie, feist la statue de Venus, assise, non de bout, comme auoient faict tous ses predecesseurs.

Quartement, par feruente estude. Car en icelle est faicte incredible resolution des espritz, tellement qu’il n’en reste de quoy poulser aux lieux destinez ceste resudation generatiue, & enfler le nerf cauerneux : duquel l’office est hors la proiecter pour la propagation d’humaine Nature. Qu’ainsi soit, contemplez la forme d’vn home attentif à quelque estude. Vous voirez en luy toutes les arteres du cerueau bendées comme la chorde d’vne arbaleste, pour luy fournir dextrement espritz suffisans à emplir les ventricules du sens commun, de l’imagination & apprehension, de la ratiocination & resolution, de la memoire & recordation : & agilement courir de l’vn à l’aultre par les conduictz manifestes en anatomie sus la fin du retz admirable, on quel se terminent les arteres : les quelles de la senestre armoire du cœur prenoient leur origine, & les espritz vitaulx affinoient en longs ambages, pour estre faictz animaulx. De mode que en tel personnaige studieux vous voirez suspendues toutes les facultez naturelles : cesser tous sens exterieurs : brief, vous le iugerez n’estre en soy viuent, estre hors soy abstraict par ecstase : & direz que Socrates n’abusoit du terme, quand il disoit Philosophie n’estre aultre chose que meditation de mort. Par aduenture est ce pour quoy Democritus se aueugla, moins estimant la perte de sa veue, que diminution de ses contemplations : les quelles il sentoit interrompues par l’esguarement des œilz. Ainsi est vierge dicte Pallas Déesse de Sapience, tutrice des gens studieux. Ainsi sont les Muses vierges. Ainsi demeurent les Charités en pudicité eternelle. Et me soubuient auoir leu[245], que Cupido quelques foys interrogé de sa mere Venus, pour quoy il n’assailloit les Muses ? respondit, qu’il les trouuoit tant belles, tant nettes, tant honestes, tant pudicques, & continuellement occupées : l’vne à contemplation des astres, l’autre à supputation des nombres, l’autre à dimension des corps Geometricques, l’aultre à inuention Rhetoricque, l’aultre à composition Poëticque, l’aultre à disposition de Musique : que approchant d’elles, il desbandoit son arc, fermoit sa trousse, & extaignoit son flambeau par honte & craincte de leurs nuire. Puys houstoit le bandeau de ses œilz pour plus apertement les veoir en face, & ouyr leurs plaisans chantz & odes Poëticques. Là prenoit le plus grand plaisir du monde. Tellement que souuent il se sentoit tout rauy en leurs beaultez & bonnes graces, & s’endormoit à l’harmonie. Tant s’en fault qu’il les voulsist assaillir, ou de leurs estudes distraire. En cestuy article ie comprens ce que escript Hippocrates on liure susdict, parlant des Scythes, & au liure intitulé, De geniture, disant tous humains estre à generation impotens, es quelz l’on a vne foys couppé les arteres parotides, les quelles sont à cousté des aureilles, par la raison cy dauant exposée, quand ie vous parlois de la resolution des espritz, & du sang spirituel, du quel les arteres sont receptacles : aussi qu’il maintient grande portion de la geniture sourdre du cerueau, & de l’espine du dours.

Quintement, par l’acte Venerien. Ie vous attendois là (dist Panurge) & le prens pour moy. Vse des præcedens qui vouldra. C’est (dist frere Ian) ce que Fray Scyllino prieur de sainct Victor lez Marseille appelle maceration de la chair. Et suys en ceste opinion : aussi estoit l’Hermite de saincte Radegonde au dessus de Chinon : que plus aptement ne porroient les hermites de Thebaïde macerer leurs corps, dompter certe paillarde Sensualité, deprimer la rebellion de la chair, que le feisant vingt & cinq ou trente foys par iour. Ie voy Panurge (dist Rondibilis) bien proportionné en ses membres, bien temperé en ses humeurs, bien complexionné en les espritz, en aage competent, en temps oportun, en vouloir equitable de soy marier : s’il rencontre femme de semblable temperature, ilz engendreront ensemble enfans dignes de quelque monarchie Transpontine. Le plus toust sera le meilleur, s’il veult veoir ses enfans pourueuz. Monsieur nostre maistre (dist Panurge) ie le seray, n’en doublez & bien toust. Durant vostre docte discours ceste Pusse que i’ay en l’aureille, m’a plus chatouillé que ne feist oncques. Ie vous retiens de la feste. Nous y ferons chere & demie, ie le vous prometz. Vous y amenerez vostre femme, s’il vous plaist, auecques ses voisines, cella s’entend. Et ieu sans villenie.


Comment Rondibilis declaire Coquage estre naturellement
des apennages de mariage.


Chapitre XXXII.


Reste (dist Panurge continuant) vn petit poinct à vuider. Vous auez aultres foys veu on confanon de Rome. S. P. Q. R.[246] Si peu que rien. Seray ie poinct coqu ? Haure de Grace (s’escria Rondibilis) que me demandez vous ? Si serez coqu ? Mon amy, ie suys marié, vous le serez par cy apres. Mais escriuez ce mot en vostre ceruelle auecques vn style de fer, que tout home marié, est en dangier d’estre coqu. Coquage est naturellement des apennages de mariage. L’vmbre plus naturellement ne suyt le corps, que Coquage suyt les gens mariez. Et quand vous oirez dire de quelqu’vn ces trois motz : Il est marié, si vous dictez, il est doncques, ou a esté, ou sera, ou peult estre coqu : vous ne serez dict imperit architecte de consequences naturelles. Hypochondres de tous les Diables (s’escria Panurge) que me dictez vous ! Mon amy (respondit Rondibilis) Hippocrates allant vn iour de Lango en Polystylo visiter Democritus le philosophe, escriuit vnes letres[247] à Dionys son antique amy, par les quelles le prioit que pendent son absence il conduist sa femme chés ses pere & mere, les quelz estoient gens honorables & bien famez, ne voulant qu’elle seule demourast en son mesnaige. Ce neantmoins qu’il veiglast sus elle soingneusement, & espiast quelle part elle iroit auecques sa mere, & quelz gens la visiteroient chés ses parens. Non (escriuoit il) que ie me defie de sa vertus & pudicité, laquelle par le passé m’a elle explorée & congnue : mais elle est femme. Voy là tout. Mon amy, le naturel des femmes nous est figuré par la Lune, & en aultres choses, & en ceste : qu’elles se mussent, elles se constraignent, & dissimulent en la veue & præsence de leurs mariz. Iceulx absens elles prenent leur aduentaige, se donnent du bon temps, vaguent, trotent, deposent leur hypocrisie, & se declairent : comme la Lune en coniunction du Soleil n’apparoist en ciel, ne en terre. Mais en son opposition, estant au plus du Soleil esloingnée, reluist en sa plenitude, & apparoist toute, notamment on temps de nuyct. Ainsi sont toutes femmes femmes[248].

Quand ie diz femme, ie diz vn sexe tant fragil, tant variable, tant muable, tant inconstant, & imperfaict, que nature me semble (parlant en tout honneur & reuerence) s’estre esguarée de ce bon sens, par lequel elle auoit créé & formé toutes choses, quand elle a basty la femme. Et y ayant pensé cent & cinq cens foys, ne sçay à quoy m’en resouldre : si non que forgeant la femme, elle a eu esguard à la sociale delectation de l’home, & à la perpetuité de l’espece humaine : plus qu’à la perfection de l’indiuiduale muliebrité. Certes Platon ne sçait en quel ranc il les doibue colloquer, ou des animans raisonnables, ou des bestes brutes. Car Nature leurs a dedans le corps posé en lieu secret & intestin vn animal, vn membre, lequel n’est es homes : on quel quelques foys sont engendrées certaines humeurs salses, nitreuses, bauracineuses, acres, mordicantes, lancinantes, chatouillantes amerement : par la poincture & fretillement douloureux des quelles (car ce membre est tout nerueux, & de vif sentement) tout le corps est en elles esbranlé, tous les sens rauiz, toutes affections interinées, tous pensemens confonduz. De maniere, que si Nature ne leurs eust arrousé le front d’vn peu de honte, vous les voiriez comme forcenées courir l’aiguillette plus espouantablement que ne feirent oncques les Prœtides, les Mimallonides, ne les Thyades Bacchicques au iour de leurs Bacchanales. Par ce que cestuy terrible animal a colliguance à toutes les parties principales du corps, comme est euident en l’Anatomie.

Ie le nomme animal, suyuant la doctrine tant des Academicques, que des Peripateticques. Car si mouuement propre est indice certain de chose animée, comme escript Aristoteles[249] : & tout ce qui de soy se meut, est dist animal : à bon droict Platon[250] le nomme animal, recongnoissant en luy mouuemens propres de suffocation, de præcipitation, de corrugation, de indignation : voire si violens, que bien souuent par eulx est tollu à la femme tout aultre sens & mouuement, comme si feust Lipothymie, Syncope, Epilepsie, Apoplexie, & vraye resemblance de mort. Oultre plus, nous voyons en icelluy discretion des odeurs manifeste, & le sentent les femmes fuyr les puantes, suyure les Aromaticques. Ie sçay que Cl. Galen[251] s’efforce prouuer que ne sont mouuemens propres & de soy, mais par accident : & que aultres de sa secte trauaillent à demonstrer, que ne soit en luy discretion sensitiue des odeurs : mais efficace diuerse procedente de la diuersité des substances odorées. Mais si vous examinez studieusement & pesez en la balance de Critolaus[252] leurs propous & raisons, vous trouuerez que & en ceste matiere, & beaucoup d’aultres ilz ont parlé par guayeté de cœur, & affection de reprendre leurs maieurs, plus que par recherchement de Verité. En cette disputation ie ne entreray plus auant. Seulement vous diray que petite ne est la louange des preudes femmes, les quelles ont vescu pudicquement & sans blasme, & ont eu la vertus de ranger cestuy effrené animal à l’obeissance de raison. Et seray fin si vous adiouste, que cestuy animal assouy (si assouy peut estre) par l’aliment que Nature luy a preparé en l’home, sont tous ses particuliers mouuemens à but : sont tous ses appetitz assopiz : sont toutes ses furies appaisées. Pourtant ne vous esbahissez, si sommes en dangier perpetuel d’estre coquz, nous qui n’auons pas tous iours bien de quoy payer, & satisfaire au contentement.

Vertus d’aultre que d’vn petit poisson, (dist Panurge) n’y sçauez vous remede aulcun en vostre art ? Ouy dea, mon amy, (respondit Rondibilis) & tresbon, du quel ie vse : & est escript en autheur celebre passé a dix huyct cens ans. Entendez. Vous estez (dist Panurge) par la vertus Dieu, home de bien, & vous ayme tout mon benoist saoul. Mangez vn peu de ce pasté de Coins : ilz ferment proprement l’orifice du ventricule à cause de quelque stypticité ioyeufe qui est en eulx, & aydent à la concoction premiere. Mais quoy ? Ie parle Latin dauant les clercs. Attendez que ie vous donne à boyre dedans cestuy hanat Nestorien. Voulez vous encores vn traict de Hippocras blanc ? Ne ayez paour de l’Esquinance, non Il n’y a dedans ne Squinanthi, ne Zinzembre, ne graine de Paradis. Il n’y a que la belle cinamome triée, & le beau sucre fin, auecques le bon vin blanc du cru de la Deuiniere, en la plante du grand Cormier, au dessus du Noyer groslier.


Comment Rondibilis medicin
donne remede à Coquage.


Chapitre XXXIII.


On temps (dist Rondibilis) que Iuppiter feist l’estat de la maison Olympicque, & le calendrier de tous ses Dieux & Déesses : ayant estably à vn chascun, iour & saison de la feste : assigné lieu pour les oracles & voyages : ordonné de leurs sacrifices : Feist il poinct (demanda Panurge) comme Tinteuille euesque d’Auxerre ? Le noble Pontife aymoit le bon vin, comme faict tout home de bien ; pourtant auoit il en soing & cure speciale le bourgeon pere ayeul de Bacchus. Or est que plusieurs années il veid lamentablement le bourgeon perdu par les gelées, bruines, frimatz, verglatz, froidures, gresles & calamitez aduenues par les festes des S. George, Marc, Vital, Eutrope, Philippe, saincte Croix, l’Ascension, & aultres, qui sont on temps que le Soleil passe soubs le signe de Taurus. Et entra en ceste opinion, que les saincts susditz estoient saincts gresleurs, geleurs, & guasteurs du bourgeon. Pourtant vouloit il leurs festes translater en hyuer, entre Noël & l’Epiphanie[253] : les licentiant en tout honneur & reuerence, de gresler lors, & geler tant qu’ilz vouldroient. La gelée lors en rien ne seroit dommageable, ains euidentement profitable au bourgeon. En leurs lieux mettre les festes des sainct Christophle, sainct Ian decollaz, saincte Magdalene, saincte Anne, sainct Dominicque, sainct Laurens, voire la Myoust colloquer en May. Es quelles tant s’en fault qu’on soit en dangier de gelée, que lors mestier on monde n’est, qui tant soit de requeste : comme est des faiseurs de friscades, composeurs de ioncades, agenseurs de feueillades, & refraischisseurs de vin.

Iuppiter (dist Rondibilis) oublia le paouure Diable Coqüage, lequel pour lors ne feut præsent : il estoit à Paris on Palais sollicitant quelque paillard procés pour quelqu’vn de ses tenanciers & vassaulx. Ne sçay quants iours après Coqüage entendit la forbe qu’on luy auoit faict : desista de sa sollicitation par nouuelle sollicitude de n’estre forclus de l’estat : & comparut en persone dauant le grand Iuppiter, alleguant ses merites præcedens, & les bons & agreables seruices que aultres foys luy auoit faict, & instantement requerant qu’il ne le laissast sans feste, sans sacrifices, sans honneur. Iuppiter se excusoit remonstrant, que tous ces benefices estoient distribuez, & que son estat estoit clous. Feut toutesfoys tant importuné par messer Coqüage, que en fin le mist en l’estat & catalogue, & luy ordonna en terre honneur, sacrifices & feste. Sa feste feut, pource que lieu vuide & vacant n’estoit en tout le calendrier, en concurrence & au iour de la Déesse Ialousie : sa domination, sus les gens mariez, notamment ceulx qui auroient belles femmes : ses sacrifices, soubson, defiance, malengroin, guet, recherche, & espies des mariz sus leurs femmes. Auecques commendement riguoureux à vn chascun marié, de le reuerer & honorer, celebrer sa feste à double : & luy faire les sacrifices susdictz. Sus peine & intermination, que à ceulz ne seroit messer Coqüage en faueur, ayde, ne secours, qui ne l’honoreroient comme est dict : iamais ne tiendroit de eulx compte : iamais n’entreroit en leurs maisons : iamais ne hanteroit leurs compaignies : quelques inuocations qu’ilz luy feissent : ains les laisseroit eternellement pourrir seulz auecques leurs femmes sans corriual aulcun : & les refuyroit sempiternellement comme gens Hæreticques & sacrileges. Ainsi qu’est l’vsance des aultres Dieux, entiers ceulx qui deuement ne les honorent : de Bacchus, enuers les vignerons : de Ceres, enuers les laboureux : de Pomona, enuers les fruictiers : de Neptune, enuers les nautonniers : de Vulcan, enuers les forgerons : & ainsi des aultres. Adioincte feut promesse au contraire infallible, qu’à ceulx, qui (comme est dict) chommeroient sa feste, cesseroient de toute negociation, mettroient leurs affaires propres en non chaloir, pour espier leurs femmes, les referrer & mal traicter par Ialousie, ainsi que porte l’ordonnance de ses sacrifices, il seroit continuellement fauorable : les aymeroit, les frequenteroit, seroit iour & nuyct en leurs maisons : iamais ne seroient destituez de sa præsence. I’ay dict.

Ha, ha, ha, (dist Carpalim en riant) voyla vn remede encores plus naïf que l’anneau de Hans Carüel. Le Diable m’emport, si ie ne le croy. Le naturel des femmes est tel. Comme la fouldre[254] ne brise & ne brusle, sinon les matieres dures, solides, resistentes : elle ne se arreste es choses molles, vuides, & cedentes : elle bruslera l’espée d’assier, sans endommaiger le fourreau de velours : elle consumera les os des corps sans entommer la chair qui les couure : ainsi ne bendent les femmes iamais la contention, subtilité, & contradidion de leurs espritz, si non enuers ce que congnoistront leurs estre prohibé & defendu. Certes (dist Hippothadée[255]) aulcuns de nos docteurs disent, que la premiere femme du monde, que les Hebrieux noment Eue, à poine eust iamais entré en tentation de manger le fruict de tout scauoir, s’il ne luy eust esté defendu. Qu’ainsi soit, consyderez comment le Tentateur cauteleux luy remembra on premier mot la defense sus ce faicte, comme voulent inferer : il t’est defendu, tu en doibs doncques manger : ou tu ne serois pas femme.


Comment les femmes ordinairement
appetent choses defendues.


Chapitre XXXIIII.


On temps (dist Carpalim) que i’estois ruffien à Orléans, ie n’auois couleur de Rhetoricque plus valable, ne argument plus persuasif enuers les dames, pour les mettre aux toilles, & attirer au ieu d’amours, que viuement, apertement, detestablement remonstrant comment leurs mariz estoient d’elles ialous. Ie ne l’auois mie inuenté. Il est escript. Et en auons loix, exemples, raisons, & experiences quotidianes. Ayans ceste persuasion en leurs caboches, elles feront leurs mariz coquz infalliblement par Dieu, sans iurer, deussent elles faire ce que feirent Semyramis, Pasiphaé, Egesta, les femmes de l’isle Mandés en Ægypte blasonées par Herodote & Strabo[256] : & aultres telles mastines.

Vrayement (dist Ponocrates) i’ay ouy compter[257], que le Pape Ian. XXII. passant vn iour par l’abbaye de Coingnaufond[258], feut requis par l’Abbesse, & meres discretes, leurs conceder vn indult, moyenant lequel se peussent confesser les vnes es aultres, alleguantes que les femmes de religion ont quelques petites imperfections secretes, les quelles honte insupportable leurs est deceler aux homes confesseurs : plus librement, plus familierement les diroient vnes aux aultres soubs le sceau de confession. Il n’y a rien (respondit le Pape) que voluntiers ne vous oultroye, mais ie y voy vn inconuenient. C’est que la confession doibt estre tenue secrette. Vous aultres femmes à poine la celeriez. Tresbien, (dirent elles) & plus que ne font les homes. Au iour propre le pere sainct leur bailla vne boyte en guarde, dedans laquelle il auoit faict mettre vne petite Linote : les priant doulcement qu’elles la serrassent en quelque lieu sceur & secret, leurs promettant en foy de Pape, oultroyer ce que portoit leur requeste, si elles la guardoient secrette : ce neantmoins leurs faisant defense riguoreuse, qu’elles ne eussent à l’ouurir en façon quelconques sus poine de censure ecclesiasticque & de excommunication eternelle. La defense ne feut si tost faiste, qu’elles grilloient en leurs entendemens d’ardeur de veoir qu’estoit dedans : & leurs tardoit que le Pape ne feut ia hors la porte, pour y vacquer. Le pere sainct auoir donné sa benediction sus elles, se retira en son logis. Il n’estoit encores trois pas hors l’Abbaye, quand les bonnes dames toutes à la foulle accoururent pour ouurir la boyte defendue, & veoir qu’estoit dedans. Au lendemain le Pape les visita en intention, ce leurs sembloit, de leurs depescher l’indult. Mais auant entrer en propous, commanda qu’on luy apportast sa boyte. Elle luy feut apportée. Mais l’oizillet n’y estoit plus. Adoncques leur remontra, que chose trop difficile leurs seroit receller les confessions, veu que n’auoient si peu de temps tenu en secret la boyte tant recommandée.

Monsieur nostre maistre, vous soyez le tresbien venu. I’ay prins moult grand plaisir vous oyant. Et loue Dieu de tout. Ie ne vous auois oncques puys veu que iouastez à Monspellier auecques nos antiques amys Ant. Saporta, Guy Bouguier, Balthasar Noyer, Tollet, Ian Quentin, François Robinet, Ian perdrier, & François Rabelais, la morale comœdie de celluy qui auoit espousé vne femme mute[259]. Ie y estois (dist Epistemon). Le bon mary voulut qu’elle parlait. Elle parla par l’art du Medicin & du Chirurgien, qui luy coupperent vn encyliglotte qu’elle auoit soubs la langue. La parolle recouuerte, elle parla tant, & tant, que son mary retourna au Medicin pour remede de la faire taire. Le Medicin respondit en son art bien auoir remedes propres pour faire parler les femmes : n’en auoir pour les faire taire[260]. Remede vnicque estre surdité du mary, contre cestuy interminable parlement de femme. Le paillard deuint sourd par ne sçay quelz charmes qu’ilz feirent. Sa femme voyant qu’il estoit sourd deuenu, qu’elle parloit en vain, de luy n’estoit entendue, deuint enraigée. Puys le Medicin demandant son salaire, le mary respondit qu’il estoit vrayement sourd : & qu’il n’entendoit sa demande. Le Medicin luy ieda on dours ne sçay quelle pouldre, par vertus de laquelle il deuint fol. Adoncques le fol mary & la femme enragée se raslierent ensemble & tant bastirent les Medicin & Chirurgien qu’ilz les laisserent à demy mors. Ie ne riz oncques tant, que ie feis à ce Patelinage.

Retournons à nos moutons[261] (dist Panurge). Vos parolles translatées de Barragouin en François voulent dire, que ie me marie hardiment, & que ne me soucie d’estre coqu. C’est bien rentré de treufles[262] noires. Monsieur nostre maistre, ie croy bien qu’au iour de mes nopces vous serez d’ailleurs empesché à vos pratiques, & que n’y pourrez comparoistre. Ie vous en excuse.

Stercus & vrina Medici sunt prandia prima.
Ex aliis paleas, ex istis collige grana.
[263]

Vous prenez mal, (dist Rondibilis) le vers subsequent est tel :

Nobis sunt signa, vobis sunt prandia digna.

Si ma femme se porte mal : I’en vouldrois veoir l’vrine, (dist Rondibilis) toucher le pouls : & veoir la disposition du basuentre, & des parties vmbilicares, comme nous commende Hippo. 2. Apho. 35. auant oultre proceder. Non, non, (dist Panurge) cela ne faict à propous. C’est pour nous aultres Legistes, qui auons la rubricque, De ventre inspiciendo[264]. Ie luy appreste vn clystere barbarin. Ne laissez vos affaires d’ailleurs plus vrgens. Ie vous enuoiray du rislé en vostre maison. Et serez tous iours nostre amy. Puys s’approcha de luy, & luy mist en main sans mot dire quatre Nobles à la rose. Rondibilis les print trestbien : puys luy dist en effroy comme indigné. He, he, he, monsieur, il ne failloit rien[265]. Grand mercy toutesfoys. De meschantes gens iamais ie ne prens rien. Rien iamais des gens de bien ie ne refuse. Ie suys tousiours à vostre commendement. En poyant, dist Panurge. Cela s’entend, respondit Rondibilis.


Comment Trouillogan Philosophe traicte
la difficulté de mariage.


Chapitre XXXV.


Ces parolles acheuées, Pantagruel dist à Trouillogan le philosophe. Nostre feal, de main en main vous est la lampe baillée[266]. C’est à vous maintenant de respondre, Panurge se doibt il marier, ou non ? Tous les deux, respondit Trouillogan. Que me dictez vous ? demanda Panurge. Ce que auez ouy, respondit Trouillogan. Que ay ie ouy ? demanda Panurge. Ce que i’ay dict, respondit Trouillogan. Ha, ha. En sommes nous là ! dist Panurge. Passe sans fluz. Et doncques me doibz ie marier ou non ? Ne l’vn ne l’aultre, respondit Trouillogan. Le Diable m’emport (dist Panurge) si ie ne deuiens resueur : & me puisse emporter, si ie vous entends. Attendez : ie mettray mes lunettes à celle aureille guausche, pour vous ouyr plus clair.

En cestuy instant Pantagruel aperceut vers la porte de la salle le petit chien de Gargantua, lequel il nommoit Kyne[267], pource que tel fut le nom du chien de Thobie. Adoncques dist à toute la compaignie. Nostre Roy n’est pas loing d’icy : leuons nous. Ce mot ne feut acheué, quand Gargantua entra dedans la salle du bancquet. Chascun se leua pour luy faire reuerence. Gargantua ayant debonnairement salüé toute l’assistence, dist. Mes bons amys, vous me ferez ce plaisir, ie vous en prie, de non laisser ne vos lieux ne vos propous. Apportez moy à ce bout de table vne chaire. Donnez moy que ie boyue à toute la compaignie. Vous soyez les tresbien venuz. Ores me dictez. Sur quel propous estiez vous ? Pantagruel luy respondit, que sus l’apport de la seconde table Panurge auoit propousé vne matiere problematicque, à sçauoir s’il se doibuoit marier ou non ? & que le pere Hippothadée & maistre Rondibilis estoient expediez de leurs responses : lors qu’il est entré respondoit le feal Trouillogan. Et premierement quand Panurge luy a demandé, me doibz ie marier ou non ? auoit respondu : Tous les deux ensemblement : à la seconde foys auoit dict : Ne l’vn ne l’aultre. Panurge se complainct : de telles repugnantes & contradictoires responses : & proteste n’y entendre rien. Ie l’entends (dist Gargantua) en mon aduis. La response est semblable à ce que dist vn ancien philosophe[268] interrogé s’il auoit quelque femme qu’on luy nommoit ? Ie l’ay (dist il) amie, mais elle ne me a mie. Ie la possede, d’elle ne suys possedé. Pareille response (dist Pantagruel) feist vne fantesque de Sparte[269]. On luy demanda si iamais elle auoit eu affaire à home ? Respondit que non iamais : bien que les homes quelques foys auoient eu affaire à elle. Ainsi (dist Rondibilis) mettons nous neutre en Medicine, & moyen en philosophie : par participation de l’vne & l’aultre extremité : par abnegation de l’vne & l’aultre extremité : & par compartiment du temps, maintenant en l’vne, maintenant en l’aultre extremité. Le sainct Enuoyé[270] (dist Hippothadée) me semble l’auoir plus apertement declairé, quand il dist. Ceulx qui sont mariez, soient comme non mariez : ceulx qui ont femme, soient comme non ayans femme. Ie interprete (dist Pantagruel) auoir & n’auoir femme en ceste façon : que femme auoir, est l’auoir à vsaige tel que nature la créa, qui est pour l’ayde, esbatement, & societé de l’home : n’auoir femme, est ne soy apoiltronner autour d’elle : pour elle ne contaminer celle vnicque & supreme affection que doibt l’home à Dieu : ne laisser les offices qu’il doibt naturellement à sa patrie, à la Republicque, à ses amys : ne mettre en non chaloir ses estudes & négoces, pour continuellement à sa femme complaire. Prenant en ceste maniere auoir & n’auoir femme, ie ne voids repugnance ne contradiction es termes.


