Lettres (Baudelaire)/Texte entier

Lettres (Baudelaire)
Lettres : 1841-1866Société du Mercure de France (p. --554).




CHARLES BAUDELAIRE

LETTRES




JUSTIFICATION DU TIRAGE


269



Droits de traduction et de reproduction réservés pour tous pays.


CHARLES BAUDELAIRE



Lettres

1841-1866


PARIS
SOCIÉTÉ DV MERCVRE DE FRANCE
XXVI, RVE DE CONDÉ, XXVI

MCMVII



L’an mil huit cent vingt et un, le onzième jour du mois d’Avril, onze heures du matin,

Par devant nous, Antoine Marie Fieffé, adjoint à M. le Maire du onzième arrondissement, faisant les fonctions d’officier de l’État-civil,

Est comparu :

M. Joseph François Baudelaire, ancien chef de bureau de la Chambre des Pairs, âgé de soixante et un ans, demeurant à Paris, rue Hautefeuille, no 13, quartier de l’École de Médecine,

Lequel nous a présenté un enfant du sexe masculin, né d’avant-hier, neuf, à trois heures de relevée, susdite demeure,

De lui, déclarant, et de la dame Caroline Dufays, son épouse, mariés à Paris au onzième arrondissement, le neuf Septembre mil huit cent dix-neuf

Auquel enfant a déclaré vouloir donner les prénoms de Charles Pierre.

Lesdites déclaration et présentation faites en présence de :

M. Claude Ramey, statuaire, membre de l’Institut, âgé de soixante-cinq ans, demeurant rue et maison de Sorbonne, no 11, premier témoin,

M. Jean Naigeon, peintre, conservateur du Musée royal du Luxembourg, âgé de soixante-deux ans, demeurant rue de Vaugirard, no 7, second témoin.

Et ont les père et témoins signé avec nous le présent acte de naissance, après lecture.

BAUDELAIRE. RAMEY. NAIGEON. FIEFFÉ.



1841


À MONSIEUR AD. AUTARD DE BRAGARD


[Île de Bourbon.] Le 20 Octobre 1841.


Mon bon Monsieur Autard,

Vous m’avez demandé quelques vers à Maurice pour votre femme, et je ne vous ai pas oublié. Comme il est bon, décent, et convenable, que des vers, adressés à une dame par un jeune homme passent par les mains de son mari avant d’arriver à elle, c’est à vous que je les envoie, afin que vous ne les lui montriez que si cela vous plaît.

Depuis que je vous ai quitté, j’ai souvent pensé à vous et à vos excellents amis. Je n’oublierai pas certes les bonnes matinées que vous m’avez données, vous, Madame Autard, et M. B

Si je n’aimais et si je ne regrettais pas tant Paris, je resterais le plus longtemps possible auprès de vous, et je vous forcerais à m’aimer et à me trouver un peu moins baroque que je n’en ai l’air.

Il est peu probable que je retourne à Maurice, à moins que le navire sur lequel je pars pour Bordeaux (l’Alcide) n’y aille chercher des passagers.

Voici mon sonnet :

Au pays parfumé que le soleil caresse,
J’ai vu, dans un retrait de tamarins ambrés,
.........................

Donc, je vais vous attendre en France.

Mes compliments bien respectueux à Madame Autard.


1844


À SAINTE-BEUVE


Monsieur,

Stendhal a dit quelque part ceci, ou à peu près : J’écris pour une dizaine d’âmes que je ne verrai peut-être jamais, mais que j’adore, sans les avoir vues.

Ces paroles, Monsieur, ne sont-elles pas une excellente excuse pour les importuns, et n’est-il pas clair que tout écrivain est responsable des sympathies qu’il éveille ?

Ces vers ont été faits pour vous, et si naïvement que, lorsqu’ils furent achevés, je me suis demandé s’ils ne ressemblaient pas à une impertinence, et si la personne louée n’avait pas le droit de s’offenser de l’éloge. — J’attends que vous daigniez m’en dire votre avis.

Tous imberbes alors, sur les vieux bancs de chêne,
Plus polis et luisants que des anneaux de chaîne,
............................

BAUDELAIRE-DUFAYS.

17, Quai d’Anjou.




1845


À MONSIEUR R


Monsieur,

Vous m’appelez ultra-libéral, et vous pensez m’injurier. Je vous devrais des remerciements pour toute réponse. Cependant, examinons de plus près cette déshonorante épithète. J’ouvre le dictionnaire, et je trouve que l’acception première de ce mot est : qui aime à donner. Dans ce sens-là, je gage, vous vous direz ultra-libéral avec moi, et peut-être même ne me donnerez-vous plus ce titre ; mais vous le prendrez sans doute, et vous serez ainsi, dans votre propre opinion, plus libéral que moi ; or, comme il n’est pas supposable que vous vouliez vous insulter, je puis déjà regarder comme tournant à ma louange la moitié la plus belle de la valeur de ce mot.

Dans un sens figuré, il veut dire : qui a des idées grandes, libres, nobles et généreuses. Je crois pouvoir affirmer encore que vous croyez penser noblement, agir généreusement, et que vos pensées sont libres autant qu’élevées. Voilà donc encore une louange que je vous arrache, ou du moins que je partage avec vous.

Il est un troisième sens attaché à ce mot, peu précisé encore, qu’on entend mieux qu’on ne le définit, et que l’esprit mesure néanmoins exactement dans ces mots : opinions libérales, telles que les professent le pieux Lanjuinais, le vertueux La Fayette, l’austère Beauséjour, le sévère d’Argenson. Si, attachant à mon nom, comme un opprobre, le mot libéral dans cette dernière acception, vous me confondez avec ces hommes célèbres, je n’ai plus à rougir. S’il est de plus honnêtes gens, comme je n’en doute pas, puisque vous le dites, ils ont atteint la perfection du haut de laquelle ils lancent tant de lumière qu’on ne peut les fixer. J’aime la clarté qui me guide, et non celle qui, m’éblouissant, me conduit dans les précipices.

Auriez-vous entendu par ultra-libéral cet homme qui ne vit que dans le désordre et la démoralisation ? Qu’il se présente, le premier je lui crie anathème. Mais je le trouve partout. Je le vois près de vous, aujourd’hui, rougir dans le sang la couleur qu’il appelle sans tache, et qu’il n’a prise que pour l’interposer entre lui et ses accusateurs.

Monsieur, après m’être bien examiné, je ne puis croire que vous ayez voulu défigurer à ce point, en ma faveur, un mot qui n’est terrible que pour les sots du haut monde et en général les ennemis des gouvernements qui se reposent sur la vertu et la justice, parce qu’ils garantissent la liberté et lité. Or, comme je ne vous crois ni sot, ni ennemi de la liberté et de l’égalité civiles, je vous remercie sincèrement de la bonté que vous avez de me donner le plus beau titre que puisse porter un citoyen.

Funeste effet des passions, tu ne fascineras pas mes yeux ! Je le sens au fond de mon cœur : il est des hommes vraiment libéraux, parce qu’il est des hommes qui aiment encore la vraie gloire et la vertu.

Je vous salue, Monsieur.





A MONSIEUR


Le 30 juin 1845.


… Je me tue, parce que je suis inutile aux autres et dangereux à moi-même. Je me tue, parce que je me crois immortel et que j’espère… Montrez-lui mon épouvantable exemple et comment le désordre d’esprit et de vie mène à un désespoir sombre et à un anéantissement complet. — Raison et utilité, je vous en supplie…


1846


A LA SOCIÉTÉ DES GENS DE LETTRES


Messieurs,

Désirant participer aux avantages que la Société des Gens de Lettres assure à ses membres pour la reproduction de leurs ouvrages, je vous prie de vouloir bien m’admettre à en faire partie,

Et d’agréer l’assurance de ma plus haute considération.

BAUDELAIRE-DUFAYS,

Rédacteur de L’Esprit public et du Corsaire-Satan, auteur de deux brochures sur les Salons de 1845 et de 1846.

33. Rue Coquenard.



A LA SOCIÉTÉ DES GENS DE LETTRES


Monsieur le Président,

Une nécessité imprévue me détermine à avoir recours à la caisse de la Société, pour une somme de 85 fr. M. Godefroy vous établira ma situation vis à vis de la Société. Je ne dois rien, et c’est la première fois que je vous adresse une demande semblable. Dans quelques jours, je déposerai ici une nouvelle pour le Bulletin.

Veuillez agréer, Monsieur le Président et cher confrère, l’assurance de mes sentiments fraternels.

CHARLES BAUDELAIRE-DUFAYS.
25. Rue des Marais-du-Temple.



A MONSIEUR GODEFROY
Monsieur,

Je vous prie de bien vouloir remettre immédiatement à M. Lireux la lettre suivante, adressée à Messieurs les membres du Comité. M. Lireux, qui m’a présenté autrefois à la Société, se fera l’avocat de ma demande auprès de ces Messieurs.

Veuillez agréer, Monsieur, l’assurance de ma considération la plus distinguée.

CHARLES BAUDELAIRE DE FAYIS.



A LA SOCIÉTÉ DES GENS DE LETTRES
Messieurs,

J’ai présumé que des besoins singuliers et excessivement pressants pouvaient m’autoriser à demandera la Société une somme de 200 fr. Une nouvelle de moi, La Fanfarlo, est actuellement à l’imprimerie. Il m’est dû par conséquent une somme de 31 fr., — à cause de la cotisation, et d’autres frais. Il m’est facile de rembourser promptement la Société, d’abord par de la copie, — et ensuite par de la reproduction. — Un roman de moi, L’Homme aux Ruysdaëls, doit paraître prochainement à L’Epoque, et je tiens déjà à la disposition de M. Godefroy une nouvelle, Le Prétendant malgache, que j’aurais dû vous envoyer en même temps, mais que j’ai eu le tort d’oublier chez moi.

J’ai présumé que toutes les lenteurs qui ont contrarié la publication de La Fanfarlo m’autorisaient à vous prier de décider immédiatement cette mesquine question d’argent, si importante pour moi, même avant le renouvellement du Comité, s’il a lieu.

Veuillez agréer, Messieurs, l’assurance de mes respects bien sincères et de ma considération la plus distinguée.

CHARLES BAUDELAIRE DE FAYIS.
1849



A MONSIEUR ANCELLE


Dijon, 1849.


… Madier de Montjau, qui revenait de je ne sais quel triomphe d’avocat, je ne sais quel triomphe de procès politique, a passé par ici ; il est venu nous voir. Vous savez que ce jeune homme passe pour avoir un talent merveilleux. C’est un aigle démocratique. Il m’a fait pilié ! Il faisait l’enthousiaste et le révolutionnaire. Je lui ai parlé alors du socialisme des paysans, — socialisme inévitable, féroce, stupide, bestial comme un socialisme de la torche ou de la faulx. Il a eu peur, cela l’a refroidi. Il a reculé devant la logique. C’est un imbécile, ou plutôt un très vulgaire ambitieux…

1850



A MONSIEUR ANCELLE


Dijon. Jeudi, 10 Janvier 1850.


Lisez avec attention.


J’ai été assez gravement malade, comme vous savez. J’ai l’estomac passablement détraqué par le laudanum ; mais ce n’est pas la première fois, et il est assez fort pour se remettre.

Jeanne est arrivée hier matin, et m’a assez longuement parlé de son entrevue avec vous. Tout est pour moi affliction depuis longtemps. Je n’ai donc pas été étonné d’entendre des choses qui prouvent que vous ne comprenez absolument rien à ma vie, mais cela viendra tout à l’heure.

J’ai sous les yeux votre lettre du 14 Décembre, arrivée le 17 seulement.

D’abord, Palis vous a indignement volé. Des fautes ridicules et folles, commises dans la Table, comme Le Tombant vivant, Vitesse de la lune, pour Le Tombeau vivant, Tristesse de la lune, et bien d’autres ; la dorure pleine de taches, la reliure qui devait être en chagrin et qui est en papier imitant le chagrin, des corrections indiquées par moi au crayon et qui n’ont pas été accomplies, témoignent qu’il a profité de mon absence pour ne pas faire son devoir, de plus, pour me voler. Je devais encore 20 fr., à peu près. Il était convenu que la reliure coûterait 8 fr. Total, 28 fr. Vous en payez 40. Il a sans doute oublié de vous dire que je lui avais déjà donné primitivement 11 ou 12 fr. d’acompte. Encore me devrait-il une diminution ou une indemnité pour sa coupable et honteuse besogne ; il est impossible d’admettre qu’une reliure qui, bien faite, doit être payée 8 fr., mal faite, soit payée 20 fr. Quant à cette nuée de fautes, c’est encore plus grave, et cela témoigne que, quand on n’a plus eu peur de moi, on s’est moqué de moi. Si vous avez du courage, quand vous passerez place de la Bourse, vous lui réclamerez 12 fr.

Il paraît que vous lisez mes lettres avec bien de la distraction. Vous craignez que je ne retourne à Paris, parce que je vous écris : Il me tarde déjà de m’en aller d’ici. Vous n’avez pas compris que le mot : ici, c’était l’Hôtel. Cela voulait dire : il me tarde de m’en aller d’un endroit où je dépense trois fois plus que je ne dois dépenser. Vous n’avez donc jamais voyagé ? Mon intention en arrivant ici était de louer, d’un côté, un tout petit appartement, et d’un autre côté, de louer des meubles. Puis, pendant longtemps, je n’avais plus à m’occuper que du compte courant des dépenses, sauf le prix mensuel de la location. C’est pour cela qu’en partant de Paris je vous dis, et que, dans ma lettre, je vous ai répété que je tenais vivement à recevoir 300 fr. pour le premier mois. Je pars de Paris, le 3. Il me semble que le premier mois, c’est le mois de Décembre. Au lieu de cela, vous m’envoyez, — le 17, seulement, — (quatorze jours de dépense à l’Hôtel, par votre faute) — 200 fr. pour deux mois, Décembre 49 et Janvier 50. Je vous demandais 300 fr. pour le premier mois, à cause de frais d’installation. C’était une complaisance sur laquelle je comptais, mais vous n’avez pas même accompli l’exécution stricte de nos conventions qui serait 200 fr., le 1er Décembre (je les ai reçus, — le 17), et 200, le 1er Janvier ; vous me les devez. Je vous assure que j’ai cru que C’était de votre part une erreur de compte, une étourderie non dangereuse. Mais voici Jeanne qui me répète et m’affirme la même chose. Vraiment, mon étonnement est grand. Réfléchissez-y bien, et vous verrez comme moi que deux mois, c’est à dire deux fois 200 fr., font 400 fr., et non pas 200 fr. Encore vous dis-je que vous m’aviez fait espérer que le premier envoi serait de 300 fr., à cause des dépenses inséparables d’une première installation ; mais cela, je ne l’exige pas, ou plutôt je n’ose pas l’exiger. Jeanne dit que vous vous appuyez sur cette singulière raison que vous avez déjà eu de grandes complaisances pour moi. C’est très vrai, et je vous en remercie bien sincèrement, mais ce n’est pas un motif légitime pour me créer des embarras. Je dépense à l’Hôtel 12 fr. Une fois chez moi, ce qui implique la location de trois mois payée d’avance, et mensuellement 30 ou 40 fr. au plus, au plus, pour la location des meubles, je dépenserais 3 fr. ou 4 fr. par jour. Comprenez-vous votre faute maintenant ? Il était convenu qu’à partir du premier jour de 1850 je recevrais 200 fr. ; donc, depuis le 1er du mois, vous me devez 200 fr. Je ne sors pas de là. Maintenant, si pour vous, comme pour les gens réellement rectes et intelligents, devoir signifie : le plus possible, le plus qu’on peut faire, le plus qu’on peut donner, vous me devez 300 fr., et 200 fr. le 1er Février.

Du reste, la dame de l’Hôtel vient de me dire qu’elle a besoin d’argent pour le 15. Or, vous voyez qu’il n’y a pas un instant à perdre, puisque vous recevrez cette lettre le 12.

Si vous m’envoyez d’un seul coup 400 ou 500 fr., c’est à dire Janvier et Février, je pars de l’Hôtel immédiatement, et, deux jours après, je serai installé chez moi. Dans ce cas-là, je ne devrais plus vous demander d’argent que le 1er Mars. Ce serait sans doute beaucoup plus sage ; j’y aurais un grand bénéfice, et vous y gagneriez la certitude que je suis mieux et que je dépense moins.

Autre distraction de votre part : vous me demandez un reçu de vos 200 fr. ; vous avez donc oublié que j’ai eu la bonhomie d’ajouter à ma dernière lettre un reçu de 300.

Encore un mot. Jeanne, que j’ai beaucoup tourmentée au sujet de sa conférence avec vous, m’affirme que vous lui avez dit : que, si elle vous écrivait un mot qui vous démontrât la nécessité d’une avance, vous la feriez sans doute. Voilà qui est singulier et pas sablement humiliant pour moi : par quelle fenêtre voulez-vous donc qu’on jette l’argent, dans une petite ville, où le travail est le seul remède de l’ennui ? J’ignore ce que Jeanne fera, et si l’envie de sortir de cet hôtel lui fera faire une chose que je regarde comme inconvenante, mais je vous répète qu’en comptant avec moi 200 fr. pour Janvier, que je n’ai pas reçus, et 200 pour Février, vous ne faites aucune avance, vous ne commettez aucune complaisance, vous ne sortez pas de nos conventions. Si vous saviez quelle fatigue c’est pour moi de revenir sans cesse sur ces maudites questions d’argent ! Cela finira sans doute.

Vous avez dit encore à Jeanne bien d’autres choses, mais je n’ai plus le courage de vous faire des reproches. Vous êtes un grand enfant. Cependant, je vous ai suffisamment souvent reproché votre sentimentalisme et démontré l’inutilité de votre attendrissement à l’endroit de ma mère. Laissez à tout jamais cela de côté, et, si j’ai quelque chose de cassé dans l’esprit à cet endroit, plaignez-moi et laissez-moi tranquille. Ainsi que Jeanne. Il y a encore bien d’autres choses, mais passons. Seulement, je vous en prie, si vous avez, par hasard, plus tard, quelque occasion de revoir Mlle Lemer, ne jouez plus avec elle, ne parlez plus tant, et soyez plus grave. J’ai pris depuis longtemps l’habitude de vous dire nettement tout ce que je pense ; ainsi, il ne faut pas m’en vouloir pour cela.

Une fois débarrassé de cet hôtel maudit, quelques meubles étant loués, voilà comment j’arrange ma vie. Je puis trouver en dehors de mon revenu un minimum de 1.200 fr. Cela fait donc 300 fr. par mois, avec mon revenu. J’abandonne à Jeanne 50 fr., pour sa toilette. Elle est chargée de nous faire vivre, avec 150 fr. Je mets 50 fr. de côté, pour le loyer des meubles et de l’appartement. Puis, encore 50 fr. de côté, pour acheter plus tard des meubles à Paris, quand, ayant fait assez de besogne pour payer mes dettes, je jugerai à propos de revenir.

Quant à mes dettes, je viens pour la centième fois peut-être d’en faire le compte. Cela est affligeant, mais il faut que cela finisse. Je l’ai juré. Je dois en tout 21.236 fr. 50. — 14.077 fr. de billets souscrits ; 4.228 fr. de dettes non garanties par billets, au-dessus de 100 fr. ; 919 fr. 26 de petites dettes, au-dessous de 100 fr. ; et enfin 2.012 fr. 25 de dettes d’amis. Sur une masse aussi considérable, de combien de vols, ou de déshonnêtetés, ou de faiblesses n’ai-je pas été victime, comme l’affaire de R L dont vous trouverez plus loin le récit très exact.

Je me résume : vous avez commis une erreur. Quelques complaisances que vous ayez eues, je devais recevoir, au moins, à partir de mon arrivée ici, 200 fr. par mois ; or, 200 n’en font pas 400. Rappelez-vous que le total de l’année 49 était entièrement absorbé depuis Octobre. Si je vous engage à m’envoyer de suite Janvier et Février, c’est à dire 400, ou même 500 fr., c’est pour les très excellentes raisons que je vous ai développées. Il est impossible de dépenser inutilement cet argent, et d’ailleurs Jeanne, qui est comme toutes les femmes plus qu’économe, est intéressée à me surveiller.

En second lieu, je… vous rendrai compte de l’emploi de l’argent, et vous le représenterai par des factures. Je vous dois cela. Ce que je vais faire, vous me l’avez conseillé plusieurs fois, autrefois. Vous l’avez donc oublié. Ce que vous allez faire pour moi, et que je vous avais arraché par obsession et raisonnement, vous auriez dû le faire de vous-même, il y a très longtemps. Apparemment, vous ne prétendez pas borner votre rôle vis à vis de moi, et même vis à vis de tout homme, à celui d’agent insensible et d’homme d’affaires. Et cependant il a fallu que l’initiative vînt de moi ; toutes ces choses si raisonnables, que vous auriez dû m’indiquer, il a fallu que je les voulusse le premier.

Toute la légitimation de ceci est là, dans un mot de vous : Je consentirais à détruire toute votre fortune dans un but moral. — Eh bien ! concluez.

Si, par hasard, en mon absence, ma mère envoyait encore de l’argent, je consens, encore une fois, à le recevoir. Vous m’avertiriez, mais vous ne me l’enverriez pas, attendu que j’aurai suffisamment pour vivre, avec vos 200 fr. et ce que je pourrai tirer d’ailleurs ; vous m’en tiendriez compte à mon retour, ou bien, en mon absence, vous en feriez un emploi légitime, sur les explications que je vous enverrais.

Permettez-moi, avant de fermer cette lettre, d’ajouter quelques mots qui ont peu de rapports avec ce qui précède, mais je profite de l’occasion pour vous dire tout ce que j’ai sur le cœur. Aussi bien, je ne vous verrai probablement pas de quelques mois. Cela sera encore un bon résultat, mais, comme je vous le dis, je profite de l’occasion pour tout vous dire.

La situation dans laquelle vous êtes, vis à vis de moi, est singulière. Elle n’est pas seulement légale, elle est, pour ainsi dire, aussi de sentiment. Il est impossible que vous ne le sachiez pas. Quant à moi, qui suis peu sentimental, je n’ai pas pu échapper à cette vérité. La sombre solitude que j’ai faite autour de moi, et qui ne m’a lié à Jeanne que plus étroitement, a aussi accoutumé mon esprit à vous considérer comme quelque chose d’important dans ma vie. J’arrive au fait. Si telle est, inévitablement, votre condition vis à vis de moi, que signifie souvent cette inintelligence singulière de mes intérêts ? Que signifie cette partialité au profit de ma mère que vous savez coupable ? Que signifient souvent… vos maximes égoïstiques ? Il est bien vrai que je vous l’ai bien rendu, mais tout cela n’est pas raisonnable. Il faut que nos rapports s’améliorent. Cette longue absence ne sera pas mauvaise dans ce but. D’ailleurs, à tout péché miséricorde, ce que vous savez que je traduis ainsi : il n’y a rien d’irréparable. Je joins à ceci la protestation que vous m’avez demandée au sujet du billet de complaisance.

Vous me rendrez cette lettre.



A MONSIEUR ANCELLE


[Dijon.] Le 12 Janvier 1850.


… Tout ceci, bien entendu, ne fut pas dit dans un français aussi propre, mais c’est le sens très exact.

L’ami en question est M. T, jeune homme excessivement honnête. Remarquez bien que je ne vous livre ce nom que pour que vous vous en serviez contre cet homme, parce que, jusqu’à présent, vous étiez mal instruit de toute cette affaire.

Cet homme arrive chez vous ; à vous, il parle d’un ami, pour qui j’ai répondu. Il fallait en effet tâcher d’expliquer son affaire.

Puis, il écrit à ma mère. Ici, c’est autre chose. Il n’est plus du tout question d’ami. C’est moi qui dois tout. Il y a donc contradiction. Cela suffirait à un juge d’instruction pour se former un jugement. Sa lettre est fort doucereuse. Force compliments sur ma personne et grand souci de mon honneur. Je ne lui ai jamais parlé de ma mère, de Turquie, ni de retour en France. Tout cela est un poème arrangé pour soutenir son affaire. Ne m’a-t-il pas dit dans la colère, le 29 Novembre : J’ai pris des informations sur votre famille. Tout s’explique. Cet homme a commis une mauvaise action, il s’y enfonce avec résolution.

Maintenant, a-t-il falsifié ses livres, toute la question est là.

Je suis persuadé que la somme que doit ce jeune homme, unie à mes 42 fr., ne fait pas 200 fr. Il y aurait donc aggravation de vol.

Je répète d’ailleurs que je n’ai jamais répondu pour personne, je n’ai jamais recommandé personne. Cependant, si vous croyez que vous serez obligé de payer, vous devez exiger un renoncement à la dette de M. T . Offrez-lui de le rembourser. S’il vous accorde le reçu pour T, vous lui dites, en lui montrant sa lettre à Madame Aupick : Vous voyez bien que vous avez menti ; s’il refuse le reçu pour T, vous lui dites encore : Vous mentez, puisque vous m’avez dit une première fois que ce billet garantissait une autre dette que celle de M. Baudelaire.

Je crois l’affaire suffisamment expliquée.



A GERARD DE NERVAL


Samedi, 8 [Mai I850].


Mon cher ami,

Encore un service, si ce n’est pas une indiscrétion : deux billets d’orchestre pour Malassis, rue des Maçons-Sorbonne, 19. Vous avez vu Malassis avec moi. Je serais heureux que vous le connussiez.

Songez à me garder une reproduction (du National) des Nuits du Ramazan.

Que vos billets n’arrivent pas trop tard.

Les billets pour lundi, s’il est possible.

Sous bande : A Mademoiselle Caroline Dardart. Pour remettre à Charles Baudelaire, 46, rue Pigalle.



A POULET-MALASSIS


Lundi, 15 Juillet.
Mon cher ami,

Christophe m’a dit que vous partiez le 20 Juillet ; comment avez-vous pu oublier de m’en instruire, la dernière fois que nous nous sommes vus ? Il m’est impossible de vous accompagner maintenant ; j’ai une femme malade, et je tiendrais à donner avant tout à M. Buloz deux morceaux importants. J’irai sans doute vous voir là-bas dans quinze jours ou un mois, car on me dit que vous partez pour six mois. Du reste, vous me verrez dans deux ou trois jours.

Tout à vous. 1852

A ARMAND BASCHET

3 Février 1852.

Mon cher Baschet,

En vous quittant, il m’est venu quelques réflexions, que je vous communique. La rapidité avec laquelle s’est établie notre intimité autorise ma franchise.

1. — Ceci m’est passé par la tête : Baschet, qui était tout feu, il y a quelques jours, et qui voit beaucoup de monde, n aurait-il pas été influencé par des conseils hostiles qui lui auraient montré l’entreprise comme mauvaise ?

2. — Baschet, désorienté, comme nous, par la non-arrivée des fonds, pourquoi n’a-t-il plus le même enthousiasme ?

3. — Pourquoi Baschet n’a-t-il pas exprimé son opinion et ses désirs personnels, quand il a été question de savoir si le journal paraîtrait, malgré l’absence d’argent ?

4. — Est-il bien sûr que le papetier et l’imprimeur lui feront crédit ?

5. — Est-il bien sûr que MM. G et D, qui ne savent pas garder le secret de leur misère, garderont le secret de la nôtre ?

6. — Pourquoi Baschet céderait-il à son noble amour-propre, et ne déclarerait-il pas qu’il regarde comme plus sûr de ne paraître qu’avec des garanties pécuniaires, et qu’il faut attendre ?

Toutes ces réflexions me sont personnelles.

A moins que cela ne vous dérange énormément, relativement au travail que vous avez à faire sur de Vigny, je serais bien aise qu’au lieu de m’envoyer votre commissionnaire demain matin, vous vinssiez vous-même.

25. Rue des Marais-da-Temple.

En sortant de chez moi, vous pourrez voir Champfleury.



A MONSIEUR GODEFROY


Lundi, le 23 Février 1852.


J’ai des reproches à me faire, vis à vis de vous. J’espère que cela ne m’arrivera plus. Si le Comité agrée à ma demande, je réparerai cela tout de suite. Si votre voix compte pour quelque chose, servez-moi. Ma situation est bonne. Je dois 42 fr., et j’envoie une très curieuse nouvelle.

Veuillez agréer toutes mes amitiés.



A LA SOCIÉTÉ DES GENS DE LETTRES


Lundi, 20 Février 1852.


Monsieur le Président,

J’ai l’honneur d’adresser au Comité la demande d’une avance de 60 fr. Il m’est pénible d’être obligé de dire que c’est un chiffre vrai. Je ne crois pas que ma situation soit mauvaise. Je dois 42 fr. qui seront acquittés par la nouvelle que je vous adresse avec pleine confiance. Et quant aux 60 fr. que je vous prie de me faire accorder, ils seront soldés dans les mois suivants par la reproduction probable des feuilletons qui doivent paraître au Pays, — ou tout autrement.

Veuillez agréer, Monsieur le Président, l’expression de mes sentiments respectueux.

Votre dévoué confrère.




A MONSIEUR ANCELLE


Vendredi, 5 Mars 1852.


Ma tête devient littéralement un volcan malade. De grands orages et de grandes aurores. Avez-vous lu mon article ? Je suis obligé de vous prendre demain (soit de grand matin, soit à l’heure du déjeûner, ou du dîner) l’argent que je devais ne prendre que le 15, dans neuf jours(200 fr.). Je vivrai jusqu’au 15 du mois prochain avec l’argent de ce morceau en publication. J’ai votre Saint-Priest, mais je l’ai depuis quatre jours, et l’imprimeur de la Revue des Deux Mondes ne me l’a prêté que pour huit, et il n’y avait pas moyen de l’acheter, le numéro étant épuisé.

Vous ne m’avez pas vu au vote ; c’est un parti pris chez moi. Le 2 Décembre m’a physiquement dépolitiqué. Il n’y a plus d’idées générales. Que tout Paris soit orléaniste, c’est un fait, mais cela ne me regarde pas. Si j’avais voté, je n’aurais pu voter que pour moi. Peut-être l’avenir appartient-il aux hommes déclassés ?

Ne vous étonnez pas du fouillis de ma lettre ; je suis chargé d’idées troublantes. L’affaire T me tourmente horriblement. De plus, vous savez que ce mois est, pour moi, le grand mois, la séparation ; il faut beaucoup d’argent ; je n’ai que ma plume et ma mère. Car vous, je ne vous compte pas. — Il m’arrive les aventures les plus singulières. Voici qu’un homme m’offre de m’avancer 22.000 fr., à des conditions bizarres. D’un autre côté, il me propose que, dans un mois, je sois à la tête d’une honorable entreprise qui a été le rêve de ma vie. Toutes mes notes antécédentes serviront. Et cette fois, on ne marcherait qu’appuyé sur de vastes capitaux.

Toutes ces choses ont l’air de rêves, et cependant il y a un fondement.

Je relis ma lettre, et il me semble qu’elle doit avoir, pour vous un air fou. Il en sera toujours ainsi.



A THÉOPHILE GAUTIER

L’incorrigible Gérard prétend, au contraire, que c’est pour avoir abandonné le bon culte que Cythère est réduite en cet état.

Voilà donc, cher ami, ce second petit paquet. J’espère que tu trouveras de quoi choisir. Je désire vivement que ton goût s’accorde avec le mien. Pour mon compte, voilà ce que je préfère :

Les Deux crépuscules. La Caravane. Le Reniement de saint Pierre. L’Artiste inconnu. L’Antre de la volupté. La Fontaine de sang. Le Voyage à Cythère.

Protège-moi ferme. Si on ne grogne pas trop contre cette poésie, j’en donnerai de plus voyante encore.

Adieu.




A POULET-MALASSIS


Samedi, 20 Mars 1852.
Mon cher Malassis,

Il y a déjà plusieurs jours que l’on m’a remis votre lettre, au café Tabourey, mais la succession de travaux inévitables et mille sottes courses m’ont empêché de vous répondre.

Champfleury, Christophe et Montégut se portent très bien. — Champfleury écrit maintenant à la Revue de Paris.

Parmi toutes les personnes que je connais, il n’y a que sottise et passion individuelles. Personne ne consent à se mettre au point de vue providentiel.

Vous devinez de quoi je veux parler. Le Président a fait une espèce de caresse aux gens de lettres, en abolissant l’impôt du timbre sur les romans.

Le socialisme napoléonien s’est manifesté par la conversion de la Rente, et l’on CRAINT chaque jour un décret qui impose d’un quart les héritages de collatéraux. Enfin, le Président a compris qu’en donnant toute liberté de discussion sur la saisie des biens des princes d’Orléans il se donnait le beau rôle. Aussi, toutes les pièces s’impriment, et les brochures se répondent.

Il est aussi question de rendre au Ministère de l’Intérieur le département des affaires littéraires, qui récemment avait été confondu avec l’Instruction publique. Quelques membres de la Société des Gens de Lettres se sont plaints de cette promiscuité avec les professeurs qui, d’ailleurs, sont des jésuites déguisés et qui mangent tout, quand il y a quelque chose à manger.

D’ailleurs, je suis persuadé que toutes les notes et idées haineuses pour l’Université flatteront le Président. Aussi bien, j’aimerais assez ne voir que deux partis en présence, et je hais ce milieu pédant et hypocrite qui m’a mis au pain sec et au cachot. Tout cela me divertit beaucoup. Mais je suis décidé à rester désormais étranger à toute la polémique humaine, et plus décidé que jamais à poursuivre le rêve supérieur de l’application de la métaphysique au roman. — La Semaine théâtrale est morte sous nous. Le dernier numéro contenait un très bon article de Champfleury, de critique littéraire, et deux pièces de vers de moi, qui ne sont pas mauvaises. — J’ai fait imprimer, à la Revue de Paris, un gros article sur un grand écrivain américain. Mais je crains bien que la première fois ne soit la dernière. Mon article fait tâche.

La première partie a paru le 29 Février, et la seconde paraît dans dix jours. Il y aura aussi une nouvelle de Champfleury.

Cependant, j’avais fait un beau rêve. Amic m’avait déclaré que, décidément, il voulait fonder une GRANDE REVUE, et que j’en serais directeur. — Je lui ai communiqué mes idées, mais il paraît que nos plans (je voulais que Champfleury m’aidât) étaient trop beaux. Il est très refroidi, et je crois que l’affaire est manquée.

Vous aviez donc perdu mon adresse : 25, rue des Marais-du-Temple. Mais je n’y serai que jusqu’à la fin du mois, et je vous enverrai ma nouvelle adresse. — Adieu, et persuadez-vous bien comme moi, de plus en plus, que la Philosophie est tout.


À ANTONIO WATRIPON
[Mai 1852.]

Vous me causez, mon cher Watripon, le plus grand embarras. Comment voulez-vous qu’on donne des notes biographiques ? Voulez-vous mettre que je suis né à Paris, en 1821, que j’ai fait, étant fort jeune, plusieurs voyages dans les mers de l’Inde ? Je ne crois pas qu’on doive mettre ces choses-là.

Quant aux ouvrages ! — il n’y a guère que des articles.

Baudelaire (Charles Pierre) a signé aussi : Baudelaire Dufaÿs, Pierre Dufaÿs, et Charles de Fayis. — A écrit des articles de critique artistique et littéraire, et des nouvelles, dans Le Corsaire-Satan, L’Esprit public, L’Artiste, La Liberté de penser, Le Messager de l’Assemblée, Le Magasin des familles, la Revue de Paris, L’llustration.

1. — Salon de 1845, chez Labitte.

2. — Salon de 1846, chez Michel Lévy.

3. — La Fanfarlo, roman à 4 sols, chez Bry.

4. — Une préface aux œuvres de Pierre Dupont, chez Alex. Houssiaux.

Et, dans quelques journaux, des poésies d’un accent généraletnent fort douloureux. (Arrangez ou supprimez.)

Edgar Allan Poe. Sa vie et ses œuvres. Vous pourrez ajouter à cela : Physiologie du rire, qui paraîtra, prochainement, à la Revue de Paris, sans doute, ainsi que : Salon des Caricaturistes, et Texte italique Les Limbes, poésies, chez Michel Lévy. Ce ne sera pas un mensonge, puisque cela va paraître très prochainement, et sans doute avant le volume biographique. Mais tout ceci me semble bien vaniteux. Arrangez, supprimez, faites ce que vous voudrez. Si j’ai oublié quelque chose, tant pis.

Voici ce que vous me demandez, tant bien que mal.

Je vous ferai remarquer que Champfleury ne vous donne ni le lieu de sa naissance, ni son âge. Je crois qu’il est né à Laon, et qu’il a 31 ans.

A MONSIEUR O

Dimanche, 18 Août 1852.

Vraiment, Monsieur, plus j’y pense, et plus je trouve que les vieilles gens ont une fatuité qui leur est particulière, et abusent de l’indulgence que nous avons pour eux. Hier, j’avais écouté avec la plus parfaite tranquillité ce que me disait Madame O. Ses scrupules m’étonnaient, mais je les respectais, comme les habitudes d’une personne ultraponctuelle. Je n’avais pas soufflé un mot, et tout allait le mieux du monde, quand la rage vous a pris, très inutilement et très intempestivement, de faire un discours. Si vous m’aviez permis de placer un mot, je vous aurais dit que j’avais, dans mon cahier, une lettre de ma mère, qui m’autorisait à prendre 500 fr.ici, et 600 fr. là, ce qui, d’après son propre calcul, fait 1.100 fr. ; mais vous avez préféré me démontrer glorieusement que vous n’entendiez pas que je me permisse tant de libertés,que j’avais déjà pris 500 fr. à M. Ancelle, que vous le saviez, que les plus heureuses situations étaient temporaires, qu’il était de mon devoir d’user d’une grande discrétion, — (je connais mes devoirs envers ma mère, qui, elle, ne parle pas, et qui agit, qui ne conseille pas, mais se sacrifie), — que les pauvres sénateurs n’avaient que 40.000 fr., et des chevaux, — que vous étiez dépositaire des secrets des familles, et finalement. Monsieur, comme un homme qui perd complètement la tête, vous avez parlé de Dieu, et vous m’avez déclaré autoritairement que je n’étais pas un esprit tout d fait perverti. Je n’ai pas besoin de vos éloges. Monsieur, pour me connaître moi-même.

Vous pouvez être tranquille, relativement à votre responsabilité. Vous n’en supporterez plus aucune, pas même celle d’une commission, et d’une boîte aux lettres. Une seule fois encore, vous serez mêlé à ma vie, dans une circonstance solennelle, où j’ose croire que vous ferez preuve de cette droiture de cœur et de cet esprit de lumière, dont vous faites tant de cas, mais qu’obscurcit et détruit en vous une effroyable vanité. — Je lisais hier, dans une préface d’Éléments de Géométrie du XVIIIe siècle, que les sciences exactes ne sont qu’un acheminement à des mérites supérieurs, et que ce n’est pas grand’chose que de se bourrer la tête de cercles, de figures, de solides, de sinus et de cosinus, si l’on n’est pas, ce qui est plus important, un chrétien et un homme aimable. — Je réimprimerai peut-être cette préface, pour votre usage.

Tout cela ne serait que grotesque et bouffon, si vous n’aviez pas causé dans ma cervelle une agitation nuisible. Cependant, vous savez sans doute, par expérience, combien l’habitude des livres et du travail rend indulgent ; vous ne serez donc pas étonné que je pardonne tout à fait votre puérile et sénile violence. Mais les vieilles douleurs que vous avez réveillées en moi, d’autres les expieront peut- être.

En attendant, je ne crois pas que la charité m’impose de m’exposer de nouveau à vos pédantesques impertinences. C’est pourquoi je ne mettrai pas les pieds chez vous, et, quand vous recevrez une lettre de ma mère, qui, comme c’est probable ou du moins possible, renverra l’argent, vous l’en- verrez, l’argent ou la réponse, chez M. Ancelle que je vois fréquemment ; cela me dispensera de recevoir une ligne de vous.

Veuillez agréer, Monsieur, la somme exacte des respects que les convenances me commandent de vous accorder.

Je garde maintenant copie de toutes mes lettres, comme un homme d’ordre, et qui sait ce qu’il fait.


A LA SOCIÉTÉ DES GENS DE LETTRES

Lundi, 30 Août i852.

Monsieur le Président,

Un besoin très urgent et très violent m’oblige à adresser au Comité une demande de 60 fr. M. Godefroy vous dira que je dois fort peu : 80 et quelques francs. J’ai remis, il y a deux jours, à M. Godefroy une nouvelle d’une dimension suffisante, et j’ai la parfaite conviction qu’elle a toutes les qualités requises pour obtenir de fréquentes reproductions. J’ignore si cette personnelle conviction peut influencer quelque peu votre décision, mais je le désire, car c’est un besoin d’argent bien dur qui pousse à cette action toute naturelle, et cependant répugnante, d’en demander à ses collègues.

Veuillez agréer. Monsieur le Président, l’assurance de mes sentiments fraternels.


AU DOCTEUR VERON

Vendredi, 19 Octobre 1852.

Monsieur Véron,

Voici ce qui m’arrive : mon éditeur veut que son livre (Edgar A. Poe) soit fait le 10 Janvier, ainsi que l’implique du reste notre traité. Le livre n’est payable qu’à cette époque. J’ai donc très peu de temps à moi. Or, tous mes livres, manuscrits et meubles, en grande partie (lesquels livres et manuscrits, plus ma correspondance avec les gens qui ont connu l’auteur, sont indispensables pour la confection du livre), sont restés en gage au dernier terme. Si la Revue Britannique ne m’avait pas joué le tour que vous savez, et si j’avais joui du grand plaisir de publier une nouvelle de moi, de dix ou douze feuilletons, dans votre journal, ainsi que j’avais le droit de l’espérer, tout aurait marché comme sur des roulettes. J’aurais fait mon livre avec l’argent que j’aurais légitimement tiré du Constitutionnel, et je ne serais pas obligé de vous avouer ce honteux embarras. Voulez-vous me tirer d’affaire ? Il s’agit de 500 et quelques francs. J’ai raconté, non sans embarras, mon cas à Roqueplan, ainsi que mon projet de m’adresser à vous. Il m’a conseillé de tout vous dire. Ma foi, je n’en ai pas eu le courage, et j’ai préféré vous écrire. Si vous m’aviez fait l’honneur de me faire un traité, j’aurais peut-être pu m’en servir pour me procurer de l’argent ; mais, en tout cas, je n’aurais pas pu l’exécuter tout de suite pour M. La Gueronnière, je suis trop pressé par ma nouvelle besogne. Aussi bien, j’aime mieux que les choses soient ainsi ; je n’ai pas le temps de faire sa connaissance, et j’éprouve moins d’embarras à vous écrire ceci qu’à lui demander l’insertion d’une nouvelle. Dans quatre ou cinq jours, je vous enverrai le travail dont je vous ai parlé. Je présume qu’alors votre esprit sera libre et pourra juger s’il a quelque valeur.

P. S. — Il me semble, — je ne saurais trop définir pourquoi, — qu’il y aurait impertinence et niaiserie à vous affirmer que je pourrais vous renvoyer cet argent prochainement. Tout cela doit vous inspirer une médiocre confiance en moi, — financièrement, du moins, — et d’ailleurs je vous avoue que je ne puis m’empêcher de croire qu’il est inévitable que j’aie avec vous, plus tard, des rapports littéraires plus heureux.

Veuillez agréer l’assurance de mes respects et de ma parfaite reconnaissance.

A. P. S. — Il va sans dire que, la dernière fois que j’ai eu l’occasion de vous voir, j’ignorais encore dans quel insupportable cercle vicieux j’allais être enfermé : trouver de Vargent pour en gagner.

60. Rue Pigalle.

Voilà trois jours que je trimballe cette terrible lettre dans ma poche. Si vous croyez devoir me refuser ce service, au moins, quand j’irai vous voir, daignez me le dire vous-même, afin que le refus ne me soit pas trop dur.

A MADAME MARIE

Madame,

Est-il bien possible que je ne dois plus vous revoir ? Là est pour moi la question importante, car j’en suis arrivé à ce point que votre absence est déjà pour mon cœur une énorme privation.

Quand j’ai appris que vous renonciez à poser, et qu’involontairement j’en serais la cause, j’ai ressenti une tristesse étrange.

J’ai voulu vous écrire, quoique pourtant je sois peu partisan des écritures ; on s’en repent presque toujours. Mais je ne risque rien, puisque mon parti est pris de me donner à vous, pour toujours.

Savez-vous que notre longue conversation de jeudi a été fort singulière ? C’est cette même conversation qui m’a laissé dans un état nouveau et qui est l’occasion de cette lettre.

Un homme qui dit : Je vous aime, et qui prie, et une femme qui répond : Vous aimer ? Moi ! jamais ! Un seul a mon amour, malheur à celui qui viendrait après lui : il n’obtiendrait que mon indifférence et mon mépris. Et ce même homme, pour avoir le plaisir de regarder plus longtemps dans vos yeux, vous laisse lui parler d’un autre, ne parler que de lui, ne vous enflammer que pour lui, et en pensant à lui. Il est résulté pour moi de tous ces aveux un fait bien singulier, c’est que, pour moi, vous n’êtes plus simplement une femme que l’on désire, mais une femme que l’on aime pour sa franchise, pour sa passion, pour sa verdeur, pour sa jeunesse et pour sa folie.

J’ai beaucoup perdu à ces explications, puisque vous avez été si décisive que j’ai dû me soumettre de suite. Mais vous, Madame, vous y avez beaucoup gagné : vous m’avez inspiré du respect et une estime profonde. Soyez toujours ainsi, et gardez-la bien, cette passion qui vous rend si belle, et si heureuse.

Revenez, je vous en supplie, et je me ferai doux et modeste dans mes désirs. Je méritais d’être méprisé de vous, quand je vous ai répondu que je me contenterais de miettes. Je mentais. Oh ! si vous saviez comme vous étiez belle, ce soir-là ! Je n’ose pas vous faire de compliments. Cela est si banal, — mais vos yeux, votre bouche, toute votre personne, vivante et animée, passe, maintenant, devant mes yeux fermés, — et je sens bien que c’est définitif.

Revenez, je vous le demande à genoux ; je ne vous dis pas que vous me trouverez sans amour ; mais cependant vous ne pourrez empêcher mon esprit d’errer autour de vos bras, de vos si belles mains, de vos yeux où toute votre vie réside, de toute votre adorable personne charnelle ; non, je sais que vous ne le pourrez pas ; mais soyez tranquille, vous êtes pour moi un objet de culte, et il m’est impossible de vous souiller ; je vous verrai toujours aussi radieuse qu’avant. Toute votre personne est si bonne, si belle, et si douce à respirer ! Vous êtes pour moi la vie et le mouvement, non pas précisément autant à cause de la rapidité de vos gestes et du côté violent de votre nature, qu’à cause de vos yeux, qui ne peuvent inspirer au poète qu’un amour immortel. Comment vous exprimer à quel point je les aime, vos yeux, et combien j’apprécie votre beauté ? Elle contient deux grâces contradictoires, et qui, chez vous, ne se contredisent pas, c’est la grâce de l’enfant et celle de la femme. Oh ! croyez-moi, je vous le dis du fond du cœur : vous êtes une adorable créature, et je vous aime bien profondément. C’est un sentiment vertueux qui me lie à jamais à vous. En dépit de votre volonté, vous serez désormais mon talisman et ma force. Je vous aime, Marie, c’est indéniable ; mais l’amour que je ressens pour vous, c’est celui du chrétien pour son Dieu ; aussi ne donnez jamais un nom terrestre, et si souvent honteux, à ce culte incorporel et mystérieux, à cette suave et chaste attraction qui unit mon âme à la vôtre, en dépit de votre volonté. Ce serait un sacrilège. — J’étais mort, vous m’avez fait renaître. Oh ! vous ne savez pas tout ce que je vous dois ! J’ai puisé dans votre regard d’ange des joies ignorées ; vos yeux m’ont initié au bonheur de l’âme, dans tout ce qu’il a de plus parfait, de plus délicat. Désormais, vous êtes mon unique reine, ma passion et ma beauté ; vous êtes la partie de moi-même qu’une essence spirituelle a formée.

Par vous, Marie, je serai fort et grand. Comme Pétrarque, j’immortaliserai ma Laure. Soyez mon Ange gardien, ma Muse et ma Madone, et conduisez-moi dans la route du Beau.

Veuillez me répondre un seul mot, je vous en supplie, un seul. Il y a dans la vie de chacun des journées douteuses et décisives où un témoignage d’amitié, un regard, un griffonnage quelconque vous pousse vers la sottise ou vers la folie ! Je vous jure que j’en suis là. Un mot de vous sera la chose bénie qu’on regarde et qu’on apprend par cœur. Si vous saviez à quel point vous êtes aimée ! Tenez, je me mets à vos pieds ; un mot, dites un mot… Non, vous ne le direz pas !

Heureux, mille fois heureux, celui que vous avez choisi entre tous, vous, si pleine de sagesse et de beauté, vous, si désirable, talent, esprit et cœur ! Quelle femme pourrait vous remplacer jamais ? Je n’ose solliciter une visite, vous me la refuseriez. Je préfère attendre. J’attendrai des années, et, quand vous vous verrez obstinément aimée, avec respect, avec un désintéressement absolu, vous vous souviendrez alors que vous avez commencé par me maltraiter, et vous avouerez que c’était une mauvaise action. Enfin, je ne suis pas libre de refuser les coups qu’il plaît à l’idole de m’envoyer. Il vous a plu de me mettre à la porte, il me plaît de vous adorer. C’est un point vidé. 15. Cité d’Orléans.

À MADAME SABATIER
Jeudi, 9 Décembre 1852.

La personne pour qui ces vers ont été faits, qu’ils lui plaisent ou qu’ils lui déplaisent, quand même ils lui paraîtraient tout à fait ridicules, est bien humblement suppliée de ne les montrer à personne. Les sentiments profonds ont une pudeur qui ne veut pas être violée. L’absence de signature n’est-elle pas un symptôme de cette invincible pudeur ? Celui qui a fait ces vers, dans un de ces états de rêverie où le jette souvent l’image de celle qui en est l’objet l’a bien vivement aimée, sans jamais le lui dire, et conservera toujours pour elle la plus tendre sympathie.

À UNE FEMME TROP GAIE
Ta tête, ton geste et ton air
Sont beaux comme un beau paysage ;
. . . . . . . . . . . . . . . . .
1853
A GHAMPFLEURY

Vendredi, 22 Avril 1853.

… Je crois que Sainte-Beuve ne connaît pas vos livres ; je crois que vous feriez bien de lui en porter un ou deux, le jour où vous irez le voir…

A LA SOCIETE DES GENS DE LETTRES

Dimanche, 24 Avril 1853.

Monsieur le Président,

Je me vois obligé aujourd’hui, — cela m’arrive rarement, — de recourir à la bienveillance de mes confrères, pour une petite somme. — Demain, j’ai besoin de la minime somme de 60 fr. — Je dois peu de chose à notre Société, j’ignore combien ; mais c’est peu. — J’ai livré à notre agent, M. Godefroy, une créance qu’il est chargé de recouvrer pour moi. — Je me propose de désintéresser rapidement la Société, d’abord par une nouvelle, qui, je l’espère, n’éprouvera pas le même refus que la dernière ; et, en dernier lieu, une somme très forte qui doit me venir dans les premiers jours du mois prochain me permettra de rapporter le reliquat en argent. Du reste, Monsieur le Président, je vous prie de mettre mes confrères bien à leur aise ; sans doute, une somme de 60 fr. me serait très utile, puisque ma répugnance à vous la demander n’a pas résisté contre l’envie de l’avoir, mais cependant, si l’état de notre caisse ne permet pas cette avance en ma faveur, f accepterai avec plaisir une somme moindre.

Veuillez agréer. Monsieur le Président, le témoignage de mes sentiments tout fraternels.

60, Rue Pigalle.

A MADAME SABATIER

Versailles, 3 Mai 1853.


Ange plein de gaîté, connaissez-vous l’angoisse,
La honte, les remords les sanglots, les ennuis,


A MADAME SABATIER

Lundi, 9 Mai 1853.

Vraiment, Madame, je vous demande mille pardons pour cette imbécile ritnaillerie anonyme, qui sent horriblement l’enfantillage, mais qu’y faire ? Je suis égoïste comme les enfants et les malades. Je pense aux personnes aimées, quand je souffre. Généralement, je pense à vous en vers, et, quand les vers sont faits, je ne sais pas résister à l’envie de les faire voir à la personne qui en est l’objet. — En même temps, je me cache, comme quelqu’un qui a une peur extrême du ridicule. — N’y a-t-il pas quelque chose d’essentiellement comique dans l’amour ? — particulièrement pour ceux qui n’en sont pas atteints.

Mais je vous jure que c’est bien la dernière fois que je m’expose ; et, si mon ardente amitié pour vous dure aussi longtemps encore qu’elle a déjà duré, avant que je vous aie dit un mot, nous serons vieux tous les deux.

Quelque absurde que tout cela vous paraisse, figurez-vous qu’il y a un cœur dont vous ne pourriez vous moquer sans cruauté, et où votre image vit toujours.

Une fois, une seule, aimable et bonne femme,
A mon bras votre bras poli

A MONSIEUR VERTEUTL

Vendredi, 12 Août 1853.

Mon cher Monsieur Verteuil,

Monsieur de Mirecourt est venu, en votre nom, me demander des explications sur une lettre que je vous ai adressée. En présence des explications de Monsieur de Mirecourt, qui affirme que vous n’avez pas voulu m’ofîenser, je n’hésite pas à vous exprimer tous mes regrets et à considérer ma lettre comme non avenue. Recevez tous mes compliments.

A MONSIEUR ANCELLE

Le 24 Septembre 1853.

Ces articles sont déplorables. Pourriez-vous me rendre le service suivant ? J’ai besoin de faire quelques recherches relatives à certines parties des doctrines de Wronzki. Vous savez que ses livres sont introuvables.

Pourriez-vous les empruntera Madame Wronzki, pour une quinzaine de jours ? Vous pourriez dire que c’est pour un de vos amis qui a une grande curiosité de ces matières, et, dans le cas où Madame Wronzki refuserait de les prêter, lui demander si elle veut les vendre. Comme je suis sans le sol, Vous auriez, dans ce cas, la bonté de répondre de ma solvabilité.

Les livres en question sont : Réforme du savoir humain, 2 vol. in-4o.

Un des volumes contient la partie mathématique, l’autre, la philosophie.

En second lieu : La Théorie mathématique de l’ Economie politique,

Remarquez bien que tel n’est point le titre de l’ouvrage. Je sais seulement qu’un des ouvrages de Wronszki contient la théorie en question. Je crois que c’est contenu dans une brochure in-4o. Mais il me semble que Madame Wronzki doit deviner de quel ouvrage j’ai besoin. Enfin, demandez à Madame Wronzki comment, généralenient, on doit s’y prendre pour se procurer des ouvrages quelconques de son mari, par exemple : Le Secret politique de Napoléon et Le Faux Napoléonisme.

Je vais, tous les deux jours, place Louvois. Mettez pour moi un petit mot chez votre sœur, si vous ne me voyez pas d’ici à deux ou trois jours.

Tout à vous.

A POULET-MALASSIS

Vendredi, 16 Décembre 1853.

Mon cher Malassis,

Je vous prie, je ne dirai pas très instamment, ce serait vous dire une impertinence, — je vous prie simplement, — si cela est possible, — aussitôt que vous aurez reçu ma lettre, — de mettre pour moi à la poste, — sous la forme d’un mandat de poste, — une somme QUELCONQUE. Je vous mets bien à votre aise, comme vous voyez, — car il est évident qu’il ne peut pas être question d’une grosse. Il s’agit simplement pour moi de trouver quelques jours de repos et d’en profiter pour finir des choses importantes qui donneront leur résultat positif, le mois prochain. En formant la résolution de vous demander un peu d’argent, j’ai dû foniller dans mes petits papiers, pour voir ce que je vous devais déjà. Je trouve le chiffre 36. Si je me trompe, vous me le direz, et je présume que vous me le direz vous-même, car Champfleury m’a dit hier que vous viendriez nous voir en Janvier.

Il m’est impossible de vous raconter tous les très réels malheurs qui se sont introduits cette année dans ma vie, par ma faute et sans ma faute. Année stérile. Tout ce poème grotesque ne vous regarde pas et ne vous intéresserait pas. Vous vivez maintenant si calme ! Ma vie, à moi, vous le devinez, sera toujours faite de colères, de morts, d’outrages, et surtout de mécontentement de moi-même. Ce langage, je vous l’assure., n’est pas trop emphatique, je vous écris sans aucune surexcitation nerveuse. — Tout ce que je sais, tout ce que je sens, c’est que je viens de perdre, par suite d’une série de mésaventures où ma sottise a sa part, une année entière, et que J’AI FAIRE quatre volâmes et trois comédies ; — que ces œuvres ne sont pas faites, absolument du moins ; — que j’ai reçu de l’argent sur plusieurs d’entre elles, — et que je n’ai pas le sol pour travailler, non pas quinze jours, mais même un jour. Vous ne trou- verez pas étonnant que j’aie pensé à vous qui avez été si charmant avec moi, — et toujours.

POST-SCRIPTUM — AVEC OU SANS argent, répondez-moi tout de suite ; mais surtout, mon ami, pas de grosses raisons faites pour les bêtes ; je serai persuadé que vous ne pouvez pas m’obliger, par le simple fait que vous ne le faites pas. — Et aussi, — mon cher ami, — pas trop d’esprit, — il tomberait bien mal dans ma vie actuelle.

Puisque vous venez ici en Janvier, je compte que vous viendrez me voir, cela va sans dire. Je tâcherai d’avoir la prévoyance de mettre votre argent de côté. Je vais faire paraître une série de morceaux au Moniteur, aussitôt que j’aurai le petit loisir que j’implore, et cela me fera UNE FORTE SOMME.

Christophe m’a donné, il y a quelques mois, un numéro du Journal d’Alençon, où vous avez fait entendre quele traducteur et l’enthousiaste FINIRAIT comme le modèle. Voilà ce que c’est que l’esprit. J’ai encore le journal dans mes papiers.

Vous dites de plus que mes catégories, mes explications psychologiques sont inintelligibles, — et même, autant que je peux me rappeler, — que je n’ai aucun esprit philosophique. — Il est possible que je sois un peu obscur dans des travaux faits à la hâte, sous la pression du besoin, et gêné par des brutes romantiques ; mais le nouveau travail, — augmenté du double, et qui paraîtra en Janvier, — vous démontrera que je me suis parfaitement bien compris. — Je suis certain, pour mon compte, que vous n’avez pas compris LE GÉNIE en question. Vous avez parlé, avec la jouissance tapageuse de l’esprit, d’un homme que vous n’avez pas fréquenté. — Et de plus la traduction insérée par vous ne représente pas avec justesse le sens et le style poétique du Corbeau. Que ma petite rancune ne vous empêche pas de faire pour moi ce que vous pourrez.

Je vous remercie de votre argent, si vous l’envoyez ; de votre diligence à me répondre, si vous ne m’envoyez qu’une lettre.

Tout à vous. 1854

A GHAMPFLEURY

Samedi, 14 Janvier 1854.

L’auteur n’a qu’une croyance : le roman. C’est comme si Dupont disait : Je n’ai qu’une croyance : la chanson. Le roman est un art plus utile et plus beau que les autres, il n’est pas une croyance, pas plus que l’art lui-même. C’est du baragouin romantique… Trouvez-vous réellement qu’à votre âge et avec votre force actuelle il soit bien utile d’exhumer les compliments de Victor Hugo qui en a inondé les êtres les plus vulgaires ?…

A J.-H. TISSERANT

Samedi, 28 Janvier 1854. J’ai reçu de vous une lettre, mon cher Monsieur Tisserant, qui contient un gros paquet de compliments. Attendez donc que je les aie mérités. Nous verrons plus tard s’il y a lieu pour moi d’être loué. Du reste, je sens très bien que je vais faire sur moi-même, — et cela aura été, il faut le dire, à votre instigation, — une grande épreuve. Dans peu de temps d’ici, je saurai si je suis capable d’une bonne conception dramatique. C’est du reste à ce sujet, et pour vous mettre au courant de cette conception, que je vous écris une lettre un peu longue, que j’avais le projet de vous écrire depuis plusieurs jours, et que je remettais de jour en jour.

Je désire fortement que nous nous entendions très bien. — Je sens que je peux avoir besoin de vous, et je crois que dans de certains cas vous devez mieux que moi distinguer le possible de l’impossible.

Quoique ce soit une chose importante, je n’ai pas encore songé au titre : Le Puits ? L’Ivrognerie ? La Pente du mal ? etc…

Ma principale préoccupation, quand je commençais à rêver à mon sujet, fut : à quelle classe, à quelle profession doit appartenir le personnage principal de la pièce ? — J’ai décidément adopté une profession lourde, triviale, rude : le scieur de long. Ce qui m’y a presque forcé, c’est que j’ai une chanson dont l’air est horriblement mélancolique, et qui ferait, je crois, un magnifique effet au théâtre, si nous mettons sur la scène le lieu ordinaire du travail, ou surtout si, comme j’en ai une immense envie, je développe au troisième acte le tableau d’une goguette lyrique ou d’une lice chansonnière. Cette chanson est d’une rudesse singulière. Elle commence par :

Rien n’est aussi-z-aimable,
Fanfru-cancru-lon-la-lahira.
Rien n’est aussi-z-aimable
Que le scieur de long.

Et ce qu’il y a de meilleur, c’est qu’elle est presque prophétique et peut devenir La Romance du saule de notre drame populacier. Ce scieur de long si aimable finit par jeter sa femme à l’eau, et il dit en parlant à la Sirène (il y a pour moi une lacune avant cet endroit) :

Chante, Sirène, chante,
FanFru-cancru-lon-la-lahira,
Chante, Sirène, chante,
T’as raison de chanter.

Car t’as la mer à boire,
Fanfru-cancru-lon-la-lahira,
Car t’as la mer à boire,
Et ma mie à manger !

Mon homme est rêveur, fainéant ; il a, ou il croit avoir, des aspirations supérieures à son monotone métier, et, comme tous les rêveurs fainéants, il s’enivre.

La femme doit être jolie, — un modèle de douceur, de patience et de bon sens.

Le tableau de la goguette a pour but de montrer les instincts lyriques du peuple, souvent comiques et maladroits. — Autrefois, j’ai vu les goguettes. — Il faudra que j’y retourne, — ou plutôt nous irons ensemble. Il sera peut-être possible d’y prendre des échantillons de poésie tout faits. De plus, ce tableau nous fournit un délassement au milieu de ce cauchemar lamentable.

Je ne veux pas ici vous faire un scénario détaillé, puisque dans quelques jours j’en ferai un dans les règles, et celui-là, nous l’analyserons de façon à m’éviter quelques gaucheries. Je ne vous donne aujourd’hui que quelques notes.

Les deux premiers actes sont remplis par des scènes de misère, de chômage, de querelles de ménage, d’ivrognerie et de jalousie. Vous verrez tout à l’heure l’utilité de cet élément nouveau.

Le troisième acte, la goguette, — où sa femme, de qui il vit séparé, inquiète de lui, vient le chercher. C’est là qu’il lui arrache un rendez-vous pour le lendemain soir, dimanche.

Le quatrième acte, le crime, — bien prémédité, bien préconçu. — Quant à l’exécution, je vous la raconterai avec soin.

Le cinquième acte (dans une autre ville), le dénouement, c’est à dire la dénonciation du coupable par lui-même, sous la pression d’une obsession. — Comment trouvez-vous cela ? — Que de fois j’ai été frappé par des cas semblables, en lisant la Gazette des tribunaux !

Vous voyez combien le drame est simple. Pas d’imbroglios, pas de surprises. Simplement le développement d’un vice et des résultats successifs d’une situation.

J’introduis deux personnages nouveaux :

Une sœur du scieur de long, créature aimant les 58 CHARLES BAUDELAIRE

rubans, les bijoux à vingt-cinq soJs, les g-uingueUes et les bastringues, ne pouvant pas comprendre la vertu chrétienne de sa belle-sœur. C’est le type de la perversité précoce parisienne.

Un homme jeune, — assez riche, — d’une profes- sion plus élevée, — profondément épris de la femme de notre ouvrier, — mais honnête et admirant sa vertu. Il parvient à glisserjde temps àautre, un peu d’argent dans le ménage.

Quant à elle, malgré sa puissante religion, sous la pression des souffrances que lui impose son mari, elle pense quelquefois un peu à cet homme, et ne peut pas s’empêcher de rêver à celte existence plus douce, plus riche, plus décente, qu’elle aurait pu mener avec lui. Mais elle se reproche cette pensée comme un crime, et lutte contre cette tendance. — Je présume que voilà un élément dramatique. — Vous avez déjà deviné que notre ouvrier saisira avec joie le prétexte de sa jalousie surexcitée, pour cacher à lui-même qu’il en veut surtout à sa femme de sa résignation^ de sa douceur, de sa patience, de sa vertu. — Et cependant il l’aime, mais la bois- son et la misère ont déjà altéré son raisonnement.

— Remarquez, de plus, que le public des théâtres n’est pas familiarisé avec la très fine psychologie du crime, et qu’il eût été bien difficile de lui faire comprendre une atrocité sans prétexte.

En dehors de ces personnages, nous n’avons que des êtres accessoires : peut-être un ouvrier farceur et mauvais sujet, amant de la sœur, — des filles,

— des habitués de barrières, de cabarets, d’esLETTRES l854 59

tamiiiets, — des matelots, des ag-ents de police.

Voici la scène du crime. — Remarquez bien qu’il est déjà prémédité. L’homme arrive le premier au rendez-vous. Le lieu a été choisi par lui. — Diman- che soir. — Route ou plaine obscure. — Dans le lointain, bruits d’orchestres de bastringue. — Paysage sinistre et mélancolique des environs de Paris. — Scène d’amour, — aussi triste que possi- ble, — entre cet homme et cette femme ; — il veut se faire pardonner ; — il veut qu’elle lui permette de vivre et de retourner près d’elle. Jamais, il ne l’a trouvée si belle… Il s’attendrit de bonne foi. — 11 en redevient presque amoureux, il désire, il sup- plie. La pâleur, la maigreur la rendent plus inté- ressante, et sont presque des excitants. Il faut que le public devine de quoi il est question. Malgré que la pauvre femme sente aussi sa vieille affection remuée, elle se refuse à cette passion sauvage dans

pareil lieu. Ce refus irrite le mari qui attribue cotte chasteté à l’existence d’une passion adultère ou à la défense d’un amant. Il faut en finir ; cepen- dant, je n’en aurai jamais le courage, je ne peux pas faire cela moi-même. Une idée de g^nie, — pleine de lâcheté et de superstition, — lui vient.

Il feint de se trouver très mal, ce qui n’est pas difficile, son émotion vraie aidant à la chose : Tiens, là-bas, au bout de ce petit chemin, à gauche, tu trouveras un pommier ; — va me chercher un fruit. (Remarquez qu’il peut trouver un autre pré- texte, — je jette celui-là sur le papier en courant.) T^a nuit « ’sl h-A^ iw.ire, la lune s’est cachée. Sa femme s’enfonçant dans les ténèbres, il se lève de la pierre où il s’est assis : A la grâce de Dieu ! Si elle échappe, tant mieux ; si elle y tombe, c’est Dieu qui la condamne !

Il lui a indiqué la route où elle doit trouver un puits, presque à ras de la terre.

On entend le bruit d’un corps lourd tombant dans l’eau, — mais précédé d’un cri, — et les cris continuent.

Que faire ? On peut venir ; — je puis passer, je passerai pour l’assassin. — D’ailleurs, elle est condamnée… Ah ! il y a les pierres,— les pierres qui font le bords du puit !

Il disparaît en courant.

Scène vide.

À mesure que le bruit des pavés tombants se multiplie, les cris diminuent. — Ils cessent.

L’homme reparaît : Je suis libre ! — Pauvre ange, elle a dû bien souffrir !

Tout ceci doit être entrecoupé par le bruit lointain de l’orchestre. À la fin de l’acte, des groupes d’ivrognes et de grisettes qui chantent, — entre autres la sœur, — reviennent par la route.

Voici en peu de mots l’explication du dénouement. Notre homme a fui. — Nous sommes maintenant dans un port de mer. — Il pense à s’engager comme matelot. — Il boit effroyablement : estaminets, tavernes de matelots, musicos. — Cette idée : Je suis libre, libre, libre ! est devenue l’idée fixe, obsédante. Je suis libre !Je suis tranquille !on ne saura jamais rien. — Et comme il boit toujours, et qu’il boit effroyablement depuis plusieurs mois, sa volonté diminue toujours, — et l’idée fixe finit par se faire jour par quelques paroles prononcées à voix haute. Sitôt qu’il s’en aperçoit, il cherche à s’étourdir par la boisson, par la marche, par la course ; — mais l’étrangeté de ses allures le fait remarquer. — Un homme qui court a évidemment fait quelque chose. On l’arrête ; alors, — avec une volubilité.une ardeur, une emphase extraordinaire, avec une minutie extrême, — très vite, très vite, comme s’il craignait de n’avoir pas le temps d’achever, il raconte tout son crime. — Puis, il tombe évanoui. — Des agents de police le portent dans un fiacre.

C’est bien fin, n’est-ce pas et bien subtil ? mais il faut absolument le faire comprendre. Avouez que c’est vraiment terrible. — On peut faire reparaître la petite sœur dans une de ces maisons de débauche et de ribote, faites pour les matelots.

Je suis tout à vous.

Vous me ferez vos observations là-dessus.

Je serais bien disposé à diviser l’œuvre en plusieurs tableaux courts, au lieu d’adoptef l’incommode division des cinq longs actes.

A POULET-MALASSIS

Mardi, 7 Février 1854.

Je vous remercie de tout mon cœur ; il est impossible de ne pas faire crédit à quelqu’un qui le demande si gracieusement. — Il y avait bien longtemps que j’étais privé d’un Lucain, — Quant aux romans, je ne les connais pas du tout.

Je dirai simplement à Champfleury de se rappeler qu’il vous a promis quelque chose.

Une autre fois, je vous écrirai plus longuement ; je suis pris dans une insupportable occupation.

Tout à vous.

Je n’ai du reste aucun reproche à vous faire. Il n’y a pas cette fois trop d’esprit dans votre lettre.

A MADAME SABATIER

Mardi, 7 Février 1854.

Je ne crois pas, Madame, que les femmes, en général, connaissent toute l’étendue de leur pouvoir, soit pour le bien, soit pour le mal. Sans doute, il ne serait pas prudent de les en instruire toutes également. Mais, avec vous, on ne risque rien ; votre âme est trop riche en bonté pour donner place à la fatuité et à la cruauté. D’ailleurs, vous avez été, sans aucun doute, tellement abreuvée, saturée de flatteries, qu’une seule chose peut vous flatter désormais, c’est d’apprendre que vous faites le bien, — même sans le savoir, — même en dormant, — simplement en vivant.

Quant à cette lâcheté de l’anonyme, que vous dirai-je, quelle excuse alléguerai-je, si ce n’est que ma première faute commande toutes les autres et que le pli est pris. — Supposez, si vous voulez, que, quelquefois, sous la pression d’un opiniâtre chagrin, je ne puisse trouver de soulagement que dans le plaisir de faire des vers pour vous, et qu’ensuite je sois obligé d’accorder le désir innocent de vous les montrer avec la peur horrible de vous déplaire. — Voilà qui explique la lâcheté.

Ils marchent devant moi, ces yeux extraordinaires Qu’un ange très savant a sans doute aimantés ;

・・・・・・・・・・・・・・・・・・・・・・・・・・・・・

N’est-il pas vrai que vous pensez, comme moi, — que la plus délicieuse beauté, la plus excellente et la plus adorable créature, — vous-même, par exemple, — ne peut pas désirer de meilleur compliment que l’expression de la gratitude pour le bien qu’elle a fait ?

A MADAME SABATIER

… After a night of pleasure and désolation, all my soul belongs to you…

Quand chez les débauchés l’aube blanche et vermeille
Entre, en société de l’idéal rongeur,
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A MADAME SABATIER

Jeudi, 16 Février 1854.

J’ignore ce que les femmes pensent des adorations dont elles sont quelquefois l’objet. Certaines gens prétendent qu’elles doivent les trouver tout à fait naturelles, et d’autres, qu’elles en doivent rire. Ils ne les supposent donc que vaniteuses, ou cyniques. Pour moi, il me semble que les âmes bien faites ne peuvent être que fières et heureuses de leur action bienfaitrice. Je ne sais si jamais cette douceur suprême me sera accordée de vous entretenir moi-même de la puissance que vous avez acquise sur moi et de l’irradiation perpétuelle que votre image crée dans mon cerveau. Je suis simplement heureux, pour le moment présent, de vous jurer de nouveau que jamais amour ne fut plus désintéressé, plus idéal, plus pénétré de respect, que celui que je nourris secrètement pour vous, et que je cacherai toujours avec le soin que ce tendre respect me commande.

Que diras-ta, ce soir, pauvre âme solitaire,
Que diras-tu, mon cœur, cœur autrefois flétri,
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .


À MADAME SABATIER
Lundi, 8 Mai 1854.

