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cardinal de chastillon.

ment l’on m’en a aulcuns ſuppoſé faulx & infames[1]) n’auoit trouué paſſaiges aulcun ſuſpect. Et auoit eu en horreur quelque mangeur de ſerpens, qui fondoit mortelle hæreſie ſus vn N. mis pour vn M.[2] par la faulte & negligence des imprimeurs. Auſſi auoit ſon filz noſtre tant bon, tant vertueux, & des cieulx beniſt roy Henry : lequel Dieu nous vueille longuement conſeruer, de maniere que pour moy il vous auoit octroyé priuilege & particuliere protection contre les calumniateurs : Ceſtuy euangile[* 1] depuys m’auez de voſtre benignité reiteré à Paris, & d’abondant lors que nagueres viſitatez monſeigneur le cardinal du Bellay : qui pour recouurement de ſanté apres longue & faſcheuſe maladie, s’eſtoit retiré à ſainct Maur : lieu, ou (pour mieulx & plus proprement dire) paradis de ſalubrité, amenité, delices, & tous honeſtes plaiſirs de agriculture, & vie ruſticque.

C’eſt la cauſe, Monſeigneur, pourquoy præſentement, hors toute intimidation, ie mectz la plume au vent : eſperant que par voſtre benigne faueur me ſerez contre les calumniateurs comme vn ſecond Hercules Gaulloys[* 2], en ſçauoir, prudence, & eloquence : Alexicacos[* 2], en vertuz, puiſſance, & auctorité, duquel veritablement dire ie peuz ce que de Moſes le grand prophete & capitaine en Iſrael dict le ſaige roy Solomon Eccleſiaſtici 45. homme craignant & aymant Dieu : agreable à tous humains : de Dieu & des hommes bien aymé : duquel heureuſe eſt la memoire. Dieu en louange l’a comparé aux Preux : l’a faict grand en terreur des ennemis. En ſa faueur a faict choſes prodigieuſes & eſpouentables : En præſence des Roys l’a honoré, Au peuple par luy a ſon vouloir declaré, et par luy ſa lumiere a monſtré. Il l’a en foy & debonnaireté conſacré, & eſleu entre tous humains. Par luy a voulu eſtre ſa voix ouye, et à ceulx qui eſtoient en tenebres eſtre la loy de viuificque ſcience annoncee.

  1. Euangile. bonne nouuelle
  2. a et b Hercules Gaulloys, qui par ſon eloquence tira à ſoy les nobles François : comme deſcript Lucian. Alexicacos, defenſeur, aydant en aduerſité, deſtournant le mal. C’eſt vn des ſurnoms de Hercules. Pauſanias in Attica. En meſmes effect eſt dict Apopompæus, & Apotropæus
  1. Lon m’en a aulcuns ſuppoſé faulx & infames. Voyez le Priuilege en tête du tiers livre, t. II, p. 3.
  2. Vn N. mis pour vn M. Voyez ci-dessus, p. 240, la note sur la l. dernière de la p. 110.*
    * Son ame s’en va à trente mille panerées de diables. On lit encore à la fin de la page suivante : « ſon ame s’en va à trente mille charrettées de Diables, » et au commencement du chapitre suivant : « qu’il ne damne ſon ame. » Dans tous ces passages l’édition de 1552 donne bien ame, mais il y avait aſne dans celle de 1546. Dans son épitre adressée, le 28 de janvier 1552, à monseigneur Odet, en tête du quart livre (t. II, p. 251), Rabelais ne se reconnaît point responsable de cette facétie, qui avait été prise au tragique, et il dit que François Ier « auoit eu en horreur quelque mangeur de ſerpens, qui fondoit mortelle hæreſie ſus vn N. mis pour vn M. par la faulte & negligence des imprimeurs. »

    Il faut reconnaître que Rabelais était le vrai coupable. Ses imitateurs ne s’y sont pas trompés et ont renouvelé cette dangereuse plaisanterie : « Il ne voulut pas ſe donner au diable apres ſon aſne. » (Moyen de parvenir, p. 67.) — Le Mondain. « Ie ne m’ébahi plus maintenant ſi tu n’as dit gueres de bien de ceus qui conſeruent la ſanté du cors, que meſme tu fais tant peu de comte des autres qui gardent celle de l’ame. Le Democritic. Comment la ſelle de l’aſne, dis-tu ? Quant eſt de moy ie n’ay aſne ni aſneſſe. Le Cosmophile. Ie di celle de l’ame, c’eſt à dire la ſanté de noſtre ame. » (Jacques Tahureau, Premier dialogue du Democritic, p. 93, édit. Lemerre)