Continuation des responses de Trouillogan
philosophe Ephectique & Pyrrhonien.


Chapitre XXXVI.


Vovs dictez d’orgues, respondit Panurge. Mais ie croy que ie suis descendu on puiz tenebreux, onquel disoit Heraclytus[271] estre Verité cachée. Ie ne voy goutte : ie n’entends rien : ie sens mes sens tous hebetez. Et doubte grandement que ie soye charmé. Ie parleray d’aultre style. Nostre feal, ne bougez. N’emboursez rien. Muons de chanse, & parlons sans disiunctiues. Ces membres mal ioinctz vous faschent, à ce que ie voy. Or çà, de par Dieu. Me doibz ie marier ? trovillogan. Il y a de l’apparence. panvrge. Et si ie ne me marie poinct ? trov. Ie n’y voy inconuenient aulcun. panvr. Vous n’y en voyez poinct ? tro. Nul, ou la veue me deçoit. pan. Ie y en trouue plus de cinq cens. tro. Comptez les. pan. Ie diz improprement parlant : & prenent nombre certain pour incertain : determiné, pour indeterminé. C’est à dire beaucoup. trovil. I’escoute. panvr. Ie ne peuz me passer de femme, de par tous les diables. trovil. Houstez ces villaines bestes. panvr. De par Dieu soit. Car mes Salmiguondinoys disent coucher seul ou sans femme, estre vie brutale, & telle la disoit Dido en ses lamentations[272]. trovil. A vostre commandement. panvr. Pe le quau Dé, i’en suis bien. Doncques me mariray ie ? trovil. Par aduenture[273]. pan. M’en trouueray ie bien ? tro. Scelon la rencontre. pan. Aussi si ie rencontre bien, comme i’espoire, seray ie heureux ? tro. Allez. pan. Tournons à contrepoil. Et si rencontre mal ? tro. Ie m’en excuse. pan. Mais conseillez moy, de grâce. Que doibs ie faire ? tro. Ce que vouldrez. pan. Tarabin tarabas. tro. Ne inuocquez rien, ie vous prie. pa. On nom de Dieu soit, Ie ne veulx sinon ce que me conseillerez. Que m’en conseillez vous ? tro. Rien. pan. Me mariray ie ? trov. Ie n’y estois pas. pan. Ie ne me mariray doncques poinct ? tro. Ie n’en peu mais. pan. Si ie ne suys marié, ie ne seray iamais coqu ? tro. Ie y pensois. pan. Mettons le cas que ie sois marié. tro. Où le mettrons nous ? pa. Ie dis, Prenez le cas que marié ie soys. tro. Ie suys d’ailleurs empesché. pa. Merde en mon nez, Dea, si ie osasse iurer quelque petit coup en cappe[274], cela me soulageroit d’autant. Or bien. Patience. Et doncques, si ie suys marié, ie seray coqu ? tro. On le diroit. pa. Si ma femme est preude & chaste, ie ne feray iamais coqu ? tro. Vous me semblez parler correct. pa. Escoutez. tro. Tant que vouldrez. pan. Sera elle preude & chaste ? Reste seulement ce poinct. trovil. I’en doubte. pan. Vous ne la veistez iamais ? tro. Que ie sache. pan. Pour quoy doncques doubtez vous d’vne chose que ne congnoissez ? tro. Pour cause. pa. Et si la congnoissiez ? tro. Encores plus. panv. Paige mon mignon, tien icy mon bonnet, ie le te donne, saulue les lunettes, & va en la basse court iurer vne petite demie heure pour moy[275]. Ie iureray pour toy quand tu vouldras. Mais qui me fera coqu ? trovil. Quelqu’vn. panvr. Par le ventre beuf de boys, ie vous froteray bien monsieur le quelqu’vn. trov. Vous le dictez. pan. Le diantre, celluy qui n’a poinct de blanc en l’œil m’emporte doncques : ensemble si ie ne boucle ma femme[276] à la Bergamasque, quand ie partiray hors mon serrail. tr. Discourez mieulx. pa. C’est bien chien chié chanté[277] pour les discours. Faisons quelque resolution. tr. Ie n’y contrediz. pa. Attendez. Puis que de cestuy endroict ne peuz sang de vous tirer, ie vous saigneray d’aultre vene. Estez vous marié ou non ? tr. Ne l’vn ne l’aultre, & tous les deux ensemble. pa. Dieu nous soit en ayde. Ie sue par la mort beuf d’ahan : & sens ma digestion interrompue. Toutes mes phrenes, metaphrenes, & diaphragmes sont suspenduz & tenduz pour incornisistibuler en la gibbessiere de mon entendement[278] ce que dictez & respondez. tr. Ie ne m’en empesche. pa. Trut auant. Nostre feal, estez vous marié ? tr. Il me l’est aduis. pa. Vous l’auiez esté vne aultre foys ? tr. Possible est. pa. Vous en trouuastez vous bien la premiere fois ? tr. Il n’est pas impossible. pa. A ceste seconde fois comment vous en trouuez vous ? tr. Comme porte mon sort fatal. panvr. Mais quoy, à bon essiant, vous en trouuez vous bien ? trovil. Il est vray semblable. panv. Or ça, de par Dieu. I’aymeroys, par le fardeau de sainct Christofle, autant entreprendre tirer vn pet d’vn Asne mort, que de vous vne resolution. Si vous auray ie à ce coup. Nostre feal, faisons honte au diable d’enfer, confessons verité. Feustez vous iamais coqu ? Ie diz vous qui estez icy : ie ne diz pas vous qui estez là bas au ieu de paulme. trovil. Non, s’il n’estoit prædestiné. pan. Par la chair, ie renie : par le sang, ie renague : par le corps, ie renonce. Il m’eschappe. A ces motz Gargantua se leua, & dist. Loué soit le bon Dieu en toutes choses. A ce que ie voy, le monde est deuenu beau filz depuys ma congnoissance premiere. En sommes nous là ? Doncques sont huy les plus doctes & prudens philosophes entrez on phrontistere & escholle des Pyrrhoniens, Aporrheticques, Scepticques, & Ephectiques. Loué soit le bon Dieu. Vrayement on pourra dorenauant prendre les Lions par les Iubes : les cheuaulx par les crains : les bœufz par les cornes : les bufles, par le museau : les loups, par la queue : les cheures, par la barbe : les oiseaux, par les piedz. Mais ia ne seront telz Philosophes par leurs parolles pris[279]. Adieu, mes bons amys. Ces motz prononcez, se retira de la compaignie. Pantagruel & les aultres le vouloient suyure : mais il ne le voulut permettre.

Issu Gargantua de la salle, Pantagruel dist es inuitez. Le Timé de Platon au commencement de l’assemblée compta les inuitez : nous au rebours les compterons en la fin. Vn, deux, trois : où est le quart ? N’estoit ce nostre amy Bridoye ? Epistemon respondit, auoir esté en sa maison pour l’inuiter : mais ne l’auoir trouué. Vn huissier du parlement Myrelinguoys en Myrelingues, l’estoit venu querir & adiourner pour personellement comparoistre, & dauant les Senateurs raison rendre de quelque sentence par luy donnée. Pourtant estoit il au iour præcedent departy affin de soy repræsenter au iour de l’assignation, & ne tomber en deffault ou contumace. Ie veulx (dist Pantagruel) entendre que c’est. Plus de quarante ans y a qu’il est iuge de Fonsbeton : icelluy temps pendent a donné plus de quatre mille sentences definitiues. De deux mille trois cens & neuf sentences par luy données feut appellé par les parties condemnées en la Court souueraine du parlement Mirelinguoys en Mirelingues : toutes par arrestz d’icelle ont esté ratifiées, approuuées, & confirmées : les appeaulx renuersez, & à neant mis. Que maintenant doncques soit personellement adiourné sur ses vieulx iours : il qui par tout le passé a vescu tant sainctement en son estat, ne peut estre sans quelque desastre. Ie luy veulx de tout mon pouoir estre aidant en æquité. Ie sçay huy tant estre la malignité du monde aggrauée, que bon droict a bien besoing d’aide. Et præsentement delibere y vacquer de paour de quelque surprinse. Allors feurent les tables leuées. Pantagruel feist es inuitez dons precieux & honorables de bagues, ioyaulx, & vaissele tant d’or comme d’argent : & les auoir cordialement remercié, se retira vers sa chambre.


Comment Pantagruel persuade à Panurge prendre
conseil de quelque fol.


Chapitre XXXVII.


Pantagrvel soy retirant, aperceut par la guallerie Panurge en maintien de vn resueur rauassant, & dodelinant de la teste, & luy dist. Vous me semblez à vne souriz empegée : tant plus elle s’efforce soy depestrer de la poix, tant plus elle s’en embrene. Vous semblablement efforsant issir hors les lacs de perplexité, plus que dauant y demourez empestré, & n’y sçay remede fors vn. Entendez. I’ay souuent ouy en prouerbe vulguaire, Qu’vn fol enseigne bien vn saige. Puys que par les responses des saiges n’estez à plein satisfaict, conseillez vous à quelque fol. Pourra estre que ce faisant, plus à vostre gré serez satisfaict & content. Par l’aduis, conseil, & prædiction des folz vous sçauez quants princes, roys, & republicques ont esté conseruez, quantes batailles guaingnées, quantes perplexitez dissolues. Ia besoing n’est vous ramenteuoir les exemples. Vous acquiescerez en ceste raison. Car come celluy qui de prés regarde à ses affaires priuez & domesticques, qui est vigilant & attentif au gouuernement de la maison, duquel l’esprit n’est poinct esguaré, qui ne pert occasion queconques de acquérir & amasser biens & richesses, qui cautement sçayt obuier es inconueniens de paoureté, vous appeliez Saige mondain, quoy que fat soit il en l’estimation des Intelligences cœlestes : ainsi faut il pour dauant icelles saige estre, ie diz sage & præsage par aspiration diuine, & apte à recepuoir benefice de diuination, se oublier soymesmes, issir hors de soymesmes, vuider ses sens de toute terrienne affection, purger son esprit de toute humaine sollicitude, & mettre tout en non chaloir. Ce que vulguairement est imputé à follie. En ceste maniere feut du vulgue imperit appellé Fatuel[280] le grand vaticinateur Faunus filz de Picus roy des Latins. En ceste maniere voyons nous entre les Iongleurs à la distribution des rolles le personaige du Sot & du Badin estre tous iours representé par le plus perit & perfaict loueur de leur compaignie. En ceste maniere disent les Mathematiciens vn mesmes horoscope estre à la natiuité des Roys & des Sotz. Et donnent exemple de Æneas, & Chorœbus, lequel Euphorion dict auoir esté fol, qui eurent vn mesme genethliaque. Ie ne seray hors de propous, si ie vous raconte ce que dist Io. André sus vn canon de certain rescript papal addressé au Maire & Bourgeoys de la Rochelle : & apres luy Panorme en ce mesmes canon : Barbatia sus les Pandedes, & recentement Iason en ses conseilz, de Seigny Ioan[281] fol insigne de Paris, bisayeul de Caillette. Le cas est tel.

A Paris en la roustisserie du petit Chastelet, au dauant de l’ouurouoir d’vn Roustisseur vn Faquin mangeoit son pain à la fumée du roust, & le trouuoit ainsi perfumé grandement sauoureux. Le Roustisseur le laissoit faire. En fin quand tout le pain feut baufré, le Roustisseur happe le Faquin au collet, & vouloit qu’il luy payast la fumée de son roust. Le Faquin disoit en rien n’auoir les viandes endommaigé : rien n’auoir du sien prins : en rien ne luy estre debiteur. La fumée dont estoit question, euaporoit par dehors : ainsi comme ainsi se perdoit elle : iamais n’auoit esté ouy que dedans Paris on eust vendu fumée de roust en rue. Le Roustisseur replicquoit que de fumée de son roust n’estoit tenu nourrir les Faquins : & renïoit en cas qu’il ne le payast, qu’il luy housteroit ses crochetz. Le Faquin tire son tribart, & se mettoit en defense. L’altercation feut grande. Le badault peuple de Paris accourut au debat de toutes pars. Là se trouua à propous Seigny Ioan le fol Citadin de Paris. L’ayant apperceu le Roustisseur, demanda au Faquin. Veulx tu sus nostre different croire ce noble Seigny Ioan ? Ouy par le sambreguoy, respondit le Faquin. Adoncques Seigny Ioan auoir leur discord entendu, commenda au Faquin, qu’il luy tirast de son baudrier quelque piece d’argent. Le Faquin luy mist en main vn Tournoys Philippus. Seigny Ioan le print, & le mist sus son espaule guaulche, comme explorant s’il estoit de poys : puys le timpoit sus la paulme de sa main guausche, comme pour entendre s’il estoit de bon alloy : puys le posa lus la prunelle de son œil droict, comme pour veoir s’il estoit bien marqué. Tout ce feut faict en grande silence de tout le badault peuple, en ferme attente du Roustisseur, & desespoir du Faquin. En fin le feist sus l’ouuroir sonner par plusieurs foys. Puys en maiesté Præsidentale tenent sa marote on poing, comme si feust vn sceptre, & affeublant en teste son chapperon de martres cingesses à aureilles de papier, fraizé à poincts d’orgues, toussant prealablement deux ou trois bonnes foys, dist à haulte voix. La court vous dict que le Faquin qui a son pain mangé à la fumée du roust, ciuilement a payé le Roustisseur au son de son argent. Ordonne ladicte court que chascun se retire en sa chascuniere : sans despens, & pour cause. Ceste sentence du fol Parisien tant a semblé equitable, voire admirable es docteurs susdictz, qu’ilz font doubte en cas que la matiere eust esté on Parlement dudict lieu, ou en la rotte à Rome, voire certes entre les Areopagites decidée, si plus iuridicquement eust elle par eulx sententié. Pourtant aduisez si conseil voulez de vn fol prendre.


Comment par Pantagruel & Panurge est Triboullet blasonné[282].

Chapitre XXXVIII.


Donnant mon ame (respondit Panurge) ie le veulx. Il m’est aduis que le boyau m’eslargit. Ie l’auois nagueres bien serré & constipé. Mais ainsi comme auons choizy la fine creme de Sapience pour conseil, aussi vouldrois ie qu’en nostre consultation præsidast quelqu’vn qui feust fol en degré souuerain. Triboulet (dist Pantagruel) me semble competentement fol. Panurge respond. Proprement & totalement fol.

.pantagrvel. Pantagruel f. fatal[283].
f. de nature.
f. Iouial.
f. Mercurial.
f. Lunaticque.
f. erraticque.
f. ecentricque.
f. æteré & Iunonien.
f. arctique.
f. heroicque.
f. Genial.
f. prædestiné.
f. Auguste.
f. Cæsarin.
f. Imperial.
f. Royal.
f. Patriarchal.
f. Original.
f. loyal.
f. ducal.
f. banerol.
f. seigneurial.
f. palatin.
f. principal.
f. pretorial.
f. total.
f. eleu.
f. curial.
f. primipile.
f. triumphant.
f. vulguaire.
f. domestique.
f. exemplaire.
f. rare & peregrin.
f. aulicque.
f. ciuil.
f. populaire.
f. familier.
f. insigne.
f. fauorit.
f. Latin.
f. ordinaire.
f. redoubté.
f. transcendent.
f. souuerain.
f. special.
f. Metaphysical.
f. ecstaticque.
f. Categoricque.
f. predicable.
f. decumane.
f. officieux.
f. de perspectiue.
f. d’Algorisme.
f. d’Algebra.
f. de Caballe.
f. Talmudicque.
f. d’Alguamala.
f. compendieux.
f. abreuié.
f. hyperbolicque.
f. antonomaticque.
f. allegoricque.
f. tropologicque.
f. pleonasmicque.
f. capital.
f. cerebreux.
f. cordial.
f. intestin.
f. epaticque.
f. spleneticque.
f. venteux.
f. legitime.
f. d’Azimut.
f. d’Almicantarath.
f. proportionné.
f. d’architraue.
f. de pedestal.
f. parraguon.
f. celebre.
f. alaigre.
f. solennel[284].
f. annuel.
f. festiual.
f. recreatif.
f. villaticque.
f. plaisant.
f. priuilegié.
f. rusticque.
f. ordinaire.
f. de toutes heures.
f. en diapason.
f. resolu.
f. hieroglyphicque.
f. autenticque.
f. de valleur.
f. precieux.
f. fanaticque.
f. fantasticque.
f. lymphaticque.
f. Panicque.
f. alambicqué.
f. non fascheux.
f. caché.
.panvrge. Pa. f. de haulte game.
f. de b quarre & de b mol.
f. terrien.
f. ioyeulx & folastrant.
f. iolly & folliant.
f. à pompettes.
f. à pilettes.
f. à sonnettes.
f. riant & Venerien.
f. de soubstraicte.
f. de mere goutte.
f. de la prime cuuée.
f. de montaison.
f. original.
f. Papal.
f. consistorial.
f. conclauiste.
f. buliste.
f. synodal.
f. Episcopal.
f. Doctoral.
f. Monachal.
f. fiscal.
f. extrauaguant.
f. à bourlet.
f. à simple tonsure.
f. cotal.
f. gradué nommé en follie.
f. commensal.
f. premier de sa licence.
f. caudataire.
f. de supererogation.
f. collateral.
f. alateré alteré.
f. niais.
f. passagier.
f. branchier.
f. aguard.
f. gentil.
f. maillé.
f. pillart.
f. reuenu de queue.
f. griays.
f. radotant.
f. de soubarbade.
f. boursouflé.
f. supercoquelicantieux.
f. corollaire.
f. de leuant.
f. soubelin.
f. cramoisy.
f. tainct en graine.
f. bourgeoys.
f. vistempenard.
f. de gabie.
f. modal.
f. de seconde intention.
f. Tacuin.
f. heteroclite.
f. Sommiste.
f. Abreuiateur.
f. de morisque.
f. bien bullé.
f. mandataire.
f. capussionnaire.
f. titulaire.
f. Tapinois.
f. rebarbatif.
f. bien mentulé.
f. mal empieté.
f. couilart.
f. grimault.
f. esuenté.
f. culinaire.
f. de haulte fustaie.
f. contrehastier.
f. marmiteux.
f. catarrhé.
f. braguart.
f. à xxiiij caratz.
f. bigearre.
f. guinguoys.
f. à la Martingualle.
f. à bastons.
f. à marotte.
f. de bons bies.
f. à la grande laise.
f. trabuchant.
f. susanné.
f. de rustrie.
f. à plain bust.
f. guourrier.
f. guourgias.
f. d’arrachepied.
f. de Rebus.
f. à patron.
f. à chapron.
f. à double rebras.
f. à la Damasquine.
f. de tauchie.
f. d’azemine.
f. barytonnant.
f. mouscheté.
f. à espreuue de hacquebutte.

Pant. Si raison estoit pourquoy iadis en Rome les Quirinales on nommoit la feste des folz, iustement en France on pourroit instituer les Triboulletinales. Pan. Si tous folz portoient cropiere, il auroit les fesses bien escorchées. Pant. S’il estoit Dieu Fatuel, du quel auons parlé, mary de la diue Fatue[285], son pere seroit Bonadies, sa grande mere Bonedée. Pan. Si tous folz alloient les ambles, quoy qu’il ayt les iambes tortes, il passeroit de vne grande toise. Allons vers luy sans seiourner. De luy aurons quelque belle resolution, ie m’y attends. Ie veulx (dist Pantagruel) assister au iugement de Bridoye. Ce pendent que ie iray en Myrelingues, (qui est dela la riuiere de Loyre) ie depescheray Carpalim pour de Bloys icy amener Triboullet. Lors feut Carpalim depesché. Pantagruel acompaigné de ses domesticques Panurge, Epistemon, Ponocrates, frere Ian, Gymnalle, Rhizotome, & aultres print le chemin de Myrelingues.


Comment Pantagruel assiste au iugement du iuge
Bridoye, lequel sententioit les procés
au fort des dez.
[286]

Chapitre XXXIX.


Av iour subsequent à heure de l’assignation Pantagruel arriua en Myrelingues. Les President, Senateurs, & Conseilliers le prierent entrer auecques eulx, & ouyr la decision des causes & raisons que allegueroit Bridoye, pourquoy auroit donné certaine sentence contre l’esleu Toucheronde, laquelle ne sembloit du tout æquitable à icelle Court centumuirale[287]. Pantagruel entre voluntiers : & là trouue Bridoye on mylieu du parquet assis : & pour toutes raisons & excuses rien plus ne respondent, si non qu’il estoit vieulx deuenu, & qu’il n’auoit la veue tant bonne comme de coultume : alleguant plusieurs miseres & calamitez que vieillesse apporte auecques soy, les quelles not. per Archid. d. lxxxvj. c. tanta. Pourtant ne congnoissoit il tant distinctement les poinctz des dez, comme auoit faict par le passé. Dont pouoit estre, qu’en la façon que Isaac vieulx & mal voyant print Iacob pour Esaü[288] : ainsi à la decision du procés, dont estoit question, il auroit prins vn quatre pour vn cinq : notamment referent que lors il auoit vsé de ses petits dez. Et que par disposition de droict les imperfections de Nature ne doibuent estre imputées à crime, comme apert ff. de re milit. l. qui cum vno. ff. de reg. iur. l. fere. ff. de edil. ed. per totum. ff. de term. mo. l. Diuus Adrianus resolu. per Lud. Ro. in l. si verò. ff. solu. matri. Et qui aultrement seroit, non l’home accuseroit, mais Nature, comme est euident in l. maximum vitium. C. de lib. præter.

Quelz dez (demandoit Trinquamelle grand Præsident d’icelle court) mon amy, entendez vous ? Les dez (respondit Bridoye) des iugemens, Alea iudiciorum[289], des quelz est escript par doct. 26. q. ij. c. Sors l. nec emptio. ff. de contrah. empt. l. quod debetur. ff. de pecul. & ibi Barthol. Et des quelz dez vous aultres messieurs ordinairement vsez en ceste vostre court souueraine, aussi font tous aultres iuges en decision des procés, suyuans ce qu’en a noté D. Henr. Ferrandat. & no. gl. in c. fin. de sortil. & l. fed cum ambo. ff. de iudi. vbi doct. notent que le sort est fort bon, honeste, vtile & necessaire à la vuidange des procés & dissentions. Plus encores apertement l’ont dict Bal. Bart. & Alex. C. communia de l. Si duo.

Et comment (demandoit Trinquamelle) faictez vous, mon amy ? Ie (respondit Bridoye) responderay briesuement scelon l’enseignement de la l. Ampliorem. §. in refutatoriis. C. de appella. & ce que dit Gl. l. j. ff. quod met. eau. Gaudent breuitate moderni[290]. Ie fays comme vous aultres messieurs, & comme est l’vsance de iudicature : à laquelle nos droictz commendent tousiours deferer, vt no. extra, de consuet. c. ex literis. & ibi Innoc. Ayant bien veu, reueu, leu, releu, paperassé, & feueilleté les complaintes, adiournemens, comparitions, commissions, informations, auant procedez, productions, alleguations, intendictz, contredictz, requestes, enquestes, repliques, dupliques, tripliques, escriptures, reproches, griefz, saluations, recollemens, confrontations, acarations, libelles, apostoles, letres royaulx, compulsoires, declinatoires, anticipatoires, euocations, enuoyz, renuoyz, conclusions, fins de non proceder, apoinctemens, reliefs, confessions, exploictz & aultres telles dragées & espisseries d’vne part & d’aultre, comme doibt faire le bon iuge scelon qu’en a no. Spec. de ordinario. §. iij. & tit. de offi. om. iu. §. fi. & de rescriptis præsenta. §. j. Ie pose sus le bout de table en mon cabinet tous les sacs du defendeur : & luy liure chanse premierement, comme vous aultres messieurs. Et est not. l. Fauorabiliores. ff. de reg. iur. & in c. cum sunt eod. tit. lib. vj. qui dict. Cum sunt partium iura obscura, reo fauendum est potius quàm actori.[291] Cela faict, ie pose les sacs du demandeur, comme vous aultres messieurs, sus l’aultre bout visum visu. Car, opposita iuxta se posita magis elucescunt[292], vt not. in l. j. §. videamus. ff. de his qui sunt sui vel alie. iur. & in l. munerum. j. mixta. ff. de muner. & honor. Pareillement & quant & quand ie luy liure chanse.

Mais (demandoit Trinquamelle) mon amy, à quoy congnoissez vous l’obscurité des droictz prætenduz par les parties playdoiantes ? Comme vous aultres messieurs, (respondit Bridoye) sçauoir est, quand il y a beaucoup de sacs d’vne part & de aultre. Et lors ie vse de mes petiz dez, comme vous aultres messieurs, suyuant la loy. Semper in stipulationibus. ff. de reg. iur. & la loy versale versisiéeq[293] ; eod. tit. Semper in obscuris quod minimum est sequimur.[294] canonizée in c. in obscuris eod. tic. lib. vi. I’ay d’aultres gros dez bien beaulx & harmonieux, des quelz ie vse, comme vous aultres meilleurs, quand la matiere est plus liquide, c’est à dire, quand moins y a de sacs.

Cela faict, (demandoit Trinquamelle) comment sentenciez vous, mon amy ? Comme vous aultres messieurs, respondit Bridoye, pour celluy ie donne sentence duquel la chanse liurée par le sort du dez iudiciaire, Tribunian, prætorial, premier aduient. Ainsi commendent nos droictz. ff. qui po. in pig. l. potior. leg. creditor. C. de consul. l. j. Et de reg. iur. in vj. Qui prior est tempore, potior est iure.[295]


Comment Bridoye expose les causes pourquoy
il visitoit les procés qu’il decidoit
par le fort des dez.