Il y a bien longtemps, Madame, bien longtemps que ces vers sont écrits. — Toujours la même déplorable habitude, la rêverie et l’anonyme. — Est-ce la honte de ce ridicule anonyme, est-ce la crainte que les vers ne soient mauvais et que l’habileté n’ait pas répondu à la hauteur des sentiments, qui m’ont rendu, cette fois, si hésitant et si timide ? — Je n’en sais rien du tout. — J’ai si peur de vous que je vous ai toujours caché mon nom, pensant qu’une adoration anonyme, — ridicule évidemment pour toutes les brutes matérielles mondaines que nous pourrions consulter à ce sujet, — était après tout à peu près innocente, — ne pouvait rien troubler, rien déranger, et était infiniment supérieure en moralité à une poursuite niaise, vaniteuse, à une attaque directe contre une femme qui a ses affections placées — et peut-être ses devoirs. N’êtes-vous pas, — et je le dis avec un peu d’orgueil, — non seulement une des plus aimées, — mais aussi la plus profondément respectée de toutes les créatures ? — Je veux vous en donner une preuve. — Riez-en, beaucoup, si cela vous amuse, — mais n’en parlez pas. — Ne trouvez-vous pas naturel, simple, humain, que l’homme bien épris haïsse l’amant heureux, le possesseur ? — Qu’il le trouve inférieur, choquant ? — Eh bien, il y a quelque temps, le hasard m’a fait rencontrer celui-là ; — comment vous exprimerai-je, — sans comique, sans faire rire votre méchante figure, toujours pleine de gaieté, — combien j’ai été heureux de trouver un homme aimable, un homme qui pût vous plaire. — Mon Dieu ! tant de subtilités n’accusent-elles pas la déraison ? — Pour en finir, pour vous expliquer mes silences et mes ardeurs, ardeurs presque religieuses, je vous dirai que quand mon être est roulé dans le noir de sa méchanceté et de sa sottise naturelles, il rêve profondément de vous. De cette rêverie excitante et purifiante naît généralement un accident heureux. — Vous êtes pour moi non seulement la plus attrayante des femmes, de toutes les femmes, mais encore la plus chère et la plus précieuse des superstitions. — Je suis un égoïste, je me sers de vous. — Voici mon malheureux torche-cul. — Combien je serais heureux si je pouvais être certain que ces hautes conceptions de l’amour ont quelque chance d’être bien accueillies dans un coin secret de votre adorable pensée ! — Je ne le saurai jamais.

À la très chère, à la très belle,

Qui remplit mon cœur de clarté.

. . . . . . . . . . . . . . . .

Pardonnez-moi, je ne vous en demande pas plus.


À MONSIEUR ANCELLE
1er Août 1854.

Il faut renoncer à l’Hôtel de Ville ; à partir d’aujourd’hui, je suis obligé de rentrer dans ma vie occupée. — J’ignore si d’ici au 5 je trouverai quelques centaines de francs pour fuir A    ; mais, en tout cas, je ne peux pas rester, comme le joueur, sans un sol. Je ne vous demande pas les 100 fr. dont vous avez le reçu. Je sais que vous êtes épouvanté par l’argent que vous donnez, comme d’autres sont éblouis par l’argent qu’ils reçoivent. 100 fr., c’est au-dessus de vos forces. — Remettez purement 50 fr. — J’ai perdu le papier du Bon Pasteur. — Comme il faudra que j’aille vous revoir ces jours-ci (j’ai retrouvé votre Schiller), si je n’ai pas retrouvé cette lettre, je vous en demanderai une autre. — Ces 50 fr. sont uniquement pour moi ; j’ai donné les 100 fr. à Madame Lemer.

J’ai reçu une interminable lettre de ma mère qui est partie sans venir me voir.


À MONSIEUR HOSTEIN
Mercredi, 8 Novembre 1854.
Monsieur,

Je n’accomplirais qu’avec timidité et défiance cette singulière démarche que je tente aujourd’hui, si je ne savais que je parle à un homme d’esprit.

L’ouvrage que je vous envoie, et qui m’a donné un mal infini à trouver, — la Bibliothèque ne voulant pas le prêter, — la Revue rétrospective ayant disparu, — est à peu près inconnu ; peut-être le connaissez-vous ? — En tout cas, il ne fait partie ni des œuvres complètes, ni même des œuvres posthumes, et il n’y a guère que les fureteurs qui l’aient lu. Depuis bien des années, j’avais l’idée que cet ouvrage aurait dans notre temps un vaste succès ; un autre que moi aurait pensé à la Comédie-Française ou au Gymnase ; mais le choix que je fais me paraît meilleur, d’abord à cause des qualités du directeur, mais aussi particulièrement à cause de son apparence, — permettez-moi de vous le dire, — paradoxale.

Je me suis dit :

M. Hostein a été l’ami de Balzac. N’est-ce pas vous, Monsieur, qui avez si bien fait la mise en scène de La Marâtre ? — M. Hoslein doit parfaitement bien comprendre la valeur d’un ouvrage qui a l’air d’un de ces rares précurseurs du théâtre que rêvait Balzac.

Dans les théâtres subventionnés, rien ne se fait, rien ne se conclut, rien ne marche ; tout le monde y est timide et bégueule.

Puis, il serait curieux de vérifier si, définitivement, ce public du boulevard, si méprisé, ne serait pas apte à comprendre et à applaudir un ouvrage d’une merveilleuse portée, — je ne veux pas prononcer le mot littéraire qui appartient à l’affreux argot de notre époque.

J’ai pensé que les succès infatigables de votre théâtre vous autorisaient à faire une éclatante tentative sans imprudence, et que Les Cosaques et Le Sanglier pouvaient bien, — à mettre les choses au pire, — payer la bienvenue de Diderot.

Si je voulais surexciter votre orgueil, je pourrais vous dire qu’il est digne de vous de perdre de l’argent avec ce grand auteur ; mais, malheureusement, je suis obligé de vous avouer que je suis convaincu qu’il est possible d’en gagner.

Enfin, — irai-je jusqu’au bout ? — car, ici, moi, inconnu de vous, j’ai l’air d’empiéter indiscrètement sur vos droits et vos fonctions, — il m’a semblé qu’un acteur merveilleux par sa véhémence, par sa finesse, par son caractère poétique, un acteur qui m’a ébloui dans Les Mousquetaires, — j’ignore totalement si vous pensez comme moi, — j’ai présumé, dis-je, que M. Rouvière pourrait trouver dans ce personnage de Diderot, écrit par Diderot (Hardouin), personnage où la sensibilité est unie à l’ironie et au cynisme le plus bizarre, un développement tout nouveau pour son talent.

Tous les personnages (ceci est une curiosité) sont vrais. M. Poultier, le commis à la marine, est mort très tard ; j’ai connu quelqu’un qui l’a connu.

Les femmes sont nombreuses, toutes amusantes, et toutes charmantes.

Cet ouvrage est, à proprement parler, le seul ouvrage très dramatique de Diderot. Le Fils naturel et Le Père de famille ne peuvent pas lui être comparés.

Quant aux retouches, — je désire que votre sentiment s’accorde avec le mien, — je crois qu’elles peuvent être très rares et n’avoir trait qu’à des expressions vieillies, à des habitudes d’ancienne jurisprudence, etc., etc… En d’autres termes, je crois qu’il serait peut-être bon de commettre, en faveur du public moderne, quelques innocents anachronismes.

Et maintenant permettez-moi, Monsieur, de profiter de l’occasion pour vous avouer que, depuis longtemps, je rêve à un drame aussi terrible et aussi singulier qu’on peut le désirer, et que, dans les rares moments où je puis y travailler, j’ai toujours devant les yeux l’image de votre étrange acteur. Il s’agit d’un drame sur l’ivrognerie. Ai-je besoin de vous dire que mon ivrogne n’est pas un ivrogne comme les autres ?

Veuillez agréer, Monsieur, l’assurance de mon profond respect, et permettez-moi d’avoir bon espoir.

57. Rue de Seine.


À LA SOCIÉTÉ DES GENS DE LETTRES
Lundi, 14 Novembre 1854.
Monsieur le Président,

Je serais fort heureux que MM. les membres du Comité voulussent bien me faire avancer par M. Godefroy la somme de 60 fr. Je dis 60 ; mais, à la vérité, j’accepterais davantage très volontiers, comme aussi j’accepterais moins, — ce qui est, je crois, la meilleure définition d’un besoin urgent. M. Godefroy vous dira combien je dois peu, 80 et quelques francs. Je voulais, pour rendre mon indiscrétion moins visible, vous expédier une jolie nouvelle ; mais, outre qu’il est fort difficile d’en obtenir l’insertion, je me suis aperçu hier que celle que je vous destinais avait 10.000 lettres de trop. Dans quelques jours, cela veut dire huit Jours, je la remplacerai par un article.

Veuillez agréer. Monsieur le Président, l’assurance de mes sentiments bien fraternels.
À BARBEY d’AUREVILLY
Mercredi, 20 Décembre 1854.
Mon cher Monsieur,

Je suis allé bien souvent chez vous pour vous serrer la main, mais je n’ai eu aucune chance ; — j’envoie à tout hasard ce matin chez vous, pour vous demander un petit service. — Je suis tout abêti et tout malade, je n’ai absolument rien à lire, et de plus j’ai promis à une dame, qui en a grande envie depuis longtemps, de lui faire lire quelque chose de vous ; — si vous pouviez remettre à cet homme n’importe quoi de vous, La Bague, Le Dandysme, Germaine, La Vieille Maîtresse, L’Ensorcelée, — je ne suis pas perdeur de livres, — vous me rendriez fort heureux. — Si cet homme ne vous trouve pas, et si vous êtes encore en prison, — j’enverrai de nouveau chez vous, un autre jour.

Si vous vouliez être tout à fait aimable, vous joindriez à cet envoi une note de vos différents ouvrages, avec les noms des libraires, — note dont j’ai besoin depuis longtemps.

Votre grand article sur Monselet a fait sur ce pauvre garçon un effet de tous les diables. Il était à la fois très heureux et très malheureux. J’ai fait ce que j’ai pu pour lui persuader qu’il devait être très heureux. — S’il se fût agi de moi, j’eusse été très malheureux. Adieu, Monsieur, croyez-moi,

pour toujours, votre ami et votre admirateur.
1855


À FERNAND DESNOYERS


Mon cher Desnoyers,

Vous me demandez des vers pour votre petit volume, des vers sur la nature, n’est-ce pas ? sur les bois, les grands chênes, la verdure, les insectes, — le soleil, sans doute ? Mais vous savez bien que je suis incapable de m’attendrir sur les végétaux, et que mon âme est rebelle à cette singulière religion nouvelle qui aura toujours, ce me semble, pour tout être spirituel, je ne sais quoi de shocking. Je ne croirai jamais que l’âme des Dieux habite dans les plantes, et, quand même elle y habiterait, je m’en soucierais médiocrement et considérerais la mienne comme d’un bien plus haut prix que celle des légumes sanctifiés. J’ai même toujours pensé qu’il y avait dans la nature florissante et rajeunie quelque chose d’affligeant, de dur, de cruel, — un je ne sais quoi qui frise l’impudence.

Dans l’impossibilité de vous satisfaire complètement suivant les termes stricts du programme, je vous envoie deux morceaux poétiques, qui représentent, à peu près, la somme des rêveries dont je suis assailli aux heures crépusculaires. Dans le fond des bois, enfermé sous ces voûtes semblables à celles des sacristies et des cathédrales, je pense à nos étonnantes villes, et la prodigieuse musique qui roule sur les sommets me semble la traduction des lamentations humaines.


À MONSIEUR
9 Juin 1855.
Mon cher ami,

Vous êtes pour moi toujours si parfaitement aimable que je compte sur vous pour les choses suivantes.

Viendrai-je demain, à midi, pour mes épreuves, avec mon quatrième article ? — Je n’en sais rien. — Ma vie errante m’a disloqué… Revoyez donc mes épreuves, après avoir lu mon article avec M. Cohen. Défiez-vous bien du puissant Guillaume, — de l’insidieux Pellerin qui aurait plu à Voltaire, car c’est un pèlerin couvert de coquilles. Présentez mes excuses à M. Cohen, dites-lui que c’est le dernier article consacré à un seul homme, et qu’il veuille bien ne pas trop user de sa puissance de biffeur. D’ailleurs, vous connaissez si bien mes pensées que vous lui expliquerez celles qui sont mal dites. Puis, le père Ingres m’a donné un mal de chien.

Revoyez sur la copie. Peu de tirets et de soulignages, mais pourtant quelques-uns.


À LA SOCIÉTÉ DES GENS DE LETTRES
29 Juin 1855.
Monsieur le Président,

Je me trouve exclu du journal où je vivais ; je viens vous demander un peu d’argent. La dernière fois que je me suis adressé au Comité de notre Société, il y a, je crois, dix-huit mois, ma demande a été repoussée nettement. Sans doute, il a été allégué que je devais une somme de 180 fr., — et que je n’écrivais pas de romans propres à être reproduits. Cette raison pourrait encore être alléguée fort judicieusement, si la reproduction était l’unique moyen de remboursement. Mais rien n’empêche qu’un jour ou l’autre, très prochainement peut-être, je n’autorise M. Godefroy à toucher, en mon lieu, de l’argent chez un libraire, ou dans une revue. Il arrive à chacun d’avoir besoin d’argent aujourd’hui, et de faire demain un marché heureux. D’ailleurs, je crois qu’il faudra bien définitivement que je rembourse la Société, et je ne peux pas offrir mieux, puisque je n’appartiens pas à l’ordre des écrivains dont le revenu est basé sur le roman-feuilleton.

Peut-être ma petite dette est-elle diminuée, mais je vous avoue que cela m’étonnerait fort.

Veuillez, Monsieur le Président, agréer et faire agréer à Messieurs les membres du Comité l’assurance de mes excellents sentiments de fraternité.

Ah ! j’oubliais le chiffre, 100 fr. me seraient vraiment bien nécessaires. Mais je sais que vous pouvez être obligé de m’offrir moins, et je vous saurai toujours gré de faire de votre mieux.


À PHILOXÈNE BOYER
Cher lyrique,

J’ai appris, hier, par Asselineau, que vous étiez venu me chercher pour voir les Anglais. Vous ne sauriez croire combien j’ai été sensible à cette preuve que vous ne m’oubliez pas.

J’étais venu, ce matin, vous présenter mes excuses pour mon éternelle pauvreté, qui est d’ailleurs, ce mois-ci, comme vous l’avez deviné, la conséquence de ma brouille complète avec Dutacq et Cohen. Mais je suis bravement retombé sur mes pieds, et j’utiliserai mon Salon. Enfin, j’en suis réduit à attaquer le bon Buloz, et cela n’est pas, par bonheur, fort difficile !…

P. S. — Le Poe va être vendu. Enfin !… — Ah ! je vous préviens que je vais demander du beurre et du vin à Madame Thierry. — Je prévois, depuis plusieurs jours, que je vais peut-être avoir besoin de vous pour un grand article, à propos des tendances des théâtres. Vous savez que je ne suis pas ferré sur les répertoires !…


À MADAME AUPICK
4 Octobre 1855.
Ma chère mère,

J’ignore votre adresse. Je suis obligé de charger Ancelle de vous transmettre cette lettre. La lettre que je joins à celle-ci, et que je vous serai très obligé de renvoyer à Ancelle, servira à éclaircir et à prouver la mienne. Ce mois-ci, comme le troisième de chaque trimestre, est fort terrible, mais d’autant plus terrible qu’il me faut faire une nouvelle installation, et cela, le 8. Malgré le refus d’Ancelle de m’avancer de l’argent, je dormais à peu près tranquille, parce que les dépenses les plus urgentes devaient, selon moi, être payées par l’argent qu’il me reste à toucher chez Michel Lévy. Michel m’a acheté deux volumes, me les a payés d’avance, presque en totalité. Il ne reste plus que 300 fr. que je comptais lui prendre le 6. Mais voilà qu’avant-hier je trouve une lettre de lui qui se plaint de mes lenteurs, de ma manière de travailler et de mes nombreuses corrections qui font faire beaucoup de dépenses à l’imprimerie, et, enfin, il me menace de me faire payer ces frais. — Dans ces conditions-là, il me paraît impossible de lui prendre cet argent le 7, puisqu’il parle de le garder comme nantissement des frais que cause ma manière de travailler. Il veut de plus, et il a raison, que les deux volumes paraissent en Novembre, — c’est la bonne saison, — et il envoie jusqu’à deux fois par jour chez moi un commis, pour prendre soit des épreuves, soit du manuscrit. Il est évident que par ce procédé terrible, je serai prêt à temps. Mais je ne puis cependant pas me trouver le 7 dans la rue, criblé d’embarras, avec mes livres sur les bras et un éditeur furieux. — Ce qu’il y a de plus désagréable, c’est que cette nécessité de faire paraître à temps ces deux volumes m’empêche de gagner de l’argent, attendu que je n’ai pas le temps de m’occuper d’autre chose. Sans cela, il me serait facile de faire quelque chose pour la Revue des Deux Mondes, à laquelle je travaillerai assez régulièrement, aussitôt que je me serai acquitté de cette besogne inévitable. La Revue des Deux Mondes, qui a d’ailleurs le commencement d’un ouvrage de moi, peut me faire vivre convenablement. Vivre, seulement. — Car, quant aux dettes, je n’y pense pas encore ! Les dettes, c’est le théâtre qui les paiera.

Enfin, je m’aperçois que dans le récit de mes tourments j’ai oublié de vous dire de quoi il était précisément question : je voudrais qu’Anncelle, avant le 8, pût m’avancer, non pas la grosse somme qu’il me faut, elle est trop grosse, mais simplement 300 fr. ; — même 200 fr. suffiraient à parer aux premiers embarras et à me permettre de travailler assez vite pour apaiser l’âme d’un éditeur inquiet. — Bien que vous ne veuilliez plus avoir de relations directes avec moi, vous trouverez tout naturel que je vous expédie le premier volume, aussitôt qu’il aura paru. Un de mes amis m’a fait cadeau de papier superbe sur lequel je ferai tirer quelques exemplaires de luxe. Il est bien dur et bien pénible de travailler avec d’aussi cruelles et d’aussi triviales inquiétudes. Et Ancelle aurait bien dû me faire cette petite avance, de son propre mouvement. Ce n’est pas que vous écrire soit pour moi une chose pénible. Ce qui m’est pénible, c’est de n’avoir jamais de réponse de votre main.

Permettez-moi de vous embrasser.

Michel Lévy publiera aussi (mais quand ?) mon livre de poésies et mes articles critiques.

Probablement en Décembre, la Revue des Deux Mondes publiera un roman de moi.


À MONSIEUR ANCELLE
Vendredi, 21 Décembre 1855.

J’ai eu, hier au soir, le courage de rentrer chez moi et d’aller à mon restaurant habituel, malgré mes terreurs. Certes, c’est beau, pour moi du moins. — Mais je suis rentré avec une nouvelle migraine, due à la campagne de Neuilly. J’ai appris, à dîner, que M. Delacroix était sérieusement nommé. Cependant, il me semble que nous l’aurions vu le matin au Moniteur. Enfin, c’est toujours une chose consolante de voir qu’il arrive de temps à autre quelque chose d’heureux au génie. Voilà M. Aupick condamné à siéger à côté d’un homme bien obscur.

Je vous demande mille pardons de vous fatiguer et de vous tourmenter comme je fais. J’ai une telle peur de voir m’échapper la chose que je convoite depuis si longtemps que je vous récris ce matin, à ce sujet. Vous verrez ce matin ma mère ; si elle se met à avoir peur, comme c’est probable, insistez bien sur deux points, qui sont l’exacte vérité : le premier, c’est que de toute l’année il ne sera pas question de demandes d’argent exceptionnelles, et le second, plus important encore, c’est l’influence prodigieuse qu’a sur le caractère et l’esprit un plaisir, un bonheur inattendu, un accident heureux quelconque. Je parle pour moi du moins, et je crois qu’il en est de même de tous les gens faibles et forts la fois. Une aventure heureuse, surtout une aventure d’argent, donne des facultés nouvelles.

Je vais passer une journée à mettre mes affaires en ordre pour n’avoir qu’à les mettre dans une voiture demain matin.

Je vous verrai donc à 4 h., chez Palis.

Je cherche partout un livret des musées royaux, du temps de Louis-Philippe, et qui contienne les musées Espagnol et Standish. J’ai présumé que vous en pourriez avoir un.

Connaissez-vous un endroit où l’on vende de bons et grands lits de fer, absolument simples, comme les lits d’hôpital, — mais pourvus de housses et de matelas ? — Je préfère cela aux affreux lits d’acajou, et il est évident que les marchands de meubles n’ont pas cela.

Tout à vous.


À MONSIEUR ANCELLE
Lundi, 24 Décembre 1855.

Demain mardi, mon cher ami, vous recevrez la visite de Madame Lemer. Vous lui remettrez 500 fr., contre un reçu de moi. La moitié de l’appartement est prête. Les 500 fr. sont destinés à ma chambre. Si vous avez quelque chose à me dire, remettez-lui un mot pour moi, car je ne suis plus au n°27 de la rue de Seine. Afin de la contraindre à une violente prudence, je lui ai dit que je n’avais que 1.200 fr. à toucher chez vous ; il est peut-être bon que je vous prévienne de tout cela. — J’ai décampé de mon autre domicile, au milieu du plus grand désordre. Et comme voilà cinq jours entiers perdus, ne soyez pas étonné si je remets à quelques jours ma visite, et la lecture de cette longue lettre.

La quantité de lectures que j’ai à faire en huit jours, et ma préface me tourmentent amèrement, quoique je sois enfin comparativement tranquille !

Je vous supplie de ne pas faire à Jeanne la moindre plaisanterie ou la moindre allusion sur des misères antécédentes. Ce serait vraiment brutal.

460 et 500 font 960. Les 540 restants seront uniquement destinés à mon tailleur que j’ai déjà fait venir, et à d’autres dépenses analogues. J’irai vous les demander dans quelques jours, quand j’aurai un peu travaillé.

Je me suis informé auprès de quelqu’un de sérieux de la quantité de viabilité que peut contenir le projet dont je vous ai parlé ! Il y a sérieusement de la grandeur dans cette affaire. Il est présumable que M. Piétri et M. de Morny y seront mêlés. Mais je garderai jusqu’au dernier moment le plus parfait silence là-dessus.
1856


À ALPHONSE TOUSSENEL
Lundi, 21 Janvier 1856.
Mon cher Toussenel,

Je veux absolument vous remercier du cadeau que vous m’avez fait. Je ne connaissais pas le prix de votre livre, je vous l’avoue ingénument et grossièrement.

Il m’est arrivé avant-hier un chagrin, une secousse assez grave, — assez grave pour m’empêcher de penser, — au point que j’ai interrompu un travail important. — Ne sachant comment me distraire, j’ai pris ce matin votre livre, — de fort grand matin. II a rivé mon attention, il m’a rendu mon assiette et ma tranquillité, — comme fera toujours toute bonne lecture.

Il y a bien longtemps que je rejette presque tous les livres avec dégoût. — Il y a bien longtemps aussi que je n’ai lu quelque chose d’aussi absolument instructif et amusant. — Le chapitre du faucon et des oiseaux qui chassent pour l’homme est une œuvre, — à lui tout seul. — Il y a des mots qui ressemblent aux mots des grands maîtres, des cris de vérité, des accents philosophiques irrésistibles, tels que : Chaque animal est un sphinx, et, à propos de l’analogie : Comme l’esprit, je repose dans une douce quiétude, à l’abri d’une doctrine si féconde et si simple, pour qui rien n’est mystère dans les œuvres de Dieu.

Il y a encore bien d’autres choses philosophiquement émouvantes, et l’amour de la vie en plein air, et l’honneur rendu à la chevalerie et aux dames, etc...

Ce qui est positif, c’est que vous êtes poète. Il y a bien longtemps que je dis que le poète est souverainement intelligent, qu’il est l’intelligence par excellence, — et que l’imagination est la plus scientifique des facultés, parce que seule elle comprend l’analogie universelle, ou ce qu’une religion mystique appelle la correspondance. Mais, quand je veux faire imprimer ces choses-là, on me dit que je suis fou, — et surtout fou de moi-même, — et que je ne hais les pédants que parce que mon éducation est manquée. — Ce qu’il y a de bien certain cependant, c’est que j’ai un esprit philosophique qui me fait voir clairement ce qui est vrai, même en zoologie, bien que je ne sois ni chasseur, ni naturaliste. — Telle est du moins ma prétention ; — ne faites pas comme mes mauvais amis, et n’en riez pas.

Maintenant, — puisque je me suis avancé avec vous dans des discours plus grands et une familiarité plus grande que je me le serais permis, si votre livre ne m’inspirait d’ailleurs tant de sympathie, — laissez-moi tout vous dire.

Qu’est-ce que le progrès indéfini ! Qu’est-ce qu’une société qui n’est pas aristocratique ! Ce n’est pas une société, ce me semble. Qu’est-ce que c’est que l’homme naturellement bon ? Où l’a-t-on connu ? L’homme naturellement bon serait un monstre, je veux dire un Dieu. — Enfin, vous devinez quel est l’ordre d’idées qui me scandalise, je veux dire qui scandalise la raison écrite depuis le commencement sur la surface même de la terre. — Pur quichottisme d’une belle âme.

Et un homme comme vous ! lâcher en passant, comme un simple rédacteur du Siècle des injures à de Maistre, le grand génie de notre temps, — un voyant ! — Et enfin des allures de conversation et des mots d’argot qui abîment toujours un beau livre.

Une idée me préoccupe depuis le commencement de ce livre, — c’est que vous êtes un vrai esprit égaré dans une secte. En somme, — qu’est-ce que vous devez à Fourier ? Rien, ou bien peu de chose. — Sans Fourier, vous eussiez été ce que vous êtes. L’homme raisonnable n’a pas attendu que Fourier vînt sur la terre pour comprendre que la nature est un verbe, une allégorie, un moule, un repoussé, si vous voulez. Nous savons cela, et ce n’est pas par Fourier que nous le savons, — nous le savons par nous-mêmes, et par les poètes.

Toutes les hérésies auxquelles je faisais allusion tout à l’heure ne sont après tout que la conséquence de la grande hérésie moderne de la doctrine artificielle, substituée à la doctrine naturelle, — je veux dire : la suppression de l’idée du péché originel.

Votre livre réveille en moi bien des idées dormantes, — et, à propos du péché originel et de forme moulée sur l’idée, j’ai pensé bien souvent que les bêtes malfaisantes et dégoûtantes n’étaient peut-être que la vivification, corporification, éclosion à la vie matérielle, des mauvaises pensées de l’homme. — Ainsi, la nature entière participe du péché originel.

Ne m’en veuillez pas de mon audace et de mon sans-façon, et croyez-moi votre bien dévoué.


À CHARLES ASSELINEAU

Je me suis permis de prendre votre clef. — Je crois même que, vu ma grande fatigue, j’ai violé le lit.

J’ai averti votre concierge que, demain matin, on apporterait, ici, à mon nom, un paquet. Pourriez-vous pousser le dévouement jusqu’à mettre vous-même, aussitôt, le paquet dans un bon Mont-de-Piété et tâcher d’en obtenir 50 fr. ? En tout cas, le maximum.

Figurez-vous que ma sacrée charogne de propriétaire me rend si malheureux qu’hier soir je ne suis pas rentré.

Il y a plusieurs raisons, sans compter l’économie de temps et de courses, pour lesquelles je ne fais pas porter le paquet chez moi. — Mais, entre autres raisons, je trouve inutile que cette charogne devine jusqu’où va mon dévouement pour elle.

Je me suis imbibé du roman de Furetière.

Mon cher, vous gardez tout, et, quand on pense à la postérité, ces lettres-là ne se signent pas.

N’oubliez pas que, pour cet engagement, vous avez besoin d’un papier constatant votre identité.

Je vous ai attendu jusqu’à près de 7 h. 1/2.


À CHARLES ASSELINEAU
Jeudi, 13 Mars 1856.
Mon cher ami,

Puisque les rêves vous amusent, en voilà un qui, j’en suis sûr, ne vous déplaira pas. Il est 5 h. du matin, il est donc tout chaud. Remarquez que ce n’est qu’un des mille échantillons des rêves dont je suis assiégé, et je n’ai pas besoin de vous dire que leur singularité complète, leur caractère général qui est d’être absolument étrangers à mes occupations ou à mes aventures passionnelles, me poussent toujours à croire qu’ils sont un langage hiéroglyphique, dont je n’ai pas la clef.

Il était (dans mon rêve) 2 ou 3 h. du matin, et je me promenais seul dans les rues. Je rencontre Castille, qui avait, je crois, plusieurs courses à faire, et je lui dis que je l’accompagnerai et que je profiterai de la voiture pour faire une course LETTRES l856 87

•rsonnelle. Nous prenons donc une voiture. Je considérais comme un devoir d’offrir à la maî- tresse d’une grande maison de prostitution un livre de moi qui venait de paraître. En regardant mon livre, que je tenais à la main, il se trouva que c’é- tait un livre obscène, ce qui m’expliqua la nécessité d’offrir cet ouvrage à cette femme. De plus, dans mon esprit, cette nécessité était au fond un pré- texte, une occasion de b, en passant, une des filles de la maison ; ce qui implique que, sans la nécessité d’offrir le livre, je n’aurais pas osé aller dans une pareille maison.

Je ne dis rien de tout cela à Gastille, je fais arrê- ter la voiture à la porte de cette maison, et je laisse Gastille dans la voiture, me promettant de

pas le faire attendre longtemps.

Aussitôt après avoir sonné et être entré, je m’a- j,crçois que ma pend par la fente de mon

pantalon déboutonné, et je juge qu’il est indécent me présenter ainsi (même dans un pareil en- droit). De plus, me sentant les pieds très mouillés, ic m^aperçois que j’ai les pieds mis, et que je les

posés dans une mare humide, au bas^le l’esca- lier. Bah ! me dis-je, je les laverai avant de h, et avant de sortir de la maison. Je monte. —.\ partir de ce moment, il n’est plus question

1 livre.

Je me trinoe uan^ ut : vitî>i« ’s galeries, comniuni-

lant ensemble, — mal éclairées, — d’un caractère

isle et fané, — comme les vieux cafés, les an- < lens cabinets de lecture, ou les vilaines maisons 88 CHARLES BAUDELAIUE

de jeu. Les filles, éparpillées à travers ces vastes g-aleries, causent avec des hommes, parmi lesquels je vois des collég-iens. — Je me sens très triste et très intimidé ; je crains qu’on ne voie mes pieds. Je les regarde, je m’aperçois qu’il y en a un qui porte un soulier. — Quelque temps après, je m’aper- çois qu’ils sont chaussés tous deux. — Ce qui me frappe, c’est que les murs de ces vastes g-aleries sont ornés de dessins de toutes sortes, dans des cadres. Tous ne sont pas obscènes. Il y a même des dessins d’architecture et des figures égyptien- nes. Comme je me sens de plus en plus intimidé, et que je n’ose pas aborder une fille, je m’amuse à examiner minutieusement tous les dessins.

Dans une partie reculée d’une de ces galeries, je trouve une série très singulière. — Dans une foule de petits cadres, je vois des dessins, des miniatures, des épreuves photographiques. Cela représente des oiseaux coloriés, avec des plumages très brillants, dont l’œil est vivant. Quelquefois, il n’y a que des moitiés d’oiseaux. — Cela représente quelquefois des images d’êtres bizarres, monstrueux, presque amorphes, comme des aérolithes. — Dans un coin de chaque dessin, il y a une note : La fille une telle, âgée de, a donné le jour à ce fœtus, en

telle année. Et d’autres notes de ce genre.

La réflexion me vient que ce genre de dessins est bien peu fait pour donner des idées d’amour.

Une autre réflexion est celle-ci : Il n’y a vrai- ment dans le monde qu’un seul journal, et c’est /^e Siècle, qui puisse être assez bête pour ouvrir une maison de prostitution, et pour y mettre en même temps une espèce de musée médical. En effet, me dis-je soudainement, c’est Le Siècle qui a fait les fonds de cette spéculation de b, et le musée médical s’explique par sa manière de progrès, de science, de diffusion des lumières. — Alors, je réfléchis que la bêtise et la sottise modernes ont leur utilité mystérieuse, et que, souvent, ce qui a été fait pour le mal, par une mécanique spirituelle, tourne pour le bien. J’admire en moi-même la justesse de mon esprit philosophique.

Mais, parmi tous ces êtres, il y en a un qui a vécu. C’est un monstre né dans la maison, et qui se tient éternellement sur un piédestal. Quoique vivant, il fait donc partie du musée. Il n’est pas laid. Sa figure est même jolie, très basanée, d’une couleur orientale. Il y a en lui beaucoup de rose et de vert. Il se tient accroupi, mais dans une position bizarre et contournée. Il y a de plus quelque chose de noirâtre qui tourne plusieurs fois autour de lui, et autour de ses membres, comme un gros serpent. Je lui demande ce que c’est ; il me dit que c’est un appendice monstrueux qui lui « part de la tête, quelque chose d’élastique comme du caoutchouc, et si long, si long, que, s’il le roulait sur sa tête comme une queue de cheveux, cela serait beaucoup trop lourd, et absolument impossible à porter ; — que, dès lors, il est obligé de le rouler autour de ses membres, ce qui, d’ailleurs, fait un plus bel effet. Je cause longuement avec le monstre. Il me fait part de ses ennuis et de ses chagrins. Voilà plusieurs années qu’il est obligé de se tenir dans cette salle, sur ce piédestal, pour la curiosité du public. Mais son principal ennui, c’est à l’heure du souper. Etant un être vivant, il est obligé de souper avec les filles de l’établissement, — de marcher en chancelant, avec son appendice de caout- chouc, jusqu’à la salle du souper, — où il lui faut le garder roulé autour de lui, ou le placer comme un paquet de cordes sur une chaise, car, s’il le laissait traîner par terre, cela lui renverserait la tète en arrière.

De plus, il est obligé, lui, petit et ramassé, de manger à côté d’une fille grande et bien faite. — Il me donne du reste toutes ces explications sans amertume. — Je n’ose pas le toucher, — mais je m’intéresse à lui.

En ce moment, — (ceci n’est plus du rêve), — ma femme fait du bruit avec un meuble dans la chambre, ce qui me réveille. — Je me réveille fatigué, brisé, moulu par le dos, les jambes, et les hanches. — Je présume que je dormais dans la position contournée du monstre.

J’ignore si tout cela vous paraîtra aussi drôle qu’à moi. Le bon Minot serait fort empêché, je présume, d’y trouver une adaptation morale.

Tout à vous.

A SAINTE-BEUVE

19 Mars i856.

Voici, mon cher protecteur, un genre de littéraLETTRES l856 91

ture qui peut-être ne vous inspirera pas autant d’enthousiasme qu’à moi, mais qui vous intéres- sera, à coup sûr. // faut^ c’est à dire je désire, (\\x’ Edgar Poe^ qui n’est pas grand’chose en Amé- | rique, devienne un grand homme pour la France y je sais combien vous êtes brave et amateur de la nouveauté, j’ai donc hardiment promis votre con- cours à Michel Lévy.

Pouvez-vous m’écrire un petit mot où vous me direz si vous ferez quelque chose dans L’A thenœum, ou ailleurs ? Parce que, dans ce cas, j’écrirais à M. Lalanne de ne pas charger de cela une autre personne, — votre plume ayant une autorité /)ar^/- culiêre dont j’ai besoin.

Vous verrez, à la fin de la Notice (laquelle con- tredit toutes les opinions à la mode sur les États- Unis), que j’annonce de nouvelles études. Je par- lerai plus tard des opinions de cet homme singulier, en mati« 3re de sciences, de philosophie et de litté- rature.

Je remets donc entre vos mains mon âme toujours troublée.

iS. Rue d’ Angoiilême-c^i’Temple.

S’il est besoin d’un autre exemplaire pour le directeur du journal, qu’il le fasse prendre à la librairie.

A SAINTE-BEUVE

Mercredi, 2G Mars i856. Vous saviez bien que cette bonne petite nouvelle m’enchanterait. Lalanne a été prévenu par Asselineau, et l’on devait donner le livre à une autre personne, dans le cas seulement où vous n’auriez pas pu faire d’article. Lalanne a reçu un volume.

Je puis, relativement au reste de votre lettre, vous donner quelques détails qui peut-être vous intéresseront.

Il y aura un second volume et une seconde préface. Le premier volume est fait pour amorcer le public : jongleries, conjecturisme, canards, etc.. Ligeia est le seul morceau important qui se rattache moralement au second volume.

Le second volume est d’un fantastique plus relevé : hallucinations, maladies mentales, grotesque pur, surnaturalisme, etc. . .

La deuxième préface contiendra l’analyse des ouvrages que je ne traduirai pas, et surtout l’exposé des opinions scientifiques et littéraires de l’auteur. Il faut même que j’écrive, à ce sujet, à M. de Humboldt, pour lui demander son opinion, relativement à un petit livre qui lui est dédié : c’est Eurêka.

La première préface que vous avez vue, et dans laquelle j’ai essayé d’enfermer une vive protestation contre l’américanisme, est à peu près complète, au point de vue biographique. On fera semblant de ne vouloir considérer Poe que comme Jongleur, mais je reviendrai à outrance sur le caractère surnaturel de sa poésie et de ses contes. Il n’est Américain qu’en tant que jongleur. Quant au reste, c’est presque une pensée antiaméricaine. D’ailleurs, LETTRES l856 93

il s’est moqué de ses compatriotes le plus qu’il a pu.

DonCy le morceau auquel vous faites allusion fait partie du second volume. C’est un dialogue entre deux âmes, après la destruction du globe. Il y a trois dialogues de ce genre que je serai heureux de vous prêter, à la fin du mois^ avant de livrer mon deuxième volume à l’imprimeur.

Maintenant, je vous remercie de tout mon cœur ; mais vous êtes si aimable que vous courez avec moi de grands dangers. Après le Poe, viendront deux volumes de moi, un, d’articles critiques, et l’autre, de poésies. Ainsi, je vous fais mes excuses par avance et d’ailleurs je crains que, lorsque je ne parlerai plus par la voix d’un grand poète, je ne sois pour vous un être bien criard, et bien désa- gréable.

Tout à vous.

A la fin du second volume de Poe, je mettrai quelques échantillons de poésie.

Je S’-iis persuadé qu’un homme aussi soigneux que vous ne m’en voudra pas, si je le prie de bien observer l’orthographe du nom i^Edgar Boe). Pas de dy pas de tréma, pas d’accent.

A MONSIEUR GODEFKOY

Mercredi, 12 Novembre i85t).

Mon cher Godefroy, Ce Michel, beaucoup trop sage, ue veut me don94 CHAULES BACDELAIRE

lier d’arg’ent (pour le troisième volume) qu’après la publication du second. Je suis en train d’en écrire la préface, et, comme je n’accouche que douloureu- sement, cela pourrait bien durer quelque temps. Pourriez-vous vous priver de 260 fr. ? En réalité, je n’ai un absolu besoin que de 200 fr., mais je vous en ferais rendre 260, pour vider notre vieille petite question. J’écrirais simplement au bas du traité : Je prie Michel de rendre à Godefroy, etc. . . Et vous me laisseriez seulement le plaisir de l’avertir le premier, par pure indulgence pour mon amour- propre. Si cela est possible, gardez le papier tim- bré, et j’irai vous voir le i3 ou le i4 ; et, si cela est impossible, renvoyez-le-moi. — Je ne crois pas que ma demande soit bien indiscrète ; en tout cas, je sais que vous trouverez tout naturel que je me sois adressé à vous. Tout à vous.

Et si cela, impossible pour aujourd’hui, était possible dans un délai assez bref, écrivez-moi un petit mot.

A POULET-MALASSIS

Mardi, 9 Décembre i856.

Mon cher ami,

Rien de plus judicieux et de plus sage que votre lettre. En réalité, c’est presque les conditions que Michel faisait, avant ses volumes à i fr. et à LETTRES iSÔt) 96

six mille exemplaires. Mais, chez vous, je ferai fabriquer honnêtement et élég-animent ;

Je puis vous avouer maintenant tout le plaisir que m’a causé votre lettre. J’avais fini, — ne m’en veuillez pas trop, — par prendre vos indécisions pour une réelle défiance de mon talent. De plus, je m’étais mis dans un foutu cas. Un jour, dans un mouvement d’humeur contre Michel, je m’étais vanté à lui de pouvoir compter sur vous.

Enfin, les billets eux-mêmes (surtout celui de 200 fr.) tombent comme le Messie. Car, après votre départ, mon g-uignon a fait qu’au Moniteur on a pris la décision d’apurer avant tout les comp- tes de l’année qui vient de s’écouler, et V Arthur

ordon Pym ne sera payé que le i5 Janvier. Le premier numéro paraîtra irrévocablement le 8. Vous devinez dans quel état d’anxiété j’étais, — et

as voyez que j’ai quelques raisons d’être satisfait.

Je suis bien aise que vous ne veuilliez commencer qu’en Février et que nous commencions par la poésie. J’aurai tout Janvier pour éparpiller les trois ou quatre morceaux inédits du volume de prose, pour en tirer de l’argent, et en même te^ips nous pourrons disposer ensemble l’ordre des matières des Fleurs du Mal, — ensemble, entendez-vous, car la question est importante. Il vous faut faire un volume composé seulement de bonnes choses : peu de matière, qui paraisse beaucoup, et qui soit

• s voyante. Votre mot popularité m’a beaucoup mit rire. Point de popularité, je le sais, mais un bel éreintaire général (jui attirera la curiosité ; et 9^ CHARLES DAUDELAIRE

puis, nous saurons avoir quelques articles dans les revues élrang-ères.

Je ne sais pas si vous enfermerez les deux livres dans le même traité ; mais, que vous n’en fassiez qu’un ou que vous en fassiez deux séparés, si vous ne laissez pas en blanc le titre du livre en prose, mettez Miroir de Vart^ Cabinet esthétique^ ce qui vous passera par la tête. Nous modifierons cela, à votre gré, quand vous déposerez le titre au Minis- tère.

Le genre de traité que je vous ai demandé et que vous me faites a cela d’excellent qu’il est difficile de supposer que vous perdiez quelque chose, et que, si le livre se réimprime, les bénéfices futurs de l’au- teur sont sauveg-ardés.

Donc : deux volumes, mille exemplaires^ éter- nellement, cinq sols.

Poser le cas où Malassis ne réimprimerait plus pendant un an ( ?), et où Baudelaire serait libre. Avec vos billets, envoyez-moi votre ou vos traités, signés ; je vous retournerai de même les doubles.

Ajoutez, dans votre lettre, un conseil pour l’es- comptage du premier (200).

J’ignore la part qu’a votre beau-frère dans votre décision, ou même s’il en a une. En tout cas, pré- sentez-lui mes amitiés, si toutefois vous le croyez sensible aux pompes sataniques de l’étiquette. Autre aventure, mon logement définitif ne peut être prêt que le i5 Janvier. Ainsi, vous me retrou- verez ici, et je reste jusqu’au 10 Janvier cloué LKTTIVES — i856 97

dans l’hôtel de ce misérable que MM. Havin et Léon Plée prennent pour un grand poète.

Mettez-moi de côté tout ce que vous accrocherez de Laclos et sur Laclos.

Vous recevrez ceci demain matin mercredi ; je serais heureux, si je recevais votre paquet jeudi matin.

Si je ne craignais pas que vous me traitiez de maniaque ou d’insolent, je vous parlerais encore de

lelques monnaies que je vous dois. Mais il sera toujours temps de vous fâcher, quand vous viendrez à Paris.

Bien à vous.

Si vous voyez le seigneur Asinarius, guérissez- ’ ' de ses superstitions grossières relatives à moi.

A POULET-MALASSIS

Le II Décembre i856. Cher ami,

Voici votre reçu. Votre billet est chez Tenré,

s, rue Laffitte, en qui j’ai trouvé un ancien cama-

ide de collège, et qui a bien voulu ne pas tenir

)mpte des vingt jours de trop dont le billet est

âgé. Cependant, il m’a demandé deux jours. S’il

rend le billet, je profiterai alors de votre olFre, et

de votre bon vouloir.

Tout à vous.

Heçu de M. Pouiel-Malassis, imprimear-iiôraire à Alençon, un billet à ordre de deux cents francs, à compte sur quatre billets à ordre, ensemble d’une valeur de cinq cents francs, prix convenu entre nous pour le tirage, à mille exemplaires chacun, de deux livres, l’un, de prose, intitulé Cabinet esthétique, l’autre, de vers, intitulé Les Fleurs du Mal, que M. Poulet-Malassis m’achète, dont traité à intervenir en Janvier, sur les bases fixées dans des letres échangées, du huit au dix Décembre, entre nous. 1857

A POULET-MALASSIS

Mardi, 10 Février 1857.

Mon cher ami,

Le manuscrit a été remis à Madame Dupuy, mercredi, 4 Février ; — ce n’est donc pas ma faute si vous l’avez reçu si tard.

Je recevrai donc, en même temps que les placards représentant la moitié de Spleen et Idéal, le paquet des pièces sacrifiées, mais non composé. En ceci, vous avez raison. Mais j’avais cru pouvoir vous demander cela, à cause de mon infirmité qui ne me permet de juger de la valeur d’une phrase, ou d’un mot, que typographiés.

Quant aux épreuves, pourquoi ce petit sermon ? Je sais que vous avez raison. Mais vous avez l’air de croire que je veux en abuser. Je demande une épreuve placard et une épreuve mise en pages. Vous avez été induit en erreur par ma phrase : toujours une double épreuve, c’est à dire : toujours la même épreuve, en double, — dans le but de fournir CHARLES BAUDELAIRE

des citations (peut-être) à des revues ou à des jour- naux, — avant votre mise en vente, ce qui ne peut que vous être agréable.

Quant à la question typographique, je n’y en- tends rien, ou du moins je n’y entends qu’avec mon œil.

Je vous recommande seulement, lors de la mise en pages, de ne pas être avare de blancs, et puis de composer la dédicace dans un certain style solen- nel que vous saurez trouver, grâce à votre excel- lent goût. Cependant, il serait peut-être bon de ne pas donner à un manuscrit moderne les archaïsmes et les gentillesses du rouge. Pas de coquetterie.

Je suis profondément étonné de votre mot : de 35o à 4oo pages. Je ne l’aurais jamais cru, surtout avec du huit.

Vous aurez l’obligeance de m’expliquer comment on use de la poste pour les épreuves. Toutes mes épreuves de Corbeil, c’était Michel qui les expé- diait.

Il me tarde fort de vous voir. Tout à vous.

Pour le manuscrit Bric-à-brac, OUI. Le huit me paraît bien petit et bien peu grave.

A POULET-MALASSIS

Lundi, 16 Février 1857.

Je croyais, mon cher ami, que c’était une ques- tion déjà décidée par vous. C’est pourquoi je ne I.ETTUES — 1837 10 1

■ (’pondais pas. J’ai trouvé votre ////// (alençoiiiiaises) >li, et eu effet fort adaptable à nu format anglais, dais il m’est impossible de deviner si votre neuf ferait mieux.

(Ajoutez à cela que je suis toujours préoccupé de l’horreur de la plaquette.)

Mais je puis vous dire quelque chose qui vous mettra bien à Taise, et pour toujours. Dans toute question de cette nature, comme vous vous y con- naissez infiniment mieux que moi, toutes les fois l’iilnUj aura pas de ma part répulsion radicale,

—[JIVEZ VOTRE GOUT.

Je m’imaginais que vous alliez arriver à Paris avec des placards représentant la moitié de Spleen et Idéal, et que naturellement vous les auriez rem- portés, corrigés. En tout cas, n’oubliez pas de rap- porter intégral le manuscrit des pièces sacrifiées.

Si vous pouvez dénicher, dans vos greniers ou armoires, un ou deux dictionnaires de rimes, ap- [M)rtez-les-moi. Je n’en ai jamais eu. Mais ce doit ire une chose excellente, dans le cas d’épreuves.

Bien à vous.

A POULRT-MALASSIS

Samedi, 7 Mars 1857.

Mon cher ami,

J’ai, là, une lettre de imn [joiir vous, datée du r" Mars, qui devait accompagner tous les placards, lesquels sont finis depuis le i’" Mars. Je vais profi-

7. CHAULES BAUDELAIRE

ter de ce qne je n’ai pas de feuilleton demain pour les revoir encore, et je vous les enverrai lundi. Vous pourrez donc continuer la mise en pages.

Je vous remettrai en même temps la première feuille. Demain dimanche, Théophile vient au Moniteur ; je veux lui montrer la dédicace, avant de vous l’envoyer.

Vous trouverez, sur les placards, des observa- tions adressées à vous (particulièrement à propos de mes deux ou trois notes), et, à propos de ces notes, si vous adoptez mon idée de les rejeter à la fin, il faudra en conserver la composition.

Observation sur l’orthographe (pluriels et autres cas), moderne ou ancienne ? Je préfère l’ancienne, mais modérée.

Vous reverrez, n’est-ce pas, les feuilles avec les placards sous vos yeux ?

Je suis toujours très préoccupé de la terreur de la plaquette.

Je voudrais bien avoir la fin.

Rappelez-vous que je n’entends rien à Tencar- tage, aux réclames, signes de rappel, etc., etc., et que je n’ai su jamais plier une feuille.

Je vais rue Jean-Jacques-Rousseau, avec votre lettre précédente. Je veux absolument faire renou- veler cette permission.

Ne croyez pas que,. quand j’ai une heure à per- dre, je la perde. Je commence à jouer des ciseaux et des painsàcacheter,pour votre deuxième volume. A ce sujet, je vous dirai que votre nouveau titre est détestable. Il est digne de l’esprit raisonnable et LETTRES — 1867 103

modeste d’Asselineau. J’aime les titres mystérieux ou les titres pétards.

Théophile Gautier qui sait tout faire me fera cela.

Voilà vos Nouvelles Histoires extraordinaires. Godefroy ou Michel vous chercheraient-ils querelle, si vous en mettiez un ou deux fragments dans votre journal ?

J’ai parlé à Turgan du cas où moi et un de mes amis nous aurions besoin d’être protégés, à propos de livres réputés dangereux (Compère Mathieu, Laclos, et cœtera). Il m’a dit : Faites la connais- sance de Mérimée. Il est tout puissant dans ces choses-là. Vous vous rappelez la brochure H. B. Bien à vous.

Avant le tirage de la première feuille, je voudrais bien voir votre papier. Vous ne sauriez croire com- bien votre papier transparent vous nuit.

              A POULET-MALASSIS 
                                  9 Mars 1857. 

Mon ami, Voilà votre baume, sous forme de : Trois placards, où il y a une pièce à supprimer ; Deux pièces à intercaler ; Votre première feuille, que vous n’aviez pas relue, car j’ai trouvé des fautes bizarres ; La nouvelle dédicace, discutée, convenue et con104 CHARLES BAUDELAIRE

sentie avec le magicirn qui m’a très bien expliqué qu’une dédicace ne devait pas être une profession de foi, laquelle d’ailleurs avait pour défaut d’attirer les yeux sur le côté scabreux du volume et de le dénoncer.

Décidément, Curiosités esthétiques.

Je n’ai plus que six feuilletons à faire. Vous savez ce que cela veut dire. Ces effroyables colonnes, qui doivent être prêtes à ii h. du matin, me donnent des maux de nerfs.

Bien à vous.

A SAINTE-BEUVE

9 Mars 1867.

Mon cher ami,

Vous êtes trop indulgent pour vous être forma- lisé de rimpertinent point d’interrogation que j’ai mis après le mot souvenir, sur l’exemplaire des Nouvelles Histoires extraordinaires que j’ai dé- posé hier pour vous, au Moniteur. Si vous pouvez m’etre ag-réable, je le trouverai bien naturel : vous m’avez gâté. — Si vous ne le pouvez pas, je le trouverai aussi très naturel.

Ce second volume est d’une nature plus élevée et plus poétique que les deux tiers du premier. — Le troisième volume (en train de publication, au Moniteur) sera précédé d’une troisième notice.

L’histoire de la fin du monde s’appelle Conver- sation cVEiros avec Charniion,

4. Il vient d’être fait un nouveau tirage du premier volume où les principales fautes sont effacées. Michel sait qu’il doit vous en réserver un exemplaire. Si je n’ai pas le temps de vous le porter, je vous le ferai envoyer.

Votre bien affectionné.


A MONSEUR DE BROISE

Dimanche, 15 Mars 1857.

Monsieur,

Je sais qu’il n’est pas d’usage de répondre à une lettre qu’on n’a pas reçue, mais je crois qu’il m’est permis de violer la règle dans le cas présent. M. Poulet-Malassis, mon très ancien ami, est parfaitement libre de rembourser à la Société le prix que j’ai reçu de lui, pour deux volumes, et, si M. Malassis exige à son tour que je le rembourse, je le rembourserai. Quant d la façon toute de confiance dont il a traité avec moi, et qui est un perpétuel sujet de reproches de votre part, je vous ferai remarquer, Monsieur, que tous les traités soint DE CONFIANCE, et quc s’ils n’étaient pas de confiance ne les ferait pas.

Auguste Malassis m’a offert de me servir d’abord tout mon livre en placards. Je ne le lui demandais pas, je n’avais pas osé, mais j’ai accepté : or, c’est vous qui êtes en retard.

Vous ignorez sans doute, Monsieur, ce que c’est que le soin et les lenteurs indispensables pour un loO CHARLES BAUDELAIRE

ouvrage auquel on attache de l’importance. Quant au second volume, j’ai répondu nettement à mon AMI Malassis qu’il était absurde que je fisse trois choses à la fois, parce que c’était le moyen sûr de faire de la mauvaise besogne. Dans peu de jours, je serai tout entier à ce second volume.

Je crois que j’ai répondu suffisamment au pre- mier perpétuel reproche. Malassis, sachant ou ayant deviné que je pouvais avoir besoin de travail- ler sur une grosse quantité de matières, m’a offert plus que beaucoup, il m’a offert tout. Il avait raison ; car, recevant beaucoup de matières, j’en renverrai beaucoup, et a la fois {explication du retard).

J’en viens maintenant, Monsieur, à l’objet de votre second perpétuel reproche : les surcharges de M. Baudelaire ! Si vous ne voulez pas de sur- charges. Monsieur, il ne faut pas envoyer d’épreu- ves TORCHÉES comme celles que vous avez expédiées, pendant que M. Malassis était à Paris. Ces justi- fications, et les termes dans lesquels je suis obligé de les faire, me sont extrêmement pénibles ; mais je désire appeler votre attention sUr ce point : si vous aviez mis plus d’activité et moins de négli- gence., vous auriez eu moins d’embarras, et vous n^ auriez pas éprouvé la nécessité {io\i]0\xvs facile à trouver) défaire de perpétuels reproches.

Je vous prie. Monsieur, d’agréer l’assurance de ma parfaite considération, et de présenter mes res- pects à Madame Malassis^ et l’assurance de mon

amitié à Auguste.
A POULET-MALASSIS


17 Mars 1857.

Je viens, mon cher ami, de jeter à la poste la première feuille, avec un bon à tirer, sauf l’arrangement de la dédicace ; mais une idée soudaine me fait vous écrire ce petit mot :

Est-ce qu’une dédicace ne doit pas tout précéder, même le titre ? J’ai le souvenir, je crois, d’avoir vu un faux-titre après la dédicace. Vous comprenez que toutes ces petites questions vous sont abandonnées.

J’espérais pouvoir trouver aujourd’hui le temps de vous écrire une longue lettre, je ne l’ai pas pu, et cependant j’ai raté, pour la première fois, mon feuilleton.

D’Aurevilly fait un grand article (qui devait paraître aujourd’hui) sur les Odes, article qui sera évidemment bien singulier, car il m’a dit qu’il vous avait accablé des plus jolies flatteries, et, en même temps, je sais que le livre l’a exaspéré jusqu’à la fureur.




A POULET-MALASSIS


Mercredi, 18 Mars 1857.


Mon cher ami,

Je vous remercie, j’ai reçu ce soir la deuxième feuille et le gros paquet. Cela va maintenant aller rondement.

Il m’a encore été impossible de vous écrire aujourd’hui tout ce que j’ai à vous dire. Je vous adresse seulement, à la hâte, trois ou quatre observations :

1ère. Vos guillemets singulièrement retournés. Est-il nécessaire d’en mettre tout du long ?

2ème. Je vous recommande ma dédicace, avec un amour infini. Quelque chose de menu, d’élégant, avec proportions, et mettant un peu plus en vue les trois ou quatre parties principales.

3ème. Votre titre courant n’est-il pas trop près du premier vers ? Il faudrait au moins autant d’espace entre le premier vers et le titre courant qu’entre les strophes.

4ème. Votre deuxième volume ! Je vous supplie de me laisser finir ceci d’abord ; autrement, vous me ferez mettre des vers dans la prose et de la prose dans les vers, ou bien de l’ornithologie ou des manœuvres de navire dont j’ai la tête cassée. Qui m’empêchait (si ce n’est la crainte du désordre) de vous laisser emporter de Paris ce second volume, auquel il ne manque que trois articles : Caricaturistes, Opium et Peintres raisonneurs ? Mais alors les lacunes ! et les remaniements ! et le diable !

Vous dites bien du mal de moi sans doute, là-bas ; mais, dans quelques jours, vous jugerez combien j’ai raison.

Quant à la lettre, vous avez sans doute bien fait de la supprimer ; vous avez évidemment deviné que ce qui m’exaspérait était l’idée que votre beau-frère vous exaspérait, et qu’il en pouvait résulter une altération dans nos anciens et excellents rapports.

Mes respects à votre mère, si elle se souvient de moi. Vous aurez la bonté de me montrer la première feuille rectifiée. Je vous ai donné le bon à tirer pour vous mettre un peu de baume dans le sang.

Quant aux notes, il faudra prendre un parti, et, si vous tenez à souiller le volume, je découvrirai un moyen mixte.

Egalité d’interlignes ! lettres cassées, etc., etc… Je présume qu’il est encore temps pour toutes ces petites choses, d’ailleurs importantes.

Votre ami.

A POULET-MALASSIS
Mercredi, 18 Mars 1857.

Mon cher ami,

Je réponds à votre lettre de ce matin :

D’abord, il est absurde que vous vous fâchiez. Voyons, mon bon cher ami, je ne vous ai jamais dit que je voulusse des égyptiennes, des caractères gras, anglais, amaigris, etc… Je sais ce que c’est que l’unité, j’ai toujours pensé comme vous là-dessus, et je connais l’importance de l’harmonie dans les caractères ; vous me parlez titre, et je vous réponds DÉDICACE.

Vous me dites : C’EST IMPRIMÉ, vous voulez dire : TIRÉ.

Cette dédicace ne peut pas passer, et, puisque mon goût diffère du vôtre, — (je maintiens la nécessité de rétrécir la longueur, la hauteur, si vous aimez mieux de RAPETISSER tous les caractères, les prenant tous d’un œil moins gros), — je vous offre, et ne vous fâchez pas, de vous rembourser LE PRIX DU PAPIER ET DU TIRAGE de cette feuille. Mais, désormais, ne tirez plus sans le bon à tirer. Que je sache le prix que vous coûte cette aventure, et vous le recevrez, le 1er du mois.

Pour le nouveau tirage, rectifiez toutes les fautes marquées sur l’épreuve (feuille imprimée) renvoyée par moi (sauf poète et vos guillemets, si vous y tenez). (Quant à ma ponctuation, rappelez-vous qu’elle sert à noter, non seulement le sens, mais la déclamation.)

Quant aux fontes mal faites, vous avez raison ; mais ce n’est pas ma faute si mon œil est trop bon.

Ainsi, voilà qui est bien entendu : il faut que cette feuille soit refaite ; je paie les frais, et vous ne faites plus tirer,sans BON A TIRER. — Je vais vous renvoyer ce soir vos deux feuilles suivantes.

Votre bien dévoué.

Réponse, bien vite, bien vite. NON, PAS DE CRÉBILLON, c’est bien assez de l’autre pour lequel je me donnerai beaucoup de mal.

A POULET-MALASSIS

Mon cher ami,

Vous êtes mille fois trop aimable, vous et votre Crébillon dont je ne veux pas.

Donnez cela à Monselet, ou à Babou. Après notre second volume, excepté en faveur de Laclos, je n’écris plus d’articles. Je vous remercie du magnifique regret que vous exprimez à la fin, mais j’en profite pour vous faire remarquer que vous ne me dites pas un mot de la grosse question. Je vous ai déjà offert de vous rembourser, le 1er du mois, le prix du papier et du tirage, mais j’ai réfléchi, depuis lors, que vous aviez peut-être défait les formes et les caractères ; dans ce cas-là, je vous rembourserai aussi une nouvelle composition, mais en une autre fois. — Dans ce cas-là aussi, vous auriez l’obligeance de me retourner l’ancienne feuille, avec ses corrections, en même temps que la feuille nouvelle, pour que je puisse bien vérifier. — Et il ne faut pas vous fâcher, et il faut accepter mon offre. Voulez-vous que je vous envoie le petit volume des poésies de Poe, imprimé à Londres ? Il y a là deux dédicaces imprimées dans le goût que j’essayais de vous indiquer.

Ah ! malheureux plein de pétulance, avez-vous donc fait le même coup pour les deux feuilles suivantes, c’est à dire celles que vous avez dû recevoir ce matin (20 Mars), et avez-vous tiré avant d’avoir reçu les dernières corrections ? Pour le coup, le cas serait encore plus grave, car il y avait quelques belles et solides fautes.

Les placards marchent, il y en a eu un fait, cette nuit. Dans deux jours, ce sera fini.

Tout à vous.

A POULET-MALASSIS
21 Mars 1867.

Hélas ! mon ami, j’ai horreur des cartons, c’est donc la feuille refaite que je veux. JE VEUX, comme vous dites, faire une dépense absurde, et puérile (composition, papier, et tirage), et comme vous avez, je le reconnais, d’excellents motifs pour croire que vous avez raison, il est juste que je vous rembourse cette dépense. Croyez que j’ai assez d’ordre pour mettre cet argent de côté.

Votre nouvelle dédicace est mieux, beaucoup mieux.

Autres objets d’inquiétude :

Guillemets : vous vous trompez, mon pauvre ami ; j’ai eu l’air d’approuver, et j’ai simplement réclamé, dans les placards, un système unique, et j’ai cru que vous préfériez celui qu’en réalité vous désapprouvez, comme moi. Donc, vous serez remercié par moi, si vous transformez cette abondance de guillemets en stricte suffisance, comme vous me l’expliquez si bien dans votre lettre de ce matin (21 Mars). — Seulement, que je sois bien averti de la transformation, pour que je m’arrête à ce système définitif.

Autre malheur : qu’est-ce que c’est que ces deux feuilles que vous me réclamez, si ce n’est les deux uniques que j’avais et que je vous ai retournées, le 19 ? — Ainsi, la poste les a donc perdues, puisque vous auriez dû les tenir, au moment où vous m’écriviez votre dernière lettre.

Il ne manquerait plus, pour comble d’infortune, que vous ayez encore opéré votre tirage, sans les attendre ; car,cette fois-ci, — dans ces deux feuilles, — il y avait de bonnes fautes.

Réparez donc, dans la feuille à recomposer, la question des guillemets, et, quant au reste, que le compositeur se conforme strictement à la dernière éreuve renvoyée, à ce que, malheureux que je suis, j’ai pris pour une épreuve.

Quant à votre proposition des quinze jours, oui, de bien grand cœur, — après que je vous aurai livré votre deuxième volume intégralement.

Vous me traitez comme un fou, je voudrais bien vous voir vous-même risquer un ouvrage de vous dans des conditions non absolument satisfaisantes.

Votre bien dévoué, et excusez ma tristesse.

A POULET-MALASSIS
Mardi, 24 Mars.

Mon cher Malassis, La quatrième feuille, que j’ai reçue ce matin, est corrigée, avec bon à tirer. Les placards sont corrigés. Je regarde donc le travail comme presque fini.

Mais je suis trop inquiet pour vous envoyer quoi que ce soit, avant d’avoir reçu de vous :

1. — La première feuille, recomposée avec la nouvelle dédicace, d’après l’épreuve retournée portant bon à tirer, — y compris cette épreuve, pour que je puisse vérifier.

2. — L’affirmation que vous avez reçu toutes mes lettres, ainsi que les deux feuilles suivantes avec bon à tirer (2ème et 3ème), et que vous n’aviez pas tiré avant le bon à tirer.

3. — Que je sache si vous avez, dans ces précédentes épreuves, rectifié, de vous-même, le système des guillemets, comme j’ai vu avec plaisir que vous l’avez fait, cette fois.

Vous avez encore oublié de m’envoyer cette fois l’épreuve en double, ce qui m’empêche de servir L’Artiste, la Revue française, ou la Revue des Deux Mondes.

Quant à la question des frais, n’en soyez pas inquiet. — Je touche l’argent de mes feuilletons au fur et à mesure. Rien ne me sera donc plus facile que de vous rembourser.

Bien à vous.

Vérifiez toujours avec le plus grand soin l’épreuve finale, — celle que vous obtenez d’après l’épreuve portant bon à tirer.
A POULET-IMALASSIS
28 Mars 1857.

Mon cher ami,

Je vous ai fait bien enrager avec votre première feuille. Je sais, par moi-même, combien les conseils excitent la haine, et je comprends qu’à la rigueur je n’aie même pas le droit de vous adresser un conseil, puisque vous ne m’avez pas envoyé votre catalogue.

Après l’avoir lu, je vous dirai, puisque je risque tout, que j’ai été heureux de n’y voir ni Laclos, ni mon nom.

Sérieusement, mon ami, tout le monde va se foutre vous. Qu’est-ce que Sedaine ? de Bièvre ? Gilbert ? J.-B. Rousseau ? Le Sage ( !!!), etc., etc.. Et pourquoi pas Paul et Virginie, et Œuvres choisies de Buffon ?

Maudissez-moi, foutez-vous de moi et dites : De quoi se mèle-t-il ? Mais, moi, j’attribue trop d’importance à votre réussite pour laisser passer les choses sans faire acte d’amitié.

Je relève avec soin les noms vraiment importants : Frédon, Grosley, le Jansénisme (œuvre de génie, particulièrement pour les miracles de Paris ; il faut être médecin, philosophe, historien, illuminé), Nicolet, Audinot (excellents), Chevrier, Mélanges et raretés (Uleyspiegel, mal orthographié), Frédéric II, de Brosses, Sénac de Meilhan, Marivaux. Le plus raisonnable serait de supprimer radicalement votre catalogue, et de perdre vos frais de composition, ou du moins, si vous tenez à lancer un prospectus, de le disposer par catégories vagues :

ÉCONOMISTES. SCIENCES OCCULTES.
PHILOSPPHES RATIONALISTES. FACÉTIES ET CURIOSITÉS.
ILLUMINÉS. ROMANCIERS.
MAÇONNERIE. VOYAGEURS (très important).

Où donc est Rétif de qui il y a d’excellents et ravissants extraits à faire ?

La catégorie romanciers est une mine admirablement riche. — Les utopistes, les illuminés, excellentes catégories.

A priori, il faut chercher des curiosités, des choses oubliées, mais facilement vendables.

Je ne comprends pas qu’un homme comme vous, qui aime sincèrement le XVIIIème siècle, s’applique à en donner une si pauvre idée. Moi, qui suis un remarquable échantillon de crapule et d’ignorance, je vous aurais fait un catalogue éblouissant, rien qu’avec les souvenirs de mes lectures, du temps que je lisais le XVIIIème siècle, — soit en philosophes matérialistes, soit en curiosités de sorcellerie et de sciences mystiques, soit en romanciers ou en voyageurs. Je parierais qu’en relevant les chapitres du Lycée de La Harpe, on ferait un catalogue plus attirant.

Maintenant, je vous le répète : Haïssez-moi.

J’ai acheté la bonne édition des Liaisons dange reuses. Si jamais cette idée galope de nouveau dans vutre lèle, je verrai MM. Ouérard et Louandre, Louandre m’ayant promis de me mettre en relations avec un descendant (petit-fils ou petit-neveu) qui a des paquets de notes.

Je répète qu’il faut, dans ces aventures-là, se réserver beaucoup de marge, et préparer des prospectus très élastiques qui permettent de profiter des bonnes idées survenantes, et de se dédire souvent. Donc, vastes catégories. Quel jour verrons-nous M. de Broise ? Je désire le savoir. Je ne reçois rien de vous. Je vous le répète une dernière fois, je ne serais pas très-étonné que vous prissiez cette lettre fort mal, mais je me crois trop intéressé à votre réussite pour ne pas vous avertir. Supprimez votre catalogue.

Votre bien dévoué.

Et Les Incas, de Marmontel ? Vous les avez bliés, n’est-ce-pas ?

Et Le Temple de Gnide ? Et les Lettres persanes ?

Pensez donc au cas où votre catalogue tomberait entre les mains de Veuillot ou de d’Aurevillv.

A POULET-MALASSIS
4 Avril 1837.

Mon cher Malassis

Je vous demande un million de pardons d’appeler encore une fois votre attention sur la nécessité de corriger les épreuves. Mon œil, uniquement appliqué à de certaines choses, ne peut pas en voir d’autres. Exemples : la page 44, pour 45, et, au troisième vers de la page 29, guères rimant avec vulgaire.

Je sais combien je dois vous irriter, mais je sais aussi que vous avez trop d’esprit pour ne pas tourner à bénéfice votre irritation.

J’ouvre, ce matin, le second volume de Monselet, et je tombe, page 213, sur la première ligne de la note :

M. Paul Delacroix… dans une hstoire, pour Paul Lacroixhistoire.

Je sais, je vous le répète, combien on se rend haïssable par ces taquineries-là, mais j’ai pris votre établissement très au sérieux, et, vous-même, vous m’avez avoué une fois que vous pensiez, comme moi, qu’en toute espèce de production, il n’y avait d’admissible que la perfection. Après-demain, je serai tout à vous, et je reverrai vos placards, et je vous écrirai de nouveau au sujet de vos prospectus.

Bien à vous.

A POULET-MALASSIS
Samedi, 20 Avril 1857.

Mon cher ami.

J’ai reçu tout à l’heure cette très étonnante lettre qui m’a pris beaucoup de temps, pour que je puisse bien comprendre, et qui, malgré toutes les belles protestations dont je vous sais le plus grand gré, m’a démontré que nos rapports étaient désormais changés. De nous deux, c’est évidemment moi qui en éprouverai la plus vive affliction, mais mon caractère se prête à toutes les grandeurs, même à la résignation. Je comptais vous demander nouveau service : les Poèmes nocturnes, qui seront faits après les Curiosités ; voilà donc un projet au panier.

La feuille que vous me réclamez, vous l’avez. À ce sujet, je vous prierai (évidemment, il est encore temps) de substituer, dans un des derniers Spleen, un vers avant un endroit chargé de corrections nouvelles : à

L’ennui, fils de la morne incuriosité,

L’ennui, fruit de la morne incuriosité,

Cette correction, puérile en apparence, a une valeur pour moi.

Vos placards seront mis à la poste demain. Mais vous savez que la poste ne fonctionne pas le dimanche comme les autres jours. Il serait donc fort possible que vous ne les receviez que lundi soir ou mardi matin. Vous voudrez bien être indulgent pour ce retard de douze heures. Les trois morceaux-lacunes du volume Curiosités vont être faits (Moniteur, Revue française, Artiste). Si vous voulez que je commence par remanier le commencement du volume, je le ferai.

Théophile Gautier me croit actuellement à Alençon. En effet, j’ai voulu aller vous retrouver, aussitôt le dernier feuilleton paru. Je voulais faire chez vous comme au Moniteur, m’inslaller soit à l’hôtel, soit à votre imprimerie, et, décidé à ne m’occuper que d’une chose à la fois, travailler au jour le jour jusqu’à ce que tout fût fini. Différentes raisons combinées m’ont empêché de partir.

Il y a quelque temps, Théophile ni a demandé si vous seriez disposé à imprimer Le Roman de la Momie. Je ne vous ai rien écrit à ce sujet, parce que j’ai cru que j’allais partir pour Alençon. Il attache une grande importance à ce livre, et m’avait chargé de vous dire que les amourettes de grisette, toute la folâtrerie niaise de l’ouvrage seraient enlevées, et tout le ton du livre, ramené à la solennité archaïque du commencement. Au dernier moment, je lui ai demandé comment il comptait traiter avec vous. Il m’a répondu que ce qui l’avait engagé à s’adresser à vous, c’était l’espérance de voir une pureté et un zèle typographiques adaptés à un ouvrage choyé par lui ; que, quant au prix, il réclamait de vous l’exécution des clauses de la maison Hachette : 1.200 fr. pour quatre mille exemplaires, même quatre mille cinq cents, même au-delà.

J’ai répondu que le seul embarras était l’exiguïté de vos tirages. — À cela, il a objecté que vous pouviez, si bon vous semblait, opérer vos tirages en quatre fois, clicher, recomposer à votre gré, mais qu’il tenait à ce chiffre de quatre mille exemplaires, au moins. La somme en question, répartie sur quatre mille exemplaires, équivaut à votre prix, réparti sur mille ou mille deux cents exemplaires. Il n’y a donc pour vous qu’un embarras, c’est de savoir si vous pouvez opérer à coup sûr un pareil tirage.

