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chapitre ii

mignonnes gualoiſes[1]. Abaſtant boys, bruſlant les groſſes ſouches pour la vente des cendres, prenent argent d’auance[2], achaptant cher, vendent à bon marché, & mangeant ſon bled en herbe. Pantagruel aduerty de l’affaire, n’en feut en ſoy aulcunement indigné, faſché, ne marry. Ie vous ay ia dict, et encores rediz, que c’eſtoit le meilleur petit & grand bon homet, que oncques ceignït eſpée. Toutes choſes prenoit en bonne partie, tout acte interpretoit à bien. Iamais ne ſe tourmentoit, iamais ne ſe ſcandalizoit. Auſſi euſt il eſté bien foriſſu du Deificque manoir de raiſon, ſi aultrement ſe feuſt contriſté ou alteré. Car tous les biens que le Ciel couure : & que la Terre contient en toutes ſes dimenſions : hauteur, profondité, longitude, & latitude, ne ſont dignes d’eſmouuoir nos affections, & troubler nos ſens & eſpritz.

Seulement tira Panurge à part, & doulcettement luy remonſtra, que ſi ainſi vouloit viure, & n’eſtre aulcunement meſnagier, impoſſible ſeroit, ou pour le moins bien difficile, le faire iamais riche. Riche ? reſpondit Panurge. Auiez vous là fermé voſtre penſée ? Auiez vous en ſoing pris me faire riche en ce monde ? Penſez viure ioyeux de par li bon Dieu, & li bons homs. Autre ſoing, autre ſoucy, ne ſoy receup on ſacroſainct domicile de voſtre celeſte cerueau. La ſerenité d’icelluy iamais ne ſoit troublée par nues quelconques de penſement paſſementé de meſhaing & faſcherie. Vous viuant ioyeulx, guaillard, dehayt, ie ne ſeray riche que trop. Tout le monde crie meſnaige, meſnaige. Mais tel parle de meſnaige, qui ne ſçayt mie que c’eſt. C’eſt de moy que fault conſeil prendre. Et de moy pour ceſte heure prendrez aduertiſſement, que ce qu’on me impute à vice,

  1. Mignonnes gualoiſes. Voyez ci-dessus p. 217, note sur la l. 16 de la p. 381.*

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  2. Prenent argent d’auance. Voyez Molière, l’Avare, II, 1.