Chapitre XL.


Voyre mais (demandoit Trinquamelle) mon amy, puis que par sort & iect des dez vous faictez vos iugemens, pourquoy ne liurez vous ceste chanse le iour & heure propre que les parties controuerses comparent par dauant vous, sans aultre delay ? De quoy vous seruent les escriptures & aultres procedures contenues dedans les sacs ? Comme à vous aultres messieurs (respondit Bridoye) elles me seruent de trois choses exquises, requises, & autenticques. Premierement pour la forme, en omission de laquelle ce qu’on a faict n’estre valable prouue tresbien Spec. tit. de instr. edi. & tit. de rescrip. præsent. D’aduantaige vous sçauez trop mieux que souuent en procedures iudiciaires les formalitez destruisent les materialitez & substances. Car forma mutata mutatur substantia.[296] ff. ad exhib. l. Iulianus ff. ad leg. falcid. l. Si is qui quadringenta. Et extra, de deci. c. ad audientiam, & de celebra, miff. c. in quadam.

Secondement comme à vous aultres messieurs, me seruent d’exercice honeste & salutaire. Feu M. Othoman Vadare grand Medicin, comme vous diriez. C. de comit. & archi. lib. xij. m’a dict maintes foys que faulte d’exercitation corporelle est cause vnicque de peu de santé & briefueté de vie de vous aultres messieurs, & tous officiers de iustice. Ce que tresbien auant luy estoit noté par Bart. in l. j. C. de senten. quæ pro eo quod. Pourtant sont comme à vous aultres messieurs, à nous consecutiuement, quia accessorium naturam sequitur principalis[297], de reg. iur. lib. vj. & l. cum principalis. & l. nihil dolo. ff. eod. titu. ff. de fideiusso. l. fideiussor. & extra de offi. de leg. c. j. concedez certains ieuz d’exercice honeste & recreatif, ff. de al. lus. & aleat. l. solent. & autent. vt omnes obediant, in princ coll. vij. & ff. de præscript. verb. l. si gratuitam. & l. j. C. de spect. lib. xj. Et telle est l’opinion D. Thomæ in secunda secundæ quæst. clxviij bien à propous alleguée per D. Alber. de Rof. lequel suit magnus practicus & docteur solennel, comme atteste Barbatia in prin. consil. La raison est exposée per gl. in proœmio. ff. §. ne autem tertij.

Interpone tuis interdum gaudia curis.[298]

De faict vn iour en l’an. 1489. ayant quelque affaire bursal en la chambre de messieurs les Generaulx, & y entrant par permission pecuniaire de l’huissier, comme vous aultres messieurs sçauez que pecuniæ obediunt omnia[299], & l’a dict Bald. in l. Singularia. ff. si certum pet. & Salic, in l. recepticia. C. de constit, pecun. & Card. in Cle. j. de baptis. Ie les trouuay tous iouans à la mousche par exercice salubre auant le past, ou apres : il m’est indifferent pourueu que hic no.[300] que le ieu de la mousche est honeste, salubre, antique, & legal à Musco[301] inuentore. de quo. C. de petit, hæred. l. si post motam : & Muscarii[302] i. ceulx qui iouent à la mousche sont excusables de droict l. j. C. de excus. artif. lib. x. Et pour lors estoit de mousche M. Tielman Picquet, il m’en soubuient : & rioyt de ce que messieurs de la dicte chambre guastoient tous leurs bonnetz à force de luy dauber ses espaules : les disoit ce nonobstant n’estre de ce deguast de bonnetz excusables au retour du palais enuers leurs femmes par c. i. extra de præsump. & ibi gl. Or resolutoriè loquendo[303] ie diroys comme vous aultres meilleurs, qu’il n’est exercice tel, ne plus aromatisant en ce monde Palatin, que vuider sacs, feueilleter papiers, quotter cayers, emplir paniers, & visiter procés, ex Bart. & Io. de pra. in l. falsa. de condit. & demon, ff.

Tiercement, comme vous aultres messieurs, ie consydere que le temps meurist toutes choses : par temps toutes choses viennent en euidence : le temp est pere de Verité, gl. in l. j. C. de seruit. Autent. de restit. & ea quæ pa. & Spec. tit. de requis. cons. C’est pourquoy, comme vous aultres messieurs ie sursoye, delaye, & differe le iugement : affin que le procés bien ventilé, grabelé, & debatu vieigne par succession de temps à sa marurité : & le sort par apres aduenent soit plus doulcettement porté des parties condemnées, comme no. glo. ff. de excu. tut. l. Tria onera. Portatur leuiter quod porcat quisque libenter.[304] Le iugeant crud, verd, & au commencement, dangier seroit de l’inconuenient que disent les Medicins aduenir, quand on perse vn aposteme auant qu’il soit meur, quand on purge du corps humain quelque humeur nuysant auant sa concoction. Car comme est escript in Autent. Hæc constit, in inno. const. prin. & le repete gl. in c. Cæterum. extra de iura. calum. Quod medicamenta morbis exhibent, hoc iura negotiis.[305] Nature d’aduentaige nous instruict cuillir & manger les fruictz quand ilz sont meurs. Instit. de re. di. §. is ad quem. &. ff. de acti. empt. l. Iulianus. Marier les filles, quand elles sont meures, ff. de donat. int. vir. & vxo. l. cùm hic status. §. si quia sponsa. & 27. q. j. c. Sicut dict gl. Iam matura thoris plenis adoleuerat annis Virginitas[306], Rien ne faire qu’en toute maturité, xxiij. q. ij. §. vlt. & xxxiij. d. c. vlt.


Comment Bridoye narre l’histoire
de l’apoincteur de procés.


Chapitre XLI.


Il me souuient à ce propos (dist Bridoye continuant) que on temps que i’estudiois à Poistiers en droict soubs Brocadium iuris[307], estoit à Semerue vn nommé Perrin Dendin[308], home honorable, bon laboureur, bien chantant au letrain, home de credit, & aagé autant que le plus de vous aultres messieurs : lequel disoit auoir veu le grand bon home Concile de Latran auecques son gros Chappeau rouge, ensemble la bonne dame Pragmaticque Sanction[309] sa femme auecques son large tissu de satin pers, & ses grosses patenostres de Gayet. Cestuy home de bien apoinctoit plus de procés, qu’il n’en estoit vuidé en tout le palais de Poistiers, en l’auditoire de Monsmorillon, en la halle de Parthenay le vieulx. Ce que le faisoit venerable en tout le voisinage. De Chauuigny, Noüaillé, Croutelles, Aisgne, Legugé, La motte, Lusignan, Viuonne, Mezeaulx, Estables, & lieux confins tous les debatz, procés & differens, estoient par son deuis vuidez, comme par iuge souuerain, quoy que iuge ne feust, mais home de bien. Arg. in l. sed si vnius[310]. ff. de iureiu. & de verb. oblig. l. continuus. Il n’estoit tué pourceau en tout le voisinage, dont il n’eust de la hastille & des boudins. Et estoit presque tous les iours de banquet, de festin, de nopces, de commeraige, de releuailles, & en la tauerne : pour faire quelque apoinctement, entendez. Car iamais n’apoinctoit les parties, qu’il ne les feist boyre ensemble par symbole de reconciliation, d’accord perfaict, & de nouuelle ioye. vt no. per doct. ff. de peri. & comm. rei vend. l. i.

Il eut vn filz nommé Tenot Dendin, grand hardeau, & gualant home, ainsi m’aist Dieu, lequel semblablement voulut s’entremettre d’appoincter les plaidoians : comme vous sçauez que,

Sæpe solet similis filius esse patri,
Et sequitur leuiter filia matris iter.
[311]

{{SA/o|vt ait gl. vj. q. j c. Si quis. g. de conf. d. v. c. j. fi. & est no. per doct. C. de impu. & aliis subst. l. vlt. & 1. legitimæ, ff. de stat. hom. gl. in l. quod si nolit. ff. de edil. ed. l. quis, C. ad le. Iul. maiest. Excipio filios à moniali susceptos ex monacho[312], per gl. in c. Impudicas. xxvii. q. 1. Et se nommoit en ses tiltres, L’apoincteur des procés. En cestuy negoce tant estoit actif & vigilant. Car vigilantibus iura subueniunt[313], ex. l. pupillus. ff. quæ in fraud. cred. & ibid. l. non enim. & instit. in proœmio : que incontinent qu’il sentoit. vt. ff. si quad. pau. fec. l. Agaso. gl. in verbo. olfecit. i. nasum ad culum posuit[314], & entendoit par pays estre meu procés ou debat, il se ingeroit d’apoincter les parties. Il est escript. Qui non laborat, non manige ducat[315], & le dict gl. ff. de dam. infect. l. quamuis. & Currere plus que le pas vetullam compellit egestas.[316] vetulam compellit egestas. gl. ff. de lib. agnos. l. Si quis. pro qua facit. l. si plures C. de cond. incer. Mais en tel affaire il feut tant malheureux, que iamais n’apoincta different quelconcques, tant petit feust il que sçauriez dire. En lieu de les apoincter, il les irritoit & aigrissoit d’aduentaige. Vous sçauez, messieurs, que,

Sermo datur cunctis, animi sapientia paucis.[317]

gl. ff. de alie. iu. mu. cauf, fa. l. ij. Et disoient les tauerniers de Semarue, que soubs luy en vn an ilz n’auoient tant vendu de vin d’apoinctation, (ainsi nommoient ilz le bon vin de Legugé) comme ilz faisoient soubz son pere en demie heure. Aduint qu’il s’en plaignit à son pere, & referoit les causes de ce meshaing en la peruersité des homes de son temps, franchement luy obiectant : que si on temps iadis le monde eust esté ainsi peruers, playdoiart, detraué, & inapoinctable, il son pere, n’eust acquis l’honneur & tiltre d’Apoincteur tant irrefragable, comme il auoit. En quoy faisoit Tenot contre le droict, par lequel est es enfans defendu reprocher leurs propres peres per gl. & Bar. l. iij. §. Si quis. ff. de condi. ob caus. & autent. de nup. §. Sed quod sancitum coll. iiij. Il fault (respondit Perrin) faire aultrement, Dendin mon filz. Or quand oportet[318] vient en place, il conuient qu’ainsi se face. gl. C. de appell. l. eos etiam. Ce n’est là que gist le Lieure. Tu n’apoincte iamais les differens. Pour quoy ? Tu les prens des le commencement estans encores verds & cruds. le les apoincte tous. Pourquoy ? Ie les prens sur leur fin bien meurs & digerez. Ainsi dict gl.

Dulcior est fructus post multa pericula ductus.[319]

l. non moricurus. C. de contrah. & comit. stip. Ne sçaiz tu qu’on dict en prouerbe commun, Heureux estre le medicin, qui est appellé sus la declination de la maladie ? La maladie de soy criticquoit, & tendoit à fin encores que le medicin n’y suruint. Mes plaidoieurs semblablement de soy mesmes declinoient on dernier but de playdoirie : car leurs bourses estoient vuides : de soy cessoient poursuyure & solliciter : plus d’aubert n’estoit en fouillouse pour solliciter & poursuyure.

Deficiente pecu, deficit omne, nia.[320]

Manquoit seulement quelqu’vn qui feust comme paranymphe & mediateur, qui premier parlast d’apoinctement, pour soy sauluer l’vne & l’aultre partie de ceste pernicieuse honte, qu’on eust dict, cestuy cy premier s’est rendu : il a premier parlé d’apoinctement : il a esté las le premier : il n’auoit le meilleur droict : il sentoit que le bast le blessoit. Là (Dendin) ie me trouue à propous[321], comme lard en poys. C’est mon heur. C’est mon guaing. C’est ma bonne fortune. Et te diz (Dendin mon filz iolly) que par ceste methode, ie pourrois paix mettre[322], ou treues pour le moins, entre le grand Roy & les Venitiens : entre l’empereur & les Suisses, entre les Anglois & les Escossois : entre le Pape & les Ferrarois. Iray ie plus loing ? Ce m’aist Dieu, entre le Turc & le Sophy : entre les Tartres & les Moscouites. Entends bien. Ie les prendrois sus l’instant que les vns & les aultres seroient las de guerroier : qu’ilz auroient vuidé leurs coffres : expuisé les bourses de leurs subiectz : vendu leur dommaine : hypothequé leurs terres : consumé leurs viures & munitions. Là de par Dieu ou de par sa mere force forcée leurs est respirer, & leurs felonnies moderer. C’est la doctrine in gl. xxxvii. d. c. Si quando.

Odero si potero, si non, inuitus amabo.[323]


Comment naissent les procés, & comment
ilz viennent à perfection.


Chapitre XLII.


Cest pourquoy (dist Bridoye continuant) comme vous aultres messieurs, ie temporize attendant la maturité du procés, & sa perfection en tous membres : ce sont escriptures & sacs. Arg. in l. si maior. C. commu. diui. & de conf. d. 1. c. Solennitates. & ibi gl. Vn procés à sa naissance premiere me semble, comme à vous aultres messieurs, informe & imperfaict. Comme vn Ours naissant n’a pieds ne mains, peau, poil, ne teste : ce n’est qu’vne piece de chair rude & informe. L’ourse à force de leicher[324] la mect en perfection des membres, vt no. doct. ff. ad leg. Aquil. l. ii. in si. Ainsi voy ie, comme vous aultres messieurs, naistre les procés à leurs commencemens informes & sans membres. Ilz n’ont qu’vne piece ou deux : c’est pour lors vne laide beste. Mais lors qu’ilz sont bien entassez, enchassez, & ensachez, on les peut vrayement dire membruz & formez. Car forma dat esse rei.[325] l. si is qui. ff. ad leg. falci. in c. cum dilecta extra de rescrip. Barbatia consil. 12. lib. 2. & dauant luy Bald. in c. vlti. extra de consue. & l. Iulianus. ff. ad exib. & l. quæsitum. ff. de lega iii. La maniere est telle que dict gl. p. q. j. c. Paulus. Debile principium melior fortuna sequetur.[326] Comme vous aultres messieurs, semblablement les sergens, huissiers, appariteurs, chiquaneurs, procureurs, commissaires, aduocatz, enquesteurs, tabellions, notaires, grephiers, & iuges pedanées, de quibus tit. ell lib. iij. Cod, sugsants bien fort & continuellement les bourses des parties, engendrent à leurs procés teste, pieds, gryphes, bec, dents, mains, venes, arteres, nerfz, muscles, humeurs. Ce sont les sacs. gl. de conf. d. iiij. c. accepisti. Qualis vestis erit, talia corda gerit.[327] Hic no. qu’en ceste qualité plus heureux sont les plaidoyans que les ministres de Iustice. Car, beatius est dare, quàm accipere.[328] ff. comm. l. iij. & extra de celebra, miss. c. cùm Marthæ. Et 24. q. j. c. Odi. gl. Affectum dantis pensat censura tonantis.[329] Ainsi rendent le procés perfaict gualant & bien formé : comme dict gl. can. Accipe, sume, cape, sunt Verba placentia Papæ.[330] Ce que plus apertement a dict Alber. de Rof. in verb. Roma.

Roma manus rodit, quas rodere non valet odit.
Dantes custodit, non dantes spernit & odit.
[331]

Raison pourquoy ? Ad præsens oua cras pullis sunt meliora.[332] vt est glo. in. l. quum hi. ff. de transac. L’inconuenient du contraire ell mis in gl. C. de allu. l. si. Cum labor in damno est, crescit mortalis egestas.[333] La vraye etymologie de Procés est en ce qu’il doibt auoir en ses prochatz prou sacs. Et en auons brocards deificques. Litigando iura crescunt. Litigando ius acquiritur.[334] Item gl. in c. Illud ext. de præsumpt. &. C. de prob. l. instrumenta. l. non epistolis. l. non nudis.

Et cum non prosunt singula, multa iuuant.[335]

Voyre mais (demandoit Trinquamelle) mon amy, comment procedez vous en action criminelle, la partie coulpable prinse flagrante crimine[336] ? Comme vous aultres messieurs, (respondit Bridoye) ie laisse & commende au demandeur dormir bien fort pour l’entrée du procés : puys dauant moy conuenir, me apportant bonne & iuridicque attestation de son dormir scelon la gl. 32. q. vij. c. Si quis cum. Quandoque bonus dormitat Homerus.[337] Cestuy acte engendre quelque aultre membre, de celluy là naist vn aultre, comme maille à maille est faict le aubergeon. En fin ie trouue le procés bien par informations formé & perfaict en ses membres. Adoncques ie retourne à mes dez. Et n’est par moy telle interpollation sans raison faicte & experience notable.

Il me souuient que on camp de Stokolm[338], vn Guascon nommé Gratianauld natif de Sainseuer, ayant perdu au ieu tout son argent : & de ce grandement fasché : comme vous sçauez que, pecunia est alter sanguis, vt ait Anto. de Butrio in. c. accedens. ij. extra vt lit. non contest. & Bald. in. l. si tuis. C. de op. li. per no. &. l. aduocati. C. de aduo. diu. iud. Pecunia est vita hominis, & optimus fideiussor in necessitatibus[339] : à l’issue du berland dauant tous ses compaignons disoit à haulte voix. Pao cap de bious, hillotz, que mau de pippe bous tresbyre : ares que pergudes sont les mies bingt & quouatte baguettes, ta pla donnerien picz, trucz, & patactz. Sey degun de bous aulx, qui boille truquar ambe iou à belz embiz[340] ? Ne respondent persone, il passe on camp des Hondrespondres, & reïteroit ces mesmes parolles, les inuitant à combatre auecques luy. Mais les susdictz disoient. Der Guascongner thut schich vsz mite eim iedem ze schlagen, aber er ist geneigter zu staelen : darumb, lieben frauuen, hend serg zu inuerm haufraut.[341] Et ne se offrir au combat persone de leur ligue. Pourtant passe le Guascon au camp des auenturiers François, disant ce que dessus, & les inuitant au combat guaillardement auecques petites gambades Guasconicques. Mais persone ne luy respondit. Lors le Guascon au bout du camp se coucha pres les tentes du gros Christian cheuallier de Grissé, & s’endormit. Sus l’heure vn aduenturier ayant pareillement perdu tout son argent, sortit auecques son espée, en ferme deliberation de combatre auecques le Guascon : veu qu’il auoit perdu comme luy.

Ploratur lachrymis amissa pecunia veris,[342]

dict glos. de pœnitent. dist. 3. c. Sunt plures. De faict l’ayant cherché par my le camp, finablement le trouua endormy. Adoncques luy dist, Sus ho, Hillot de tous les Diables, leue toy : i’ay perdu mon argent, aussi bien que toy. Allons nous battre guaillard, & bien à poinct frotter nostre lard. Aduise que mon verdun ne soit poinct plus long que ton espade. Le Guascon tout esblouy luy respondit. Cap de sainft Arnault, quau feys tu, qui me rebelliez ? Que mau de taouerne te gyre. Ho sainct Siobe cap de Guascoigne, ta pla dormie iou, quand aquoest taquain me bingut estée.[343] L’aduenturier le inuitoit derechef au combat, mais le Guascon luy dist. Hé paouret, ïou te esquinerie ares que son pla reposat. Vayne vn pauc qui te posar com ïou, puesse truqueren.[344] Auecques l’oubliance de sa perte il auoit perdu l’enuie de combatre. Somme, en lieu de se batre, & soy par aduenture entretuer, ilz allerent boyre ensemble, chascun sus son espée. Le sommeil auoit faict ce bien, & pacifié la flagrante fureur des deux bons champions. Là compete le mot doré de Ioan. And. in. c. vit. de sent. & re iudic. libro sexto. Sedendo & quiescendo sit anima prudens.[345]


Comment Pantagruel excuse Bridoye sus les iugemens
faictz au sort des dez.


Chapitre XLIII.


A tant se teut Bridoye. Trinquanielle luy commenda issir hors la chambre du parquet. Ce que feut faict. Allors dist à Pantagruel. Raison veult, Prince tresauguste, non par l’obligation seulement, en laquelle vous tenez par infinis biensfaictz cestuy parlement, & tout le marquisat de Myrelingues : mais aussi par le bon sens, discret iugement, & admirable doctrine, que le grand Dieu dateur de tous biens a en vous posé, que vous præsentons la decision de ceste matiere tant nouuelle, tant paradoxe, & extrange de Bridoye, qui vous præsent, voyant, & entendent, a confessé iuger au sort des dez. Si vous prions que en veueillez sententier comme vous semblera iuridicque & æquitable.

A ce respondit Pantagruel. Messieurs, mon estat n’est en profession de decider procés, comme bien sçauez. Mais puys que vous plaist me faire tant d’honneur, en lieu de faire office de luge, ie tiendray lieu de Suppliant. En Bridoye ie recongnois plusieurs qualitez, par les quelles me sembleroit pardon du cas aduenu meriter. Premierement vieillesse, secondement simplesse : es quelles deux vous entendez trop mieulx quelle facilité de pardon, & excuse de mesfaict, nos droictz & nos loix oultroyent. Tiercement ie recongnois vn aultre cas pareillement en nos droictz deduict à la faueur de Bridoye, c’est que ceste vnique faulte doibt estre abolie, extainde, & absorbée en la mer immense de tant d’equitables sentences qu’il a donné par le passé : & que par quarante ans & plus on n’a en ay trouué acte digne de reprehension : comme si en la riuiere de Loyre ie iestois vne goutte d’eaue de mer, pour ceste vnique goutte persone ne la sentiroit, persone ne la diroit sallée. Et me semble qu’il y a ie ne sçay quoy de Dieu, qui a faict & dispensé, qu’à ces iugemens de sort toutes les præcedentes sentences ayent esté trouuées bonnes en ceste vostre venerable & souueraine court : lequel comme sçauez veult souuent sa gloire apparoistre en l’hebetation des saiges, en la depression des puissans, & en l’erection des simples & humbles. Ie mettray en obmission toutes ces choses : seulement vous priray, non par celle obligation que pretendez à ma maison, laquelle ie ne recongnois, mais par l’affection syncere que de toute ancienneté auez en nous congneue tant deçà que delà Loire en la mainctenue de vostre estat & dignitez, que pour celle fois luy veueillez pardon oultroyer. Et ce en deux conditions. Premierement ayant satisfaict ou protestant satisfaire à la partie condemnée par la ientence dont est question. A cestuy article ie donneray bon ordre & contentement. Secondement qu’en subside de son office vous luy bailliez quelqu’vn plus ieune docte, prudent, perit, & vertueux conseiller : à l’aduis duquel dorenauant fera ses procedures iudiciaires. En cas que le voulussiez totalement de son office deposer, ie vous priray bien fort me en faire vn præsent & pur don. Ie trouueray par mes royaulmes lieux assez & estatz pour l’employer & me en seruir. A tant suppliray le bon Dieu createur, seruateur, & dateur de tous biens, en sa faincte grace perpetuellement vous maintenir.

Ces motz dictz, Pantagruel feist reuerence à toute la court, & sortit hors le parquet. A la porte trouua Panurge, Epistemon, frere Ian, & aultres. Là monterent à cheual pour s’en retourner vers Gargantua. Par le chemin Pantagruel leurs comptoit de poinct en poinct l’histoire du iugement de Bridoye. Frere Ian dist qu’il auoit congneu Perrin Dendin on temps qu’il demouroit à la Fontaine le Conte soubs le noble abbé Ardillon. Gymnaste dist qu’il estoit en la tente du gros Christian cheuallier de Crissé, lors que le Guascon respondit à l’aduenturier. Panurge faisoit quelque difficulté de croire l’heur des iugemens par sort, mesmement par si long temps. Epistemon dist à Pantagruel. Histoire parallele nous compte lon d’vn Præuost de Monslehery. Mais que diriez vous de cestuy heur des dez continué en succés de tant d’années ? Pour vn ou deux iugemens ainsi donnez à l’aduenture ie ne me esbahirois, mesmement en matieres de foy ambigues, intrinquées, perplexes, & obscures.


Comment Pantagruel racompte vne estrange histoire
des perplexitez du iugement humain.


Chapitre XLIIII.


Comme feut (dist Pantagruel) la controuerse debatue dauant Cn. Dolabella[346], proconsul en Asie. Le cas est tel. Vne femme en Smyrne de son premier mary eut vn enfant nommé Abecé. Le mary defunct, apres certain temps elle se remaria : & de son second mary eut vn filz nomme Effege. Aduint (comme vous sçauez que rare est l’affection des peratres, vitrices, nouerces, & meratres enuers les enfans des defuncts premiers peres & meres) que cestuy mary & son filz occultement, en trahison, de guet à pens, tuerent Abecé. La femme entendent la trahison & meschanseté ne voulut le forfaict rester impuny : & les feist mourir tous deux, vengeante la mort de son filz premier. Elle feut par la iustice apprehendée & menée dauant Cn. Dolabella. En sa præsence elle confessa le cas, sans rien dissimuler, seulement alleguoit que de droict & par raison elle les auoit occis. C’estoit l’estat du procés. Il trouua l’affaire tant ambigu, qu’il ne sçauoit en quelle partie incliner. Le crime de la femme estoit grand, laquelle auoit occis ses mary second & enfant. Mais la cause du meurtre luy sembloit tant naturelle, & comme fondée en droict des peuples, veu qu’ilz auoient tué son filz premier, eulx ensemble, en trahison, de guet à pens, non par luy oultragez ne iniuriez, seulement par auarice de occuper le total heritage : que pour la decision il enuoya es Areopagites en Athenes, entendre quel seroit sur ce leur aduis & iugement. Les Areopagites feirent response, que cent ans apres personellement on leur enuoiast les parties contendentes, affin de respondre à certains interroguatoires, qui n’estoient on procés verbal contenuz. C’estoit à dire que tant grande leurs sembloit la perplexité & obscurité de la matiere, qu’ilz ne sçauoient qu’en dire ne iuger. Qui eust decidé le cas au sort des dez, il n’eust erré, aduint ce que pourroit. Si contre la femme, elle meritoit punition, veu qu’elle auoit faict la vengence de soy, laquelle apartenoit à Iustice : Si pour la femme, elle sembloit auoir eu cause de douleur atroce. Mais en Bridoye la continuation de tant d’années me estonne.