J’espère que vous comprendrez que, vu mes relations avec Théophile et les services que je lui dois, il me serait douloureux de lui présenter moi-même un refus. Vous pouvez lui écrire, et croyez qu’il a assez d’esprit pour tout bien prendre. Ce qui m’a encouragé à me charger de cette négociation, c’est l’éloge que vous m’aviez fait de son ouvrage.

Bien à vous.

À POULET-MALASSIS
Lundi, 27 Avril 1857.

Mon cher ami,

Je vous remercie profondément de la lettre de ce matin, mais en vérité c’est trop beau, et, comme je ne vous donnerai plus d’occasions de colère, vous n’aurez plus d’occasions d’en effacer les traces.

Maintenant, voilà la question :

Je vous mets ce soir vos placards (tous vos placards) à la poste, remaniés avec tant de soin que la lecture des épreuves sera une besogne très minime.

Je puis donc dès après-demain me mettre aux Curiosités. La vraie besogne des Curiosités consiste dans le remaniement du premier morceau (Salon de 1845), le remaniement de l’article Caricaturistes (à placer à la Revue française), et la confection de deux morceaux nouveaux (Peintres raisonneurs, Excitations artificielles), qui par bonheur seront à la fin.

Rien, en somme, ne m’empêche de vous expédier, au jour le jour, tout ce que je ferai ; mais, si vous désirez savoir l’étendue réelle du livre, je serai obligé de vous faire d’abord un calcul de lettres.

La question d’Alençon :

Le dernier feuilleton fait, j’ai passé cinq jours à me soulager, pendant lesquels j’ai mangé tout mon argent. Il faut non seulement que j’aille à Alençon, mais aussi à Lyon ; la question d’argent est minime, parce que je puis avoir le parcours gratuit sur toutes les lignes ; mais je souffrirais de laisser derrière moi des inquiétudes, et je veux, avant tout, que ce manuscrit soit complet.

Donc, j’irai à Alençon, mais plus tard, dans quinze jours peut-être, et, pendant que j’irais à Lyon, vous composeriez les premières feuilles. Mais remarquez que, bien que je croie le manuscrit non finissable avant quinze jours, cela ne m’empêchera pas de vous en envoyer les premiers morceaux avant le 15, si vous le voulez.

L’affaire du Roman de la Momie m’inquiète, et voici pourquoi : je crains que vous n’y mettiez un zèle de vanité. Il est vrai que l’affaire est bonne, et que le prix se rapproche tellement du vôtre que c’est presque le même ; mais Théophile est accoutumé à compter sur ses libraires qui répondent d’une vente forcée de quatre mille exemplaires. Vous savez que le tirage pourra être un peu plus fort. Adieu, je vais me mettre à La Révolte, au Vin et La Mort.

J’ai parcouru les bonnes feuilles des Cariatides. Il y a des fautes cruelles. Vous devriez vraiment y rendre garde.

Je n’ai pas le sol pour affranchir ma lettre, et c’est la raison pour laquelle j’attends à ce soir pour renvoi de la fin de Spleen et Idéal, à laquelle je joindrai évidemment le reste.

Soignez bien ma dernière feuille.



A POULET-MALASSIS
Le 6 Mai 1857.

Mais, mon cher ami, ce n’était pas là ce qui m’intéressait le plus ; je vous avais écrit un mot, au crayon rouge, derrière Lesbos, pour savoir si i septième feuille, trop chargée, viendrait à bien, et s’il fallait que je la relusse. Une étourderie de ma part, un vers faux, que sais-je ? ou bien encore une transposition de correction peuvent amener un mallheur ridicule. Après que les corrections sont exécutées, les vérifiez-vous, et relisez-vous ?

Je viens de voir Th. Gautier, qui me mettra un fragment à L’Artiste. Il m’a paru fort enchanté de vous ; il veut tellement exagérer ce qu’il appelle le côté embêtant de La Momie que la question de publication, chez n’importe qui, est renvoyée à six mois. Mais vous lui avez probablement fait quelque offre vague et gracieuse, car il est fort gracieusemeut revenu à la charge, comme un enfant terrible, et il m’a parlé d’Emaux et Camées comme d’une chose libre dont il refuserait la réimpression à n’importe qui, jusqu’à ce que vous soyez venu à Paris.

Il y veut ajouter dix morceaux inédits et dans le même rythme. La question d’argent serait plus que facile à régler, mais il galope toujours sur son dada de beauté typographique.

Votre ami L est vraiment gentil. Ces jours-ci, j’ai été la victime d’une demi-douzaine de petits journaux, à propos de quelques fragments publiés dans la Revue française. J’aurais présumé qu’à cause de vous, M. L n’aurait pas apporté son contingent à ce haro. J’espère que la Revue française ne commettra plus de pareilles erreurs.

Bien à vous.

Ce soir, ou demain, vous allez recevoir votre neuvième feuille ; je sais juste combien il faut.



A POULET-MALASSIS
14 Mai 1857, 4 h.

Non, mon ami, vous ne serez pas encore délivré aujourd’hui. — Je ne le serai que demain, et vous, naturellement, vous ne le serez que deux ou trois jours après.

Je m’escrime contre une trentaine de vers insuffisants, désagréables, mal faits, mal rimants. Croyez-vous donc que j’aie la souplesse de Banville ?

J’ai reçu une épreuve qui lui était évidemment destinée, ce n’était pas une bonne feuille. J’en ai conclu qu’il avait reçu la mienne, c’est à dire la huitième, à moins qu’elle ne soit pas encore tirée.

Ce matin, j’ai reçu ma neuvième feuille ; décidément, ne faites pas corriger une feuille avant de me l’envoyer. Cela ne sert qu’à introduire des fautes. — Ma note sur Révolte est détestable, je suis étonné que vous ne m’ayez pas fait de reproches à ce sujet.

Bien à vous.



A POULET-MALASSIS
Samedi, 16 Mai 1857.

Voyons, ne vous fâchez pas encore ; vous allez avoir venir à Paris. — J’aurai fini tout à l’heure, st à dire dans une heure.

J’avais besoin, pour corriger la neuvième feuille, de la huitième. S’il était dans votre intention de les tirer toutes trois ensemble, enroyez-moi au moins une épreuve à la brosse de la huitième, avec ces rrections faites.

Et la couverture ?

Et la table ? Vous pourrez la commencer. En voici la fin :

94. — Le Vin des chiffonniers.

95. — Le Vin de l’assassin.

96. — Le Vin du solitaire.

97. — Le Vin des amants.

LA MORT

98. — La Mort des amants.

99. — La Mort des pauvres.

100. — La Mort des artistes.

Bien à vous.



À P0ULET-MALASSIS


Mais, mon cher ami, puisque je vous rends si malheureux, et que vous êtes si impatient de venir à Paris, venez donc, sans vous inquiéter de la dernière feuille. Le soin minutieux avec lequel je corrige est une bonne garantie ; d’ailleurs, je vous soumettrai mon épreuve, avant de la renvoyer avec bon à tirer.

Quant à ce que vous m’avez écrit hier, en me renvoyant un bout de placard, c’est inintelligible. Il faut que vous ayez un metteur en pages bien entêté, ou bien étourdi. Mes chiffres romains sont toujours exacts. Il faut suivre l’ordre nouveau qui est indiqué par ces chiffres. D’ailleurs, à la fin d’une de mes lettres, je vous avais écrit la fin de la table des matières, avec les numéros d’ordre. Vous pouvez donc en référer à cette lettre, si votre metteur en pages s’est obstiné à conserver l’ordre primitif.

Aujourd’hui, je vous envoie Le Vin des chiffonniers, que j’ai recopié pour la commodité de vos ouvriers qui auraient trouvé le placard vraiment trop surchargé.

Arrivez à Paris avec la table des matières, mais ne la faites pas tirer sans que je l’aie lue.

Bien à vous.

Vous avez pris pour une blague ce que je vous ai écrit sur la santé de mon cerveau.

Vous ne voulez donc pas me montrer la couverture ?

Vous aurez l’obligeance de me renvoyer toute la copie de la dernière feuille, et, si vous êtes à Paris, M. de Broise voudra bien y penser.



A POULET-MALASSIS
Samedi, 6 Juin 1857.

Décidément, mon cher ami, pourquoi ne m’écrivez-vous pas ? Est-ce que vous avez juré d’introduire ou de laisser beaucoup de fautes dans la dixième feuille, dans le carton complémentaire, et surtout dans la table des matières ? Qu’est-ce qui vous empêche de me communiquer de bonnes épreuves, après corrections faites, et avant le tirage ? Mais il est impossible de jamais obtenir de vous quoi que ce soit de régulier.

Bien à vous.

L’avez-vous reçue seuleuîent, cette table des matières corrigée ?
A POULET-MALASSIS
11 Juillet 1857.

Vite, cachez, mais cachez bien, toute l’édition ; vous devez avoir neuf cents exemplaires en feuilles. Il y en avait encore cent chez L  ; ces messieurs ont paru fort étonnés que je voulusse en sauver cinquante. Je les ai mis en lieu sûr, et j’ai signé un reçu. Restent donc cinquante pour nourrir le cerbère Justice.

Voilà ce que c’est que d’envoyer des exemplaires au Figaro !!! Voilà ce que c’est de ne pas vouloir lancer sérieusement un livre. Au moins nous aurions la consolation, si vous aviez fait tout ce qu’il fallait faire, d’avoir vendu l’édition en trois semaines, et nous n’aurions plus que la gloire d’un procès, duquel d’ailleurs il est facile de se tirer.

Vous recevrez cette lettre à temps, je l’espère : elle partira cette nuit, vous l’aurez demain, à 4 h. La saisie n’a pas encore eu lieu. Le renseignement m’est venu par M. Watteville, à travers le canal de Leconte de Lisle, qui malheureusement a laissé s’écouler cinq jours.

Je suis persuadé que cette mésaventure n’arrive que par suite de l’article du Figaro et de bavardages absurdes. La peur a fait le mal.

Ne bavardez pas, n’effrayez pas Madame votre mère, non plus que de Broise, et venez vite pour nous entendre. Je vais vous écrire une lettre officielle, antidatée, dont vous déchirerez l’enveloppe.

Je viens de voir L et V, plus c que la lune ; ils ont poussé la platitude jusqu’à faire la remise de librairie à M. l’inspecteur général de la presse, pour le séduire !!!

Bien à vous.

P. S. — J’ai dit à M. L que, puisque l’on pouvait considérer les cinquante exemplaires que je lui laissais comme sacrifiés, il fallait au moins les répandre au plus vite chez les divers débitants qui n’enœ avaient pas encore reçu. Mais il s’y est refusé, il croit que M. l’inspecteur, en achetant son exemplaire, a vérifié le nombre restant avec un coup d’œil d’aigle.



A M. LE MINISTRE d’ÉTAT

Monsieur le Ministre,

La lettre que j’ai l’honneur d’écrire à Votre Excellence n’a pas d’autre but que de la remercier de tous les bons offices que j’ai reçus d’elle et du Moniteur ; je n’accomplis qu’un simple devoir, en moment où, par suite d’une mésaventure incompréhensible, j’ai peut-être été pour vous l’occasion d’une petite contrariété, ce qui serait pour moi l’objet d’une véritable affliction.

Le Moniteur a publié un excellent article sur le second volume des œuvres d'Edgar Poe, dont je suis le très orgueilleux traducteur. M. Turgan a mis en lumière le troisième volume (Arthur Gordon Pym), un roman admirable. En dernier lieu, Le Moniteur a imprimé un article merveilleux de M. Edouard Thierry sur un livre de moi actuellement incriminé : Les Fleurs du Mal. M. Edouard Thierry, avec une prudence vraiment louable, a fait bien comprendre que ce livre ne s’adressait qu’à un petit nombre de lecteurs ; il ne l’a loué que pour les qualités littéraires qu’il a bien voulu y reconnaître, et il a merveilleusement conclu en disant que le désespoir et la tristesse étaient l’unique mais suffisante moralité du livre en question.

Que ne vous dois-je pas, Monsieur le Ministre ? Je vous dois plus encore que toutes ces inférieures satisfactions de la vanité littéraire. J’ai longtemps hésité à vous remercier, parce que je ne savais comment m’y prendre. Peut-être M. Pelletier vous a-t-il dit que Madame Aupick, que son mari laissait sans aucune fortune, m’avait, avant de quitter Paris, parlé de la part que Votre Excellence avait prise à la discussion du Conseil d’État. C’est sous mes yeux que ma mère vous a adressé une lettre particulière de remerciements, à laquelle je n’ai pas osé m’associer, par une absurde timidité. Je saisis aujourd’hui l’occasion de vous témoigner ma gratitude pour ce grand service vraiment personnel.

J’avais hier l’intention d’adresser une espèce de plaidoirie secrète à M. le garde des sceaux, mais j’ai pensé qu’une pareille démarche impliquait presque un aveu de culpabilité, et je ne me sens pas du tout coupable. Je suis au contraire très fier d’avoir produit un livre qui ne respire que la terreur et l’horreur du mal. J’ai donc renoncé à me servir de ce moyen. S’il faut me défendre, je saurai me défendre convenablement.

Aussi bien, Monsieur le Ministre, pourquoi ne vous dirais-je pas avec candeur que je vous demande votre protection, en tant qu’il soit possible de l’obtenir, à vous, qui, par votre esprit, encore plus que par votre position, vous trouvez le protecteur naturel des lettres et des arts ? Et les lettres et les arts, malheureusement, ne se sentent jamais assez protégés. Mais croyez bien que s’il ne vous est pas loisible de me l’accorder, je n’en persisterai pas moins à me regarder comme votre obligé ; je vous prie donc d’agréer les sentiments de gratitude et de respect avec lesquels je suis, Monsieur le Ministre, de votre Excellence, le très humble et très obéissant serviteur.



A POULET-MALASSIS
20 Juillet 1857.

Sérieusement, j’ai besoin de savoir tout de suite quel jour vous serez à Paris.

Ici, pas de saisie. — Qu’est-ce que c’est que la saisie d’Alençon ?

Ici, conflit entre les deux ministres, Moniteur et Intérieur. M. Abatucci a dit : Vous voulez donc entraver l’attaque ?

Je vous supplie de ne pas bouger et de ne faire aucune démarche sans moi ; vous pourriez me contrecarrer. Je vous en veux beaucoup. Toute rédition devrait être vendue. Gardez tout cela pour vous.

Bien à vous.




A Me CHAIX d’EST-ANGE FILS

Je vous supplie, cher Monsieur, de ne pas négliger les monstruosités de La Chute d’un ange. Si vous voulez, je chercherai avec vous les passages.

Décidément, citez (avec dégoût et horreur) les bonnes ordures de Béranger : Le Bon Dieu, Margot, Jeanneton (ou Jeannette).

Tout à vous.



A MADAME SABATIER
Mardi, 18 Août 1857.

Chère Madame,

Vous n’avez pas cru un seul instant, n’est-ce pas ? que j’aie pu vous oublier. Je vous ai, dès la publication, réservé un exemplaire de choix, et, s’il est revêtu d’un habit si indigne de vous, ce n’est pas ma faute, c’est celle de mon relieur, à qui j’avais commandé quelque chose de beaucoup plus spirituel.

Croiriez-vous que les misérables (je parle du juge d’instruction, du procureur, etc..) ont osé incriminer, entre autres morceaux, deux des pièces composées pour ma chère idole (Tout Entière et À Celle qui est trop gaie) ? Cette dernière est celle que le vénérable Sainte-Beuve déclare la meilleure du volume.

Voilà la première fois que je vous écris avec ma vraie écriture. Si je n’étais pas accablé d’affaires et de lettres (c’est après-demain l’audience), je profiterais de cette occasion pour vous demander pardon de tant de folies et d’enfantillages. Mais d’ailleurs ne vous en êtes-vous pas suffisamment vengée, surtout avec votre petite sœur ? Ah ! le petit monstre ! Elle m’a glacé, un jour que nous étant rencontrés elle partit d’un grand éclat de rire à ma face, et me dit : Êtes-vous toujours amoureux de ma sœur, et lui écrivez-vous toujours de superbes lettres ? — J’ai compris d’abord que quand je voulais me cacher je me cachais fort mal, et ensuite que sous votre charmant visage vous déguisiez un esprit peu charitable. Les polissons sont AMOUREUX, mais les poètes sont IDOLÂTRES, et votre sœur est peu faite, je crois, pour comprendre les choses éternelles.

Permettez-moi donc, au risque de vous divertir aussi, de renouveler ces protestations qui ont tant diverti cette petite folle. Supposez un amalgame de rêverie, de sympathie, de respect, avec mille enfantillages pleins de sérieux, vous aurez un à peu près de ce quelque chose très sincère que je ne me sens pas capable de mieux définir.

Vous oublier n’est pas possible. On dit qu’il a existé des poètes qui ont vécu toute leur vie les yeux fixés sur une image chérie. Je crois en effet (mais j’y suis trop intéressé) que la fidélité est un des signes du génie.

Vous êtes plus qu’une image rêvée et chérie, vous êtes ma superstition. Quand je fais quelque grosse sottise, je me dis : Mon Dieu ! si elle le savait ! Quand je fais quelque chose de bien, je me dis : Voilà quelque chose qui me rapproche d’elle, — en esprit.

Et la dernière fois que j’ai eu le bonheur (bien malgré moi) de vous rencontrer, car vous ignorez avec quel soin je vous fuis ! je me disais : Il serait singulier que cette voiture l’attendît, je ferais peut-être bien de prendre un autre chemin. — Et puis : Bonsoir, Monsieur ! avec cette voix aimée dont le timbre enchante et déchire. Je m’en suis allé, répétant tout le long de mon chemin : Bonsoir, Monsieur ! en essayant de contrefaire votre voix.

J’ai vu mes juges, jeudi dernier. Je ne dirai pas qu’ils ne sont pas beaux, ils sont abominablement laids, et leur âme doit ressembler à leur visage.

Flaubert avait pour lui l’Impératrice. Il me manque une femme. Et la pensée bizarre que peut-être vous pourriez, par des relations et des canaux peut-être compliqués, faire arriver un mot sensé à une de ces grosses cervelles s’est emparée de moi, il y a quelques jours.

L’audience est pour après-demain matin, jeudi. Les monstres se nomment :

Président. . . . . . . . . . . . . DUPATY.
Procureur impérial. . . . . . . PINARD (redoutable).
Juges. . . . . . .

Delesvaux.

— . . . . . . . DE PONTON D’AMÉCOURT.

— . . . . . . . NACQUART.

Sixième Chambre correctionnelle.

Je veux laisser toutes ces trivialités de côté.

Rappelez-vous que quelqu’un pense à vous, que sa pensée n’a jamais rien de trivial, et qu’il vous en veut un peu de votre malicieuse gaieté.

Je vous prie très ardemment de garder désormais pour vous tout ce que je pourrai vous confier. VOus êtes ma compagnie ordinaire et mon secret. C’est cette intimité, où je me donne la réplique depuis si longtemps, qui m’a donné l’audace de ce ton si familier.

Adieu, chère Madame, je baise vos mains avec toute ma dévotion.

Tous les vers compris entre la page 84 et la page 105 vous appartiennent.

A SAINTE-BEUVE
Mercredi, 18 Août 1857.

Ah ! cher ami, j’ai quelque chose de bien grave, de bien lourd, à vous demander. Je voulais vous l’écrire, et puis j’aime mieux le dire. Il y a quinze jours que je change à chaque instant d’idée à ce sujet, mais mon avocat (Chaix d’Est-Ange fils) exige que je vous en parle ; et je serais vraiment bien heureux que vous puissiez m’accorder aujourd’hui un petit entretien de trois minutes, où vous voudrez, chez vous ou ailleurs. Je n’ai pas voulu tomber chez vous, à l’improviste. Il me semble toujours, quand je m’achemine vers la rue Montparnasse, que je vais visiter ce sage merveilleux, assis dans une tulipe d’or, et dont la voix parlait aux importuns avec le retentissement d’une trompette.

J’attends, ce matin, des exemplaires de ma brochure ; je vous en remettrai un en même temps.

Votre bien affectionné.

A MADAME SABATIER
Lundi, 24 Août 1857.

Très chère amie,

Puisque vous aimez le grand Jules, le voilà ! Dumas a repris presque aussitôt son plâtre, moulé sur un bronze du musée de Besançon. Il n’y avait que trois épreuves tirées. Celle-ci est la moins mauvaise.

A GUSTAVE FLAUBERT
Mardi, 25 Août 1857.

Cher ami,

Je vous écris à la hâte un petit mot avant 5 h., uniquement pour vous prouver mon repentir de n’avoir pas répondu à vos affectueux sentiments. Mais si vous saviez dans quel abîme d’occupations puériles j’ai été plongé ! Et l’article sur Madame Bovary recule encore de quelques jours ! Quelle interruption dans la vie qu’une aventure ridicule !

La comédie s’est jouée jeudi, cela a duré longtemps !

Enfin, 300 fr. d’amende, 200 fr. pour les éditeurs, suppression des numéros 20, 30, 39, 80, 81 et 87. Je vous écrirai longuement cette nuit. Tout à vous, vous le savez.

A POULET-MALASSIS

Cher ami,

Je vais voir M. Pinard et M. Vaïsse, à 6 h. ; comme j’ai beaucoup à faire dans les quatre derniers jours, j’eusse été heureux de régler dès ce soir, avec vous, la marche que nous allons suivre, je ne fais pas appel.

Si je consens à me soumettre tout de suite, il y aura remise des amendes.

A MADAME SABATIER
31 Août 1857.

J’ai détruit ce torrent d’eniantillages amassé sur ma table. Je ne l’ai pas trouvé assez grave pour vous, chère bien aimée. Je reprends vos deux lettres, et j’y fais une nouvelle réponse. Il me faut, pour cela, un peu de courage ; car j’ai abominablement mal aux nerfs, à en crier, et je me suis réveillé avec l’inexplicable malaise moral que j’ai emporté hier soir de chez vous.

manque absolu de pudeur.

C’est pour cela que tu m’es encore plus chère.

il me semble que je suis à toi depuis le premier jour où je t’ai vu. Tu en feras ce que tu voudras, mais je suis à toi, de corps, d’esprit et de cœur.

Je t’engage à bien cacher cette lettre, malheureuse ! — Sais-tu réellement ce que tu dis ? Il y a des gens pour mettre en prison ceux qui ne paient pas leurs lettres de change, mais les serments de l’amitié et de l’amour, personne n’en punit la violation.

Aussi je t’ai dit hier : Vous m’oublierez, vous me trahirez ; celui qui vous amuse vous ennuiera. — Et j’ajoute aujourd’hui : Celui-là seul souffrira qui, comme un imbécile, prend au sérieux les choses de l’âme. — Vous voyez, ma bien belle chérie, que j’ai d'odieux préjugés à l’endroit des femmes. — Bref, je n’ai pas la foi. — Vous avez l’âme belle, mais en somme c’est une âme féminine.

Voyez comme en peu de jours notre situation a été bouleversée. D’abord, nous sommes tous les deux possédés de la peur d’affliger un honnête homme qui a le bonheur d’être toujours amoureux. Ensuite, nous avons peur de notre propre orage, parce que nous savons (moi surtout) qu’il y a des nœuds difficiles à délier.

Et enfin, enfin, il y a quelques jours, tu étais une divinité, ce qui est si commode, ce qui est si beau, si inviolable. Te voilà femme, maintenant. —Et si, par malheur pour moi, j’acquiers le droit d’être jaloux ! ah ! quelle horreur seulement d’y penser ! mais, avec une personne telle que vous, dont les yeux sont pleins de sourires et de grâces pour tout le monde, on doit souffrir le martyre.

La seconde lettre porte un cachet d’une solennité qui me plairait, si j’étais bien sûr que vous la comprenez. Never meet or never part ! Cela veut dire positivement qu’il vaudrait bien mieux ne s’être jamais connu, mais que quand on s’est connu on ne doit pas se quitter. Sur une lettre d’adieux, ce cachet serait très plaisant.

Enfin, arrive ce que pourra. Je suis un peu fataliste. Mais ce que je sais bien, c’est que j’ai horreur de la passion, — parce que je la connais, avec toutes ses ignominies ; — et voilà que l’image bien aimée qui dominait toutes les aventures de la vie devient trop séduisante.

Je n’ose pas trop relire cette lettre ; je serais peut-être obligé de la modifier, car je crains bien de vous affliger ; il me semble que j’ai du laisser percer quelque chose de la vilaine partie de mon caractère.

Il me paraît impossible de vous faire aller ainsi dans cette sale rue J.-J.-Rousseau. Car j’ai bien d’autres choses à vous dire. Il faut donc que vous m’écriviez pour m’indiquer un moyen.

Quant à notre petit projet, s’il devient possible, avertissez-moi quelques jours d’avance.

Adieu, chère bien aimée ; je vous en veux un peu d’être trop charmante. Songez donc que, quand j’emporte le parfum de vos bras et de vos cheveux, j’emporte aussi le désir d’y revenir. Et alors quelle insupportable obsession !

Décidément, je porte ceci moi-même rue J.-J.-Rousseau, dans la crainte que vous n’y alliez aujourd’hui. — Cela y sera plus tôt.


A ARMAND FRAISSE


… Vous sentez la poésie en véritable dilettantiste. C’est comme cela qu’il faut sentir.

Par le mot que je souligne, vous pouvez deviner que j’ai éprouvé quelque surprise à voir votre admiration pour de Musset.

Excepté à l’âge de la première communion, c’est à dire à l’âge où tout ce qui a trait aux filles publiques et aux échelles de soie fait l’effet d’une religion, je n’ai jamais pu souffrir ce maître des gandins, son impudence d’enfant gâté qui invoque le ciel et l’enfer pour des aventures de table d’hôte, son torrent bourbeux de fautes de grammaire et de prosodie, enfin son impuissance totale à comprendre le travail par lequel une rêverie devient un objet d’art. Vous arriverez un jour à ne raffoler que de la perfection, et vous mépriserez toutes ces effusions de l’ignorance.

Je vous demande pardon de parler de certaines

choses si vivement ; le décousu, la banalité et la négligence m’ont toujours causé des irritations peut-être trop vives.
A MADAME SABATIER

Si je n’ai pas le plaisir de vous trouver, je vous laisserai ces babioles que je désirais vous faire lire. Je les emprunte à un de mes amis.

Tout à vous, de cœur.

A MADAME SABATIER

Très chère amie,

C’est jouer de malheur ; je ne vous ai pas répondu hier, alors que je me croyais sûr de venir ce soir chez vous, et, aujourd’hui, comme tant d’autres dimanches, il m’arrive des ennuis qui font que je vais m’enfermer comme une bête féroce. Tantôt, c’est la fîitigue, le besoin de me coucher tout de suite, tantôt, c’est un travail. Dimanche dernier, c’était (ne riez pas, et gardez pour vous ce que je vous dis à l’oreille) une peur épouvantable d’être obligé de parler à Feydeau de son dernier roman.

Si vous supposiez que je ne pense jamais à vous, vous vous tromperiez beaucoup, — et je vous le dirais plus souvent, si vous n’aviez pas adopté pour moi de si vilains yeux. Hier, je voulais vous apporter un album que j’ai fait mettre de côté pour vous, mais j’ai préféré tarder un peu et demander d’autres épreuves. Je ne les ai pas trouvées assez belles. On fera un nouveau tirage, ou bien on en cherchera de meilleures dans un tirage précédent.

Rendez-moi le grand service de dire ce soir à Christophe qu’il faut absolument qu’il vienne demain, lundi soir, dîner chez moi, à l’Hôtel de Dieppe. Il le faut.

Saviez-vous que l’infortunée señora Martinez roulait dans les cafés lyriques, et qu’elle chantait, il y a quelques jours, à l’Alcazar ?

Je suis si malheureux, et si ennuyé, que je fuis toute distraction. J’ai même, tout récemment, malgré l’envie que j’ai de le connaître, refusé une charmante invitation de Wagner. Je vous raconterai plus tard ce que tout cela veut dire.

Je vous embrasse, avec votre permission, bien cordialement.

À MADAME SABATIER
Dimanche.

Comme je sens que je ne vous trouverai pas, je prépare un mot, d’avance.

Avant-hier, j’étais venu pour vous dire une chose que vous savez et dont vous ne doutez pas : c’est que je suis toujours consterné et affligé de tout ce qui vous afflige.

Je comptais dîner avec vous et Mosselmann, mais ce fut un dîner dont la grâce était absente. Car vous ne pouvez présumer que le monsieur russe vous ait remplacé. — Pour moi, du moins.

Tout à vous. Mille amitiés.
A MADAME SABATIER
Mardi, 8 Seplembre 1857.
Chère Madame,

Je vous écris de chez Rouvière qui ne peut m’offrir que deux stalles de balcon pour la première représentation du Roi Lear (vendredi). Je suis vraiment bien honteux, car j’eusse vivement désiré vous envoyer une loge. Ces stalles seront évidemment bonnes, et, si M. Mosselmann voulait bien accepter une de mes stalles, vous iriez demander l’hospitalité à Théophile, qui assurément recevra une loge de la direction du Cirque.

Ayez la bonté de me répondre un petit mot.

Je vous baise très humblement vos royales mains.

A MADAME SABATIER
10 Septembre 1857.

Il se trouve, chère Madame, que cette représentation est avancée d’un jour.

Je n’entends pas grand chose aux billets. Cependant ceux-ci ne me paraissent pas mauvais. Si vous jugez à propos de vous en servir, je m’arrangerai pour aller là-bas de mon côté ; si vous jugez bon que j’aille cherchez M. Mosselmann chez vous, j’irai, à l’heure que vous voudrez bien m’indiquer.

Ayez l’obligeance de me répondre par le commissionnaire, car je ne rentrerai chez moi que tard.

Tout à vous.

À MADAME SABATIER
Dimanche, 13 Septembre 1857.

Chère Madame,

Je serai obligé, ce soir, de me priver du plaisir de dîner chez vous. Je suis accablé d’affaires empiétant même sur le dimanche soir. De plus, quelques mésaventures, que je n’ai pas méritées, m’ont mis assez de noir dans l’esprit pour faire de moi un piteux convive, — plus piteux que d’ordinaire, — n’étant jamais bien gai.

Cependant, je saurai aller vous souhaiter un petit bonsoir, ainsi qu’à nos excellents amis. — Je vous supplie de ne pas mal interpréter mes très humbles excuses.

Présentez mes amitiés à tout le monde.

À MADAME SABATIER
Vendredi, 25 Septembre 1857.

Très chère amie,

J’ai commis hier une énorme sottise. Sachant que vous aimez les vieilleries et les bibelots, j’avais avisé depuis longtemps un encrier qui pouvait vous plaire. Mais je n’osais pas vous l’envoyer. Un de mes amis a montré l’intention de s’en emparer, et cela m’a décidé. Mais jugez de mon désappointement quand j’ai trouvé un objet usé, écorné, éraillé, qui avait l’air si joli, derrière la vitre.

Quant à la grosse sottise, la voici : je n’ai laissé au marchand ni ma carte, ni un mot pour vous, de façon que l’objet a dû tomber chez vous, comme un mystère : c’est moi, le coupable. Ne soupçonnez donc personne. Je n’ai réfléchi à ma sottise que ce soir.

Croyez aux affectueux sentiments de votre bien dévoué ami et serviteur.

À POULET-MALASSIS
9 Octobre 1857.

Je tardais, mon cher ami, à vous envoyer ce billet, parce que je voulais en même temps vous écrire une longue lettre sur tous mes griefs contre vous. Vous l’aurez, cette lettre, aussitôt que j’aurai deux heures à moi. Mon intérêt et le vôtre ! Vous vous moquez de moi, mon cher ami. Vous usez surtout contre vos intimes de votre déplorable faculté d’impertinence.

Si vous pouviez comprendre quel tort vous vous êtes fait avec votre ridicule opération chirurgicale ! Les plaintes ont tardé quelque temps. Enfin, elles ont fait explosion. Naturellement, comme j’en avais le droit, j’ai tout rejeté sur Malassis.

Tout ce que je vous demande, pour le moment, mais avec insistance, une espèce de prière (car quelle formule employer avec un tempérament aussi léger que le vôtre ?), c’est de ne pas faire de nouveaux cartons, avant de nous être entendus tous les deux sur la manière de les faire. Il sera peut-être nécessaire d’indemniser avec un exemplaire raisonnable quelques-uns des cent imbéciles qui sont tombés dans le piège.

Bien à vous.

Mes respects à votre mère, et mes amitiés à nos amis.

A MADAME SABATIER
17 Novembre 1857.

Très chère amie,

Je me proposais de vous demander, aujourd’hui, la permission de vous faire une de ces bonnes visites où vous jouez, sans le savoir, le rôle divin du médecin. Mais je viens de recevoir un Monsieur galonné, muni d’une lettre du Ministre qui veut me voir aujourd’hui. Cela me dérange et m’ennuie.

J’ignore absolument quand je pourrai jouir de votre dimanche, car j’ai commencé ce tour de force dont je ne suis capable que si rarement.

Je vous envoie les livres que je désirais vous faire lire. L’Ensorcelée est d’une nature beaucoup plus élevée que La Vieille Maîtresse. Mais j’ai le malheur de m’entendre si peu avec vous que je crains bien que vous ne partagiez pas mon enthousiasme, — enthousiasme ancien, il est vrai, et que je vérifierai de nouveau, quand vous aurez fini.

Mes amitiés à M. Mosselmann.

Votre bien dévoué.

A POULET-MALASSIS
30 Décembre 1857.

Mon cher ami,

Je viens de recevoir tout à l’heure votre lettre par Asselineau.

Si, après m’avoir lu, vous croyez devoir insister, renvoyez-moi de nouveau ce billet, que je vous expédie endossé.

Un imbécile maudit qui m’a fait un billet de 500 fr., passé par moi chez T , ne l’a pas payé. Je désirais que T ne poursuivît pas, et je suis allé le voir, lui offrant de rembourser pourvu qu’il ne me tracassât pas. Mais comme je lui demandais pour cela un peu trop de temps, il me dit : J’accepterais volontiers, en échange, un billet de M. Malassis, dont la signature est bonne et pour qui vous travaillez sans doute. Naturellement, j’ai refusé, ajoutant avec une franchise déplorable que je ne pouvais pas demander de complaisances à M. Malassis envers qui je n’avais pas encore tenu mes engagements. Il y a donc (selon moi) double 1.48 CriAKLES BAUDKI. Vmiî

danger à lui livrer ce billet : i" parce que je suis responsable d’un effet non payé, 2° parce que j’ai dit que j’étais encore votre débiteur.

Présentez donc ce billet à votre banquier, comme si c’était moi qui le priasse de Tescompter, et ne me le renvoyez que si vous ne pouvez pas faire autre- ment.

Non^ pas trop de navette. J’ai hâte de m’acquit- ter envers vous. En Janvier, les articles complé- mentaires seront finis, et, en Février, vous m’enver- rez des épreuves chez ma mère. Car je vais m’y réfugier dans six semaines, au plus tard. Je suis dévoré par une de ces misanthropies qui vous ont tant amusé.

Il faudra, quand nous nous verrons, que nous parlions de nos comptes. C’est 85o ou 760 fr. que j’ai reçus de vous (je ne me rappelle pas bien), et je ne vous ai livré qu’une édition des Fleurs du Mal.

Mais cela n’est pas pressé.

Quant aux Fleurs, je n’ai rien décidé de nouveau (je parle de Lévy), et ma mémoire a simplement tenu compte de la promesse que vous m’avez faite de considérer votre lettre de brouille comme non écrite, si besoin était.

Vous syvez d’ailleurs que j’ai résolu de me sou- mettre complètement au jugement, et de refaire six poèmes nouveaux, beaucoup plus beaux que ceux supprimés. Mais quand la disposition poétique me reviendra-t-elle ? Mes respects à votre mère, et mes amitiés à de Broise.

Réponse tout de suite. 858

A MADAME SABATIER

Dimanche, 3 Janvier î858,

Oue je vous demande pardon de ne pas aller ce

_ : jir à cette bonne réunion ! Outre que je suis peu

gai, j’ai fait, toute la journée, des préparatifs de

départ, et j’en suis fatigué. Je vais passer par

\ lançon, et puis j’irai peut-être inspecter mon

itur domicile, au bord de la mer.

Faites bien toutes mes amitiés à Théophile et à Mosselmann, et dites à Flaubert qu’il va recevoir de mes nouvelles.

Votre bien dévoué. •

A MADAME SABATIER

Lundi, II Janvier i858.

lïcl.. . vwlre lettre m’arrive ou plutôt m’est mise, comme je rentre, à 3 h. CHAHLKS BAUDELAIRE

Mais, pour dire toute la vérité, je l’aurais eue dès hier, que je ne crois pas que j’eusse réussi. Je ne connais là-bas que Rouvière, que. je ne vois plus depuis longtemps, et je sais que le sieur B est affreusement avare avec ses comédiens.

Ne m’en veuillez pas trop, je vous en prie.

Rouvière n’a évidemment pas reçu plus d’une ou deux stalles.

A MADAME SABATIER

Mardi, 12 Janvier 1858.

Chère amie,

Si, c’est bien moi que Mosselmann a vu, il m’a vu dans un piteux état, cherchant partout une voi- ture. J’étais parvenu à détruire les étouffements, avec les capsules d’éther, et les coliques, avec l’o- pium, quand une nouvelle infirmité est tombée sur moi. Je ne peux marcher qu’avec beaucoup de peine ; quant à descendre un escalier tout seul, c’est une grande histoire. Pour comble de mal- heur, je suis plein de courses et d’affaires. Je n’ai pas besoin de vous dire que le ridicule de la dou- leur me fait plus de mal que la douleur.

J’irai vous voir dans peu de jours, — mais quand toutefois je ne boiterai plus, et quand je me senti- rai très gai ; vous connaissez mes principes.

Il m’est arrivé, relativement à aous, un petit chagrin que je veux vous avouer, parce qu’il est irréparable. — J’avais, vers la fin du mois, avisé LETTRES — l858 l5l

deux éventails ou plutôt deux modèles d’éventail empire fort bien peints, — dont run,lç tableau de Thésée et flippolyte, de Guérin ; — je me propo- sais de vous les offrir, connaissant votre passion pour les choses de cette époque. Mais je me fii^ure à tort que personne n’a les mêmes idées que moi et que les choses doivent m’attendra interminable- ment dans les boutiques. A mon retour, ils avaient ’^'« paru.

’c vous remercie de tout mon cœur des excel- lents conseils littéraires que vous m’adressez. Ils sont excellents (abstractivement et généralement), surtout parce qu’ils viennent d’un excellent cœur ; mais je vous assure que, dans le cas présent, ils ont tort. Avant de faire mon installation définitive, il faut bien que je me débarrasse de tout ce que je ne pourrai pas faire là-bas.

Amitiés à Mosselmann.

AU y ours.

A POULET-MALASSIS

\’eniliedi, n » FéMlcr i858.

Mon cher ami,

fe suis désolé d’avoir échoué dans ma nég"Ocia-

w auprès de Delacroix. La première de ses rai-

is pour se défendre est : qu’il n’attache pas

une importance excessive à ses articles, mais

que, s’il se décidait à les publier, il faudrait faire de

très considérables remaniements. Or, il n’en a pas 102 CHAULES BAUDELAIRE

le courag-e maintenant. La seconde raison est étrange : il paraît que Silvestre fait de nombreux efforts pour le décider à cette publication. Or, ce qu’il a refusé à Silvestre, il ne peut pas me l’accor- der. Ma liaison avec Silvestre rendrait, dit-il, cette concession plus amère à celui-ci. Asselineau, à qui j’ai conté tout cela, dit qu’il n’y a pas grand mal, et que, si j’avais réussi, il n’en serait pas résulté un grand bien pour vous. Vous en penserez ce que vous voudrez.

Je feuillette ce de Brosses. La folichonnerie de ce magistrat me déplaît souverainement. Je suis cependant étonné de voir qu’il a souvent l’esprit pittoresque. Mais, en somme, c’est très inférieur aux livres de Gautier sur l’Espagne, l’Italie, et Consiantinople. — Ecrivez-moi donc ce que c’est qu’un Foligof.

Relativement à la deuxième première édition pour la Belgique (que Pincebourde a l’air, comme je vous l’ai dit, de désirer), j’ai réfléchi à votre objection, à savoir que cette édition nuirait, en Belgique, à la vente d’un certain nombre d’exem- plaires de votre seconde édition française. Je suis toujours en proie à de tels besoins d’argent que j’incline beaucoup à ne pas voir ce danger, mais je vous donne ma parole d’honneur que je ne prendrai pas seul cette détermination. Je consulterai quel- qu’un, je vous consulterai vous-même encore, et enfin, si au dernier moment il vous plaît de vous y opposer, je me résignerai à ne pas conclure.

Relativement à la grosse question, à la cruelle, i858

Fiircfente, dont nous avons parlé, ne vous obsti- T pas à attendre votre argent, si vous ne l’avez is encore touché. Envoyez-moi plutôt tout de lite le billet pour T,à une échéance commode

pour l’escompte. Si vous craignez que l’échéance

ne vous trouve gêné, rien ne me sera plus facile

que de le faire renouveler. Cherchez mon reçu de 35o fr. Je vous envoie ci-joint le mien, conçu, je crois,

comme vous me l’avez demandé.

Il faut, mon cher ami, que je vous démontre

l’urgence de tout ceci :

Par les ruses d’un avoué et par du contre-papier timbré, je suis parvenu à allonger les délais rela- tifs à une affaire assez grave ; mais les derniers délais possibles sont expirés aujourd’hui, et, si vous ne me venez pas en aide, selon votre gracieuse pro messe, je vais être en proie à un drame, un de ux qui retardent tout travail. De plus, je tiens à partir au plus vite pour aller m’installer là-bas, et je suis obligé de faire feu de toutes pièces, et flèche de tout bois. Je dois vous lire (ne vous en offensez pas) que votrS facilité et tre obligeance m’ont causé un fort agréable éton- l’ment. Puisque l’étonnement rapporte de la gloire celui qui le crée, comme de la jouissance à celui ni le subit (quoi qu’en dise Asselineau), glorifiez- vous donc.

Relativement aux exemplaires d’Alençon et aux feuilles à réimprimer, ne faisons rien, je vous en

10. supplie, que de concert, ni sans nous prévenir l’un et l'autre.

Bien à vous.

19. Quai Voltaire.

Si c’est de l'argent, pas par la poste.

A POULET-MALASSIS

21 Février 1858.

Mon cher ami,

J’accepte avec reconnaissance l’expression de vos regrets, mais je suis obligé de confesser que vos raisons sont excellentes. Seulement, je voudrais bien voir au diable Monselet et Babou.

Si, par la suite, je vous demande quelques services de billets, ce ne sera qu’en vous envoyant des délégations signées et enregistrées, de manière à sauvegarder votre responsabilité.

Vous avez cru devoir me dédommager en me donnant toute liberté pour l’édition belge, mais je n’accepte pas cela. Parce que je suis sans le sol, ce n’est pas une raison pour faire une sottise.

Je ne vois qu’une seule clause qui pourrait concilier votre intérêt avec le mien, ce serait que l’éditeur belge s’engageât à écouler son édition en quatre ou cinq mois. Or, cette hypothèse ne vous paraît- elle pas absurde ?

Je causerai de nouveau avec Pincebourde, mais LETTRES lS58 l55

rois l’affaire perdue par suite des considérations que nous avons examinées.

Pardon de ne pas affranchir ma lettre.

Ce de Brosses a un genre d’esprit bien hideux.

A POULET-MALASSIS

Dimanche, 7 Mars i858.

vii I j’clais fort inquiet.

lais, mon cher ami, vous avez une bien mau- vaise mémoire.

\ l’époque dont vous me parlez, je vous ai _ : iVO}’é coup sur coup, parce qu’ils n’étaient pas très correctement faits, trois billets de 35o fr. Deux seulement ont été employés ; donc, c’est

VJHO Cl

iciison, mais notre position est simple. r*oo fr. pour deux ouvra^^es qui devaient être ôo et être vendus 2 fr. Quoi qu’en dise le père ue Broise, j’ai toujours déclaré que, vu les tribulations dont j’étais cause, je ne réclamerais pas | » ! ii> de 250 fr. pour l’un de ces d^vrages ; donc, restent 25o fr., — plus 35o, dont vous avez le reçu. — Total ^’"^v — Kt j’ai différentes choses à vous livrer.

.le n’ai pas usé de votre large permission, et je

i rien fait, quant à la Belgique ; j’ai trouvé la

matière trop grave pour agir tout seul, ou au moins

sans vous en instruire. Dans cette question, laissez de côté le petit Pincebourde. — Ne croyez qu’à moi. Je pense qu’en somme je nuirais à la question française. Donc, il faut opter, et je n’opterai qu’après vous avoir averti.

Tout à vous.

A POULET-MALASSIS

Mardi, 13 Avril 1858. Mon cher ami,

Je suis revenu à Paris, il y a une semaine. Je me suis remis à mes Confessions du mangeur, tout de suite.

Je désirerais que vous me répondiez ce soir mercredi, avant l’heure du courrier, pour me dire quel jour vous venez à Paris, parce que je veux faire en sorte que le manuscrit soit terminé pour votre arrivée. Nous arrangerions tout de suite cette bêtise de délégation qui me permettra enfin de partir pour Honfleur, et en même temps vous pourriez, si cela vous amusait, prendre connaissance du chef-d’œuvre en question.

J’ai reçu à Corbeil votre lettre. Je n’ai trouvé aucune gravure à Paris ; c’est un paquet égaré dans une gare. Quant aux autographes, je me propose depuis longtemps de mettre tous mes papiers en ordre, et alors je vous donnerai tout ce que vous voudrez.

Avez-vous été gratifié d’une diminution d’amende ? Rapetti ne s’est-il pas occupé de cela ? LKITUES l858 167

Tout à vous, mes respects, je vous prie, à votre 1ère. Bonjour à de J3roise.

\J Arthur Gordon Pijm est au brochage, si tou- fois vous vous intéressez encore aux livres qui ’ sont pas à vous.

.rai eu, hier, à V Intérieur une conversation rela- ve aux deux cent soixante-dix exemplaires. Ça se csente mal. Je vous raconterai cela.

A MADAMK SABATIER

Dimanche, 2 Mai i858.

Voilà, ma chère amie, le petit livre dont je vous ais parlé et qui vous amusera, j’en suis sûr. Que vous avez été méchante de ne pas même

  • laisser le temps de vous remercier de toute la

ie que j’ai trouvée dimanche et hier auprès de

. ..II. ;< xLiiHiidiiiaire Madame Nieri a commis en L’ quittant un enfantillage digne d’une étrangère. vaut que j’eusse eu le temps de donner mon adresse au cocher, elle s’était avisée (\q^\q payer, et, comme je me fâchais, elle a dit : // est trop tard, ai fait ! — et puis, avec une vitesse aussi extra- ordinaire qu’elle, elle s’est élancée, elle et ses ’« ipes, dans le grand escalier de l’hôtel.

Tout à vous. — Je vous embrasse comme un /’S ancien camarade que j’aimerai toujours. (Le mot camarade est un mensonge ; il est trop vul- çraire, et il n’est pas assez tendre.) r)8 CilARI.KS BAUDEL.URK

A POULET-MALASSIS

Vendredi, i4Mai i858.

Mon cher ami,

L’affaire de IJ Opium traîne et traînera encore un peu ; vous savez mon observation relativement au Moniteuj^ QiV\nà.Qc\s\on à\x Moniteur, relativement à L’Opium.

J’attendais avec impatience Mérimée qui m’est indispensable pour cette affaire. Enfin, il est revenu hier. Si, malg-ré toutes mes ruses, Le Moniteur persiste dans sa timidité, il me restera la Revue française, où malheureusement je ne trouverai que 600 fr. au plus, au lieu de i.ooo.

Donc, pas de délégation, et c’est moi qui vous prie de vouloir bien appuyer ma signature de la vôtre.

A l’époque où ce billet écherra, je serai chez ma mère, car j’y serai dès le 10 Juin. Vous comprenez que jamais je ne permettrai qu’il arrive là le scan- dale d’un protêt. Soyez donc bien tranquille.

Ilonjleur est une adresse suffisante. La maison n’est pas dans une rue, elle est dans une situation isolée. Ajoutez cependant, si vous voulez : chez Madame Aupick, au-dessous de la dernière ligne ; mais est-ce nécessaire ?

Je sais que ces demandes de services vous répu- gnent ; nous en avons causé. Mais j’ai adopté cette LETTRES l858 l5()

méthode, d’abord sous la pression cVune nécessité très urgente, et ensuite parce que, sur un billet de vous, M. T m’aurait rogné loo ou 200 fr. pour payer les sottises de M. M

Ainsi, mon cher ami, je vous avouerai sans phra- ses que j’ai compté sur votre amitié.

J*ai d’ailleurs peu de choses à vous dire, si ce

st que je suis, depuis longtemps, presque malade ; je suis dans une crise de froid, de tristesse et de cliques.

le n’ai pas encore eu le courage de classer mes paperasses en désordre depuis deux ans, et de cher- cher ros autographes. Seulement, je sais à peu près ce que je pourrai vous offrir : du Delacroix, du Sainte-Beuve, du Custine (Fleurs du Mal)^ et un George Sand, cruellement annoté par moi. Mais encore faut-il les chercher.

Je vous ai adressé V Arthur Gordon Pijm, mais ce n’est pas moi qui l’ai mis à la poste. L’avez-vous reçu ?

Daignez donc m’informer de ce que vous faites, et de ce que le parquet fait relativement aux deux cent soixante-dix exemplaires. #

La journée de demain vous suffît, n’est-ce pas, pour escompter et pour m’écrire ? D’ailleurs, le dérangement n’est pas grand, et pensez à mon extrême besoin.

La Madelène me charge de vous rappeler que vous lui avez offert Les Païens.

Tout à vous. l6o CHARLES BAUDELAIRE

A SAINTE-BEUVE

Mardi, i8 Mai i858.

Je crois que je tombe aussi mal que possible, n’est-ce pas ? Vous avez aujourd’hui des fonctions ; — mais, en venant vous voir après 4 b., je pourrai peut-être vous trouver. En tout cas, que je me trompe ou que je ne me trompe pas, si vous êtes occupé ce soir de vos affaires, mettez-moi à la porte comme un vrai ami.

Tout à vous.

A POULET-MALASSIS

Mercredi, 19 Mai i858.

Mon cher ami,

Je vous remercie de votre promesse et j’en profi- terai.

Dans peu de jours, vous aurez la délégation. J’étais obligé de lâcher pour quelquesjoursZ’0/>m/ ? ï Dour Le Haschisch qui sera livré le -22, et voilà pourquoi, vous ne pouvant pas escompter un billet à Alençon, je vous en demandais un de vous, escomptable par moi à Paris. Je n’ai donc rien à objecter contre votre prudence. Une seule obser- vation : vous me parlez de chat échaudé. Je sais à quoi vous faites allusion, mais cela ne me regarde LETTRES l858 l6l

pas. Je n’ai pas à porter la responsabilité des sot- tises des autres.

J’étaisautrefoistrès lié avec un doreur qui, quand je lui reprochais son sans-gène et son sans-façon avec moi, me répondait : Pourquoi me gênerais-je, puisque vous êtes mon ami ? Il me semblait, à moi, que c’était justement parce que j’étais son ami qu’il me devait plus d’honneurs et plus d’égards qu’aux pratiques vulgaires. Je ne vous compare certainement pas à un doreur, mais quelquefois votre amitié pour moi vous pousse à me traiter un peu mal, comme dans le cas présent, où Je subis un paquet de reproches qui ne me concernent pas.

Veuillez me renvoyer le billet de 600 fr., paya- à Honjleur. Oui, Les C4uriosités seront finies le Juin, et un incident est récemment arrivé, qui me permet de croire qu’elles se vendront très bien.

Encore une fois, que vous a-t-on dit au parquet, et que résolvez-vous, les feuilles à imprimer, chez nous, OU â Paris ? A qui diable voulez-vous que je

’adresse pour savoir cela, si ce n’est à vous ?

L’Opium sera fini à la fin du mois, et Les Curio- ■lés, le i5.

Tout à vous, mes respects à votre mère.

A MONSIEUR

1 1 Juin 1858.

Certes, Monsieur, votre reproche est fort dur, i du moins j’y suis fort sensible. Ne pouviez-

Me I 62 CHARLES nAUDELAIRE

VOUS pas tout supposer, excepté ]*étourderie ? One par exemple la matière moussait, que les obser- vations abondaient, ou, ce qui est la vérité, que j’avais été malade ?

Devais-je vous écrire une nouvelle lettre d’excu- ses, pendant votre absence, ou écrire à M. Hervé, dont j’ai oublié l’adresse sur votre table ?

J’espérais aussi que M. Babou, qui désirait vous voir, vous dirait qu’il m’avait vu sérieusement malade.

Je me console, en pensant que vous serez assez content de votre nouveau collaborateur, pour oublier son inexactitude. Car votre article a marché.

Tout à vous.

A SAINTE-IiEUVE

i4 Juin i858.

Cher ami.

Je viens de lire votre travail sur Fannij. Ai-je besoin de vous dire combien c’est charmant, et comme il est étonnant de voir un esprit, à la fois si plein de santé, d’une santé herculéenne, et en même temps le plus fin, le plus subtil, le plus fem- melin ? A propos ^\x femmelin^]^ 2^\ voulu vous obéir et lire l’œuvre du stoïcien. Malgré le respect que je dois avoir pour votre autorité, je ne veux pas déci- dément qu’on supprime la galanterie, la chevalerie, la mysticité, l’héroïsme, en somme le trop-plein et l’excès (qui sont ce qu’il y a de plus charmant, même dans l’honnêteté). LETTRES l858 lG3

Avec vous, il faut être cynique, car vous êtes iiopfin pour que la ruse ne soit pas. dangereuse. Eh bien ! cet article m’a inspiré une épouvantable jalousie. — On a tant parlé de Loève-Veimars et du service qu’il avait rendu à la littérature française ! Ne trouverai- je donc pas un brave qui en dira liant de moi ?

Par quelles câlineries, ami si puissant, obtiendrai-

je cela de vous ? Cependant, ce que je vous demande

n’est pas une injustice. Ne me l’avez-vous pas un

peu offert, au commencement ? Les Aventures de

Pijm ne sont-elles pas un excellent prétexte pour

nn aperçu général ? Vous qui aimez à vous jouer

ns toutes les profondeurs, ne ferez-vous pas une

excursion dans les profondeurs d’Edgar Poe ? Vous

devinez que la demande de ce service est liée^ dans

mon esprit, à la visite que je devais faire à M. Pel-

îier. Quand on a un peu d’argent et qu’on va dîner

avec une vieille maîtresse, on oublie tout ; mais il y a

des jours où les injures de tous les sots vous mon-

it au cerveau, et alors on implore son vieil ami

inte-Beuve.

Or, justement, ces jours derniers, j’ai ^lé littéra- iient traîné dans la boue, et (plaignez-moi, c’est première fois que je manque de dignité) j’ai eu faiblesse de répondre.

.le sais combien vous êtes occupé et plein d’ap- ioation pour vos leçons, pour toutes vos fonctions pour tous vos devoirs, etc., etc.. Mais, si on ne (*ttait pas parfois un peu d’excès dans la bien- illance,danslabonté,oii serait le héros delà bienl6/( CHARLES BAUDELAIRE

veillaiicô ? Et, si on ne disait pas trop de bien des braves g^ens,commentles consolerait-on desinjures de ceux qui ne veulent dire d’eux que trop de mal ?

Enfin, je vous dirai, comme d’habitude, que tout ce qui sera votre volonté sera bien.

Tout à vous. Je vous aime plus encore que je n’aime vos livres.

A SAINTE-BEUVE

i4 Août i858.

Est-il permis de venir se réchaufler et se forti- fier un peu à votre contact ? Vous savez ce que je pense des hommes atonifiants et des hommes toni- ques. Si donc je vous dérange, il faut vous en pren- dre à votre qualité, encore plus qu’à mon infirmité. J’ai besoin de vous comme d’une douche.

A POULET-MALASSIS

3 Novembre i85S. Mon cher ami.

J’ai vu l’oncle Beuve, hier soir. Il a en vain cherché le traité Charpentier pour se bien rendre compte de l’étendue de son droit. Vous aurez donc à causer avec lui, à votre prochain voyage. Quand je vous verrai, je vous rendrai compte de celte fort longue conversation. Trois choses seulement : il a été très frappé de votre idée de portraits. — Gomme LETTRES — 18Ô8 l65

Charpentier a nég-ligé sa vente, et comme il gar- dera le droit de continuer son édition dans son for- mat, Sainte-Beuve veut contrebalancer votre infé-

r)rité (concurrence à prix élevé), en faisant pour .liusi dire une tout à fait nouvelle édition : il rema- niera beaucoup, et il ajoutera des types nouveaux, ainsi Louise Labé. Enfin, il m’a demandé si dans votre imprimerie on pouvait travailler soigneuse- ment, et largement, ses épreuves. Vous voyez que je ne suis pas le seul fou qui ait cette marotte.

Mon cher, l’ouverture est donc sérieusement faite. —>laintenant, comme je suis votre ami autant que Tami de Sainte-Beuve, je vous dirai que j’ai un peu peur pour vous. Avez-vous pensé qu’en suppo- sant votre livre rajeuni par l’écrivain et parfaite- ment fabriqué vous seriez obligé de vendre trois fois plus cher que Charpentier, et que l’écoulement

’ pouvait avoir lieu que chez les personnes qui n’avaient pas encore ce livre dans leur bibliothè- que ? Quand je dis : trois fois plus c/i^r, j’exagère

ut-être, mais/)/M5 cher est inévitable.

.le vous croyais fâché parce que j’avais glissé,

irmi les autographes, deux lettres de vous où vous

e menaciez de me poursuivre. Le fait est que j’ai

trouvé plaisant de vous les faire lire. Mais, après

que le paquet fut porté à la poste, je réfléchis que

vous alliez peut-être prendre pour vous ce que je

»us disais de certaines lettres. Enfin, pour réparer cette impertinence involontaire, je vous envoie un Gérard de Nerval ; il n’est pas beau, mais ils sont rares… l60 CHARLES BAUDELAIRE

C’est une mauvaise action que de donner des let- tres. J’espère bien que vous ne me compromettrez pas, et que vous n’irez pas dire aux gens : M. Bau- delaire in’ a donné une lettre ridicule que vous lui aviez écrite dans telle circonstance.

Ne perdez pas le projet du dessin. Nous ne som- mes pas pressés du tout. Car vous savez qu’il y aura une troisième préface, et elle n’est pas faite…

Parmi les noms que vous m’avez cités, celui qui me va le mieux, c’est M. Penguilly. J’avais pensé à Nanteuil.

J’oubliais quelque chose. J’ai dit à Sainte-Beuve : Mais, quand Charpentier verra votre ouvrage s’améliorer pour Malassis, il vous sommera de le faire profiter aussi, lui, de ces améliorations ? — Il m’a répondu que Charpentier, comme marchand, n’avait pas le droit de demander plus que ce qu’il a, et qu’il répondrait, lui, Sainte-Beuve : La ques- tion de goût s’est déplacée. Pour moi, elle se traite maintenant chez un autre libraire. En effet, c’est fort net.

’ Je prépare toujours ma double installation nou- velle, car alors je réparerai seize ans de fainéantise. La rue Beautreillis, et Honfleur. Je suis allé voir le local. Il est perché au-dessus de la mer, et le jardin lui-même est un petit décor. Tout cela est fait pour l’étonncment des yeux. C’est ce qu’il me faut. En attendant, pendant huit jours encore, quai Voltaire.

Tout à vous. LETTRES 1858 1O7

A POULET-MALASSIS

Jeudi, II Novembre i858.

Mon cher ami,

J’ai reçu vos remerciements, et ils m’ont étonné. Je voulais absolument vous être ag-réable en vous envoyant un morceau inédit que je pouvais ajouter simplement aux pièces que j’accumule pour un journal quelconque, et je ne croyais pas que ce misérable sonnet pût ajouter quelque chose à tou- tes les humiliations que I^es Fleurs du Mal vous ont fait subir. Je voulais vous être ag-réable, rien de plus, et je ne peux pas comprendre en quoi j’ai mérité tant d’injures, à ce point que vous me com- pariez au Béranger secret, comme a fait Veuillot… En somme, tout cela est bien léger. La seule chose grave qui y est contenue est cette faculté mr/stérieuse qui vous pousse à injurier vos amis, • c d’autantplus d’audace qu’ils sont plus intimes plus anciens. Aussi, quand je vous vois faire ,..ic connaissance nouvelle, je suppute en moi-même dans combien d’années elle sera digne d’être insul- par vous. a aussi une propension sin-

gulière de ce genre, mais au moins a-t-il le mérite d’être bête. Il y a encore de Broise disant à Ban- ! e : Le préfet d’Alençon nous a demandé pour- oi nous publiions des bêtises comme les Odes. Un autre que vous, un esprit raisonnable, aurait 1 it : Je vous sais r/ré de votre cadeau, mais votre l68 CHARLES BAUDELAIRE

talent est compromettant pour un journal de pro- vince. Seulement, si vous aviez écrit cela, vous n’au- riez pas suffisamment brillé à vos propres yeux. Il fallait assaisonner votre lettre d’une massed’im- perlinences pour un de vos vieux amis qui ne peut pas avoir de querelles avec vous.

Croyez que, si je me moque un peu de vous, c’est pour votre bien. Un de ces jours, il vous arri- vera un malheur, pas par moi, bien entendu. Je vous assure que j’ai bien souffert souvent de cette tournure maladive de votre esprit, et je connais bien d’autres individus qui, ne sachant pas ce qu’il y a de louable en vous, vous ont pris simple- ment pour ce que vous n’êtes pas, pour un homme mal élevé. Maintenant, cherchez-moi querelle, si vous voulez.

Ouf ! j’ai fini, et j’ai accompli mon devoir.

Tout à vous…

A P0ULET-3IALASSrS

Samedi, i3 Novembre i858.

Je vous remercie de tout mon cœur, même de cette protestation d’amitié dont je n’avais aucun besoin, puisque je n’ai jamais douté d’elle.

Mais]t reviens à mes moutons : Qu’est-ce donc que l’esprit qui dit le contraire de ce qu’il veut dire ?

Tout à vous. LETTRES l858 1O9

Si vous n’avez jamais lu U Ensorcelée^ profitez (Je la réimpression Bourdilliat(L/6rai>f> nouvelle). Je viens de relire ce livre qui m’a paru encore plus chef-d’œuvre que la première fois.

A POULET-MALASSIS

7 Décembre i858, 9 h. du soir.

Mon cher ami,

Vous m’avez rendu bien heureux^ et maintenant

»usme rendez très malheur eux. T oui ce que con- tient votre lettre est très juste et vraiment irréfu-

hle, sauf la fin {l’expédient) qui est absurde.

Cependant, je réponds à votre lettre, parce qu’elle

ost en somme que la répétition d’objections que vous et moi nous avions également prévues et que j’espérais pouvoir lever ou vous faire trouver lé- gères.

Avant tout, deux choses : d’abord, si j’avais accompli toute la besogne qui représente toute la

  • iomme désirée, je n’aurais pas besoin d’implorer

ire aide. Ensuite, remarquez que je ne m’étais pas dissimulé que c’était là un service exception- nel ; mais, en même temps, vous aviez compris que c’était pour moi une question de sécurité, de Jouis-

race immédiate, et conséquemment de travail plus

actif. Ceci n’avait-il pas une valeur, une valeur

morale au moins ? Quand vous me demanderez

uelque chose de difficile à accomphr, ou qui im-

n lyO CHARLES BAUDELAIRE

plique même un risque, je ferai mes efforts pour le faire.

Maintenant, votre lettre. Je vous ai dit, pour résumer brièvement : J’ai un traité à accomplir ; il me donne an délai de six mois ; je vous délègue le revenu impliqué dans le traité^ et, pour répondre au cas de paresse ou de mort, je vous laisse un reçu de vos billets, avec la possibilité d’être rem- boursé sur un revenu d^une autre nature.

Dans aucun des deux cas, je Tavoue, la concor- dance entre vos échéances et les miennes n’est absolument g£iTdiiii\e. (Il n’est question, dans votre lettre, que de cette terrible concordance.) Quand, dans notre conversation, vous avez soulevé cette objection, assez grave en effet pour vous, je vous ai répondu que je ne pouvais la résoudre que par le zèk et par la promesse que m’a faite de Galonné d’imprimer toujours et au fur et à mesure que je lui enverrais de la matière.

Encore quelques mots : rien de ce que je vous ai dit n’est absurde ; vous ne doutez de rien de ce que que je vous ai dit. Tâchez donc de trouver dans votre cœur un nouveau moyen pour me donner le repos que je cherche si ardemment.

Par exemple : billets de moi, payables chez ma mère (petite garantie ajoutée, c’est ài dire l’horreur d’un protêt chez ma mère), et, comme après tout Malassis resterait responsable comme- endosseur, je lui ferais également les deux délégations en ques- tion, quelque absurde que cela puisse paraître.

Ai-je besoin : de vous dire que vous pouvez tirer LETTRES 1808 171

sur moi, comme vous en aviez l’intention (je viens de penser à celte niaiserie), et que je vous prie sim- plement d’être exact ?

Gomme vous avez l’esprit bizarre, il faut que je vous supplie de ne voir ici ni une épigramme, ni une câlinerie.

Vous avez eu tort de couronner l’explication de

s craintes par des récriminations contre les in- discrets. Pourquoi voulez-vous que je porte des fautes qui ne sont pas les miennes ?

Tout à vous. Répondez-moi, 2 2, rue Beautreillis, et (ont de suite. Vous devinez sans doute dans quel ’^tat je suis.

Bonjour à de Broise, j’espère bien que vous ne i racontez pas tout cela.

Si vous ne me répondiez pas, 22, rue Beautreil- ’■'■•, la lettre ne m’arriverait que/or^ tard.

A POULET-MALASSIS

9 Décembre i858, G h. 1/2 du soir.

Mon cher ami,

J’attendais un mot de vous, ce matin, — et puis,

soir. — Or, pour mes affaires littéraires, je

suis obligé de voir Galonné, demain. — Que vais-

’" lui dire, sans réponse de vous ? La teneur de

Ire réponse devait évidemment diriger une con-

rsation avec lui. Ecrivez-moi donc un magnifique

iioiiy non, pas de billets de moi, pas de billets de

vouSy pas de billets Galonné : alors, je serai conCHARLES BAUDELAIRE

tent, — Positivement, je n’irai pas demain chez lui, si je n’ai pas reçu une lettre de vous. Tout à vous.

2 2. Rue Beautreillis.

A POULET-MALASSIS

10 Décembre i858.

Je VOUS remercie, mon cher ami, car positive- ment j’étais malade de tristesse et d’inquiétude. Penser qu’un charmant logement m’attend chez moi et que ce Chanaan m’est interdit, à cause de quelques misérables dettes !

J’ai donc bien fait de ne pas aller chez Galonné, aujourd’hui. Avec votre lettre, je puis y aller, et j’ai l’espoir de lui faire faire tout ce que je voudrai. Mon traité est dans mon pupitre, à l’Hôtel. J’irai le chercher, demain. Seulement, la journée devait être occupée par un déménagement de papiers ; il est certain que vous ne recevrez après-demain que le traité, l’exposé de vos comptes que vous me demandez ne pouvant être fait que dans l’entrevue avec Galonné. Il est présumable que le prêteur, si prêteur il y a, hélas ! désire être nanti du traité pour m’empêcher d’emprunter deux fois sur la même valeur. Gette défiance est naturelle, mais peu honnête.

En attendant, voici mes comptes, selon moi. J’ai reçu (argent prêté par Galonné, il y a un an) 35o fr. J’ai livré Le Haschsich, 4oo et quelques LETTRES l858 17.’)

francs. — Restent 5o et quelques francs, actuelle- ment en caisse. Le 12 Octobre, a lieu le traité. J’ai reçu 5oo fr. (le billet). IJ Opium (trois ailles) est livré. Le traité implique quinze feuilles, àw 7 2 Avril. Il n’y en a plus que douze à livrer. — Oe ces quinze feuilles, les unes (au nombre de six), 200 fr. Les autres, à 260 fr.

6 X 200 = 9 X 25o -

I

.200

2

. 2 00

3,

.4^0


5oo

(l’oiulfaut défalquer le billet à compte

Restent : 2. 900

Raisonnablement, je ne peux pas faire plus de latre feuilles par mois, surtout avec mes habitudes de concoction spirituelle. — Galonné n’en publiera jamais moins de deux (4oo ou 000 fr.).

Serai-je obligé de faire en outre une lettre

’[isi conçue : Je prie Madame Aupick^ma mère,

■ mon héritière naturelle, au cas que je meure, de

nibourser la somme de, prêtée par, sur

I traité : ^

Bonne précaution, mais humiliante. ^ Je n’ai pas vu votre Figaro. Je m’en fous, comme w Gaulois, et de tous ces petits torche-culs qui 10 sont d’autant plus odieux que je suis occupé lie choses plus tristes ou plus sérieuses.

Il est présumable que je vais faire une petite ’uille sur les emplettes espagnoles. Mon cher Malassis, faisons de notre mieux. Je rai tout pour donner des sécurités suffisantes.

11. 1^4 CHARLES nAUDELAÏIlIi

Tout à vous, et pardonnez-moi mon impatience d’hier.

C’est demain le ii. Ma conférence avec Galonné aura lieu le 12. Le 12, vous aurez le traité ; le i3, vous aurez le compte.

A POULET-MALASSIS

1 1 Décembre i858. Mon cher.

Je ne saurais trop vous supplier de tout mettre en œuvre pour me trouver le moyen de quitter Paris, où je dépense trop, et où je perds les neuf dixièmes de mon temps.

Ce soir, je vous ai expédié le traité. L’avez-vous reçu ? Les explications minutieuses et exactes que je vous ai envoyées hier complètent la somme de renseignements nécessaires. Il ne vous manque plus qu’un mot de Galonné, qui confirme mes dires, relativement à notre compte. Je ferai en sorte de le mettre à la poste^ demain soir.

Comme le temps fuit ! En supposant que vous ayez cela, le i3 au matin, que peu de temps me restera.

Vous ne m’avez pas encore dit de quel procédé vous vouliez user pour accomplir mon désir. Ne craignez pas de m’accabler de lettres.

Je ne vous parle pas de reconnaissance. Ceux qui sont de l’école de Rivarol et de Ghamfort ne doivent pas aimer cela ! LETTRES l8r>8 17.^)

Tout à vous.

Il y a, dans le traité, une foule de clauses litté- raires (par exemple, l’interdiction de certains jour- naux) qui peuvent être violées ; c’est entendu entre lui et moi.

Demain, je profiterai de ma visite pour l’avertir que nous avons l’intention de lui reprendre tout ce qui sera articles Variétés et Poésie,

Je pense que si nous (vous ou moi) rég-lons la question par billets, nous pourrons toujours, pour créer la concordance, demander à Galonné des bil- lets que vous escompterez. Il suffirait qu’il vît de l’exactitude dans le travail, mais je ne lui parlerai

s de cela demain.

A POULET-MALASSIS

3o Décembre 1858.

Mon cher Malassis,

Tout est pour le mieux. Faites faire, pour dimi-

er tout délai (mes bibelots personnels sft*ont ven- dus, le 4)) les deux délégations à G, l’une Dortant sur la Revue contemporaine, l’autre sur

v Fleurs et Edgar Poe (3 vol.).

le ne vous écris pas de détails. Vous lirez la let- de T. Elle a quatre lignes.

Je pars ce soir ou demain. Ne m’en veuillez pas, si je n’apporte pas le bouquet de votre sœur cette ’\^\ ce sera pour dans deux ou trois jours. 1^0 CHARLES BAUDELAIRE

Galonné vient de payer lo.ooo fr. le roman nou- veau de FeydeaUj quinze feuilles. J’ai fait une ex- plosion, mais il paraît que c’est une spéculation !

Tout à vous. — Aucun renouvellement ne sera nécessaire.

Pas de Caisse d’épargne. C’est votre Lauzun qui est cause, ou plutôt votre Lacour, que T ne fait pas tout d’un seul coup {neuf mois).

Vous me ferez penser à vous raconter l’entrevue Sasonoiï.

A ARMAND FRAISSE

… Je puis vous marquer quelque chose de plus singulier et de presque incroyable. En i846 ou 1847, j’^^^ connaissance de quelques fragments d’Edgar Poe : j’éprouvai une commotion singu- lière. Ses œuvres complètes n’ayant été rassem- blées qu’après sa mort en une édition unique, j’eus la patience de me lier avec des Américains vivant à Paris, pour leur emprunter des collec- tions de journaux qui avaient été dirigés par Edgar Poe. Et alors je trouvai, croyez-moi si vous voulez, des poèmes et des nouvelles dont j’avais eu la pensée, mais vague et confuse, mal ordon- née, et que Poe avait su combiner et mener à la perfection… 85

9

A POULET-MALASSIS

i3 Février iSSg.

Mon cher ami,

Je vous répète ce que je vous ai dit pour répon- dre aux explications répétées que vous me donnez sur votre situation : Je saurai substituer à temps d’autres valeurs littéraires à celles dont vous pou- vez être privé par une déconfiture possible. De plus, je laisserai dormir de l’argent quelque part. Je vous écrirai un petit mot, relativement aux ^’^ fr. de la fin du mois.