Ie ne sçaurois (respondit Epistemon) à vostre demande categoricquement respondre. Force est que le confesse. Coniecturallement ie refererois cestuy heur de iugement en l’aspect beneuole des cieulx, & faueur des Intelligences motrices. Les quelles en contemplation de la simplicité & affection syncere du iuge Bridoye : qui soy deffiant de son sçauoir & capacité : congnoissant les antinomies & contrarietez des loix, des edictz, des coustumes & ordonnances : entendent la fraulde du Calumniateur infernal, lequel souuent se transfigure en messagier de lumiere, par ses ministres les peruers aduocatz, Conseilliers, Procureurs, & aultres telz suppoz, tourne le noir en blanc, faict phantasticquement sembler à l’vne & l’aultre partie, qu’elle a bon droict, comme vous sçauez qu’il n’est si mauluaise cause qui ne trouue son aduocat, sans cela iamais ne seroit procés on monde : se recommenderoit humblement à Dieu le iuste iuge : inuocqueroit à son ayde la grace celeste : se deporteroit en l’esprit sacrosainct, du hazard & perplexité de sentence definitiue : & par ce sort exploreroit son decret & bon plaisir, que nous appelions Arrest : remueroient & tourneroient les dez pour tomber en chanse de celluy qui muny de iuste complaincte requeroit son bon droict estre par Iustice maintenu. Comme disent les Talmudistes, en sort n’estre mal aulcun contenu : seulement par sort estre en anxieté & doubte des humains manifestée la volunté diuine.

Ie ne vouldrois penser ne dire, aussi certes ne croy ie, tant anomale estre l’iniquité, & corruptele tant euidente de ceulx qui de droict respondent en icelluy parlement Myrelinguois en Myrelingues, que pirement ne seroit vn procés decidé par iect des dez, aduint ce que pourroit, qu’il est passant par leurs mains pleines de sang & de peruerse affection. Attendu mesmement, que tout leur directoire en iudicature vsuale a esté baillé par vn Tribunian home mescreant, infidele, barbare, tant maling, tant peruers, tant auare & inique, qu’il vendoit les loix, les edictz, les rescriptz, les constitutions & ordonnances en purs deniers, à la partie plus offrante. Et ainsi leurs a taillé leurs morseaulx par ces petitz boutz & eschantillons des loix qu’ilz ont en vsaige : la reste supprimant & abolissant qui faisoit pour la loy totale : de paour que la loy entiere restante & les liures des antiques Iurisconsultes veux sus l’exposition des douze tables, & edictz des Præteurs, feust du monde apertement sa merchanceté congneue. Pourtant seroit ce souuent meilleur (c’est à dire moins de mal en aduiendroit) es parties controuerses, marcher sus chausses trapes, que de son droict soy deporter en leurs responses & iugemens : Comme soubhaitoit Caton[347] de son temps, & conseilloit que la court iudiciaire feust de chausses trappes pauée.


Comment Panurge se conseille à Triboullet.

Chapitre XLV.


Av sixieme iour subsequent Pantagruel feut de retour, en l’heure que par eaue de Bloys estoit arriué Triboullet. Panurge à sa venue luy donna vne vessie de porc bien enflée, & resonante à cause des poys qui dedans estoient : plus vne espée de boys bien dorée : plus, vne petite gibbessiere faicte d’vne coque de Tortue : plus vne bouteille clissée pleine de vin Breton : & vn quarteron de pommes Blandureau. Comment, (dist Carpalim) est il fol, comme vn chou, à pommes ? Triboullet ceignit l’espée & la gibbessiere, print la vessie en main : mangea part des pommes : beut tout le vin. Panurge le reguardoit curieusement : & dist. Encores ne veids ie oncques fol, & si en ay veu pour plus de dix mille francs, qui ne beust voluntiers & à longs traictz. Depuys luy exposa son affaire en parolles rhetoriques & eleguantes. Dauant qu’il eust acheué, Triboullet luy bailla vn grand coup de poing entre les deux espaules, luy rendit en main la bouteille : le nazardoit auecques la vessie de porc[348], & pour toute responce luy dist, branslant bien fort la teste. Par Dieu, Dieu, fol enraigé, guare moine, cornemuse de Buzançay. Ces parolles acheuées, s’esquarta de la compaignie, & iouoic de la vessie, se delectant au melodieux son des poys. Depuys ne feut possible tirer de luy mot queconques. Et le voulant Panurge d’aduentaige interroger, Triboullet tira son espée de boys, & l’en voulut ferir.

Nous en sommes bien vrayement (dist Panurge). Voyla belle resolution. Bien fol est il, cela ne se peult nier : mais plus fol est celluy qui me l’amena : & ie tresfol, qui luy ay communicqué mes pensées. C’est (respondit Carpalim) droict visé à ma visiere. Sans nous esmouuoir, (dist Pantagruel) considerons ses gestes & ses dictz. En iceulx i’ay noté mysteres insignes, & plus tant que ie souloys ne m’esbahys de ce que les Turcs reuerent telz folz comme Musaphiz & Prophetes. Auez vous consideré, comment sa teste s’est auant qu’il ouurist la bouche pour parler, crouslée & esbranslée ? Par la doctrine des antiques Philosophes, par les ceremonies des Mages, & obseruations des Iurisconsultes pouez iuger que ce mouuement estoit suscité à la venue & inspiration de l’esprit fatidicque, lequel brusquement entrant en debile & petite substance, (comme vous sçauez que en petite teste ne peut estre grande ceruelle contenue) l’a en telle maniere esbranslée, que disent les Medicins tremblement aduenir es membres du corps humain, sçauoir est, part pour la pesanteur & violente impetuosité du fays porté, part pour l’imbecillité de la vertus & organe portant. Exemple manifeste est en ceulx qui à ieun ne peuuent en main porter vn grand hanat plein de vin sans trembler des mains. Cecy iadis nous præfiguroit la diuinatrice Pythie, quand auant respondre par l’oracle escroulloit son laurier domesticque. Ainsi dict Lampridius[349] que l’empereur Heliogaballus pour estre reputé diuinateur, par plusieurs festes de son grand Idole, entre les retaillatz fanaticques bransloit publicquement la teste. Ainsi declare Plaute en son Asnerie[350], que Saurias cheminoit branslant la teste, comme furieux & hors du sens, faisant paour à ceulx qui le rencontroient. Et ailleurs[351] exposant pourquoy Charmides bransloit la teste, dict qu’il estoit en ecstase. Ainsi narre Catulle en Berecynthia & Atys du lieu, on quel les Mænades femmes Bacchicques, prebstresses de Bacchus, forcenées, diuinatrices, portantes rameaulx de Lierre, bransloient les testes. Comme en cas pareil faisoient les Gals escouillez prebstres de Cybele, celebrans leurs offices. Dont ainsi est dicte scelon les antiques Theologiens : car Κυϐιστᾶν signifie, rouer, tortre, bransler la teste, & faire le torti colli. Ainsi escript T. Liue[352], que es Bacchanales de Rome, les homes & femmes sembloient vaticiner à cause de certain branslement & iectigation du corps par eulx contrefaicte. Car la voix commune des Philosophes, & l’opinion du peuple estoit, vaticination ne elire iamais des cieulx donnée sans fureur & branslement du corps tremblant & branslant, non seulement lors qu’il la receuoit, mais lors aussi qu’il la manifestoit & declairoit. De faict Iulian[353] Iurisconsulte insigne quelques foys interrogé, si le serf seroit tenu pour sain, lequel en compaignie de gens fanaticques & furieux, auroit conuersé, & par aduenture vaticiné, sans toutesfoys tel branslement de teste, respondit estre pour sain tenu. Ainsi voyons nous de præsent les precepteurs & Pædagoges esbransler les testes de leurs disciples (comme on faict vn pot par les anses) par vellication & erection des aureilles (qui est (scelon la doctrine des saiges Ægyptiens) membre consacré à Memoire) affin de remettre leurs sens, lors par aduenture esguarez en pensemens estranges, & comme effarouchez par affections abhorrentes, en bonne & philosophicque discipline : Ce que de soy confesse Virgile en l’esbranlement de Apollo Cynthius[354].


Comment Pantagruel & Panurge diuersement
interpretent les parolles de Triboullet.


Chapitre XLVI.


Il dist que vous estes fol. Et quel fol ? Fol enragé, qui sus vos vieulx iours voulez en mariage vous lier, & asseruir. Il vous dict, Guare moine. Sus mon honneur, que par quelque moine vous serez faict coqu. Ie enguaige mon honneur, chose plus grande ne sçaurois, fusse ie dominateur vnicque & pacificque en Europe, Africque, & Asie. Notez combien ie defere à nostre Morosophe Triboullet. Les aultres oracles & responses vous ont resolu pacificquement coqu, mais n’auoient encores apertement exprimé, par qui seroit vostre femme adultere, & vous coqu. Ce noble Triboullet le dict. Et sera le Coqüage infame, & grandement scandaleux. Faudra il que vostre lict coniugal soit incesté & contaminé par Moynerie ? Dict oultre, que serez la cornemuse de Buzançay, c’est à dire, bien corné, cornard, & cornu. Et ainsi comme il voulant au roy Loys douzieme demander pour vn sien frere le contrerolle du sel à Buzançay, demanda vne Cornemuse : vous pareillement, cuydant quelque femme de bien & d’honneur espouser, espouserez vne femme vuyde de prudence, pleine de vent d’oultrecuydance, criarde & mal plaisante, comme vne cornemuse. Notez oultre, que de la vessie il vous nazardoit, & vous donna vn coup de poing sus l’eschine. Cela præsagist que d’elle serez battu, nazardé, & desrobbé, comme desrobbé auiez la vessie de porc aux petitz enfans de Vaubreton.

Au rebours (respondit Panurge). Non que ie me vueille impudentement exempter du territoire de follie. I’en tiens & en suys, ie le confesse. Tout le monde est fol. En Lorraine Fou est prés Tou[355] par bonne discretion. Tout est fol. Solomon dict[356] que infiny est des folz le nombre. A infinité rien ne peut decheoir, rien ne peut estre adioinct, comme prouue Aristoteles. Et fol enragé serois, si fol estant, fol ne me reputois. C’est ce que pareillement faict le nombre des maniacques & enraigez infiny. Auicenne[357] dict, que de manie infinies sont les especes. Mais le reste de ses dictz & gestes faict pour moy. Il dict à ma femme, guare moyne. C’est vn moyneau qu’elle aura en delices, comme auoit la Lesbie de Catulle : lequel volera pour mousches, & y passera son temps autant ioyeusement que feist oncques Domitian le croquemousche. Plus dict qu’elle sera villaticque & plaisante comme vne belle cornemuse de Saulieu ou de Buzançay. Le veridicque Triboullet bien a congneu mon naturel, & mes internes affections. Car ie vous affie que plus me plaisent les guayes bergerottes escheuelées, es quelles le cul sent le Serpoullet, que les dames des grandes cours auecques leurs riches atours, & odorans perfums de maulioinct[358] : plus me plaist le son de la rusticque cornemuse, que les fredonnemens des lucz, rebecz, & violons auliques. Il m’a donné vn coup de poing sus ma bonne femme d’eschine. Pour l’amour de Dieu soit, & en deduction de tant moins des poines de Purgatoire. Il ne le faisoit par mal. Il pensoit frapper quelque paige. Il est fol de bien. Innocent, ie vous affie, & peche qui de luy mal pense. Ie luy pardonne de bien bon cœur. Il me nazardoit. Ce seront petites follastries entre ma femme & moy, comme aduient à tous nouueaulx mariez.


Comment Pantagruel & Panurge deliberent
visiter l’Oracle de la Diue Bouteille.


Chapitre XLVII.


Voycy bien vn aultre poinct, lequel ne consyderez. Est toutesfoys le neu de la matiere. Il m’a rendu en main la bouteille. Cela que signifie ? Qu’est ce à dire ? Par aduenture (respondit Pantagruel) signifie que vostre femme sera yuroigne. Au rebours, (dist Panurge) car elle estoit vuide. Ie vous iure l’espine de sainct Fiacre en Brye, que nostre Morosophe l’vnicque non Lunaticque Triboullet me remect à la Bouteille. Et ie refraischiz de nouueau mon veu premier, & iure Stix & Acheron en vostre præsence, lunettes au bonnet porter, ne porter braguette à mes chausses, que sus mon entreprinse ie n’aye eu le mot de la Diue Bouteille. Ie sçay home prudent & amy mien, qui sçait le lieu, le pays, & la contrée en laquelle est son temple & oracle. Il nous y conduira sceurement. Allons y ensemble, je vous supply ne me esconduire. Ie vous seray vn Achates, vn Damis, & compaignon en tout le voyage. Ie vous ay de longtemps congneu amateur de peregrinité & desyrant tous iours veoir, & tous iours apprendre. Nous voirons choses admirables, & m’en croyez.

Voluntiers, (respondit Pantagruel) mais auant nous mettre en ceste longue peregrination, plene de azard, plene de dangiers euidens. Quelz dangiers ? dist Panurge interrompant le propous. Les dangiers se refuyent de moy, quelque part que ie soys, sept lieues à la ronde : comme aduenent le prince, cesse le magistrat : aduenent le Soleil, esuanouissent les tenebres : & comme les maladies fuyoient à la venue du corps sainct Martin à Quande. A propous, dist Pantagruel, auant nous mettre en voye, de certains poinds nous fault expedier. Premierement renuoyons Triboullet à Bloys (Ce que feut faict à l’heure : & luy donna Pantagruel vne robbe de drap d’or frizé). Secondement nous fault auoir l’aduis & congié du Roy mon pere. Plus nous est besoing trouuer quelque Sibylle pour guyde & truchement. Panurge respondit que son amy Xenomanes leurs suffiroit, & d’abondant deliberoit passer par le pays de Lanternoys, & là prendre quelque docte & vtile Lanterne, laquelle leurs seroit pour ce voyage, ce que feut la Sibylle à Æneas descendent es champs Elisiens. Carpalim passant pour la conduicte de Triboullet, entendit ce propous, & s’escria disant, Panurge, ho, monsieur le quitte[359], pren Millort Debitis à Calais, car il est goud fallot, & n’oublie debitoribus, ce sont lanternes. Ainsi auras & fallot & lanternes.

Mon pronostic est (dist Pantagruel) que par le chemin nous ne engendrerons melancholie. Ia clairement ie l’apperçois. Seulement me desplaist que ne parle bon Lanternoys[360]. Ie (respondit Panurge) le parleray pour vous tous, ie l’entends comme le maternel, il m’est vsité comme le vulgaire.

Briszmarg d’algotbric nubstzne zos
Isquebfz prusq ; alborz crinqs zacbac.
Misbe dilbarlkz morp nipp stancz bos.
Strombtz Panrge vvalmap quost grufz bac.

Or deuine, Epistemon, que c’est ?

Ce sont (respondit Epistemon) noms de Diables errans, diables passans, diables rampans. Tes parolles sont brayes[361] (dist Panurge) bel amy. C’est le courtisan languaige[362] Lanternoys. Par le chemin ie t’en feray vn beau petit dictionaire, lequel ne durera gueres plus qu’vne paire de souliers neufz. Tu l’auras plus toust aprins, que iour leuant sentir. Ce que i’ay dict translaté de Lancernoys en vulgaire, chante ainsi.

Tout malheur estant amoureux,
M’accompaignoit : oncq n’y eu bien.
Gens mariez plus sont heureux,
Panurge l’est, & le sçait bien.

Reste doncques (dist Pantagruel) le vouloir du Roy mon pere entendre, & licence de luy auoir.


Comment Gargantua remonstre n’estre licite es
enfans soy marier, sans le sceu & adueu
de leurs peres & meres.
[363]

Chapitre XLVIII.


Entrant Pantagruel en la salle grande du chasteau, trouua le bon Gargantua issant du conseil : luy feist narré sommaire de leurs aduentures : exposa leur entreprinse : & le supplia, que par son vouloir & congié la peussent mettre à execution. Le bon home Gargantua tenoit en ses mains deux gros pacquetz de requestes respondues : & memoires de respondre : les bailla à Vlrich Gallet son antique maistre des libelles & requestes : tira à part Pantagruel, & en face plus ioyeuse que de coustume luy dist. Ie loue Dieu, filz trescher, qui vous conserue en desirs vertueux, & me plaist tresbien que par vous soit le voyage perfaict. Mais ie vouldroys que pareillement vous vint en vouloir & desir vous marier. Me semble que dorenauant venez en aage à ce competent. Panurge s’est assez efforcé rompre les difficultez, qui luy pouuoient estre en empeschement. Parlez pour vous. Père tresdebonnaire (respondit Pantagruel) encores n’y auoys ie pensé, de tout ce negoce : ie m’en deportoys sus vostre bonne volunté & paternel commendement. Plus tost prie Dieu estre à vos piedz veu roydde mort en vostre desplailir, que sans vostre plaisir estre veu vif marié. Ie n’ay iamais entendu que par loy aulcune, feust sacre, feust prophane, & barbare, ayt esté en arbitre des enfans soy marier, non consentants voulens & promouens leurs peres, meres, & parens prochains. Tous Legislateurs ont es enfans ceste liberté tollue, es parens l’ont reseruée.

Filz trescher (dist Gargantua[364]) ie vous en croy, & loue Dieu de ce que à vostre notice ne viennent que choses bonnes & louables, & que par les fenestres de vos sens rien n’est on domicile de vostre esprit entré fors liberal sçauoir. Car de mon temps a esté par le continent trouué pays on quel ne sçay quelz pastophores Taulpetiers, autant abhorrens de nopces, comme les pontifes de Cybele en Phrygie, si chappons feussent, & non galls pleins de salacité & lasciuie : les quelz ont dict loix es gens mariez sus le faict de mariage. Et ne sçay que plus doibue abhominer, ou la tyrannicque præsumption d’iceulx redoubtez Taulpetiers qui ne se contiennent dedans les treillis de leurs mysterieux temples, & se entremettent des negoces contraires par Diametre entier à leurs estatz : ou la superstitieuse stupidité des gens mariez, qui ont sanxi & presté obeissance à telles tant malignes & barbaricques loigs. Et ne voyent (ce que plus clair est que l’estoille Matute) comment telles sanxions connubiales toutes sont à l’aduentaige de leurs Mystes, nul au bien & profict des mariez. Qui est cause suffisante pour les rendre suspectes comme iniques & fraudulentes. Par reciprocque temerité pourroient ilz loigs establir à leurs Mystes sus le faict de leurs ceremonies & sacrifices, attendu que leurs biens ilz deciment & roignent du guaing prouenant de leurs labeurs & sueur de leurs mains, pour en abondance les nourrir, & entretenir. Et ne feroient (scelon mon iugement) tant peruerses & impertinentes, comme celles sont les quelles d’eulx ilz ont receup. Car (comme tresbien auez dict) loy on monde n’estoit, qui es enfans liberté de foy marier donnait, sans le sceu, l’adueu, & consentement de leurs peres. Moyenantes les loigs dont ie vous parle, n’est ruffien, forfant, scelerat, pendart, puant, punais, ladre, briguant, voleur, meschant, en leurs contrées, qui violentement ne rauisse quelque fille il vouldra choisir, tant soit noble, belle, riche, honeste, pudicque, que sçauriez dire, de la maison de son pere, d’entre les bras de sa mere, maulgré tous ses parens : si le ruffien se y ha vne foys associé quelque Myste, qui quelque iour participera de la praye. Feroient pis & acte plus cruel les Gothz, les Scythes, les Massagettes en place ennemie, par long temps assiegée, à grands frays oppugnée, prinse par force ? Et voyent les dolens peres & meres hors leurs maisons enleuer & tirer par vn incongneu, estrangier, barbare, mastin tout pourry, chancreux, cadauereux, paouure, malheureux, leurs tant belles, delicates, riches, & saines filles, les quelles tant cherement auoient nourriez en tout exercice vertueux, auoient disciplinées en toute honesteté : esperans en temps oportun les colloquer par mariage auecques les enfans de leurs voisins & antiques amis nourriz & instituez de mesme soing, pour paruenir à ceste felicité de mariage, que d’eulx ilz veissent naistre lignaige raportant & hæreditant non moins aux meurs de leurs peres & meres, que à leurs biens meubles & hæritaiges. Quel spectacle pensez vous que ce leurs soit ? Ne croyez, que plus enorme feust la desolation du peuple Romain & ses confœderez entendens le deces de Germanicus Drusus. Ne croyez que plus pitoyable feust le desconfort des Lacedæmoniens, quand de leurs pays veirent par l’adultere Troian furtiuement enleuée Helene Grecque. Ne croyez leur dueil & lamentations estre moindres, que de Ceres, quand luy feust rauie Proserpine sa fille : que de Isis, à la perte de Osyris : de Venus, à la mort de Adonis : de Hercules, à l’esguarement de Hylas : de Hecuba, à la substraction de Polyxene. Ilz toutesfois tant sont de craincte du Dæmon & superstisiosité espris, que contredire ilz n’ausent, puisque le Taulpetier y a esté præsent & contractant. Et restent en leurs maisons priuez de leurs filles tant aimées, le pere mauldissant le iour & heure de ses nopces : la mere regrettant que n’estoit auortée en tel tant triste & malheureux enfantement : & en pleurs & lamentations finent leurs vie, laquelle estoit de raison finir en ioye & bon tractement de icelles. Aultres tant ont esté ecstaticques & comme maniacques, que eulx mesmes de dueil & regret se sont noyez, penduz, tuez, impatiens de telle indignité.

Aultres ont eu l’esprit plus Heroïcque, & à l’exemple des enfans de Iacob vengeans le rapt de Dina leur sœur, ont trouué le ruffien associé de son Taulpetier clandestinement parlementans & subornans leurs filles : les ont sus l’instant mis en pieces & occis felonnement, leurs corps apres iectans es loups & corbeaux parmy les champs. Au quel acte tant viril & cheualereux ont les Symmystes Taulpetiers fremy & lamenté miserablement, ont formé complainctes horribles, & en toute importunité requis & imploré le bras seculier, & Iustice politicque, instans fierement & contendens estre de tel cas faicte exemplaire punition. Mais ne en æquité naturelle, ne en droict des gens, ne en loy Imperiale quelconques, n’a esté trouuée rubricque, paragraphe, poinct, ne tiltre, par lequel fut poine ou torture à tel faict interminée : Raison obsistante, Nature repugnante. Car home vertueux on monde n’est, qui naturellement & par raison plus ne soit en son sens perturbé, oyant les nouuelles du rapt, diffame, & deshonneur de sa fille, que de sa mort. Ores est qu’vn chascun trouuant le meurtrier sus le faict de homicide en la persone de sa fille iniquement & de guet à pens, le peut par raison, le doibt par nature occire sus l’instant, & n’en sera par iustice apprehendé. Merueilles doncques n’est, si trouuant le ruffien, à la promotion du Taulpetier, sa fille subornant, & hors sa maison rauissant, quoy qu’elle en feust consentente, les peut, les doibt à mort ignominieusement mettre, & leurs corps iecter en direction des bestes brutes, comme indignes de recepuoir le doulx, le desyré, le dernier embrassement de l’alme & grande mere, la Terre, lequel nous appelions Sepulture.

Filz trescher, apres mon decés, guardez que telles loigs ne soient en cestuy Royaulme receues : tant que seray en ce corps spirant & viuent, ie y donneray ordre tresbon auec l’ayde de mon Dieu. Puis doncques que de vostre mariage sus moy vous deportez, i’en suis d’opinion. Ie y pouruoiray. Aprestez vous au voyage de Panurge. Prenez auecques vous Epistemon, frere Ian, & aultres que choisirez. De mes thesaurs faictez à vostre plein arbitre. Tout ce que ferez, ne pourra ne me plaire. En mon arcenac de Thalasse prenez equippage tel que vouldrez : telz pillotz, nauchiers, truschemens, que vouldrez : & à vent oportun faictez voile on nom & protection du Dieu seruateur. Pendent vostre absence, ie feray les apprestz & d’vne femme vostre, & d’vn festin, que ie veulx à vos nopces faire celebre, si oncques en feut.


Comment Pantagruel feist ses aprestz pour monter
sus mer. Et de l’herbe nommée Pantagruelion[365].


Chapitre XLIX.


Pev de iours apres Pantagruel auoir prins congié du bon Gargantua, luy bien priant pour le voyage de son filz, arriua au port de Thalasse pres Sammalo, acompaigné de Panurge, Epistemon, frere Ian des entommeures abbé de Theleme, & aultres de la noble maison, notamment de Xenomanes le grand vovagier & trauerseur des voyes perilleuses[366], lequel estoit venu au mandement de Panurge, par ce qu’il tenoit ie ne sçay quoy en arriere fief de la chastellenie de Salmiguondin. Là arriuez, Pantagruel dressa equippage de nauires, à nombre de celles que Aiax de Salamine auoit iadis menées en conuoy des Gregoys à Troie. Nauchiers, pilotz, hespaliers, truschemens, artisans, gens de guerre, viures, artillerie, munitions, robbes, deniers, & aultres hardes print & chargea, comme estoit besoing pour long & hazardeux voyage. Entre aultres choses ie veids qu’il feist charger grande foison de son herbe Pantagruelion, tant verde & crude, que conficte & præparée.

L’herbe Pantagruelion a racine petite, durette, rondelette, finante en poincte obtuse, blanche, à peu de fillamens, & ne profonde en terre plus d’vne coubtée. De la racine procede vn tige vnicque, rond, ferulacée, verd au dehors, blanchissant au dedans : concaue, comme le tige de Smyrnium, Olus atrum, Febues, & Gentiane : ligneux, droict, friable, crenelé quelque peu à forme de columnes legierement striées : plein de fibres, es quelles consiste toute la dignité de l’herbe, mesmement en la partie dicte Mesa, comme moyene, & celle qui est dicte Mylasea. Haulteur d’icelluy communement est de cinq à six pieds. Aulcunes foys excede la haulteur d’vne lance. Sçauoir est, quand il rencontre terrouoir doulx, vligineux, legier, humide sans froydure : comme est Olone & celluy de Rosea pres Præneste en Sabinie, & que pluye ne luy deffault enuiron les Feries des pescheurs, & Solstice æstiual. Et surpasse la haulteur des arbres, comme vous dictez Dendromalache par l’authorité de Theophraste[367] : quoy que herbe soit par chascun an deperissante : non arbre en racine, tronc, caudice, & rameaux perdurante. Et du tige sortent gros & fors rameaux. Les feueilles a longues trois foys plus que larges, verdes tous iours : asprettes, comme l’Orcanette : durettes, incisées au tour comme vne faulcille & comme la Betoine : finisantes en poinctes de Sarisse Macedonicque, & comme vne lancette dont vsent les Chirurgiens. La figure d’icelle peu est differente des feueilles de Fresne & Aigremoine : & tant semblable à Eupatoire, que plusieurs herbiers l’ayant dicte domesticque, ont dict Eupatoire estre Pantagruelion sauluaginé. Et sont par rancs en eguale distance esparses au tour du tige en rotondité par nombre en chascun ordre ou de cinq, ou de sept. Tant l’a cherie nature, qu’elle l’a douée en ses feueilles de ces deux nombres impars tant diuins & mysterieux. L’odeur d’icelles est fort, & peu plaisant aux nez delicatz. La semence prouient vers le chef du tige, & peu au dessoubs. Elle est numereuse autant que d’herbe qui soit, sphæricque, oblongue, rhomboïde, noire claire, & comme tannée, durette, couuerte de robbe fragile : delicieuse à tous oyseaulx canores, comme Linottes, Chardriers, Alouettes, Serins, Tarins, & aultres. Mais estainct en l’home la semence generatiue, qui en mangeroit beaucoup & souuent. Et quoy que iadis encre les Grecs d’icelle l’on feist certaines especes de fricassees, tartres, & beuignetz, les quelz ilz mangeoient apres soupper par friandise & pour trouuer le vin meilleur : si est ce qu’elle est de difficile concoction, offense l’estomach, engendre mauuais sang, & par son excessiue chaleur ferist le cerueau, & remplist la teste de fascheuses & douloreuses vapeurs. Et comme en plusieurs plantes sont deux sexes : masle, & femelle : ce que voyons es Lauriers, Palmes, Chesnes, Heouses, Asphodele, Mandragore, Fougere, Agaric, Aristolochie, Cypres, Terebinthe, Pouliot, Pæone, & aultres : aussi en ceste herbe y a masle, qui ne porte fleur aulcune, mais abonde en semence : & femelle, qui foisonne en petites fleurs, blanchastres, inutiles : & ne porte semence qui vaille : & comme est des aultres semblables, ha la feuille plus large, moins dure que le masle, & ne croist en pareille haulteur. On seme cestuy Pantagruelion à la nouuelle venue des hyrondelles, on le tire de terre lors que les Cigalles commencent s’enrouer.


Comment doibt estre preparé & mis en œuure
le celebre Pantagruelion.


Chapitre L.


On pare le Pantagruelion soubs l’æquinocte automnal en diuerses manieres, scelon la phantasie des peuples, & diuersité des pays. L’enseignement premier de Pantagruel feut, le tige d’icelle deuestir de feueilles & semence : le macerer en Eaue stagnante non courante par cinq iours, si le temps est sec, & l’eaue chaulde, par neuf ou douze, si le temps est nubileux, & l’eaue froyde : puys au Soleil le seicher : puys à l’vmbre le excorticquer, & separer les fibres (es quelles, comme auons dict, consiste tout son pris & valeur) de la partie ligneuse, laquelle est inutile, fors qu’à faire flambe lumineuse, allumer le feu, & pour l’esbat des petitz enfans enfler les vessies de porc. D’elle vsent aulcunesfoys les frians à cachetes, comme de Syphons, pour sugser & auecques l’haleine attirer le vin nouueau par le bondon. Quelques Pantagruelistes modernes euitans le labeur des mains qui seroit à faire tel depart, vsent de certains instrumens catharactes composez à la forme que Iuno la fascheuse tenoit les doigts de ses mains liez pour empescher l’enfantement de Alcmene[368] mere de Hercules, & à trauers icelluy contundent & brisent la partie ligneuse, & la rendent inutile, pour en sauluer les fibres. En ceste seule præparation acquiescent ceulx qui contre l’opinion de tout le monde, & en maniere paradoxe à tous Philosophes, guaingnent leur vie à recullons[369]. Ceulx qui à profict plus euident la voulent aualluer, font ce que l’on nous compte du passetemps des troys sœurs Parces : de l’esbatement nocturne de la noble Circe : & de la longue excuse de Penelope enuers ses muguetz amoureux, pendent l’absence de son mary Vlyxes. Ainsi est elle mise en ses inestimables vertus, des quelles vous expouseray partie, (car le tout est à moy vous expouser impossible) si dauant, vous interprete la denomination d’icelle.

Ie trouue que les plantes sont nommées en diuerses manieres. Les vnes ont prins le nom de celluy qui premier les inuenta, congneut, monstra, cultiua, apriuoisa, & appropria, comme Mercuriale de Mercure : Panacea de Panace, fille de Æsculapius : Armoise, de Artemis, qui est Diane : Eupatoire, du roy Eupator : Telephium, de Telephus : Euphorbium, de Euphorbus Medicin du roy Iuba : Clymenos, de Clymenus : Alcibiadion, de Alcibiades : Gentiane, de Gentius roy de Sclauonie. Et tant a esté iadis estimée ceste prærogatiue de imposer son nom aux herbes inuentées, que comme feut controuerse meue entre Neptune & Pallas de qui prendroit nom la terre par eulx deux ensemblement trouuée : qui depuys feut Athenes dicte, de Athene c’est à dire Minerue : pareillement Lyncus roy de Scythie se mist en effort de occire en trahison le ieune Triptoleme enuoyé par Ceres pour es homes monstrer le froment lors encores incongneu : affin que par la mort d’icelluy il imposast son nom, & feust en honneur & gloire immortelle dict inuenteur de ce grain tant vtile & necessaire à la vie humaine. Pour laquelle trahison feut par Ceres transformé en Oince, ou Loupceruier. Pareillement grandes & longues guerres feurent iadis meues entre certains Roys de seiour en Cappadoce, pour ce seul different, du nom des quelz seroit vne herbe nommée : laquelle pour tel debat feut dicte Polemonia, comme Guerroyere.

Les aultres ont retenu le nom des regions des quelles feurent ailleurs transportées, comme pommes Medices, ce sont Poncires de Medie, en laquelle feurent premierement trouuées : pommes Punicques, ce sont Grenades, apportées de Punicie, c’est Carthage. Ligusticum, c’est Liuesche, apportée de Ligurie, c’est la couste de Genes. Rhabarbe, du fleuue Barbare nommé Rha, comme atteste Ammianus[370] : Santonicque, fœnu Grec : Castanes, Persicques, Sabine, Stœchas, de mes isles Hieres anticquement dictez Stœchades, Spica Celtica, & aultres.

Les aultres ont leur nom par Antiphrase & contrariété : comme Absynthe, au contraire de pynthe, car il est fascheux à boyre : Holosteon, c’est tout de os : au contraire, car herbe n’est en nature plus fragile & plus tendre, qu’il est.

Aultres sont nommées par leurs vertus & operations, comme Aristolochia, qui ayde les femmes en mal d’enfant. Lichen qui guerit les maladies de son nom. Maulue qui mollifie. Callithrichum, qui faict les cheueulx beaulx. Alyssum, Ephemerum, Bechium, Nasturtium, qui est Cresson Alenoys : Hyoscyame, hanebanes, & aultres.

Les aultres par les admirables qualitez qu’on a veu en elles, comme Heliotrope, c’est Soulcil, qui suyt le Soleil. Car le Soleil leuant, il s’espanouist : montant, il monte : declinant, il decline : soy cachant, il se cloust. Adiantum : car iamais ne retient humidité, quoy qu’il naisse pres les eaues, & quoy qu’on le plongeast en eaue par bien long temps : Hieracia, Eryngion, & aultres.

Aultres par Metamorphose d’homes & femmes de nom semblable : comme Daphne, c’est Laurier, de Daphne : Myrte, de Myrsine : Pytis, de Pytis : Cynara, c’est Artichault : Narcisse, Saphran, Smilax, & aultres.

Aultres par similitude, comme Hippuris (c’est Prelle) car elle resemble à queue de Cheual : Alopecuros, qui semble à la queue de Renard : Psylion, qui semble à la Pusse : Delphinium, au Daulphin : Buglosse, à langue de Beuf : Iris, à l’arc en ciel, en ses fleurs : Myosota, à l’aureille de Souriz : Coronopous, au pied de Corneille. Et aultres. Par reciprocque denomination sont dictz les Fabies, des Febues : les Pisons, des Poys : les Lentules, des Lentiles : les Cicerons, des poys Chices. Comme encores par plus haulte resemblance est dict le nombril de Venus, les cheueulx de Venus, la cuue de Venus, la barbe de Iuppiter, l’œil de Iuppiter, le sang de Mars, les doigtz de Mercure : Hermodactyles : & aultres.

Les aultres de leurs formes : comme Trefeueil, qui ha trois feueilles : Pentaphyllon, qui a cinq feueilles : Serpoullet, qui herpe concre terre : Helxine, Petasites, Myrobalans, que les Arabes appellent Béen, car ilz semblent à gland, & sont vnctueux.


Pourquoy est dicte Pantagruelion, & des
admirables vertus d’icelle.


Chapitre LI.


Par ces manieres (exceptez la fabuleuse, car de fable ia Dieu ne plaise que vsions en ceste tant veritable histoire) est dicte l’herbe Pantagruelion. Car Pantagruel feut d’icelle inuenteur : ie ne diz pas quant à la plante, mais quant à vn certain vsaige, lequel plus est abhorré & hay des larrons : plus leurs est contraire & ennemy, que ne est la Teigne & Cuscute au Lin, que le Rouseau à la Fougere : que le Presle aux Fauscheurs : que Orobanche aux poys Chices : Ægilops à l’Orge : Securidaca aux Lentilles : Antranium aux Febues : l’Yuraye au Froment : le Lierre aux Murailles : que le Nenufar & Nymphæa Heraclia aux ribaux Moines, que n’est la Ferule & le Boulas aux escholiers de Nauarre, que n’est le Chou, à la Vigne : le Ail, à l’Aymant : l’Oignon, à la veue : la graine de Fougere, aux femmes enceinctes : la semence de Saule, aux Nonnains vitieuses : l’vmbre de If, aux dormans dessoubs : le Aconite, aux Pards & Loups : le flair du Figuier, aux Taureaux indignez : la Cigüe, aux Oisons : le Poupié, aux Dents : l’Huille, aux Arbres. Car maintz d’iceux auons veu par tel vsaige finer leur vie hault & court : à l’exemple de Phyllis royne des Thraces : de Bonosus, Empereur de Rome : de Amate, femme du roy Latin : de Iphis, Auctolia, Licambe, Arachne, Phæda, Leda, Acheus roy de Lydie, & aultres : de ce seulement indignez, que sans estre aultrement mallades, par le Pantagruelion on leurs oppiloit les conduictz, par les quelz sortent les bons motz, & encrent les bons morseaulx, plus villainemcnt que ne feroit la male Angine & mortelle Squinanche.

Aultres auons ouy sus l’instant que Atropos leurs couppoit le fillet de vie, soy griefuement complaignans & lamentans de ce que Pantagruel les tenoit à la guorge[371]. Mais (las) ce n’estoit mie Pantagruel. Il ne feut oncques rouart, c’estoit Pantagruelion, faisant office de hart, & leurs seruant de cornette. Et parloient improprement & en Solœcisme. Si non qu’on les excusast par figure Synecdochique, prenens l’inuention pour l’inuenteur. Comme on prent Ceres pour pain, Bacchus pour vin. Ie vous iure icy par les bons motz qui sont dedans ceste bouteille là qui refraichist dedans ce bac, que le noble Pantagruel ne print oncques à la guorge si non ceulx qui sont negligens de obuier à la soif imminente.

Aultrement est dicte Pantagruelion par similitude. Car Pantagruel naissant on monde estoit autant grand que l’herbe dont ie vous parle : & en feut prinse la mesure aisement : veu qu’il nasquit on temps de alteration, lors qu’on cuille ladiste herbe, & que le chien de Icarus par les aboys qu’il faict au Soleil, rend tout le monde Troglodyte, & constrainct habiter es caues & lieux subterrains.

Aultrement est dicte Pantagruelion par ses vertus & singularitez. Car comme Pantagruel a esté l’Idée & exemplaire de toute ioyeuse perfection, (ie croy que persone de vous aultres Beuueurs n’en doubte) aussi en Pantagruelion ie recongnoys tant de vertus, tant d’energie, tant de perfection, tant d’effectz admirables, que si elle eust esté en ses qualitez congneue lors que les arbres (par la relation du Prophete[372]) feirent election d’vn Roy de boys pour les regir & dominer, elle sans doubte eust emporté la pluralité des voix & suffrages. Diray ie plus ? Si Oxylus filz de Orius l’eust de sa sœur Hamadryas engendrée, plus en la seule valeur d’icelle se feust delecté, qu’en tous ses huyct enfans tant celebrez par nos Mythologes, qui ont leurs noms mis en memoire eternelle. La fille aisnée eut nom Vigne, le filz puysné eut nom Figuier : l’autre Noyer, l’aultre Chesne, l’autre Cormier, l’autre Fenabregue, l’autre Peuplier, le dernier eut nom Vlmeau, & feut grand Chirurgien en son temps.

Ie laisse à vous dire comment le ius d’icelle exprimé & instillé dedans les aureilles tue toute espece de vermine, qui y seroit née par putrefaction, & tout aultre animal qui dedans seroit entré. Si d’icelluy ius vous mettez dedans vn seilleau de eaue, soubdain vous voirez l’eaue prinse, comme si feussent caillebotes, tant est grande sa vertus. Et est l’eaue ainsi caillée remede præsent aux cheuaulx coliqueux, & qui tirent des flans. La racine d’icelle cuicte en eaue, remollist les nerfz retirez, les ioinctures contractes, les podagres sclirrhotiques, & les gouttes nouées. Si promptement voulez guerir vne bruslure, soit d’eaue, soit de feu, applicquez y du Pantagruelion crud, c’est à dire tel qui naist de terre, sans aultre appareil ne composition. Et ayez esguard de le changer ainsi que le voirez deseichant sus le mal. Sans elle seroient les cuisines infames, les tables detestables, quoy que couuertes feussent de toutes viandes exquises : les lictz sans delices, quoy que y feult en abondance Or, Argent, Electre, Iuoyre, & Porphyre. Sans elle ne porteroient les Meusniers bled au moulin, n’en rapporteroient farine. Sans elle comment seroient portez les playdoiers des Aduocatz à l’auditoire ? Comment seroit sans elle porté le plastre à l’hastellier ? Sans elle comment seroit tirée l’eaue du puyz ? Sans elle que feroient les Tabellions, les Copistes, les Secretaires, & Escriuains ? Ne periroient les Pantarques & papiers rantiers ? Ne periroit le noble art d’Imprimerie ? De quoy feroit on chassis ? Comment sonneroit on les cloches ? D’elle sont les Isiacques ornez, les Pastophores reuestuz, toute humaine nature couuerte en premiere position. Toutes les arbres lanificques des Seres, les Gossampines de Tyle en la mer Persicque, les Cynes des Arabes, les vignes de Malthe, ne vestissent tant de persones, que faict ceste herbe seulette. Couure les armées contre le froid & la pluye, plus certes commodement que iadis ne faisoient les peaulx. Couure les Theatres & Amphitheatres contre la chaleur, ceinct les boys & taillis au plaisir des chasseurs, descend en eaue tant doulce que marine au profict des pescheurs. Par elle sont bottes, botines, botasses, houzeaulx, brodequins, souliers, escarpins, pantofles, sauattes mises en forme & vsaige. Par elle sont les arcs tendus, les arbelestes bandées, les fondes faictes. Et comme si feust herbe sacre, Verbenicque, & reuerée des Manes & Lemures les corps humains mors sans elle ne sont inhumez.

Ie diray plus. Icelle herbe moyenante les substances inuisibles visiblement sont arrestées, prinses detenues, & comme en prison mises. A leur prinse & arrest sont les grosses & pesantes moles tournées agilement à insigne profict de la vie humaine. Et m’esbahys comment l’inuention de tel vsaige a esté par tant de siecles celé aux antiques Philosophes, veue l’vtilité impréciable qui en prouient : veu le labeur intolerable, que sans elle ilz supportoient en leurs pistrines. Icelle moyenant, par la retention des flots aërez sont les grosses Orchades, les amples Thalameges, les fors Guallions, les Naufz Chiliandres & Myriandres de leurs stations enleuées, & poussées à l’arbitre de leurs gouuerneurs. Icelle moyenant, sont les nations, que Nature sembloit tenir absconses, impermeables, & incongneues : à nous venues, nous à elles. Chose que ne feroient les oyseaulx, quelque legiereté de pennaige qu’ilz ayent, & quelque liberté de nager en l’aër, que leurs soit baillée par Nature. Taprobrana a veu Lappia : Iaua a veu les mons Riphées : Phebol voyra Theleme : Les Islandoys & Engronelands boyront Euphrates. Par elle Boreas a veu le manoir de Auster : Eurus a visité Zephire. De mode que les Intelligences celestes, les Dieux tant marins que terrestres en ont esté tous effrayez, voyans par l’vsaige de cestuy benedict Pantagruelion, les peuples Arcticques en plein aspect des Antarctiques, franchir la mer Athlanticque, passer les deux Tropicques, volter soubs la Zone torride, mesurer tout le Zodiacque, s’esbatre soubs l’Æquinoctial, auoir l’vn & l’aultre Pole en veue à fleur de leur Orizon. Les Dieux Olympicques ont en pareil effroy dict. Pantagruel nous a mis en pensement nouueau & tedieux, plus que oncques ne feirent les Aloïdes, par l’vsaige & vertus de son herbe. Il sera de brief marié, de sa femme aura enfans. A ceste destinée ne pouons nous contreuenir : car elle est passée par les mains & fuseaulx des sœurs fatales, filles de Necessité. Par ses enfans (peut estre) sera inuentée herbe de semblable energie : moyenant laquelle pourront les humains visiter les fources des gresles, les bondes des pluyes, & l’officine des fouldres : pourront enuahir les regions de la Lune, entrer le territoire des signes celestes, & là prendre logis, les vns à l’Aigle d’or, les aultres au Mouton, les aultres à la Couronne, les aultres à la Herpe, les aultres au Lion d’argent : s’asseoir à table auecques nous, & nos Déesses prendre à femmes, qui sont les feulx moyens d’estre deifiez. En fin ont mis le remede de y obuier en deliberation, & au conseil.


Comment certaine espece de Pantagruelion ne peut
estre par feu consommée.


Chapitre LII.


Ce que ie vous ay dict, est grand & admirable. Mais si vouliez vous hazarder de croire quelque aultre diuinité de ce sacre Pantagruelion, ie la vous dirois. Croyez la ou non, ce m’est tout vn : me suffist vous auoir dict verité. Verité vous diray. Mais pour y entrer, car elle est d’accés assez scabreux & difficile, ie vous demande. Si i’auoys en ceste bouteille mis deux cotyles de vin, & vne d’eau ensemble bien fort meslez, comment les demesleriez vous ? comment les separeriez vous ? de maniere que vous me rendriez l’eau à part sans le vin, le vin sans l’eau, en mesure pareille que les y auroys mis. Aultrement. Si vos chartiers & nautonniers amenans pour la prouision de vos maisons certain nombre de tonneaulx, pippes, & bussars de vin de Graue, d’Orleans, de Beaulne, de Myreuaulx, les auoient buffetez & beuz à demy, le reste emplissans d’eau, comme font les Limosins à belz esclotz[373], charroyans les vins d’Argenton, & Sangaultier : comment en housteriez vous l’eau entièrement ? Comment les purifieriez vous ? I’entends bien, vous me parlez d’vn entonnoir de Lierre. Cela est escript[374]. Il est vray & aueré par mille experiences, vous le sçauiez desia. Mais ceulx qui ne l’ont sceu & ne le veirent oncques, ne le croyroient possible. Passons oultre.

Si nous estions du temps de Sylla, Marius, Cæsar & aultres Romains empereurs, ou du temps de nos antiques Druydes, qui faisoient brusler les corps mors de leurs parens & seigneurs, & voulussiez les cendres de vos femmes, ou peres boyre en infusion de quelque bon vin blanc, comme feist Artemisia les cendres de Mausolus son mary, ou aultrement les reseruer entieres en quelque vrne, & reliquaire : comment saulueriez vous icelles cendres à part, & separées des cendres du bust & feu funeral ? Respondez. Par ma figue, vous seriez bien empeschez. Ie vous en despesche. Et vous diz, que prenent de ce celeste Pantagruelion autant qu’en fauldroit pour couurir le corps du defunct, & ledict corps ayant bien à poinct enclous dedans, lié & cousu de mesmes matiere, iectez le on feu tant grand, tant ardent que vouldrez : le feu à trauers le Pantagruelion bruslera & redigera en cendres le corps & les oz : le Pantagruelion non seulement ne sera consumé ne ards, & ne deperdera vn seul atome des cendres dedans encloses, ne recepura vn seul atome des cendres bustuaires, mais sera en fin du feu extraict plus beau, plus blanc, & plus net que ne l’y auiez iecté. Pourtant est il appellé Asbeston[375]. Vous en trouuerez foison en Carpasie, & soubs le climat Dia Cyenes[376], à bon marché. O chose grande ! chose admirable ? Le feu qui tout deuore, tout deguaste, & consume : nettoye, purge, & blanchist ce seul Pantagruelion Carpasien Asbestin. Si de ce vous defiez, & en demandez assertion & signe vsual comme Iuifz & incredules : prenez vn œuf fraiz & le liez circulairement auecques ce diuin Pantagruelion. Ainsi lié mettez le dedans le brasier tant grand & ardent que vouldrez. Laissez le si long temps que vouldrez. En fin vous tirerez l’œuf cuyt, dur, & bruslé, sans alteration, immutation, ne eschauffement du sacre Pantagruelion. Pour moins de cinquante mille escuz Bourdeloys, amoderez à la douzieme partie d’vne Pithe, vous en aurez faict l’experience. Ne me parragonnez poinct icy la Salamandre, c’est abus. Ie confesse bien que petit feu de paille la vegete & resiouist. Mais ie vous asceure que en grande fournaise elle est comme tout aultre animant, suffoquée, & consumée. Nous en auons veu l’experience. Galen l’auoit long temps a confermé & demonstré lib. 3. de temperamentis, & le maintient Dioscorides lib. 2. Icy ne me alleguez l’alum de plume, ne la tour de boys en Pyrée, laquelle L. Sylla ne peut oncques faire brusler, pource que Archelaus gouuerneur de la ville pour le roy Mithridates, l’auoit toute enduicte d’alum. Ne me comparez icy celle arbre que Alexander Cornelius nommoit Eonem[377], & la disoit estre semblable au Chesne qui porte le Guy : & ne pouoir estr ne par eau, ne par feu consommée ou endommagée, non plus que le Guy de chesne, & d’icelle auoir esté faicte & bastie la tant celebre nauire Argos. Cherchez qui le croye. Ie m’en excuse. Ne me parragonnez aussi, quoy que mirificque soit celle espece d’arbre que voyez par les montaignes de Briançon, & Ambrun, laquelle de sa racine nous produit le bon Agaric, de son corps nous rend la resine tant excellente que Galen l’ause æquiparer à la Terebinthine : sus ses feueilles delicates nous retient le fin miel du ciel, c’est la Manne : & quoy que gommeuse & vnctueuse soit, est inconsumptible par feu. Vous la nommez Larrix en Grec & Latin : les Alpinois la nomment Melze : les Antenorides & Venetians, Larege. Dont feut dict Larignum le chasteau en Piedmont : lequel trompa Iule Cæsar venent es Gaules. Iule Cæsar auoit faict commendement à tous les manens & habitans des Alpes & Piedmont, qu’ilz eussent à porter viures & munitions es estappes dressées sus la voie militaire, pour son oust passant oultre. Au quel tous furent obeissans, exceptez ceulx qui estoient dedans Larigno, les quelz soy confians en la force naturelle du lieu, refuserent à la contribution. Pour les chastier de ce refus, l’Empereur feist droict au lieu acheminer son armée. Dauant la porte du chasteau estoit vne tour bastie de gros cheurons de Larix lassez l’vn sus l’autre alternatiuement comme vne pyle de boys, continuans en telle hauteur, que des machicoulis facilement on pouoit auecques pierres & liuiers debouter ceulx qui approcheroient. Quand Cæsar entendit que ceulx du dedans n’auoient aultres defenses que pierres & liuiers, & que à poine les pouoient ilz darder iusques aux approches, commenda à ses foubdars iecter au tour force fagotz, & y mettre le feu. Ce que feut incontinent faict. Le feu mis es fagotz, la flambe feut si grande & si haulte, qu’elle couurit tout le chasteau. Dont penserent que bien tost apres la tour seroit arse & demollie. Mais cessant la flambe, & les fagotz confumez, la tour apparut entiere, sans en rien estre endommagée. Ce que consyderant Cæsar, commenda que hors le iect des pierres tout au tour l’on feist vne seine de fossez & bouclus. Adoncques les Larignans se rendirent à composition. Et par leur recit congneut Cæsar l’admirable nature de ce boys[378], lequel de soy ne faict feu, flambe, ne charbon : & seroit digne en ceste qualité d’estre on degré mis de vray Pantagruelion, & d’autant plus que Pantagruel d’icelluy voulut estre faictz tous les huys, portes, fenestres, goustieres, larmiers, & l’ambrun de Theleme : pareillement d’icelluy feist couurir les pouppes, prores, sougons, tillacs, coursies, & rambades de ses carracons, nauires, gualeres, gualions, brigantins, fustes, & aultres vaisseaulx de son arsenac de Thalasse : ne feust que Larix en grande fournaise de feu prouenent d’aultres especes de boys, est en fin corrumpu & dissipé, comme sont les pierres en fourneau de chaulx. Pantagruelion Asbeste plus tost y est renouuelé & nettoyé, que corrumpu ou altéré. Pourtant

Indes, cessez, Arabes, Sabiens,
Tant collauder vos Myrrhe, Encent, Ebene,
Venez icy recongoistre nos biens,
Et emportez de nostre herbe la grene.
Puys si chez vous peut croistre, en bonne estrene,
Graces rendez es cieulx vn million :
Et affermez de France heureux le regne,
On quel prouient Pantagruelion.