Jusqu’à présent, tout le monde m’oublie ; 3oo fr. d’un côté, 100 fr. de l’autre, i5o fr. d’iin autre, i5o fr. d’un autre^ tout cela m’étant dû, rien n’ar- rive. Les gens en prennent à leur aise avec les absents.

Ave Z’Vous pris à la poste d’Alençon ma lettre l>nnr Diimesnil ? — Grave.

L’article sur Poe, le vôtre ? Vous me ravissez

ec les modes de Tan 7. Merci. CHARLES BAUDELAIRE

J’ai enûmeçulsL Danse macabre. Selon Calonne, tout va bien.

Sitôt que ’]dMTd\fini les Curiosités^ je vous aver- tirai, et je décamperai pour Alençon, où je ne veux plus accepter votre trop belle hospitalité. — J’ai fini Tétude sur Gautier. Je crois qu’il sera content, ainsi que vous et tous nos amis.

Tout à vous.

Mes amitiés respectueuses à votre sœur et à votre mère. Quant à de Broise (entre les mains de qui vous ne vous mettrez jamais par ma faute) ^ char- gez vos deux poing-s de fluide magnétique (poéti- que], et frappez-le alternativement de toute votre force dans le dos et dans le plexus solaire. Cela pourra être considéré comme une espèce d’envoû- tement, et, selon le rituel de la haute magie, tous les envoûtements secondés par une puissante volonté doivent réussir. Mais que cette opération douloureuse et bienfaisante ne vous empêche pas de lui présenter mes amitiés.

A POULET-MALASSIS

i6 Février i85().

Comme je suis dans une pauvreté absolue, crai- gnant quelque imprudence de ma part, je viens de remettre vos i.o35 fr. à mamère, en lui disant que c’était un dépôt.

Permettez-moi un reproche. Comment pouvezLETIRKS I^5() 179

VOUS faire une traite sans inscrire la date ? C’est vraiment fou.

—>i, an commencement de Mars, je n’ai pas entre les mains une somme assez forte pour vous expédier vos 80 fr., je vous enverrai un petit bil- let, payable ici, que vous escompterez très faci- lement.

Tout le monde m’oublie, mon cher. Les imper- tinences me poussent à la fureur, et je crois vrai- ment que je serai obligé d’aller à Paris arracher en personne 3oo fr. ici, là sBo, là i5o, etc.. Il n’y a rien de plus irritant que le silence des gens dont le devoir est de répondre.

Votre article sur Poe ?

Le troisième La Mésancfère ? Vous ne sauriez croire de quelle utilité pourront m’être les choses légères, non seulement par les images ^ mais aussi par le texte.

Les jugements dont vous me parlez sont bien étranges. Ici serait nécessaire Voltaire le maudit. Il me semble que, quand le mari ne se plaint pas, le cocuage est une institution, à la manière du ^ï’iel.

l’ai reçu une épreuve de Danse macabre, soit quinze strophes à 3 fr., pour le sieur Malassis.

Mais vous savez que Galonné n’a pas encore son Opium remanié, qui représente 4->oo ^^- que je lui dois. Ne s’était-il pas avisé d’affaiblir l’horreur ’ deux vers ?

A

liaijadère sans nez, irrésistible fçouge, .UDELAIRE

(mot essentiellement macabre, la mort étant une courtisane irrésistible qmsiiit l’armée universelle),

Dis donc à ces danseurs, qui font les offusqués : (i Fiers mignons, malgré Vart des poudres et du rouge, Vous sentez tous la mort ! O squelettes masqués,

il avait substitué :

aux yeux pleins d’épouvantes, des pommades savantes,

Je ne sais pas comment la chose a paru, si elle a paru. Ne lui réclamez pas d’argent, avant qu’il ait son Opium ; (il y a de plus un petit reliquat de 60 fr. sur Le Haschisch), (vingt-cinq colonnes de L’Artiste, à peu près).

Si vous êtes satisfait de la notice sur Théophile, ne pourrions-nous pas en faire une jolie brochure ? Il est évident que le Gautier et le Poe ne peuvent pas entrer dans les Curiosités. Gela d’ailleurs (ne fût-ce que de 100 fr., ou même de 5o fr.) pour- rait diminuer un peu mon effroyable dette vis à vis de vous. D’un autre côté, l’influence de Gautier et de Pelletier pourrait conseiller à Turgan de la reproduire dans Le Moniteur. Houssaye pourrait vous prêter le portrait.

Je suis bien noir, mon cher, et je n’ai pas ap- porté d’opium, et je n’ai pas d’argent pour payer mon pharmacien à Paris. A CHARLES ASSELINEAU

Honfleur, le 20 Février 1869.

Mon cher,

Je vous serai bien obligé de me dire si ma Danse macabre a paru, avec là dédicace à Christophe ? Cela aurait dû paraître dans le numéro du i5. Je n’ai pas reçu un mot de Galonné, à qui j’ai retourné les épreuves.

Pouvez-vous passer à l’imprimerie Ducessois, et dire qu’il ne faut pas trop tarder pour les épreuves du (iantier ? Comme cela a été écrit avec une rapidité de démon, il est bon que je les revoie à loisir. Or, un petit retard de ma part dans le renvoi de l’épreuve ajournerait encore l’apparition. Ils ont eu très largement le temps de composer. Rappelez-leur qu’il faut m’envoyer le tout (placards et manuscrit) sous bandes croisées, avec la rubrique : Papiers d’affaires, à M. de la part de M,, et affranchir. Insinuez, en même temps, qu’il serait très important pour le lecteur, le journal et moi, que tout parût d’un seul coup, quelle que soit la longueur. Cela est fait pour être lu en une seule séance. Bonjour à Gardet, à Wallon, à Sasonoff, Babou, à Boyer. Dites à La Madelène que je viens d’écrire quelques impiétés voltairiennes. J’en rougis peut-être. Par bonheur, c’est en style lyrique. Si j’avais eu le Gautier complet, hier soir, il l8 : > CI ! ARLES BAUDELAIRE

est évident que J’aurais pu tout renvoyer après- demain, et cela aurait pu partir dimanche.

Autre histoire : tâchez donc de carotter pour moi à Edouard Houssaye toutes les images de Méryon (vues de Paris), bonnes épreuves sur Chine. Pour parer notre chambre, comme dit Dorine. Il est évident qu’il ne faut pas les portera mon com- pte, car je pourrais aussi bien les acheter. Mainte- nant qu’on m’a pardonné toutes mes lenteurs, je présume que ce n’est pas une entreprise très diffi- cile.

Dans les premiers jours de Mars, je vais aller à Paris, avec un paquet monstrueux pour Morel : Le Corbeau, avec le fameux commentaire, la Méthode de composition, qui vous fait tant horreur ; un article sur la peinture espagnole (les dernières emplettes ; mais, quoiqu’il ait déjà imprimé xfaehjtt^ quelque chose là dessus, c’est acceptable), et quel- ques Poèmes nocturnes. Je vous demande mille pardons de tant vous parler de moi. Il est naturel que j’aie besoin de bavarder. D’ailleurs, c’est rare, et ici je désapprends à parler. Je suis en forte cor- respondance avec Malassis qui, à son dire, a été reçu triomphalement à sa rentrée. C’est la famille romaine, me dit-il.

Pour vous qui me l’avez peint rêvant de nouveaux scandales, pendant qu’on préparait les verges, vous m’avez fait bien rire.

Et vous, que faites-vous ? Comment vous portez- vous ? Il fait bien froid, on me dit qu’il fait chaud. Il fait positivement moins froid qu’à Paris, LETTIVES I^i^9 ’"^« ^

mais c’est un autre genre. Chaud ou froid, c’est liumide ; jamais sec, aussi cela me semble plus froid.

Et ce monstre parfait, le vieux mauvais sujet, [lie devient-il ? Cet homme vicieux qui sait se faire imer ?

Chronique locale. J’ai appris par des ouvriers, jiii travaillaient au jardin, qu’on avait surpris, il \ a déjà longtemps, la femme du, se faisant

i lans un confessionnal. Cela m’a été révélé,

j>,uvu (jiie je demandais pourquoi Téglise Sainte- Catherine était fermée aux heures où il n’y a pas l’offices. Il paraît que le curé a pris depuis lors ses précautions contre le sacrilège. C’est une femme insupportable, qui me disait dernièrement qu’elle ivait connu le peintre qui a peint le fronton du Panthéon, mais qui doit avoir un c superbe ^ elle). Cette histoire de f provinciale, dans un

lieu sacré, n’a-t-elle pas tout le sel classique des vieilles saletés françaises ? Gardez-vous bien de ’ nconter cette histoire à des gens qui pourraient lire à Honfleur que vous la tenez de moi, alors il me faudrait fuir mon lieu de repos.

C’est depuis ce temps que « est obligé

l’effacer des cornes que l’on dessine sur sa porte.

Pour le curé, que tout le monde appelle ici un brave homme, c’est presque un homme remarqua- ble, et même érudit.

J’ai fait un long poème dédié à Maxime du Camp, jui est à faire frémir la nature, et surtout les ama- teurs du progrès. l84 CHARLES BAUDELAIRE

Veuillez présenter mes respects à votre famille, et écrivez-moi. Votre bien dévoué.

A SAINTE-BEUVE

21 Février iSSg. Mon cher ami,

J’ig-nore si vous VQce\ ez\di Revue français e.lsldiis, dans la crainte que vous ne la lisiez, je proteste contre une certaine ligne (à propos des Fleurs du Mal),p’àge i8i, où l’auteur, qui cependant a beau- coup d’esprit, commet quelques injustices à votre égard.

Une fois, dansun journal, j’ai été accusé d’ingra- titude envers les chefs de l’ancienromantisme, dqui je dois tout, disait, d’ailleurs judicieusement, cet infâme torche-cul.

Cette fois, en lisant cette malheureuse ligne, je me suis dit : Mon Dieu ! Sainte-Beuve^ qui connaît ma fidélité ^mais qui sait que je suis lié avec V auteur, va peut-être croire que j’ai été capable de souffler ce passage. C’est juste le contraire ; je me suis maintes fois querellé avec Babou pour lui persuader que vous faisiez toujours tout ce que vous deviez et pouviez faire.

11 y a peu de temps, je parlais à Malassis de cette grande amitié qui me fait honneur, et à laquelle je dois tant de bons conseils. Le monstre ne m’a pas laissé tranquille que je ne lui aie fait cadeau de la LETTRES 1809 l85

longue lettre que vous m’adressiez lors de mon pro- cès, et qui servira peut-être de plan pour la confec- tion d’une préface.

Nouvelles Fleurs faites, et passablement singu- lières. Ici, dans le repos, la faconde m’est revenue. Il y en a une {Danse macabre) qui a dû paraître le i5, k\di Revue contemporaine,..

Je n’ai pas oublié votre Coleridge, mais je suis resté un mois sans recevoir mes livres, et parcou- rir les 2.400 pages de Poe est un petit travail.

Bien à vous, et écrivez-moi, si vous en avez le temps,

Honfleur, Calvados (cette adresse suffit).

Qu’est-ce que devient le vieux mauvais sujet (d’Aurevilly) ?

A CHARLES ASSELINEAU

24 Février 1809. Mon cher,

Les exilés aiment qu’on s’occupe d’eux. Je vous envoie donc une ékicubration’ que je si^s obligé (j’ensuis désolé) de donner à de Galonné. Je désire, de tout mon cœur, qu’il la refuse. Si vous voyez du Camp, ne lui dites pas que je vous ai commu- niqué son affaire.

Babou m’a joué un cruel tour. Il croit donc que la plume est faite pour faire des niches. Je viens de recevoir une longue lettre de Sainte-Beuve. Même quand on croit posséder la vérité, il faut la cacher, si l’on prévoit qu’elle peut faire de la peine à un camarade. Babou sait bien que je suis très lié avec l’oncle Beuve, que je tiens vivement à son amitié, et que je me donne, moi, la peine de cacher mon opinion, quand elle contrarie la sienne. — Voilà des pensées qui sont faites pour être approuvées par vous.

Pas un mot de tout cela à Babou. Il rirait trop. Sa niche a réussi.

Pas encore un mot de Ducessois. C’est bien fantastique.

Tout à vous, toto corde, comme dit Chasles.

Vous savez, sans doute, que Silvestre a fait un fort beau discours à la Royal Society of Arts.

J’ai lu, ici, un charmant article du mauvais sujet, sur Chateaubriand et le commentaire de M. de Marcellus. Il n’a pas raté la pointe : Tu Marcellus eris.

A POULET-MALASSIS

24 Février.

(Date à jamais mémorable, et qui doit être chère à un vieux faubourien comme vous.)

…Voici un poème dont vous ne parlerez pas à du Camp. Je vais le lui expédier…

Vous voyez que l’air de la mer me profite.

Tout à vous. LETTRES 1809 187

A POULET-MALASSIS

… Ah ! vous aviez deviné l’affaire Sainte-Beuve- Babou. .rai reru, il y a quelques jours, une lettre épouvantable de Sainte-Beuve. Il paraît que le coup l’avait frappé vivement. Je dois lui rendre cette justice qu’il n’a pas cru que j’eusse jamais insi- nué une pareille chose à Babou. Je lui ai dit que les compliments et les conseils qu’il m’avait adres- sés, lors de mon procès, étaient chez vous, et que nous avions eu l’idée d’en faire la matière (à déve- lonper) d’une préface pour la seconde édition.

’ )u Babou a voulu m’être utile (ce qui implique un certain deg-ré de stupidité), ou il a voulu me faire une niche, ou il a voulu, sans s’inquiéter de mes intérêts, poursuivre une rancune mystérieuse. J’ai fait part de mon mécontentement à Asselineau, qui m’a répondu que je n’avais pas à ma plaindre, puisque cela m’avait valu une longue lettre de ronde Beuve.

le n’ai pas encore eu de nouvelles de vos %o35 fr. .jc voudrais bien ne pas aller à Paris, avant d’avoir payé cela mo^-même.

Voyez donc comme cette affaire Babou peut m’être désagréable,, surtout si on la rapproche de rcX ignoble article du Fir/aro, où il était dit : Que

passais ma vie à me moquer des chefs du ro-

/ntismey à qui je devais tant d’ailleurs.

. . . Vous ne pouvez pas vous faire une idée de l88 CHARLES BAUDELAIRE

ce que c’est que la lettre Sainte-Beuve. 11 paraît que, depuis douze ans, il notait tous les signes de malveillance de Babou. Décidément, voilà un vieillard passionné avec qui il ne fait pas bon se brouiller.

Ce qu’il y avait de dangereux pour moi, là- dedans, c’est que Babou avait l’air de me défendre contre quelqu’un qui m’a rendu une foule de ser- vices. Quel rôle il me faisait, puisqu’on sait que je suis bien avec \di Revue française l…

N’y a-t-il pas deux planches de Debucourt, se faisant pendant réciproquement ? Quel en est généralement le prix ?

V a donc déménagé ? Ce n’était pas rue

de la Monnaie que nous étions allés ensemble.

Et L Artiste î Plus d’Edouard Houssaye, mainte- nant ; c’est Arsène. Et les uns veulent communi- quer les épreuves à Gautier, et les autres veulent attendre son retour fin Avril. Lui, avant de partir, m’a dit qu’il se reposait de tout sur moi. Et enfin personne n’a songé àm’envoyerle prix de mon arti- cle : 100 fr., pour vingt-cinq colonnes à peu près ! Le monde est bien méchant.

Tout à vous.

Et votre gorge !

Gela est d’autant plus ennuyeux queM"*^Ernesta m’a dit que Giautier, pour maintes raisons, serait bien aise de recevoir l’article à Pétersbourg. LETTRES ïSog 189

A THÉOPHILE GAUTIER FILS

27 Février 1859.

Mon cher ami,

Rendez-moi un service. L'étude sur votre père est faite depuis trois semaines, et j’attends encore les épreuves, ce matin.

J’apprends qu’on attend le retour de votre père, pour le consulter. Ces gens-là sont fous.

Théophile m’a dit, avant de partir : J’ai en toi une absolue confiance. Tout ce que tu diras sera bien. Si tu as besoin de quelques détails, tu consulteras mon fils.

D’une autre part, Mlle  Grisi m’a dit que Théophile eut été heureux de recevoir cela à Saint-Pétersbourg.

C’est donc justement parce que je me suis fait trop attendre qu’il faut maintenant profiter du séjour prolongé de Théophile, pour lui envoyer la chose là-bas. Il me semble que j’ai bien assez d’esprit et d’amitié pour votre père pour me bien conduire.

Tout cela a été écrit très ardemment et très vite. Encore une raison pour que je revoie tout (et tout à la fois) avec beaucoup de minutie. Voyez donc Ducessois et Arsène, puisque (je l’apprends ce matin même) le soleil Artiste est rentré dans le signe du zodiaque Arsène. En vérité, il ne manquerait plus qu’une chose : c’est que la nouvelle direction me suscitât des embarras, après tout le 190 CHARLES BAUDELAIRE

mal que je me suis donné. J’ajoute : il est indis- pensable que tout paraisse d’un seul coup, quel que soit le nombre de colonnes. L’article a été conçu et écrit dans ce but.

Si vous voyez M’^e Grisi, montrez-lui ma lettre.

Tout à vous.

Honfleur. Calvados. (Gela suffit.)

Tout cela est très ennuyeux. D’abord,je me suis mis dans un courant d’idées où probablement je ne serai plus, quand viendront les épreuves. De plus, si je me suis appliqué, c’est non seulement pour être agréable à Théo, mais aussi pour la sa- tisfaction de ma vanité. Enfin, je ne sais trop pour- quoi il me semble qu’Arsène n’a pas une très forte amitié pour votre père, ni pour moi. Inde, pas de désir de m’ètre agréable.

Autre histoire : vérifiez vous-même si tous les feuillets se suiv ent.

J’extrais de la lettre d’Asselineau :

… Il m’a été répondu que vous teniez à ce que vos épreuves fussent communiquées à Théophile, qui ne j-eviendra pas, dit-on, avant Avril. . . J’ai écrit cela à Ducessois, dans un moment où je croyais Théo revenu.

… Ces messieurs sont d’avis de passer à l’or- dre du jour, sauf â communiquer les épreuves au fils de Gautier.., C’est ce que je compte faire.

. . . D’autre part. J’entends dire qu’Arsène est d’avis de faire coïncider l’apparition de votre article avec le retour de Théophile… Absurde I 1 859 ï \} ’

A SAINTE-BEUVE

28 Février 1869.

Mon cher ami,

•l’apprends qne vous avez demandé à Malassis vous communiquer ce que vous m’écriviez à propos des Fleurs. Malassis est un peu étourdi ; de plus, il est malade. Il y avait deux lettres : l’une, une lettre d’amitié et de compliments ; Vautre, un plan de la plaidoirie que vous m’avez fait communiquer la veille de mon procès. Comme, un jour, je classais des papiers avec Malassis, il me supplia de lui donner cela, et, quand je lui dis que j’avais l’intention de m’en servir (non pas en copiant, mais en paraphrasant et en développant), il me dit : Raison de plus. Vous retrouverez tou- jours cela chez moi. Chez votre imprimeur, cela ne peut pas se perdre.

Je crois me rappeler de même avoir dit à Ma- lassîs : Si f avais plaidé moi-même ma cause, et si J’avais su développer cette thèse qu^u% avocat ne pouvait pas comprend r-f’ ^ fpj’-^" '' sans doute acquitté.

le ne comprends absolument rien à cette sottise Uc la iievue française. Le directeur a cependant î’ ; iir d’un jeune homme fort bien élevé. Tout le nde sait que vous avez rendu de nombreux ser- vices à des jçens plus jeunes que vous. Comment \r \rMrel a-t-il imprimé cela, sans faire des représen192 CHARLES BAUDELAIRE

talions à Babou, et sans deviner quel préjudice il me portait ?

Malassis, à qui je n’avais rien conté, a parfaite- ment vu le passage, et sa lettre est encore plus sévère que la vôtre.

Je vais à Paris, le 4 ? ou le 5. Vous seriez bien aimable d’écrire un mot à Madame Duval, 22^ rue Beautreillis, pour me faire dire si et quand vous désirez me voir. Je descendrai chez elle.

Bien à vous.

A SAINTE-BEUVE

Mille remerciements de votre excellente lettre. Elle m’a rassuré, mais je vous trouve trop sensible. Si jamais je parviens à une situation aussi belle que la vôtre, je serai un homme de pierre. Je viens de lire un article fort drôle du mauvais sujet sur Chateaubriand et M. de Marcellus, son éplucheur. Il n’a pas raté la pointe trop facile : Tu Marcellus eris !

En repensant à Babou (l’important, pour moi, était de m’assurer que vous ne me croyiez pas capable d’une petitesse),je trouve quevous lui attri- buez trop d’importance. Il méfait l’effet de ces hom- mes qui croient que la plume est faite pour faire des niches. Gamineries, polissonneries de collège.

Bien à vous. LETTRES

1859 193

A MONSIEUR DUCESSOIS

Mercredi, 1 1 h.

On peut compter sur moi, ce soir, à G h., comme le demande M. Aubryet, et comme je Tai dit, il y a deux jours, à M. Théophile Gautier.

Je prie M. Ducessois de m’envojer Tadresse exacte de mon frère.

A POULET-MALASSIS

2G Mars 1859.

xMoii cher,

Vous avez dû recevoir le billet hier^ 25, mais ,16 h. du soir. Cependant, votre lettre de ce matin m’inquiète. Il faut m’écrire un petit mot, tout de <nite. Je ne pars que mercredi.

J’ai rencontré de Broise, qui m’a reproché de ravoir fait priver de ses droits politiques, et qui m’a dit vous avoir écrit pour vous prier^e ne faire du Gautier qu’un tirage minime, attendu que c’est un ouvrage d’une nature toute parisienne. Je ne >ais pas au juste ce qu’il entend par là, si ce n’est que Gautier est inconnu au-delà de Paris et que l’article est inintelligible ailleurs. Je n’ai jamais eu de prétentions à un tirage exorbitant, mais je ne ne veux pas d’un tirage ridiculement podt, pt je ne veux pas (jue vous ayez l’air d’im194 CHAULES BAUDELAIRE

primer quoique ce soit de moi par complaisance. L’article continue son tintamarre. Il paraît que c’est une monstruosité. Chez Techener, c’a été un scandale. Dites-m’en votre avis.

J’aurai la lettre de Victor Hugo, à Honfleur.

A LA SOCIETE DES GENS DE LETTRES

26 Mars iSôg.

Monsieur le Président,

Un accident douloureux me retient à Paris et m’empêche de retourner chez moi. Il me faudrait quelque argent pour pallier ce malheur imprévu. J’ai osé croire qu’une demande de 3oo fr. ne serait pas repoussée par vous et par mes amis du Comité.

Veuillez agréer, Monsieur le Président, l’assu- rance de mes sentiments les plus distingués.

A POULET-MALASSIS

Vendredi, 29 Avril 1859. Mon cher ami,

Le Théophile Gautier ? — Voici une nouvelle épigraphe à ajouter.

Vous avez l’article ; il est donc inutile que je vous l’envoie.

Faites bien mousser le texte, afin que ça ait l’air d’une brochure respectable. LUTTHES

S — iSog I 90

Et le portrait ?

Enfin fJ Opium est fini ; cela va paraître. Il est indispensable quenousfassions aussi une brochure : IJOpinm et le Haschisch, en sous-titre : IJÏdéal artificiel, brochure composée de cinq feuilles de la Revue contemporaine, presque un livre. Nous som- mes sûrs de la vente d’une pareille brochure, et de plus nous déchargeons d’autant les malheureuses Curiosités, qui se trouveront ainsi composées géné- ralementd’articles ayant trait aux beaux-arts, eiqui n’attendent plus pour être réimprimés que Tappa- rition du Salon de i85q (fini, et que je livre ce soir ou demain), des Peintres espagnols et des Pein- frrs idéalistes que je ferai en Mai.

le serai heureux d’avoir votre opinion sur le Gau- tier. Rappelez-vous qu’il y a des fautes dans L’Ar- tiste, et qu’il faut que je lise les épreuves une seule fois (àHonfleur) : si vous faisiez cela tout de suite, je vous les corrigerais en une heure. Je vais avoir

peu de loisir.

l’ai lu, à Paris, des lettres de vous, où il y avait ..<. découragement. Si vous vous découragez, alors vous courrez de vrais dangers. Je ne veux pas que

is perdiez la tête pour si peu, et rappelez-vous que ce n’est pas seulement l’égoïsme qui parle, mais l’amitié. 11 y a eu quelques instants où votre situation était très belle. Cela peut se retrouver, et

ilement.

ignorequand j’aurai le plaisird’aller t\ Alcnçon. i coDcudant de grandes nouvelles et de grands 196 CHARLES BAUDELAIRE

projets à vous expliquer ; mais c’est long. Pré- sentez mes amitiés à toute votre famille.

Un mot, je vous prie, dans votre réponse, rela- tivement au Lamotte- Valois.

Maintenant, chose grave comme un post-scrip- tum : je suis revenu ici pour travailler avec rapi- dité et compenser le temps que m’a fait perdre à Paris un gros accident.

Vous recevrez cette lettre et ce billet, samedi 3o. Il faut que je verse, le 3 Mai, 120 francs à la Mai- son de santés plus 3o fr. à la garde-malade. Je ne puis pas aller à Paris. Profitez du samedi (demain) pour escompter ce papier, payable ici, chez ma 1 mère (où aucun protêt n’aura jamais lieu), et, dès dimanche, envoyez iBofr. (un billet ou un mandat) à M. le directeur de la Maison municipale de santé, 200, Faubourg Saint-Denis. Vous direz, dans votre lettre, que vous envoyez cela de la part de M. Baudelaire, pour la pension de M^^^ Jeanne Duval, qu’il y a 120 fr. pour la pension, et que les 3o fr. doivent être remis à la malade elle-mêm.e, pour sa garde. Le reçu sera remisa M’^^ Duval. Quand même tout cela vous ennuierait beaucoup, je compte sur votre amitié. Je ne veux- pas qu’on mette ma paralytique à la porte. Elle peut-être en serait contente, mais moi, je veux qu’on la garde jusqu’à épuisement de tous les moyens de guérison.

Il est bien entendu que vous faites une lettre chargée. La lettre, partant dimanche, arrive à LKTTREb 1609 197

Paris, le 2, la veille du jour où il est nécessaire de laire inscrire la pension de nouveau.

Le billet (que j’avais d’abord fait à un mois, et que j’ai renvoyé à deux, après avoir consulté mes recettes) est de 160 fr.Il restera donc 10 fr.,sur lesquels portez l’escompte. De ce qui restera, vous ferez faire un petit mandat que vous m’enverrez à Honjleur.

A propos, ma mère a payé plus de i.o35 fr. pour la traite, mais je ne me rappelle plus la dif- férence.

Merci pour vos costumes.

Tout à vous.

J’ai encore bien d’autres choses à vous dire, mais j’ai vingt lettres à écrire, aujourd’hui. Répondez-moi, demain.

Croiriez- vous que cet imbécile de Galonné a jeté ’ 'S hauts cris, en lisant Le Voyage ? Depuis qu’il st sûr de marcher, il est redevenu tatillon, et Itra-rédacteiir en chef. Et il a l’effronterie de me tourmenter pour avoir de nouveaux vers. // n’en nira pas. Il va avoir son Opium ; et je lui ai donné lia parole qu’en Juin je lui ferais deux nouvelles sses longues f qu’il paierait comptant (soit en bil- lets, soit en argent), à vous, bien entendu.

Nouvelles Fleurs du Mal faites. A tout casser, comme une explosion de gaz chez un vitrier. Mais, quoi que me dise la dame de Galonné, elles iront ailleurs que chez elle !

Réponse, tout de suite. — Plaignez-moi, cl 1^8 CHARLES BAUDELAIKE

aimez-moi, car je suis furieux, — de tout ce qui m’arrive, de tout ce que je lis, — et mécontent de tout ce que je fais.

Puisque je vous cause du tintouin, il faut bien que je vous fasse rire un peu. Sachez que, pour remettre mon cerveau à l’endroit, je viens de relire (pour la première fois, depuis vingt-cinq ans peut- être) la Grandeur et décadence des Romains, le Discours sur i histoire universelle, Qi Les Natchez. Je deviens tellement rennemi de mon siècle que ^o ; z^,sans en excepter une ligne, m’a paru sublime.

Toutes les fois que vous serez trop abattu, faites comme moi.

Il faut ajouter à ce que je vous disais tout à l’heure à propos des Curiosités : que, si nous fai- sions deux volumes, nous risquerions de faire un four, et d’être dédaignés et oubliés ; tandis qu’un seul volume de dissertations est facilement digestible.

Avez-vous lu l’éloge insensé de Mirêio, par le vieux mauvais sujet ? A ipTopos de M. Mistral, il a eu soin de ne pas rater l’inévitable calembour :

un nom beau comme un surnom ! un poète plein de souffle !

A POULET-MALASSIS

lei- Mai 1859.

Je vous remercie tout d’abord, de tout mon cœur, pour votre ponctualité et votre complaisance. Le Gautier. — Je ne veux pas renoncer au porLETTRES iSTx) 1 99

it. Ou de Broise fera tirer tout de suite les fron- tispices dont il aura besoin plus tard, ou le fron- tispice de ma brochure sera semblable à celui A* Emaux et Camées.

"ependant,comment fait-on pour tirer des épreu- Ycs d’estampes à plusieurs teintes ? Ne peut-on pas couvrir, avec une matière étrangère (qu’on retire plus tard), les parties qu’on ne veut pas reproduire ? Il est évident qu’il y a un moyen, et que ce moyen n’est pas de ma compétence. Postérieurement, nous ferons tirer le titre en lettres bizarres. En somme, deux tirages, comme pour les ornements rouges et noirs.

Le portrait est une garantie de vente.

Les deux épigraphes se font antithèse, et il est évident pour moi que le vertueux et pédant Laprade avait lu fJ Artiste. \J\\ caractère très petit pourrait nous tirer d’affaire. L’idée du verso n’est pas abso-

iient détestable. Quand recevrai-je l’épreuve ? Il y a des fautes dans fJ Artiste.

Opium et Hasciiiscu. — Un joli petit livre. Je

iiiple là-dessus pour rentrer un peu en circulation. Vous serez satisfait de fJOpium ; ce sera l^rillant et dramatique. Au total : quatre-vingts pages de la fieuue contemporaine. Je suis sûr de la vente.

< lalonne marchera, je le sais, et il ne m’est pas permis de vous dire pourquoi. Vos 3.ooo fr. ne me sortent pas de la tète. Voici ma situation : je lui dois toujours ses 5oo fr., moins le salaire de la Danse macabre, 4^ fr. — Son Opium (que je relis Tn ; niii..nanl) étant livré commence une série de CHARLES BAUDELAIRE

sommes pour vous. C’est en pensant à vous que j’ai exigé de lui la promesse que, si je lui livrais deux fortes nouvelles en Juin et Juillet, publiées ou non publiées, il les paierait en argent ou en bil- lets, tout de suite.

Vous me prenez donc pour un ingrat ou un imbécile ? De vers, il n’en aura plus.

Vous me dites que vous avez relu mes vers. Vous auriez bien mieux fait de relire la Méthode de composition d’EdgAv Poe (Revue française).

Votre lettre m’a fait beaucoup de peine. Je vois que votre esprit versatile subit toutes les tempéra- tures. Si je pouvais courir à Alençon, j’y courrais tout de suite, non pas seulement pour m’amuser un peu, mais pour vous secouer. Vous voilà tout aux brochures politiques, et vous oubliez qu’il est dans la nature humaine de toujours dépenser 5 fr. pour acheter un roman, ou une stalle, au spectacle. Je ne vous remercie donc pas du tout de l’honneur que vous voulez bien faire exceptionnellement pour mes livres.il/e5 Fleurs du Mal resteront ; mes arti- cles critiques se vendront, moins rapidement peut- être qu’en un meilleurtemps, mais ils se vendront.

Quand même la guerre voyagerait de l’Italie sur le Rhin, les hommes voudront lire les disputes lit- téraires et les romans ; et c’est surtout quand tout le monde perd la tête qu’il y a bénéfice, et gros bénéfice, à ne pas la perdre. Bien au contraire de YonSjfai peur, pour vous, de cette négliffence rela- tivement aux choses littéraires.

Des quatre-vingts pages de la Revue contem^ i.^ „.. — i85() 201

jmituii,e, 11 idddra faire, s’il se peut, deux cent cin- quante pages.

Vous me parlez sans cesse de vos dettes. Je suis convaincu qu’avec un peu d’ingéniosité, vous pour- riez résoudre la question. Mais je ne connais pas

>ez vos affaires pour vous donner un conseil.

l’]crivez-moi moins tristement, si vous pouvez, cl soyez toujours aimable. Mes compliments à votre famille.

M. Mistral, auteur de Mirèio, est un poète patoi- sant, cornaqué par Adolphe Dumas. Le mauvais sujet a regretté qu’il ne fût pas tout à fait sau-

ige. Il a vu avec douleur que M. Mistral, par ses

mmenlaires, avait prouvé qu’il savait le français.

ailleurs, ce charabiaïsant est Pétoile du moment.

J’attends un mot de vous. Blanchissez vigoureu-

ment le texte.

A POULET-MALASSIS

Ilonfleur. Mercredi, 4 Mai iSSg.

Je vous en prie, mon cher ami, écrivez immédia- inenl vous-même au directeur de la Mai|on muni- i)ale de santé, 200, Faubourg Saint-Denis, pour i affirmer que vous lui avez envoyé i5o fr. par chemin de fer d’Alençon, frais d’envoi payés .our M"o Duvalj.

Ecrivez, de plus, au directeur du chemin de fer, <)ur vous plaindre.

Hier 3, rien n’était arrive. • CIIAHLES BAUDELAIRE

J’espère que votre lettre aura pour résultat de faire patienter le directeur de la Maison pendant quelques heures, et l’argent se retrouvera.

Cet accident est d’autant plus déplorable que les médecins viennent de décider que la malade n’était pas en état de sortir.

Si j’avais eu de l’arg-ent, je me serais servi du télégraphe électrique.

,l’attribue cela à quelque étonrderie, une fausse adresse, par exemple.

Mais je réfléchis que le directeur du chemin de fer et le directeur de la Maison du Faubourg* Saint- Denis n’auront vos lettres que le 6, au matin. C’é- tait le 3 qu’on attendait l’argent.

Pour faire tout pour le mieux, comme vous avez sans doute un reçu du chemin de fer, ne pourriez- vous pas l’enfermer dans la lettre que vous adres- sez au directeur de la Maison du Faubourg Saint- Denis, 200 ?

Je vous cause bien de l’ennui, mais jugez de mon inquiétude ! — Donc, pour le Gautier, atten- dons. Sans doute, il faut des lettres élégantes et contournées, mais par qui ? J’y songerai.

Tout à vous, mon cher ami.

Il est évident que, sans télégraphe électrique, l’administration du chemin de fer à Alençon doit pouvoir, dans la journée de demain 5, vous don- ner toutes les exphcations désirables. Aviez-vous écrit une lettre explicative au directeur, en expé- diant cet argent ? LETTRES — lSr>9

A POULET-MALASSIS

Dimanche, 8 Mai iSog.

Mon cher,

Je vous fais de profondes excuses pour ma tijpide réclamation. J’ai été abusé par une lettre ’ celte terrible femme (pas écrite par elle-même, lisqu’elle ne le pourrait pas) qui me disait qu’on "avait rien reçu. Dans son malheureux cerveau l)ôti par la maladie, elle avait trouvé ce moyen lî^énieux de se procurer deux fois l’argent, sans •nseràla facilité delà vérification. Ma mère, à qui ivais voulu, le 4. emprunter tout de suite i5o fr., A attendant que votre argent se retrouvât, m’a lit une scène abominable, à laquelle j’ai riposté. la mère en est malade. Et moi-même, depuis le 4 ? > suis au lit, avec l’estomac et les intestins barrés, ’ une névralgie qui voyage selon les changements ’ vent, et dont les lancinations sont si vives que ’ ne peux pas dormir. •

Tels sont les résultats de la colère et de l’inquié- tude. II faut que cet état finisse, car travail et rgent et temps, c’est tout un.

Pardon de nouveau, et saisissez les occasions

c m’écrire. Vos lettres mn sont évidemnionf nno

listraclion.

traduction de ce livre autrichien est une 20/| CUAULL^i l’.AUDKLAIRK

excelienle idée ; vous me direz si cela se vend bien.

N’oubliez pas vos frontispices à’ Emaux et Ca- mées.

Tout à vous.

Prenez bien garde à votre. J’ai eu des acci-

dents variés, plusieurs années,après une apparente guérison.

Puisque vous ferez votre prison à Fhôpital, vous devriez en profiter pour vous soigner.

Faudra-t-il alors adresser mes lettres à l’hôpi- tal ?

Rappelez à Duveau Torthographe de mon nom.

Si ^vous trouvez, dans un carton ou dans vos armoires, quelque gravure à légende dont les lettres soient ornées de fions (généralement, des lettres majuscules, italiques hollandaises), servez-vous-en comme d’une indication ou d’un conseil.

Duveau ?

A FELIX NADAR

i4 Mai 1859.

… Si tu étais un ange, tu irais faire ta cour à un nommé Moreau, marchand de tableaux, rue Laffittç, Hôtel Laffitte (je compte bien lui faire la mienne, à propos d’une étude générale que je prépare sur la peintureespagnole),et tu obtiendrais de cet homme la permission de faire une double épreuve photoLETTHES 1809 205

a^M…p.c, d’après La Duchesse cVAlhe, de Goya axIii-Goja, archi-autheiitique).Les doubles (gran- deur naturelle) sont en Espagne, où Gautier les a iis. Dans l’un des cadres, la duchesse est en cos- ’ime national ; dans le pendant, elle est nue etdans la même posture, couchée à plat sur le dos. La tri- ialilé même de la pose aug-mente le charme des ibleaux. Si je consentais jamais à me servir de •n arg-ot, je dirais que la duchesse est une bizarre ’melle, Tair méchant, des cheveux comme Silves- I e, et la gorg-e, qui masque l’aisselle, atteinte d’un irabisme snrsùm et diverg-ent à la fois. Si tu étais un ange très riche, je te conseillerais de les ache- ’r ; c’est une occasion qui ne se représentera pas. igure-toi du Boninglon ou du Devéria galant et roce. L’homme qui les a en demande 2.400 fr. est peu de chose sans doute pour un amateur iiragé de peinture espagnole, mais c’est énorme iiissi, comparé à ce qu’il a du les payer. Car il n’a avoué qu’il les avait achetés au fds de Goya, [iii se trouvait dans une gêne extraordinaire. Si tu lis à cet homme que tu veux faire plusieurs épreu- ves, il craindra de te le permettre, justement à ause de la notoriété de ton nom. Si ttPt’y résous, [)rends garde de les faire trop petites. Cela enlève- rait une partie du caractère.

… Qu’est-ce donc qu’un certain artiste allemand, lyant faitune certaine Chasse miraculeuse ou fan- tastiffue, qui se vend chez Goupil ? Tout le monde me conseille de m’adresser à lui. Je ne veux pas de l’éternel ami de Malassis, de D, pour les fron- ts 20G CHARLES BAUDELAIRE

tispices qu’il me faut pour mes articles sur Poe (un portrait, enguirlandé d’emblèmes), mon Opium et Haschisch, mes nouvelles Fleurs et mes Curiosités,

Tu me rendrais parfaitement heureux si, parmi tes nombreuses relations, tu pouvais trouver des renseignements biographiques sur Alfred Réthel, Fauteur de La Danse des morts en iS48,ei de La Bonne / ; 2o/’/, faisant pendant à La Première inva- sion du choléra à l’Opéra. Connais-tu Knauss ? Il doit savoir quelque chose là-dessus.

Je suis vraiment fort en peine ; avant de publier mes Curiosités, je fais encore quelques articles r’sur la peinture (les derniers) ; et j’écris maintenant un Salon, sans l’avoir vu. Mais j’ai un livret.Sauf la fatigue de deviner les tableaux, c’est une excel- lente méthode que je te recommande. On craint de trop louer et de trop blâmer ; on en arrive ainsi à l’impartialité…

A FKLIX NADAR

Honfleur, 16 Mai iSSfj,

Mon cher ami,

Puisque tu n’es pas de ceux qui se moquent des longues lettres, tu en auras pour ton argent, car j’ai deux heures de loisir devant moi. Avant tout, je te remercie pour une phrase excellente et char- mante de ta lettre. Voilà une brave et solide décla- ration d’amitié. Je suis peu accoutumé aux ten- dresses. fjuaiit auxcomplimentsque lu me fais, ma vanité profile pour le faire lire quelques morceaux que iîs doule, lu n’as pas lus, et qui, avec quelques autres inédits, ont rajeuni, je Tespère, mon livre flétri. Tu pourras constater que j’écoute peu la cri- tique et que je m’enfonce opiniâtrement dans mon lécrottabilité.

Maintenant, je reprends la lettre. Oui, je désire pour moi que tu réussisses dans tlTaire Moreau, mais je suis convaincu aussi qu’il sera également agréable d’avoir de bonnes reuves, d’après ces peintures singulières. Tu ne connais donc pas ces gravures sur bois, iprès Réthel ? La Danse des morts en 184S se —id maintenant i fr. (six planches). La Bonne >rt et L’Invasion du choléra se vendent, je crois, l’r. Tout cela, chez un libraire allemand, qui vend issi des gravures allemandes, rue de Rivoli, près 1 Palais-Royal.

Ouelques personnes m’ont dit que Réthel avait

coré une église (à Cologne peut-être) ; d’autres

mont dit qu’il était mort ; d’autres, qu*il était

enfermé dans une maison de fous., l’ai les œuvres

lées ci-dessus, et je voudrais savoir, outre les

riseignements biographiques, s’il y a d’autres

ivres gravées.

L’artiste allemand, dont je ne sais pas le nom, a été indiqué par Ricard, qui prétend qu’il a un lent tout à fait propre aux illustrations et aux )nlispices. Il faudrait voir cette Chasse. Certai- ment oui, j’avais pensé à Doré, et je ne me rap208 CHARLES BAUDELAIRE

pelle pas si c’est moi qui, toutes réflexions faites, Tai rejeté, à cause de renfantillage qui se fait jour si souvent à travers son génie, ou à cause de l’antipa- thie qu’il inspire à Malassis. Encore je ne suis pas sûr de cette dernière affirmation.

Les différents livres ou brochures que j’aurai prochainement à publier sont : l’ensemble des arti- cles critiques sur Poe (ici, un portrait). Je me charge de fournir les éléments nécessaires pour ce portrait, encadré dans des figures allégoriques, représentant ses principales conceptions, à peu près comme la tête de Jésus-Christ au centre des instruments de la Passion, le tout d’un romantique forcené, s’il est possible.

Opium et Haschisch. Frontispice allégorique, exprimant les principales jouissances et souffrances que j’ai racontées.

L’ensemble de mes articles critiques sur les beaux- arts et la littérature. Je crois que Malassis ne veu pas de frontispice.

La deuxième édition des Fleurs. ïci, un sque- lette arborescent, les jambes et les côtes formant le tronc, les bras étendus en croix s’épanouissant en feuilles et bourgeons, et protégeant plusieurs ran- gées de plantes vénéneuses dans de petits pots échelonnés, comme dans une serre de jardinier. — Cette idée m’est venue en feuilletant V Histoire des Danses /nacaôre^, d’Hyacinthe Langlois.

Je reviens à Doré. Il a un talent extraordinaire pour donner aux nuages, aux paysages et aux mai- sons un caractère positivement surnaturel : ceci LETTRF.S — iS.lf) 209

rait bien mon affaire. Mais les fi« -ures ! Il y a tou- ,v)nrs quelque chose de puéril, même dans ses meil- leurs dessins. Quant à La Divine Comédie^iw. m’é- )anes fortement. Comment a-t-il pu choisir le poète le plus sérieux et le plus triste ? D’ailleurs, tu vois que je veux en revenir au système du fron- tispice antique, mais traité d’une manière ultra- •mantique.

Enfin, pour tout dire, parmi les noms que j’avais

passés en revue, je m’étais surtout arrêté sur ceux

e Penguilly et de Nanteuil, mais j’ignore si Pen-

uilly consentirait, et, quant à Nanteuil, je crains

iii’il n’ait mis beaucoup d’eau dans son vin, et qu’il

ne sache pas retrouver le caractère qu’il

\ait mis autrefois au service de Vicjtor Hugo.

ependant, ces deux noms avaient pour moi le

1 and avantage d’offrir une signification romanti-

ue en parfait accord avec mes goûts, et répondant

ir une certaine forfanterie à l’ingratitude et à la

•gligence de ce siècle.

Mais, par-dessus toutes choses, il ne me con-

icnt pas de faire une visite à un artiste distingué

l de l’engager dans un petit travail, ^ur lequel

• serai difficile, avant d’avoir la certitudequ’il sera

honorablement payé.

Ces réserves faites, si tu peux me renseigner sans FiTengager, je t’exprime d’avance ma gratitude.

Quant au Salon, hélas ! je t’ai un peu menti, mais i peu ! J’ai fait une visite, une seule, consacrée à liercher les nouveautés, mais j’en ai trouvé bien eu, et pour tous les vieux noms, ou les noms sim-

13. CHARLES BAUDELAIK !

plemeiit connus, je me confie à ma vieille mémoire, excitée par le livret. Cette méthode, je le répète, n’est pas mauvaise, à la condition qu’on possède bien son personnel.

Eutre autres choses vraiment distinguées qu’on ne remarquera pas, remarque, dans une grande salle carrée, au fond, à g-auche^ où l’on a entassé des paquets de choses religieuses impayables, deux petits tableaux, l’un (n » 1210), Les Sœurs de cha- rité^ par Armand Gautier l’autre (n^ 1894), L’An- geliis^ par Alphonse Legros. Ce n’est pas d’un style extrêmement élevé, mais c’est très pénétrant.

Dans la sculpture,j’ai trouvé aussi (dans une des allées du jardin, pas très loin d’une issue) quelque chose que l’on pourrait appeler de la sculpture vignette-romantique, et qui est fort joli : une jeune fille et un squelette s’enlevant comme une Assomp- tion. Le squelette embrasse la fille. Il est vrai que le squelette est esquivé en partie, et comme enve- loppé d’un suaire sous lequel il se fait sentir. Croi- rais-tu que, trois fois déjà, j’ai lu, ligne par ligne, tout le catalogue de la sculpture, et qu’il m’est im- possible de trouver quoi que ce soit qui ait rapport à cela V II faut vraiment que l’animal qui a fait ce joli morceau l’ait intitulé : Amour et Gibelotte, ou tout autre titre à la Gompte-Calix, pour qu’il me soit impossible de le trouver dans le livret. Tâche, je t’en prie, de savoir cela : le sujet et le nom de l’auteur.

Pour La Duchesse d^Albe, je te répéterais, si tu n’étais pas dans de grandes gènes, qu’il serait bon de les arracher, à un prix modéré. Puisque tu as jugé à propos de jeter, à la fin de i lettre, un peu de politique, j’en ferai autant. Je ! ’ suis vingt fois persuadé que je ne m’intéresse- iis plus à la politique, et, à chaque question grave, je me suis repris de curiosité et de passion. Il y a bien longtenips que je la surveillais et que je l’at- iidais, cette question italienne, bien longtemps ant l’aventure d’Orsini. Et, à ce sujet, il serait 1 juste de dire que Napoléon exécute le testament Orsini. Celui-ci était un honnête homme, trop lessé. Mais l’Empereur pensait à la chose depuis lUgtemps, et il avait fait nombre de promesses à • us les Italiens qui venaient à Paris. J^admire avec iielle docilité il obéit à la fatalité, mais cette fata- le le sauve. Oui, aujourd’hui, pense à Morny, au rand-Central, au Beaumonî-Vassyetaux quarante iiille saletés qui nous occupaient, il y a peu de mps ? Voilà l’Empereur lavé. Tu verras, mon cher, l’on oubliera les horreurs commises en Décembre, fi somme, il vole à la République l’honneur d’une rande guerre. — As-tu lu l’admirable discours de iiles Favre, au Corps législatif, dans les derniers •urs du mois dernier, ou dans les premiers jours e Mai ? Il a posé, nettement, la nécessité, la fatalité •volutionnaires. Le Président et les Ministres ne ont pasinterrompu.il avait l’air de parler au nom .’ l’Empereur. Et quand, à propos de Garibaldi, un icomte de La Tour, Breton bigot et niais, a dit que i France espérait bien ne pas se souiller par ’e pareilles alliances, le président (Schneider) l’a aTÔté,lui disant qu’un député n’avait pas le droit CHARLES BAUDELAIRE

de diffamer les alliés de la France, d’où qu’ils lui vinssent.

La politique, mon cher ami, est une science sans cœur. C’est ce que tu ne veux pas reconnaître. Si tu étais jésuite et révolutionnaire, comme tout vrai politique doit Têtre, ou l’est fatalement, tu n’aurais pas tant de regrets pour les amis jetés de côté. Je sais que je te fais horreur ; mais, dis-moi, as-tu seu- lement remarqué avec quel à propos sont venues les Lettres diplomatiques de Joseph de Maistre, publiées par M. de Cavour, lettres où, pour le dire en passant, le Pape est traité de polichinelle ? Quel réquisitoire contre l’Autriche ! Le Piémont avait gardé ces lettres en réserve, et les a publiées au bon moment.

Je crois seulement qu’en mettant les choses au mieux ^’Empereur, couvert de gloire et béni de tout le monde, l’embarras sera dans l’usage de la vic- toire.

Pour tous tes chagrins personnels, mon ami, résignation, résignation.

Quand j’irai chez toi, je te parlerai des miens qui s’accumulent, et je te ferai pitié. Je crois sin- cèrement qu’excepté pour un petit nombre de jeunes gens intelligents (riches, et sans famille î), qui ne savent pas user de leur bonheur, la vie doit être une perpétuelle douleur.

Tout à toi.

Maintenant, si tu veux rire, lis, comme moi, Lima vrac et Granier de Cassagnac. Il paraît que nous allons en Italie pour étouffer Thydre révo- lutionnaire. Voilà, pour parler sérieusement, de l’hypocrisie inutile.

A POULET-MALASSIS

i3 Juin 1859.

Vous avez bien tort de ne jamais m’ëcrire, car, i, je n’entends pas une parole humaine.

Et le livre autrichien ?

Vous me direz ce que vous pensez de mon Salon. X mon Gautier ’î

Dans peu de temps, je vais pouvoir vous livrer »lre Opium et Ilaschisch^QV, peu de temps après, s Curiosités complètes, qui seront suivies des yVo ? /-

lles Fleurs,

Enfin, j’ai fait une nouvelle, basée sur l’hypo-

lîièse : découverte d’une conspiration par un oisif,

ni la suit jusqu’à la veille de l’explosion, et qui,

lors, lire à pile ou face, pour savoir s’il la décla-

. era à la police.

Mon drame va bien, et il faut même, à cause de ola, que j’aille à Paris. *

Je pense sans cesse à vos 3. 000 fr. Je crois pou- < »ir espérer ^et je vous expliquerai cela, quand je ous verrai) que je vous les remettrai en Septem-

…….jo aller à Paris, sans crainte ? Sans in- quiétude ? Je fais allusion au billet de 43o (43o ?), [1 !! K), et à la promesse de renouvellement 2l4 CHAULES BAUDICLAIRE

que vous m’avez faite, à Paris. Si j’avais du papier timbré, je vous l’enverrais, mais je présume que vous préférerez la signature d’un de nos amis communs. Le plus raisonnable serait que vous fis- siez simplement une traite sur moi, pour la somme que vous voudrez, et puis vous expédieriez à ma mère la somme, mais la somme juste, cette fois. Cette niaiserie est importante.

Pour moi, je n’aurai d’arg-ent qu’à la fin du mois, juste pour le billet de i6o. C’est bien i6o, n’est-ce pas, et c’est bien fin Juin ? — Je me recommande bien à vous. Vous vous brouilleriez avec de Broise, si vous aviez un protêt, et, si j’en avais un ici, ma mère me flanquerait à la porte. Or, je veux utiliser, jusqu’à la fin de l’année, la bonne disposition de travail où je suis.

Mille amitiés chez vous. Je ne quitte pas Honfleur avant votre réponse.

Quelle belle époque que celle où il n’y aura plus de navette î

Croiriez-vous que, malgré votre promesse, je suis un peu inquiet ? Car mon impuissance à payer serait absolue.

Tout à vous. Longue réponse.

A POULET-MAI.ASSIS

7 Août 1859.

Je ne garderai l’épreuve qu’un jour. Les deux épigraphes I f.EilUKS — i^uy 2l5

II s’ag^it, maintenant, de retrouver une lettre de \ ictor Hug-o, adressée par moi aux bureaux de //Artiste, et que ees voleurs-là n’ont pas envoyée k

iifleur. Votre lettre est aussi injuste que mal- honnête. Je pense sans cesse à vous, et vos 3.ooo fr. m’empêchent de dormir. Vos l\oo fr. arriveront à temps. — Je vous écrirai plus longuement^ quand

lirai des certitudes certaines.

Delacroix n’est pas à Paris. II m’avait donné . -iidez-vous pour un dimanche ; je n’ai pas pu y aller, et il est reparti le lundi. Vous aurez votre

ssin, et un beau.

A POULET-MALASSIS

… Pendant queje me félicitais de voir lentement ^.i ogresser les quatre volumes que je veux vous livrer, j’apprends votre nouveau malheur. Quand,

comment cela finira-t-il ?

Tout à vous. Ecrives-moi vite.

Querelle avec Michel Lévy, à propos d’ Eurêka, le je traduis en entier, et que je voulais vous iiner. Je vous supplie de faire du Gauficr quel- e chose de propre.

A IMM 1,1’, l-.>l.\i,A.>MS

nj Sepleijibiu iSIjq. … Pas encore de conclusion de la paît d’IIos » 2lG CHARLES BAUDELAIRE

lein. Gela va venir. Je suis sûr également que la lettre d’Hugo va arriver.

Quant à Eugène Delacroix, je l’ai vu hier et avant-hier. Il ne vous donnera pas de dessin. Il veut vous donner une peinture y et, cette peinture, il la fera exprès pour vous. Il m’a dit : Puisque vous voulez être agréable àun de vos amis, à votre éditeur f je dois faire pour le mieux. Je n’ai, dans mon atelier, que des choses qui me servent de notes pour des travaux en train. Je n’oublierai pas cela, et je vous le livrerai le plus tôt possible, quand r inspiration me viendra. Je vous avouerai que j’étais presque honteux ; cependant, très discrète- ment, je tâcherai de le lui prendre avant mon départ de Paris (lo Octobre). Tout à vous.

A POULET-MALASSIS

Ouf ! voilà vos vers terminés ( ?).

Renvoyez-moi, ou plutôt rapportez-moi ^« r^Aa.

// n’est pas urgent d’escompter ce billet ; je ne l’ai fait faire que par précaution, pour parer à l’imprévu qui se met en toutes choses. Le copiste est en train de recopier un grand morceau de qua- tre feuilles pour Galonné. Demain, je lui livrerai ; j’en ai déjà une partie.

J’ai la parole formelle de Galonné.

Mais, puisque vous devez rester à Paris, du 3 au 10, venez me voir, le 5 ou le 6 ; je serai conLETTRES 1009 217

tent cUétre appiiijé par votre présence, pour nous faire donner le plus possible. Vous pouvez tou- jours escompter du 10 au i5.

S’il y a-lieu d’escompter le Duranty, que ce soit seulement pour nos affaires communes.

Le 8 (il sera temps), j’écrirai à de Rode (qui m’a offert 200 fr., dont je n’ai pas voulu) que je demande tout le salaire à^ Eurêka ; qu’il m’envoie, en argent, tout ce qu’il pourra, avec une lettre qui autorise M. Malassis à tirer sur lui à Genève, pour le reste. — Je viens d’écrire à Delacroix, pour savoir si votre tableau était prêt. Pas de réponse. Il est toujours par monts et par vaux.

Gautier et du Camp réclament toujours leur xemplaire de la brochure.

Rien de neuf pour Galonné, relativement à la subvention à reconquérir. Il paraît qu’il fait des abonnés. La Revue européenne passe chez Dentu, avec l’approbation du Ministre, qui ne donne plus que 60.000, au lieu de 120.000 fr.

Quant au moral, triste, triste ! je m’ennuie, et je me dégoûte de tout, et de tout le monde, avec une rapidité étonnante. Je pensais dernièrement

le je n’ai plus d’amis que ma mère et vous.

A propos du mot pontife, vous me ferez penser a vous raconter une histoire qui a failli me brouil- ler avec Galonné, et conséquemment anéantir votre

mtissement.

Tout à vous. 2l8 CHAULES BAUDLLAIUE

A POULET-MALASSIS

ler Octobre iBSg.

Voilà tout ce que je puis vous dire ; Victor Hug-o, je le sais, fait sa correspondance le diman- che. Ce que je lui ai demandé est un vrai travail. Il ne peut pas, je crois, me le refuser. Je lui dédie les deux Fantômes parisiens, et la vérité est que, dans le deuxième morceau, j’ai essayé d’imiter sa manière.

De plus, je lui ai écrit une longue lettre, minu- tieusement explicative, en lui avouant que sa pre- mière lettre était perdue. Or, j’ig-nore comment et quels jours se fait le service de la voie par Lon- dres pour Guernesey ; mais, en mettant les choses au pire, et en supposant qu’il n’ait eu mon paquet que lundi, il va me répondre demain. Vous com- prenez que cette lettre, si elle est importante, peut faciliter la vente de la brochure. — Maintenant, pensez à ces deux choses : interlig-nez d’un point et préparez le portrait. — Je crois me rappeler que vous avez laissé la phrase qui avait trait au portrait de Bracquemond et qui désormais doit s’appliquer à un autre portrait.

Je ne connais pas ces messieurs, excepté Ph. de Ghennevières, et, très vaguement, M. Lacombe. Je ne crois pas que Ghennevières puisse remplacer, dans toute sa grâce romanesque et conjugale, LETTRES 1869 219

Madame d’Holbach, non plus que M. Lacombe puisse représenter l’étonnant père Hoop. Gomme je sais que vous aspirez à être Galiani, je suis inquiet de savoir qui a pu jouer le rôle de Diderot.

— Je crois avoir vu encore quelques fautes dans répreuve Gautier que vous m’avez transmise, et qui est maintenant à Guernesey. Puisque nous avons quelques moments de calme, j’en profite pour vous faire remarquer que votre système de fautes d’impression continue d’une manière déplo- rable. Le Balzac, de Gautier, en est criblé, et je regardais hier une affiche imprimée chez vous, où j’ai trouvé, en belles capitales, lemot iacctuelles.

… Pour Delacroix, nous irons ensemble chez lui, un dimanche, à 2 h. ; nous tâcherons de lui faire dire quand l’inspiration lui viendra pour votre tableau et de le faire causer littérature… La Lé- gende des siècles a décidément un meilleur air de livre que Les Contemplations, s3luî encore quelques petites folies modernes.

Tout à vous.

A POULET- MALASSIS

i^^" Novembre 1859.

… Toutes les fois que j’ai eu quelques torts vis à

s de vous, soit inexactitude, soit retard, dans des

î aires d’argent ou de littérature, vous m’avez

traité Dieu sait comment, et, comme je ne suis pas

aussi gros que l’homme de Cyrano, il ne vous a pas fallu un jour entier pour me battre, mais une minute.

Et vous, maintenant, trouvez-vous qu’il soit bien raisonnable de prendre huit jours pour mettre en pages une petite feuille composée depuis longtemps ? Je suis intéressé, pour plusieurs raisons, à publier ceci le plus vite possible.

La fin de l’année, la fin de ce mois peut-être, amènera pour moi la possibilité de vous livrer quatre volumes : Fleurs, Curiosités, Excitants, Notices littéraires, sans compter une brochure (Corbeau et Genèse d’un poème). Or, si vous allez de ce train, il vous faudra quatre ans pour publier mes quatre volumes, au lieu qu’avec un bon texte il doit suffire de quatre mois (une feuille tous les trois jours, en supposant les volumes composés de dix feuilles)… Un mot, s’il vous plaît.


A POULET-MALASSIS

15 Novembre 1859.

Mon cher ami.

Votre dernière lettre est très raisonnable, et j’accepte tout, sauf une clause bizarre : c’est la réimpression dans deux ans. Mais si chaque livre est épuisé avant deux ans ? Donc, 300 fr. ; tirage, i.ioo ; traité renouvelable. Les quatre manuscrits, livrés à la fin de l’année. Or, comme de Broise paie moitié avant l’impression, c’est donc une LETTRES 10^9 221

somme de 600 fr. qui rentrera dans votre poche, pour diminuer ma dette.. .

Excepté Espagnols y Allemands et Guys, Curio- .,ilcs est fait.

Opium et Haschisch est fait.

Excepté quatre ou cinq pièces, Les Fleurs sont complètes.

Les Notices sont toutes faites et même remaniées.

Elles sont là, sur ma table, mais ce sera peut- être votre quatrième volume, dans l’ordre, parce qu’il faut les laisser paraître ailleurs.

Tout à vous.

A POULET-MALASSIS

i5 Décembre iSSg.

Vous ne vous donnez même pas la satisfaction inale des reproches. Vous êtes un ami parfaite- ent généreux, et, d’une manière absolue, en toute rconstance, si désagréable qu’elle soit, vous pou- z compter sur mon dévouement. Dans tout le paquet de vers que je lui fi donnés, lionne a repoussé le galant Ex-Voto ^commet pou- int scandaliser ses lecteurs. Je lui ai adressé Le ’igne,t{ je lui envoie ces nouveaux \eTs,Le S que- lle laboureur. Quand j’aurai fait Dorothée (sou- • nirderile )^o\lvhon)yLa Femme sauvage (sermon une petite-maîlresse), et le Rêve, enfin la lettre- iéface à Veuillot que nous aurons à discuter ensemble, Les Fleurs du Mal seront prêtes. CHARLES BAUDELAIRE

Je vais vous adresser la presque totalité des Notices littéraires que nous ne pouvons pas impri- mer tout de suite, à cause de la maison Gide qui doit en publier une partie dans son anthologie moderne.

Ce livre est composé ainsi qu’il suit :

I. — Edg-ar Poe, sa vie et ses œuvres.

II. — Nouvelles notes sur Edgard Poe.

III. — Dernières notes sur Edgar Poe (manuscrit resté à Honfleur).

(Ces trois morceaux font l’objet d’une discussion avec Michel. Cependant, mes traités ne parlent que d’une quantité déterminée de matière originale, et nullement d’aperçus critiques sur l’auteur. D’ail- leurs, le bon sens indique que je puis réimprimer dans mes œuvres personnelles la partie critique et biographique.)

IV. — Théophile Gautier (imprimé).

V. — Pierre Dupont (imprimé chez Houssiaux). VI. — Leconte de Lisle.

vil. — Madame Desbordes- Valmore. VIII. — Auguste Barbier.

IX. ’— Hégésippe Moreau.

X. — Pétrus Borel.

XI. — Gustave Le Vavasseur. XII. — Rouvière (imprimé dans TJ Artiste) : IJ Opium est si long qu’il sera publié en deux fois, le 3i Décembre la première partie. Bien à vous. LETTRES — 1800 ^’23

A JEANNE DUVAL

Honfleur, 17 Décembre 1809,

Ma chère fille,

II ne faut pas m’en vouloir si j’ai brusquement quitté Paris sans avoir été te chercher, pour te divertir un peu. Tu sais combien j’étais exténué par l’inquiétude. De plus, ma mère, qui savait que sur ma terrible échéance de 5. 000 fr. il y avait

>oo fr. payables à Honfleur, me tourmentait ijcaucoup. D’ailleurs, elle s’ennuie. Tout s’est arrangé heureusement, mais figure-toi que la

! le il manquait 1.600 fr. De Galonné s’est con- duit très généreusement et nous a tirés d’affaire. Je le jure que je vais revenir dans quelques jours ; il faut que je m’entende avec Malassis, et d’ailleurs j*ai laissé tous mes cartons à l’Hôtel. Désormais, je ne veux plus faire à Paris de ces énormes séjours qui me coûtent tant d’argent. Il vaut mieux pour moi venir souvent et ne rester que quelqifts jours. En attendant, comme je puis rester une semaine îi])sent, et que je ne veux pas que dans ton état tu

tes privée d’argent, même un jour, adresse-toi à M. Ancelle. Je sais que je suis un peu en avance sur l’année prochaine, mais tu sais que malgré ses hésitations il est assez généreux. Cette petite somme te suffira pour m’attendre, et les environs du Jour de l’An m’apporteront de l’argent. Mets 224 CHARLES BAUDELAIRE

donc ce billet dans une nouvelle enveloppe, et, puis- que lu n’as pas le courage d’écrire de la main gau- che, fais écrire l’adresse par ta domestique.

J’ai trouvé un logement transformé. Et ma mère, qui ne peut pas rester une minute en repos, a arrangé et embelli (elle a cru embellir) mon loge- ment.

Je vais donc revenir, et si, comme je le crois, je suis doué de quelque argent, je tâcherai de t’amu- ser.

Avec ces chemins glissants, ne sors pas sans être accompagnée.

Ne perds pas mes vers et mes articles.

A ALPHONSE DE GALONNE

Mon cher ami,

Tout bien considéré, je renonce à la publication des trois poèmes perdus.

Mes épreuves, le plus tôt possible. Vous savez que j’aime à méditer quelques heures sur des épreuves.

Tout à vous.

A POULET-MALASSIS

Vendredi, 28 Décembre iSSq.

Cher ami, Je dîne, ce soir, avec M. Guys qui est venu me LICTTIXES — 1859 225

trouver pour me dire (très gentiment, ma foi) que pour demain soir, Noël, il serait heureux de porter des babioles chez des amis. Donc, je lui paierai sa Noël avec une soixantaine de francs que je puise-

i dans votre signature, et que je vous remettrai, au Jour de l’An, ou bien que vous reprendrez en Janvier sur un billet G. Je serai, demain 24,

chez vous à 9 h.

Bien à vous.

Je ferai en sorte de vous apporter en même mps le paquet à^ Notices,

A poulët-malassis

r. — Je vais vous envoyer [vos Notices que je M ai pas encore eu le temps de relire.

2. — Je vais vous recopier le traité.

?). — J’écris à M. B de vous envoyer Le Has- chisch, ti le premier numéro de L’Opium. (En tout « îÎK feuilles, au moins, de la Revue, en supposant

seconde partie de L’Opium imprimée.)

4. — Je suis en train de vous confedSonner la dicace.

5. — Tâchez de choisir un bon titre, ou, mieux core, d’en fabriquer un, plus agréable que iix-là.

(). — Tout ce que vous m’écrivez est très rai-

)imable. Mais les circonstances peuvent modifier

ut cela. Par exemple, je puis vouloir prendre

j.uur moi la responsabilité d’un seul billet de

li. 1.500 fr. payable à Honfleur. Je puis avoir besoin de vous faire escompter le Calonne à Alençon.

Enfin, je puis livrer à de Broise, avant le 15 Février, non pas deux volumes, mais les quatre.

7. — Toutes mes échéances sont écrites, et même je les sais par cœur. Celui de 100 (le dernier) est au 20 Mars.

8. — Mon départ sera retardé. Jamais je ne me déplacerai sans vous avertir.

9. — Faites bien votre compte pour la justification.

10. — Les chiffres romains, qui servent de division, seront accompagnés de sous-titres, dans Le Haschisch, comme dans L’Opium.

Naturellement, cela fera une table des matières.

Il me semble que le titre le plus vrai, c’est : Le Paradis artificiel. 1860

A POULET-MALASSIS

Dimanche soir, 8 Janvier 1860.

Ce que je vous écris ce soir vaut la peine d’être écrit :

M. Méryon m’a envoyé sa carte, et nous nous sommes vus. Il m’a dit : Vous habiter un Hôtel dont le nom a dû vous attirer, à cause du rapport qu’il a, je présume, avec vos goûts. — Alors, j’ai regardé l’enveloppe de sa lettre. Il y avait : Hôtel de Thèbes, et cependant sa lettre m’était arrivée.

Dans une de ses grandes planches, il a substitué à un petit ballon une nuée d’oiseaux de proie, et, comme je lui faisais remarquer qu’il était invraisemblable de mettre tant d’aigles dans un ciel parisien, il m’a répondu que cela n’était pas dénué de fondement, puisque ces gens-là (le gouvernement de l’Empereur) avaient souvent lâché des aigles pour étudier les présages, suivant le rite, — et que cela avait été imprimé dans les journaux même dans Le Moniteur.

Je dois dire qu’il ne se cache en aucune façon de son respect pour toutes les superstitions, mais il les explique mal, et il voit de la cabale partout.

Il m’a fait remarquer, dans une autre de ses planches, que l’ombre portée par une des maçonneries du Pont-Neuf sur la muraille latérale du quai représentait exactement le profil d’un sphinx ; — que cela avait été, de sa part, tout à fait involontaire, et qu’il n’avait remarqué cette singularité que plus tard, en se rappelant que ce dessin avait été fait peu de temps avant le Coup d’État. Or, le Prince est l’être actuel qui, par ses actes et son visage, ressemble le plus à un sphinx.

Il m’a demandé si j’avais lu les nouvelles d’un certain Edgar Poe. Je lui ai répondu que je les connaissais mieux que personne, et pour cause. Il m’a demandé alors, d’un ton très accentué, si je croyais à la réalité de cet Edgar Poe. Moi, je lui ai demandé naturellement à qui il attribuait toutes ses nouvelles. Il m’a répondu : A une Société de littérateurs très habiles, très puissants, et au courant de tout. Et voici une de ses raisons : La Rue Morgue. J’ai fait un dessin de la Morgue. — Un Orang-outang. On m’a souvent comparé à un singe. — Ce singe assassine deux femmes, la mère et sa fille. Et moi aussi j’ai assassiné moralement deux femmes, la mère et sa fille. — J’ai toujours pris le roman pour une allusion à mes malheurs. Vous me feriez bien plaisir si vous pouviez me retrou ver la date où Edgar Poe, en supposant qu’il n’ait été aidé par personne, a composé ce conte, pour voir si cette date coïncide avec mes aventures.

Il m’a parlé, avec admiration, du livre de Michelet sur Jeanne d’Arc, mais il est convaincu que ce livre n’est pas de Michelet.

Une de ses grandes préoccupations, c’est la science cabalistique, mais il l’interprète d’une façon étrange, à faire rire un cabaliste.

Ne riez pas de tout ceci avec de méchants bougres. Pour rien au monde, je ne voudrais nuire à un homme de talent…

Après qu’il m’a quitté, je me suis demandé comment il se faisait que moi, qui ai toujours eu, dans l’esprit et dans les nerfs, tout ce qu’il fallait pour devenir fou, je ne le fusse pas devenu. Sérieusement, j’ai adressé au ciel les remerciements du pharisien.

Guys et moi, nous sommes pleinement réconciliés. C’est un homme charmant, plein d’esprit, et il n’est pas ignorant, comme tous les littérateurs.



A POULET-MALASSIS

Voilà une lettre navrante. La Revue internationale elle-même m’a moins humilié par ses sottises que vous par les miennes. Je reprends votre lettre article par article.

1. — Du monde féminin, mundi muliebri. — Comment osez-vous m’attribuer ce bizarre génitif ? Souvenez-vous du sultan, servant à exprimer l’ad miration pour une femme adorablement mince et d’un genre de beauté florentine. — Comment n’avez-vous pas deviné que Calonné, qui est un pédant, a dû se dire (après le bon à tirer) : Faut-il que ce Baudelaire soit ignorant ! il prend la terminaison de l’ablatif pluriel (bonis) pour celle du génitif singulier, qui est toujours un i. — Quant au reste de votre critique, je réponds par le travail d’imagination que j’ai fait, et que le lecteur intelligent doit faire : qu’est-ce que l’enfant aime si passionnément dans sa mère, dans sa bonne, dans sa sœur aimée ? Est-ce simplement l’être qui le nourrit, le peigne, le lave et le berce ? C’est aussi la caresse et la volupté sensuelle. Pour l’enfant, cette caresse s’exprime à l’insu de la femme, par toutes les grâces de la femme. Il aime donc sa mère, sa sœur, sa nourrice, pour le chatouillement agréable du satin et de la fourrure, pour le parfum de la gorge et des cheveux, pour le cliquetis des bijoux, pour le jeu des rubans, etc…, pour tout ce mundus muliebris, commençant à la chemise et s’exprimant même par le mobilier, où la femme met l’empreinte de son sexe. Donc, j’ai raison ; donc, je n’ai pas fait une faute de latin. Mais, dites-vous, vous faites une faute de français avec votre monde féminin. C’est vrai, et pour montrer que je le fais consciencieusement et sciemment, je souligne le monde. Comme en réalité il y a quelque chose de juste dans votre critique, j’essaie de vous contenter par un remaniement, et je vous prie de me dire si vous en êtes content. (Je demande une seconde épreuve, pour me donner le temps de vérifier, avec Sasonoff, Fowler, ou tout autre, la vérité de ma note nécrologique sur de Ouincey. Demain, je ferai la note pharmaceutique, et je pourrai vous dire comment s’est résolue la question des exemplaires à prendre.)