Fin du troisiesme liure des faicts
& dicts Heroïcques du
bon Pantagruel
.

  1. Compoſé par M. Fran. Rabelais, docteur en Medicine. C’est dans la première édition du Tiers liure, publiée en 1546, que le nom de Rabelais paraît pour la première fois sur les titres de son ouvrage. Après les mots : docteur en Medicine, on y lit : & Calloïer des Iſles Hieres, c’est-à-dire moine des îles d’Hyères, que, plus loin (t. ii, p. 232), dans un passage où il parle de botanique, Rabelais appelle : « Mes iſles Hieres anticquement dictez Stœchades ». — « Pour des élèves de Montpellier, dit M. Eugène Noël (Rabelais et son œuvre, p. 69), ce voyage était un complément d’études : ces îles sont et étaient alors encore plus renommées par leurs plantes médicinales. » Jean de Nostredame, frère de l’astrologue, prenait aussi le titre de moine des isles d’Hyères.
  2. L’autheur ſuſdict ſupplie les Lecteurs beneuoles, ſoy reſeruer a rire… C’est la parodie d’une formule qui se trouve en tête de certains ouvrages du XVIe siècle. Par exemple Joachim du Bellay s’exprime ainsi au commencement de La deffence & illuſtration de la langue françoyſe : « L’autheur prye les Lecteurs differer leur iugement iuſques à la fin du Liure… » (Œuvrest. I, p. 3, dans la Pléiade francoiſe.)
  3. Auec priuilege du Roy. L’édition de 1546 porte en plus : pour dix ans. Pour le texte de ce premier privilège voyez tome III, p. 387-389, et, pour la description des diverses éditions du Tiers livre, notre Bibliographie.
  4. François Rabelais à l’eſprit de la royne de Nauarre. Ce dizain figure dans la première édition. Ménage en explique ainsi fort nettement l’intention : « Marguerite de Valois, Reine de Navarre, ſœur de François Ier, aimoit, comme on fait, les beaux eſprits de ſon tems, eſtimoit Marot, Rabelais, & compoſoit elle même en vers & en proſe, témoin le volume que nous avons de ſes poëſies, & ſon Heptaméron. Les dernieres années de ſa vie elle devint fort ſérieuſe, méditant beaucoup, & s’occupant des choſes du Ciel. C’eſt ce qui donna lieu à Rabelais lors qu’en 1546, il fit pour la premiere fois imprimer in 16 à Paris ſon troiſiéme livre, de mettre à la tête ce dizain adreſſé à l’eſprit de cette Reine… Ces édits de l’eſprit ſur le corps, cette apathie, cette vie pérégrine, tout cela ſignifie poëtiquement que cette Princeſſe détachée entiérement de ſes ſens, avoit rendu ſon eſprit maître de ſon corps, en ſorte que tandis que celui-ci demeuroit ſur terre, l’autre s’élevoit au Ciel. Cet eſprit donc eſt ici invité à vouloir bien pendant quelques momens deſcendre de cette haute région pour voir en cette baſſe & terreſtre la troiſiéme partie d’un ouvrage dont il y avoit autrefois vu favorablement les deux premieres. » (Ménagiana, 3e  édit., t. III, p. 113) À ce dizain Le Duchat ajoute le suivant, dont il n’indique pas la source :
    Iean Favre av lectevr.

    Ia n’eſt beſoing, amy Lecteur, t’eſcrire
    Par le menu le prouffit & plaiſir
    Que receuras ſi ce liure veux lire,
    Et d’iceluy le ſens prendre as deſir ;
    Vueille donc prendre à le lire loiſir,
    Et que ce ſoit auec intelligence.
    Si tu le fays, propos de grand’ plaiſance
    Tu y verras, & moult prouffiteras,
    Et ſi tiendras en grand reſiouyſſance
    Le tien Eſprit, & ton temps paſſeras.

  5. Beuueurs treſillustres, & vous Goutteux treſprecieux. Voyez ci-dessus, p. 59 la note sur la l. 2 de la p. 3 de Gargantua. *

    * Page 3, l. 2 : Beuueurs tresillustres ; & vous Verolez tresprecieux. De même, en tête du Prologue du Tiers liure : Beuueurs trefilluftres, & vous Goutteux tresprecieux. Ces épithètes : illustres, précieux, sont destinées à parodier les termes pompeux que les auteurs prodiguent à ceux à qui ils adressent des dédicaces ; mais, en même temps, le mot précieux, appliqué aux goutteux et aux vérolés, paraît faire allusion aux remèdes rares et chers employés pour les guérir, et surtout aux métaux qui servaient au traitement de la maladie vénérienne. C’est du moins ce qui semble ressortir de ce passage où Noël du Fail emploie la même expression que Rabelais : « C’est le vif argent, dont on a frotté les panures verolez precieux, lequel… pert, mange, & confomme tout ce qu’il approche. » (édit. de la Bibl. elzév. t. i, p.  273)

  6. L’aueugle né tant renommé par les treſſacrés bibles. S. Matthieu, XX, 30-34 ; S. Marc, X, 46-52 ; S. Luc, XVIII, 35-42 ; S. Jean, IX.
  7. En lopinant opiner. Ce jeu de mots sur lopiner, prendre un lopin, un morceau, et opiner, donner son opinion, se retrouve dans le premier des Deux Dialogues du nouueau langage François, italianizé (Enuers, G. Niergue, 1579, p. 230) :
    « Celtophile… Quand ceux qui ſont aupres d’vn roy opinent diuerſement, il aduient ſouuent que le mauuais conſeil est ſuiui, le bon eſt laiſſe.
    « Philavsone. Mais ce mauuais conſeil vient ſouuent de ce que ceux qui opinent, lopinent, ou pour le moins veulent lopiner. Et à fin que demeurans en la bonne grace, ils emportent vn iour le lopin auquel ils bayent, ils accommodent leur harangue à cela à quoy le prince encline deſia plus. »
  8. Du ſang de Phrygie extraictz. À en croire nos anciennes chroniques, la France aurait été peuplée par des Troyens fugitifs guidés par Francus, fils d’Hector.
  9. Philippe roy de Macedonie entreprint aſſieger & ruiner Corinthe… Tout ce qui suit, jusqu’à la fin de la page 8, est une imitation et un développement d’un passage du traité de Lucien, intitulé : Comment on doit écrire l’histoire.
  10. Au combat couraigeuſes. Rabelais ne songe pas ici aux combats guerriers. Il ne faut pas oublier que Corinthe était avant tout célèbre par son temple de Vénus et ses courtisanes, d’où le proverbe : « Non licet omnibus adire Corinthum, » que nous trouvons ainsi traduit quelques lignes plus loin : « A chaſcun n’eſt oultroyé entrer & habiter Corinthe. »
  11. L’opinion dont Rabelais se moque ici est celle de Priscien.
  12. Terribilis ut castrorum acies ordinata. (Cantique des cantiques, VI, 9.)
  13. On ne sait pas à quoi Rabelais fait ici allusion. Burgaud des Marets à énuméré diverses suppositions des commentateurs, mais aucune ne paraît digne d’être adoptée.
  14. « Le poëte Æschylus composoit ses tragædies en beuuant, quand il estoit bien eschauffé du vin. » (Propos de table, liv. I, question 5.)
  15. Voyez ci-dessus, p. 65, la note sur la l. 19 de la p. 6 du t. i.
  16. Narratur et prisci Catonis
    Sæpe mero caluisse virtus.

    (Horace, Odes III, 21, II.)

  17. Voyez Les quatre fils Aymon, ch. xxxv.
  18. « La patience aiguë, » la patience à feuilles pointues, puis, par un jeu de mots, la vertu de patience. On dit encore populairement dans le même sens : « Prenez de la racine de patience. » Comme lapathium se prononçait alors la pation, cela forme encore une autre mauvaise équivoque avec la passion, et c’est ce qui amène le complément : de dieu.
  19. Voyez Lucien, Contre quelqu’un qui l’avait appelé Prométhée.
  20. Voyez Philostrate, iii, i.
  21. Aulularia, III, 4.
  22. Voyez la xie idylle d’Ausone, qui est une énigme intitulée Gryphus.
  23. Voyez plus haut p. 212 la note sur la l. 1 de la p. 362 : coupe testée pour teste coupée.
  24. …Primo avulso, non déficit aller
    Aureus, et simili frondescit virga metallo.

    (Énéide, vi, 143)

  25. « Nec vero ut noster Lucilius, recusabo, quo minus omnes mea legant… Tarentinis ait se et Consentinis et Siculis scribere. » (Cicéron, De finibus, I, 3.)
  26. Jeu de mots.
    povr garder vos filles de n'estre oisives.

    Si vos filles mal aduerties
    N’ont aucune occupation,
    Frottez-leur [bien] le cul d’orties :
    Elles auront au cul passion.

    (La vraye medecine qui guarit de tous maulx & de plusieurs autres. — Anc. poés. françaises, t. i, p. 167. Bibl. Elzév.)

  27. Docteurs, à cause du bourrelet qui bordait les bonnets de docteur.
  28. Ainsi dans les éditions originales, probablement pour Gzz. Peut-être les 2 remplacent-ils des z qui n’étaient pas suffisamment nombreux dans les casses de l’imprimeur.
  29. Voyez ci-dessus, p. 107, la note sur la l. 25 de la p. 65 du t. I.
  30. Éd. de 1546 : Δεμοϐορον C’est Achille qui nomme Agamemnon : Δημοϐόρος βασιλεὺς. (Iliade. I. 231.)
  31. Voyez Plutarque, Isis et Osiris.
  32. « C’est la ThéogonieHésiode traite de la généalogie des dieux, » dit Burgaud des Marets ; mais, en réalité, le passage auquel Rabelais fait allusion se trouve dans Les Travaux et les jours, V. 124.
  33. « Athenensiumque renovavi vetus exemplum, Græcum etiam verbum usurpavi, quo tum in sedandis discordiis erat usa civitas illa. » (Philippique, i., 1)
  34. …Victorque volentes
    Per populos dat jura.

    (Géorgiques, iv, 561)

  35. Voyez i, 375, et iii, 236.
  36. « Ut est apud poetam nescio quem : male parta male dilabuntur. » (Cicéron, Philippiques, ii, 27.)
  37. De male quæsitis non gaudet tertius hæres.
  38. « Ici nous voyons paraître, pour la première fois, des royaux ou francs à pied, belle monnaie d’or qui datait de Charles v et a fini avec Charles vii ; elle vaudrait 13 à 14 francs, et des seraph ou séraphins, monnaie d’or appelée en Égypte Scherafi et en Perse Scherefi. Elle représentait à peu près le besant. (V. Recueil des monnaies, par Salzade). » (Cartier, Numismatique, p. 346)
  39. Voyez ci-dessus p. 217, note sur la l. 16 de la p. 381.
  40. Voyez Molière, l’Avare, ii, 1.
  41. Équivoque pour : « qui meurt, ni qui vit. »
  42. Nemo tam Divos habuit faventes
    Crastinum ut possit sibi polliceri.

    (Sénèque, Thyeste, v. 619)

  43. « Vendat oleum… vendat boves, vitulos… Patremfamilias vendacem, non emacem esse oportet. » (De re rustica, c. 2)
  44. Et par sainct Iacques, ie feray
    A gens de bien, ainsi l’entens,
    Plaisir tant qui seront contens.

    (Farce de deux hommes & leurs deux femmes. Anc. Théât. Franc., t. i, p. 155)

    … une de ces femmes
    Qui sont plaisir aux enfans sans soucy.

  45. Équivoque sur ceux qui coupent des bois de haute futaie.
  46. Thestylis et rapido fessis messoribus æstu
    Allia serpyllumque herbas contundit olentes
    .

    (Églogues, ii, v. 10)

  47. Voyez Macrobe, iii, 17.
  48. Michel Scot raconte dans sa Mensa philosophica que Thomas d’Aquin, invité à la table du roi saint Louis, mangea seul une lamproie destinée au monarque, tout en composant son hymne sur le saint sacrement. La lamproie et l’hymne achevés, il s’écria Consummatum est ! Ce qui scandalisa ceux qui croyaient qu’il appliquait les dernières paroles du Sauveur à un trait de gloutonnerie, tandis qu’il ne songeait qu’à la pièce de vers édifiante qu’il venait de terminer.
  49. Pluton. Voyez la Table des noms.
  50. Jeu de mots sur manche, pris au sens de mancia, italien, pour épingles, paragante, présent. Ailleurs (t. ii, p. 301) Rabelais parle de « la grande manche que demandent les courtisanes Romaines. »
  51. Il y avait eu en 1531 une terrible famine, pendant laquelle le roi avait pris les mesures qu’on croyait alors les meilleures pour faire baisser le prix des grains. « Le Roy citant à Compienne, pour subuenir à son paouure peuple, qui auoyt faulte de bleds, & aduerty que les marchans de bleds, & aultres, les vendoyent en leurs greniers, à qui bon leur sembloyt, en sorte que les paouures n’en pouoyent auoyr, qu’apres les riches… decreta lettres patentes on moys d’Octobre mil cinq cents trente vng… portans inhibitions & defenses de vendre… leurs bleds en leurs greniers… & ailleurs qu’aux publics marchés. » (Bouchet, les Annales d’Aquitaine. 1545, fol. 260, v).
  52. Voyez ci-dessus, p. 160, la note sur la l. 5 de la p. 217.
  53. « Il faisoit monter à 100200000 le nombre des syllabes que les lettres de l’Alphabet Grec pouvoient former par leurs mélanges & transpositions. Voiez les Additions de l’interpréte François à la vie de Xénocrate dans Diogéne Laërce. » (Le Duchat)
  54. Cette représentation de la Passion a eu lieu en 1534. Jean Bouchet, l’ami de Rabelais, donne à ce sujet de curieux détails, dans son Epistre LXXXIX. Voyez Histoire du théâtre en France : les mystères, par L. Petit de Julleville, t. ii, p. 125-127. — Ailleurs (t. ii, p. 318), Rabelais cite avec éloge « la diablerie de Saulmur. »
  55. Voyez Travaux et Jours, v. 289.
  56. Voyez Iliade, viii, 18, et XV, 18.
  57. Lisez aer.
  58. Virgile (Énéide, vi, 582) parle ainsi de ces géants :

    Hic et Aloidas geminos immania vidi
    Corpora, qui manibus magnum rescindere cœlum
    Aggressi, superisque Jovem detrudere regnis.

  59. Cette « diablerie » de Doué, petite ville de Maine-et-Loire, à vingt kilomètres de Saumur, faisait partie d’une représentation de la Passion. « Plus hideux & villains que les Diableteaux de la passion de Doué, » dit Rabelais dans le Quart livre. (t. II, p. 454)
  60. Il a déjà été question plus haut (t. ii, p. 13) de « la bouteille de Pandora. » — « Les poëtes nous parlent de la boîte (πυξίς) de Pandore. C’est par une fantaisie toute rabelaisienne que cette boîte est ici transformée en bouteille. » (Burgaud des Marets.) — Rabelais aurait pu invoquer le témoignage d’Hésiode, qui emploie (Travaux et Jours, v. 94) le mot πίθος, tonneau, amphore.
  61. « Misanthrope. »
  62. Celui des Membres et l’Estomac, dont l’invention est attribuée à Ménénius Agrippa.
  63. Le Duchat donne la variante suivante, tirée des éditions collectives de 1573 et 1626 : « Esculape mesme, qui est le Dieu de la médecine, eust-il entrepris de les guerir, l’ame… » C’est là une sorte de commentaire qui s’est introduit dans le texte, et en fausse le sens. Rabelais ne veut pas dire : « Quand Esculape entreprendrait de guérir le malade, » mais : « Quand le malade serait Esculape, » ce qui est bien plus énergique.
  64. il est question dans le cinquiesme liure (t. iii, p. 67) d’une « harmonie peu moindre que celle des astres rotans, laquelle dit Platon auoir par quelques nuicts ouye dormant. »
  65. Farce de Pathelin, p. 13.
  66. Preschez, patrocinez iusqu’à la Pentecoste,
    Vous serez ébahy, quand vous serez au bout,
    Que vous ne m’aurez rien persuadé du tout.

  67. Voyez saint Paul, Épître aux Romains, 13.
  68. Voyez Philostrate, Vie d’Apollonius de Tyanes, liv. IV, c. 3. Le costume de peste, qu’on ne se représente guère, était un travestissement en usage au xviie siècle, comme l’indiquent des vers de P. Corneille adressés à une dame qui le portait. Voyez Poésies diverses, LIV, Stances :

    J’ai vu la peste en raccourci.

  69. Voyez liv. viii.
  70. La réponse de cet évéque était devenue proverbiale. On la retrouve, avec quelques variantes, chez nos principaux conteurs : « Quand l’euesque veid que ses proces s’en alloyent ainsi à neant, il s’en vint au roy, le suppliant à iointes mains qu’il ne les luy ostast pas tous, & qu’il luy pleust au moins luy en laisser vne douzaine des plus beaux & des meilleurs pour s’esbatre. » (Bonaventure des Periers, Nouvelle 34). « Ce roy le voulant depestrer d’vne infinité de proces, il le supplia fort affectueusement de luy en laisser au moins vingt cinq ou trente pour ses menus plaisirs. » (Henri Estienne, Apologie pour Hérodote, c. 17, t. i, p. 362)
  71. Voyez Deutéronome, c. 20, v. 5, 6 et 7.
  72. « A Tivoli prêchait un frère de peu de réflexion, qui, dans un beau mouvement contre l’adultère, s’écria : « C’est un péché si horrible, que j’aimerais mieux connaître dix vierges qu’une seule femme mariée. » (Les Contes de Pogge, XXIV, éd. Lemerre)
  73. … S’il trouue mon logis
    Plus fort sera que le deuin.

    (Villon, Grand testament, xciii, p. 62)

  74. La mode de porter un anneau à l’une des deux oreilles est constatée par ces vers de Mellin de Saint-Gelais, cités par Le Duchat :

    Ne tenez point, estrangers, à merueille,
    Qu’en ceste cour chascun maintenant porte
    Bague ou anneau en l’vne ou l’autre oreille.

  75. Il doit y avoir ici une plaisanterie, tirée, comme il arrive souvent, d’une attente trompée ; on croit qu’il va dire : « une bonne somme, » ou quelque chose d’équivalent, pour exprimer qu’il ne renoncerait pas volontiers à ce qu’il a vu, puis, au lieu de quelque chose d’agréable à toucher, il nomme : vn fer chaud.
  76. Équivoque empruntée à Guillaume Crétin (Epistre à Honorat de La Iaille) :

    …. Vn quidam aspre aux pots à propos
    A fort blamé ses tours peruers par vers.

  77. Autre équivoque. Il a été question jusqu’ici d’une robe, pour laquelle Panurge a pris « quatre aulnes de bureau, » c’est-à-dire de bure ; maintenant il s’agit d’un bureau dans le sens actuel de ce mot, c’est-à-dire d’une table où l’on travaille et qui est encore souvent couverte de bure ou de serge. Un peu plus loin, c’est le sens de robe de bure qui revient ; et à peine endossée, cette robe fait à Panurge le même effet que le froc produit à frère Jean. Voyez ci-dessus, p. 134, la note sur la l. 11 de la p. 145.
  78. Des saies. Rabelais tire la forme sage plus directement du latin sagum et la préfère parce qu’elle donne lieu à une équivoque.
  79. Voyez, ci-dessus, p. 160, la note sur la l. 5 de la p. 217.
  80. Voyez ci-dessus, p. 61, la note sur la l. 17 de la p. 4. Le Houx est du même avis que Rabelais :

    C’est vn chaffeur sans sa trompe,
    Sans braguette vn lansquenet.

    (Vaux de vire, 1er recueil, lxxiv, p. 89)

  81. Ce qui suit est imité de l’Histoire naturelle de Pline (liv. vii).
  82. Il y a là deux vers de huit syllabes, qui rimaient assez exactement parce qu’on ne prononçait ni l’s finale de Priapus, ni l’l de plus, ainsi du reste qu’il arrive encore dans le langage populaire. Il y a dans le ve livre (t. iii, p. 151) une sorte de jeu de mots du même genre : « quant Priapus… la vouloit… Priapiser sans la prier. »
  83. Voyez ci-dessus, p. 163, la note sur la l. 21 de la p. 221.
  84. Voyez ci-dessus, p. 92, la note sur la ligne 26 de la p. 38.
  85. Jeu de mots.
  86. « Liv. i, sur le sperme. »
  87. Voyez ci-dessus, p. 186, la note sur la ligne 34 de la p. 250.
  88. « Le souverain bien dans les braies et braguettes. »
  89. Voyez ci-dessus, p. 182, la note sur la l. 10 de la p. 248.
  90. Parmi les ouvrages qui ont fourni à Rabelais des matériaux et des arguments pour ce chapitre et ceux qui suivent, on a cité avec raison le traité de Tiraqueau, De legibus connubialibus (1513) et la réponse qu’y fit Bouchard qui se déclara l’avocat des femmes dans son Τῆς γυναιϰείας φύτλης, id est Feminei sexus apologia (1522). Rabelais s’est encore inspiré du troisième sermon de Raulin, De viduitate, et probablement de beaucoup d’autres écrits théologiques et juridiques, qui n’avaient pas alors la gravité que de telles matières nous paraissent aujourd’hui comporter. Les imitations sont nombreuses aussi ; nous nous contenterons de rappeler le Propos de marier Eutrapel (Noel du Fail, t. ii, p. 231-261) et Le Mariage forcé de Molière. Il faut remarquer que le premier mot de la réponse de Pantagruel fait toujours écho avec le dernier de la demande de Panurge. Cette disposition produit un effet comique en nous montrant l’assentiment absolu de Pantagruel, qui ne cherche même pas sa réponse et s’empare du mot qu’il vient d’entendre.
  91. « Malheur à l’homme seul ! » (Ecclésiaste, iv, 10)
  92. Me pique. Jeu de mots.
  93. « Ab alio exspectes alteri quod feceris. » Elle est de Publius Syrus ; mais Sénèque la cite dans sa 94e Épitre.
  94. « Ubi non est mulier ingemiscit egens. » (Ecclésiaste, XXXVI, 27)
  95. « En demeurant comme ie suis, ie laisse périr dans le Monde la Race des Sganarelles. » (Molière, Le Mariage forcé, sc. i)
  96. Rabelais a tiré de Lampride, de Spartianus, de Trebellius Pollio et de Capitolinus, la plupart des anecdotes qu’il raconte dans ce chapitre.
  97. Voyez Valère Maxime, i, 5.
  98. C’est une inexactitude : Brutus se tua après la bataille de Philippes.
  99. Voyez Suétone, Vie de Tibère, c. 14.
  100. Voyez ci-dessus, p. 186, la note sur la l. 2 de la p. 251.
  101. C’est au jeu de paume que l’on compte ainsi les fautes.
  102. Sæpe solecismum mentula nostra facit.

    (Martial, Épigrammes, xi, 20)

    Molière a employé solécisme en parlant d’une faute morale :

    Le moindre solécisme en parlant vous irrite :
    Mais vous en faites, vous, d’étranges en conduite.

  103. Virgile, Églogue, iv, 63.
  104. Lisez feurent.
  105. Jeu de mots sur la naissance de Pallas, sortie du cerveau de Jupiter qui, pour cette raison, est appelé (p. 62, l. 1) « son pere capital. »
  106. La Femme est en effet le potage de l’Homme ;
    Et quand vn Homme voit d’autres Hommes par fois,
    Qui veulent dans sa soupe aller tremper leurs doigts,
    lien montre aussi-tost vue colere extrême.

    Cette comparaison, un peu gauloise, avait été mal prise par les Précieuses, et Climène dit dans La Critique (s. iii) : « I’ay pensé vomir au potage. »

  107. Panurge va d’abord pour dire cordelier, mais il s’arrête et se reprend.
  108. Voyez Athénée, ix, 5.
  109. Voyez ci-dessus, p. 183-184, la note sur la l. 31 de la p. 248.
  110. « Il n’a point de testicules. »
  111. Virg., Énéide, iii, 30.
  112. Si elle te triche, voicy
    Martin baton qui en fera
    La raison.

    (Farce du badin. Anc. Théât. Franc., t. i, p. 278)

    … Hola, Martin bâton !
    Martin bâton accourt.

  113. Jeu de mots. Jean se disait d’un mari trompé, et est encore un terme de jeu. « Au jeu de l’ourche et du trictrac, le grand Jan ou le petit Jan, qui aujourd’hui valent quatre points, n’en valaient probablement que deux du temps de Rabelais. » (Burgaud des Marets)
  114. Virgile, Énéide, xi, 782.
  115. Ardeat ipsa licet, tormentis gaudet amantis,
    Et spoliis.

    (Juvénal, Sat. vi, 210)

  116. Il y a une petite confusion : ce n’est pas au titre De legibus, mais dans celui qui précède, De episc. audien., qu’il est question de cas où l’on ne peut appeler. Quant à la loi Ait prætor (l. 15), elle est citée à propos.
  117. « Sur les Songes. »
  118. On retrouve la même définition à la fin du cinquiesme livre (t. III, p. 178) : « Ceste sphere intellectuale, de laquelle en tous lieux est le centre, & n’a en lieu aucun circonferance, que nous appelions dieu. » C’est peut-être de ce dernier endroit que Pascal a tiré jusqu’à la forme de cette fameuse pensée qui lui a fait tant d’honneur : « C’est une sphere infinie dont le centre est partout, la circonférence nulle part. » (Pensées, collection Lemerre, t. I, p. 26, et Notes, t. ii, p. 226-227.) Il y a un indice qui permet de croire qu’au moment où l’illustre philosophe recueillait les matériaux de l’ouvrage qu’il n’a pu faire, il venait de lire le cinquiesme livre. En effet, dans le titre du chapitre xxv (t. iii, p. 99), il est question de « l’Isle d’Odes, en laquelle les chemins cheminent. » et dans le recueil de Pascal on trouve cette pensée bizarre, étrangère a l’objet de ses études, et qui semble n’être que la transcription, sous une forme plus générale, du passage que nous venons de citer : « Les rivières sont des chemins qui marchent & qui portent où l’on veut aller. » (Pensées, collect. Lemerre, t. ii, p. 152)
  119. Voyez Mercurius Trismegistus, Pimander, c. 2.
  120. Rabelais tire cela du traité de Plutarque : Pourquoi la Pythienne ne rendait plus d’oracles en vers (xxi) : Τὸ ὃναρ οὗ τὸ μαντεῖόν ὲστι τὸ ὲν Δελφοῖς οὔτε λέγει, οὔτε ϰρύπτει, ὰλλὰ σημαίνει. Ce texte n’est pas du reste le plus généralement suivi.
  121. Voyez Iliade, XIII, 20.
  122. …. Il ne m’en chault, couste & vaille.
    Encor ay-ie denier & maille
    Qu’oncques ne virent pere ne mere.