Pour en revenir à cette prétendue faute, elle ne porte pas sur mundi, très bien traduit, dans les lignes précédentes, par : atmosphère, odeur, sein, genoux, chevelure, vêtements, balneum onguentalum ; elle porte, dis-je, non pas sur mundus traduisant monde, mais sur monde interprétant mundus.

2. — Quant au reste, c’est vraiment grave. Il m’est bien dur d’avoir dit qu’une pâture pouvait éteindre une soif, et que je suis un Dieu qui a. Il me semble que tout le monde verra ça, que Le Figaro en fera sa pâture, et que je ne pourrai jamais ouvrir le livre sans tomber juste sur ces deux énormités. M’aimez-vous assez pour faire deux cartons ? et, si vous y consentez, ayez bien soin que de nouvelles fautes ne se glissent pas dans les quatre pages composant les cartons.

Voici la couverture.

J’écris à Guys pour lui demander la note des journaux anglais qui parlent de la librairie française.

Un mot de réponse.

Bien à vous.

Donc : Dieu qui ai, et implacable appétit, si cela s’adapte au reste de la phrase.

Au dos de la couverture : Charles, ou au moins Ch.

Vous comprenez bien que ces deux cartons, si vous y consentez, et cette seconde épreuve ne retardent pas notre apparition.

C’est teinture, et non pas teinte.

Bien à vous.


A POULET-MALASSIS


4 Février 1860.


Comment ! mon cher, Les Paradis artificiels ne sont pas en main ! Et vous avez la prétention d’avoir fini Les Fleurs pour une exposition provinciale, en Mai ! Remarquez bien que, pour finir trois morceaux commencés des Fleurs, pour finir la préface, et enfin pour remanier les Salons de 1845 et de 1846, il faut que j’aille passer un mois à Honfleur où sont tous mes papiers.

J’écris, tout de suite, au sieur Bichet, administrateur de la Revue. Il fallait réclamer vous-même.

De Broise ne veut pas sortir du traité, mais il l’exécutera.

Paradis artificiels (fini) : 300 fr. Morceaux de critique littéraire (fini) ; je vais vous envoyer le manuscrit, avec la note des morceaux déjà imprimés : 300 fr. Donc, 600 fr., plus 30 fr. que je n’aurais pas osé demander, mais j’accepte : 630. Je dois 260 fr. Donc, de Broise doit venir à notre secours pour 380 fr.

Je me suis brouillé quatre fois avec Calonne ; il m’a écrit deux lettres d’excuses ; et, une cinquième fois, il est retombé dans ses rages d’autorité et de direction littéraire. Cette vie-là m’est intolérable, et…

J’ai profité d’une invitation de La Presse pour lui livrer Monsieur G, peintre de mœurs, L’Art enseignant et Le Dandysme littéraire ou la Grandeur sans convictions (de celui-là je ne vous avais pas parlé). Quand sera-ce imprimé ? Quand toucherai-je l’argent ? Je n’en sais rien.

Pour nos arrangements, pour le paquet des Notices, pour recopier le traité, etc…, j’emploierai la journée de mardi. J’ai pour trois jours de courses désagréables et inévitables.

Si j’avais fait recopier les articles ci-dessus indiqués, je prouverais à de Broise que ce n’est pas deux volumes sur quatre, mais trois qu’il me doit.

Quant aux Fleurs, il ne manque que trois pièces commencées, et une préface, commencée aussi, le tout resté là-bas.

Tout à vous.

Ma dédicace est-elle perdue ?

Et la santé ?


A POULET-MALASSIS

16 Février 1860.

Le billet de 1.500, envoyé par moi postérieurement, et enregistré dans mes comptes d’échéances, sera-t-il appliqué à nos affaires ? Dans ce cas-là, je ne demanderais à Duranty qu’un effet de 300 et quelques francs. Je n’ai pas peur d’assumer sur moi seul toute cette responsabilité, sûr d’être aidé par vous au besoin, et décidé d’ailleurs à tout faire pour payer moi-même le plus possible. D’ailleurs, je répugne beaucoup à demander de nouveaux services à Boyer et à cet imbécile de C.

Il vous est resté sur les 2.000 de Mai : 1° — 500, moins l’escompte… 2°. — Vous en avez un, de 1.500… 3° — Plus, 80… — 2.080.

Nous avons encore à payer (26 et 28) 2.350.

Puisque vous allez venir à Paris, je vous remet- trai moi-même le paquet des Notices.

Ecrivez-moi, tout de suite, quel jour vous arrivez, pour que je puisse commander notre dîner.

Je ne partag-e pas du tout votre illusion sur la facilité de faire trois cent cinquante pages, avec trois feuilles de Revue contemporaine. Je vous rappelle qu’il vous est arrivé de faire des plaquettes avec des matériaux plus considérables.

Entre parenthèses, je vous dirai qu’il m’eût été agréable que vous me disiez votre sentiment sur la physionomie générale du livre, et en particulier sur L’ Opium. De Ouincey est un auteur affreusement conversationniste et digressionniste, et ce n’était pas une petite affaire que de donner à ce résumé une forme dramatique et d’y introduire l’ordre. De plus, il s’agissait de fondre mes sensations personnelles avec les opinions de l’auteur original et d’en faire un amalgame dont les parties fussent indiscernables. Ai-je réussi ? Ma question ne vient pas d’une vanité enfantine ; elle résulte de la solitude où je vis, puisque j’en suis venu à ce point de sensibilité que la conversation de presque tous m’est insupportable. Et, d’un autre côté, j’avoue que je suis toujours inquiet de savoir si ces travaux qui marchent si lentement, tantôt par ma faute, tantôt par les circonstances, sont d’une nature assez solide pour être offerts au public.

Je suis en froid avec Calonne. Je lui dois, tous comptes faits, 2 ou 300 fr., mais il a un paquet de vers à publier. De plus, je lui ai déclaré très tranquillement que les morceaux promis paraîtraient à la Presse ; que je ne pouvais plus, à mon âge et avec mon nom, supporter une pédagogie fatigante et inutile ; et qu’après tout le directeur d’un recueil littéraire n’avait le droit d’intervenir que dans le cas où on le pouvait compromettre par une maxime religieuse ou politique…

J’ai gardé trois passages de mon texte primitif, pour autre réimpression.

Que d’ennuis ! Je suis sans le sol, et en froid avec ma mère. L’indiscrétion des gens qui me doivent, ou qui me font de belles promesses, sans les tenir, a amené la nécessité de faire rembourser par ma mère des billets payables à Honfleur. Je rougis de cela. Je dois à ma mère 10.000 fr. empruntés dans le temps de sa richesse, et il n’est pas convenable que je la tourmente, maintenant qu’elle est pauvre. J’aurai peut-être recours à vous, pour terminer l’affaire de R. Quand on se brouille avec les gens, on les paie. Or, je ne suis pas payé ; il m’est dû encore 400 fr. que je voudrais bien expédier à Madame Aupick. Et notez bien que j’ai été insulté, insulté, par ces drôles qui ne savent même pas l’orthographe. Si je n’étais pas criblé d’affaires, j’aurais souffleté ce cuistre dans son cabinet… De plus, horreur ! ils ont perdu des feuillets du manuscrit, et je suis obligé de les recommencer !

Gardez pour vous mon soupçon sur M. A

Un tas d’affaires désagréables !

Voilà Guys, qui est bien un personnage fantastique, qui s’avise de vouloir faire un travail sur la Vénus de Milo ! et qui m’écrit, de Londres, de lui envoyer une notice de tous les travaux et hypothèses faits sur la statue. J’ai présenté à Guys Champfleury et Duranty, mais ils ont déclaré que c’était un vieillard insupportable. Décidément, les réalistes ne sont pas des observateurs ; ils ne savent pas s’amuser. Ils n’ont pas la patience philosophique nécessaire.

Et puis Méryon ! Oh ! ça, c’est intolérable. Delâtre me prie de faire un texte pour l’album. Bon ! voilà une occasion d’écrire des rêveries de dix lignes, de vingt ou trente lignes, sur de belles gravures, les rêveries philosophiques d’un flâneur parisien. Mais M. Méryon intervient, qui n’entend pas les choses ainsi. Il faut dire : à droite, on voit ceci ; à gauche, on voit cela. Il faut chercher des notes dans les vieux bouquins. Il faut dire : ici, il y avait primitivement douze fenêtres, réduites à six par l’artiste ; et enfin il faui aller à l’Hôtel de Ville s’enquérir de l’époque exacte des démolitions. M. Méryon parle, les yeux au plafond, et sans écouter aucune observation.

Riez un peu, mais gardez-moi le secret : notre bon, notre admirable Asselineau m’a dit, comme je lui reprochais, à lui qui sait la musique, de n’être pas allé aux concerts Wagner : 1° que c’était si loin, si loin de chez lui (salle des Italiens) !… 2° qu’on lui avait dit, d’ailleurs, que Wagner était républicain !.. Je lui ai répondu que j’y serais allé quand même c’eût été un royaliste, que cela n’empêchait ni la sottise, ni le génie.

Je n’ose plus parler de Wagner ; on s’est trop foutu de moi. Ç’a été, cette musique, une des grandes jouissances de ma vie ; il y a bien quinze ans que je n’ai senti pareil enlèvement.

La  ! Vous ne sauriez croire jusqu’à quel point vous vous faites illusion. C’est presque de la fatuité. La est faite pour tout le monde, vous n’en êtes pas indépendant. Vous m’avez parlé d’aphtes, de contrictions douloureuses à la gorge, au point de ne pas manger sans douleur, de lassitudes étonnantes, de manque d’appétit ; oui ou non, est-ce, tout cela, des symptômes connus ? Si vous n’avez pas eu des faiblesses, des manques de souplesse dans les jarrets et dans les coudes, avec des tumeurs, même dans les attaches du cou, près de la tête, qu’est-ce que cela prouve, si ce n’est que le traitement salutaire (salsepareille, iodure de potassium) a peut-être prévenu ces accidents ?

La blessure intérieure n’était pas , ditesvous. La preuve ? Quant à l’ulcération extérieure, je l’ai vue, et vous savez ce que je vous ai dit,tout de suite. D’une manière générale, rappelez-vous que tout traitement anti   est excellent, et rajeunissant, de sa nature, et qu’il n’y a pas de traitement anti    sans mercure.

Tout à vous.

Quelle est l’époque, au plus tard, où vous désirez montrer Les Fleurs du Mal à votre exposition industrielle ?

Il a encore été question des Fleurs dans Le Salut public, à propos des Sonnets humoristiques. Je n’ai pas vu l’article. Vous avez manqué une belle vente de gravures imprimées en couleur. Il y avait là un grand La Fayette, de Debucourt, beau comme un Reynolds.

A ARMAND FRAISSE

19 Février 1860.

… Parce que la forme est contraignante, l’idée jaillit plus intense. Tout va bien au sonnet : la bouffonnerie, la galanterie, la passion, la rêverie, la méditation philosophique. Il y a, là, la beauté du métal et du minéral bien travaillés. Avez-vous observé qu’un morceau de ciel aperçu par un soupirail, ou entre deux cheminées, deux rochers, ou par une arcade, donnait une idée plus profonde de l’infini que le grand panorama vu du haut d’une montagne ?… Quant aux longs poèmes, nous savons ce qu’il en faut penser : c’est la ressource de ceux qui sont incapables d’en faire de courts. Tout ce qui dépasse la longueur de l’attention que l’être humain peut prêter à la forme poétique n’est pas un poème.

A JOSÉPHIN SOULARY

Le 23 Février 1860.

Monsieur et ami,

(Vous permettrez ce titre que je sollicitais de votre part) je n’aurais certes pas attendu une lettre de vous pour vous remercier de votre volume, si j’avais su où vous adresser mes remerciements. l’ai relu, pour la troisième fois, car je n’ai pas besoin de vous dire que vous êtes pour moi une vieille connaissance, et que, dès que votre ouvrage parut, j’en sus goûter la saveur toute particulière, toute la vinosité.

J’ai trouvé, avec la plus grande jouissance, dans cette nouvelle édition, des morceaux qui m’étaient inconnus, entre autres le sonnet adressé à un correcteur d’épreuves, que je juge une merveille. Mais, à ce sujet, permettez-moi (puisque vous voulez être l’ami d’un pédant, le malheur viendra de vous) de vous présenter quelques observations.

Vous donnez le pressentiment et le goût de la perfection ; vous êtes un de ces hommes très privilégiés, faits pour sentir l’art dans son extrême recherche ; donc, vous n’avez pas le droit de troubler notre plaisir par des heurts et des cahots. — Or, à la fin de ce sonnet, il y a cette phrase (que je traduis en prose) : Il faut que, dans un autre monde, tu aies commis un bien grand péché d’orgueil, pour que Dieu te condamne ici à, etc… Le pour est esquivé dans la traduction poétique. Il est possible que ce ne soit pas une faute de français, rigoureusement parlant, mais c’est d’un français que M. Soulary, qui ne peut pas être gêné par la mesure, ne doit pas se permettre.

Parce que je lis si soigneusement, vous ne m’en voulez pas, n’est-ce pas ? J’aurais d’ailleurs tant de choses flatteuses à vous dire. Vous savez imiter les élans de l’âme, la musique de la méditation ; vous aimes l’ordre ; vous dramatisez le sonnet, et vous lui donnez un dénouement ; vous connaissez la puissance de la réticence, etc… Toutes ces belles facultés vous feront estimer de tous ceux qui savent méditer ou rêver ; mais, puisque vous semblez désirer que j’use avec vous d’une franchise absolue, je vous dirai que vous devez (comme moi) faire votre deuil de la popularité. Mauvaise expression, puisqu’on ne peut être veuf que de ce qu’on a possédé. Il est vrai que, pour NOUS consoler, nous pouvons dire avec certitude que tous les grands hommes sont bêtes ; tous les hommes représentatifs, ou représentants de multitudes. C’est une punition que Dieu leur inflige. Nous ne sommes, ni vous ni moi, assez bêtes pour mériter le suffrage universel. Il y deux autres hommes, admirablement doués, qui sont dans ce cas : M. Théophile Gautier et M. Leconte de Lisle. On peut dire aussi que nous aurons des jouissances très énergiques très subtiles, qui resteront inconnues à la foule.

Croyez, cher Monsieur, que je suis, de tout mon cœur, voire bien dévoué.



À POULET-MALASSIS

23 Février 1860.


Encore un malheur.

Je me trouve, ce soir, après avoir compté sur T et C , dans la nécessité d’escompter les 1.013 chez Gélis et Didot, qui commenceront par prélever les derniers 360 fr. de la déconfiture Morel qui retombent sur moi.

Avant de prendre un parti, n’ayant pas même le temps de vous consulter, j’ai beaucoup réfléchi. Je remarque que le billet C, qui est de 750 fr., ne tombe que le 28.

Demain matin, au plus tard, je vais chez Gélis. 1.013, moins 360 et 20 fr. environ, se réduiront à 633 fr. qui, joints à ce que j’ai, feront 1.163. Le billet d’Asselineau payé, il me restera 363 fr.

Le billet que je vous envoie est appuyé d’une délégation des 400 fr. que je destinais à ma mère, mais il faut obéir aux circonstances, et je ne veux pas augmenter une dette que j’aspire à diminuer.

Ma situation exacte, vis à vis de ce de Rode, est celle-ci : à plusieurs reprises, il m’a promis le paie ment intégral du reste d’Eurêka. Une querelle est survenue, étrangère à l’argent. Bien que j’aie à me plaindre de ces gens-là, laissez-moi le temps de l’avertir de cette délégation. Si, par rancune, — il est si bête ! — il retirait sa parole et ne voulait payer qu’après impression, sachez que l’avant-dernière partie paraît dans les premiers jours de Mars, et la dernière, dans les premiers d’Avril.

Expédiez-moi vite, à moi ou à C, les 400 fr., qui se réduiront sans doute à 394.

J’écrirai demain à de Rode. Et puis vous signifierez la chose, si bon vous semble, autrement que par une lettre.

Je n’ai pas besoin de vous dire que je souffre de l’ennui que vous allez éprouver.

Quant à votre excellent conseil, il sera suivi.

P. S. — Je ferai cependant demain quelques efforts pour emporter le tout de chez Gélis, mais je n’y compte guère.


À CHAMPFLEURY

28 Février 1860.


… Si vous voyez Wagner avant moi, dites-lui que ce sera pour moi un grand bonheur de serrer la main d’un homme de génie, insulté par toute la populace des esprits frivoles…


A POULET-MALASSIS

29 Février 1860.

Mon cher,

Votre lettre de ce matin m’a causé une vive irritation.

On perd des feuillets, je supplie pour qu’on les cherche : pas de réponse. Je les recommence, je supplie pour qu’on me dise si le raccord est juste : pas de réponse.

Et toujours des tirages avant que les épreuves (renvoyées le jour même) soient arrivées à l’imprimerie !

C’est à avoir envie de faire le mouchard et de supplier le gouvernement, Notre Père, de supprimer ces gens-là !

Pour l’argent, autre bêtise : le compte de ce qui a paru est de soixante-trois pages, c’est à dire de quatre feuilles (600 fr.), plus une page.

Ce qui reste à publier (partie étant à Genève, et partie chez moi) fait quarante-cinq pages, environ. Donc, j’ai raison. J’ai trop l’habitude de ces choses-là, pour me tromper de plus que d’une somme insignifiante.

Donc, j’ai reçu 620 fr., et il a paru soixante-trois pages.

J’éprouve une telle irritation, à propos de tant de sottises, que je suis prêt à vous envoyer la fin du manuscrit, qui est là, devant moi. Vous ne le donnerez qu’en échange d’argent. Ils ont de quoi faire un numéro, s’ils ne veulent pas tout mettre d’un coup.

D’ici là ne bougez pas, n’écrivez pas.

Ainsi, nous commençons Les Paradis avec le commencement de Mars. Sérieusement, et de bonne foi, pouvons-nous composer cela en un mois ? Et Les Fleurs, en un mois ? Si, à la fin de Mars, je n’ai pas fait les trois dernières pièces restées à Honfleur et la préface, je les sacrifie. J’ai maintenant vingt-six pièces inédites, en comprenant les cinq derniers sonnets que je vous ai envoyés.

Vous m’appelez Philis, pour me faire comprendre que vous désespérez, à force d’espérer. J’irai flâner chez le monstre, je pousserai mes plaintes.


A POULET-MALASSIS

Vous avez raison. Strictement, la volonté n’est pas un organe. Et cependant j’aurais voulu, par cette violation du langage, faire comprendre quelque chose. Si je disais que c’est un fluide vous le supporteriez. Pourtant, je me range à votre avis : il ne faut pas taquiner les habitudes de l’esprit public. — De même, et pour la même raison, je me range à votre avis, relativement à : ce sont…, au lieu de : c’est des…, qui, quoique vous en disiez, est d’une langue plus pure (Pascal, Bossuet, La Bruyère, Balzac, Honoré de Balzac, etc., etc… Nous avons ainsi des habitudes idyosin-chrâsiques, comme dit Champfleury, qui nous poussent à parler autrement que ceux de notre siècle.

Je viens de chiper chez Michel La Raison d’État, Ferrari. Bien que la pétulance italienne, l’abondance d’improvisation amènent quelquefois un style lâché, bousculé, c’est généralement très beau. La préface surtout (il faut absolument que vous lisiez cela) est d’une certaine éloquence éthéréenne, fataliste, résignée, qui fait penser aux meilleurs morceaux de la plus pure beauté classique française. Le chapitre sur Machiavel, de qui cependant Ferrari se détache, est aussi très étonnant. En somme, c’est partout le génie qui pactise avec le Destin : Laisse-moi comprendre tes lois, et je te tiens quitte des vulgaires Jouissances de la vie, des vides consolations de l’erreur.

Je relis mes comptes, et je vous renvoie ce résumé qui servira à vérifier le vôtre. 10 Mai, 1.000. 1.000 ; chez Rousset, Hôtel de Dieppe, plus honnête que l’homme du quai Voltaire. — 400, rue des Beaux-Arts. — 20 Mai, 1.013. — 23 Mai, 820. Ainsi, nous commencerons par escompter un billet de vous chez Gélis, et puis un billet C ou D , à Alenron, pour subvenir aux 2.400 du 10 Mai.

Ainsi, il faut aller très vite pour Les Fleurs, au risque de jeter un livre en plein été. Je devrais partir tout de suite pour Honfleur. Je tiens à toucher d’abord un millier de francs. Je suis convaincu que ce 10 va venir. En mettant les choses au pire, je pars à la fin du mois, je sacrifie, s’il le faut, la préface et les trois morceaux commencés, et cette mise en ordre qui vous préoccupe tant sera l’affaire d’une heure.

Il est évident que, demain ou après demain, nous aurons réponse du S .

Le Bracquemond m’inquiète.

Bien à vous.

Je vous recommande bien cette épreuve. Vous verrez pourquoi.


A MADAME SABATIER

4 Mars 1860.

Si je vous dis que j’ai des chagrins énormes, que jamais je n’ai connu pareil orage, que j’ai besoin de solitude, vous ne me croirez pas. Mais, si je vous dis que j’ai le nez rond, gros, et rouge comme une pomme, et que, dans ces cas-là, je ne vais même pas voir les hommes (à plus forte raison, les femmes), je suis sûr que vous me croirez.

La grande difficulté était levée. Car j’ai rencontré Feydeau, qui n’a pas lâché une si belle occasion d’entendre parler et de parler de lui. Par bonheur, prévoyant ce cas, je m’étais préparé dans le silence. J’ai rassemblé toute mon audace, et je lui ai dit : Votre ouvrage est sublime, etc, mais, etc… Il m’a bien fait voir qu’auprès de lui les mais sont mal reçus. Savez-vous bien, je parle sincèrement, qu’il m’embarrasse plus que Victor Hugo lui-même, et que je serais moins troublé pour dire à Hugo : Vous êtes bête, que pour dire à Feydeau : Vous n’êtes pas toujours sublime ? — Et puis, le soir (ceci comptera dans mes malheurs), au milieu d’une foule où je me croyais bien en sûreté, un Juif, de votre connaissance, M. H ., s’est cramponné à moi et m’a tenu des discours d’atelier avec tant d’acharnement que j’ai cru que j’allais m’évanouir ou lui sauter dessus.

Vous voyez qu’avec vous j’aime la médisance. S’il est vrai qu’on doive toujours ménager ses complices, je voudrais vous dire trop de mal de tout le monde, afin de ne plus pouvoir me séparer de vous.

Je suis bien aise que vous ayez remarqué la phrase sur vos yeux. Le fait est qu’ils sont fort laids (quand ils le veulent).

Je crois sérieusement que je vais entrer dans des horizons plus gais, et que, cette nouvelle semaine, j’irai moi-même vous demander pardon d’avoir fait semblant de vous oublier. J’aurai sans doute l’album.

Tout à vous, de tout cœur.


A POULET-MALASSIS

9 Mars 1860.

Mon cher ami,

M. de Calonne me prie de faire renouveler le billet de 360 fr., qui incombe uniquement à lui, et n’était pas, comme celui de 500 fr., porté dans les frais à supporter par la caisse. Il y avait une nuance entre les deux billets. Il désire que je ne me serve pas de la maison Didot et Gélis, pour une raison que j’ai devinée être une petite raison d’orgueil.

Peut-il, appuyé par ma prière, compter sur cette complaisance de votre part ?

Ce nouveau billet serait, comme celui de 500 fr. (qui tombait le 5), revêtu des sacrements de l’Administration, et il serait naturellement représenté par un manuscrit de moi. (Entre nous, je crois que ce sera le dernier.)

Et Les Paradis ? Nous n’avons plus que neuf mois et demi, pour quatre volumes.

Tout à vous.


Vous me ferez sérieusement plaisir, parce que vous m’épargnerez ainsi des courses.

Je tourne ma lettre, pour vous demander, très sérieusement, s’il ne vous conviendrait pas d’être l’éditeur de l’album Méryon (qui sera augmenté) et dont je dois faire le texte. Vous savez que, malheureusement, ce texte ne sera pas selon mon coeur.

Je vous préviens que j’ai fait une ouverture à la maison Gide…

Ce Méryon ne sait pas se conduire ; il ne sait rien de la vie. Il ne sait pas vendre ; il ne sait pas trouver un éditeur. Son œuvre est très facilement vendable. A POULET-MALASSIS

13 Mars 1860.

Voici encore des vers. Nous en sommes maintenant à vingt-cinq pièces, sans compter trois morceaux commencés : Dorothée, idéal de la beauté noire ; La Femme sauvage, dédiée à une petite-maîresse, et Plutus, l’Amour et la Gloire ; enfin, une préface commencée ; tout cela resté à Honfleur. Comme je vous l’ai dit, il faudra absolument qu’à la fin de ce mois je retourne là-bas, au moins pour mettre le livre en ordre, et, si ces derniers morceaux ne sont pas finis, je les sacrifierai, mais avec regret. Je viens de relire ces vingt-cinq morceaux, je ne suis pas tout à fait content ; il y a toujours des lourdeurs et des violences de style. — À ce sujet, avez-vous reçu Obsession et Un fantôme ? Que pensez-vous des deux derniers tercets du premier sonnet d’Un fantôme ? J’ai tourné et retourné la chose de toutes les façons. Quand le spectre fut devenu tout à fait grand, je reconnue madame une telle, voilà qui est français, mais ceci :

A sa légère allure orientale (l’allure du spectre),

Quand il atteint sa totale grandeur,

Je reconnais ma belle visiteuse…?


li y aura toujours des cas embarrassants.

Je continue à douter que nous puissions faire deux volumes en six semaines. Il faudra que nous pensions, surtout pour Les Fleurs, à des affiches, des annonces et des réclames. Si vous me trouvez exigeant, et si vous avez peur du de Broise, j’y mettrai de mon argent. La nature tout à fait impopulaire de mon talent me défend de négliger les moyens grossiers : (citations, quelques jours avant la mise en vente ; affiches, annonces et réclames, pendant la vente).

J’ai donné, hier soir, le sonnet à Nadar ; il m’a dit qu’il n’y comprenait rien du tout, mais que cela tenait sans doute à l’écriture, et que des caractères d’imprimerie le rendraient plus clair. — Quant à la deuxième pièce, celle dédiée à Guys, elle n’a pas avec lui d’autre rapport positif et matériel que celui-ci : c’est que, comme le poète de la pièce, il se lève généralement à midi.


LE RÊVE DU CURIEUX

A M. Félix Nadar.

Connais-tu, comme moi, la douleur savoureuse ?

De toi, dit-on souvent : Quel homme singulier ?

……………….


LE RÊVE PARISIEN

A M. Constantin Guys.

De ce fastueux paysage

Tel que jamais mortel n’en vit,

……………….


Relativement à Méryon, entendez-vous par acheter des planches acheter des planches de métal, ou bien le droit d’en vendre indéfiniment des épreuves ? — Je conçois que vous craigniez les conversations avec Méryon. Vous devriez traiter l’affaire par lettres (20, rue Duperré). Je vous préviens que la grande peur de Méryon, c’est qu’un éditeur ne change le format, et le papier.

Quant à l’affaire Daumier-C , basse idée : nous verrons.

Quand recevrai-je des épreuves ?

Quand venez-vous à Paris ?

Et la  ?

Je n’ai reçu aucun avis de la poste.

Tout à vous.

Je présume que les ornements et le frontispice de M. Bracquemond sont finis. Êtes-vous content, et dois-je l’être ? — Duranty vient de m’apporter votre livre. Il me semble que je b volontiers toutes ces femmes-là. J’en suis très attendri.

Ce que vous me dites de Méryon ne change pas ce que je vous en écris.


À POULET-MALASSIS

Je suis très embarrassé, mon cher, pour vous répondre relativement à l’affaire Méryon. Je n’ai aucun droit là dedans, aucun ; M. Méryon a repoussé, avec une espèce d’horreur, l’idée d’un texte fait de douze petits poèmes ou sonnets ; il a refusé l’idée de méditations poétiques en prose. Pour ne pas l’aliliger, je lui ai promis de lui faire, moyennant trois exemplaires en bonnes épreuves, un texte en style de guide ou de manuel, non signé. — C’est donc avec lui seul que vous aurez à traiter. Il demeure 20, rue Duperré.

Si vous y tenez, je ferai un mensonge à C , et je lui dirai que je vous avais écrit à vous le premier.

La chose s’est présentée dans mon esprit, bien simplement. D’un côté : un fou infortuné, qui ne sait pas conduire ses affaires, et qui a fait un bel ouvrage ; de l’autre : vous, chez qui je désire voir le plus de bons livres possible. Comme disent les journahstes, j’ai considéré pour vous le plaisir double d’une bonne affaire et d’une bonne action.

Et, à ce sujet, pensez à Daumier ! à Daumier, libre et foutu à la porte du Charivari au milieu d’un mois, et n’ayant été payé que d’un demi-mois ! Daumier est libre et sans autre occupation que la peinture. Pensez à La Pharsale et à Aristophane. Il faut le remonter comme une pendule. Ces deux idées datent d’il y a quinze ans. Voilà une grande et bonne affaire.

Je m’engage solennellement à la plus stricte exactitude pour les épreuves des Paradis et des Fleurs. Mais vous ne serez pas prêt. Vous ne pourrez pas l’être. Six semaines ne sont pas assez, et vous savez que, pour rien au monde, je ne veux d’éditions ratées, soit au point de vue de l’élégance, soit à celui de la correction.

Voilà tout, pour aujourd’hui. Il faudra évidemment que je retourne à Honfleur, à la fin de ce mois, pour retrouver tous mes manuscrits, mais jamais je ne changerai de lieu sans vous avertir.

A P0ULET-MALASSIS

18 Avril 1860.

Je maintiens ce que je vous ai dit. Si, le 1er Mai, je n’ai pas fini la préface et les trois morceaux dont je vous ai parlé, je les sacrifie. Mais il faut, même au cas où je les sacrifierais, dès aujourd’hui, aller à Honjleur, car il me manque aussi, — sans compter Danse macabre, — Sonnet d’automne, Chant d’automne, Paysage parisien, D’après Mortimer et Duellum ; tous ces papiers sont si bien cachés que ma mère ne pourrait pas les trouver. Ensuite, je ne me soucie pas beaucoup d’ajouter à mes nombreux tourments actuels la correction des —preuves des Fleurs.

Pour tous les billets, c’est entendu. Je ne partiraipas sans avoir pourvu, par C et D , aux 2.400 du 10 Mai. Je vous répète qu’on peut se fier au maître de cet Hôtel, et la preuve, c’est que plusieurs personnes du Havre ou de Dieppe, qui ont demeuré chez lui, font des billets, payables chez lui. Rappelez-vous qu’il s’appelle Rousset. Il est évident que le plus raisonnable est de lui envoyer l’argent que la veille, mais nous oublions tous les deux que je passerai trois jours à Honfleur ; que je serai ici, à Paris, le 4 ; et que, très probablement, je ne retournerai à Honfleur que le II.

Tout à vous.

Je vous jure que tous vos sermons étaient bien inutiles. Je sens tous vos ennuis, non seulement par idyosin-chrâsie, mais aussi par corrélation d’intérêts.

A POULET-MALASSIS

22 Avril 1860.

Mon cher ami,

Je n’ai pas compris votre lettre, mais voici votre billet.

Je voulais, depuis quelques jours, vous parler du pharmacien. Vous me dites qu’il faut qu’il prenne tout de suite, en échange de son nom imprimé dans une note d’un tour scientifique, deux cents exemplaires. Ceci n’est pas de vous. C’est du de Broise. Je le reconnais, je trouve là cette large intelligence du commerce. J’attends, pour rédiger la note pharmaceutique avec le directeur de la maison Duveau, que vous m’ayez répondu. Trouvez-vous qu’il soit bien digne de vous et de votre maison de vous conduire ainsi ? Un pharmacien, avec qui j’ai de vieux et longs rapports, me dit : Si vous avez conservé la note qui nous concerne, nous vendrons des exemplaires de votre livre.Cette note, sottement et impudemment placée au bas d’une page, je l’ai effacée, et, si nous en mettons une, ce sera à la fin, et elle aura un caractère sérieux, où la réclame sera dissimulée. Je donnerai votre adresse au successeur de Duveau, après avoir rédigé la note que vous n’imprimerez (du moins, avec son nom) qu’après vous être entendu avec lui sur la remise, et je vous engage, pour votre honneur et pour le salut des belles manières, à lui permettre de s’approvisionner d’exemplaires, au fur et à mesure.

Un mot de mes épreuves. J’en reçois encore souvent qui n’ont pas été corrigées en première. Quand mon esprit n’est pas fatigué, il n’y a pas grand mal. Je crois qu’alors les choses importantes ne l’échappent pas. Mais hier, par exemple (il s’agit de la feuille que vous avez reçue ce matin), j’ai relu mon épreuve deux fois, et, avant de la mettre à la poste, j’ai trouvé des énormités que je n’avais pas vues le matin. A Alençon, que se passe-t-il, au reçu de mon épreuve ? Votre ouvrier exécute-t-il d’abord mes corrections, et votre travail a-t-il lieu sur une épreuve tout à fait nettoyée, avec l’épreuve corrigée par moi, à côté de vous ? Ou bien mêlez-vous vos corrections définitives avec les miennes sur cette épreuve déjà noircie par moi,et finalemement donnez-vous le tout à l’ouvrier, sans plus vous en occuper avant le tirage ? Vous me trouvez bien fatigant, n’est-ce pas ? Et cependant ce n’est que grâce à cet esprit minutieusement méthodique qu’on peut arriver à des résultats qui ne soient pas trop dégoûtants. — Il suffira que nous soyons tous deux très exacts pour aller vite (je parle des autres volumes). Il est inutile et même très dangereux d’économiser le temps aux dépens du soin.

Je suis décidément désolé de ne pas m’être adressé à Penguilly, pour Les Fleurs.

Histoire plus sérieuse que celle du pharmacien : vous savez qu’en Angleterre on s’est toujours beaucoup occupé de l’opium et récemment du haschisch. De plus, la moitié de mon volume est consacrée à un auteur anglais. Il faut faire une liste soignée des journaux et revues de Londres et d’Edimbourg qui rendent compte du mouvement de la librairie française. D’une manière absolue, je désire qu’aucun moyen régulier ne soit négligé pour la vente de mes quatre volumes : annonces, réclames, affiches, etc…

Ce Pincebourde ne sait même pas les rédiger. Et de Broise, au lieu de s’adresser aux directeurs, cherche à les faire passer au moyen des domestiques, etc., etc… Enfin, que Pincebourde, au moment de chaque publication, s’en aille, les feuilles en mains, offrir un fragment gratuit à trois ou quatre journaux.

Tout à vous. Ne m’en veuillez pas de mon esprit d’ordre.

Je ne vous envoie pas aujourd’hui le Ferrari, parce que je n’ai pas de quoi affranchir.

Si je n’affranchis pas cette lettre, c’est exprès, par prudence, à cause du billet. Après que le garçon de l’Hôtel a mis ma lettre à la poste, il m’a pris une envie de relire encore, et bien m’en a pris : j’ai enlevé un contre-sens. M’avez-vous attendu ?…

A POULET-MALASSIS

27 Avril 1860.

Mon cher ami,

Il est inutile que je vous renvoie votre épreuve, aujourd’hui. Je suis en train de piocher dur la note biographique, relative à de Quincey. J’ai les documents sous les yeux, et ils ne me viennent pas de Sasonoff.

Guys ne m’a pas répondu, mais j’ai fait la liste des journaux avec un libraire anglais. Mon pharmacien ne m’a pas envoyé sa note ; je lui ai envoyé des notes, le priant de fondre ses idées avec les miennes. S’il ne répond pas demain, je me passe de lui, ou je ne mets rien.

Envoyez-moi toujours la douzième et la treizième. Dussè-je donner les trois bons à tirer ensemble.

Je penserai aux billets, et j’irai à Honfleur remuer mes paperasses.

A POULET-MALASSIS

1er  Mai 1860.

Vous êtes content : voilà trois feuilles, dont les deux notes, et la couverture. Je donne le bon à tirer de la onzième, malgré l’augmentation de la note. Le pharmacien désire relire la note finale avec moi, dans la crainte de quelque étourderie de ma part.

De quand, et à quand, dater les billets ? D vient ici, après-demain, à 8 h. Je crains quelque sotte résistance de C  ; cependant, je n’ai aucune raison positive pour y croire.

Un mot, s’il vous plaît.

Et les cartons ?

A POULET-MALASSIS

3 Mai 1860.

Maintenant, je ne blague pas. Une terreur me prend, relativement à la note pharmaceutique de la fin. Réfléchissez-y bien. Il suffit de la malveillance d’un méchant bougre, dans quelque sale journal, pour nous créer un embarras.

Je pense à la tireuse de cartes, qui m’avait prédit que j’allais rencontrer une fille très grande, très mince, très brune, âgée de . Or, je l’ai rencontrée.

Vous connaissez son autre prédiction.

Il est encore temps. La dédicace, c’est J. G. F.

Préparez donc C à ma visite.


A POULET-MALASSIS

Mon cher,

Voici le billet D  ; j’espère que vous avez écrit aujourd’hui un mot à C que j’irai voir demain.

Ne vous moquez pas de moi, à cause de mes histoires de tireuse de cartes. Qu’y aurait-il d’étonnant dans ce fait qu’un agent trop zélé trouvât immoral qu’à la suite d’un livre sur l’opium et le haschisch on indiquât les différentes préparations des substances, et les différents avantages ou incommodités attachés à chacune d’elles ?

Faites bien attention à toutes mes notes marginales, et, pendant que vous ferez le tirage des deux avant-dernières feuilles, envoyez-moi une épreuve de la dernière, quand même nous supprimerions l’affaire Duveau.

Tout à vous.

Ouf ! nous allons maintenant piquer une tête us Les Fleurs.

J’ai là une affaire effroyable avec Calonne.

J’ai cru à une querelle positive.

Me croyez-vous obligé de me battre pour mes vers ?

Je crois que cela s’endormira.

Soignez bien la note de Quincey, et dites-moi si elle vous déplaît.

A POULET-MALASSIS

Mon cher ami,

Je suis désolé de ne pas voir ma note nécrologique, qui est on somme assez compliquée, et ma dernière feuille, d’où je suis heureux de voir retrancher la noie technique, mais que j’ai lue à la légère.

Certainement, vous aviez réservé le tirage de vos trois feuilles, ou au moins de deux, pour demain samedi. Dimanche est une journée perdue pour l’imprimerie. Si je les recevais dimanche, vous les auriez lundi. Sans remaniements.

Si la feuille de la note nécrologique est tirée, envoyez-la-moi tout de même, avec la dernière feuille. Il y avait là un J. G. T., au lieu d’un J. G. F., qui m’a fait craindre la même faute, en tête de la dédicace.

J’ai une note de journaux anglais.

A combien tirez-vous, et combien d’exemplaires de mains de passe ? J’espère que vous n’attribuerez pas un sens impertinent à ma question. Cela veut dire : combien, au maximum, sans rien détourner du tirage régulier, sacrifions-nous d’exemplaires pour les journaux, mes amis et les vôtres ?

Comment faire pour que Pincebourde soigne bien cette distribution et pense à tous les journaux où on peut glisser une réclame ? Peut-être une citation ?

Si je ne peux pas recevoir, dimanche, ce que je vous demande, jurez-moi que vous avez absolument bien corrigé la note de Quincey et que vous n’avez pas trouvé de propres bêtises de style dans la dernière feuille.

Vous avez vu que cette note vous amènera quel ques désagréments de Pontmartin et des journaux anglais.

La poste vaut mieux que M. A M .

C me fait observer qu’il sera absent de Paris, le 1er Août. Vous feriez bien de vous souvenir que l’argent ne doit pas être remis au concierge, sans explication et sans reçu.

Tout à vous.

Réponse.

10 Mai. — 1.000. 1.000. A M. Rousset, maître de l’Hôtel de Dieppe, rue d’Amsterdam.

10 Mai. — 400. Chez Malassis, à Paris.

C se plaint toujours de vos promesses non exécutées, relativement à Emaux et Camées.

1. — Note biographique.

2. — Dernière feuille.

3. — Combien d’exemplaires pour les journaux ?

4. — Combien pour mes amis ?

5. — Sinon, avez-vous bien corrigé ?

6. — Recommandations à Pincebourde.

A PAUL DE MOLÈNES

Samedi, 12 Mai 1860.

Cher ami,

Je vous adresse un poète qui veut être lancier, c’est à dire que ce poète, contraint par le hasard de devenir soldat, veut être lancier, pour être près de vous. C’est un homme d’un grand talent, plein de gaieté et de résignation.

Il serait plaisant que, tout en restant homme de lettres, il devînt soldat pour de bon, mais ces choses sont des mystères. Pour ne parler que du présent, je me suis souvenu que vous aviez autant de bonté que d’esprit, et je vous recommande de tout mon coeur M. Albert Glatigny. Ainsi, il n’aura pas même le plaisir de triturer lui-meme son livre, car l’infortuné avait un livre sous presse.

J’ai lu votre Sébastopol ; c’est vraiment grand et toujours délicat.

J’ai un bouquin nouveau à vous envoyer, mais le brocheur n’en finit pas. Prochainement, j’en publierai un autre où il sera question de vous, mais soyez tranquille, vous serez en bonne compagnie.

Je suis encore à Paris pour quelques jours, Hôtel de Dieppe, rue d’Amsterdam ; si vous m’écriviez, et si j’étais parti, le maître de l’Hôtel me renverrait votre lettre à Honfleur (Calvados), chez ma mère, Madame Aupick.

Mes livres vont se succéder rapidement ; je serai donc libre, dans peu de temps, de m’adonner au nouveau, et j’aurai à vous reparler du Marquis du 1er Houzards.

Je vous recommande bien mon poète, qui a attrapé le numéro 4, et que vous verrez dans une huitaine de jours, à moins qu’on ne le juge impotent, mais il me paraît dans des conditions tout à fait contraires.

Adieu ! Souvenez-vous que je vous aime depuis plus longtemps que vous ne croyez, et présentez mes très respectueux souvenirs à Madame de Molènes.

A POULET-MALASSIS

18 Mai 1860.

Cher ami,

Vous pouvez dormir ; l’escompte a été rude : 22, sans compter les courses. Car le billet avait été refusé deux fois, à cause du onze, et puis je suis allé, comme un imbécile, me casser le nez, le jour de l’Ascension.

Pour que je puisse acheter des exemplaires sur fil, il faut qu’il y en ait. Où sont-ils ?

Et moi qui attendais cela, au moins pour Grandguillot (chose grave). J’irai chercher Les Fleurs, après l’affaire D , lequel demeure maintenant rue de Boulogne.

Il faudra désormais, mon cher ami, que vous fassiez comme tous les éditeurs : 1.000 veut dire 1.100 ; — 1.500 veut dire 1.650. — Il ne faut pas perdre d’argent par les cadeaux forcés. Et le surplus, autorisé par tous les usages, doit être entièrement consacré aux obligations inévitables. Cependant, quand le tirage est de 6.000 (6.600), je n’ai pas la prétention de donner 600 exemplaires.

Selon moi, vous auriez dû prévoir le cas, et, en faisant comme tout le monde, vous auriez évité de m’imposer une économie embarrassante.

Je vous remercie de tout mon cœur pour le chine, mais cela implique-t-il que je n’aurai pas de hollade ? Je tacherai de le garder.

Je me résigne au malheur de Saint-Victor, de Gaiffe et de du Camp. Mais Janin, et surtout Grandguillot ! A bientôt.

Tout à vous.


A P0ULET-MALASSIS

Mon cher ami,

D’après la lettre de Pincebourde que je vous transmets, vous verrez que votre cadeau, malgré la promesse de Pincebourde, se réduit à néant.

Le compte qu’il m’a fait, et que j’essaie de transcrire, ne doit pas être exact, car j’y porte Piogey qui a son chine et je ne comprends pas bien : le Monsieur du Mans, — A fortiori, j’ai raison.

Je viens de rencontrer C qui n’en veut pas acheter. Il m’a même dit cela dans un style qui m’a beaucoup diverti. Un, de plus. Pincebourde devait donc m’envoyer deux exemplaires, sans compter celui de C , et vous voyez sa lettre.

Vous comprenez, cher ami, que je suis incapable de vouloir exciter votre mauvaise humeur contre votre employé, mais enfin il faut bien que je tire quelque chose de votre promesse. Que la lettre de Pincebourde soit inconvenante pour moi, c’est peu important. Ce qui est important, c’est que je sois agréable aux gens à qui j’ai des services à demander.

Tirez-moi de là, si vous pouvez.

J’ai un petit trafic à vous proposer, qui vous ira peut-être. En échange de l’exemplaire de Feydeau, chargé de notes, et que je viens de lui chiper, en lui en promettant un exemplaire neuf, pouvez-vous m’offrir des exemplaires vulgaires ? Vous fixerez vous-même le chiffre. Vous voyez que je bats monnaie, par tous les moyens.

Les corrections et réflexions de Feydeau sont horriblement nombreuses et très amusantes. Je dois avouer qu’il y en a quelques-unes utiles, et je vais les transcrire sur mon exemplaire.

Je travaille aux Fleurs du Mal. Dans très peu de jours, vous aurez votre paquet, et le dernier morceau ou épilogue, adressé à la ville de Paris, vous étonnera vous-même, si toutefois je le mène à bonne fin (en tercets ronflants).

Bien à vous.


Vous comprenez dans quel but je vous transmets les pièces du procès.

N’allez pas dire que je suis un mauvais coucheur, et me gronder, au profit de Pincebourde.

J’ai reçu de vous : 19 exemplaires vulgaires. — 2 sur fil. — 2, sur chine. — 1, que j’ai pris à Pincebourde. = 24.

Et la  ?

J’ai, à moi seul, fait faire une annonce dans près de trois cents journaux. Toutes ont-elles passé ? Je n’en sais rien. Je sais qu’elles sont parties du Ministère ; moi, je ne le puis pas.

M. de Lescure se dit émerveillé du livre. Je crois que d’Aurevilly est content, mais il a écrit tant de bêtises à propos de Pommier et d’Aubryet qu’on s’est moqué de lui et il n’ose plus parler de la jeune école. Ce terme n’est pas de moi.

Après le 20, je serai très affligé, ou très joyeux. Je sens que cette année je force mon va-tout.

Tout à vous.

Nous conviendrons donc, prochainement, de toutes nos affaires.

L’affaire Poe se fera, avec grand luxe, mais que les griffes de Michel sont tenaces !

Le Wagner s’augmente tant que je serai obligé de le détacher du volume des Contemporains.

A POULET-MALASSIS

Octave de l’Ascension, 20 Mai 1860.

Mon cher,

J’ai reçu les 400 fr.

Je vous remercie beaucoup pour les exemplaires sur fil. Je n’y comprends rien, mais cela m’est égal. Cependant, je vous dirai que je ne suis pas sans inquiétude, et qu’il me semble qu’il va m’arriver encore des malheurs ; malgré vos ordres, je vais avertir Asselineau.

Nous aurons à parler d’une très grosse affaire. J’ai pensé à une association possible, entre vous, Bourdilliat et Bouju, pour une édition d’Edgar Poe, à 80 fr. l’exemplaire. J’ai, une fois, arraché à Michel Lévy la promesse (malheureusement verbale) de me laisser faire, chez n’importe qui, une édition d’Edgar Poe, plus chère que la sienne, à la condition de l’abandon de la moitié de mes droits d’auteur. Sous le joug, j’accepterais cette étrange condition, uniquement pour sauver mon livre de l’oubli.

Mais nous avons longuement le temps d’y penser. — Le jour où j’irai voir ma mère, je vous avertirai.

Il faut que je vous dise que M. Pincebourde manque totalement d’intelligence pour la distribution et le langage d’un livre. Croyez que je suis tout à fait sans mauvaise humeur, mais j’ai une idée fixe : c’est que toute librairie qui ne fait pas vendre plusieurs milliers d’un mauvais livre est coupable. — Vous lancez un livre contre Calonne. Est-ce que vous n’avez pas peur pour moi ? J’ai failli avoir avec lui un duel (sans blague) pour mes derniers vers ; jugez de sa rancune. Or, de plus, s’il y a dix-huit mois écoulés depuis Le Haschich, il n’y en a que cinq, depuis L’0pium. Et je ne suis plus son ami,

A GUSTAVE FLAUBERT

26 Juin 1860.

Mon cher Flaubert,

Je vous remercie bien vivement de votre excellente lettre. J’ai été frappé de votre observation, et, étant descendu très sévèrement dans le souvenir de mes rêveries, je me suis aperçu que, de tout temps, j’ai été obsédé par l’impossibilité de me rendre compte de certaines actions ou pensées soudaines de l’homme, sans l’hypothèse de l’intervention d’une force méchante, extérieure à lui. Voilà un gros aveu dont tout le XIXème siècle conjuré ne me fera pas rougir. Remarquez bien que je ne renonce pas au plaisir de changer d’idée ou de me contredire.

Un de ces jours, si vous le permettez, en allant à Honfleur, je m’arrêterai à Rouen, mais, comme je présume que vous êtes semblable à moi, et que vous haïssez les surprises, je vous préviendrai quelque temps d’avance.

Vous me dites que je travaille beaucoup. Est-ce une cruelle moquerie ? Bien des gens, sans me compter, trouvent que je ne fais pas grand chose.

Travailler, c’est travailler sans cesse, c’est n’avoir plus de sens, plus de rêverie, et c’est être une pure volonté, toujours en mouvement. J’y arriverai peut-être.

Tout à vous. Votre ami bien dévoué.

J’ai toujours rêvé de lire (en entier) La Tentation et un autre livre singulier, dont vous n’avez publié aucun fragment (’Novembre). Et comment va Carthage ? A POULET-MALASSIS

Je n’ai pas le double de cette préface. Selon votre avis, je la perfectionnerai ou je la supprimerai.

Voici l’état des Fleurs du Mal. Si les cinq morceaux en tête ne sont pas finis le 15 Août, nous imprimerons.

Le 15, pour de bon, je serai à Alençon.

Votre adresse à Granville ? c’est important, Je ne bougerai pas de mon côté, sans vous avertir.

Dans quelques jours, il n’y aura plus d’hôtel garni dans ma vie. J’ai loué un petit appartement où j’ai fait transporter mes débris, et je serai tantôt là, tantôt chez ma mère.

Dans la difficulté de me procurer des exemplaires du Paradis, j’ai vendu le livre à Feydeau, qui ailleurs est en Afrique, mais il y aura moyen de le ravoir.

Je ne sais à qui Christophe a prêté Ferrari.

J’ai vu M. de Lescure.Il m’a parlé de votre commandite. Expliquez-moi, si vous croyez que je puisse vous être utile.

Tout à vous.

Ecrivez-moi, de Granville. Je ne bougerai pas, avant le 12 ou le 13.

Serrez tous les petits papiers.

A SAINTE-BEUVE

Cher ami.

Par précaution, je vous écris d’avance, tant j’ai le pressentiment que je n’aurai pas le plaisir de vous trouver.

J’écris récemment à M. Dalloz une lettre ainsi conçue, à peu près :

Rendez donc compte des Paradis artificiels ! Je connais, au Moniteur, MM, un tel, un tel, etc…

Réponse de Dalloz :

Le livre est digne de Sainte-Beuve. (Ce n’est pas moi qui parle). Faites une visite à M. Sainte-Beuve, à ce sujet.

Je n’aurais pas osé y penser. De nombreuses raisons, dont je devine une partie, vous en éloignent peut-être, et peut-être aussi le livre ne vous plaît pas.

Cependant, j’ai, plus que jamais, besoin d’être soutenu, et je devais vous rendre compte de mon embarras.

Tout ce qui a été dit sur cet essai n’a pas, absolument pas, le sens commun.

P. S. — Il y a peu de jours, mais alors par pur besoin de vous voir, comme Antée avait besoin de la Terre, je suis allé rue Montparnasse. En route, je passai devant une boutique de pain d’épices, et l’idée fixe me prit que vous deviez aimer le pain d’épices. Notez que rien n’est meilleur dans le vin, au dessert, et je sentais que j’allais tomber chez vous, au moment du dîner.

J’espère bien que vous n’aurez pas pris le morceau de pain d’épices, incrusté d’angélique, pour une plaisanterie de polisson, et que vous l’aurez mangé avec simplicité.

Si vous partagez mon goût, vous recommande, quand vous en trouverez, le pain d’épices anglais très épais, très noir, tellement serré qu’il n’a pas de trous, ni de pores, très chargé d’anis et de gingembre. On le coupe en tranches aussi minces que le roastbeef, et on peut étaler dessus du beurre, ou des confitures.

Tout à vous. Aimez-moi bien… Je suis dans une grande crise.

A POULET-MALASSIS

12 Juillet 1860.

Mon cher ami.

Il y a eu un nouvel article dans je ne sais quel journal de librairie appartenant à Hachette. Je ne l’ai pas lu. Autre article, dans la Revue européenne, curieux. On y lit que : Malgré toutes les belles protestations de morale, il est douteux que la santé intellectuelle de M, Baudelaire se soit améliorée. Ce matin, a paru dans Les Débats le troisième article de Deschanel. Toujours la même chose, des coups de ciseaux, et pas de guillemets, c’est commode. — Je suis parvenu à acheter quelques exemplaires de mon bouquin, à la Librairie Nouvelle, mais figurez-vous, mon cher, qu’il n’y en avait pas. Il y a quelques jours, un journal ayant besoin d’un exemplaire l’envoya chercher à la Librairie Nouvelle ; il n’y en avait pas. En réalité, ce livre n’a été exposé nulle part et déposé que dans trois ou quatre endroits peut-être. Je vous demande bien pardon de vous répéter toujours la même chose. Mais si vous saviez la peine que vous me faites ! Je pense non seulement à mes intérêts, mais aussi à votre fortune. Il y deux jours, L , voulant l’acheter, alla chez Caste ; il n’y en lavait pas.

En revanche, l’infâme Revue internationale cosmopolite, fondée à Genève, le 1er Août 1859, est partout, partout, partout. Je ne serais pas étonné qu’elle finît par avoir du succès, surtout quand elle dit : A cela, que répond Bossuet ? des bêtises ! des bêtises ! ou bien : De Ouincey fut un homme universel, et en somme pas grand’chose ! S’il avait voulu profiter de ses relations de famille, il aurait pu se faire une position honorable dans le commerce.

Ecrivez donc, comme je vous en ai prié, un petit mot à de V .

Je reviens à mes affaires. Le miracle du 20 n’est pas accompli. Il s’agit de théâtre, mais je suis convaincu qu’il aura lieu. Je vous jure que c’est la dernière fois que je profite de votre indulgence et que je laisse arriver l’échéance de cette insupportable dette sans vous alléger.

Je pars le 16 ou le 17, ayant fait beaucoup de choses, ayant arrangé mes affaires avec Le Constitutionnel, qui s’est vraiment fort bien conduit ; j’ai livré passablement de matières, et j’ai reçu 1.000 fr. Je recevrai encore quelque chose, au moment de mon départ, et je travaillerai au Wagner et à mon drame, chez ma mère. Je vais faire une série de petits séjours en province : chez mon frère [qui vient d’être frappé de paralysie ; la Providence aurait mieux fait de guérir une autre personne qui m’intéresse davantage), chez Flaubert qui m’appelle à grands cris, chez ma mère, et chez vous ; puis, retour à Honfleur. Il est évident que si je peux être à temps chez vous, c’est à dire deux ou trois jours avant votre départ, je vous montrerai toutes les pièces que vous ne connaissez pas, et la préface (vingt lignes d’un majestueux dédain).

1er Août. 1.600 (payables chez qui ?). — 1.500 (payables chez qui ?). — i.oio (chez Pincebourde).

Voilà les deux billets demandés. Mais l’escompte fera que vous n’aurez pas assez, pour vos 2.510. C’est donc moi qui aurai à vous envoyer un surplus, sur mes 1.800. Je préfère me charger de l’affaire C (qui d’ailleurs tremble toujours), et il vaut mieux que je dépose L’argent chez lui que chez mon maître d’Hôtel ou chez mon avoué, qui pourraient l’un et l’autre commettre un oubli au dernier moment. Vous, chargez-vous de D et de Pincebourde.

Maintenant, croyez-vous que les 1.500 et les 1.800 suffisent à tout ? Et dites-moi, aussitôt que vous aurez escompté, combien il vous manque. Aussitôt que j’aurai escompté, je vous dirai combien j’ai entre les mains. — Vous n’avez, n’est-ce pas, qu’un seul billet (1.010) chez Didot et Gélis ? C’est important.

Maintenant, adieu. Je désire bien vivement pas ser quelques heures avec vous. Le genre humain n’aime puis la conversation. Que je réussisse ou que je ne réussisse pas à vous voir avant votre fuite, sans faute, n’est-ce pas ? nous commencerons Les Fleurs, le 15 Août, et nous ferons tout en six semaines.

A JOSEPHIN SOULARY

12 Juillet 1860.

Mon cher Soulary,

J’ai bien des torts vis à vis de vous, mais tous les grands poètes sont de bons enfants, et je suis sûr qu’en vous-même vous m’avez excusé. La vie est si pleine de contre-temps ! J’ai lu vos charmants vers, et j’ai admiré, dans le plan de votre poème, votre esprit d’ordre (indispensable au vrai poète) et votre sentiment profond de l’allégorie.

Permettez-moi de vous traiter en vieil ami et de vous donner deux commissions :

1, — Présentez mes profondes amitiés à M. Armand Fraisse, et tourmentez-le un peu pour qu’il me fasse l’honneur d’un compte rendu des Paradis.

2. — Informez-vous combien M. Perrin fait payer sa feuille (gr. in-8o) et combien il faudrait de temps pour imprimer huit cents pages. On me dit qu’il me fera souffrir le martyre, si je me mets entre ses mains.

Votre bien affectionné.

J’ai oublié votre adresse.

A MONSIEUR ALFRED GUICHON

13 Juillet 1860.

Monsieur,

Me dire qu’on aime si bien Edgar Poe, c’est adresser la plus douce des flatteries, puisque st me dire qu’on me ressemble. Je vous réponds donc avec empressement.

Je crois que vous avez eu tort d’acheter les morceaux en question. Je prépare, depuis longtemps, une belle édition dans laquelle je ne mettrai pas le livre de philosophie Eurêka, lequel doit paraître dans la collection Lévy, à 3 fr., et, dans cette édition, je mettrai les morceaux inédits. D’ailleurs, je vous avais averti qu’ils étaient fort mal imprimés, particulièrement L’Ange du Bizarre, où non seulement l’orthographe figurative, volontairement absurde, n’a pas été suivie, mais encore où ont été sautés des lignes entières et des mots, ce qui rend les phrases inintelligibles. Il y a aussi des fautes dans La Genèse d’un Poème.

Si je réussis, comme j’ai tout lieu de l’espérer, à monter cette affaire, nous nous y mettrons l’hiver prochain ; cela fera probablement un grand in-8o, de 800 pages.

Il y aura deux portraits, l’un, qui est en tête de l’édition posthume des œuvres de Poe (chez Redfield, New-York), reproduction d’une peinture qui était chez Grisevold ; ce Grisevold est l’auteur américain chargé de mettre en ordre les papiers de Poe, et qui non seulement s’est si mal acquitté de sa tâche, mais encore a diffamé son ami défunt en tête de rédition ; — l’autre, qui orne l’édition gr. in-8o illustrée des poésies, édition de Londres. Mes collections ne sont pas à Paris, je ne me souviens plus du nom de l’éditeur.

Il y a d’autres éditions et aussi d’autres portraits, mais ils ne sont jamais que la reproduction plus ou moins altérée de ces deux portraits types.

Si je réussis à faire mon entreprise, je les ferai reproduire avec un soin parfait. L’un (édition américaine) représente Poe avec la physionomie connue du gentleman : pas de moustaches, des favoris, le col de la chemise relevé. Une prodigieuse distinction. — L’autre (édition des poésies, de Londres) est fait d’après une épreuve daguerrienne. Ici, il est à la française : moustaches, pas de favoris, col rabattu. — Dans les deux, un front énorme en largeur comme en hauteur ; l’air très pensif, avec une bouche souriante. Malgré l’immense force masculine du haut de la tête, c’est en somme une figure très féminine. Les yeux sont vastes, très beaux et très rêveurs. — Je crois qu’il sera utile de donner les deux.

Veuillez agréer. Monsieur, l’assurance de mes sentiments les plus distingués.

A POULET-MALASSIS

14 Juillet 1860, 10 h. du matin.

Mon cher ami,

J’irai, lundi, chez Didot-Gélis, et j’écris à D , bien que je ne comprenne pas notre nouveau plan. De plus, je remarque que vous désirez que je subvienne à tous les escomptes, ce qui me paraît difficile, ayant tant de petites choses à payer, avant de partir (définitivement, le 21).

1.120 (Malassis.) Escompte, à peu près. 25
1.500 \
1.000 /
(Baudelaire) — — 55
1.640 (D.) — — 40
---- ---
5.260 120

120 fr. d’escompte, à peu près.

Ces quatre billets font 5.260, et nous n’avons à payer que 4.220 fr. : 1.600 — 1.500 — 1.120 = 4.220.

Remarquez bien que j’ai trois volumes à vous livrer, dont le premier vous sera très prochainement livré, et que j’ai bien le droit de me décharger des escomptes sur un avenir très prochain.

J’ai tâché de trouver la raison de ce changement, dans un ancien billet de moi, escompté au Mans par un de mes amis. Renseignez-moi sur le chiffre exact, et sur l’échéance. Songez quel malheur, si cela arrivait à l’Hôtel, pendant mon absence et la vôtre, le maître de l’Hôtel n’ayant pas de fonds à moi, et le billet retournant chez de Broise.

Je veux bien accepter vos compliments (qui d’ailleurs ne me consolent pas) sur le caractère aristocratique de mes œuvres, mais je veux que la foule me paie ; il m’importe peu qu’elle comprenne.

Rendez-moi un grand service. Ma mère est grande liseuse de morale. Je lui ai promis les Lettres et les Pensées de Joubert, et je ne peux pas les trouver à Paris, ni chez Lagrange, nichez Didier ; vous m’avez dit que vous les aviez.

J’espère que nous arrangerons ensemble Les Fleurs, dans les deux derniers jours du mois, à moins que je ne commence mes voyages par vous. En tout cas, si je manque d’exactitude, je veux votre adresse à Granville. De votre côté, souvenez- vous que toute lettre adressée à Madame Aupick, ou rue d’Amsterdam, m’arrivera.

Pourquoi diable m’envoyer, à moi, les 1.500 fr. de C  ? Peut-être craignez-vous qu’il ne soit pas à Paris, auquel cas je voudrais bien que son concierge ne les reçût que la veille. Ce concierge est bête.

J’ai fait trois essais de préface. Nous verrons cela ensemble.

Mon squelette m’inquiète, et même les fleurs. Je veux que tout le squelette soit clairement visible.

Ecrivez-moi vite. — Vous vous trompez, en me croyant gai. Je suis en colère, mais J’espère.


A POULET-MALASSIS
Samedi, 21 Juillet 1860.


Mon cher ami,

Je serai chez vous, dimanche, 29. Je lis, dans une de vos lettres, que vous partirez peut-être dimanche, 29. Quant à moi, je ne puis pas vous aller voir plus tôt. Il me semble que, puisque nous nous voyons si rarement, vous pouvez bien, pour me plaire, remettre votre départ au 31. — Nous causerons des Fleurs et de tout le reste, et je répondrai à toutes vos inquiétudes. J’ai parmi mes convictions l’idée que tout finira bien cet hiver, par une explosion d’habileté de ma part.

Je me chargerai, en même temps, de rapporter à Duranty ses 1.500 fr., puisque je serai à Paris le 31.

Son livre est très remarquable. J’ai été stupéfié. Quel besoin avait-il du patron Champfleury, dans ses affaires ?

Tout à vous.


A THÉOPHILE GAUTIER
Mon cher Théophile,

M. Duranty te demandera probablement une petite comédie quelconque, pour marionnettes. Tu seras ce que tu es, quand tu sens qu’il faut l’être, c’est à dire le plus charmant des hommes.

Souviens-toi que tu ne peux pas lui faire de plus grand plaisir que de lire son Malheur d’Henriette Gérard. Cela mérite d’être lu par toi. Je n’ai pas autre chose à te dire.

Ton bien dévoué ami.


A POULET-MALASSIS
Dimanche, 12 Août 1860.
Mon cher ami,

Faites en sorte que j’aie votre réponse, le 14, au malin. Voici un article d’Armand Fraisse, qui vous intéressera. — Il en a paru un, au Moniteur, de Gustave Claudin. — Pincebourde prétend que le livre va très bien. — Qu’est-ce que le très bien de Pincebourde ?

Avez-vous perdu ou conservé la préface des Fleurs ? Je n’en ai pas le double. Nous serons obligés de renoncer à la publication des pages inachevées. J’ai hâte de paraître. Total des morceaux inédits : 32, dont nous avons la liste.

Je vais chez ma mère, le 15. Vous recevrez, par la poste, toutes les indications nécessaires pour commencer. Puis, j’irai à Alençon. Mais, pour que je puisse aller à Honfleur immédiatement, il me faut de l’argent.

Voici ma situation, au Constitutionnel. J’ai reçu de l’argent, et je ne dois plus rien. Guys (trois articles, qui sont livrés) a tout remboursé.

On m’avait dit que pourvu que je remboursasse, au fur et à mesure, les avances, je pourrais toujours compter sur une nouvelle avance. Il suit de là que, strictement, je suis en droit de demander de l’argent, Mais je n’ose pas m’y fier. M. Grandguillot est un homme charmant, mais qui oublie les rendez-vous. La dernière fois, j’ai perdu quatre jours, pour avoir un entretien avec lui, et je n’ai que deux jours pour préparer mon départ. Enfin, j’ai poussé la précaution, pour parer à son étourderie, jusqu’à faire mon manuscrit en double.

Il m’a dit, quand j’ai accepté son argent, actuellement remboursé, et que je lui ai demandé comment nous compterions plus tard, que je n’avais pas à m’inquiéter de cela, et qu’on me traiterait, comme avait été traité Sainte-Beuve. Je suis allé voir celui-ci. Réponse : Sainte-Beuve a reçu, pendant un an, 150 fr. par article, long ou court, soit 600 fr. par mois, et, pendant quatre ans, 200 fr. par article, soit 800 fr. par mois. Mais c’est trop beau, et je ne crois guère à la loyauté des journaux. En mettant les choses au plus bas prix, Granguillot est remboursé.

Je voudrais 500 fr., pour le 15. Un billet à un mois, si toutefois vous le voulez bien ;… pas de délégation. Personne ne sait encore que je travaille pour Le Constitutionnel. Et d’ailleurs nous prendrons l’argent d’avance. Avant de quitter Paris, je dirai simplement à Grandguillot : Monsieur, l’ar gent du second article appartient à M. Malassis : j’ai voulu éviter de vous emprunter de nouveau. J’étais pressé.

J’aurais bien accepté un traité régulier, mais comme j’ai l’idée fixe, après les Variétés qui complèteront vos deux volumes de critique, de tourner mon esprit vers un autre genre, je ne voulais pas m’engager pour une éternité de Variétés.

Je recevrai peut-être un refus de vous, et, franchement, je dois m’y attendre. Ne prenez pas de mitaines ; vous savez que rien n’altérera jamais mon amitié pour vous.

Pour le 15 Octobre, je ferai un grand effort. Jusqu’à présent, mon intention est de vous donner, à cette époque, la moitié de la somme que je suis sûr de pouvoir tirer par Hostein. Cette somme ne peut être que considérable. — Enfin, j’ai lieu de croire que, vers la fin de l’hiver, ma mère et moi, nous paierons toutes mes dettes. Du moins, je lui ai ouvert un moyen, et, sans la tourmenter, je pousserai activement son esprit vers cette idée.

Détournez vos yeux de votre idée fixe de de Calonne. J’ai d’autres moyens. D’ailleurs, vous savez bien que je désire le quitter.

Comment vous portez-vous ? Je viens, quant à moi, de traverser une période d’atonie : plus d’appétit, plus de sommeil, plus de travail ; pourquoi ? je n’en sais rien. Je suis guéri, et je travaille très vivement ; pourquoi ? je n’en sais rien.

Pincebourde dit qu’il va mettre 200 Paradis dans les gares de chemins de fer. Qu’est-ce que cela veut dire ?

Souvenez-vous donc que, quand je vous demande un conseil littéraire, c’est très sérieux, et non pas par gentillesse de modestie.

Tout à vous. A bientôt.


A POULET-MALASSIS

16 Août 1860.

On prétend, mon cher, que les lettres ne se perdent pas. Votre mot de ce matin me prouve qu’à Granville on ne vous a pas remis ma lettre, partie le 12, de Paris, ni un article d’Armand Fraisse, coupé dans Le Salut public : les deux, affranchis par moi, et déposés par moi dans la boîte de la rue de Londres (grand bureau). Le 14, j’attendais votre réponse, avec une très grande impatience. Car je voulais être à Honfleur, le 15, arranger mon volume (que je ne puis pas arranger à Paris), et être chez vous, le 18 ou le 19.

Veuillez, je vous en prie, réclamer à Granville et à Paris. Il y avait beaucoup de choses dans cette lettre, mais particulièrement une demande d’argent, d’autant plus facile à satisfaire maintenant qu’elle est fort diminuée.

Quand j’ai vu que je ne recevais aucune réponse de vous, je vous ai cru absent de Granville, je me suis remué comme un démon, et j’ai trouvé une partie de ce qu’il me fallait. Tirez-moi d’affaire, pour le reste. La lettre en question vous donnait toutes les explications nécessaires, mais, je vous le répète, elle était très longue et parlait d’autres choses.

L’article d’Armand Fraisse, où il y a de la lourdeur et de la lenteur lyonnaises, est cependant très curieux.

Le Ferrari était accompagné d’un petit bout de lettre.

Le billet que je vous demandais devait, selon ma demande, échoir à un mois. Tout bien considéré, c’est un peu court, surtout avec tout le temps que je perds.

Le Guys (trois articles) est fini et livré, mais il ne sert qu’à rembourser ce que j’ai reçu.

Tout à vous.

A POULET-MALASSIS

18 Août 1860.

Mille remerciements.

Vous pouvez, maintenant, deviner quand je serai chez vous. Deux jours, pour emplettes, visites, Grandguillot, etc… ; un jour de voyage ; deux jours, à Honfleur (je supprime Flaubert) ; un jour de voyage. Total : six jours.

On peut bien dire que Les Paradis ont marché tout seuls, car il n’y a pas eu un article vraiment fort. L’Intérieur a refusé l’estampille à cause de la grande folie de la morale, terme appliqué au sieur Pontmartin.

Avant de partir, je vais essayer, par mes relations, de faire revenir les gens sur cette mesure.

Si Pincebourde m’avait expliqué ces choses à temps, il n’y aurait peut-être pas eu d’échec.

Il m’a parlé de son congé. J’étais obligé de le voir, ce matin, parce que j’avais, à ce qu’il paraît, déposé plus d’argent qu’il ne fallait, pour le dernier billet. — Cette phrase théâtrale est sortie de sa bouche : Après avoir passé ici les trois plus belles années de ma vie… Tout de suite, un contre-Pincebourde s’est dressé dans ma tête, qui, dans la librairie Malassis, aurait passé ces trois années dans les jouissances frénétiques d’une existence orageuse.

Mais votre santé, voilà le grand point.

Il est impossible que vous grandissiez en âge, avec cette menace dans les veines. Il faut une consultation sérieuse.

J’ai rencontré hier Deschanel, qui m’a dit que dans ses feuilletons sur Les Excitants il avait glissé une page sur Les Fleurs du Mal, mais que M. de Sacy l’avait biffée tout entière, en disant : Comment un journal comme Les Débats pourrait-il parler d’un livre flétri par les tribunaux !

Tels sont les amis de notre ami Asselineau.

Tout à vous. A bientôt.

A POULET-MALASSIS

Voilà encore le frontispice à l’horizon. Je suis perdu. Comment pouvez-vous avoir encore confiance dans une interprétation d’une idée quelconque par un artiste quelconque  ? Bracquemond va s’acharner à conserver ce qu’il pourra de sa planche. Ces fleurs étaient absurdes. Encore aurait-il fallu consulter les livres sur les analogies, le langage symbolique des fleurs, etc… Voulez-vous accepter un bon conseil, sérieusement ? Si vous tenez absolument à un frontispice, coupez proprement avec des ciseaux l’image de Langlois, et demandez à Bracquemond un fac-similé, strictement, rien de moins, rien de plus : le squelette, les branches, le serpent, Adam, Eve, tout. Seulement par ce moyen, vous arriverez à quelque chose. Qu’il ne se permette pas d’ajouter quoi que ce soit. Ce frontispice n’est plus le nôtre, mais il va au livre d’une façon telle quelle, il a ce privilège de pouvoir s’adapter à n’importe quel livre, puisque toute littérature dérive du péché. — Je parle très sérieusement.

Si vous ne faites pas cela, vous n’obtiendrez que des absurdités.

Au lieu de cela, que faites-vous ?