  123. Voyez Odyssée, XIX, 562, et Énéide, vi, 894.
  124. Voyez Odyssée, XIX, 562, et Énéide, vi, 894.
  125. « Voici notre songeur qui vient, tuons-le, » disent les frères de Joseph. (Genèse, c. 37, v. 19 et 20)
  126. Aristote (liv. III, c. 2, Parties des animaux) cite l’opinion du Momus d’Ésope, qui aurait voulu que les cornes des bœufs fussent placées au-dessous de leurs yeux.
  127. « Ainsi soit-il, ainsi soit-il, qu’il soit fait ! » Après avoir dit fiat, terme de bonne latinité, en usage dans la chancellerie romaine, Panurge se reprend pour se servir de la forme macaronique fiatur, et ajoute : « à la différence du Pape, « qui ne l’employait pas dans ses bulles.
  128. Voyez ci-dessus, p. 142, la note sur la l. 4 de la p. 156.
  129. Ces mots sont le refrain d’un noël, auquel appartient le vers qui les précède.
  130. Voyez Cicéron, De divinatione, i, 20 et 21.
  131. Pour les passages de l’Énéide auxquels il est fait allusion ici et un peu plus loin, voyez les livres ii, iii et vii.
  132. Voyez Cicéron, De divinatione, i.
  133. Tempus erat quo prima quies mortalibus ægris
    Incipit, et dono divum gratissima serpit.

    (Virgile, Énéide, ii, 268)

  134. « Les dons des ennemis ne sont pas des dons. » (Sophocle, Ajax, 665)
  135. …. Vision venant de part mauluaise
    Au commencer donne semblance d’ayse,
    Et, au partir, tristes & desolez
    Rend ceulx qu’auoit à l’entrée consolez ;
    Mais au contraire, & tout à l’opposite,
    Faict le bon ange enuers ceulx que visite.
    Car au venir il leur donne terreur,
    Et au depart les iecte hors d’erreur.

    (Guillaume Crétin, Apparition du maréchal sans reproche, Paris, Coustelier, p. 114)

  136. Lisez : bien & n’oyt.
  137. Lisez fera.
  138. Voyez Polidore Virgile, De inventoribus rerum, VI, 3.
  139. Cette étymologie est tirée de Plutarque, Probl. sympos., viii, 6.
  140. Énéide, VI, 9.
  141. « C’estoit vne dame de Panzoust, proche Chinon, qui ne fut point mariée & ne vouloit point l’estre, laquelle neantmoins estoit conviée de le faire par ses amis pendant qu’elle fut en aage de cela : elle mourut fort aagée. » (Alphabet de l’auteur François, au mot Sibylle)
  142. Deutéronome, xviii, 11.
  143. Jeu de mots. Maunette, mal nette, malpropre ; plus loin (t. II, p. 411), Rabelais appelle Maunet un des cuisiniers qui entrent dans la truie. Monette, qui avertit.
  144. Voyez Tacite, Germanie, 8.
  145. Jeu de mots. Voyez Soubelin au Glossaire.
  146. Regis a fort ingénieusement remarqué que Rabelais se rappelle ici ce passage du De finibus de Cicéron (ii, 5) : « Heraclitus cognomento qui σχοτεινός perhibetur, quia de natura nimis obscure memoravit. » Il traduit malignement σχοτεινός, obscur, par Scotiste, s’amusant ainsi aux dépens de Duns Scot, sans même mettre son lecteur dans la confidence de cette plaisanterie érudite que le savant allemand a fort à propos restituée.
  147. « A l’enfumée. » Dans l’Odyssée (XVIII, 27) Irus dit qu’Ulysse est semblable à une vieille enfumée γρηἶ ϰαμινοῖ ἶσος.
  148. Comparez la visite de Panurge à la sibylle de Panzoust à celle qu’Énée fait dans le vie livre de l’Énéide à la sibylle de Cumes.
  149. Nec mortale sonans… (Énéide, vi, 50)

  150. … horrendæ… secreta Sibyllæ,
    Antrum immane…
    (Énéide, vi, 10)

  151. En entrant en vn Iardin
    Ie trouuay Guillot Martin
    Auecque s’amye Heleine
    Qui vouloit pour son butin
    Son beau petit picotin,
    Non pas d’orge ne d’aueyne.

  152. De λοξός, oblique.
  153. Voyez liv. ii, c. 2.
  154. Lib. XLV, Digest. Tit. i, De verborum obligationibus, lex i, 7. Barthole examine si un homme qui comprend les autres et se fait comprendre lui-même, comme Nella de Gabriellis, peut être admis à stipuler, et il se prononce pour l’affirmative.
  155. « C’est Lucien en son Dialogue de la danse. Il est vrai que Tiridate n’y est pas nommé ; mais Suétone, Pline & Tacite parlent du voyage que ce Prince entreprit pour voir Néron. » (Le Duchat)
  156. « Guevare, chap. 37 de l’Original Espagnol de la vie fabuleuse qu’il a publiée de l’empereur Marc Auréle. » (Le Duchat)
  157. Certaines éditions collectives, suivies par Le Duchat, donnent Brignoles. Dans une Notice sur Brignoles (Brignoles, 1829, in-12), attribuée à Raynouard, né dans cette ville, on remarque que « lorsque Rabelais… écrivait, le couvent des Ursulines de Brignoles n’existait pas encore. »
  158. Ce nom n’est point de l’invention de Rabelais. Il y a une farce du Recueil La Vallière, intitulée : Farce nouuelle à cinq personnages… l’abesse… & seur Fesue.
  159. Dans l’ίχθυοφαγία d’Érasme, une religieuse fait la même réponse. Du reste ce conte remonte très loin : « Ne soyes pas comme ceste nonnain de laquelle on dit que quant elle fut despucelée… & quelle nauoit point cryé… elle respondit… quil estoit apres leure de complie quant selon la reule, elle deuoit garder silence. » (Le chasteau de Virginité, par Georges d’Esclavonie, mort en 1416. Paris, Verard, 1505, 4°)
  160. Martin dit lors : « S’il venoit par derriere
    Quelque lourdault, ce seroit grand vergongne.
    — Du cul (dit-ell’) vous ferez signe : « Arriere :
    Passez chemin, laissez faire besongne. »

    (Clém. Marot, Épigrammes, clxxiv)

  161. Plutarque, Questions romaines, ii.
  162. « I’ai entendu… d’vn certain Megarien, qui l’auoit aussi ouy dire à Terpsion que cet esprit n’estoit autre chose qu’vn esternuement. » (Plutarque, Du Demon familier de Socrate)
  163. Itane vero obturbat ?

    (Térence, Andrienne, v, 1)

  164. Cicéron y blâme en ces termes (ch. 40) ce genre d’observations : « quæ si suscipiamus… et sternutamenta erunt observanda. »
  165. Voyez ci-dessus, p. 167, la note sur la l. 30 de la p. 231.
  166. Traduction de cet axiome scolastique :

    Omne verum omni vero consonat.

  167. C’est la transcription du proverbe latin : « Omnem movere lapidera, » que Pline le Jeune, dans une de ses lettres (i, 20), cite sous sa forme grecque : « πάντα denique λίθον ϰινῶ. »
  168. « Le vieillard prophétise comme une sibylle. » (Chevaliers, i, 1, 61)
  169. Genèse, 27, 28 et 29.
  170. Iliade, ii, 843, et x, 355.
  171. Euripide, Hécube, v, 1270.
  172. « Divinare autem morientes, etiam illo exemplo confirmat Posidonius quo affert Rhodium quemdam morieutem sex æquales nominasse, et dixisse qui primus eorum, qui secundus, qui deinde deinceps moriturus esset. » (Cicéron, De Divinatione, i, 30)
  173. Plutarque, Vie d’Alexandre, LXX.
  174. Virgile, Énéide, x, 139.
  175. Ce rondeau est de Guillaume Crétin ; on le trouve avec quelques variantes dans ses œuvres. Ce qui a fait penser à la plupart des commentateurs de Rabelais que Raminagrobis n’est autre que Guillaume Crétin.
  176. C’est à Ulysse que Tirésias parle ainsi :

    quidquid dicam, aut erit, aut non.

    (Horace, Satires, ii, v, 60)

  177. On lit encore à la fin de la page suivante : « son ame s’en va à trente mille charrettées de Diables, » et au commencement du chapitre suivant : « qu’il ne damne son ame. » Dans tous ces passages l’édition de 1552 donne bien ame, mais il y avait asne dans celle de 1546. Dans son épitre adressée, le 28 de janvier 1552, à monseigneur Odet, en tête du quart livre (t. ii, p. 251), Rabelais ne se reconnaît point responsable de cette facétie, qui avait été prise au tragique, et il dit que François Ier « auoit eu en horreur quelque mangeur de serpens, qui fondoit mortelle hæresie sus vn N. mis pour vn M. par la faulte & négligence des imprimeurs. »
    Il faut reconnaître que Rabelais était le vrai coupable. Ses imitateurs ne s’y sont pas trompés et ont renouvelé cette dangereuse plaisanterie : « Il ne voulut pas se donner au diable après son asne. » (Moyen de parvenir, p. 67.) — Le Mondain. « Ie ne m’ébahi plus maintenant si tu n’as dit gueres de bien de ceus qui conseruent la santé du cors, que mesme tu fais tant peu de comte des autres qui gardent celle de l’ame. Le Democritic. Comment la selle de l’asne, dis-tu ? Quant est de moy ie n’ay asne ni asnesse. Le Cosmophile. Ie di celle de l’ame, c’est à dire la santé de nostre ame. » (Jacques Tahureau, Premier dialogue du Democritic, p. 93, édit. Lemerre)
  178. Les éditions collectives donnent clarelé, et l’Alphabet de l’auteur français explique ainsi ce passage : « Il se moque d’vne condamnation de mort qui fut donnée contre vn des premiers huguenots qui embrassa la Religion Reformée à la Rochelle, lequel estoit horloger & auoit fait vne horloge toute de bois qui estoit vn ouurage admirable. Mais à cause qu’elle auoit esté faite par les mains d’vn pretendu heretique, les iuges ordonnerent par la mesme sentence que cette horloge seroit brullée par la main du bourreau : ce qui fut executé. Il faut encore remarquer que cet adcictif de clarelé est fait du nom de cet horloger, qui auoit nom Clarelé & s’estoit rendu fort considerable par son zele. »
  179. On lit præuosté dans l’édition de 1552, mais j’ai cru devoir me ranger à l’opinion de Burgaud des Marets et imprimer præuoste. Louise de Mareau, femme de François de Saint-Mesmin prévôt d’Orléans, ayant été enterrée dans l’église des Cordeliers, ces religieux contrefirent les farfadets et prétendirent que l’âme de la prévote revenait les tourmenter dans leur couvent. Le 1er février 1533, ils commencèrent à conjurer cet esprit, et ce manège continua longtemps. La fourberie ayant été découverte, ils furent condamnés à être brûlés ; mais ils firent amende honorable et furent seulement bannis par arrêt du 18 février 1534. C’est ce qui fait qu’Henri Estienne, parlant dans son Apologie pour Hérodote (c. xxi, t. i, p. 520) de l’impunité des gens d’église, s’exprime ainsi : « Dequoy entr’autres tesmoignages nous en auons vn fort bon es cordeliers d’Orleans, aprés auoir vsé de l’horrible & execrable imposture qui depuis par tous les coins du monde fut diulguee. » Il revient souvent sur cette affaire (c. xv, t. i, p. 286 ; c. xxiii, t. i, p. 546), mais se contente de la rappeler au lecteur : « estimant n’estre befoin de luy en faire le recit, veu que ces histoires ont esté imprimées, & outre cela sont en la bouche d’vn chacun. » (c. xxxix, t. ii, p. 247). En effet Sleidars les a racontées tout au long (liv. ix, année 1534). Voyez aussi Lottin, Recherches historiques sur Orléans, t. i, p. 381. L’histoire des farfadetz qui figure dans la bibliothèque Saint-Victor, est très probablement, dans l’intention de Rabelais, celle de cet événement.
  180. Ces imprécations assez fréquentes chez Rabelais ( « ie me donne à cent mille panerees de beaulx diables, » t. i, p. 218, etc.) ne sont point de son invention et s’employaient habituellement de son temps :

    Or, va, que mille charretées
    De dyables te puissent emporter.

    (Farce d’vng mary ialoux, Anc. Théât. Franc, i, p. 144)

    « Ce que nous voyons que les prescheurs que i’ay alleguez ci-dessus disent quelques fois, Ad omnes diabolos, ad triginta mille diabolos, c’est vu certain Latin dont le patron a esté pris sur nostre François lequel bien souuent pour exagerer conte les diables par tant de mille chartées : disant, ie le donne à trente mille chartées de diables, ou quarante, &c. » (Henri Estienne, Apologie pour Hérodote, ch. xiv, t. i, p. 197)

  181. Il la demande en apparence pour se préserver des diables au moyen des croix que portaient les pièces de monnaie.
  182. La Monnoye a rapporté dans le Ménagiana. (t. i, p. 368) l’original de ce conte :

    De quodam Minoritano & alio.

    Franciscanus in alteram profundi
    Ripam fluminis excipit ferendum
    Quempiam nitidum comatulumque
    (Parco huic Domine, rem minus silebo
    Dignam publica quæ lit, atque fiat),
    Impostumque humeris rogavit ipse,
    Cum ventum ad medium prope esset amnem
    Franciscanus, an is pecuniarum
    Quicquam forsan haberet ? Ille habere
    Se dixit, quibus hunc juvaret, amplas,
    Affatim quoque asymbolum cibaret.
    Promissis nihil excitus vadator :
    Nescis ordinis, inquit, esse nostri
    Nos deferre pecunias vetari ?
    Defertor minime hujus ipse fiam.
    Excussum simul hunc in amne liquit
    Novi utrumque, & id audii ex utroque.

    (Nic. Bartholomæi Lochiensis Epigrammata & Eidyllia, Parisiis, Cyaneus, 1532, 8°, liv. ii, ft 22, vo.)

    Ce Nicolas Barthélémy, né à Loches, est mort prieur de Notre-Dame de Bonne-Nouvelle d’Orléans. On voit qu’il connaissait les deux personnages, mais il juge à propos de ne les point nommer. Il est curieux de voir Rabelais compléter ce récit ; et ceci semble un indice de plus que tout ce qu’il nous conte sur les habitants du Chinonnais et des environs n’est pas, comme on l’a trop cru, purement imaginaire.

  183. « Salut, étoile de la mer, » Prose de l’office de la Vierge.
  184. « Tu auras une longue pénitence. » Miserere est le premier mot d’un des sept psaumes de la pénitence, et vitulos le dernier. Cette locution était fort usitée : « se saisirent du cordelier luy baillant le chapitre tout au long du dos depuis miserere iusques à vitulos. » (Henri Estienne, Apologie pour Hérodote, c. xxi, t. i, p. 501). « Le maistre d’hostel dit… qu’il se hastast de deloger, sur peine non qu’il auroit le fouet, mais vn autre qui le feroit dancer depuis miserere iusques à vitulos. » (Noël du Fail, Œuvres, t. ii, p. 95)
  185. Ainsi dans les anciennes éditions et aussi dans Brantôme (Œuvres, t. ii, p. 222, Société de l’histoire de France). Ce n’en est pas moins une erreur. Il est mort à Châtres (Arpajon) le 5 décembre 1518. Brantôme, d’accord avec Rabelais, cite dans son récit le passage de Virgile (Énéide, vii, 260) auquel celui-ci fait allusion : « Il avoit ouy dire à quelques philosophes que les diables hayssoient fort les espées & en auoient grand frayeur, & s’enfuyoient quand ilz les voyoient blanches en l’air & flamboyer. Tel fut l’avis de la Sibille quand elle mena Æneas aux enfers, & qu’elle le vist à l’entrée de la porte avoir peur de messieurs les diables : « Non, non, dist-elle, n’aye point de peur ; tire seulement ton espée : Vaginaque eripe ferrum. » Aussi ledidt seigneur Iehan-Iacques, fondé sur telle opinion, lors qu’il voulut mourir, il se fist mettre son espée sur le lict toute nue près de luy, & tant qu’il peut il la tint en lieu de croix comme les autres ; & de vray, l’espée portoit la croix sur elle & luy seruoit d’autant ; & aussi que, cependant qu’elle renuoyeroit les diables, luy voyant ainsi en la main, eussent peur & ne s’approchassent de luy pour luy enleuer & emporter son ame auecqu’eux ; & par ainsi, ne s’en osans approcher de luy, ell’eust loisir de s’eschapper & passer par la porte de derrière, & s’enuoller viste en paradis. »
  186. Iliade, v. 559.
  187. Voyez ci-dessus, p. 160, la note sur la l. 22 de la p. 216.
  188. Voyez Hérodote, I, 82.
  189. Enguerrant de Monstrelet, liv. I, c. 2.
  190. Lucien de Samosate, qui a écrit un traité : De la manière d’écrire l’histoire.
  191. Parturiunt montes, nascetur ridiculus mus.

  192. Jeu de mots renouvelé de Marot (Épistre à son amy Lyon) :

    Sire lyon (dit le filz de souris)
    De ton propos certes ie me soubris.

  193. Voyez Aphorismes, liv. I, aph. 1.
  194. Voyez Plutarque, De la face qu’on voit dans la lune, 67 et 68.
  195. Cette dénomination burlesque semble signifier « Monsieur la Trippe, » mais les deux dernières syllabes rappellent le nom d’Henri Corneille Agrippa, qui, suivant tous les commentateurs, est désigné dans ce chapitre.
  196. Pancrace, dans Le Mariage forcé (sc. vi) s’attribue la connaissance de toutes ces prétendues sciences : « Homme qui possede superlative, astrologie, physionomie, metoposcopie, chiromancie, géomancie. »
  197. « L’angelot était une monnaie anglaise courant en France sous les règnes de Charles VI et de Charles vii ; il valait environ 8 francs. » (Cartier, Numismatique de Rabelais, p. 347)
  198. « Rabelais pensait-il, dit Burgaud des Marets, à un usage qui s’est maintenu dans le pays messin, et qui a pu être plus général autrefois ? Le 23 juin, veille de la Saint-Jean, s’il faut eu croire un écrivain du Jura, on y fait une procession de maris trompés ; le plus recommandable de la confrérie y porte une bannière jaune, surmontée d’un bois de cerf. » (V. Mémoires de la Sociécé des Antiquaires, t. iv, p. 378). M. Puymaigre, dans le compte rendu, d’ailleurs très favorable, de la 2e édition de ce commentaire, a fait bonne justice de cette fable. Cet usage, dit-il, est « tout à fait inconnu dans le pays messin, et nous n’en retrouvons nulle part trace dans le passé de cette contrée. » (Revue critique, 1874, 2e sem., p. 263)
  199. Uxor mœcha ubi est : hoc ad te pertinet, Ole.

    (Martial, Épigrammes, vii, 9. In Olum)

  200. Mot employé par Athénée (vi) pour désigner un pauvre arrogant.
  201. Voyez t. ii, p. 441, l. 7-9.
  202. C’est-à-dire un tel curieux. Voyez le traité de Plutarque Περὶ πολυπραγμοσύνης, De la curiosité.
  203. Voyez Mémorables, c. 26.
  204. Ἅλφιτά τοι πρᾶτον πυρὶ τάϰεται.

    (Idylles, II, 18)

  205. Voyez ci-après, p. 302, note sur la l. 2 de la p. 474.
  206. Philostrate, iV, 16.
  207. Les Rois, i, 28.
  208. On croit d’abord qu’il s’agit de nobles à la rose, puis Panurge ajoute pour faire une équivoque : « & quatorze roturiers. »
  209. L’espèce de litanie, ou plutôt de blason, qui commence ici n’est pas sans analogie avec le blason de Triboulet fait par Pantagruel et Panurge (t. ii, p. 181). Burgaud des Marets a cru qu’il existait de grandes différences, quant à l’ordre des mots do cette liste, entre la première édition où elle est imprimée sur trois colonnes, et celle de 1552, que nous avons suivie et où elle l’est sur deux. Cet ordre est cependant absolument le même ; mais il faut avoir soin de lire ligne à ligne et non colonne à colonne, de sorte que si l’on réimprimait ceci en un texte suivi il faudrait mettre : Couillon mignon, Couillon moignon, c. de renom, c. pâté, c. naté, etc.
  210. Jeu de mots : « fais publier les bans. » L’allusion libre est très nettement déterminée par l’orthographe bancs et par le complément : « & le challit. »
  211. « Croissez. Nous qui vivons (nous bénissons le Seigneur. — Ps. cxiii, 18). Multipliez. »
  212. « Tandis qu’il viendra juger. »
  213. Parcite, dum propero ; mergite, dum redeo.

    (Martial, De Spectaculis, épigr. 25)

  214. « Quando potui non volui, & quando volui non potui, » dit un vieux brocard qu’on attribue à Saint Basile, De nugis curialium, VIi, 17.
  215. Cette idée revient souvent dans nos auteurs comiques : « Foi de demoiselle ! disoit ma mere pansant ses pourceaux, mon mari est aussi noble que le roi ; il aime bien à ne rien faire, & se donner du plaisir. » (Moyen de parvenir, p. 359)

    Je t’ay ja dit que j’estois gentilhomme,
    Né pour chommer, & pour ne rien sçavoir.

    Chacun d’eux resolut de vivre en Gentilhomme,
    Sans rien faire.

    « Ton état ? — Gentilhomme. — Que fais-tu ? — Rien. » (Chamfort, Le Marchand de Smyrne)

  216. Comme nê diâ. Voyez ci-dessus, p. 108, note sur la l. 4 de la p. 66,
  217. Dans l’Itinerarium paradisi de Jean Raulin (Parisiis, 1524, Sermo de viduitate, fol. 148 vo) on trouve le récit suivant : « Certaine veuve vint demander à son curé si elle devait se remarier. Elle alléguait qu’elle était sans aide et qu’elle avait un très bon valet, habile dans l’art de son mari. Alors le curé lui dit : Bien ! prenez-le. Elle répondit : mais il y a danger à le prendre, de mon valet je ferai un maître. Alors le curé dit : Bien, ne le prenez pas. Mais elle : Que ferai-je ? Je ne puis soutenir ce poids que soutenait mon mari, si je n’en ai un. Alors,1e curé dit : Bien, ayez-le. Et elle : Mais s’il était méchant et voulait perdre et usurper mon bien ? Alors le curé : Ne le prenez donc pas. Et ainsi, selon ses arguments, le curé se rangeait toujours à son avis. Mais voyant qu’elle voulait avoir ce valet et était à sa dévotion, il l’engagea à bien comprendre ce que lui diraient les cloches de l’église et à faire selon leur conseil. Les cloches sonnant, elle comprit, suivant son vouloir, qu’elles disaient : Prens ton varlet, prens ton varlet. L’ayant pris, le valet la battit de son mieux ; et elle devint servante, de maîtresse qu’elle était. Alors elle se plaignit au curé de son conseil, maudissant l’heure où elle l’avait cru. Mais celui-ci lui dit : Vous n’avez pas bien entendu ce que disent les cloches. Le curé les sonna, et elle comprit alors ce qu’elles disaient, car le tourment lui en avait facilité l’intelligence. »
  218. Hic murus alieneæus esto.