Vous offrez à l’esprit de Bracquemond une combinaison qui restera toujours obscure pour lui ; vous vous exposez de nouveau au même danger, le danger de n’être pas compris ; il ne sait pas ce que veut dire : squelette arborescent, puisqu’il n’a pas même voulu s’astreindre à votre croquis. Jamais, il ne pourra représenter les péchés sous forme de fleurs.

Croyez-moi, coupez la page de votre livre, et vous la recollerez délicatement, plus tard. Insistez vivement sur ceci : qu’il faut copier strictement toute l’image, et ne rien ajouter, et ne rien changer.

Il voudra conserver une partie de son squelette, dont les proportions sont détestables, dont les jambes marchent (pourquoi ?), et dont le bassin est, en partie, caché par les fleurs. Enfin, il ne pourra jamais adapter des branches aux bras, puisque les mains arrivent à l’extrême limite de la page.

Croyez-moi, rien, ou la copie servile de l’image macabre de Langlois.

Je suis convaincu qu’au moment présent Bracquemond n’a pas encore pu réussir à vous comprendre.

Pour le livre de critique, oui, sans doute. Les deux derniers morceaux, Guys et les Peintres philosophes, vont paraître.

Je m’attendais à votre hypothèse finale, à propos de la Philosophie de l’histoire. Je connais votre esprit, comme s’il était mon fils. Je crois que c’est en vous un vieux reste des philosophies de 1848. D’abord, ne saisissez-vous pas, par l’imagination, que, quelles que soient les transformations des races humaines, quelque rapide que soit la destruction, la nécessité de l’antagonisme doit subsister, et que les rapports, avec des couleurs ou des formes différentes, restent les mêmes ? C’est, si vous consentez à accepter cette formule, l’harmonie éternelle par la lutte éternelle.

Ensuite, je crois (à cause de l’unité absolue dans la cause créatrice) qu’il faudrait consulter sur votre hypothèse un philosophe naturaliste, comme mon cousin, par exemple. Vous figurez-vous qu’une race quelconque d’animaux puisse absorber les autres races ? Et même, dans votre idée d’absorption de tous les peuples par un seul, ne voyez-vous pas que l’homme, animal suprême, devrait même absorber tous les animaux ? Enfin, s’il est vrai que beaucoup de races (d’animaux) ont disparu, il est vrai aussi que d’autres sont nées, destinées à manger leurs voisines ou à être mangées par elles, et il est vrai aussi que si des races d’hommes (en Amérique, par exemple) ont disparu, d’autres races d’hommes sont nées, destinées à continuer la lutte et l’antagonisme, suivant une loi éternelle de nombres et de forces proportionnels. Vous connaissez le mot de saint Augustin adopté maintenant par les docteurs de la création spontanée des animalcules : Dieu crée, à chaque seconde de là durée. Il en faut conclure que la lutte continue, à chaque seconde de là durée.

Vous me contraignez ainsi à faire le philosophe et à me jeter dans des questions que je n’ai pas étudiées.

Je reviens aux Fleurs. Un caractère plus gros que l’ancien, je vous en prie, et je reviens au terrible Bracquemond.

Je lui ai laissé carte blanche, dans ces limites : un squelette arborescent, l’arbre de la Science du Bien et du Mal, à l’ombre duquel fleurissent les sept péchés capitaux, sous la forme de plantes allégoriques. On lui a déjà expliqué ce que c’était qu’un squelette arborescent, et vous voyez comme il l’a compris. Arbre de la Science du Bien et du Mal ne contient pas pour lui un sens plastiquement clair.

Vous l’avez et nous l’avons déjà engagé à se reporter à l’excellente gravure que nous connaissons ; à quoi cela a-t-il servi ?

Il faut qu’il la décalque, qu’il l’imite, qu’il la copie, dans sa totalité, et dans ses minuties.

Tout à vous.

Et vous lui laisseriez carte blanche !

J’ai rencontré Ferrari, qui avait profité d’un congé pour quitter le Parlement et venir ici. Il m’a semblé qu’il s’intéressait plus vivement à la vente de ses livres qu’à l’unification italienne. Il m’a semblé aussi qu’il était prêt à toute combinaison, et à entrer, à volonté, dans un Ministère Cavour,dans un ministère Garibaldi, dans un Ministère Mazzini. Moi, je lui ai donné le conseil de se faire Ministre de l’Empereur du Maroc. Il a beaucoup ri, mais croyez qu’il n’en serait pas éloigné.

Bons mots récents de la stupidité parisienne :

Garibaldi est plus qu’un officier très brave et très habile, c’est une Religion. {Paul Meurice.)

C’est Garibaldi qui est orthodoxe, et c’est le Pape qui est hérétique. (Louis Jourdan.)

En voilà un qui est bougrement fort et qui va vous balayer tout ça proprement. Avant deux mois, je fais le pari qu’il sera à Vienne ! (Matthieu.) À propos des abeilles : Ces chères petites républicaines ! (Léon Fiée.) Tout à vous.

À POULET-MALASSIS

Jeudi, 30 Août 1860.

Moi, j’ai toutes les inédites, excepté : la préface. Danse macabre, Sonnet d’automne, Chant d’automne dans la Contemporaine, donc faciles à trouver ; Duellum (dans L’Artiste) ; et D’après Mortimer et Paysage parisien (dans Le Présent, donc très difficiles à trouver, si ce n’est à Honfleur). Cependant, je vais d’abord écrire à Paul Perret et à Melvil-Bloncourt qui écrivaient là-dedans, je crois.

Maintenant, dois-je garder mon paquet pour le livrer à l’imprimeur, ou vous l’envoyer ?

Tout à vous.

Votre lettre de ce matin m’a affligé. Ce n’est pas, bien entendu, à cause de vos recommandations réitérées pour le 15 Octobre, mais à cause de votre mauvaise humeur et de vos découragements. Je n’entends rien aux finances, mais je vous affirme de nouveau que moralement votre situation est très bonne ; il n’y a qu’un vigoureux coup de collier à donner, pour qu’elle soit excellente sous tous les rapports.

Si vous arrangez le paquet vous-même, il faut que je vous envoie mes pièces inédites. Le numéro du Présent que je cherche contient : Paysage parisien, D’après Mortimer, La Rançon, Hymnes, et peut-être autre chose encore. L’idée m’est venue que peut-être vous auriez le numéro.

A POULET-MALASSIS

8 Septembre 1860.

Mon cher ami,

J’ai déjà reçu, hier soir 7, une réclamation de M. B . Il se montre un peu pressé, il est vrai ; mais c’est qu’il a besoin de cela, demain au soir.

J’ai vu votre note relative à la librairie. J’ai remarqué que vous n’aviez pas fait entrer en compte ce qu’il peut y avoir, dans votre famille, de fortune personnelle, en dehors de l’imprimerie et de la librairie. Sans doute, vous avez considéré que cela n’y devait pas figurer. Il m’a été impossible de comprendre comment vous n’entriez que pour une part très minime dans une association où vos frère et beau-frère en avaient une fort grosse. Mais tout cela ne fait rien à la question en elle-même. Je verrai Gélis avant votre arrivée ; j’éviterai d’entrer dans des détails minutieux ; je me contenterai de sonder sa bonne volonté et de lui annoncer votre visite, avec l’objet de votre futur entretien.

Gélis m’avait offert de faire faire les fonds de la baraque de Polichinelle, pour Duranty, parce que, disait-il, leur maison ne pouvait se charger, elle-même, d’une affaire aussi petite ; mais, quand il a appris que Duranly cherchait à faire élargir son privilège et à fonder, au lieu d’un théâtre enfantin, un vrai théâtre machiné, avec trucs, pour pantomimes jouées par de véritables comédiens (reconnaissez-vous l’influence de Champfleury ?), il a retiré sa parole. Je ne sais pas pourquoi Duranty n’a jamais voulu aller le voir. Je ne vous raconte cette histoire, que comme échantillon de la facilité de Gélis à entrer dans les affaires.

J’ai deux questions à vous faire. — 1.— Si la chose réussit (et je crois sentir qu’elle va réussir), et si votre beau-frère, intimidé par cet élargissement de commerce, refuse son assentiment, pouvez-vous compter sur l’influence morale de votre mère ? — 2.— Si vous réussissez, que voulez-vous faire ? Avant tout, prenez bien garde de tomber dans le rêve d’une fabrication démesurée, à bas prix ; votre originalité doit se placer ailleurs, et vous savez que la tendance générale est à hausser les prix. Le livre à 20 sols est le fléau des maisons Lévy et Bourdilliat. Si l’un de ces messieurs consentait à cesser le premier, l’autre serait délivré. Ils se font un mal réciproque, voilà tout.

Je crois que c’est là une question très importante : se faire une spécialité. Par le livre à 5 fr., le livre à 3 fr. et le livre à 2 fr., vous pourrez former une collection importante d’ouvrages bons ou passables, et bien fabriqués.

Je dois vous dire que toutes ces réflexions me viennent, en me souvenant de quelques mots que m’a dit Delvau, relativement à vos futures ambitions. Autant que je puis me souvenir, Delvau me disait que vous vouliez fabriquer beaucoup, et à très bas prix. Je crois que ce serait votre ruine.

Et une boutique ? autre question. Il y a cet immense avantage que cela multiplie vos rapports. Et que, comme vous vendriez les livres des autres, les autres seraient obligés de vendre les vôtres.

J’ai rencontré, hier, Bracquemond. Je lui ai demandé si vous lui aviez écrit de nouveau. Il m’a dit que non. Alors, j’ai pris la liberté de l’informer moi-même que je le débarrasserais de l’ennui de penser à des fleurs et qu’il était prié, simplement, de copier, dans sa totalité, l’estampe en question. Donc, il vous attendra. D’ailleurs, on a refusé de lui prêter le livre, dans l’endroit que vous lui avez indiqué.

Tout à vous. Ecrivez-moi, je suis inquiet.

J’ai découvert, chez un affreux marchand, un dessin à la plume, de Delacroix.

A POULET-MALASSIS

27 Septembre 1860.

Mon cher ami,

Voici mon compte : 5 Octobre, 300. — 15 Octobre, 2.500 (je mets 2.500, ignorant si vous avez détruit ou escompté un billet de 1.000, de moi) ; 1.120 ; 1.691. = 5.611. — Vous me demandez deux billets de 1.000 que voici, et vous en avez un, de 1.650, de D . 1.000 ; 1.000 ; 1.650. = 3.650. Je défalque 300 (le 5 Octobre) que je paierai, sur les 500 fr. que je prendrai, le 1er , au Constitutionnel. Et enfin je défalque les 1.000 dont vous n’avez peut-être pas usé. Il reste 661 que j’aurai à vous trouver, du 5 au 15, très probablement sur l’affaire Hostein.

Je suis enchanté que vous reveniez tout de suite, et que vous restiez longtemps ici. Cela activera mes opérations.

… Le billet de 920 que je joins ici, imprévu pour vous, a pour but de me débarrasser de l’Hôtel, dès les premiers jours d’Octobre, et d’aller habiter dans le logement où j’ai fait transporter mon mobilier, il y a deux mois. La personne qui y est et m’attend ne peut plus faire de billets, et le loyer est à mon nom. Donc, ce billet sera payé. Deux avantages à faire ainsi : d’abord, il faut, à tout prix, satisfaire Hostein, qui commence à s’impatienter (en voici la preuve) ; il faut le satisfaire vite. Et comment faire, si une querelle à l’Hôtel m’enlève mon repos, ou s’il faut prendre, en quelques jours, pour 900 fr. de copie, et négliger Hostein ? — Enfin, cela me décharge d’un grand ennui et me permettra de transporter plus d’argent de votre côté.

Mettez, si vous voulez, cet argent au chemin de fer, samedi ou vendredi soir ; ou, si vous voulez encore en causer avec moi, apportez-le avec vous ; pourvu que je l’aie lundi matin, tout sera bien. Justement, c’est lundi que j’aurai à voir Grandguillot, pour les 500 fr. Les 200 fr. restants seront destinés aux mille petites dépenses d’une installation.

Votre préfacé est refaite et finie. Inutile de vous la montrer maintenant.

J’ai oublié de tenir compte des escomptes.

Un petit post-scriptum dont vous ne vous fâcherez pas. — N’allez donc pas choisir un enfant comme Duranty, qui n’a pas connu notre vie, encore moins la mienne que la vôtre, pour lui exposer vos craintes sur mon avenir, sur mon imprévoyance, sur le désordre de mes affaires. Quand vous aurez trouvé un homme qui, libre à dix-sept, avec un goût excessif de plaisirs, toujours sans famille, entre dans la vie littéraire avec 30.000 fr. de dettes, et, au bout de près de vingt ans, ne les a augmentées que de 10.000, et de plus est fort loin de se sentir abruti, vous me présenterez, et je saluerai en lui mon égal. Je sais bien ce que vous allez me dire : c’est de l’amitié. Je le sais, mais que votre amitié ne prenne pas d’autre confident que celui qui en est l’objet.

Voulez-vous que nous nous voyions au chemin de fer, dimanche soir ? Un mot à ce sujet.

Tout à vous.

C’est par précaution que je n’affranchis pas.

J’ai dû dater partout de Neuilly, pour éviter une contradiction, ou la nécessité d’expliquer, dans une parenthèse, que je serais à Neuilly, à l’échéance.

A POULET-MALASSIS

27 Septembre 1860. h. 1/2.

Mon cher ami,

A peine ai-je mis ma lettre à la poste, celle que vous recevrez demain matin, vendredi, que je me suis souvenu d’une observation que j’avais oublié de vous faire : pourquoi, quand ma situation est considérée, à Alençon, comme responsable d’au moins i.5oo fr., non encore payés, la présentez- vous encore pour une valeur de 2.000, au moins, de 2.920, au plus ?

Tandis que nous avons Gélis, à Paris, chez qui votre sig-nature est très considérée ?

Est-ce de la coquinerie envers Gélis ?

Vous comprenez bien, n’est-ce pas ? que ce n’est pas timidité de ma part ; mais, puisque nous som- mes obligés de jouer la comédie pour six mois encore, pour neuf mois peut-être, il faut la jouer avec toute la vraisemblance possible.

En un mot, vous faites mal la navette.

Quel supplice que cette inquiétude périodique, qui tombe rég"ulièrement au bout de six semaines ! Je suis résolu à en finir, et je mets sérieusement tout mon courage à votre service. Mais cette lettre va probablement vous arriver trop tard.

Je me recommande bien à vous, pour les 920 fr. Je présume que vous en comprenez l’importance. Je vous laisserai, si vous voulez les g-arder pen dant quelques heures, 3oofr., jusqu’à ce que j^aie iché les 000 i Tout à vous.

louché les 000 fr. de Grandguiliot.

A POULET-MALASSIS

20 Novembre 1860.

Mon cher ami,

Que je sois payé très cher, et que je sois payé cm fur et à mesure (grande garantie d’activité), deux propositions qui doivent venir de vous, comme me connaissant très bien.

M. Stœpel viendra me voir aujourd’hui, à 4 h. Je le renverrai à vous ; ou il ira vous voir, ou il vous priera de Taller voir, à une heure déterminée.

Je viens de renvoyer au correcteur de Simon Raçon toutes les pages où il y avait des fautes : lettres tombées, lettres cassées, fautes d’orthogra- phe ; il y en avait bien d’autres, particulièrement celle-ci : XI, au lieu de XXI.

Tout à vous.

A POULET-MALASSTS

Mon cher ami,

M. Robert Stœpel a voulu encore, ce soir, mardi, entamer la question d’argent, et j’ai vu qu’il crai- gnait une demande trop forte. Tout en sauvegar- dant vivement mes intérêts, soyez aussi poli et gracieux que possible. M. Stœpel a l’air d’un galant homme, vivement préoccupé de se faire en Europe un succès aussi net qu’en Amérique. Je crois que M. Stœpel et sa femme vivent uniquement par leurs talents ; tout cela m’inspire beaucoup de pudeur ; mais, d’un autre côté, j’ai été obligé d’écrire à de Galonné, à Crépet et à Grandguillot qu’il fallait me foutre la paix, et me faire encore crédit d’une quinzaine de jours. D’ailleurs, la besogne, 5i/ic^V^/nt’/i^/)ar/an/, est rude. Figurez-vous que M. Stœpel, en arrivant d’Amérique, s’est adressé à Mérj (qui s’est joué de lui, et a fini par lui déclarer que puisque lui, Méry, n’en pouvait pas venir à bout, la chose était impossible) ; à Emile Deschamps ; à Henri Blaze {qui a voulu r adresser à Saint-Georges) ; à Philoxène Boyer ; enfin, à Banville, qui l’a adressé à moi. Il n’est venu à moi qu’en désespoir de cause (bien qu’on lui eût conseillé, à New-York, de venir me trouver), parce que tout le monde (particulièrement Vitu et M. M. Escudier) lui a dit, ici, que j’étais Un homme insupportable, intraitable et impraticable.

Il m’a dit, ce soir, qu’il pouvait consacrer 7.000 fr. à la première soirée. Franchement, c’est peu. Je compte les choses ainsi. La salle (je suppose les Italiens) : i.000 (par soirée). — Emile Donay (traduction du chant) : i.500. — Moi (traduction du récit) : i.000. — Boger, ténor : 000. — Battaille, basse : 500. — Madame Lautey, mezzo- soprano : 500. — M^i^ Judith (déclamation) : 300.= 4.800. — Bestentdonc 2.200 pour les instrumentistes et les choristes (i5o), (j’ignore le nombre des instrumentistes), tous js^ens dont j’ignore les salai- s. Franchement, je désire que vous me trouviez plus possible, et en même temps que vous soyez

(liarmant pour ce monsieur, qui d’ailleurs le mérite. Sur seize ou dix-liuit morceaux, je crois, je lui

en ai livré deux. Tout à vous.

A POULtT-MALASSIS

5 Décembre 1860.

Mot ! cher ami, Je lis votre lettre en un clin d’œil et je pense

iisqu’à plus ample débrouilleineni) qu’elle con-

•nt un rêve plein d’imprudences.

Moucher, réfléchissons bien. Pour rien au monde, je ne refuserai de suivre une marche utile pour vous. Mais, sérieusement, en sommes-nous là ? Et puis

nsidérez qu’il m’en coulera de me séparer de vous. Entre nous, il y a autre chose que des services d’atSTcnt (qui cependant sont beaucoup) pour me is. Il y a iin charme, qui, pour moi, ne sera pas ailleurs. Je ne m’amuse pas à fbus faire la cour ; vous savez que vous vendez plus lentement ir^ilè d’autreséditeurs.Dônc, vous ne pouvez pas sus-

ctèr le sens a amitié qui dicte ce que je vous écris.

En toiit cas, et très matlieureusemenl, je crois

lie si Hetzel à envie de quelque chose de moi, c’est

’ lôiil autre chose que de mes œuvres critiqués,

»nt il ne peul pas deviner la valeur.

J’avais oublié les 45 !!! Quant à la délégation, elle va devenir très facile.

Wagner m ’ayant envoyé son livre (j’ignore s’il est mis en vente), cela va me contraindre à rentrer tout de suite en relation avec Grandguillot.

Je tâcherai de passer chez vous, demain ou après demain.

Tout à vous.

Aujourd’hui encore, journée terrible, passée dans les rues ; billets protestés, et le musicien parti brus- quement pour Londres, sans dire adieu.

Par bonheur, je reçois une lettre de lui.

J’ai donné huit bons à tirer à Simon Raçon. Depuis lors, pas d’épreuves.

Je veux que le portrait soit excellent.

A LOUIS MARTINET

Cher Monsieur,

Je suis bien désolé qu’un morceau de critique, composé dans un système d’absolue admiration pour notre ami Daumier ne puisse pas vous plaire ? dans sa totalité. J’ai fait de longues études sur le comi- que et sur la caricature. Puisque vous croyez (au- tant que je puis le deviner, d’après votre petit mot) que mon article ne puisse pas être publié sous le régime de Napoléon III et de Walewski I^r (il l’eût été sous M. Fould), il faut, simplement^ le suppri- mer). Croyez que j’ai pour vous un sincère dé- vouement, mais je ne puis pas me soumettre à des circonstances. J’ai pris Thabitude, depuis mon enfance, de me considérer comme infaillible.

Je crois que je dois vous céder dans tous les cas où vous croyez que je puis vous nuire. Mais votre rroyance est fausse et le résultat d’une timidité folle,

je suis convaincu que l’article paraîtrait, avec un bénéfice déplaisir pour tout le monde, et sans dan^ —.-r pour vous. Cependant^ supprimons-le.

A bientôt. Je saurai vous dédommag-er.

Ayez la bonté de garder mes feuillets : je n’ai pas de double.

Tout à vous.

A POULET-MALASSIS

Mon cher ami,

Je n’avais pas besoin de votre lettre ; car, depuis

i.lnsieurs jours, je retourne tout cela dans ma tète,

la visite à Helzel était faite. J’allais donc vous

—o ^.11.^ désolé de vous affliger ; mais, malgré le rible mot, répété si souvent : Nous sombrerions, suis contraint de vous demander peut-être l’im- possible, enfin un grand acte de dévouement, en réservant toutefois de faire, après paiement, la grande expédition des courses et de boucher quel- ques jours après, en partie ou en totalité, le trou foî » -\ vos affaires personnelles. Je vous fais juge :

25 Mars, i.ooo. T (impossible).

25 Mars. fjoo. S (impossible). 25 Mars. 35o. G (impossible).

I Avril. 5oo. L (impossible).

10 Avril, i.ioo. H

La navette est donc impossible, puisque tous les escompteurs figurent cette fois au grand cornplet. Vous pourriez peut-èlre, chez L et chez

G, faire passer du papier par un autre que par moi ; car il faut que vous sachiez que, pour comble de malheur, je suis poiirsuivi actuellement pour 1.900 fr. de billets protestés (dont 600 seu- lement me concernent directement). Or, S et G sont mêlés à cela. Vous devinez le dan- ger.

Maintenant, Hetzel. Le banquier d’Hetzel a sus- pendu ses paiements. Il se sert maintenant (une fois par mois) du Comptoir d’escompte, — une fois par mois, c’est à dire du 20 au 3o. J’ai causé avec lui. Il prendra volontiers vos billets ; mais je sais que, la première fois, le (Comptoir haiiohal les lui avait refusés, et que c’est son banquier qiii, firia- lement, les avait pris. Il m’a offert d’escompter en Belgique, mais je crois que la maison à laquelle il s’adressera là-bas vient de péricliter, par suite de l’alïaire Mires.

De plus, il m’a dit que, dans quelqiies mois, il se chargerait volontiers, avec votre agrérhent, des Réflexions sur quelques-uns de mes contemporains. Quant aux Curiosités^ il nous engagé vivement à changer le titre, qui, dit-il, contient un bouillon, la matière fût-elle très amusante.

Je veux ajouter quelques mots, de ces mots que je ne peux dire qu’à vous. Depuis assez long-temps, je suis au bord du suicide, et ce qui me retient, c’est une raison étrang-ère à la lâcheté et même au regret. C’est l’orgueil qui ni’empêche de laisser des alTaires embrouillées. Je laisserais de quoi payer, mais encore faudrait-il des notes soignées pour la personne chargée de régler tout. Je ne suis, comme vous savez, ni pleurnicheur, ni menteur. Depuis deux mois surtout, je suis tombé dans une atonie et une désespérance alarmantes. Je me suis senti ailaqué d’une espèce de maladie à la Gérard, à savoir la peur de ne plus pouvoir penser, ni écrire une li- ^ne. Depuis quatre ou cinq jours seulement, je suis parvenu à vérifier ique je n’étais pas mort de ce côté- là. C’est un o^rand point.

Edgar Poe en belle édition, le théâtre probable- ment, ma dette, quoique toujours et trop rapidement ^ossissante,sera payée par là… Mais j’en reviens oujours à mon idée fixe : la laisser dormir moyen- lantle paiement d’intérêts réguliers. Savez-vous que DUS les deux mois, deux mois et demi, il y a pour noi un torrent de courses, une dilapidation forcée le temps et d’argent, et une palpitation àe toute a volonté, une vraie angoisse en tournant chaque )Outon de porte ? De plus, cette dette, commise lans le principe pour m’installera Honfleur, devient naintenant un empêchement, car il faut queje sois i Paris, et toujours attentif.

J’ai le plus grand désir de vous voir ici. Il ne

’agit pas de voluptés de camaraderie, il s’agit de

oasjde vos intérêts… Tout le monde, non pas des gens hostiles, mais de ceux qui vous sont attaciiés, disent de vous : Ces messieurs ri entendent absolu ment rien à la publicité. Sainte-Beuve me dit avant-hier : Où est Malassis ? — A Alençon. — Mais il est fou ! — C’est pour finir le livre Hatin. — A quoi donc sert un protêt a-t-il finalement ajouté.

Insensé que vous êtes, vous me demandez où en est mon livre ! Est-ceque je m’en occupe ?… Je sais que Buloz et Montégut ont promis un gros travail, mais pour quand ? Montégut prétend être en arrière pour plusieurs mois. Sainte-Beuve a promis, mais pour quand ?

Je résume : je crois que Lemercier et Gélis vous sont possibles, mais ils ne seront possibles par moi que plus tard. Le 26, ou après le 20, je re- verrai Hetzel. — Je crois que Gélis vous est possi- ble, à la condition qu’il y ait, maintenant^ peu de chose chez lui, et que les billets à escompter nr sentent pas la complaisance.

Tout à vous. m

Le portrait, et la réclame n’ont même pas paru dans U Artiste.


1861

A POULET-MALASSIS

5 Janvier 18G1.

Je reçois votre lettre, au moment où j’allais vous écrire. Je reçois, en même temps, la dernière feuille de Raçon, titre, faux-titres, etc. . ., dédicace, mais pas de couverture. Le titre est complètement en noir. Je présume qu’il ne sera pas ainsi. Au fait, cela est évident. Je suis si préoccupé que je déraisonne (trente-cinq morceaux nouveaux). On vous a envoyé les épreuves, m*a-t-on dit. Que vos correc-

  • ions ne contredisent pas les miennes. •

De Broise tremble et se désole, il désire que je lui ménage une entrevue avec Gélis. Le but est évi- dent. Ce serait un emprunt ou une demande de crédit, l’un ou l’autre hypothéqué sur une impri- merie que vous êtes intéressé à ne pas vendre trop vite. Dois-je avertir Gélis de la future visite de de Broise ? Ne serait-il pas convenable que J, averti par de Broise, préparât Gélis ? Enfin, croyezvous que votre beau-frère saura bien manœuvrer cette affaire ?

S, qui m’avait donné sa parole pour le billet de 350, m’a dit hier, brutalement : Puisque vous escomptez du papier chez S, il faut aussi lui porter celui-là. J’ai couru de très mauvaise humeur chez S, à qui j’ai conté l’histoire, et qui, sans me donner un mot d’explication, m’a escompté les deux billets de 500 fr.(25fr.). Mais que faire du billet de 350 ? Le porter chez T ? Chez G ? Revenir chez S ? Ou aller chez J qui ne me connaît pas ?

Autre accident, celui-ci monstrueux ! Je vais, chez L, prendre mes 500 fr. ; on me demande la permission de prélever 200 ou 300 fr., sur 472 que je dois. Il m’était impossible de comprendre. On me montre alors un dossier M Baudelaire datant d’il y a à peu près deux ans. On m’explique que si on ne m’a pas poursuivi, cest parce qu^on sait quon revoit toujours les auteurs, et qu’en y mettant des facilités on est toujours remboursé par < ? mj^. Notez que j’ai déjà remboursé deux billets M, et que celui-là (escompté directement par lui, car je n’avais jamais rien escompté chez L ), je le croyais payé de très vieille date. C’est le prix, ou plutôt un acompte sur le prix de mon Salon, de Novembre, de vers^eic.

Depuis deux ans^M n’a pas daigné m’avertir.

J’ai refusé, nettement, de laisser prélever quoi que ce soit ; et on m’a promis de me donner mes 500 fr. demain, pourvu que je prisse un engagement pour l’affaire M. On acceptera un renouvelle- ment de M, pourvu qu il soit endossé par moi. Je n’aui’ais jamais cru que ma situation eût uiie valeur quelconque, aux yeux de n’importe qui. Dans la soirée, j’ai cherché Padresse de M, et je Tai trouvée.

Je lui écris tout de suite, mais pourrai-je arra- cher une réponse à cet être incompréhensible ?

De Broise sait tout cela. Il a maintenant entre les mains, 1.860 fr.

Vite, très vite, cher ami, votre réponse, et votre avis. De Broise m’a beaucoup entretenu de votre situation. Je persiste à la trouver bonne, c’est à <liro pouvant devenir très bonne.

onsez à J, à G, consultez votre mère ; et, relativement à moi, pensez au cas où par la faute de M, pour le billet de 5oo, et ou par la faute des l\oo fr. de Londres, je n’aurais votre complé- ment qu’après le 10.

Je ne parle pas du billet de 35o, bien que j’aie . ’intention de m’en occuper demain, avant votre réponse.

.11 tout cas, si vous croyez bon que, pour vos iilaires, votre beau-frère, appuyé sur J, voie j, il Hnif rnie ce soit après le 10.

A POULET-MALASSIS

Lundi, 7 Janvier 18G1.

J n’a pas voulu du 35o. Je le garde ;

oit chez T, soit chez G, il servira. L a escompté, mais en tenant compte

de l’escompte d’abord, puis du protêt et des intérêts M

Que pouvais’je faire ? Encore a-t-il fallu que je signasse un billet personnel, en échange du billet M. — M est un polisson qui n’a même pas daigné se trouver au rendez-vous indiqué par moi chez L. Voici le bordereau ci-joint : Note de

mes escomptes ; T, 21. S,26. L,

74. = 120 fr.

De Broise a maintenant 2.280 fr.

J’attends de l’argent de Londres, et la maison Lévj m’en donnera un peu après-demain, en grognant.

De Broise insiste pour voir G. Moi, j’ai

insisté pour qu’il vît d’abord J. Pour parler

plus nettement, je crains le guignon naturel de de Broise.

Bracquemond, que j’ai vu ce matin, m’a parlé du découragement visible de votre beau-frère. Peut- être feriez-vous bien de faire, dans quelques jours, un voyage de quarante-huit heures.

Maintenant que je n’ai plus rien à cacher à votre mère, je tiens vivement à me conduire de manière à être honoré. Mais n’y aurait-il pas moyen de classer mes dettes dans les dettes de votre maison, dans les futures évolutions que vous allez faire, et, sans compter l’intérêt régulier de toute dette, de m’acquitter par une série de cessions successives ? C’est vous dire que je suis énervé par les inquié- tudes, harassé, rompu.

J’ai eu, j’ai encore des cheminées qui me sont tombées sur le dos. Je vous en parlerai plus tard, quand vous serez tranquille. C’est incroyable, inouï, plus étrange que tout ce que vous pouvez concevoir.

Avez-vous reçu ma dernière feuille, le titre, faux- titre, et la table des matières ?

De cette dernière, je ne suis pas content. Pourquoi, je ne le sais pas. Elle ressemble à la table des matières d’un autre livre. De plus, la pagination de la table se confond avec les chiffres relatifs aux matières.

Le tout, en caractères (soit petits caractères, soit capitales) qui me paraissent bizarres et trop petits, mais j’ en réfère à vous.

Il est possible que j’omette quelque chose. J’ai la tête fatiguée, et je ne fais rien.

A POULET-MALASSIS

16 Janvier 1861.

Mon cher ami.

Je suis assez dur pour moi-même, et pourtant toutes mes aventures m’avaient rendu malade. Dans mes ahurissements,j’avais chargé de Broise de vous rendre compte de mes actes, n’ayant pas la tête disposée à vous écrire.

Je lui ai remis l’argent de tous les billets, et je lui dois encore 280 fr. Si j’avais eu la libre disposition de mon temps, j’aurais déjà touché de l’argent deux fois (par moi-même). Je m’en occupe maintenant, et, avant très peu de jours, je vais les lui remettre. Je voudrais faire mieux encore, et la lettre désolée que j’ai reçue de vous hier matin me prouve que c’est urgent. Je reviendrai tout à l’heure là-dessus.

Mon grand éloignement de Paris n’a pas peu servi à la dilapidation, dans cet intervalle de quinze jours. En dehors de cela, mes dépenses forcées ont été de 20, chez T, de 25, chez S, de

10, chez G, et de 74, chez L (affaire

M ).

Ce que j’ai à recevoir, avant la fin du mois, se monte à 4oo fr.

Avant tout, je veux me soulager et vous dire ce que je n’ai dit à personne. Vous jugerez ce que j’ai enduré, et ce que j’endure encore. Je me suis sauvé de Neuilly, par dignité, ne voulant pas rester dans une situation honteuse et ridicule. Pendant vingt-cinq jours, je me suis trouvé en face d’un hom- me qui passait toutes ses journées dans la chambre de sa sœur, depuis 8 h. du matin jusqu’à 11 h. du soir, m’empêchant ainsi de prendre mon seul plai- sir, c’est à dire de causer avec une femme vieille et infirme. Quand j’ai voulu lui faire entendre, par la voix de sa sœur, que mon extrême gène ou un accident quelconque pouvaient nécessiter de sa part un effort pour soulager sa sœur et m’aider moi- même dans cette tâche, il m’a fait répondre que non, non, pour maintenant, et pour V avenir. Plus tard, il est revenu là-dessus^ offrant de faire quel- que chose, si, démon côté, je faisais une délégation sui ^ c « |ui pouvait me rester de fortune personnelle. Peut-on concevoir un monsieur qui revient du bout du monde, qui tombe de la lune, qui ne s’est jamais inquiété de sa sœur, qui en est à faire ses premiè- res preuves de dévouement, et qui ose demander des g^aranties à celui qui a fait dix-neuf ans ce que le devoir ne lui commandait pas ? Oh ! ce n’est pas fini ! A travers beaucoup de pleurs, j’ai obtenu de la créature l’aveu que, depuis un an, son frère

’ ait ches elle y maïs qu’il lui avait prêté 200 fr. !!… 3iille pardons, mon cher Malassis, de vous entre- tenir de ces hontes. — Il m’a fallu vivre entre un drôle et une malheureuse femme dont le cerveau est affaibli. J’ai fui, j’en suis encore malade d’indi- gnation, j’ai le cerveau tout affadi, et croiriez- vous que j’ai du mal à écrire une heure de suite ?

Il y a quelques jours, vous m’avez ravi en m’écri- vant qu’avec de la résistance, de la patience et de la dissimulation., tout serait sauvé. Hier, vous m’é- crivez le contraire, ef vous prévoyiez un désastre. Ne se pourrait-il pas que ces variations dans votre idée vinssentd’alternatives d’espoir et dedécourage- inent,ou d’un manque de hardiesse de votre famille ? Il y a, au bout de votre tentative, de la gloire, et, peut-être, de l’argent : persévérez. Dans le cas de désastre, pensez aux Fleurs et aux Paradis, aux- quels j’attache de l’importance.

Quant à ma dette, je ne vois qu’une issue, c’est de vous donner sans cesse de petites sommes. Je cherche dans mes papiers, et je vois que j’ai su, en dix-huit mois, donner à l’Hôtel de Dieppe une somme énorme. J’en ferai bien autant pour vous. Sincèrement, je le veux.

Je n’ai pas besoin de vous parler de l’insuffisance de de Broise. Il allume son gaz et son poêle.

A propos, de Broise croyait que j’étais ^/laya/ic^ ; je croyais lé contraire. Vous croyez que ce n’est ni l’un ni l’autre. Vous y penserez, quand vous pourrez.

Je vais sans doute demain matin recevoir de vous une lettre impatientée. Je ne l’ouvrirai qu’avec crainte. Une lettre, un coup de sonnette, un rien me fait sauter en l’air. Ma volonté est dans un état piteux, et, si je ne pique pas,/)ar hygiène^ et mal- gré tout, une tête dans le travail, je suis perdu.

Un mol encore, à propos de votre frère Edouard, bien que ces choses ne me regardent pas. Quel- qu’un que je n’ai pas à vous nommer l’a rencontré dans un bal masqué, en compagnie d’une bande de petits fous, et il a tenu les propos les plus bizar- res, parlant tantôt de s’engager, tantôt de fonder quelque chose, à lui tout seul. Tout cela, disait-il, dépendrait d’une certaine réponse d’Alengon. Est- ce que l’insensé penserait à quelque petit journal pour la jeunesse ?

Tout à vous.

A POULET -M AL ASSIS

Baudelaire. — Vingt exemplaires. Combien sur chine ou fil ? Revue des Deux Mondes. — Buloz (avec une !! rede moi).

Ilevue contemporaine. — De Galonné.

Revue britannique. — Qui ?

Revue européenne. — Lacaussade, Gustave

uland (avec une lettre de moi).

"correspondant. — Qui ?

Illustration. — De Wailly ?

Monde illustré. — Gozlan (avec une lettre).

Moniteur. — Sainte-Beuve (avec une lettre).

Débats. — Deschanel (avec une lettre). Guvil- iier-Fleury.

Presse. — Saint-Victor. Arsène Houssaye, di- recteur de La Presse (très important).

Constitutionnel. — Grandguillot (Vitu fera Il ne note).

Siècle. — Taxi le Delord.

Rai/s. — D’Aurevilly (avec une lettre).

Patrie. — Edouard Fournier.

Opinion Nationale. — Levallois.

Salut public (de Lyon). • — Armand Fraisse

ec une lettre).

Xord. — Jules Janin (avec une lettre^.

Indépendance belr/e. — Qui ?

Idem. — De Ronsard, Ministère de FIntérieur, très important, pour deux cents journaux (avec une ’-ttre).

Union. — Pontmarlin.

fkizette de France. — Gutlinguer (promis un article, annoncé même, il y a huit jours).

lîrnue anecdotir/ue. — Larcher. Revue de Genève. — Qui ?

Figaro. — Monselet.

Journal amusant. — Nadar.

Times. Thackeray’s Cornfiill Magazine (avec une lettre). E xaminer.S pectator. Athenœum. Li- terary Gazette. Press. Frazer’ s Magazine. West- minster lieview. Edinburg Review. Quarterly Review.

Russes et Allemands, je n’y entends rien.

Vitu fera une note au Constitutionnel ; La Fize- lière, à U Artiste.

Je voudrais bien me décharger sur vous de Ban- ville, de Gautier et de Leconte de Lisle.

Plusieurs exemplaires doivent être accompagnés d’une lettre de moi. Je verrai deBroise, tous les jours. Evitez les doubles exemplaires jetés dans les jour- naux^ sans sûreté et sans garantie. J’ai quelqu’un qui s’occupera de l’affaire des journaux de Lon- dres, et qui peut-être ira lui-même dans les bureaux.

Si vous faites une note (trente-cinq pièces nou- velles, toutes les anciennes remaniées, portrait), communiquez-la-moi, je la ferai passer dans une centaine, au moins, de journaux de départements.

En fait de grands journaux de province, je ne connais que Le Salut public. Je ne garde pas le double de cette note.

A POULET-MALASSUS

25 Mars 18G1. Mon cher ami. Je vais voir iletzel tout à l’heure, à 5 h., et je vais le prier de vouloir bien m’attendre jusqu’à après-demain, car je n’ai pas les billets entre les mains. J’ai cru que vous me les enverriez hier.

J’ai rencontré, il y a trois jours, de Broise, désolé, qui m’a tenu dans la boue, au moins un quart d’heure, m’accablant de reproches, et ne voulant pas comprendre que cette fois j’étais impuissant, et que même il eût été dangereux que je parusse chez les escompteurs. Je suis obligé de me défendre vis avis de lui, mais quelquefois de vous défendre vous-même. Si je n’avais pas eu, retombant sur mon dos, 1.900 fr. à rembourser, dont 500 sont déjà payés, il est évident que j’aurais pu vous être utile. Les jours précédents, j’avais essayé de lui demander pourquoi le portrait ne paraissait pas à L'Artiste et pourquoi je ne recevais pas quelques épreuves du portrait retouché, où elles étaient, etc.. Il m’a ri au nez, très bizarrement. Dans toutes ses allures, dans toutes ses plaintes, il est si bizarre, même pour les affaires les plus vulgaires, que toute relation entre lui et moi devient de plus en plus difficile.

Trois mois et six mois, cela me paraît dangereux. Trois mois et quatre mois même me paraissent contenir une mauvaise chance.

Je vous ai dit qu’Hetzel n’était plus pour l’escompte dans les mêmes conditions qu’il y a quelques mois.

Le jour de ma rencontre avec de Broise, je sortais d’une imprimerie où on me détenait depuis trois jours, depuis 10 h. du matin jusqu’à 10 h. du soir, pour en finir avec le Wagner, qui va enfin paraître à V Européenne. Jugez de l’état de ma cer- velle, ce jour-là.

Répondez-moi, vite. Tout à vous.

Celui de 5oo est, je crois, pour le i^’" ; celui de i.ioo, pour un autre jour, le lo, je crois.

A AUGUSTE VACOUERIE

Je serais un grand ingrat, si je ne vous remerciais pas. J’ai la détestable habitude de souffrir au spec- tacle et même de ne pas comprendre les pièces. Vous, vous m’avez tenu si attentif pendant sept actes que vous pouvez dire que vous avez fait un miracle.

Il y avait bien des années que je n’avais entendu un drame. Enfin, en voici un, et des plus beaux, et plein d’ordre, et plein de logique, et toujours grand.

Que vous êtes heureux de savoir ainsi extraire tout ce qui est contenu dans une idée ! Sérieusement, sans mensonge et sans flatterie, vous m’avez causé une des plus vives jouissances que j’aie depuis long- temps reçues. En laissant de côté toute l’habileté dont vous avez fait preuve, je vous loue beaucoup d’avoir basé une action toujours vraie, passionnée, sur une pure abstraction, sur une idée aussi vague et impalpable cjue Vidée de U honneur (ce n’est pas moi qui parle ainsi). Je crois même que d’abord le public est un peu étourdi d’une pareille origina- lité. Il y a si longtemps qu’il n’a vu cela.

A THEOPHILE GAUTIER

29 Avril 18G1.

Mon cher Théophile,

Tu te souviens que je t’ai parlé d’un vieil ami, M. Rodolphe Bresdin, qui nous est revenu, après douze ans d’absence.

J’ignore si ses dessins sont reçus au Salon ; mais, en tout cas, il est bon que tu voies quelques mor- s’aux de lui. Je te connais assez, pour deviner qu’il V a, là, des choses qui te plairont infiniment. Reçois donc Bresdin, comme \x\\c vieille connaissance ; il te fera peut-être cet effet, quand tu connaîtras ses ’livres.

Tout à toi.

A POULET-MALASSIS

I. — \ (MIS II ti\(’z aijriinc certitude que la pro-

[>riété df »s Fleurs et des Pdnidis vaille 5.000 fr.

l-i’ Mit peut-être pas cela, (ictnellement :

! elle peut valoir, plus {’àrà^ beaucoup plus.

11 s ; ,M : ni n,.vsil »l.> ’.\\\« \ fjnc Les Fleui’s suffisent, vendues en toute propriété, à payer ma dette vis à vis de vous.

2. — J’ai fait mes réflexions et je consentirai à cet arrangement, si nous agrandissons le système, ce qui me permettrait enfin de me mettre l’année prochaine à faire beaucoup de nouveau (n’existant encore qu’en ébauche), et peut-être même d’aban- donner à tout jamais le système de fragmentation dans les journaux qui me fait tant soujfi’ir. (In- sister là-dessus.)

MATIÈRE VENDABLE (5 VOl.)

Réflexions sur mes contemporains. 2 vol.

Fleurs du Mal i vol.

Paradis artificiels (Opium ei Has- chisch) I vol.

Poèmes en prose i vol.

Ou vendre à chacun, le plus cher possible, pour une édition, ou pour un temps bref, un ou deux des volumes mentionnés, ou (système préférable) ven- dre à un seul éditeur la propriété de tout, pour toujours, ou pour un temps très long.

Dans ce cas-là, ma pensée se reporte vers Mi- chel, malgré que, récemment, il m’ait refusé les Contemporains, blessé (en apparence peut-être, peut-être réellement) de ce que j’avais pensé à Hetzel.

Je crois que Michel ne connaît pas du tout la valeur de ces livres, particulièrement des Fleurs du Maly des Contemporains, etc., des Paradis. I.F.TTKES l8Gl 819

’eut Otre sa susceptibilité s’apaisera-t-elle, et ,..’iL-être vaudrait-il mieux tout faire rentrer chez lui, d’autant plus qu’il sera chargé plus tard de manœuvrer pour moi l’affaire du Poe illustré avec Hachette, et qu’il fera pour moi ce que vous faites maintenant vous-même.

Vous pouvez même lui montrer cette note, si vous le jugez à propos. En dehors de cette com- binaison, je ne vois que Hetzel, d’un côté, et, de Pautro, Didier, pour les Contemporains, — à qui j’avais pensé, après le rebuffade de Michel.

Dans ce dernier cas, traitez sur la base faite pour Babou : 800, par volume, — pour une édition.

Fout à vous.

A POULET-MALASSIS

Mon cher ami,

oi je n’avais pas été très s’hneuseimnt malade depuis trois jours, vous m’auriez vu.

Venez me voir dans un délai de trois jours ; je suis obligé, si mal que je sois, de poursuivre vive- ment une besogne arriérée ; et je pourrai, ^1 même temps, satisfaire, je le présume du moins, votre impatience à l’ég^ard des 800 fr.

S a tout pris, en me disant : Puisque la

revue devait me remettre cet argent, uous pren- drez, pour vous, l’argent de la revue, y dÀ reçu une somme de 200 et quelques fr., que j’ai dépensée dans ma terreur. Maintenant, l’argent de la revue (le 1 5 et le aa) vous appartient ; cela est clair. îl 320 CHARLES BAUDELAIRi ;

n’y a aucune opposition. Il faut seulement que j’instruise D et L de ce revirement

des choses.

Enfin, et voilà pourquoi je vous disais de venir

me voir dans trois jours, je raconte tout cela à

ma mère,, par surcroît de précautions. Je recevrai

une tempête de reproches, car je n’ai pas caché

le motif de ma demande.

Le même cas existera encore, pendant plusieurs mois, chez L et chez G, à moins que

ma mère ne consente à me tirer complètement de ces ang-oisses, pour un an au moins.

C’est ce que je vous dirai dans trois jours.

L’affaire S a tourné horriblement mal.

Si je n’avais pas été malade, je serais allé invoquer votre témoig-nage contre ce misérable. Je crois que la Société des Gens de lettres fera un effort pour en avoir raison.

Vous devinez sans doute que ma lettre cache un état d’esprit assez alarmant.

A ARSÈNE HOUSSAYE

Mon cher Houssaye,

Vous qui, avec l’air inoccupé, savez si bien rem- plir une journée, trouvez quelques instants pour parcourir ce spécimen de poèmes en prose que je vous envoie. Je fais une longue tentative de cette espèce, et j’ai l’intention de vous la dédier. A la fin du mois, je vous remettrai tout ce qu’il y aura de fait (un titre comme : Le Pronuneur solitaire, ou LETIKKS 18G1 321

’ '• Hodeiir parisien vaudrait mieux peut-être). Vous

•rez induli^^ent. Car vous avez fait aussi quelques

■ntatives de ce genre, et vous savez combien

est difficile, particulièrement pour éviter d’avoir

1 air de montrer le plan d’une chose à mettreenvers.

J’ai jugé à propos de commettre une lourde

• lie ; je veux parler de ma candidature à TAca-

i’mie. Vous qui avez, m^a-t-on dit, passé parla,

ous savez quelle odyssée horrible c’est, l’odyssée

ms sirènes et sans lotus.

Vous me seriez très agréable si vous pouviez aiinuiicer cette candidature inouïe, dans votre cour- rier de L’Artiste, et dans votre Pierre de VEsloile, \’ous êtes peut-être candidat. Mais je vous jure que vous pouvez être pour moi généreux sans danger. D’ailleurs, vous le seriez avec danger, rjus me comprendrez facilement d’ailleurs, si je )us dis qu’étant, personnellement, sans espéran- ces, y’a/ pris plaisir à me faire bouc pour tous les infortunés hommes de lettres. Tout à vous.

Ai« ^ ! vr HOUSSAYE

Mon anii

Je vous porterai demain quelque chose, quelque lose à quoi j’attache peut-être une importance agérée, en raison du mal que je me suis donné • ur bien faire. Enfin ! je me pique qu’il y a là idijue chose de nouveau, comme sensation ou mme expression. 322 CHARLES liAUDELAIRE

Je crois que j’ai trouvé le titre qui rend bien mon idée : La Lueur et la Fumée.

Les notes pour la candidature sont faites. (Le bruit m’est revenu que ma candidature étant un outrag-e à l’Académie, plusieurs de ces Messieurs ont décidé qu’ils ne seraient pas visibles pour moi. Mais c’est trop fantastique pour être possible.)

Tout à vous.

Il y a longtemps que j’ai reçu un paquet de japonneries. Je les ai partagées entre mes amis et amies, et je vous en ai réservé trois. Elles ne sont pas mauvaises (images d’Epinal, du Japon, 2 sols pièce à Yeddo). Je vous assure que sur du vélin et encadréde bambou ou de baguettes vermillon, c’est d’un grand effet.

A ALFRED DE VIGNY

Monsieur,

Pendant de bien nombreuses années, j’ai désiré vous être présenté, comme à un de nos plus cliers maîtres. Ma candidature à l’Académie française me fournissait un prétexte pour me présenter moi- même chez vous, dans ces derniers jours. Seule- ment, j’ai appris votre état de souffrance, et j’ai cru devoir m’abstenir, par discrétion. Hier, cependant, M. Patin m’a dit que vous éprouviez une amélio- ration sensible, et alors je me suis décidé à venir vous fatiguer quelques minutes de ma personne.

Je vous en prie vivement, congédiez-moi, tout de suite et sans cérémonie, si vous craignez qu’une LETTllKS l8(>I 828

>ite, si b’ève qu’elle soit, ne vous fatigue, fût-ce ile d’un de vos plus fervents et dévoués admira-

■rs.

A ALFRED DE VIGNY

Monsieur,

Je suis rentré chez moi, tout étourdi de votre

bonté, et, comme je tiens vivement à être connu

de vous, je vous envoie quelque chose de plus que

que vous m’avez demandé.

Hans les deux brochures {Richard Wagner,

héophile Gautier), xousiTouYerez quelques pages

li vous plairont.

Voici Les Paradis, auxquels j’ai la faiblesse d’at- ibuer quelque importance. La première partie est tièrement de moi. La seconde est l’analyse du 16 de Ouincey auquel j’ai ajouté, par ci, par là, (juelques idées qui me sont personnelles, mais avec une grande modestie.

Voici Les Fleurs, le dernier exemplaire sur bon

papier. La vérité est qu’il vous était destiné depuis

très longtemps. Tous les anciens poèmes « ont rema-

••s. Tous les nouveaux, je les marque au crayon

la table des matières. Le seul éloge que je solli-

e pour ce livre est qu’on reconnaisse qu’il n’est

is un pur album et qu’il a un commencement et

uua fiiu Tous les poèmes nouveaux ont été faits

Mir être adaptés à un cadre singulier que j’avais

loisi.

J’ajoute un vieux numéro de revue, et où vous CHARLES BAUDELAIRE

trouverez un commencement de tentative nouvelle, qui peut-être vous intéressera. Jules Janin et Sainte- Beuve y ont trouvé quelque ragoût. Quant aux articles sur les beaux-arts et la littérature, je n’en ai pas un seul sous la main.

Si je peux dénicher un exemplaire de la vieille édition des Fleurs, je vous l’enverrai.

Enfin, voici les poésies de Poe. Je ne vous re- commande rien, tout est également intéressant. Ne me rendez pas ce volume, je possède un second exemplaire.

Monsieur, je vous remercie de nouveau pour la manière charmante dont vous m’avez accueilh. Quelque grande que fût l’idée que je m’étais faite de vous, je ne m’y attendais pas. Vous êtes une preuve nouvelle qu’un vaste talent implique tou- jours une grande bonté et une exquise indulgence.

A CHARLES ASSELINEAU

Mon cher ami.

Tâchez de savoir, non pas si je peux mettre Emile Augierdemonbord (je crois cela impossible), mais si je puis me présenter chez lui avec sécurité, c’est à dire sans me manquer à moi-même.

Est-il lié avec Porisard ?

Croyez-vous que je pourrais, sans indiscrétion, et avec chances, prier Janin de dire quelques mots de mon affaire ?

Tout à vous.

Vous savez qu’il (Augier)a changé d’adresse. 86

A SAINTE-BEUVE

Encore un service que je vous dois I Quand cela finira-t-il ? Et comment vous remercier ?

L’article m’avait échappé. Cela vous explique le retard que j’ai mis à vous écrire.

Quelques mots, mon cher ami, pour vous peindre le genre particulier de plaisir que vous m’avez pro- curé. — J’étais très blessé (mais je n’en disais rien) de m’entendre, depuis plusieurs années, traiter de up-garou, d’homme impossible et rébarbatif. Une lois, dans un journal méchant, j’avais lu quelques n.(nes sur ma répulsive laideur, bien fait^pour éloi- ! ier toute sympathie (c’était dur, pour un homme ni a tant aimé le parfum de la femme). Un jour,

ne femme me dit
C’est singulier, vous êtes fort

>nvenable ; je croyais que vous étiez toujours ivre ’ que vous sentiez mauvais. Elle parlait d’après la légende.

Enfin, mon cher ami, vous avez mis bon ordre , tout cela, et je vous en sais bien du gré, — moi

20 326 CHARLES BAUDELAIRE

qui ai toujours dit qu’il ne suffisait pas d’être savant, mais qu’il fallait surtout être aimable.

Quant à ce que vous appelez mon Kamtchatka ^ si je recevais souvent des encouragements aussi vigoureux que celui-cijje crois que j’aurais la force d’en faire une immense Sibérie, mais une chaude et peuplée. Quand je vois votre activité, votre vita- lité, je suis tout honteux ; heureusement, j’ai des soubresauts et des crises dans le caractère qui rem- placent, quoique très insuffisamment, l’action d’une volonté continue.

Faut-il maintenant que moi, l’amoureux incorri- gible des Rayons jaunes et de Volupté, du Sainte- Beuve poète et romancier, je complimente le jour- naliste ? Comment faites-vous pour arriver à cette certitude de plume qui vous permet de tout dire et de vous faire un jeu de toute difficulté ? Cet article n’est pas un pamphlet, puisque c’est une justice. Une chose m’a frappé, c’est que j’ai retrouvé là toute votre éloquence de conversation, avec son bon sens et ses pétulances.

(Vraiment, j’aurais voulu y collaborer un peu, — pardonnez cet orgueil ; — j’aurais pu vous faire don de deux ou trois énormités que vous avez omises par ignorance. Dans une bonne causerie, je vous conterai cela.)

Ah ! et votre utopie ! le grand moyen de chasser des élections le vague, si cher aux grands seigneurs ! Votre utopie m’a donné un nouvel orgueil. Moi aussi, je l’avais faite, l’utopie, la réforme ; — est-ce un vieux fond d’esprit révolutionnaire qui m’y poussait. LETTRES 18O2 327

»mme aussi, il y a longtemps, à faire des projets t’ constitution ? Il y a cette grande différence que i vôtre est tout à fait viable, et qiic^ peut-être^ le

juiir n’rst pas loin où elle sera adoptée.

Poulet-Malassis brille de faire une brochure avec

votre admirable article, mais il n’ose pas aller vous

voir ; il croit que vous lui en voulez.

Promettez-moi, je vous prie, de trouver quelques

minutes pour répondre à ce qui suit :

Un grand chagrin, la nécessité de travailler, des

douleurs physiques, dont une vieille blessure, ont

interrompu mes opérations.

J’ai, enfin, quinze exemplaires de mes principaux

bouquins. Ma liste de distribution, très restreinte,

est faite. Je crois de bonne politique d’opter pour le fau- nil Lacordaire. Là, il n’y a pas de littérateurs, tftait primitivement mon dessein, et, si je ne l’ai is fait, c’était pour ne pas vous désobéir, et pour i pas paraître trop.excentrique. Si vous croyez on idée bonne, j’écrirai, avant mercredi prochain, ! ie lettre à M. Villemain,où je dirai,biièvement, u’il me semble que l’option d’un candidat ne doit is être seulement dirigée par le désir du succès, lais aussi doit être un hommage sympathique à mémoire du défunt. Aussi bien, Lacordaire est

un prêtre romantique, et je l’aime. Peut-être glis- ’ rai-je, dans la lettre, le mot romantisme, mais m sans vous consulter.

Il faudra bien que ce terrible rhéteur, cet homme grave et si peu aimable, lise ma lettre ; cet homme 328 CHAULES BAUDELAIRE

qui prêche en causant, avec la physionomie et la solennité (mais non pas avec la bonne foi) de M^i® Lenormand. J’ai vu cette demoiselle, en robe de professeur, ramassée dans son fauteuil, comme un Quasimodo, et elle avait sur M. Villemain l’avantage d’une voix très sympathique.

Si, par hasard, M. Villemain vous est cher, je retire immédiatement tout ce que je viens de dire, et, pour l’amour de vous, je m’appliquerai à le trouver aimable.

Cependant, je ne puis pas m’empêcher de penser que, comme papiste, je vaux mieux que lui…, et cependant je suis un catholique bien suspect.

Je veux, malgré ma tonsure et mes cheveux blancs, vous parler en petit garçon. Ma mère, qui s’ennuie beaucoup, me demande sans cesse les nouveautés. Je lui ai envoyé votre article. Je sais quel plaisir maternel elle en tirera. Merci, pour elle et pour moi.

Votre bien dévoué.

A ALFRED DE VIGNY

Dimanche, 26 Janvier 1862.

Monsieur,

Je suis bien persuadé que vous ne m’avez pas cru capable d’oublier un instant votre admirable accueil, ni la permission que vous m’avez donnée de compter sur vos conseils. Dans la fin de Décembre, LETTRES — 1862 329

et au commencement de ce mois, j’ai fait quelques efforts inutiles pour trouver quelques-uns de ces Messieurs que je tenais vivement à voir, MM. Sandeau, de Sacy, Ponsard, Saint-Marc Girardin, Legouvé. — Puis, je me suis senti repris par mes névralgies périodiques (mes seuls titres auprès de M, Viennet); puis, par une grosse douleur morale, une de celles qui ne veulent pas être dites, comme disent les Anglais; puis, par un accident physique; puis, enfin, par l’impérieuse nécessité de travailler. En voilà plus qu’il n’en faut pour expliquer le découragement, dans une tentative aussi paradoxale que la mienne. Cependant, je vais m’y remettre activement. Je possède maintenant un nombre suffisant d’exemplaires de mon petit bagage littéraire pour en faire quelques hommages.

Je consacrerai tout le commencement de Février à mes visites.

Tout bien considéré, je ne suis pas fâché d’avoir tant lambiné; cela m’a permis de réfléchir sur une foule de choses que je ne connaissais guère.

Avant de prendre une décision définitive, j’ai voulu avoir votre avis. Selon votre réponse, j’écrirai, avant mercredi, une lettre à M. Villemain, destinée à être communiquée à MM. de l’Académie.

Cette lettre, d’une forme un peu abandonnée, comme peut l’être celle d’un novice, dira en substance que, â défaut d’une ressemblance complète entre les ouvrages du défunt et ceux du candidat, l’enthousiasme du dernier me parait une raison 33o (.HARLES BAUDELAIRE

suffisante d’option, dans le cas de deux fauteuils vacants ;

Que, d’après cette théorie, le candidat le plus parfait qu on puisse supposer devrait s’abstenir, s’il ne trouvait pas dans la vie et les ouvrages du défunt autre chose que des motifs d’admiration raisonnée, c’est à dire la sympathie et ienthou- si as me ;

Que, le père Lacordaire excitant en moi cette sympathie, non seulement par la valeur des choses qu’il a dites, mais aussi par la beauté dont il les a revêtues, et se présentant à l’ imagination non- seulement avec le caractère chrétien, mais aussi avec la couleur romantique (j’arrangerai cela au- trement), je /)rte M, Villemain d’instruire ses col- lègues que fopte pour le fauteuil du père Lacor- daire,

Par ce moyen, il me semble que je gagne quel- ques jours de plus, que je pourrai peut-être, me trouvant seul en face de M. de Broglie, puisque Philarète Gliasles se retire, obtenir quelques voix d’hommes de lettres.

Et enfin le sentiment et l’instinct me persuadent qu’il faut toujours se conduire uiopiquement, c’est à direcommesion était sûr d’être élu, quand même on est certain de ne pas Têtre.

La première fois que je parlai de mon projet à

Sainte-Beuve, il me dit en riant : C’est fort bien,

je reconnais votre caractère ; votre tentative ne

m’étonne pas ; je parierais que, pour compléter

votre audace, vous allez opter pour le fauteuil de LETTRES 1862 83 I

^, V,..,,//"^. En vérité, c’était mon intention ;

mis cette plaisanterie me déconcerla, et je craignis

e paraître trop excentrique, surtout aux yeux des

« •ns qui ne me connaissent pas du tout.

Si je voulais pousser ma démonstration de la

’cessité de sympathie jusqu’à l’extrême rigueur,

je composerais une étude critique et biographique

sur le père Lacordaire, et je la ferais imprimer au

moment de la réception du candidat ; mais c’est

i une gageure de prodigue, et il suffit qu’il y ait

dans ce projet un peu d’impertinence pour que je

le repousse.

Je ne prendrai pas de décision avant d’avoir reçu votre avis. Je dois vous dire que j’ai écrit une lettre à peu près analogue à mon excellent ami Sainte-Beuve,et que j’attends égalementune réponse de lui.

J’ai été sérieusement malade ; mais, abstraction faite de la santé, de la paresse, du travail et de iisieurs autres considérations, j’éprouvais un cer- \i\ embarras à me retrouver devant vous, après MIS avoir envoyé mes livres. Songez, Monsieur, à ce que peuvent ^tre, pour • us autres littérateurs de quarante ans, ceux qui il instruit, amusé, charmé notre jeunesse, nos jîtres enfin !

Vous n’avez peut-être pas deviné la raison pour (uellejevous ai adressé un petit journal contenant lelques vers de moi : c’était simplement à cause un sonnet sur un certain coucher de soleil, oiï avais essayé d’exprimer ma piété ! 33 :

CHARLES BAUDELAIRE

Parlez-moi sans façon, je vous en prie, car, dans des matières dont j’ai si peu l’expérience, il n’y aurait pas de honte pour moi à mal raisonner.

Je TOUS prie d’agréer. Monsieur, une fois de plus, l’expression de ma gratitude et de ma sympa- thie toute dévouée.

A GUSTAVE FLAUBERT

Mon cher Flaubert,

J’ai fait un coup de tête, une folie, que je trans- forme en acte de sagesse par ma persistance. Si j’avais le temps suffisant (ce serait fort long), je vous divertirais beaucoup en vous racontant mes visites académiques.

On me dit que vous êtes fort lié avec Sandeau (qui disait, il y a quelque temps, à un de mes amis : M. Baudelaire écrit donc en prose ?), itYons, serais infiniment obligé si vous lui écriviez ce que vous pensez de moi. J’irai le voir et je lui expliquerai le sens de cette candidature qui a tant surpris quel- ques-uns de ces Messieurs.

Il y a bien longtemps que je désire vous envoyer une brochure sur Wagner, et puis je ne sais plus quoi. Mais, ce qui est bien ridicule pour un candi- dat, je n’ai pas un livre de moi chez moi.

Sainte-Beuve a fait lundi dernier, dans Le Cons- titutionnel, à propos des candidats, un article chef- d’œuvre, un pamphlet à mourir de rire.

Tout à vous. Votre bien dévoué. i862 333

A GUSTAVE FLAUBERT

3i Janvier 1862. ’

Mon cher Flaubert,

Vous êtes un vrai guerrier. Vous méritez d’être du bataillon sacré. Vous avez la foi aveugle de Ta- mitié, qui implique la vraie politique.

Mais, parfait solitaire, vous n’avez donc pas lu le fameux article de Sainte-Beuve sur TAcadémie et les candidatures. Ça a fait la conversation d’une semaine, et ça a dû retentir d’une façon violente dans l’Académie.

Maxime du Camp m’a dit que j’étais déshonoré ; mais je persiste à faire mes visites, bien que cer- tains académiciens aient déclaré (mais est-ce bien vrai ?) qu’ils ne me recevraient même pas chez eux. .l’ai fait un coup de tête dont je ne me repens pas. Ouand même je n’obtiendrais pas une seule voix, je ne m’en repentirai pas. Une élection a lieu le G Février, mais c’est à propos de la dernière (Lacor- daire, le 20 Février) que je tâcherai d’arracher deux ou trois voix. Je me trouverai seul (à moins qu’il ne surgisse une candidature raisonnable) en face du ridicuFe petit prince de Broglie, fils du duc, académicien vivant. Ces gens-là finiront par faire rélection de leurs concierges, si ces concierges sont orléanistes.

A bientôt, nous nous verrons sans duute.,1e rêve toujours la solitude, et, si je parlais avant votre

20. 334 CHARLES BAUDELAIRE

retour, je vous ferais une visite de quelques heures là-bas.

Comment n’avez-vous pas deviné que Baude- laire, ça voulait dire : Auguste Barbier, Théophile Gautier, Banville, Flaubert, Leconte de Lisle, c’est à dire : littérature pure ? Ç^a été bien compris tout de suite par quelques amis, et c’a m’a valu quelques sympathies.

Merci et tout à vous.

Avez-vous observé qu’écrire avec une plume de fer, c’est comme si on marchait avec des sabots sur des pierres branlantes ?

A ALFRED DE VIGNY

Monsieur,

Voici le terrible article de Sainte-Beuve, le ma- nifeste.

Voici, en outre, deux sixains d’excellentes bal- lades de Théodore de Banville, qui certainement vous intéresseront.

Je puis bien, sans honte, mettre des sonnets dans Le Boulevard, puisqu’un poète tel que Banville veut bien m’y tenir compagnie.

Tous les effroyables compliments dont vous avez bien voulu accabler mes vers me donnent à crain- dre pour mes élucubrations en prose. Mais vous m’avez donné la soif de votre sympathie.

On s’oublie si bien à côté de vous. Monsieur, que j’ai négligé hier de vous parler de la bonne, aie et LETTRES — 1862 335

■’ l a mauvaise ale,. £uisque vous voulez essayer de ’ régime, défiez-vous comme de la peste (ce n’est oint exagérer, j’en ai été malade) de toute bouteille ortant Tétiquetle Ilarris. C’est un affreux empoi- sonneur.

K\en(\W Allsopp eiBass soient de bons fabricants

Hass surtout), il faut bien se défier de même de

leurs étiquettes, parce qu’il doit exister des contre-

<*acteurs. Le plus raisonnable est de vous adresser

l’un des deux endroits honnêtes que je vais vous

indiquer et de prendre leur aie, de confiance.

Rue de Rivoli^ presque auprès de la place de la

Concorde, un nommé Gough qui tient un bureau

locations d’appartements, et vend en même temps

.’S vins espagnols et des bières, avec des liqueurs

•iglaises.

Puis, à deux pas de chez moi, sans doute au 26,

’le d’Amsterdam, à la taverne S aint-Austin. Il

•’ faut pas la confondre avec une autre taverne qui

. i précède et qui est tenue par des Allemands ; bière

.’l porter y sont excellents et à bon marché.

crois que Gough vend aussi de très vieille

.’, outre ses aies ordinaires, mais ell#est d’une

• rce extrême.

\ ous ne trouverez pas mauvais, n’est-ce pas ? lie je m’ingère dans ces petits détails qui intéres- nt votre hygiène et que je vous fasse part de mon xpérience parisienne. Votre bien dévoué et bien reconnaissant.

Il m’est, pour le moment, impossible de retrou33G CHARLES nVUDELAIRE

ver Le Corbeau, avec La 3îéthode de composition qui lui sert de commentaire.

A GUSTAVE FLAUBERT

3 Février 1862. Mon cher ami,

M. Sandeau a été charmant, sa femme a été char- mante, et je crois bien que j’ai été aussi charmant qu’eux, puisque nous avons fait à nous tous un concert d’éloges en votre honneur, si harmonieux que cela ressemblait à un véritable trio exécuté par des artistes consommés.

Pour mon affaire, Sandeau m’a reproché de le prendre à l’improviste. J’aurais dû le voir plus tôt. Cependant, il parlera pour moi à quelques-uns de ses amis de l’Académie : et peut-être, peut-être, pourrai’] e, dit-il, arracher quelques voix de pro- testants dans le vote pour le fauteuil Lacordaire. C’est tout ce que je désire.

Sérieusement, l’enthousiasme de Madame San- deau pour vous est grand, et vous avez en elle un avocat, un panégyriste plus que zélé. Gela m’a mis en grande rage de rivalité, et je suis parvenue trouver quelques motifs d’éloges qu’elle avait oubliés.

Voici la lettre de Sandeau. Voici un petit journal qui vous amusera peut-être.

Tout à vous. A bientôt. i862 337

A SAINTE-BEUVE

Lundi soir, 3 Février 1862. Mon cher ami,

Je m’applique bien à deviner les heures qui sont pour vous des heures de vacances, et je n’y puis réussir. Je n’ai pas écrit un mot, suivant votre )nseil ; mais je continue patiemment mes visites, pour bien faire comprendre que je désire, à propos de l’élection en remplacement du Père Lacordaire, ramasser quelques voix d’hommes de lettres. Je crois que Jules vSandeau vous parlera de moi ; il m’a dit fort gracieusement : Vous me surprenez trop fard, mais Je vais m’ informer s’il y a quelque lose à faire pour vous.

J’ai vu deux fois Alfred de Vigny, qui m’a

gardé, chaque fois, trois heures. C’est un homme

admirable et délicieux, mais peu propre à l’action,

et dissuadant même de l’action. Cependant, il m’a

•’moigné la plus chaleureuse sympathie.

Vous ignorez que le mois de Janvier ©été, pour

i()i,un mois de chagrins,de névralgies… Je dis cela

jur expliquer l’interruption dans mes démarches.

J’ai vu Lamartine, Patin, Viennet, Legouvé, de

igny, Villemain (horreur !), Sandeau. Ma foi, je

me souviens plus des autres. Je n’ai pu trouver

i Ponsard, ni M. Saint-Marc Girardin, ni de Sacy.

J’ai, enfin, envoyé quelques exemplaires de

quelques livres à dix de ceux dont je connais les 338 CHARLES BAUDELAIRE

ouvrages. Cette semaine, je verrai quelques-uns de ces Messieurs.

J’ai fait, dans la Revue anecdotique (sans signer, mais ma conduite est infâme, n’est-ce pas ?), une analyse telle quelle de votre excellent article. Quant à l’article lui-même, je l’ai envoyé à M. de Vigny, qui ne le connaissait pas, et qui m’a témoigné l’envie de le lire.

Ouant aux politiqueurs, chez qui je ne puis trou- ver aucune volupté, j’en ferai le tour en voiture. Ils n’auront que ma carte, et non pas mon visage.

J’ai lu ce soir votre Pontmartin. Pardonnez-moi de vous dire : Que de talent perdu ! \\ y a, dans votre prodigalité, quelque chose qui parfois me scandalise. Il me semble que moi, après avoir dit : Les plus nobles causes sont quelquefois soutenues par des Jocrisses, j’aurais considéré mon travail comme fini. Mais vous avez des talents particuliers pour suggérer et pour faire deviner. — Même envers les bêtes les plus coupables, vous êtes délicieuse- ment poli. Ce monsieur Pontmartin est un grand haïsseur de littérature…

Je vous ai envoyé un petit paquet de sonnets. Je vous enverrai prochainement plusieurs paquets de rêvasseries en prose, sans compter un énorme travail sur les Peintres de mœurs (crayon, aqua- relle, lithographie, gravure).

Je ne vous demande pas si vous vous portez bien. Cela se voit suffisamment.

Je vous embrasse et vous serre les mains. — Je sors de chez vous. LETTRES — 1862 33q

A ALFRED DE VIGNY

Monsieur,

Je vous ai vu souffrir, et j’y pense souvent.

Un de mes amis, dont l’ estomac est dans un état fort triste., m’a dit que Guerre, le pâtissier anglais dont la maison fait le coin de la rue Castiglione et de la rue de Rivoli., fait des gelées de viande combinées avec un vin très chaud, Madère ou Xérès sans doute, que les estomacs les plus désolés digè- rent facilement et avec plaisir ! C’est une espèce déconfiture de viande au vin, plus substantielle et

)urrissante qu’un repas composé.

J’ai présumé que ce document méritait de vous

re transmis.

Votre bien dévoué.

A POULET-MALASSIS

… Quant à la dernière phrase de votre lettre, nus savez parfaitement que le travail fini et livré fj Illustration a une valeur d’au moins^^oo fr. et iialementsera publié ; et que, sur l’argent du Minis- re d’État, je dois vous livrer 600 fr. ; et que, si cette rnme ne montait pas à ce chiffre, je me ferais un •voirde tout vous livrer. Donc, vos reproches rela- vement à mes illusions ne peuvent pas s’appliquer a ma façon de compter, mais au manque de concor- dance entre l’arrivée de l’argent et l’échéance. Que sois désolé de ceci, vous n’en doutez pas. 34o CHAULES BAUDELAIRE

Vous VOUS trompez encore dans les motifs suppo- sés pour le refus ; quand j’aurai le plaisir de vous voir, je pourrai mieux vous expliquer cela. Aussi bien, en deux mots, voici : i° un commis a affirmé que vous ne payiez pas vos effets, juste au jour con- venu ; 2^ un autre commis (qui, évidemment, était allé à la Banque) a dit que la maison avait beaucoup plus de valeur du temps de de Broise, et que la retraite de de Broise expliquait la retraite d’une maison de banque d’Alençon. Vous comprenez bien que ce n’est pas moi qui invente cela.

Vous essayez, dans votre lettre, de me faire sentir le plus vivement possible votre mauvaise humeur, mauvaise humeur fort légitime d’ailleurs. C’était inutile. Je souffre suffisamment de ce qui est arrivé, et j’ai reçu de vous trop de services pour g-arder souvenir d’autre chose.

Tout à vous.

A THEOPHILE GAUTIER

… Cette année, Paris est rissolé, Phébus-Apollon verse tous les jours plusieurs casserolées de plomb fondu sur les malheureux qui se promènent le long- des boulevards. Si j’étais au ciel, j’appellerais ceux de l’endroit à faire des barricades contre ce Dieu sans gêne. Il a été déjà exilé une fois sur la terre, où Admète le forçait à garder des moutons. Pour moi, je le forcerais, vu sa récidive, à garder des poètes modérés, à l’Académie Française…

A THÉOPHILE GAUTIER.

4 Août 1862.

Mon cher Théophile,

Tu serais bien charmant, si tu disais quelques mots agréables de l’entreprise des Aquafortistes. C’est, à coup sûr, une très bonne idée, et il y aura dans la collection des œuvres qui te charmeront. Il faut évidemment soutenir cette réaction en faveur d’un genre qui a contre lui tous les nigauds.

A propos, j’ai à te remercier, et de bien bon cœur, de ton article sur moi, dans la collection Crépet, C’est la première fois que je suis loué comme je désirais l’être.

Bien à toi.

A THÉOPHILE GAUTIER

Cher ami,

Je viendrai te dire quelques mots, avant que tu ne sortes. Peux-tu me dire à peu près à quelle heure, ou préfères-tu que je te voie à L’Artiste ?

A ARSÈNE HOUSSAYE

8 Octobre 1862. 3 h.

Mon cher Houssaye,

J’ai vu, tout à l’heure, M. R qui m’a fait les reproches que vous l’avez chargé de me transmettre, 'à ! \2 CHAULES JiAUDliLAIiU :

ainsi que la suppression totale de tous les poèmes en prose. Ce n’est pas là ce qui m’est le plus désa- gréable ; comme vous le devinez, c’est le reproche que vous croyez, sans doute, pouvoir me faire.

Je considère la chose en soi comme légère, et je n’en ai deviné la gravité, que quand M. R me l’a présentée dans ses rapports avec le procès. Je ne me sentais pas coupable du tout, et je vous trans- mets littéralement ce que je lui ai répondu :

I. — La revue en question tirait à 5oo, et ne vendait que cent numéros. Publicité nulle.

2. — Plusieurs de ces morceaux (combien ? je ne sais pas) ont été remaniés, et même transfor- més (dans quelle proportion, je ne puis pas vous le dire maintenant, puisque je n’ai, sous les yeux, ni mes feuilletons, ni la Revue fantaisiste). Mais vous pourrezjuger detout cela, par vous-même, car je vais chercher le numéro de la revue ; je vous le transmettrai immédiatement, et vous comparerez.

3. — Je voulais donner au lecteur une idée complète de l’ouvrage, dans son ampleur, ouvrage conçu depuis longtemps, et, avant d’entremêler quelques morceaux anciens, j’ai consulté deux ou trois de mes amis qui m’ont dit que mes scrupu- les seraient puérils, quand même je ne remanie- rais pas, surtout avec une aussi grande quantité de morceaux nouveaux, et les morceaux anciens, si rares, n’ayant reçu qu’une publicité aussi res- treinte.

J’aurais dû vous consulter vous-même, ^ico, n’est qu’à vous seul que je dois des excuses. LETTRES 1862 343

Il e : -i t-Mueiit que le coup part de quelque haine ri de quelque méchanceté, dont je ne connais ni la

ison, ni Torigine.

Je crois que M.R a été un peu étonné de mon aime ; et, je vous le répète, il a fallu des explica- tions secondaires, pour que je comprisse la g-ra- vité de la chose.

J’étais allé dire à M. R que je comptais,

sous peu de jours, livrer la totalité du manuscrit, afin que tous les morceaux à supprimer, s’il y avait lieu, me fussent indiqués à l’avance, et que je ferais faire immédiatement, pour La Presse, une copie particulière.

J’irai vous voir, le 16, pour vous montrer ce ma- nuscrit. Quand même vous maintiendriez la suppres- s’on totale, je ne m’en considérerais pas moins

nme votre obligé, au moins à cause de l’admi-

rable intention que vous avez montrée.

Tout cela est d’autant plus désagréable que je

acontre une foule de gens qui prennent goût à Ja chose.

Selon votre décision finale, quand vous aurez

’/, je vous laisserai l’ouvrage, ou je Importerai

inédiatement au libraire.

Demain, après-demain au plus tard, je retrou- verai le numéro de la revue, et je vous le trans- mettrai ; mais il faudrait une épreuve, à la brosse, du feuilleton resté à l’imprimerie, pour que vous puissiez bien juger delà proportion entre le vieux, le neuf, et le rajeuni.

Tout à vous. 3 Vf CHARLES RAUDIsLAIRE

A POULET-MALASSIS

Mardi, i8 Novembre 1862. Mon cher,

Pardonnez-moi de n’être pas encore allé à la Préfecture de police, pour obtenir… Les journées sont si brèves, et, chaque jour, il j a des épreu- ves à corrig-er, des courses à faire, etc. ..

Dimanche dernier, au soir, j’ai rencontré Hetzel qui m’a dit, comme en jg-rande confidence : Ma- lassis est à Clichy. Je me suis mis à rire, et, quand il m’a demandé qui avait fait cela, et que je lui ai appris, il m’a dit : Vous me recommandez donc les ennemis de vos amis. C’est à cause de vous, et pour vous être agréable, que fai com- mandé trois livres à cet animal-là. Ensuite, il m’a très long-uement, et très minutieusement parlé de votre position, et m’a affirmé que la prison (même celle pour dettes) était un symptôme grave. Je vous transmets nettement la chose, et je dois ajouter qu’il a montré pour vous la plus vive sym- pathie.

Mais il vient de m’arriver, tout à l’heure, quel- que chose d’assez extraordinaire. Un de nos amis, que Poupart-DavyljVeut faire mettre à Clichy, m’a prié d’intervenir, en me chargeant de propositions fort acceptables. Poupart-Davyl m’a nettement re- fusé ; mais il était fort calme, quand, tout d’un coup, la créature est entrée, et, aussitôt qu’elle m’a vu, elle a été prise d’une fureur inexprimable. PoupartLBTTRHS l8t)2 345

Davyl, un peu honteux, a essayé de lui expliquer qu’il était question d’autre chose. Rien n’y a fait ; elle n’a cessé de me provoquer par toutes sortes d’inso- lences. Quand sont venus les gros mots, relative ment à vous, je lui ai expliqué, froidement, que les gens bien élevés, quand ils avaient du mal à dire de quelqu’un, évitaient de le dire devant les amis de celui-là ; que, d’ailleurs, j’étais venu pour autre chose, et cœtera.

Mais enfin, il est en prison, lui, et deux de

■s complices. J’ai répondu : Je le sais (sauf la f/uestion des fameux complices). Mais ce qu’il y a de fort singulier, c’est que, pendant que je com- prenais Clichy, elle voulait dire Mazas. Je ne peux pas vous donner une idée de cette scène ; il faudrait la mimer. Je me sentais froid, de haine ; mais l’amour de ma dignité l’a emporté. Mais ne

ilà-t-il pas, tout à coup, que Poupart-Davyl, calme et même embarrasse jusqu’alors, enivré sans ’loute parles effroyables cris de cette vieille

ist mis aussi à c rier, sans savoir pourquoi. Car n’étais pas venu pour parler devons, et je n’a-

ils rien dit de vous. Alors, je me sui#levé, j’ai

ilué Poupart-Davyl, et il m’a accompagné. Et puis la porte s’est fermée violemment, avec de vagues imprécations, relatives à moi. C’était encore 1^ demoiselle, furieuse probablement de ce que

avais évité de la saluer.

J’espère que Poupart-Davyl aura l’esprit de m’é- crirc une lettre d’excuses. S’il ne le fait pas, je trouverai, peut-être, le temps de lui donner une 346 CHAULES BAUDELAIRE

leçon. En sortant de là, mon cher, j’avais froid et chaud. J’ai été obligé d’entrer dans un café. Quel repaire de fous, ou de coquins !

Voyez si vous pouvez comprendre, expliquer tant de folie ; et, surtout, si vous avez à dire quel- que chose contre eux, ne faites plus le généreux : c’est trop absurde.

Jamais de ma vie, personne n’a osé me parler en face, comme cette vieille stryge. C’est inouï.

Tout à vous. Un mot de réponse.

A POULET-MALASSIS

i3 Décembre 1862.

En effet, mon cher ami, celui qui vous a fait enfermer m’a joué un cruel tour, car je comptais bien sur vous pour diriger mes affaires. Je suis si maladroit !

Hetzel m*a fait une fort belle proposition pour deux ouvrages se faisant pendant réciproquement. Il voulait les lancer avec soin, mais c’était pour une édition seulement, mais cela ne remplissait pas mon but.

Et Michel me tient toujours le bec dans l’eau. Je recule, suivant la tradition des rêveurs, comme devant toute réalité.

Pourquoi diable m’offrez-vous quelqu’un pour me diriger ? Il faut que j’apprenne à faire une affaire tout seul.

Mais que vous êtes injuste envers moi ! Que faire LETTRES 1862 347

pour vous êtes agréable ? Vous me demandiez un journal littéraire. Comme tous les prisonniers, vous croyez qu’il se passe quelque chose dehors. 11 n’y a pas de nouvelles, à moins que vous ne fassiez allusion au Fils de Giboyer. Mais vous savez bien que je ne m’occupe pas de ces turpitudes-là.

Quant à Salammbô^ grand, grand succès. Une

iition de 2.000, enlevée en deux jours. Positif. Beau livre, plein de défauts, et qui met en fureur tous les taquins, particulièrement Babou. Il y en a qui reprochent à Flaubert les imitations des uteurs anciens. Ce que Flaubert a fait, lui seul pouvait le faire. Beaucoup trop de bric-à-brac, mais beaucoup de grandeurs, épiques, historiques, politiques, animales même. Quelque chose d’éton- nant dans la gesticulation de tous les êtres. Quant aux 3o.ooo fr., blague, blague ! Pourquoi Flaubert a-t-il permis cela ? 3o.ooo fr., soit ! mais la Bo- vary, dont le traité allait expirer, est cédé de nou- veau : donc, 1 5.000 fr., puis, défalcation de Tinté- rét de So.ooo fr., pendant dix ans. — Je crois que Flaubert a reçu 12 ou i3.ooo fr. (pour les deux), mais comptant.

Champfleury et La Fizelière m’ont dit qu’on ne pouvait pas encore vous voir. Alors, mes remords n’avaient pas de raison d’être, car j’avais positive- ment des remords de n’avoir pas encore couru là- bas pour vous voir.

Mais quand cela finira-t-il ? Et quand pourra-t-on vous rendre visite ? J’ai hâte de le savoir. Donnez- moi des nouvelles de votre mère.J’aurai peut-être 348 CHAULES BAUDELAIRE

à lui écrire avant un mois ou avant quinze jours. Pour moi, je me porte fort mal, et toutes mes infir- mités physiques et morales augmentent d’uiie ma- nière alarmante.

J’aurais besoin d’un médecin comme Mesmer, Cagliostro ou le tombeau de Paris. Je ne plaisante pas.

Tout à vous.

J’oubliais quelque chose d’important, et que je pourrais vous donner à deviner fort inutilement. J’ai vu Madame Paul Meurice, à propos de Legros qui a fait un beau portrait de Hugo. Elle m’a de- mandé de vos nouvelles, m’a accablé de questions avec une émotion surprenante (comme je ques- tionne aussi tout le monde, à propos de vous), cl puis j’ai vu ses yeux se gonfler, ainsi que son cou, et je crois vraiment qu’elle aurait pleuré, si on n’avait pas annoncé une visite.

Vraiment je serais bien fier d’exciter tant d’in- térêt même à une femme à cheveux blancs. — Quant à son mari, invisible. Il est plongé dans quelque grosse machine nouvelle. 863

A GHAMPFLEURY

6 Mars i863. Mon cher ami,

Le sphinx et rhommebizarre,c’est toujours vous, et vous êtes bizarre bien naturellement, car l’art ne trouverait pas cela. Comment ! vous m’écrivez une lettre que vous tâchez de rendre désagréable, parce que je vous dis que je n’aime pas la mauvaise société ! Mon ami, j’en ai toujours eu horreur : la crapule, et la sottise, et le crime ont un ragoût qui peut plaire quelques minutes, mais la mauvaise société, mais ces espèces de remous d’écume qui se font sur les bords de la société ! infj^ossible. Vous dites que ma lettre a un sens caché ; ^e vais

us expliquer ce sens qui, selon moi, devait vous sauter aux yeux :

Champfleury a un caractère joyeux et mystifi- cateur, duquel je participe un peu. Champfleury a

couvert un monde comique, plein de femmes sans maris et de jeunes filles à marier, non maria- bles, avec des pédantes qui font semblant d’aimer

21 35o CHARLES BAUDELAIRE

la philosophie. Ghampfleurj sait, commemoi, qu’une femme est incapable de comprendre même deux lignes du catéchisme. Mais il veut que je partage sa joie, et il veut aussi s’amuser de mon choc avec cette sotte. (Et alors je vous ai répondu que j’é- tais prêt à tout pour vous plaire, mais que cela m’ennuyait.)

Voilà le sens caché. Quant à votre petit prêche de vertu, de la fin de votre lettre, où vous enfer- mez un si magnifique éloge de vous-même, je n’ai rien à dire, si ce n’est que quand on pense tant de bien de soi-même, il n’est pas généreux d’en acca- bler les autres. Il est évident que vous êtes un homme heureux, heureux par vous-même, et moi je ne le suis pas, car je suis toujours mécontent de moi.

Je veux que vous me permettiez devons dire qu’il y a aussi dans votre lettre un ton de taquinerie et de rancune qui, de vous à moi, à notre âge, n’est pas de raison. Quoi ! le mot dignité vous excite à ce point, vis à vis d’un vieil ami ?

Venez, je vous en supplie, me voir dimanche à midi, sinon je croirais que vous m’en voulez.

Tout à vous.

Vous aimez le comique. Lisez le dernier entretien de Lamartine (à propos des Misérables). C’est une lecture amusante que je vous suggère. Comme vous êtes trop porté à la finesse, je vous prie de ne voir aucun rapport entre ceci et ma lettre. Répon- dez-moi tout de suite. Je vous transmets la fausse déclaration que vous me demandez. LETTRES — i863 35 r

A AUr.USTE DE CHATILLON

i4 Mars i8G3. Mon cher Chatillon,

Je vous remercie de tout mon cœur.

Venez donc déjeuner, demain matin, dimanche, à l’Hôtel. J’attends Manet, vous ferez sa connais- sance.

A 1 1 h. Soyez exact, et dites en bas que je vous attends pour déjeuner.

Je voudrais savoir ce que je vous redois. Mais il faut que vous confesse, à ma honte, que je vais traverser un Saharah de débine de quinze jours.

Bien à vous.

A POULET-MALASSIS

Vendredi, 8 Août i863. Mon cher ami,

Ce que vous me demandez est impossible. Je l’ai plus qu’un jour, pour mes pré| »ratifs de

part, courses, visites, emballages, etc..

Pourquoi, vous qui savez si bien ôtre persuasif, î sans aucune peine, n’allez-vous pas directement

•mander la voix de L et de T ?

Vous comprenez bien que je suis désolé de vous

fuser.

Je vous écrirai, uaiiN(jiici(|iiesjours, de Bruxelles. ic logerai, sans doute, à V Hôtel du Grand-Miroir. 352 CHARLES BAUDELAIRE

J’ai un remords, je relis votre lettre pour la troisième fois, désirant sincèrement trouver le moyen d’exécuter ce que vous me demandez, mais votre lettre est inintelligible pour moi : quels pou- voirs T et L ont-ils à me transmettre ?

A THÉOPHILE GAUTIER

21 Août i8ô3.

Oui, certes, assurément.

J’ajouterai même que ce Monsieur Rodolfo me tourmente, et que je ne suis pas exempt de jalou- sie à son égard. Il me semble que, dans une cir- constance aussi solennelle, tu aurais pu penser à utiliser les talents de ton dévoué

baldélario.

[a taine.]

6 Octobre i863.

Cher Monsieur,

Je vous serais très reconnaissant, si vous pensiez à moi.

J’ai une grosse affaire à conclure avec Michel, et il ne veut pas conclure, avant d’avoir la préface à’ Eurêka, d’un côté, et, de l’autre, quelques pages de moi qui lui manquent pour son cinquième volume.

Je suis affreusement affaire. Croyez que sans cela j’irais vous voir fréquemment. I.ETTRRS iSOo 853

! *ourriez-vous m’écrire un petit mot pour m’ex- j.iimerce que vous pensez de l’ouvrage, — si vous ferez la préface, — quelle étendue elle aurait, — et quel prix vous en demanderez.

Croyez, Monsieur, que j’apprécie toute la valeur du service que je vous demande, et que j’en gar- derai toujours le souvenir.

A ETIENNE GARJAT

6 Octobre i863. Mon cher Carjat,

Manet vient de me montrer la photographie qu’il portait chez Bracquemond. Je vous félicite, et je vous remercie. Cela n’est pas parfait, parce que ’-fie perfection est impossible, mais j’ai rarement

quelque chose d’aussi bien.

le suis honteux de vous demander tant de choses, « ■i j’ignore comment je pourrai vous remercier ; mais, si vous n’avez pas détruit ce cliché, faites

—w quelques épreuves. Ouelquest cela veut dire

/ue vous pourrez. Et je tiens, si je vous parais

iiscret, à ce que vous me le disiez, « «pas trop ement cependant.

Manet vient de m’annoncer la nouvelle la plus jiiattendue. Il part ce soir pour la Hollande, d’où il ramènera sa femme. Il a cependant quelques excuses, car il paraîtrait que sa femme est belle,

■s bonne et très grande artiste. Tant de trésors _.- une seule persofuic n-niello, n’est-ce pas mons- trueux ? 354 CHARLES BAUDELAïaE

Réponse, si on vous trouve. Bien à vous.

A EUGÈNE CRÉPET

Mon cher Crépet,

Je ne crois pas commettre une indiscrétion en vous insinuant (ce que j’aurais dû faire depuis longtemps) que notre ami Ghampfleury a un vif désir de recevoir le Recueil des chefs-d’œuvre de la poésie françciise. Il m’a demandé à quel titre il pouvait le réclamer. En vérité, c’est trop de modestie de sa part. Avant de vous consulter, j’ai répondu de votre bonne volonté.

Tout à vous.

Présentez mes respects à Madame Crépet.

Ghampfleury demeure au fond d’une cité, rue Neuve-Pigalle. J’ai oublié le numéro. Vous trou- verez l’adresse exacte à la librairie Malassis.

A SAINTE-BEUVE

De qui est ce sonnet, extrait d’un Parnasse satyrique, réimprimé en Belgique ? Saint- Victor a parié pour Théophile de Viau, Malassis pour Racan ( !!!), et moi, pour Maynard. Nous avions peut-être tort tous les trois.

Cette nuit, je songeais que Phillis revenue, Belle, comme elle était à la clarté du Jour, i864

A POULET-MALASSIS

Mon cher ami,

Vous m’avez tant tracassé aujourd’hui par vos oltiges (inutiles) que vous m’avez fait oublier deux iJioses importantes : l’une, le fameux programme du plafond d’Apollon, perdu par moi ; l’autre, ■i liste (autant que vous vous souvenez) des tra- vaux littéraires de Delacroix, dans la Revue des Deux Mondes, et de ceux, publiés précédemment, sans doute dans U Artiste, Ricourt.

Ajoutez-y quelques réflexions de vous. Rapides t’i substantielles. Je les interpréterai et^e les inco- L-rai dans mes épreuves, si vous arrivez trop tard ; vite, je vous prie.

Pour reprendre notre thème d’aujourd’hui, je verrai Michel avant le i5, je le tâterai, et je verrai s’il y a inconvénient pour moi (c’est à dire : pour nous) à ce que vous vous chargiez de mon affaire ; si ses offres sont trop affreuses, je repousse r af- faire. S’il y a quelque avantage immédiat, vous 356 CHARLES BAUDELAIRE

ferez votre part, mais il faudra penser à Lécrivain. Car il me serait dur d’hypothéquer cette dette, renouvelée, sur les leçons de Novembre. (Relative- ment à ceci, c’est vous qui ferez le traité avec M. Yervoort.) Vers la fin d’Octobre; cela suffira. Tout à vous.

A JUDITH GAUTIER

Mademoiselle,

J’ai trouvé récemment, chez un de mes amis, votre article, dans Le Moniteur du 29 Mars dont votre père m’avait quelque temps auparavant com- muniqué les épreuves. Il vous a sans doute raconté l’étonnement que j’éprouvais, en les lisant. Si je ne vous ai pas écrit tout de suite pour vous remer- cier, c’est uniquement par timidité. Un homme peu timide par nature peut être mal à l’aise devant une belle jeune fille, même quand il l’a connue toute petite, — surtout quand il reçoit d’elle un service, — et il peut craindre, soit d’être trop res- pectueux et trop froid, soit de la remercier avec trop de chaleur.

Ma première impression, comme je l’ai dit, a été l’étonnement, — impression toujours agréable d’ailleurs. Ensuite, quand il ne m’a plus été permis de douter, j’ai éprouvé un sentiment difficile à exprimer, composé moitié du plaisir d’avoir été si bien compris, moitié de joie de voir qu’un de mes plus vieux et de mes plus chers amis avait une fille vraiment digne de lui. LETTRES — 1864 357

Dans votre analyse si correcte d'Eurêka, vous avez fait ce qu’à votre âge je n’aurais peut-être pas pu faire, et ce qu’une foule d’hommes très mûrs et se disant lettrés sont incapables de faire. Enfin, vous m’avez prouvé ce que j’aurais volontiers jugé impossible, c’est qu’une jeune fille peut trouver dans les livres des amusements sérieux, tout à fait différents de ceux, si bêtes et si vulgaires, qui remplissent la vie de toutes les femmes.

Si je ne craignais pas encore de vous offenser en médisant de votre sexe, je vous dirais que vous m’avez contraint à douter moi-même des vilaines opinions que je me suis forgées à l’égard des femmes en général.

Ne vous scandalisez pas de ces compliments si bizarrement mêlés de malhonnêtetés; je suis arrivé à un âge où l’on ne sait plus se corriger, même pour la meilleure et la plus charmante personne.

Croyez, Mademoiselle, que je garderai toujours le souvenir du plaisir que vous m’avez donné.

A POULET-MALASSIS •

Mon cher ami,

Pincebourde me dit que vous partez pour Bruxelles, aujourd’hui 15. Est-ce vrai? Quand vous partirez,je vous chargerai d’une note pour M. Vervoort, résident de la Chambre des députés et président du Cercle artistique, contenant les titres des lectures que je veux faire. Je veux un traité: 200 fr. 358 CHARLES BAUDELAIRE

parlecture, et je ne partirai, fin Octobre, que quand j’aurai le traité…

J’ai causé avec Michel. Il demande huit jours pour réfléchir à ce qu’il peut m^off’rir, après avoir vérifié nos comptes.

Or, dois-je, assassiné par tant de besoins, tâcher de conclure avec lui deux nouveaux traités {Para- dis, Contemporains, 3 vol.), ou dois-je patienter jusqu’à Novembre, dans l’espérance que les lectures en question pourront exciter un désir chez MM. La- croix et Verbœckhoven ?

Je crois d’ailleurs que Michel n’aime pas enten- dre parler de trente-six choses à la fois, et qu’il ne faut pas laisser voir ma g’êne.

En tout cas, chez n’importe qui, je ne veux trai- ter que pour cinq ans, soit pour une série de paie- ments au fur et à mesure des tirages, soit pour une seule somme représentant la totalilé possible des tirages. Réponse, s’il vous plaît.

Tout à vous.

A MONSIEUR ANGELLE

Je reviendrai quand je pourrai. J’ai vraiment besoin de causer avec vous de différentes choses. Je voulais aussi, malgré les i.3oo fr. dont vous avez parlé à ma mère, vous demander un service d’ar- gent, probablement le dernier, car si je ne pars pas avec ma mère, je vais partir pour Bruxelles, — dans quinze jours, pour Honfleur ou pour Bruxelles.

Bien à vous.

I LETTRES — l864 359

A MONSIEUR FRÉDÉRIX

Bruxelles, le 3o Avril 1864. Monsieur,

Je vous serais infiniment obligé de vouloir bien assister à ma lecture de lundi, 2 Mai, sur Eugène Delacroix.

Veuillez agréer, Monsieur, Tassurance de mes sentiment bien distingués.

A MONSIEUR FRÉDÉRIX

Vendredi, 4 Mai 1864. Monsieur,

J’ai trouvé, hier soir, dans U Indépendance belge, une note charmante, et plus que bienveillante^ sur ma première conférence. Je me suis informé, et j’ai su que la signature G. F. était la vôtre.

Veuillez agréer. Monsieur, mes remerciements bien sincères, aussi vifs que le plaisir que ces li- gnes m’ont causé.

A MONSIEUR ANCELLE

Samedi, 7 Mai 18O4.

Mon cher Ancelle,

le présume que^ bien que la maison T uii gardé le bon de 5o fr. que je lui avais donné pour vous, on ne s’est pas présenté chez vous. Car 36o CHARLES BAUDELAIRE

j’ai payé, sur l’insistance effroyable que ces jçens ont montrée.

Je vous serais infiniment obligé de m*envoyer, par la poste, ce billet de 5o fr. que vous vous attendiez à payer. Je suis parti presque sans le sol : et, ici, le crédit est chose inconnue.

Faites en sorte que votre lettre parte de Paris par le courrier de dimanche soir (aujourd’hui), et que j’aie la lettre, lundi.

Je suppose que ma mère n’est pas encore à Paris.

Il paraît que j’ai eu, ici, un succès inconnu jus- qu’alors. Je n’ai donné qu’une seule conférence. La saison étant très avancée, ma spéculation de lectures est presque manquée. Ici, tout va très len- ment, et je n’ai pas encore de réponse d’Anvers, de Bruges, de Liège, ni de Gand. Mais vous savez que le vrai but de mon voyage est de vendre, aussi cher que possible, la collection de mes articles cri- tiques à la maison Lacroix. Si je réussis, je ne vous prendrai plus d’argent cette année. Mais réussirai- je ? J’y suis si peu accoutumé.

Bien à vous. Ne m’oubliez pas.

Hôtel du Grand-Miroir. Rue de la Montagne. Bruxelles.

La première était sur Delacroix.

La seconde sera sur Théophile Gautier.

A MONSIEUR ANGELLE

Mon cher An celle, Je tâcherai de trouver le temps de vous écrire LETTRKS ~ 1864 301

celle semaine. Mais je vous supplie d’envoyer 5o fr. à Jeanne, sous enveloppe (Jeanne Prosper, 17, rue Sauffroy,Balig-nolles). Je laisse dormir le prix de mes leclures, et je le réserve pour mon maître d’Hôtel, à Paris.

J’ai beaucoup de choses à vous dire. Impossible, aujourd’hui. Il a paru un autre article dans U In- dépendance^ mais je ne Tai pas sous la main.

Je crois que cette nialheiireiise Jeanne devient (irrmjle,

.le vous écrirai plus convenablement dans deux ou trois jours. Je suis affreusement occupé.

Je vous envoie ce reçu fait d’avance, pour éviter tout contact entre elle et vous.

A THEOPHILE THORE

Cher Monsieur,

J’ignore si vous vous souvenez de moi et de nos anciennes discussions. Tant d’années s’écoulent si vite !… Je lis très assidûment ce que vous faites, je veux vous remercier pour le plaisir que vous m’avez fait, en prenant la défense de mon ami Edouard Manet, et en lui rendant un peu justice. Seulement, il y a quelques petites choses à rectifier dans les opinions que vous avez émises. M. Manet, que l’on croit fou et enragé, est sim- plement un homme très loyal, très simple, faisant tout ce qu’il peut pour être raisonnable, mais 302 CHARLES BAUDELAIRE

malheureusement marqué de romantisme depuis sa naissance.

Le mot pastiche n’est pas juste. M. Manet n’a jamais vu de Goya : M.. Manet n’a jamais vu de Gréco ; M. Manet n’a jamais vu la galerie Pourlalès. Gela vous paraît incroyable, mais cela est vrai.

Moi-même, j’ai admiré, avec stupéfaction, ces mystérieuses coïncidences.

M. Manet, à l’époque où nous jouissions de ce merveilleux Musée espagnol que la stupide République française, dans son respect aôï/^^yde la propriété, a rendu aux princes d’Orléans, M. Manet était un enfant, et servait à bord d’un navire. On lui a tant parlé de ses pastiches de Goya que, maintenant, il cherche à voir des Goya.

Il est vrai qu’il a vu des Velasquez, je ne sais où. — Vous doutez de ce que je vous dis ? Vous doutez que de si étonnants parallélismes géométriques puissent se présenter dans la nature. Eh bien ! on m’accuse, moi, d’imiter Edgar Poe !

Savez-vous pourquoi j’ai si patiemment traduit Poe ? Parce qu^il me ressemblait. La première fois que j’ai ouvert un livre de lui, j’ai vu, avec épouvante et ravissement, non seulement des sujets rêvés par moi, mais des phrases, pensées par moi, et écrites par lui, vingt ans auparavant.

Et nunc erudimini^ vos qui jiidicatis t… Ne vous fâchez pas, mais conservez pour moi, dans un coin de votre cerveau, un bon souvenir. Toutes les fois que vous chercherez à rendre service à Manet, je vous remercierai. LETTRES – 1864

Je porte ce griffonnage à M. Bérardi, pour qu’il vous soit transmis. J’aurai le courage, ou plutôt le cynisme absolu de mon désir. Citez ma lettre, ou quelques lignes; vous ai dit la pure vérité.

                A ÉDOUARD MANET 
                                      27 Mai 1864. 

Mon cher Manet,

Je vous remercie de votre affectueuse lettre. Pré- sentez mes amitiés à votre mère et à votre femme, et, si vous avez à m’apprendre des choses agréables sur la destinée de vos tableaux, écrivez-moi. Je réponds à vos félicitations.

Les Belges sont bêtes, menteurs et voleurs. J'ai été victime de la plus effrontée supercherie. Ici, la tromperie est une règle et ne déshonore pas. Je n’ai pas encore abordé la grande affaire pour laquelle je suis venu; mais tout ce qui m’arrive est de bien mauvais augure, — sans compter que je passe ici pour un affilié de la police française.— Ne croyez jamais ce qu’on vous dira sur la bonhomie belge. Ruse, défiance, fausse affabilité, grossièreté, four- berie, oui… Tout à vous. 364 CHARLES BAUDELAIRE

A MONSIEUR ANCELLE

27 Mai 1864.

Mon cher ami,

Je n’aipas encore attaqué la grande affaire, mais je doute de tout. Jugez vous-même si je n’en ai pas le droit. Après cinq conférences (grand succès), j’ai désiré régler. Au lieu de 5oo fr., on m’a ap- porté 100 fr., avec une lettre d’excuses alléguant que, les fonds étant épuisés, on avait compté deux séances seulement à 5o fr.,et que, pour les trois der- nières, comme elles avaient été données après l’é- poque où s’arrête la saison des cours publics, on les avait considérées comme un acte de générosité de ma part. Quel peuple ! quel monde ! Je n’avais pas de traité écrit. J’avais traité verbalement pour 100 fr. par conférence. J’ai eu envie de faire don des 100 fr. aux pauvres. Quel horrible monde !

Je devais envoyer ces 000 fr. au maître de mon Hôtel, rue d’Amsterdam, M. Jousset, qui vous remettra cette lettre. Dans le courant de Juin, je lui ferai remettre 100 ou i5o fr. par chacune des personnes à qui j’ai le droit de demander de l’ar- gent à Paris. Ayez l’obligeance d’y coopérer pour votre part, pour les 100 restants, imputables sur Juin, dont je joins ici le reçu.

Je n’ose pas écrire toute cette mésaventure à ma mère, de peur de la désoler.

Il est arrivé pire encore. Je ne sais qui (quelqu’un de la bande d’Hugo) a fait courir ici un bruit LETTRES 1864 365

infâme sur moi, et vous ne sauriez imaginer la crédulité des Bruxellois.

Dans quelques jours, je traiterai, si je peux, ma j^rosse affaire, mais je suis exaspéré et découragé.

Tout à vous. Ecrivez-moi, vous me ferez plaisir.

Je retournerai sans doute à Paris le i5, et j’y passerai huit jours.

A MONSIEUR ANCELLE

Mon cher Ancelle,

Je n’ai pas le temps de répondre à toute votre longue lettre, excellente lettre d’ailleurs, mais im- puissante à calmer mes nombreuses colères.

Relativement au maître d’Hôtel, il m’est impos- >ible de comprendre pourquoi, le 5, il n’avait pas reçu les 100 fr. que je lui ai permis de vous deman- der à la fin du mois. Vous me dites que vous allez I ni donner satisfaction. Cela peut vouloir dire bien ies choses : lui donner les 100 fr., lui donner des- i>aroles,&i enfin, permettez-moi cette farce, répon- Ire à une provocation de duel venant*de lui.

Je viens de recevoir une lettre de lui que je n’ai pas décachetée, car il y a des jours où je suis inca- pable de décacheter une lettre qui ne peut contenir jue des choses désagréables, une maladie nerveuse jui va toujours empirant m’enlevant toute espèce le force. Mais le fait de cette lettre prouve qu’il y a encore (juelque anicroche. Mon Dieu ! que c’est donc difficile de s’entendre par lettre ! Je passe ici 366 CHARLES BAUDELAIRE

ma vie à écrire des lettres auxquelles personne ne répond.

Vous me dites que si vous fui donnes satisfac- tion^ vous ne pourrez lui donner d’argent (à lui, ou à moi) qu’au mois d’Août ; que m’importe ! Je prends mes précautions pour vivre, par une série de Lettres belges, adressées au Figaro.

Le bruit répandu contre moi par la bande de Victor Hugo est une infamie dont je me vengerai. Il paraît que j’appartiens « la police française, ^l il y a des gens ici pour le croire !

Lisez la brochure de Montalembert : Le Pape et la Pologne ; c’est fait pour vous, et c’est beau.

Je réponds au maître d’Hôtel, sans lire sa lettre, d’envoyer de nouveau chez vous. Autant que j’ai pu comprendre votre intention, il m’a semblé que je pouvais lui écrire cela.

Tout à vous.

Ce n’est que du i5 au 20 que je saurai à quoi m’en tenir sur la maison Lacroix.

A POULET-MALASSIS

I I Juin 1864.

Mon cher Malassis,

N’oubliez pas le lundi soir, 8 h. 1/2 à 11 h.. Hôtel du Grand-Miroir. Nous irons ensemble chez M. Crabbe, à qui je vous présenterai.

Tout à vous.

Mon cher ami,

Après cinq heures de jaseries sur Arthur, je LETTRES 1864 367

prends congé de ces dames, et je vous avertis que notre rendez-vous de demain est avancé d’une mi-heure, pour une raison que je vous dirai.

A MONSIEUR FRÉDÉRIX

Samedi soir, 11 Juin 1864. Monsieur,

Je vous serais très obligé de vouloir bien assis- ter à une petite soirée littéraire, d’un caractère tout à fait privé, pour laquelle M. Prosper Grabbe veut bien me prêter son salon, lundi soir, à 9 h.

Veuillez agréer, Monsieur, l’assurance de mes

aliments les plus distingués.

M. Grabbe, rue Neuve, 62 bis.

A MONSIEUR ROSEZ

Monsieur,

Je reçois de M. Malassis une lettre d’une personne qui exprime le désir de se procurer i^es Salons

S45 et 1846) et les articles suivants : Delacroix^ Ingres y Méthode. Les Salons sont introuvables. Les articles ontparu dans un journal disparu. Le

trtefeuille^ je crois. Mais toute cette recherche

’ paraît futile, puisque j’espère rassembler cette .liinée tous mes articles critiques endeux volumes.

Veuillez agréer, Monsieur, l’assurance de mes sentiments bien distingués. 368

A MONSIEUR ANC ELLE

Jeudi, i/f Juillet.

Mon cher Aricelle,

Tout a échoué. Un mouchard ne peut pas réus- sir dans une ville aussi défiante. J’ai été malade (diarrhée continue, palpitations du cœur, angois- ses d’estomac) pendant deux mois et demi ! Le joli voyage ! Cependant, je veux qu’il me serve à quel- que chose, et je fais un livre, sur la Belg^ique, dont les fragments paraîtront au Figaro. La ques- tion des mœurs (mœurs, politique, clergé, libres- penseurs) est déjà rédigée ! Maintenant, il faut voir Anvers, Bruges, Malines, Liège, Gand, etc.. En somme ^ je saurai faire un livre amusant, tout en m’ennuyant beaucoup. Ici, tout a été con- tre moi. Tout m*a nui, surtout ma sympathie visible pour les Jésuites. Vous savez probablement dans quelle situation extraordinaire se trouvent la Chambre et le Ministère. J’espérais des coups de fusil et des barricades. Mais ce peuple est trop bête, pour se battre pour des idées. S’il s’agissait du renchérissement de la bière, ce serait différent.

Envoyez-moi, tout de suite, les i5o fr. du mois d’Août. Je partagerai cela entre moi et mon Hôtel, je garderai juste de quoi voir cinq villes. Par grand bonheur, les distances sont très courtes, et la vie (exécrable, d’ailleurs) à bon marché. Je compte que je recevrai vos i5o fr., samedi matin. Je parLETTRES — l86/| 369

tirai dimanche matin. Observez que je ne vous ai rien pris, depuis six semaines.

Le souvenir de Taventure Proudhon est encore

vanl ici, et j’en parlerai. J’ai rencontré dans le monde { !) le député qui a le plus contribué à cette dégoûtante émeute. — Je serai encore ici, quand paraîtront à Paris mes premiers fragments. Or, Le Figaro est très lu \c\,au Cercle, ^e, ne vois plus personne, et je laisse voir mon mépris pour tout le monde.

Cependant, je tâcherai de voir l’archevêque de Malines. J’ai entendu la cloche des libres-penseurs, je veux entendre l’autre cloche.

Je possède maintenant, sur le bout du doigt, la question de la charité, la question des dotations, la question de l’éducation, la question du cens électoral, la question d’Anvers, la question des cimetières, etc. . .

Quel peuple inepte et lourd ! Ici, les Jésuites ont tout fait, et tout le monde est ingrat pour eux.

Maintenant, pour tout dire, il faut avouer que le clergé est très lourd et très grossier. Hélas ! il est Hamand. •

Pourvu que vous ne soyez pas en voyage !

Tout à vous.

Je m’en vais laisser toutes ces saletés-là de côté et m’occiiper un peu de peinture et d’architecture. Si vous êtes absent, faites-moi, tout de même, ivoyer l’argent. Je serai en France, le i5 Août.

Vous recevrez ceci, vendredi matin. Pensez à moi, avant 5 h. SyO CHARLES BAUDELAIRE

A MONSIEUR ANCELLE

Vendredi, 2 Septembre 1864.

Mon cher ami,

J’espérais partir avant-hier matin, 31 Août, et dîner chez vous, le soir, mais je ne m’en sens pas le courage. Je voudrais que tous mes livres fussent vendus par l'agent d’affaires que j’ai chargé de cette commission à Paris ; je veux traîner encore ici une existence de végétal, pendant une quinzaine. Et enfin, pour tout dire, je suis singulièrement affaibli par quatre mois de coliques !

Je suis content de mon livre ; tout ce qui est mœurs, culte, art et politique, est fait. Il manque la rédaction de mes excursions en province. Je ferai cela à Honfleur. J’écris à M. de Villemessant de ne rien publier, avant mon retour en France. Vous devinez pourquoi. Je suis très mal vu ici. D’ailleurs, je ne me suis pas gêné pour crier tout haut ce que je pensais. Et puis, on sait que je prends des notes partout.

Le Congrès de Malines a commencé. Gela nous regarde. M. Dupanloup y a produit un grand effet avec son discours sur l'instruction publique. M. Dupanloup n’a aucune peine à passer pour un aigle, dans un pays tel que celui-ci.

Je connais Malines, et, si Malines n’était pas en Belgique, et peuplée de Flamands, j’aimerais y vivre, et surtout y mourir. Combien de carillons, LETTRES 1864 371

^^ombien declochers, combien d’herbes dans les rues, combien de béguines ! J’y ai trouvé une église Jésuites, merveilleuse, que personne ne visite, i^nfin, j’étais si content que j’ai pu oublier le pré- sent, et j’y ai acheté de vieilles faïences de Delft. Beaucoup trop cher, cela va sans dire.

Tout ce peuple est abruti ; le passé seul est intéressant. Jetez un coup d’œil, je vous prie, sur cette range lettre de M. A qui, depuis vingt

ans (et plus) qu’il m’assassine, ne sait pas encore l’orthographe de mon nom. Vous connaissez, par cœur, l’affaire A. Je crois sérieusement que

j’ai reçu de lui l^.ooo fr. ; je lui ai souscrit dans ma jeunesse des effets pour iB.ooo fr. Il a vendu la créance ou bien emprunté 2.400 fr. sur la créance à un nommé R M

Répondez-moi autre chose que vos horribles phrases habituelles qui équivalent à rien. Daignez me donner un avis sérieux sur ce qu’on pourrait faire pour me débarrasser de ce fléau de ma vie. Je lui ai répondu que toutes mes affaires en Belgique avaient manqué, et que si son R ^ M

ait l’intention de me persécuter, je ne rentré- es pas en France.

Sérieusement, j’ai le plus grand désir d’y rentrer, ais il faut voir et travailler, encore un peu. Et puis ma mère ! et puis mon jardin I et mes livres ! of mes collections !

J’ai chargé un agent d’affaires littéraires de me udre (à condition de lui faire une petite part 372 CHARLES BAUDELAIRE

dans la venté) les trois ouvrages suivants : Para- dis artificiels, Pauvre Belgique ! et Réflexions sur mes contemporains. J’allends, avec inquiétude, une réponse ; mais toutes ces manœuvres du métier ne vous intéressent guère.

Si, par liasard, j’étais encore ici le 26, ce qui est bien douteux, je partirais avec Nadar qui m’a gen- timent offert une place dans sa nacelle. Fuir ce sale peuple en ballon, aller tomber en Autriche, en Turquie peut-être, toutes les folies me plaisent, pourvu qu’elles me désennuient. J’ai vu ici Nadar et Hetzel ; celui-là m’a donné deux mois, pour achever Les Fleurs du Mal et Le Spleen de Paris.

Voici 5o fr. auxquels vous ajouterez i5o fr. (dont voici le reçu) ; et vous déposerez le tout entre les mains de mon ancien hôtelier, M. Jousset, rue d’Amsterdam. Il ne sera pas mal de lui prendre un reçu de 200 fr.

Aujourd’hui même, entendez vous ? C’est â dire demain, puisque Je vous écris, le 2. — Je vous en supplie, ne me faites pas la farce de délibérer dix jours là-dessus. J’aurais dû porter, ou envoyer cet argent, le /®^ — // y a plus de six semaines que je ne vous ai rien demandé.

Si cet homme, à qui je dois encore, vous faisait quelques questions, dites simplement : Ce que je crois, c’est que M. de Villemessant, à ma prière, va lui donner de l’argent. Et ne me nuisez pas.

J’ai besoin de passer trois ou quatre jours à Paris. 11 m’est impossible de décider quel jour je partirai. J’ai l’estomac et le ventre en révolution. LETTRES — 1864 378

Tout (le suite, les 200 fr. à Jousset. Et éfrivez- moi, â propos cl’ A

Histoires grotesques et sérieuses vont paraître. Enfin ! Si vous saviez quel supplice de corriger un livre à l’étranger, avec une loi postale absurde, et sans ressources d’information ! Bruxelles se fait passer, bien à tort, pour une capitale. La vraie capitale serait Anvers, si une capitale pouvait être un simple centre de commerce.

Je vous remercie bien vivement de toute Taffec- iion que vous m’avez toujours montrée, et que j’ai quelquefois payée par un peu de brutalité.

Présentez mes respects à Madame Ancelle, j’al- lais dire, avec une étourderie impardonnable : et à votre mère. Ah ! mon cher ami, j’ai quelquefois le cerveau plein de noir ; conserverai-je ma mère

issi longtemps que vous avez conservé la vôtre ?

Jousset, 22, rue d’Amsterdam. Si vous n’allez pas à Paris demain, samedi 3, cnvovez un commissionnaire, avec les 200 fr.

A MONSIEUR ANCELLE •

Jeudi, i3 Octobre 1864.

Mon cher Ancelle,

Le très long temps que j’ai pris pour vous répon- dre vientdeplusieurscauses différentes. La première ^L que j’ai élé malade, de nouveau (mais il ne faut pas écrire cela à ma mère, si toutefois vous lui écri374 CHARLES BAUDELAIRE

vez). Cette fois, ce n’est plus le ventre, c’est une fièvre qui me réveille à i h. ou 2 du matin et qui ne me permet de me rendormir que vers 7 h. Cet accident journalier me fait voir, dans les ténè- bres, une foule de belles choses que je voudrais bien décrire ; mais, malheureusement, il en résulte une très grande fatigue qui se prolonge à travers la journée.

La seconde raison est que malgré le ton charmant et cordial de votre lettre, et la bienveillance de votre offre, je m obstinais à me passer de vous* Aujourd’hui, il m’est démontré que cela n’est pas possible. — Comprenez bien. Les fragments que j’ai faits représentent bien r.ooo fr. Maisje ne les lais- serai pas publier, tant que je serai en Belgique, Donc, il faut que je rentre en France pour avoir de l’argent, et il me faut de l’argent pour m’en aller, et aussi pour recommencer une excursion à Malines, Bruges et Anvers (questions de peinture et d’archi- tecture, six jours au plus). Il y a donc là un cercle vicieux. M. de Villemessant {Figaro) attend im- patiemment mes articles. Lui demander de l’ar- gent, et lui dire en même temps : Ne publiez pas encore, franchement, ce serait abuser de sa com- plaisance. Et puis ces i.ooofr. que j’attends de mes fragments ne seront peut-être payés qu’au fur et à mesure de la publication.

J’aurai en plus à toucher le prix du livre chez un libraire. Mon livre n’est pas fini ; je le finirai à Honfleur, où j’emporterai toutes mes notes.

J’ai écrit à un agent d’affaires littéraires à Paris, LETTRES l864 ’à']5

pour le prier de traiter, en mon nom, pour la vente de quatre volumes de moi : Pauvre Belgique ! I vol. — Paradis artificiels, i vol. — Mes Con- temporains, 2 vol. — Et je lui ai offert de lui faire une part (quelle parti) sur le traité, s’il en obte- nait un bon.

Si je trouve cette affaire faite, à mon retour à Paris, alors, seulement dans ce cas, je pourrai remettre quelque argent à ma mère, et à vous.

Je n’aurai retiré de mon voyage en Belgique que la connaissance du peuple le plus bête de la terre (cela est au moins présumable), un petit livre fort singulier qui sera peut-être un appât pour un libraire et l’incitera à acheter les autres, et enfin Thabitude d’une chasteté continue et complète (riez, si vous voulez, de ce sale détail), laquelle na, d’ailleurs,

icun mérite, attendu que l’aspect de la femelle belge repousse toute idée de plaisir.

Enfin, j’ai à peu près fini Histoires grotesques sérieuses qui doivent ; paraître. Combien je me repens aujourd’hui d’avoir aliéné’pour 2.000 fr. tous mes droits sur mes cinq volumes, quand je pense que Michel gagnera peut-être encore d^ sommes plus que considérables par cette vente continue I

Voilà mon bilan spirituel. Je vais maintenant vous donner les détails matériels que vous me priez de vous donner, avec une absolue franchise.

Mais figurez-vous, mon cher, ce que j’endure ! L’hiver est venu brusquement. Ici, on ne voit pas le feu, puisque le feu est dans un poêle. Je travaille en baillant,-— quand je travaille. Jugez ce que j’endure, moi qui trouve Le Havre un port noir et américain, moi qui ai commencé à faire connaissance avec l’eau et le ciel à Bordeaux, à Bourbon, à Maurice, à Calcutta ; jugez ce que j’endure dans un pays où les arbres sont noirs et où les fleurs n’ont aucun parfum ! Quant à la cuisine, vous verrez, j’y ai consacré quelques-unes des pages de mon petit livre ! — Quant à la conversation, ce grand, cet unique plaisir d’un être spirituel, vous pourriez parcourir la Belgique en tous sens sans trouver une âme qui parle. Beaucoup de gens se sont pressés, avec une curiosité de badauds, autour de l’auteur des Fleurs du Mal. L’auteur des Fleurs en question ne pouvait être qu’un monstrueux excentrique. Toutes ces canailles-là m’ont pris pour un monstre, et, quand ils ont vu que j’étais froid, modéré et poli, — et que j’avais horreur des libres-penseurs, du progrès et de toute la sottise moderne, — ils ont décrété (je le suppose)que je n’étais pas l’auteur de mon livre. Quelle confusion comique entre l’auteur et le sujet ! Ce maudit livre (dont je suis très fier) est donc bien obscur, bien inintelligible ! Je porterai longtemps la peine d’avoir osé peindre le mal avec quelque talent.

Du reste, je dois avouer que depuis deux ou trois mois, j’ai lâché la bride à mon caractère, que j’ai pris une jouissance particulière à blesser, à me montrer impertinent, talent où j’excelle, quand je veux. Mais, ici, cela ne suffit pas, il faut être grossier pour être compris.

Quel tas de canailles ! et moi qui croyais que la France était un pays absolument barbare, me voici contraint de reconnaître qu’il y a un pays plus barbare que la France.

Enfin, que je sois contraint de rester ici avec des dettes, ou que je me sauve à Honfleur, je finirai ce petit livre qui en somme m’a contraint à aiguiser mes gritfes. Je m’en servirai plus tard contre la France. C’est la première fois que je suis contraint d’écrire un livre, absolument humoristique, à la fois bouffon et sérieux, et où il me faut parler de tout. C’est ma séparation d’avec la bêtise moderne. On me comprendra peut-être, enfin.

Oui, j’ai besoin de retourner à Honfleur. J’ai besoin de ma mère^ de ma chambre, et de mes collections. D’ailleurs, ma mère m’écrit des lettres funèbres et s’abstient, avec une modération qui me fait mal, de me faire des reproches, comme si elle craignait d’abuser de son autorité dans ses dernières années, de peur de me laisser un souvenir amer. Cela serre le cœur. — Je finirai à Honfleur toute cette masse de choses inachevées, Le Spleen de Paris (interrompu depuis si longtemps), Pauvre Belgique ! et Mes Contemporains.

Vous devinez sans doute (ce n’est pas très difficile) la raison de ma répugnance à vous répondre et à accepter votre offre. Accepter, c’est diminuer encore votre confiance en moi, c’est vous montrer que je ne sais rien prévoir, rien combiner, rien amasser. De plus, puiser dans votre bourse, c’est puiser dans celle de ma mère, et cela me devient insupportable. — Enfin, je dois vous prévenir que SyS CHARLES BAUDELAIRE

la somme vous paraîtra forte ; de plus, — qu’aus- sitôt que j’aurai reçu de l’argent de vous, après avoir payé le Grand Miroir, ]q vais prendre quel- ques nouvelles notes à Bruges, Namur et Anvers (six jours, sept jours), et qu’enfin je passerai trois ou quatre jours à Paris, avant de retourner chez moi. Mes affaires l’exigent absolument.

Ici, je n’ai jamais pu dépenser moins de 7 fr. par jour,quoiqueje dîne, presque toujours (quand mon estomac le permet), hors de THôtel.

Je suis arrivé le 24 Avril.

Avril, cinq jours ; 35 fr. — Mai ; 210 fr. — Juin ; 210 fr. — Juillet ; 210 fr. — Août ; 210 fr. — Septembre ; 210 fr. — Octobre, quinze jours ; io5 fr. — Total : i.igofr.

J’ai donné de l’argent pendant plusieurs mois ; j’ai cessé d’en donner au commencement d’Août, où je devais encore i54 fr.

Je dois donc encore : i54. — Août ; 210. — Septembre ; 210. — Octobre ; io5. — Total : 679 fr. auxquels je suis contraint d’ajouter 1 00 fr., environ, pour le Mont-de-Piété de Bruxelles, 100 fr. de peti- tes emplettes indispensables sur lesquelles j’ai donné des arrhes, et 100 fr. pour ma dernière excursion : les chemins de fer y sont compris pour 53 fr.

Hôtel ; 679 fr. — Mont-de-Piété ; 100 fr. —Em- plettes ; 100 fr. —Voyage ; 100 fr. — Donc, 979 fr.

Et encore je suis obligé d’abandonner une très belle chose, achetée à Malines, sur laquelle j’avais donné des arrhes. LETTRES — 1864 379

C’est énorme, n’est-ce pas ? Gependantje prends Mitre bienveillance au mot, à une condition seu-

îient, une condition qui vous fera rire, car rien ne s’opposera à ce que je viole cette condition, et je vous ai fait beaucoup de promesses que j’ai tou- jours violées : c’est qu’à partir du jour où je serai chez moi, à Honfleur, vous ne m’enverrez que stric- tement 00 fr. par mois, et que ce régime sera maintenu, indéfiniment si je le veux, mais au moins jusqu’à ce que je ne vous doive plus rien, et que toutes mes avances (anciennes ou nouvel- les) soient complètement remboursées. Alors, vous m’avertirez. Oui sait ? je tiendrai peut-être cette parole-là.

Quant à payer mes dettes, quant à refaire une petite fortune, très petite, comme il convient à un homme qui n’aimeque la liberté, hélas ! il estencore

tp tôt pour parler de cela.

Je résume : aussitôt que je reçois de l’argent de

us,jepaie tout, ici ; je fais trois promenades, coup

r coup ; je repars pour Paris ; je n’y reste que le temps nécessaire pour voir mon agent, tietzel, Mi- ,hnl et Vilieniessdnt ; ei ie retourne à Honfleur, où

ferai mon séjour habituel, sauf des excursions, à

figue date, à Paris, de huit ou dix jours.

J’ai encore quelque chose à ajouter, assez impor- tant : vous allez recevoir cette lettre, demain matin,

iidredi i/j. Pouvez-vous, non seulement me ré- pondre avant 5 h., mais aussi mettre dans votre lettre une somme quelconque, comme 5oo fr. ? Je tremble d’être indiscret. Personne n’a jamais looofr. 38o CHARLES BAUDELAIRE

disponibles immédiatement. Peut-être serez-vous oblig-é de vous cotiser avec ma mère, pour faire le total ; mais envoyez-moi ce que vous pourrez, tout de suite, c’est à dire le i5, au matin. On a eu beau- coup de complaisances pour moi, tant que j’ai payé ; mais, depuis deux mois et demi, on méfait la mine ; j’ai promis pour samedi matin, i5, ^i je suis ici un étranger.

Mon cher, cette lettre m’a exténué. Quand j’ai écrit seulement une cinquantaine de lignes, j’ai la tête embarrassée. Je voulais écrire à ma mère, ce soir, pour lui rendre compte de tout ce que je vous dis. Je ne lui écrirai que demain matin, vendredi i4 ; elle aura donc ma lettre, samedi i5, le matin, ou le soir.

C’est moi qui vous ai envoyé quelques livraisons du compte rendu du congrès de Malines ; vous avez vu que le discours de Dupanloup manquait. Il a paru dans une livraison qui m’a échappé. Il a été édité, depuis lors, à Paris, rue de Tournon, chez Douniol. Votre fameiix père Félix ne m’a pas inté- ressé. C’est un Cicéron.Lediscoursdu’pèreHermann m’a paru très remarquable et très curieux.

Je savais que l’opération que vous avez dû subir n’était ni dangereuse, ni très douloureuse. Seule- ment, il faut bien faire attention à une certaine chose… Ne m’oubliez pas demain.

Présentez mes respects à Madame Ancelle.

Je vous rapporterai un curieux livre sur l’Empire, un livre digne d’être lu, et non pas unesottised’exilé. LETTHtS iSO/j 38 1

A MONSIEUR ANCELLE

Dimanche, 28 Octobre 1864. Cher ami, Je commence par vous remercier très cordiale- ment de tout ce que vous voulez bien faire pour moi. Seulement, je suis très perplexe. D’abord, je ne montrerai votre engagement qu’à la dernière rémité ; par exemple, si on me tourmente, ici, Uriiis la semaine qui commence demain. Je ne vois pas d’autre moyen de me tirer d’affaire que de tourmenter mon homme d’afïaires, pour qu’il con- clue au plus vite ; et cependant// eût été avanta- gpAU : de ne pas me presser ; ensuite, d’écrire à Villemessantque,mrt/^re’ ma répugnance à laisser paraître mes articles^ pendant mon séjour ici, je V • autorise immédiatement.

! ^nfin,j’irai à Paris etje tomberai sans doute chez

is le 3i ou le I®^ Si je trouve de Targ-ent chez

lemessant,ouchez mon libraire, je l’appliquerai

V dettes de Bruxelles, mais cela ne vous dispen-

a pas de tenir votre parole (600 fr.), puisque je

linaisà d’autres créanciers l’argent que jecompte

trouver à Paris. Alors, je retournerai à Bruxelles,

où je me fiche parfaitement des mines sombres que

rencontrerai ; j’irai prendre de nouvelles notes à

Anvers, Bruges et Malines (six jours), et je retour-

n(Mai ; ’i îTrmniMir. i ! nîni"l ! ;ït<’rn<Mit î »^’ni-Alre par

Comprenez bien mon embarras : ou aller cher382

CHARLES BAUDELAIRE

cher de Targ-ent à Paris ; ou rester ici, jusqu’au 20 Novembre. Franchement, c’est trop long !

Je veux vous rendre compte de Temploi de votre argent. Sur les 200 fr. du 17, j’ai donné 180 fr. à THôtel. Il paraît que, bien que je dusse encore i54 fr.,le i^f Août, je ne devais que 468 fr., le 28 Septembre. — 4^8 ; donnés, 180. — Restent donc : 288, que je devais encore, le 28 Septembre. Depuis lors, en comptant 7 fr. par jour, jusqu’à la fin d’Octobre (trente-sept jours, multipliés par 7fr.), nous trouvons 269 fr., auxquels j’ajoute les 288 fr. restants. Total : 547 ^^*

Impossible de donner quoi que ce soit à l’Hôtel, ce matin ; je vais me débarrasser des petites dettes et du Mont-de-Piété, et il me restera 20 fr. que j’emploierai à courir à Paris, le i^^ du mois.

Tout cela, cher ami, ne remplit pas strictement votre but ; mais j’ai honte de me servir de votre billet, mais la littérature doit passer avant tout, avant mon estomac, avant mon plaisir, avant ma mère.

Je m’absenterai, le 3i, sans même dire un mot à l’Hôtel, sur le but de mon voyage ; je tâcherai, en vingt-quatre heures, de voir une dizaine de per sonnes, à Paris.

Quanta ma santé, tous mes maux de ventre ont disparu. Seulement, je n’ai jamais faim, et j’ai la fièvre, toutes les nuits. Du reste, je ne veux pas accuser absolument la Belgique. Je suis convaincu que j’étais malade déjà, en quittant Paris. Je pourrais ajouter une foule de réflexions moLETTRES 1864 383

lies, qui pourraient vous faire plaisir, sur mon oiucère désir à^ refaire ma fortune, et de vivre tou- jours à Ronfleur. Vous savez que je suis toujours très sage, en intention.

N’attachez pas trop d’importance à tous ces cliif- fres de budget pour la charité et l’instruction. Je connais la question, c/e visii.hes constitutions et les institutions ne signifient rien chez un peuple qui ne veut pas, et ne peut pas s’en servir.

Bien à vous, et merci, bien que j’eusse fait mer- veille, si j’avais eu i.ooo fr., il y a huit jours.

A POULET -MALASSIS

3o Octobre 18O4, rainuit. Mon cher,

Je suis si malheureux de cette vie de dissipa- tion sans plaisir que j’accepte, comme moyen de me contraindre à rester chez moi et de me sou- lager d’autres besognes, le bizarre travail que vous m’avez proposé. Faites coller des bandes le long des marges de votre traduction, et fournissez-moi une édition latine et deux glossaires, guant au salaire, il sera ce que vous voudrez ; payé, comme vous voudrez, en argent ou en billets, ou bien compté comme diminution de ma dette.

J’ajoute cependant ceci, — c est que j’espère que

sera pour vous un encouragement à me confier le Satyricon, un ouvrage sur lequel je serais fier de coller mon nom, et un travail critique sur Laclos.

Tout à vous. 384 CHARLES BAUDELAIRE

Avez-vous deux éditions latines ? Il serait bon que celle que vous me prêterez n’eût pas de valeur et pût être souillée par le crayon. Marges larges, un feuillet de papier à lettre.

A MONSIEUR ANCELLE

Dimanche soir, i8 Novembre 1864. Mon cher ami,

N’oubliez pas la date, très importante, de di- manche prochain, 20 Novembre.

Pour que je puisse avoir vos 600 fr., dimanche, à 8 h. du matin, il faut que vous les mettiez à la poste, samedi, plus tôt que vous ne feriez dans Pa- ris, puisque vous habitez la banlieue. Il y aune dif- férence dans les levées de poste dont il faut tenir compte.

Si j’ai vos 600 fr. dimanche matin, je serai à Paris, à 9 h. du soir. Cette fois, je vous en supplie, ne brouillez pas mes plans. Croyez bien quMl n y a là aucune espèce de reproche pour vous. Je vous suis très reconnaissant de votre offre gracieuse, mais la difficulté pour vous de répondre immé- diatement et complètement à ma demande du i3 Octobre a complètement bouleversé mes pro- jets. Après avoir donné vos premiers 200 fr. à THôtel, je n’avais plus que 4oo fr. à remettre ; à présent, c’est à peu près 600, par suite de ce sé- jour prolongé d’un mois. Je sais que le i^’" de ce mois, c’était 5 17. Voilà trois fois de suite que je dis à la maîtresse de cet Hôtel que je vais la payer immédiatement, et trois fois que je lui manque de parole. Ne m’oubliez pas, je vous en prie (samedi pour dimanche matin) ; car, malgré ce que je vous ai écrit, l’horreur que j’éprouve à laisser publier mes fragments, pendant que je suis ici (et à n’avoir pas d’épreuves !) m’a empêché d’écrire à Villemessant.

Simon Raçon me cause les plus grandes colères par son service d’épreuves sans cesse interrompu.

De même, L’Opinion nationale.

De même, tout le monde.

C’est un parti pris, je crois, chez tous les hommes, de ne jamais faire, juste à l’heure dite, ce qu’ils ont à faire. Ce reproche contre tout le monde est bizarre dans ma bouche, puisque je suis moi-même, à cet égard, un des plus grands coupables. Mais je m’applique tous les jours à me corriger. Je suis convaincu que la fortune d’un imbécile vient de cette qualité, et que la pauvreté d’un homme de génie tient à l’absence de cette qualité.

J’ai tâché d’utiliser ce dernier mois » en entrant plus avant dans certaines questions (par exemple, l’instruction publique), et j ai fait les découvertes les plus drôles. Napoléon I’^’", Louis-Philippe, et surtout le sieur Duruy (f/ui veut faire de la France une Belgique) régnent encore ici. Si je peux trouver à Paris un éditeur courageux (car Le Figaro n osera pas imprimer tout le livre), je dirai des choses plaisantes. Les ministres, les députés, 386 CHARLES BAUDELAIRE

les hommes chargés des affaires les plus graves ne savent ni le sens des mots, ni Torthographe, ni la construction logique d’une phrase française ou latine. Il est vrai qu’en France on n’en sait guère davantage.

Je suis, en somme, incomplètement content de moi. La secousse que vous m’avez causée par votre retard m’oblige à renvoyer au printemps l’analyse de certains aspects de la province. Mais, pendant quatre ou cinq mois, j’aurai le plaisir de faire im- primer les deux tiers du livre.

J’ai à faire une vingtaine de visites, à Paris. Je crois que je pourrai faire cela, en une semaine. Ce livre sur la Belgique est, comme je vous l’ai dit, un essayage de mes griffes. Je m’en servirai plus tard contre la France. J’exprimerai patiemment toutes les raisons de mon dégoût du genre humain. Quand je serai absolument seuly je chercherai une religion (Thibétaine ou Japonaise), car je méprise trop le Koran : et, au moment de la mort, j’abjure- rai cette dernière religion, pour bien montrer mon dégoût de la sottise universelle. Vous voyez que je n’ai pas changé, et que la Belgique elle-même n’a pas réussi à m’abrutir.

Si je pars dimanche, à 3 h., ce qui dépend de vos 600 fr., je serai à Paris, vers 9 h. du soir.

Je n’aurai donc le plaisir de vous voir que lundi matin.

Tout à vous.

Veuillez présenter mes respects à Madame An- celle. LETTRES 1864 387

Ma mère m’écrit, de temps en temps, des lettres courtes, etoù je trouve un ton de tristesse (je n’ose pas dire d’affaiblissement) qui m’inquiète. Que savez-vous de sa santé ? Car il se pourrait que, par crainte de me tourmenter, elle me cachât quelque chose.

J’oubliais de vous dire que, si j’avais votre argent plus tôt, je partirais plus tôt. Quant au rembour- sement, je n’en parle pas aujourd’hui, parce que je suis certain que vous n’y croyez pas.

A MONSIEUR ANCELLE

18 Novembre 1864.

Mon cher ami.

Je vous remercie. Je suis honteux vis à vis de ma mère. Comme je serais heureux de lui rapporter quelque argent ! Dans quelques jours, je saurai si cela est possible.

Ici, la poste ne dépose pas les lettres chargées dans les hôtels garnis. Elle laisse un avis qui vous invite à aller chercher la lettre au bu^au central. J’ai été absent, hier, toute la journée. Je n’ai eu votre lettre que ce matin.

Dans deux jours, je ne devrai plus rien à Bruxel- les ; je partirai mercredi, soit à 9 h. 1/2, si ma fièvre me permet de me lever de grand matin, soit à 2 h. 1/2 ; et ainsi je serai chez vous, soit mercredi, à 6 h. du soir, soit jeudi matin, à 10 h. ; vous pou- vez être sûr de cela. 388 CHARLES BAUDELAIRE

Je me souviens de vous avoir parlé d^un livre qui m’a paru curieux ; c’est sans doute une étude de la société parisienne sous l’empire actuel, par un Allemand.

Je connais la brochure à laquelle vous faites allu- sion. C’est très y « y^’/i//^, enfantin même, mais c’est d’un homme qui sent juste.

Vous me parlez de Vinstruction publique belge. J’ai fait des efforts pour comprendre cette org-ani- sation, et je n’ai pas pu y réussir. Tout ce que j’ai clairement compris, c’est que les études littéraires étaient détestables, et que les jeunes gens recevaient, en général, une meilleure instruction scientifique. Pas de latin. Pas de philosophie. Beaucoup de sciences physiques. C’est ce que j’appelle la sottise moderne, l’école Duruij.

A bientôt. Tout à vous.

Je vous remercie de toutes vos bonnes paroles.

Je vous rapporterai votre livre.

Mais ce n’est une merveille que relativement.

A MONSIEUR ANGELLE

Dimanche, i8 Décembre i864« 

Mon cher Ancelle,

En revenant de Malines, où j’étais allé demeurer quelque temps chez M. Rops,j’ai trouvé votre der- nière lettre, et je réponds, tout d’abord, au post- scriptum que j’ai trouvé un peu singulier, perLETTRES 1864 389

mettez-moi de vous l*avouer. Comment avez-vous pu me croire capable d’user deux fois de la même valeur, de l’argent d’abord, et puis d’un écrit représentant la même somme ? Une pareille action est définie par un mot f(Tt vilain. Si je ne vous ai pas renvoyé ce papier, c’est qu’il était détruit depuis très longtemps.

Vous désirez l’explication du mystère, c’est à dire pourquoi j’ai manqué au rendez-vous. J’avaisdonné rendez-vous à bien d’autres qu’à vous, à Michel Lévy,parexemple. Au dernier moment, au moment de partir, malgré tout le désir que j’éprouve de revoir ma mère, malgré le profond ennui où je vis^ ennui plus grand que celui que me causait la bêtise française et dont je souffrais tant depuis plusieurs années, une terreur m’a pris, une peur de chien, l’horreur de revoir mon enfer, de traverser Paris, sans être certain d’y faire une large distribution d’argent qui m’assurât un véritable repos à Ron- fleur. Alors, j’ai écrit des lettres à des journaux, et à des amis de Paris, et à la personne que j’y ai

argée de mes affaires présentes, c’est à dire de la

nte de quatre volumes, ceux mêmes que j’étais ’jnu, SI creduloiislfj, oïïrir à cet infâme Lacroix.

Il m’est tombé entre les mains un document qui me permettrait de me venger cruellement de cet imbécile. J’aurai peut-être la férocité de m’en servir.

Ainsi, j’attends maintenant de Paris les nouvel- les les plus importantes pour moi. Il est possible qu’elles me contraignent de courir à Paris le 26 ou

23. Sgo CHARLES BAUDELAIRE

le 26, malgré tout rinconvénient qu^il y a à tomber là dans le tumulte du Jour de l’An.

Relativement au livre que vous êtes curieux de lire {Napoléon III,QiQ..,,, par un non diplomate, — plein de sottises allemandes, mais cependant écrit par un homme qui pense), j’ai quelques détails à ajouter. Je ne vous l’apporterai pas moi-même. Tout Français est suspecta la douane, très suspect, et je me servirai de la contrebande (i fr. 5o par vol.) pour vous l’envoyer. C’est beaucoup plus sûr. Je m’en servirai également pour m’envoyer à moi- même des choses suspectes. A cet ouvrage, il faut en ajouter deux autres, très curieux, qui ont paru depuis quelque temps.

Dialogue aux enfers, entre Machiavel et Montes- quieu, I vol. (par un avocat de Paris, dont j’ai oublié le nom). — Ouvrage écrit par un homme qui sait beaucoup, mais non suffisamment artiste.

Histoire de la Guerre de Crimée, précédée d’un aperçu très long sur la fondation du nouvel empire, par M. Kinglake (je crois que M. Kinglake est député aux communes), 3 vol. — Ouvrage où il y a de la sottise anglaise (chaque nation a sa sottise), mais en somme écrit par un homme sérieux et de très bonne foi.

Quant aux autres ouvrages défendus, ils pullu- lent, mais ce sont de pures ordures.

Tout à vous. J’écrirai à ma mère.

Je n’ai pas besoin de vous dire que je paierai tout d’avance. D’ailleurs, il le faut, bien que la LETTRES 1864 391

contrebande, naturellement, ne réponde pas des objets.

A MONSIEUR ANGELLE

Jeudi, 29 Décembre 1864.

Mon cher Ancelle,

Je VOUS présente mes souhaits de bonne année, ainsi qu’à Madame Ancelle.

Je vous demande pardon de vous donner trois commissions, dont une est peu digne de la gravité d’un magistrat, et de vous prendre ainsi une heure ou deux de votre temps. Mais je connais votre complaisance, et d’ailleurs ces commissions sont très importantes pour moi.

1. — L’échéance pour dégager ce bijou, ou pour renouveler l’engagement, est arrivée, depuis trois /ours. Il est donc plus que temps. C’est un cadeau et un souvenir. J’y tiens énormément. J’ai une autre montre à Bruxelles, je n’ai donc pas besoin de celle-ci. Contentez-vous de renouveler l’engage- ment. Cela se fait en cinq minutes. Il y aura 3 ou 4fr. d’intérêts que je vous rembourserai. La rue Joubert est à deux pas du chemin de fer.

2. — Voir M. Jacquinet, presque à côté, rue Saint- Lazare, dans un enfoncement, presque en face la rue Pigalle ou la rue La Rochefoucauld, à côté d’un sellier.

M. Jacquinet est marchand de tableaux, enca- dreur, nettoyeur de gravures. J’ai laissé chez lui 392 CHARLES BAUDELAIRE

plusieurs objets précieux pour moi, il y a déjà fort long-temps (dont je vous transmets la liste, pour la lui communiquer), et je crains, comme il n’a pas de nouvelles de moi depuis près d’un an, qu’il ne les égare ou qu’il ne se croie autorisé à les vendre. D’ailleurs, je crois qu’il y a beaucoup de désordre chez lui.

C’est ainsi que, par ma négligence, j’ai déjàperdu, ailleurs, des bronzes, un dessin de Rubens, un éventail de 5oo fr., etc..