    (Horace, Épitres, i, 1, 60)

  219. « Tria sunt insaturabilia… infernus, et os vulvæ, et terra. » — Proverbes, xxx, 15, 16.
  220. Ἄπληστοι ὤςπερ αί γυναῖϰες. (Problèmes, IV, 26. Collect. Didot, t. IV, p. 141)
  221. « Proculus imperator… (ut testatur ejus ad Metianum epistola) ex captis centum Sarmaticis virginibus decem prima nocte inivit, omnes autem intra quindecim dies constupravit. Sed majus illo est quod poetæ narrant de Hercule, illum quinquaginta virgines (v. Diodor. Sic. V, 2) una nocte omnes mulieres reddidisse. (Henrici Cornelii Agrippæ… De incertitudine & vanitate omnium scientiarum. cap. lxiii. De arte meretricia)
  222. Voyez Théophraste, iii, 5 ; Pline, xxvi, 10 ; Athénée, i, 12.
  223. « Le premier du monde. » Locution italienne dont l’emploi, alors fréquent dans notre langue, est blâmé par Henri Estienne dans ses Dialogues du nouueau langage françois italianizé, A Envers., 1579, p. 76 et 85.
  224. Sur les effets du froc, voyez ci-dessus, p. 134, la note sur la l. 11 de la p. 145.
  225. Voyez t. II, p. 315.
  226. « Eodem ludos florales, quos Messius ædilis faciebat, spectante, populus ut mimæ nudarentur postulare erubuit : quod cum ex Favonio, amicissimo sibi, cognovisset, discessit e theatro, ne præsentia sua spectaculi consuetudinem impediret. » (Valère Maxime, ii, 10)
  227. Des Périers (Nouvelle 5), citant ce discours de mémoire, l’attribue à Pantagruel : « Et bien, s’elle vous fait cocu après, le plaisir vous demeure tousiours, ie ne dis pas d’estre cocu, ie dis de l’auoir depucelée. Et puis vous auez mille faueurs, mille auantages, à cause d’elle. » — La Fontaine a énuméré ces nombreux avantages dans son conte de La Coupe enchantée.
  228. Dans l’édition de 1546, cette liste est sur trois colonnes. Voyez ce que nous avons dit, p. 246, note sur la l. 12 de la p. 128. La liste de 1546 contient un certain nombre d’épithètes qui ne figurent pas ici, mais que nous aurons soin de recueillir dans le Glossaire.
  229. « Voici la généalogie exacte du Conte de l’Anneau de Hans Carvel. L’invention en est due à Poge… Qu’on lise la 133 de ses facéties, intitulée Visio Francisci Philelphi, on reconnoîtra que Rabelais… n’a fait que mettre le nom de Hans Carvel à la place de celui de Philelphe. On trouve ensuite ce conte dans la onzième des Cent nouuelles nouuelles… L’Arioste est le troisiéme qui l’a mis en œuvre à la fin de la cinquième de ses Satires… Un anonyme qui fit imprimer in-16, à Lyon, en 1555, un recueil de plaisantes Nouvelles, a employé ce conte dans la xi. Celio Malespini l’a aussi employé, p. 288, de la seconde partie de ses Ducento Novelle, imprimées in-4, à Venise l’an 1609… La Fontaine, en 1665, habilla joliment en vers la prose de Rabelais… Enfin, pour couronnement de l’œuvre, on a essayé de le mettre en petits vers Anacréontiques Latins dont les connoisseurs jugeront. » (La Monnoye, Ménagiana, t. i, p. 369). La pièce en vers latins qui suit ce morceau est évidemment de La Monnoye lui-même.
  230. Carvel craignant de sa nature
    Le cocuage & les railleurs,
    Alleguoit à la creature,
    Et la legende, & l’écriture,
    Et tous les Liures les meilleurs.

    dit La Fontaine. Au moyen âge il y avait une littérature morale destinée à faire bien comprendre aux femmes l’étendue de leurs devoirs. On peut voir la bibliothèque spéciale fort curieuse du Ménagier de Paris à ce sujet : l’histoire de Griselidis tient le premier rang, et le chien de Montargis lui-même est cité comme un exemple de fidélité à son maître que les femmes doivent s’efforcer d’imiter. On.se rappelle avec quelle chaleur Gorgibus vante (Molière, Sganarelle, acte i, sc. i) :

    Les Quatrains de Pibrac, & les doctes Tablettes
    Du Conseiller Mathieu…

    et aussi La Guide des Pecheurs. Un peu plus tard, Arnolphe compose pour Agnès Les Maximes du mariage, comme Carvel avait fait pour sa femme Les louanges de fidélité conjugale.

  231. Brundusium longæ finis chartæque viæque.

    (Horace, Satires, 1, 5, v. 104)

  232. Il est fort probable que Rabelais veut designer Guillaume Rondellet, médecin de Montpellier.
  233. « Les insolubles de Pierre d’Ailli. » Voici une de ces questions insolubles : « An porcus qui ad venalitium agitur ab homine an a funiculo teneatur ? » Voyez p. 298, l. 31 du t. i.
  234. « Melius est nubere quam uri. » (S. Paul, Première aux Corinthiens, VII, 9)
  235. C’est-à-dire : nous mangerons réellement de l’oie, je ne vous amuserai pas de vaines promesses, comme Pathelin, lorsqu’il dit au drapier (p. 21) :

    Et si mangerez de mon oye,
    Par Dieu ! que ma femme rotit.

  236. Jeu de mots : testa, tête ; ment, mens, esprit.
  237. Lisez serez.
  238. Voyez Plutarque, Préceptes du mariage, 13.
  239. Ecclésiastique, 26.
  240. sine Cerere et Libero friget Venus.

  241. Voyez v, 6.
  242. Voyez IX, 31.
  243. Castres, les camps. « Castra sunt ubi miles steterit ; dicta autem castra, quasi casta, eo quod ibi castraretur libido. » (Isidore, Origines, ix)
  244. Quæritur Ægysthus quare sit factus adulter ?
    In promptu causa est : desidiosus erat.

  245. Dans le 2e dialogue de Vénus et de l’Amour de Lucien.
  246. Le sens de ces initiales, que Rabelais explique par : « Si peu que rien, » est : Senatus populusque romanus.
  247. Cette lettre, qui se trouve dans les anciennes éditions d’Hippocrate, est considérée comme supposée.
  248. Mais, Sire, il faut penser que c’est aux grandes ames
    A souffrir les grands maux & que femmes sont femmes.

    (Mairet, Sophonisbe, i, 2)

    La femme est tousiours femme.

  249. De communi animalium motu.
  250. Timée.
  251. vi, De locis affectis, c. 5.
  252. Critolaüs, philosophe péripatéticien, pesait, comparait les biens moraux aux biens physiques, et donnait l’avantage aux premiers. Voyez Cicéron, Tusculanes, v, 17.
  253. 1546 : entre Noel & la Tiphaine (ainsi nommait il la mere de troys Roys).
  254. Plutarque, Propos de table, iv, 2.
  255. Dans 1546, il est toujours appelé : Parathadée.
  256. Hérodote, II, 46 ; Strabon, xvii.
  257. Ce conte, souvent reproduit et modifié, remonte assez haut. On le trouve déjà, en 1476, dans les Sermones discipuli de tempore serm. 50 ; puis en 1536 dans les Controuerses des sexes masculin & feminin de Gratien Dupont.
  258. 1545 : Fonsheurauld.
  259. (Voyez notre Biographie de Rabelais). On a représenté le dimanche 11 mars 1877, à la Porte-Saint-Martin, dans une « matinée gauloise, » La farce de la femme muette par M. Albert Millaud, d’après le scénario de Rabelais.
  260. « Monsieur, ie vous prie de la faire redeuenir müette. — C’est vne chose qui m’est impossible. Tout ce que ie puis faire pour vostre seruice, est de vous rendre sourd, si vous voulez. » (Molière, Le Médecin malgré-luy, iii, 6)
  261. Voyez ci-dessus, p. 66, la note sur la l. 24 de la p. 10.
  262. 1546 : Piques.
  263. « Les excréments et l’urine sont les premiers mets des médecins. Du reste vient la paille, de ceci le grain. » Le second dicton est un brocard de droit que Rabelais a rapproché plaisamment du premier. Quant à la réponse de Rondibilis, en voici le sens : « Pour nous ce sont signes, pour vous ce sont mets dignes. »
  264. « Custodiendoque partu. » (Pandectes xxv, 4). « De l’inspection du ventre, et de la conservation de l’enfant. »
  265. Dire en serrant la main, Dame il n’en falloit point.

    (Regnier, Satires, iv, 60)

    Voyez Molière, Le Médecin malgré-luy, ii, 4.

  266. Allusion aux courses de flambeaux, où celui qui se retirait remettait à un autre la torche, à laquelle Lucrèce, dans un passage célèbre de son poème (ii, 78), a comparé la vie :

    Et, quasi cursores, vitaï lampada tradunt.

  267. On est tenté de croire qu’il y a ici une raillerie contre quelque ignorant interprète de la Bible, qui traduisait ϰύων, ϰυνος ; « chien, » par Kyne, et croyait que c’était le nom du chien de Tobie, qui n’est pas indiqué dans l’Ancien Testament.
  268. Il s’agit d’Aristippe et de Laïs.
  269. Voyez Plutarque, Apophtegmes des Lacédémoniens et Préceptes du mariage.
  270. Saint Paul, Première aux Corinthiens, 7, 29.
  271. Voyez ci-dessus, p. 205, la note sur la l. 33 de la p. 308.
  272. Non licuit thalami expertem sine crimine vitam
    Degere, more feræ.

    (Virgile, Énéide, iv, 550)

  273. « Ie vous demande, si ie feray bien d’épouser la Fille, dont ie vous parle. — Selon la rencontre. — Feray-ie mal ? — Par-avanture. « (Molière, Mariage forcé, sc. 5)
  274. 1546 : En robbe.
  275. Henri Estienne, dans son Apologie pour Hérodote (c. XIV, t. I, p. 168), raconte l’histoire suivante d’un joueur : « Ce vilain estant lassé de maugréer, renier, despiter Dieu & le blasphemer en toutes sortes, commanda à son valet de luy aider. » D’ordinaire, dans nos comiques, quand on prie quelqu’un de jurer pour soi, cela s’applique plutôt au serment à taire devant un tribunal qu’à des jurons : « Ie prieray mon voisin deiurer pour moy, ainsi que fit le sire Guillaume, qui, pressé du iuge de iurer, luy dit ainsi : « Monsieur, ie ne fais point iurer, parce que ie n’ay pas étudié, ny esté à la guerre, & ne suis docteur, ny gendarme, ny gentilhomme ; mais i’ay vn frere qui iurera pour moy. » (Moyen de parvenir, p. 2)

    Un grand homme sec, là qui me sert de témoin,
    Et qui jure pour moy lors que j’en ay besoin.

  276. Allusion aux ceintures de chasteté ou cadenas. Voyez dans les Poésies diverses de Voltaire la pièce qui porte ce titre. Un de ces instruments est exposé au musée de Cluny.
  277. Voyez ci-dessus, p. 78, la note sur la l. 26 de la p. 22.
  278. Voyez ci-dessus, p, 99, la note sur la l. 13 de la p. 54.
  279. Allusion au proverbe : « On prend les taureaux par les cornes et les hommes par des paroles. »
  280. De fatum destin. Voyez Servius sur le v. 47 du liv. vii de l’Énéide.
  281. Voyez la Table des noms. Le conte qui suit forme la 9e nouvelle des Cento nouelle antiche, qui a pour titre : Qui si ditermina vna quistione e sentenzia che fu data in Alessandria. Il a été reproduit sous bien des formes différentes depuis Rabelais. Du Fail (t. II, p. 268) le résume ainsi en quelques lignes : « Payez moy, disoit le rotisseur au gueu, qui mettoit son pain sur la fumée du rost : ouy vrayement, respond il, faisant tinter & sonner vn douzain : c’est du vent que i’ay prins, duquel mesme ie vous en paye. »
  282. Les litanies burlesques qui suivent semblent empruntées aux usages de nos anciennes sociétés bouffonnes. Le Cry du Ieu du prince des Sotz de Gringore (Bibl. elzév., t. I, p. 201) commence ainsi :

    Sotz lunatiqnes, Sotz estourdis, Sotz sages,
    Sotz de villes, de chasteaulx, de villages,
    Sotz rassotez, Sotz nyais, Sotz subtilz,
    Sotz amoureux, Sotz priuez, Sotz sauuages.

    Voyez aussi : Roger de Collerye, Bibl. elzév., p. 271-275 ; Anciennes poësies françoises, Bibl. elz,, t. I, p. II, et t. III, p. II.

  283. Et Fol iusque à la haute Game.

    (Clém. Marot, Épitaphe vi, De Iouan Fol de ma Dame)

  284. C’est la qualité que Corneille attribue à Mairet :

    Chacun connoît son jaloux naturel,
    Le montre au doigt comme un fou solennel.

    (Corneille, t. x. p. 79, Collection des grands écrivains)

  285. « La divine folie. » Série de jeux de mots et de coqs à l’âne. Bona dies, bonjour. Bonedée, la bonne déesse.
  286. Ce chapitre et les suivants sont remplis de citations du Corpus juris Justiniani et des Décretales. Il serait inutile de les reproduire toutes in extenso et de les expliquer. Il sufEt de constater qu’en général elles sont justes, mais facétieusement appliquées, pour montrer l’emploi inconsidéré que Bridoye en faisait.
  287. 1546 : biscentumuirale. Le Parlement de Paris, composé de cent personnes sous Louis XI, avait été augmenté sous François ier, et réduit en 1547 sous Henri ii.
  288. Voyez Genèse, xxvii.
  289. « Le hasard, l’aléa des jugerments. » Bridoye, au lieu de comprendre l’expression au sens figuré, l’explique judaïquement par « les dez des jugements »
  290. « Les modernes aiment la brièveté. »
  291. « Quand les droits des parties sont obscurs, il faut se montrer favorable à l’accusé plutôt qu’à l’accusateur. »
  292. « Les choses opposées, étant juxtaposées, deviennent plus claires. »
  293. C’est-à-dire : « la loi en vers et versifiée. » Le q qui termine « versifiée » est l’abréviation de la conjonction latine que, ajoutée maladroitement par Bridoye à un mot français. Cette loi, qui est la 9e du titre qui vient d’être cité, est appelée versifiée par Rabelais parce qu’elle forme un vers pentamètre, ce qui est un défaut dans la prose. (Voyez Ménagiana, t. i, p. 76-77)
  294. « Dans les cas obscurs nous inclinons toujours pour le minimum. »
  295. « Le premier en date, est le préféré en droit. »
  296. « La forme changée, la substance est changée. » On voit que Bridoye a donné à son successeur Bridoison l’exemple du respect pour « la fo… orme. »
  297. « Parce que l’accessoire suit la nature du principal. »
  298. « Mêle parfois quelques joies à tes soucis. »
  299. « Tout obéit à l’argent. »
  300. Hic notetis, « vous remarquiez ici. »
  301. Il y a dans la loi si post motam a Musœo, nom du plaideur Musæus dont il est question dans cette constitution impériale. Rabelais met plaisamment Musco afin de faire concorder ce texte avec son sujet.
  302. Lisez Muscarii. L’abréviation i. est pour id est, « c’est-à-dire. »
  303. « En parlant résolutivement. »
  304. « Ce qu’on porte volontiers, est porté légèrement. »
  305. « Ce que les médicaments effectuent pour les maladies, les jugements le font pour les affaires. »
  306. « Déjà la virginité, mûre pour le lit nuptial, avait pris son développement par le nombre d’années voulu. »
  307. On appelait brocard, brocardium, un axiome familier, un proverbe juridique. Les maximes de ce genre, réunies sous le titre de brocardia juris et fréquemment alléguées devant Bridoye, lui avaient donné une haute idée du savant Brocardium ou Brocadium juris auquel il les attribuait, et il tenait à passer pour son élève, comme le singe de la fable voulait se faire croire ami du Pirée.
  308. Racine, qui a pris ce nom pour le donner à son juge, dans Les Plaideurs, n’a rien conservé du caractère de « l’apoincteur de procès. » On en retrouverait plutôt quelque chose dans le Juge arbitre de La Fontaine.
  309. « Dieu ayt l’ame de maistre Iean Frigidi, & sa voisine la Pragmatique Sanction, c’estoient d’honnestes gens. » (Du Fail, t. II, p. 193)
  310. Cette loi n’existe pas.
  311. « Souvent le fils est semblable au père, et la fille suit aisément le chemin de la mère. »
  312. « J’excepte les fils nés d’une nonne du fait d’un moine. »
  313. « Aux vigilants les droits subviennent. »
  314. « Il a senti, c’est-à-dire : il a posé le nez au c… »
  315. Le texte du proverbe devrait être non manducat : « Qui ne travaille ne mange ; » mais Rabelais, pour amener une équivoque, met : « manige ducat » c’est-à-dire : « ne manie ducat. »
  316. « Le besoin force la vieille à courir plus que le pas. »
  317. « La parole est donnée à tous, la sagesse à peu. »
  318. « Il faut. » Le sens de ce dicton est qu’on doit se rendre à la nécessité,
  319. « Le fruit recueilli après de nombreux périls est plus doux. »
  320. « L’argent manquant, tout manque. » Vers d’Ennius, fréquemment cité, à cause de la tmèse du mot pecunia.
  321. « Je ne suis bon, non plus que Perrin Dandin, que quand les parties sont lasses de contester. » (La Fontaine, Lettres, A Mme  de Bouillon, nov. 1687)
  322. « Ie croy, si ie me l’estois mis en teste, que ie marierois le Grand Turc auec la Republique de Venise. » (Molière, L’Avare, ii, 5)
  323. « Je haïrai si je puis ; sinon, j’aimerai malgré moi. »
  324. Il est temps désormais que le juge se haste :
    N’a-t-il point allez leché l’Ours ?

  325. « La forme donne l’être à la chose. » Voy. ci-dessus, p. 257, la note sur la l. 22 de la p. 190.
  326. « Une meilleure fortune suivra un faible commencement. »
  327. « Tel sera l’habit, tel est le cœur. »
  328. « Il est plus heureux de donner que de recevoir. » (Actes des apôtres, xx, 35)
  329. « La censure de celui qui tonne pèse la disposition de celui qui donne. »
  330. « Reçois, enlève, prends, sont paroles qui plaisent au Pape. »
  331. « Rome ronge les mains, hait celles qu’elle ne peut ronger, protège qui donne, méprise et hait qui ne donne point. »
  332. « A présent œufs, demain sont meilleurs que poulets. »
  333. « Quand le travail périclite, la disette mortelle grandit. »
  334. « Par litige croissent les droits. Par litige le droit s’acquiert. »
  335. « Quand les tentatives isolées ne servent de rien, les efforts multipliés sont utiles. »
  336. « En flagrant délit. »
  337. « Le bon Homère sommeille quelquefois. » (Horace, Art poétique, v. 359)
  338. En 1518, lorsque cette ville était assiégée par Christiern II, Roi de Danemarck. Le conte qui suit est tiré du Dialogo del giuoco de Pierre Arétin. Mellin de S. Gelais y a fait allusion dans sa Response au cartel des ennemis d’Amour. Voyez Ménagiana, t. II, p. 194.
  339. « L’argent est la vie de l’homme et son meilleur garant dans les nécessités. »
  340. « Par la tête de bœuf, garçons que le mal de pipe vous fasse trébucher ! (Voyez ci-dessus, p. 96, la note sur la l. 1 de la p. 46.) Maintenant que sont perdues mes vingt quatre vachettes (petites pièces de monnaie) tant plus je donnerai de bourrades, de chocs et de coups. Est-il quelqu’un de vous autres qui veuille se battre avec moi, à l’envi ? »
  341. Vieil allemand : « Le Gascon se flatte de se battre avec n’importe qui, mais il est plus enclin à voler : donc, chères femmes, veillez aux bagages. »
  342. « L’argent perdu est pleuré par de vraies larmes. » (Juvénal, Satires, xiii, 134)
  343. « Par le chef de Saint Arnaud, qui es-tu, toi qui me réveilles ? Quel mal de taverne te tourne ? Ho ! Saint Sever, patron de Gascogne, je dormais si bien, quand ce taquin m’est venu réveiller ! »
  344. « Hé pauvret, je t’échinerais maintenant que je suis bien reposé. Va-t’en un peu te reposer comme moi, puis nous nous battrons. »
  345. « L’arrêt et le repos rendent l’âme prudente. »
  346. Ce fait est raconté par Valère Maxime, VIII, 4, Ammien Marcellin, xxix, et Aulu-Gelle, xii, 7. Comme aucun d’eux ne nomme les personnages et que Rabelais craindrait, en agissant de même, de rendre son récit obscur, il désigne simplement, à la façon des mathématiciens, le premier fils par les lettres a b c, le second par les lettres e f g, comme s’il s’agissait de comparer deux triangles.
  347. Voyez Pline, XXIX, 1.
  348. Ce traitement, dont on usait autrefois envers ceux dont on voulait se moquer, n’était pas encore oublié au xviie siècle. Madame de Sévigné écrit à sa fille (7 août 1675) : « Je vous avoue qu’il y a ici de petits messieurs à la messe, à qui l’on voudroit bien donner d’une vessie de cochon par le nez. »
  349. « Jactavit… caput inter præcisos phanaticos. » (Vie d’Héliogabale, 7)
  350. Asinaria, II, 3 :

    Quassanti capite incidit.

  351. Trinummus, sc. dern. :

    Quid cassas caput ?

  352. « Viros veluti mente capta cum jactitatione fanatica corporis vaticinari. » (Liv. xxxix)
  353. Ainsi dans toutes les éditions, mais c’est Vivian qu’il faut lire. Voyez Pandectes, liv. xxi, tit. I, De ædilitio edicto.
  354. Cum canerem reges et prœlia Cynthius aurem
    Vellit, & admonuit…

    (Virgile, Églogues, vi, v. 3)

  355. Jeu de mots géographique. Fou est un village à trois lieues de la ville de Toul, dont au seizième siècle on ne prononçait pas l’l' finale. Les plaisanteries de ce genre sont demeurées longtemps populaires. On disait encore à Paris, dans ma jeunesse : « Je t’aime à la Folie, je te quitterai à Vaugirard. »
  356. « Stultorum numerus est infinitus. » (Ecclésiaste, i.)
  357. Voyez le prologue du ve livre, t. III, p. 5.
  358. « Rustici prouerbium peruulgatum habent : succosiores esse virgines, quæ serpillum, quam quæ moschum olent. » (Jean de la Bruière Champier, De re cibaria, vii, 35). La traduction naturelle de moschus serait benjoin ; mais comme ce mot semble signifier bien joint, benè junctus, il est tout simple qu’un amateur de pointes y substitue maulioinct (mal joint), malè junctus.
  359. Ici commence un passage, rempli de jeux de mots et d’allusions, qui a tort embarrassé tous les commentateurs, et que nous sommes loin d’avoir la prétention d’éclaircir complètement. Carpalim veut dire qu’en suivant ses prescriptions on aura un fallot et des lanternes. Il s’adresse à Panurge qu’il appelle monsieur le quitte, rappelant ainsi les plaisanteries qu’il a faites contre ceux qui ont payé leurs dettes. Cette idée le conduit à lui conseiller de prendre à Calais Millort Debitis. « Débyté Débitaï, selon Burgaud des Marets, se disaient en vieil anglais, et Debitis se dit encore à Guernesey pour député : il est donc probable que milord Debitis à Calais désigne le lord député de cette ville qui appartenait alors à l’Angleterre… » Ce lord, dit Carpalim, est good fellow, bon compagnon, ce qu’il prononce à la française goud fallot, bon fallot. Debitis rappelle à Carpalim le mot debitoribus, qui lui est opposé dans le pater ; mais ce précepte de remettre aux autres ce qu’ils doivent, que Rabelais a déjà remarqué qu’on observe souvent à gauche (voyez ci-dessus, p. 162, note sur la l. 8 de la p. 220), pour Carpalim ce sont lanternes ; c’est ainsi qu’il a fallot & lanternes.
  360. Voyez ci-dessus, p. 190, note sur la l. 29 de la p. 261.
  361. Prononciation gasconne qui fournit un jeu de mots entre vraies et braies.
  362. À la cour le langage changeait à chaque instant suivant la mode du moment et se surchargeait surtout de termes italiens. Henri Estienne dans la préface de la Conformité a soin de dire : « ie veulx bien aduertir les lecteurs que mon intention n’est pas de parler de ce language François bigarré, & qui change tous les iours de liuree, selon que la fantasie prend ou à monsieur le courtisan, ou à monsieur du palais, de l’accoustrer. » C’est à cause de ces changements si prompts que Panurge prévient Épistémon que le dictionnaire qu’il lui promet « ne durera gueres plus qu’vne paire de souliers neufz. »
  363. Érasme s’était déjà élevé contre les abus signalés ici, dans un passage de son dialogue Virgo μισόναμὸς, ainsi traduit par Marot :

    A ce propos plusieurs le trouuent
    Qui les mariages approuuent
    Des ieunes gens, lesquelz s’attachent
    Sans que pere & mere le sçachent,
    Voyre malgré eulx plusieurs fois.

    Il est remarquable de voir les auteurs comiques et les poètes prendre avec tant d’autorité et d’éloquence la défense du pouvoir paternel, dont le clergé, s’appuyant sur le droit canonique, ne vouloit tenir aucun compte. Ce beau chapitre, d’une si haute moralité, gêne fort les biographes de fantaisie d’un Rabelais égrillard ; aussi est-il toujours demeuré dans l’ombre : on semble s’être entendu pour ne le point citer.

  364. Les premières éditions portent à tort Pantagruel.
  365. L’herbe ainsi appelée parce que « Pantagruel feut d’icelle inueuteur » (t. ii, p. 234), n’est autre que le chanvre (cannabis sativa, Linnée). À propos des trois chapitres qui suivent, l’ardent panégyriste de Rabelais, Antoine Leroy, a fait l’éloge de son héros, considéré comme botaniste. Depuis, des savants spéciaux sont venus confirmer cet hommage. De Candolle, dans une note de sa Théorie élémentaire, a constaté que Rabelais avait devancé tous les autres écrivains dans sa dissertation sur l’origine des noms des plantes ; et M. Léon Faye oppose à la définition exacte, mais froide, que ce savant donne du chanvre dans sa Flore française, le tableau qu’en trace Rabelais. Voyez : Rabelais botaniste, par Léon Faye, Angers, 1854, et le Discours prononcé à Montpellier le 8 juin 1856, à la session de la Société botanique de France, par M. le comte Jaubert.
  366. C’est le nom que Jean Bouchet, ami de Rabelais, avait pris, depuis longtemps déjà, sur le titre de ses ouvrages. Peut-être est-ce lui que notre auteur veut désigner ici.
  367. Voyez Histoire des plantes, i, 5. C’est de cet auteur et de Pline que Rabelais tire la plus grande partie de ce qu’il dit dans ce chapitre et dans les suivants.
  368. « Adsidere gravidis… digitis pectinatim inter se implexis, veneficium est ; idque compertum tradunt Alcmena Herculem pariente. » (Pline, xxviii, 6).
  369. Les cordiers.
  370. Liv. XXII.
  371. Voyez ci-dessus, p. 158-160, la note sur la p. 213.
  372. Les Juges, c. 9.
  373. « Aux beaux sabots, » dit Éloi Johanneau, qui évidemment croit voir là une parodie de cette expression de l’Iliade : « les Achaiens aux belles cnémides. » Burgaud des Marets combat avec raison cette explication et dit fort justement que les charretiers « remplissaient d’eau à pleins sabots le vide qu’ils avaient fait, » Cette locution est analogue à celle de « mordre à belles dents, » qui est encore en usage.
  374. Pline, xvi, 35.
  375. Voyez ci-dessus, p. 81, la note sur la l. 28 de la p. 23.
  376. Dia est la préposition grecque διά « à travers. »
  377. « Alexander Cornelius arborem eonem appellavit, ex qua facta esset Argo, similem robore viscum ferenti, quæ nec aqua, nec igni posset corrumpi, sicut nec viscum. » (Pline, XIII, 22). Eonem est l’accusatif d’eone.
  378. Voyez Vitruve, ii, 9.