Vous pourrez lui dire que je reviendrai prochai- nement à Paris.

3. — Voir M. ou Madame Desoye, boutique de bronzes et de porcelaines japonais, 220, rue de Rivoli.

Lui dire qu’elle ait l’obligeance de me garder encore quelque temps le pupitre en laque que je lui ai donné à réparer. Lui demander ce que je lui dois, et lui affirmer que je vais revenir prochaine- ment.

Enfin, mon cher Ancelle,j’ai besoin de 60 ou 70 fr., pour des étrennes à faire aux domestiques^ et dans deux ou trois familles chez lesquelles je fré- quente habituellement.

Ayez l’obligeance de me mettre, tout de suit(\ 100 fr. dans une lettre, de manière que j’aie cela, le 3 1, au matin.

Vous vous souvenez que je vous ai promis de ne vous prendre, désormais, que 5o fr. par mois, pendant un temps fort long. Gela comptera pour Janvier et Février. Cela sera, comme je vous le promets. Mes commissions vous paraîtront peut-tre puériles. Je vous assure que c’est important pour moi. Je vous envoie d’avance, avec ce reçu, mille remerciements.

C’est dans ce nouveau mois que je vous enverrai, par un moyen détourné, les objets que je vous ai promis. La surveillance est maintenant très grande. Il y a eu des perquisitions à Paris.

J’attends, pour retourner en France, des lettres l’un ou de plusieurs libraires. Cela va venir.

Je vais passer quatre ou cinq jours à Bruges, mais je ne partirai qu’après avoir reçu votre lettre. Le Spleen de Paris a recommencé dans la Revue Paris.

Tout à vous. 865

A MONSIEUR ANGELLE

Bruxelles, i* Janvier i865.

Mon cher ami,

Je vous ai envoyé, le 29 Décembre, jeudi, une lettre que vous auriez dû recevoir, vendredi matin, à 10 h. Comme je n’ai reçu de réponse de vous, ni samedi matin, ni samedi soir,ni ce matin, dimanche i^^’ Janvier,je peux craindre que cette lettre ne soit égarée, ou même volée, car elle avait l’air très chargée.

Voici ce que contenait cette lettre :

Une demande de 100 fr., avec un reçu signé.

Diverses recommandations, relativement à des objets d’art laissés à Paris.

Enfin, une reconnaissance de Mont-de-Piété dont l’échéance est arrivée le 26 Décembre dernier, et que je vous chargeais de renouveler, en attendant mon retour.

Si vous n’avez pas reçu cette lettre, il faut trans- mettre immédiatement la lettre ci-jointe au direcLETTRES — l865 395

V du Monl-de-Piété de la rue Joubert, afin qu’il mette obstacle au dég-agement de Tobjet par tout autre que vous ou moi.

Observez que, pour ces grandes reconnaissances, on n’exige pas de signature de la personne qui dégage. Ce sont des valeurs au porteur.

La privation des 100 fr. m’a été fort dure, hier, e matin, mais cet ennui est moins vif que l’in- quiétude, relativement à ma montre, à mes des- sins, etc..

Tout à vous.

J’ai essayé de supposer chez vous le cas d’ab- sence, mais ce n’est pas l’époque où vous vous absentez. Si vous êtes malade, que Madame Ancelle m’écrive un mot.

A UN DIRECTEUR DU MONT-DE-PIETE

Bruxelles, i^"^ Janvier i865. Monsieur,

J’ai transmis, le 29 Décembre dernier, à un de mes amis de Paris la reconnaissance d’une montre engagée chez vous, avec commission de payer l’intérêt et de renouveler l’engagement dans votre bureau. La lettre n’étant pas arrivée à l’adresse indiquée, je peux supposer que la reconnaissance (une grande reconnaissance) est non seulement égarée, mais volée.

Voici tous les renseignements que je puis vous donner : 3()0

CHARLES BAUDELAIRE

Une montre en or, à répétition. Prêt : 4o fr. Date : 26 Décembre ï863. Grande reconnaissance ; papier Jaune, Au nom de M. Gh. Baudelaire, de- meurant alors, 22, rue d’Amsterdam, à Paris.

La personne qui vous remettra cette lettre est la même que j’avais chargée de faire chez vous le renouvellement.

Veuillez, Monsieur, prendre les mesures néces- saires pour que cet objet ne soit pas dégagé par une autre personne que moi-même ou celle qui vous remettra cette lettre.

Agréez, d’avance, Monsieur, tous mes remercie- ments.

A MONSIEUR ANC ELLE

Lundi, 2 Janvier i865.

Merci. Mais il paraît, mon cher ami, qu’il y a ui singulier retard dans tous les courriers, car Tavi^ de la poste ne m’est arrivé qu’hier soir, à 8 h., et j( n’ai eu la lettre que ce matin. Ainsi, ma chère mèri n’aura ma lettre que ce soir, ou demain.

V^ous n’avez pas bien compris la raison de moit relard. Pas d’autre raison que ma lâcheté et ma terreur. Je ne veux rentrer en France que glorieu" sèment, et certains devoirs accomplis. Cela dépend de mon activité, et de l’activité d’une personne que j’ai chargée de mes affaires a Paris.

Non, Montégut, Dieu merci, ne s’est pas pendu. C’était une fausse nouvelle envoyée par un ami de LETTRES l8C5 897

uis. Il vient de publier dans la Revue des Deux

inndes un article sur La Recherche du bonheur. La vérité est qu’il a disparu pendant un assez long ; — temps, sans dire à personne où il allait. Et, comme il a déjà montré quelques bizarreries, on acru qu’il

était tué.

Je suis bien aise que le fds de Dumas se marie^ J’espère que les douleurs du mariage le puniront de [

I détestable littérature. 1

Tout à vous.

Je vous recommande bien mes trois petites com- missions. En avez-vous compris rimportance ? Les objets laissés en dépôt, c’est toujours inquiétant.

A MADAME PAUL MEURIGE

Mardi, 3 Janvier i865.

Chère Madame,

Il me serait très désagréable, il m’est même défendu de laisser une nouvelle année commencer, ans vous la souhaiter bonne et heui^use. Nous ivons tous besoin de ce souhait, et, pour mon ompte, j’éprouve une espèce d’affection pour les jens qui me présentent leurs compliments de nou- ^ elle année d’une manière agréable.

Dois-je vous dire combien je vous aime ?

Dois-je vous dire combien je souhaite pour vous le repos, la prospérité, et ces plaisirs calmes qui sont nécessaires, même aux âmes les plus viriles ?

24 398 CHAULES BAUDELAIRE

Faut-il vous dire aussi combien de fois j’ai pensé à vous (chaque fois que je contraignais un Belge à exécuter un morceau de Wagner, chaque fois que j’avais à disputer sur la littérature française, cha- que fois que se présentait de nouveau un exemple prouvant cette bêtise belge dont vous m’aviez tant parlé) ?

J’ai passé ici pour agent de police (c’est bien fait !), (grâce à ce bel article que j’ai écrit sur le banquet shakespearien) ; pour pédéraste (c’est moi-même qui ai répandu ce bruit, et on m’a crut)’, ensuite, j’ai passé pour un correcteur d’é- preuves, envoyé de Paris pour corriger des épreu- ves d’ouvrages infâmes. Exaspéré d’être toujours cru, j’ai répandu le bruit que j’avais tué mon père, et que Je l’avais mangé ; que d’ailleurs, si on m’a- vait permis de me sauver de France, c’était à cause des services que je rendais à la police française, et ON m’a cru \.,. Je nage dans le déshonneur, comme un poisson dans l’eau.

Chère Madame, ne me répondez pas ; vous seriez embarrassée, malgré tout votre esprit, pour répondre à une pareille lettre. Pardonnez à un esprit qui cherche quelquefois des confidents, et qui n’a jamais cessé de penser à votre grâce et à votre bonté.

Je fais des prières pour que vous soyez heu- reuse (car je prie pour tous ceux que j’aime), et je vous supplie de ne pas m’oublier dans les vôtres, quand vous aurez autant d’humilité que vous ave^ d’esprit. Présentez à votre mari mes souhaits de bonne année.

A MADAME AUPICK

3 Janvier.

Ma chère mère,

Je n’ai pas besoin de la solennité de ce jour, si triste entre tous les jours de l’année, pour penser à toi, et pour penser à mes devoirs et à toutes les responsabilités que j’ai accumulées sur moi depuis tant d’années. Mon principal devoir, mon unique même, serait de te rendre heureuse. J’y pense sans cesse. Cela me sera-t-il jamais permis ? Je pense quelquefois, avec un frisson, que Dieu peut me retirer brusquement cette possibilité. Je te promets d’abord que cette année… Je rougis quand je pense à toutes les privations que j’ai dû t’imposer. Je te promets aussi qu’aucune journée de l’année ne s’écoulera sans travail. Infailliblement, la récompense doit être au bout. J’ai l’esprit rempli d’idées funèbres. Comme il est difficile de faire son devoir tous les jours, sans interruption aucune ! Comme il est difficile, non pas de penser un livre, mais de l’écrire sans lassitude ; enfin, d’avoir du courage, tous les jours ! J’ai calculé que tout ce que j’ai depuis longtemps dans la tête ne m’aurait coûté que quinze mois de travail, si j’avais travaillé assidûment. Combien de fois me suis-je dit, malgré mes nerfs, malgré les mauvais temps, mal400 CHARLES BAUDELAIRE

gré les créanciers, malgré l’ennui de la solitude : Voyons, courage…! Le résultat fructueux vien- dra peut-être… Combien de fois Dieu m’a-t-il fait déjà crédit de quinze mois ! et pourtant j’ai in- terrompu souvent, trop souvent, jusqu’à présent l’exécution de tous mes projets. Aurai-je le temps (en supposant que j’aie le courage) de réparer tout ce que j’ai à réparer ! Si j’étais sûr au moins d’avoir cinq à six ans devant moi ! Mais qui peut être sûr de cela ? C’est là pour moi, maintenant, une idée fixe, l’idée de la mort, non pas accom- pagnée de terreurs niaises, — j’ai tant souffert déjà et j’ai été si puni que je crois que beaucoup de choses peuvent m’être pardonnées, — mais cepen- dant haïssable, parce qu’elle mettrait tous mes pro- jets à néant, et parce que je n’ai pas exécuté encore le tiers de ce que j’ai à faire en ce monde. Tu as deviné sans doute ma terreur de traverser Paris sans argent, de rester à Paris, mon enfer, six ou sept jours seulement, sans offrir des garan- ties certaines à quelques créanciers. Mon exil m’a appris à me passer de toutes les distractions pos- sibles. Il me manque l’énergie nécessaire pour le travail noninterrompu.Ouandje l’aurai, je serai fier et plus tranquille. J’ai bon espoir. Tu sais tout ce que j’ai à publier. Hélas ! que de choses en retard !…

4
A MONSIEUR ANCELLE
Vendredi, 27 Janvier 1865.

Mon cher ami,

Je suis bien étonné de n’avoir aucunes nouvelles de vous. Le Mont-de-Piété ? Et le sieur Jacquinet ? El Madame Desoye ? Qu’est-ce que je leur dois ? Y aura-t-il quelque objet perdu ? Avez-vous remis ma note à Jacquinet ?

Soyez assez obligeant pour me dire, dans la même réponse, où j’en suis avec vous, relativement à l’argent. Avez-vous fait notre compte annuel ?

Je sais que, quand j’ai quitté Paris (fin Avril), j’étais fortement en avance. La dette doit être cependant un peu diminuée, puisque, dans l’espace de neuf mois, je ne vous ai pris que 600 fr. Ne voyez pas dans ce que je vous écris une intention quelconque de renoncer à mes projets d’économie.

Je vous assure que les commissions que je vous ai mises sur les bras étaient fort importantes pour moi.

Tout à vous. Mes respects à Madame Ancelle.

A MONSIEUR ANCELLE

Samedi, 4 Février 1865.

Mon cher Ancelle,

J’attends toujours votre réponse, depuis le commencement de Janvier. 402 CHARLES BAUDELAIRE

Peut-être n’avez- vous pas bien compris les com- missions que j’ai pris la liberté de vous jeter sur les bras. Peut-être les avez-vous considérées comme des fiiaiseries, parce que vous n’avez pas le même amour que moi pour le papier, Tor, la gra- vure, etc.. Et puis, quand vous aurez voulu faire les commissions, il était trop tard, et vous n’osez pas me dire que tout est perdu. C’est cela, n’est-ce pas ?

Le Mont-de-Piété ? Jacquinet ? Desoye ? Tout est- il sauf, et qu’est-ce que je leur dois ?

J’ai supposé que la lettre de Proudhon vous in- téresserait ; vous y avez vu l’idée fixe de la banque- route comme salut, et de l’abolition de la rente.

Et nos comptes ? Etes-vous malade ? Etes-vous absent ?

Bien à vous ; mais, pour l’amour de Dieu, répon- dez-moi.

A MONSIEUR ANCELLE

Mercredi, 8 Février i865.

Mon cher Ancelle,

Je vous écris dans le répit que me laisse une de mes crises qui sont si violentes quelquefois que ce matin il m’a fallu plus d’une heure pour déchif- frer votre lettre.

C’est plus que bien, c’est très bien, et je vous remercie. Et puis c’est moins cher que je ne m’y attendais. LETTRES l865 4o3

Seulement, à propos du pupitre (qui doitêtre mal irrangé, c’est trop bon marché), Madame Desoye vous a-t-elle rendu la clef, et la serrure est-elle arrangée, ou bien en a-t-on mis une neuve ?

Relativement à Jacquinet, je vous affirme, de la manière la plus positive, que je vous ai envoyé cette note, dans ma première lettre. Vous Taurez laissé tomber, en ouvrant la lettre. La voici, de nouveau, recopiée.

Ainsi, quand je retournerai à Honfleur (si jamais je revois Honfleur !), c’est chez vous queje ferai faire mes emballages, pourvu qu’il y ait des emballeurs i Neuilly.

Je connaissais Taffaire R. Un des amis de

1, complètement inconnu de moi, excepté par

>es œuvres, a jugé à propos de copier pour moi

un des tableaux de Goya au palais de Tancienne

duchesse d’Albe. Naturellement,j’ai écrit à Madrid

pour le remercier. Je reçois quelquefois, de fort

loin, et de gens que je ne connais pas, des témoi-

nages de sympathie qui me touchent beaucoup,

iiais qui ne me consolent pas de ma détestable

iiisère,de mon luimiliante situation, n »surtout de

lies vices.

La lettre de Proudhon ne vous a pas assez frappé, et vous le traitez de fou, beaucoup trop lé- (ùrement. Je vous ai envoyé cette lettre, pour vous

)rouver que Proudhon, quoi qu’on ait dit, n’aoait

jamais varié : à la fin de sa vie, comme à ses débuts, les questions de production et de finance •taient celles qui l’obsédaient particulièrement. 4o4 CHAULES BAUDELAIRE

S’il était question d’art, oui, vous auriez raison de dire de Proudhon : // est fou ; mais, en matière d’é- conomie, il me paraît singulièrement respectable.

Je ne vois qu’une seule manière de mettre à néant les utopies, les idées, les paradoxes et les prophé- ties de Proudhon sur la rente et sur la propriété, c’est de prouver péremptoirement (l’a-t-on fait ? je ne suis pas érudit en ces choses) que les peuples s’enrichissent en s’endettant. Yous êtes plus finan- cier que moi ; vous devez savoir si cette thèse a été soutenue.

Vous me félicitez sur ma santé. Depuis huitjours, je souffre en diable. J’ai eu, alternativement, les deux yeux bouchés par le rhume, la névralgie ou le rhumatisme. J’avais débuté, comme vous savez, parquatre mois de dérangements d’estomac et d’in- testins. En Aoiit et en Septembre, il y a eu ici un petit peu de lumière et de chaleur ; alors, je me suis bien porté. Mais, depuis deux mois,je suis pris, géné- ralement à minuit, par la fièvre. Les longues heures s’écoulent dans un tressaillement et un froid con- tinus ; enfin, le matin, je m’endors de fatigue, n’ayant pas pu profiter de mon insomnie pour tra- vailler, et je me réveille tard, dans une affreuse transpiration, très fatigué d’avoir dormi. Depuis huitjours surtout, il y a eu surcroît de douleur. Et vous savez qu’il n’y a pas de bravoure possible, si ce n’est la passive, dans la douleur. C’est une par- faite abdication de la volonté.

Dans ces conditions, je vous prie de me per- mettre de renoncer à mon projet d’économie, du LETTRES — i865 4o5

moins pour deux mois ; je reprendrai Texécution de ce projet à Honfleur. Supposons que mon séjour ici se prolonge jusqu’à la fin de Mars, c’est beau- coup. Depuis le milieu de Novembre, je n’ai rien reçu de personne, et je n’ai rien donné ici. Ma noie était complètement payée j usqu’au i^’" Octobre. En hiver, on dépense ici beaucoup plus qu’en été. En été, c’était 200 ou 220 fr. par mois ; trois mois d’hiver, cela doit faire 900 fr. Je dis : cela doit faire, car je ne peux pas obtenir ma note.

On me fait la mine, je le vois bien. Et enfin il y a une foule de petites dépenses, en dehors de l’Hôtel, iuxquelles je ne peux pas satisfaire depuis deux mois sans des ruses ridicules : tabac, papier, timbres-poste, raccommodag-es,etc…Par exemple, le rêve de posséder du vin de quinquina est devenu ’ans mon cerveau aussi obsédant que l’idée d’une ijait^-noire pleine d’eau dans l’imagination d’un galeux. Et puis je voudrais des purgations vio- lentes. Je ne puis rien.me procurer de tout cela.

(Entre parenthèses, je vous prie de ne rien dire le tout cela à ma mère. Vous connaissez sa terrible fnagination. Ainsi, pas un mot. Se, sui| convaincu (ue toutes ces infirmités disparaîtront avec le suc- cès et le déplacement.)

Je vous parlais de l’humiliation des petits besoins. Pardonnez-moi de vous faire observer en passant que vos lettres, excepté celles chargées, sont toutes insuffisamment affranchies. Que j’aie fait attention \ cela, c’est bien un signe de misère. Quand la concierge me dit : Monsieur, ccst encore 4o een4o6 CHARLES BAUDELAIRE

times à payer, — je suis tout malheureux. Vous affranchissez comme si vous envoyiez votre lettre dans un département français. C’est un timbre rouge qu’il faut mettre, ou deux timbres bleus. Pardon !

Je suis positivement poursuivi par un guignon. Depuis le i’^ du mois, j’attendais 3oo fr.de la Revue de Paris, ei 4oo du Figaro. Lsl Revue de Paris va horriblement mal ; elle ne peut pas me payer même le peu qui est échu. Le Figaro trouve ce que j’ai envoyé beaucoup trop sérieux, et au-dessus de la portée de ses lecteurs ; c’est poli, c’est pour ne pas dire : ennui/eux. Et comme ce sont des fragments du dernier livre fait pour Michel Lévy, et que le livre va paraître, cela fait 700 fr. de perdus.

Quant à la grosse affaire, la vente des Paradis, de Mes Contemporains et de Pauvre Belgique ! j’attends. Je ne peux pas supposer que mon nom soit tellement peu de chose, et que mes amis m’aient tellement oublié, qu’on ne puisse pas tirer au moins 600 fr. du premier tirage de chaque volume, ce qui ferait 2.400. Mais mes souff’rances ont interrompu mon travail, déjà si intermittent. Il manque quatre chapitres à la Belgique, et trois aux Contempo- rains.

Mon cher, j’ai la tête si fatiguée que je ne vais pas plus loin.

Donnez-moi mes mois complets de Janvier, Fé- vrier et Mars. Aujourd’hui, Janvier et Février seu- lement. Est-ce i5o ou 180, je n’en sais rien. A tout hasard, je suppose 3oo, et j’en défalque 100 que j’ai recus le 2 Janvier. Votre reçu est au second feuillet de la feuille Jacquinet. Je tirerai le diable par la queue, et je ferai patienter les gens jusqu’à la conclusion de mes affaires en France.

Vous n’avez pas compris la lettre où je m’excusais de n’avoir pas profité des 400 et des 600 fr. pour m’en aller.

Je souffre et je m’ennuie. Et cependant j’aurais beaucoup d’argent que je ne partirais pas. Je suis en pénitence et j’y resterai, jusqu’a ce que les causes de la pénitence disparaissent. Il s’agit non seulement d’argent, mais de livres à finir, et de livres à vendre, qui m’assurent en France une tranquillité de quelques mois.

la mère m’a écrit une lettre charmante et pleine de sagesse. Quelle patience ! Et quelle confiance en moi ! Saviez-vous qu’elle a été très malade et subitement restaurée ? Par bonheur pour moi, j’ai su les deux nouvelles, la mauvaise et la bonne, à la fois !

Pas de retard, je vous en prie, non seulement parce que j’ai besoin d’argent, mais parce que vos lettres sont une distraction pour moi. Je ne bouge pas de ma chambre. D’ailleurs, où irais-je ? si je pouvais sortir.

Tout à vous.

A MONSIEUR ANCELLE

Dimanche, 12 Février 1805.

Mon cher ami.

Je vous remercie. Je me souviendrai que j’ai déjà 4o8 CHARLES BAUDELAIRE

reçu 3oo fr. sur le compte de cette année, et 5oo sur les huit derniers mois de la dernière. Quant aux sommes reçues dans les quatre premiers mois, je n’en ai pas tenu note. Ecrivez-moi le plus tôt que vous pourrez, non pas seulement parce que j’ai hâte de savoir que tous mes petits bibelots sont en sûreté chez vous, mais aussi parce que je m’ennuie mortellement. Il n’y a ici qu’une seule personne que je puisse voir avec plaisir, et elle demeure au diable, à l’extrémité d’un fau- bourg.

Je crois qu’il sera prudent, quand vous reverrez Jacquinet, de faire avec lui le compte des objets, la note en main. Il y a, dans cette note, de petites indications ajoutées, auxquelles il faut faire atten- tion, par exemple : dessin à Jixer (s’il n’est pas fixé), c’est à dire qu’il faut lui faire subir une pré- paration qui le rende ineffaçable ; — dessin mal monté, à remonter ; — etc.. Ce Jacquinet n’est habile que dans les nettoyages, et d’ailleurs c’est un homme de désordre.

Je vous demande mille pardons de tout le tin- touin que je vous cause.

Je n’ai jamais tant ragé que dans ces dix dernier^î jours, attendant des nouvelles, n’en recevant qur de mauvaises, et complètement impuissant poui agir. Il y a dix jours que j’aspire à recevoir des nouvelles importantes, relatives à mes tripotages littéraires, et rien, rien, rien !

Ce matin, pour la première fois depuis long- temps, j’ai mangé solidement, avec lagourmandis LETTRES — l865 409

d’un enfant. C’était trop tôt. Je sens la migraine qui me reprend.

J’ai passé en revue, il y a peu de jours, un paquet de lettres de Proudhon fort curieuses, adressées à des amis de Belgique. Théophile Thoré (vous vous souvenez de lui, celui qui signe, depuis quel- ques années, William Bûrger) est venu me voir, il y a quelque temps. Nous ne nous étions pas vus depuis vingt ans, ou peu s’en faut. J’ai éprouvé, à le revoir, un immense plaisir. Du reste, je suis en humeur de trouver du génie à tous les Français. Thoré, quoique républicain, a toujours eu des mœurs élégantes. Il me racontait qu’il avait fait une fois un voyage avec Proudhon, mais qu’il avait été obligé d’abandonner celui-ci, à cause du dégoûtque lui inspirait à lui, Thoré, l’affectation rustique de Proudhon, affectation de grossièreté en toutes choses, impertinence de paysan. — Ainsi, on peut être à la fois un bel esprit et un rustre, — comme on peut en même temps posséder un génie spécial et être un sot. Victor Hugo nous l’a bien prouvé. — A propos, ce dernier va venir habiter Bruxelles. Il a acheté une maison, dans le quartiei^Léopold. Il paraît que lui et l’Océan se sont brouillés. Ou il n’a pas eu la force de supporter l’Océan, ou l’Océan lui-même s’est ennuyé de lui. — C’était bien la peine d’arranger soigneusement un palais sur un rocher ! Quant à moi.seul, oublié de tout le monde, je ne vendrai la maisonnette de ma mère qu’à la dernière extrémité. — Mais j’ai encore plus d’or- gueil que Victor Hugo, et je sens, je sais que je ne serai jamais si béte que lui. — On est bien partout (pourvu qu’on se porte bien, et qu’on ait des livres et des gravures), même en face de l’Océan.

Proudhon n’avait jamais lu Victor Hugo ; il aurait dû lire les poésies, mais on lui prêta Les Misérables (le déshonneur de Hugo) ; il annota les deux premiers volumes, ligne à ligne. Ce devait être une merveille de drôlerie : la logique corrigeant l’absence de logique ! — Or, le propriétaire belge de l’exemplaire (admirez le Belge !), trouvant son exemplaire souillé, a soigneusement effacé toutes les notes. Et voilà un monument perdu !

Qui donc a écrit au dos de l’enveloppe de votre lettre : Salut et Confraternité î ou Salut confraternel, ou Salutations confraternelles, — mots qui ont été salis par le timbre ? — Ce langage n’est pas celui de vos amis, — Mais cela m’a remis en mémoire les enthousiasmes et les drôleries de Février. Que c’est vieux déjà !

Savez-vous que les fils du roi Léopold reçoivent, avec l’assentiment de leur papa, une rente de l’Empereur Napoléon III, comme indemnité de leur part perdue dans l’héritage (saisi) de la maison des d’Orléans ? — Ames ignobles ! Dynasties condamnées ! — Notre Empereur est peut-être un grand coquin, mais il aime mieux la gloire que l’argent ; à cause de cela, il est intéressant. — Du reste, je vérifierai le fait avant de le publier. — Cela n’est pas facile.

Il me tarde de voir la Vie de César, et de savoir si Napoléon-Louis est un vrai homme de lettres.

Mes compliments à Madame Ancelle.

Bien à vous. Ne m’oubliez pas.

A MONSIEUR JULIEN LEMER

15 Février 1865.

Mon cher Lemer,

Je reçois enfin des nouvelles de vous par mon ami Manet.

Mais quel sacré guignon, pour commencer par le commencement I — J’ai écrit, le 4 ; au soir, à mon ami le commandant Lejosne (avenue Trudaine, 6, près des abattoirs) de vous apporter les épreuves du Mystère de Marie Roget, faisant pendant à l’Assassinat dans la rue Morgue, un chef-d’œuvre, une merveille, — reçue, il y a un an, à l’Opinion nationale, sous la direction Pauchet, et repoussée maintenant par son successeur Malespine qui ne disait mot, — repoussée aussi par Villemessant qui trouve ça trop sérieux.

Il y a aussi trois fragments {Habitations imaginaires) qui sont chez Marcellin, et que je vous prie de fourrer où vous voudrez, où vous pourrez.

Suggestions : L’Univers illustré. Le Journal littéraire, La Presse. ï,e Pays. Le Constitutionnel.

Je dois depuis longtemps de l’argent au Pays et au Constitutionnel, 200 au premier, 500 au second. Ce serait peut-être une raison pour leur donner ces 4 12 CHARLES BAUDELAIRE

morceaux, — pourvu (jue cela paraisse tout de suite, variétés ou feuilletons, — pourvu que ce soit bien corrigé, — pourvu qu’on ne fasse qu’une retenue partielle pour amortir ma dette.

C’est Le Pays qui a publié, il y a de longues années, les Histoires extraordinaires.

Je suis au mieux avec Limayrac etGrandg-uillot. Mais, je le répète, faites ce que vous voudrez.

Marie Roget fait trois feuilles in-8°, feuilles de revue.

Habitations font deux feuilles et sont divisées en trois parties : Domaine d’ Arnheini, quinze pages. Cottage Landor, douze pages. Philosophie d’a^ meuble nient, six pages.

On peut les répartir sur trois journaux.

Manet me dit quelques mots sur vos intentions. J’ai mille choses à vous dire, mais il est 5 h., et il est urgent que cette lettre parte.

D’ici à la fin du mois, vous recevrez un énorme paquet de poèmes en prose, et les trois fragments complémentaires de l’ouvrage que j’appelle Quel^ ques-uns de mes contemporains.

Avez-vous vu l’infâme feuilleton à’Eraste sur Henri Heine et la jeunesse des poètes ? Janin bla- gue les mélancoliques. Je peux appeler ça une pierre dans mon jardin. Je fais une réponse Mais dans quels termes M. Le Figaro est-il avec J. J. ? Là est la question.

Tout à vous. Croyez que je vous saurai grande- ment gré de ce que vous ferez pour moi.

Michel avait dit qu’il m’accorderait un certain temps pour le placement de tout ça ; mais voilà déjà vingt jours perdus, plus peut-être, grâce à Malespine, à Villemessant, et à M. Lejosne. Quant à Marcellin, il veut toujours couper ou retoucher, c’est sa marotte. Retoucher ou couper, dans Poe !

Lacroix et Verboeckhoven viennent de commander à Mlle  Judith la traduction d’un livre dont je leur avais suggéré l’idée. Oh ! les Belges !


A MONSIEUR MARCELLIN

15 Février.

Cher Monsieur,

Un extrême besoin d’argent me servira d’excuse auprès de vous, si je vous reprends les Habitations imaginaires, et si je vous prie de les remettre à Julien Lemer, qui en fera ce qu’il voudra. — En vérité, je n’ai pas de chance auprès de vous. J’espère que je me dédommagerai chez vous par un paquet de poèmes en prose. J’en ai bien une trentaine sur ma table, mais ce sont des horreurs et des monstruosités qui feraient avorter vos lectrices enceintes.

Tout à vous et pardonnez-moi.

Je vous réserverai ce qui sera fait pour vous plaire. 4l4 CHARLES BAUDELAIRE

A MONSIEUR JULIEN LÉMER

Vendredi, 28 Février i865.

Mon cher Lemer,

Il y a bien longtemps que j’ai envie de vous écrire, ainsi que jeTavais dit à Henry delà Made- lène, et, si j’ai tant tardé, ce n’est pas seulement à cause de mon apathie ordinaire en ce qui concerne mes intérêts, mais aussi à cause d’une certaine timidité qui me fait renvoyer indéfiniment les affai- res au lendemain, sans doute parce que je crois toujours que les choses désirées par moi ne doivent pas réussir.

Depuis plusieurs années, je rêve de trouver un homme (un ami, en même temps, ce qui serait parfait), qui voulût bien s’occuper de mes affaires littéraires. Quant à moi, il m’est prouvé par une longue expérience que je suis complètement inepte en ces matières. Pourquoi ii*ai-je pas Tintellig-ence nécessaire pour cela, je n’en sais rien ; mais j’ai fait dans ce genre tant de sottises que j’ai décidé de ne plus m’en mêler.

Avant tout, consentez-vous à être celui que je cherche ? J’aurais dû prendre ce parti, il y a bien des années ; mais enfin il n’est jamais trop tard. Ensuite, je suis obligé de vous demander quel prix vous désirez mettre à vos services, c’est à dire quel prélèvement vous ferez sur les marchés que vous conclurez pour moi. Je ne vous prendrai peut-être pas beaucoup de votre temps, mais enfin j’en LETTRES l865 4ï5

prendrai bien un peu, et, quoique nous nous con- naissions d’assez vieille date pour nous croire un peu liés, je suis obligé de vous faire cette bête de question. J’ai entendu dire qu’en affaires la pudeur était sotte. Je n’ai pas besoin d’ajouter, mon cher Leiner, que ce que vous déciderez sera bien. Seu- lement, j’espère trouver un ami zélé.

Je vais vous expliquer les affaires du présent. J’espère que, l’année prochaine, peut-être même dans quelques mois, si j’ai un peu de repos, j’en aurai d’autres à vous soumettre.

Je désire vendre quatre livres dont je vous envoie le sommaire :

Les Paradis artificiels (si mal édités il y a quelques années qu’on peut les considérer comme un livre inédit. Je trouve le livre bon comme il est, je n’y ajouterai rien, je n’en retrancherai rien).

ftéflej’ions sur quelques-uns de mes contempo- ns. Divisées en deux parties, ou deux volumes. Ceci n’est pas, comme vous pourriez le croire, un paquet d’articles de journaux. Bien que ces arti- ^^« ^s, inconnus pour la plupart, aient p^ru à de s longs intervalles, ils sont reliés entre eux par î pensée unique et systématique. J’ai une assez vive envie de montrer ce que j’ai su faire, en ma- tière de critique.

l’^nfin, le quatrième. Pauvre Belgique î i vol. Celui-ci n’est pas terminé. J’ai su mettre à profit neuf mois de séjour, mais il faut ajouter deux ou trois chapitres sur les provinces, sur les vieilles f\lC) CHARLES BAUDELAIRE

villes, et le temps est trop abominable pour que je me remette à courir.

Maintenant, quelques petites réflexions que je vous soumets, simplement, car vous agirez à votre guise. J’aurais vivement désiré aliéner les quatre volu- mes, pour un temps déterminé, deux ans, trois ans, cinq ans, ou pour un nombre considérable d’exem- plaires, ce qui en somme revient au même. Mais il me semble que cela sera difficile, parce qu’un édi- teur préfère naturellement voir d’abord la fortune d’un livre, ne risquer que peu de déboursés à la fois, sauf à renouveler le traité, la première édi- tion épuisée.

Autre question : ne vous semble-t-il pas qu’il y aurait avantag-e,si possible c’est, de vendre les quatre volumes au même libraire ? En tout cas, je crois que je ne dois rien aliéner d’une manière définitive et absolue, parce que je dois me réserver la possi- bilité de rassembler un jour tous mes ouvrages chez le même éditeur.

Le manuscrit des Contemporains est chez moi, à Ronfleur. J’irai le chercher, quand j’aurai com- plété mes notes sur la Belgique. Pauvre Belgique ! pourra être livrée en Mars. Quant aux Paradis, j’en ai un exemplaire.

Croyez-vous qu’il soit mauvais de communiquer tout ou partie du livre sur la Belgique à un journal quelconque ? Je sais que Villemessant serait fort satisfait de la proposition, mais j’ai voulu vous consulter auparavant.

J’arrive à la question des éditeurs eux-mêmes. LETTRES l865 4^7

Michel Lévy m’en veut rravoir cédé Les Fleurs du Va/ et Le Spleen de Paris à Hetzel.

Helzel est de mauvaise humeur contre moi (et il en a le droit), parce que je ne lui ai pas encore livré Les Fleurs du Mal et Le Spleen de Paris, qui cependant sont finis, mais que je triture encore.

Dentu et Charpentier ne me paraissent pas des éditeurs de nature à donner de la popularité âmes livres. Je me trompe peut-être, mais Dentu ne me paraît pas assez sérieux, et Charpentier est trop du règne de Louis-Philippe ; vous me comprenez. Mais je n’attache pas une importance absolue à ce que je vous dis.

Restent Didier, Amyot et Hachette, qui sont d’excellentes librairies. Est-ce qu’il n’y a pas chez ce dernier passablement de pédanterie démocratique ? Je vous préviens que Pauvre Belgique ! est un livre anti-libre-penseur, fortement tourné au bouffon.

Eparpillez les livres, si vous ne pouvez faire mieux.

Quel est le maximum que vous supposez pou-

ir demander par in-8° et par in-i8 ?

Mais ce sont là des questions ultérieures. D’ail-

irs, comme je vous l’ai dit, je vous abandonne le gouvernement de tout cela, et il va sans dire que je m’interdis, si vous acceptez, de faire une démarche directe quelconque auprès d’un éditeur quelconque.

Dans quelques jours, je vous enverrai deux ou trois articles de revue, et un paquet de poèmes en prose que vous partagerez entre deux ou trois recueils ! CHARLES BAUDELAIRE

Pourvu que ce soient les dernières fois que j’aie à demander l’hospitalité à un journal quelconque, j’ai horreur des rédacteurs en chef, même quand ils sont mes amis.

J’ai deux autres grands ouvrages commencés, mais je sens que je ne les ferai bien qu’à HonQeur. C’est une série de nouvelles, toutes apparentées entre elles, et un gros monstre, traitant de omni re, et intitulé : Mon cœur mis à nu.

Tout à vous, mon cher Lemer^ et ne m’oubliez pas.

Réflexions sur quelques-uns de mes contempo- rains est bien long. On pourrait supprimer Réfle- xions sur. J’ai voulu, avant tout, éviter les mots artistique et littéraire, qui tuent le débit d’un livre.

LES PARADIS ARTIFICIELS

r vol. M’appartiennent. Edition épuisée. Tables des matières

I. — Le poème du haschisch. — i. Le Goût de rinfirii.

— 2. Qu’est-ce que le Haschisch ? — 3. Le Thé- âtre de Séraphin. — 4- L’Homme-Dieu. — 5. Mo- rale.

II. — Un mangeur d’opium. — i. Précautions oratoires.

— 2. Confessions préliminaires. — 3. Voluptés de l’opium. — 4- Tortures de l’opium. — 5. In Faux dévouement. — 6. Le Génie-enfant. — 7. Chagrins d’enfance. — 8. Visions d’Oxford. — 9. Conclusion. LETTRES — l865 419

PAUVRE BELGIQUE I vol.

Je vous donnerai la Table des matières dans quelques jours.

RÉFLEXIONS SUR QUELQUES-UNS DE MES CONTEMPORAINS

Deux parties. 2 vol.

I. — Beaux-Arts, — David au Bazar Bonne- Nouvelle. — Salon de 1846. La critique, le des- sin_, la couleur, le chic, le doute. Comment l’em- porter sur Raphaël, etc.. — Delacroix à l’Expo- sition universelle. — Ingres à l’Exposition uni- verselle. — Méthode de critique.— Salon de iSSg. L’artiste moderne et la photographie. La critique, la reine des facultés. Le public moderne, etc..

— De l’essence du rire. — Caricaturistes français.

— Morale du joujou. — Peintures murales d’Eu- gène Delacroix. — L’œuvre, la vie et les mœurs d’Eugène Delacroix. — La peinture didactique (Chenavard, Kaulbach, Jannot, Réthel). — Le

peintre de la Modernité (Constantin Guys de Sainte-Hélène).

II. — Littérature. — Edgard Poe, sk vie et ses œuvres. — Notes nouvelles sur Edgard Poe. — Victor Hugo. — Desbordes- Valmore. — Pé- trus Borel. — Hégésippe Moreau. — G. Le Va- vasseur. — Théodore de Banville. — Leconte de Lisle. — Pierre Dupont. — Théophile Gautier.

— Philibert Rouvièie. — Etre comédien ou pape !

— Richard Wagner à Paris. — Les dandies de la littérature depuis Chateaubriand. — Histoire des Fleurs du Mal. A MONSIEUR ANCELLE

25 Février 1865.

Mon cher ami.

Je vais donner encore à l’Hôtel les 150 fr. dont le reçu est joint à cette lettre. La note montait encore un peu plus haut que je ne croyais. Je ferai ainsi patienter les gens, jusqu’à ce que mes affaires de librairie soient conclues. — Il paraît (me dit-on) que deux libraires s’offrent, mais les traités ne se feront que quand mes quatre volumes seront complètement finis. Je travaille lentement, et avec maussaderie.

Si vous n’avez pas encore fait notre compte de 1864, que cela, je vous en prie, ne retarde pas l’envoi des 150 fr.

Les objets qui étaient chez Desoye et Jacquinet, sont-ils enfin réunis chez vous ? Avez-vous tout retrouvé sans exception chez Jacquinet ? Le pupitre vous a-t-il paru passablement réparé ? Et la serrure ?

Cette lettre va vous arriver demain matin, dimanche. Je suppose que vous ne m’envoyiez votre réponse que lundi (avant 5 h.), je l’aurai mardi matin, dernier jour du mois. C’est ce qu’il faut.

Sur la suscription, ne mettez pas : Hôtel du Grand- Miroir, mettez : Rue de la Montagne, 28. — Le résultat sera qu’on m’apportera ma lettre et que je ne serai pas obligé de l’aller chercher à la poste.

La Correspondance par Wiseman, signée A. Z., LETTRES l865 421

est de Louis Blanc. Je parle de L’Etoile Belge. L*avez-vous reçue ?

Quand les Histoires grotesques et sérieuses seront nventeje vous enverrai un bon pour un exemplaire.

Mes respects à Madame Ancelle.

Bien à vous.

A la fin de Mars, je vous prendrai encore i5o fr., et puis je crois sérieusement qu’alors je reviendrai. — D’ailleurs, une g-rande partie des manuscrits est à Honfleur. Il faudra que j’aille les chercher.

A SAINTE-BEUVE

i5 Mars i865. Cher ami,

Je profite des Histoires grotesques et sérieuses

pour me rappeler à votre souvenir. — Ouelque-

"* >is, le matin, je cause de vous avec M. Mnller, de

lège, à coté de qui je déjeune, — et, le soir, après

dîner, je relis Joseph Delorme, avec Malassis.

)écidément, vous aviez raison : Joseph Detorme,

est Les Fleurs du Mal de la veille. La co^pparaison

^t glorieuse pour moi. Vous aurez la bonté de ne

pas la trouver offensante pour vous.

Et la préface de la Vie de César ? Est-ce assez rédestinatieni Tout à vous. 422 CHARLES BAUDELAIRE

A MONSIEUR ANCfiLLE

22 Mars i865.

Mon cher Ancelle,

Mon dernier volume (traduction de Poe) a paru, le 1 6. Je n’ai pas encore pu arracher un exemplaire à. Madame Aupick n’a pas reçu le sien, non

plus que moi. m’avait demandé des lettres

pour les journalistes de Paris ; je les lui ai envoyées. Mais rien ne me prouve qu’il les ait distribuées avec les exemplaires. Car, dans ces lettres, il était question d’autre chose que de Poe, et je ne reçois aucune réponse. Impatienté, j’ai supposé que son ignoble avarice l’empêchait de dépenser quelques sols pour l’envoi de quatre exemplaires ne se rappor- tant pas directement à la vente. Ayez Toblig-eance de prendre ces exemplaires, et de vous charger de l’affranchissement. J’ai oublié la loi postale. Je ne sais pas si cela se mesure au poids, ou si c’est 5 centimes par feuille. En tout cas, c’est fort peu de chose.

Tâchez, en même temps, de savoir ce qui est advenu des vingt lettres qui devaient accompagner les exemplaires adressés à ceux de mes amis qui écrivent dans les journaux. — Et s’il vous répu- gne, ce que je trouverais très naturel, de parler à des gens comme ou, adres-

sez-vous à mon ami, qui est chez eux^

et qui est un homme bien élevé. LETTRES — l865 4^3

Voici une lettre pour M. Miquel Rouget, où je prie d’allonger un peu sa complaisance, à cause mes besoins actuels, jusqu’à mon retour en rance.

■h’ vais donner 200 fr. à F Hôtel, — Ne pas tssir ma dette (résultat des mois de Novembre, cembre et Janvier) est tout ce que je peux faire, lit que ma grosse affaire ne sera pas conclue. Elle va l’être, je le sais, et je sais aussi les raisons de ce long retard. Ce serait trop long à vous expli- quer. — Je garderai simplement 5o fr., pour le cas où cette même affaire m’attirerait brusquement Paris, m’entraînerait peut-être jusqu’à Honfleur, ^,o\iv y prendre le commencement du manuscrit que ma mère ne saurait pas trouver. Ainsi, il serait it possible que je vous visse, dans une quinzaine jours.

V^ous comprenez, mon cher ami, que si je me permets d’avancer de huit jours notre échéance ordinaire, c’est qu’il y a urgence. D’ailleurs, je manque de tout, même de plus que tout.

Faites taire votre défiance, bien légitimée d’ail-

irs parles irrégularités des années pr ? cédentes.

^^etle année présente sera celle de la réforme.

Qu ; inl au chiffre qui vous étonne peut-être, en

ici l’explication. D’après votre dernière lettre, je

’ dois compter que sur 160 fr. par mois (ce qui,

iiltiplié par 12, donne 1.920). Janvier, Février,

urs et Avril font donc quatre fois 160, c’est à

dire : 64o fr. auxquels il faut ajouter un reliquat

de 64. Total : 704. — Or, depuis le i« Janvier, je 424 CHARLES BAUDELAIRE

ne VOUS ai pris que 100, 200, et i5o fr., c’est à dire : l\^o fr. — Différence : 264 fr.

Il paraît que la vente de César ne va plus.

J’ajouterai aux choses que je dois vous rapporter Les Propos de Labiénus, qui viennent de paraître ici. Il y a de l’esprit, mais c’est loin d’être excellent. J’avais bien envie d’écrire une réfutation de la fa- meuse préface, et puis je me suis dit, comme je me le dis si souvent à propos d’une foule de choses : yl r/iioi bon ? et que m’importe ?

Tout à vous, mon cher ami.

Mes compliments à Madame Ancelle.

Varient d’abord, je vous prie. J’attends votre lettre le 24, au matin, ou à 3 h., au plus tard.

Quant aux exemplaires, le plus tôt possible. Si, par extraordinaire, le s’était exécuté, rela-

tivement à ma mère et à moi, n’exigez que votre exemplaire.

Cherchez donc, dans votre paquet d’autographes, une lettre de M. de Gustine (peut-être deux) à pro- pos delà conàdimndiûoïiàQs Fleurs du Malt et faites- les copier pour moi. Je vous dirai plus tard pour- quoi.

Si, ayant lu la lettre pour, vous la trou-

vez trop malhonnête, demandez verbalement des explications, et transmettez -les-moi.

Ci-Joints fhsi Petite Revue, deuxième article sur Proudhon ; — une lettre pour ; —

un bon pour cinq exemplaires de mon livre ; — un reçu de 260 fr, ; — une lettre pour Miquel RouLETTRES l865 /|25

\i/es r obligeance de cacheter la lettre pour

ainsi que celle pour Miquel Rouget ; —

l’oubliez pas de mettre y sur votre lettre chargée :

S, rue de la Montagne ; au lieu de : Hôtel du Grand-

liroir.

A MONSIEUR E. R

Mon cher ami,

Je viens délire vos curieuses notes surProudhon, et je trouve à la page 1 1 du soixante-huitième nu- méro de La Petite Revue une anecdote que je vous ai contée, il y a longtemps, et qui s’est transformée dans votre mémoire.

… Un citoyen le contemplait dans les bureaux du Peuple, précipitant les morceaux de son dé- jeuner énorme et frugal : Vous vous étonnez de me voir tant manger, citoyen, lui dit-il Joyeuse- nent, mon appétit est en raison des grandes cho- .^es que j’ai à faire…

Ce citoyen, mon ami. c’était moi. J’étais allé, un soir, chercher le citoyen Jules Viard dans les bureaux du Représentant du Peuple. •

Proudhon y était, entouré de ses collaborateurs, et leur distribuait des instructions et des conseils pour le numéro du lendemain.

Peu à peu, chacun le quitta, et je restai seul avec lui ; il me ditque Viard était parti depuis longtemps, et nous nous mîmes à causer. Gomme je lui ap- pris, dans la conversation, que nous avionsquelques amis communs, entre autres Ricourt, il me dit ;

a5. 426 CHARLES BAUDELAIRE

Citoijen, voilà l’heure du dîner ; voulez-vous que nous dînions ensemhM

Nous allâmes chez un petit traiteur récemment installé rue Neuve-Vivienne ; Proudhon jasa beau- coup, violemment, amplement, m’initiant, moi, inconnu pour lui, à ses plans et à ses projets, et lâchant, involontairement, pour ainsi dire, une foule de bons mots.

J^observai que ce polémiste mangeait énormé- ment, et qu’il ne buvait presque pas, tandis que ma sobriété et ma soif contrastaient avec son appétit.

Pour un homme de lettres, lui dis-jCjt’OMS man- gez étonnamment* — C’est que j’ai de grandes choses à faire, me répondit-il, avec une telle sim- plicité que je ne pus deviner s’il parlait sérieuse- ment ou s’il voulait boufFonner.

Je dois ajouter, — puisque vous attachez aux plus petits détails une importance souvent légitime, — que, le repas fini, quand je sonnai le garçon pour payer notre dépense commune, Proudhon s’opposa si vivement à mon intention que je le laissai tirer sa bourse, mais qu’il m’étonna un peu en ne payant que strictement son dîner. — Peut-être en infére- rez-vous un goût décidé de l’égalité et un amour exagéré du droit ?

Tout à vous.

A SAINTE-BEUVE

Jeudi, 3o Mars i865. Mon cher ami,

Je vous remercie de voire excellente lettre ; pouLETTRES l865 427

z-vousen écrire d’autres que d’excellentes ? Quand )us m’appelez : Mon cher enfant, vous m’atten- drissez, et vous me faites rire en même temps. Malgré mes grands cheveux blancs qui me donnent lir d’un académicien (à l’étrang-er), j’ai grand besoin de quelqu’un qui m’aime assez pour m’ap- peler son enfant ; mais je ne puis m’empêcher de penser à ce burgrave de cent- vingt ans qui, par- lant à un burgrave de quatre-vingts, lui dit : Jeune homme, taisez-vous ! (Entre parenthèses, et ceci soit dit entre nous, si j’écrivais une tragédie, je craindrais de lâcher des traits de cette force, et de toucher un autre but que ce/ ? // auquel j’aurais visé.) Seulement j’observe que, dans votre lettre, il n’y a aucune allusion à l’exemplaire à’ Histoires grotesques et sérieuses que j’ai prié Michel Lévj devons transmettre… Je vous jure d’ailleurs que je n’ai nullement l’intention de vous soutirer la moindre réclame pour ce livre. Mon seul but était, sachant comme vous savez bien distribuer votre ♦emps, de vous fournir l’occasion de jouir, encore ne fois, d’une étonnante subtilité de logique et de r’ntiments. Il y a des gens qui trouveront que le inquième volume est inférieur aux précédents, nais cela m’est bien indifférent.

Nous ne broyons pas tant d’ennui que vous croyez, Malassis et moi. Nous avons appris à nous passer de tout, dans un pays où il n’y a rien, et lous avons compris que certains plaisirs (ceux de la conversation, par exemple) augmentent, à mesure que certains besoins diminuent. 428

CHARLES BAUDELAIRE

A propos de Malassis, je vous dirai que je suis émerveillé de son courage, de son activité et de son incorrig-ible gaieté. Ilest arrivé à une érudition fort étonnante, en fait de livres et de gravures. Tout l’amuse, et tout l’instruit. — Un de nos grands amusements, c’est quand il s’applique à faire l’athée, et quand je m’ingénie à faire le jésuite. Vous savez que je peux devenir dévot par contra- diction (surtout ici), de même que, pour me rendre impie, il suffirait de me mettre en contact avec un curé souillon (souillon de corps et d’âme). — Quant à la publication de quelques livres badins qu’il s’est amusé à corriger avec la même religion qu’il aurait mise au service de Bossuet ou de Loyola, j’en ai même tiré un petit, petit,bénéfice inattendu, c’est une intelligence plus nette de la Révolution française. Quand les gens s’amusent de certaine façon, c’est un bon diagnostic de révolution.

Alexandre Dumas vient de nous quitter. Ce brave homme est venu s’exhiber, avec sa candeur ordi- naire. Tout en faisant la queue autour de lui, pour attraper une poignée de main, les Belges se sont moqués de lui. Cela est ignoble. Un homme peut être respectable pour sa vitalité. Vitahté de nègre, c’est vrai. Mais je crois que bien d’autres que moi, amoureux du sérieux, ont été entraînés par Za Dame de Montsoreau et par Balsamo.

Comme je suis fort impatient de revenir en France, j’ai écrit à Julien Lemer pour le charger de mes petites affaires. Je voudrais rassembler, en trois ou quatre volumes, les meilleurs de mes articles sur les LETTRES l865 429

iLj’i-itiints, sur les Peintres et sur les Poètes, en y ajoutant une série de Considérations sur la Belgi-

’le. Si, dans une de vos rares flâneries, vous passez tsur le boulevard de Gand, fouettez un peu sa bonne volonté, et exagérez ce que vous pensez de moi.

Je dois avouer qu’il manque trois fragments im- portants, un sur la Peinture didactique (Cornélius, Kaulbach, Ghenavard, Alfred Réthel), un autre, Biographie des Fleurs c/wJ/a/, et enfin un dernier :

liateaubriand et sa famille. Vous savez que ma passion pour ce vieux dandy est incorrigible. En somme, peu de travail : dix jours peut-être. Je suis riche de notes.

Pardonnez-moi si je me mêle d’une question délicate, mon excuse est dans mon désir de vous voir content (en supposant que certaines choses

—us contenteraient), et de voir tout le monde vous rendre justice. J’entends beaucoup de gens qui disent : Tiens, Sainte-Beuve n’est pas encore séna-

’/r ! Il y a bien des années, je disais à E. Dela- croix avec qui j’avais tout mon franc-parler que beaucoup de jeunes gens préféreraient le voir res- tant à l’état de paria et de révolté. (Je faisais allusion

son obstination à se présenter à l’InstRut.) Il me répondit : Mon cher Monsieur, si mon bras droit était frappé de paralysie, ma qualité de membre

’• l’ Institut me donnerait droit à renseignement,

, en supposant (pie je me porte toujours bien,

Institut peut servir à payer mon café et mesciga-

V. En deux mots, je crois qu’il se forme, rela- tivement à vous, dans bien d’autres esprits que /\3o CHARLES BAUDELAIRE

le mien, une certaine accusation d’ingratitude con- tre le gouvernement de Napoléon. Vous me par- donnez, n’est-ce pas ? de violer les limites de la discrétion ; vous savez combien je vous aime, et puis je bavarde comme quelqu’un qui a rarement l’occasion de causer.

Je viens de lire le long discours d’Emile Ollivier. C’est bien singulier. Il parle, ce semble, avec l’au- torité d’un homme qui a un gros secret dans sa poche.

Avez-vous lu l’abominable feuilleton de Janin contre les poètes mélancoliques et railleurs (à pro- pros de Henri Heine) ? Et Viennet, cité parmi les grands poètes de la France ! Et quinze jours après, feuilleton en faveur de Cicéronf Est-ce qu’il prend Gicéron pour un orléaniste ou pour un académicien ? M. de Sacy dit : Cicéron, c’est notre César, à nous ! Oh ! non, n’est-ce pas ?

Votre bien affectionné.

Sans aucune transition, je vous dirai que je viens de trouver une admirable ode mélancolique de Shelley, composée au bord du golfe de Naples, et qui se termine par ces mots :

Je sais que je suis de ceux que les hommes n aiment pas, mais je suis d ’ ceux dont ils se souviennent !

A la bonne lieure ! voilà de la poésie. LETTRES — l865 43 1

A MONSIEUR ANCELLE

Mardi, 18 Avril i865. Mon cher Ancelle,

Il fautque j’aille dimanche kNamur ; ensuite, que

« ’ repasse par Bruxelles, pour aller à Paris, où je

porte un paquet de manuscrits ; de là, à Honjleiir,

d’où je rapporterai à Paris un autre paquet de

lanuscrits ; et enfin que de Paris je retourne à Bruxelles^ où j’espère bien que je ne ferai, cette dernière fois, qu’un séjour d’une dizaine de jours.

Ayez donc l’obligeance de m*envoyer les i5o fr. de Mai. Je n’ai aucune passe gratuite pour les che- min de fer, et je crois que je n’aurai pas le temps de m’en procurer, à mon passage à Paris.

Il faut de plus que je me procure un peu de

Mge, avant de partir, et que je fasse faire une espèce de portefeuille, propre à emporter des pa- piers et des dessins, sans les abîmer.

Vous voyez qu’en supposant que j’aie votre réponse après-demain, jeudi 20 (et j’y compte), j’ai ♦rès peu de temps devant moi, et surtout très peu

argent, car les cinq voyages, en première classe,

iit presque les i5o fr.

Je n’apporterai pas les volumes que je vous ai

omis. Ce serait imprudent. Je trouverai un moyen

vous les faire parvenir, en Mai.

Je n’ai pas besoin de vous dire que je vous ferai me visite, à mon passage à Paris.

Tout à vous. 4^2 CHARLES BAUDELAIRE

Eh bien ! votre petit Paradol vous a rempli de joie, n’est-ce pas ?

Paris me fait une peur de chien, mais il faut que j’y aille, et puis j’ai vraiment trop d’envie de revoir ma mère. Je lui écrirai avant de me mettre en route.

A MONSIEUR ANGELLE

2 Mai, 6 h. 1/2. Mon cher Ancelle, Avez-vous reçu ma lettre, celle datée du 3o ? et où je vous demandais les i5o fr. de Juin, en vous annonçant définitivement mon voyag-e.

Voilà déjà six courriers passés qui ne m’ont apporté aucune réponse. Peut-être ma lettre est- elle égarée. Elle contenait le reçu. Tout à vous.

Ne mettez pas sur l’enveloppe : Hôtel du Gi^and- Miroir, mais : 28^ rue de la Monta ff ne.

A SAINTE-BEUVE

Jeudi, 4 Mai i865.

Mon cher Sainte-Beuve,

Comme je prenais la plume pour vous écrire quelques mots de félicitation au sujet de votre no- mination, je retrouve une lettre que je vous écri- vais le 3o Mars et qui n’est pas partie, probablement par une étourderie de ma part ou de la part des gens de l’Hôtel.

Je la relis ; je la trouve gamine, enfantine. Mais je vous renvoie tout de même. Si elle vous fait rire, je ne dirai pas : tant pis, mais : tant mieux. Je ne crains pas du tout, connaissant votre indulgence, de me montrer nu devant vous.

Au passage qui a trait à Julien Lemer, j’ajouterai que j’ai fini les fragments en question (excepté le livre sur la Belgique que je n’ai pas le courage de finir ici), et que, obligé d’aller à Honfleur pour cher- cher tous les autres morceaux composant les livres annoncés à Lemer, je passerai sans doute à Paris, le i5, pour le tourmenter un peu. Si, par hasard, vous le voyez, vous pouvez le lui annoncer.

Quant à Malassis, sa terrible affaire arrive le 12. Il se croit sûr d’être condamné à cinq ans. Ce qu’il y a de grave, c’est que ça lui ferme la France pour cinq ans. Que ça lui coupe momentanément les vivres, je n’y vois pas un si grand mal. Il sera contraint de faire autre chose. C’est trop compter sur l’esprit universel que de braver la pudeur publique obligatoire. Pour moi qui ne suis pas une bégueule, je n’ai jamais possédé un de ces livres imbéciles, même imprimé en beaux caractères et avec de belles gravures.

Hélas ! les poèmes en prose auxquels vous avez encore décoché un encouragement récent sont bien attardés. Je me mets toujours sur les bras des besognes difficiles. Faire cent bagatelles laborieuses qui exigent une bonne humeur constante (bonne 434 CHAULES BAUDELAIRE

humeur nécessaire, même pour traiter des sujets tristes), une excitation bizarre qui a besoin de spectacles, de foules, de musiques, de réverbères même, voilà ce que j’ai voulu faire ! Je n’en suis qu’à soixante^ et je ne peux plus aller. J’ai besoin de ce fameux bain de multitude àowi l’incorrection vous avait justement choqué.

Monselet est venu ici. J’ai lu votre article. J’ai admiré votre souplesse et votre aptitude à entrer dans l’âme de tous les talents. Mais, à ce talent-là, il manque quelque chose que je ne saurais définir. Monselet est allé à Anvers, où il y a des choses ma- gnifiques, surtout des échantillons de ce monstrueux style jésuitique qui me plaît si fort, et que je ne connaissais guère que par la chapelle du collège de Lyon, qui est faite avec des marbres de diverses couleurs. Anvers a un musée d’une nature très spé- ciale, plein de choses inattendues, même pour ceux qui savent remettre l’école flamande à sa vraie place. Enfin, cette ville a un grand air solennel de vieille capitale, augmenté par un grand fleuve. Je crois que ce brave garçon n’a rien vu de tout cela. Il n’a vu qu’une grosse friture qu’il est allé manger de l’autre côté de l’Escaut. C’est d’ailleurs un homme charmant.

Décidément, je vous félicite de tout mon cœur. Vous voilà maintenant l’égal (officiellement) de beaucoup de gens médiocres. Peu m’importe. Vous en aviez envie, n’est-ce pas ? besoin peut-être ? Vous êtes content, donc je suis heureux.

Tout à vous.

À ÉDOUARD MANET


Jeudi, 11 Mai 1865.


Mon cher ami,

Je vous remercie de la bonne lettre que M. Chorner m’a apportée ce matin, ainsi que du morceau de musique.

J’ai, depuis quelque temps, l’intention de traverser Paris deux fois, une fois pour aller à Honfleur, une fois en revenant ; je n’avais confié cela qu’à ce fou de Rops, en lui recommandant le secret, car j’aurai à peine le temps de serrer la main à deux ou tois amis ; mais, d’après ce que me dit M. Chorner, Rops a dit la chose à plusieurs personnes, d’où il suit naturellement que beaucoup de personnes me croient à Paris et me traitent d’ingrat et d’oublieux.

Si vous voyez Rops, n’attachez pas trop d’importance à de certains airs violemment provinciaux. Rops vous aime, Rops a compris ce que vaut votre intelligence, et m’a même confié certaines observions faites par lui sur les gens qui vous haïssent (car il paraît que vous avez l’honneur d’inspirer de la haine). Rops est le seul véritable artiste (dans le sens où j’entends, moi, et moi tout seul peut-être, le mot artiste) que j’aie trouvé en Belgique.

Il faut donc que je vous parle encore de vous. Il faut que je m’applique à vous démontrer ce que vous valez. C’est vraiment bête ce que vous exigez. On se moque de vous ; les plaisanteries vous agacent ; on ne sait pas vous rendre justice, etc., etc… Croyez-vous que vous soyez le premier homme placé dans ce cas ? Avez-vous plus de génie que Chateaubriand et que Wagner ? On s’est bien moqué d’eux cependant. Ils n’en sont pas morts. Et, pour ne pas vous inspirer trop d’orgueil, je vous dirai que ces hommes sont des modèles, chacun dans son genre, et dans un monde très riche ; et que vous, vous n’êtes que le premier, dans la décrépitude de votre art. J’espère que vous ne m’en voudrez pas du sans-façon avec lequel je vous traite. Vous connaissez mon amitié pour vous.

J’ai voulu avoir l’impression personnelle de ce M. Chorer, autant du moins qu’un Belge puisse être considéré comme une personne. Je dois dire qu’il a été gentil, et ce qu’il m’a dit s’accorde avec ce que je sais de vous, et ce que quelques gens d’esprit disent de vous : Il y a des défauts, des défaillances, un manque d’aplomb, mais il y a un charme irrésistible. Je sais tout cela ; je suis un des premiers qui l’ont compris. Il a ajouté que le tableau représentant la femme nue, avec la négresse et le chat (est-ce un chat, décidément ?), était très supérieur au tableau religieux.

Rien de nouveau, quant à Lemer. — Je crois que j’irai moi même secouer Lemer. Quant à finir ici Pauvre Belgique, j’en suis incapable ; je suis affaibli, je suis mort. J’ai une masse de poèmes en prose à répandre dans deux ou trois revues. Mais LETTRES — l865

je ne peux plus aller. Je souffre d’un mal que je n’ai pas, comme quand j’étais gamin, et que je vivais au bout du monde. Et cependant je ne suis pas patriote.

A MADAME PAUL MEURICE

Mercredi, 24 Mai 1865.

Il faut, ma chère Madame, que vous soyez bien intimement coquette ou bien incrédule à l’amitié pour avoir béni la maladie, dans l’espérance qu’elle vous rendrait plus intéressante. Vous n’avez, je vous le jure, aucun besoin d’ornements de circons- tance et j’ajoute qu’il faut aussi que vous soyez bien crédule pour vous figurer que la maladie attire l’amitié. Elle peut attirer l’amitié vraie (celle qui est inspirée par mon Dieu; car, pour votre Dieu, je ne vois pas qui il est, à moins qu’il ne soit celui de MM. Rogeard, Michelet, Benjamin Gastineau, Mario Proth, Garibaldi, et de l’abbé Chatel). Mais elle n’attire jamais l’amitié banale et légère. Je me souviens qu’un jour, étant dans un cas fort grave, j’ai fait prier quatre fois un de mes amis de me venir voir. Enfin, son père m’a répondu, pour lui, qu’il me priait d’excuser son fils, mais que celui- ci, ayant une insurmontable horreur du sang, ne pouvait pas prendre sur lui de me venir voir. Je me suis guéri, j’ai retrouvé mon ami, et je ne l’ai jamais plaisanté sur sa couardise à l’endroit du sang. 438 CHARLES BAUDELAIRE

Je suis bien aise que vous souffriez un peu de temps en temps. — Passez par la fournaise, cha- cun y gagne ; je ne pousserai pas la brutalité jus- qu’à vous dire, comme ce butor de V, que, si vous soiiJfres,cest que vous avez péché ! Je crois qu’il est bon que les innocents souffrent. Je suis bien peu galant, n’est-ce pas ? et j’ose écrire à une femme, sans assaisonner ma lettre de galanteries et de fadaises. Combien de fois, vous trouvant si gentille, si gracieuse et si bonne, ai-je eu envie de vous sauter au cou et de vous embrasser ? Mais cela n’eût pas été convenable ; yous connaissez mon respect pour le convenable ; et puis, pour achever ma confession, je me suis dit : Elle est femme ; donc, elle ne comprendra pas le sens de mon em- brassade. Ouf ! ceci étant dit, je n’en parlerai plus jamais.

Quand vous verrez Manet, dites-lui ce que je vous dis, que la petite ou la grande fournaise, que la raillerie, que l’insulte, que l’injustice sont des choses excellentes, et qu’il serait ingrat, s’il ne remerciait l’injustice. Je sais bien qu’il aura quel- que peine à comprendre ma théorie ; les peintres veulent toujours des succès immédiats ; mais, vraiment, Manet a des facultés si brillantes et si légères qu’il serait malheureux qu’il se décourageât. Jamais il ne comblera absolument les lacunes de son tempérament Mais il a un tempérament, c’est l’important ; et il n’a pas l’air de se douter que, plus l’injustice augmente, plus la situation s’amé- liore, — à condition qu’il ne perde pas la tête ; (vous lETTIXCS l8t)5 439

! lirez dire tout cela ç^aieinent, et sans le blesser). J’ai été contraint^ il y a quelque temps, de dîner hez Madame Hugo ; ses deux fils m’ont vigoureu- ment sermonné, mais j’ai fait le bon enfant, moi, publicain avant eux, et je pensais en moi-même une méchante gravure représentant Henri IV à quatre pattes, portant ses enfants sur son dos. — ’ ladame Hugo m’a développé un plan majestueux éducation internationale (je crois que c’est une nouvelle toquade de ce grand parti qui a accepté l’entreprise du bonheur du genre humain). Ne sa- chant pas parler facilement, à toute heure, surtout après dîner, surtout quand j’ai envie de rêver, j’ai eu toutes les peines du monde à lui expliquer qu’il avait eu de grands hommes avant U éducation in- rnationale ; et que, les enfants n’ayant pas d’au- e but que de manger des gâteaux, de boire des queurs en cachette, et d’aller voir les filles, il n’y irait pas plus de grands hommes après. — Heu- ijsement pour moi, je passe pour fou, et on me )it de l’indulgence.

Très sérieusement, très définitivement, j’irai vous serrer les mains entre le i^"" et le 5 Juin. — Si, ins vos conversations avec votre mari, mon nom ilervenait, présentez-lui mes amitiés, et expliquez- li comment, — bien quey> ne pense pas comme li, — j’ai le droit de me considérer comme un tnnéte homme.

Le célèbre m’a fait, lui aussi, un sermon de

’leux heures (il croit que c’est là une conversation), 1 la fin duquel je lui ai simplement dit : Monsieur, 44o

CHARLES BAUDELAIRE

VOUS sentez-vous assez fort pour aimer un mer- deux qui ne pense pas comme vous ? Le pauvre innocent en a été suffoqué !

Tout à TOUS, votre bien dévoué.

A CHAMPFLEURY

Jeudi, 25 Mai i865.

… J’ai voulu dire que le génie satirique de Dau- mier n’avait rien de commun avec le génie satani- que ; c*est bon à dire, dans un temps où les portraits de certains personnages, par exemple Jésus-Christ, sont altérés par des sots qui y sont complètement intéressés…

… Manet a un fort talent,un talent qui résistera. Mais il a un caractère faible. Il me paraît désolé et étourdi du choc. Ce qui me frappe aussi, c’est la joie de tous les imbéciles qui le croient perdu…

A MONSIEUR ANCELLE

3o Mai i865. Mon cher Ancelle,

Je crois que nous nous verrons très prochaine- ment. Je suis très attendu, à Paris et à Honfleur. Deux ou trois jours après votre réponse, je parti- rai. Ayez l’obligeance de mettre pour moi i5o fr. à la poste, et écrivez simplement sur votre lettre : 28, rue de la Montagne, — Si vous êtes absent de M.TTRES l865 44 1

chez vous, la leltrc, la mienne^ vous suivra, et je vous serais bien obligé de prier Madame Ancelle de me répondre pour vous.

Si je vous trouve, nous aurons à causer de bien des choses. C-royez-vous que je trouve, dans Neuilly, un emballeur accoutumé à faire des caisses pour des objets fragiles ? Dans ce cas-là, j’aurais soin de rapporter à Neuilly deux grands tableaux que je veux expédier à Ronfleur, et que je joindrais au reste.

Je m’occuperai de votre T, en Juillet.

Tout à vous.

Le reçu est sur l’autre feuillet.

A POULET-MALASSIS

Lisez, pour vous amuser, le délicieux petit arti- cle de Joly, dans Le Sancho, sur votre procès.

Ce naïf garçon est convaincu, d’ailleurs, que Hic, flœc, //oc (ouvrage mentionné dans le réquisitoire) est de Mérimée. Il est également convaincu qu’il n’y a qu’un sénateur du second Empir^ qui puisse employer ses loisirs à de pareilles ordures. 11 paraît que flir,/lœc, //ocest un ouvrage en trois volumes. Trois heures durant, Joly a dégueulé de la morale. 11 ignore que vous êtes en cause, et n’a même pas pensé à me demander comment j’étais si bien informé.

aô. [\[\2 CHARLES BAUDELAIRE

A POULET-MALASSIS

Mon cher ami,

J’ai dîné avecFannj. J’étais venu pour vous mon- trer une lettre fort drôle de Madame Paul Meurice, qui à coup sûr vous aurait fait rire, mais aussi pour vous demander conseil relativement à certains rap- ports relatifs au Melmoth.

Ne vous voyant pas venir, j’ai répondu sans vous attendre.

A MONSIEUR ANGELLE

Mercredi, 28 Juin i865.

Mon cher Ancelle,

Je crois toujours tout ce que je dis et tout ce que j’annonce. La terreur de ne pas réussir, le lam- binag-e, un affaiblissement réel de la volonté, m’ont empêché d’aller à Paris discuter une g^rosse affaire, au commencement de ce mois.

Mais il faut enfinir ; envoyez-moi donc mon mois de Juillet (dont voici le reçu), et, si je ne pars pas après-demain, au reçu de votre réponse, je partirai le 5 Juillet.

Je vous ai envoyé une bagatelle qui a été publiée, malgré moi, dans IJ Indépendance, Car vous ne supposez pas que je veuille écrire dans les jour- naux belges. LETTRES — l805 443

Mettez simplement sur Tenveloppe : 28, rue de ^’1 Montagne, Tout à vous.

Si vous êtes absent, veuillez charger de cette commission Madame Ancelle, à qui je vous prie de présenter mes respects.

A MONSIEUR JULIEN LE3IER

Mardi, 4 Juillet i865.

Mon cher Lemer,

Me voici dans un cas fort grave, et vous seul, je crois, pourrez peut-être me tirer d’afFaire. Les cMOses que je vous priais de résoudre, au commen- cement de Février, étaient déjà pressées ; mainte^ lit, elles sont plus que pressées. ’le n’est que par Manet que j’ai appris que vous liiez bien vous charger de mon affaire, mais que is attendiez la copie. La chose est actuellement irgente que je vous porte moi-même à Paris tout ce que j’ai ici, à Bruxelles, et puis je vais à Ron- fleur vous chercher le reste. Maintenant, je vais il-être apprendre que vous êtes absent ou malade, ou que vous n’avez pas le temps de vous occuper ’^^s affaires des autres. Que sais-je encore ?

Dans le paquet que je vais vous remettre, man- t ; ra le manuscrit Pauvre Belgique t qui ne sera jx^sitivement revu, corrigé, complété et émondé qu’à la fin de Septembre. 444 CHARLES BAUDELAIRE

Cependant, il me semble qu’il y aurait avantage à traiter pour les trois ouvrages à la fois, ce der- nier pouvant être un appât pour la librairie. Du reste, je vous expliquerai minutieusement ce que c’est que cet ouvrage.

Voici ce qui m’arrive : Malassis, à qui je dois de l’argent et qui est très gêné, vendra, le lo, la créance qu’il a sur moi, si je ne lui trouve pas 2.000 fr. qu’on lui offre ailleurs, dit-il. Je vous dirai le nom du spéculateur qui se propose, je crois, de me mener durement, de prendre partout tout ce qui pourra m’être dû, et même d’exercer des répétitions sur Michel et Hetzel. D’où il suit que me voilà menacé de toutes sortes de tracas, sans compter que je serai privé non seulement des moyens de retourner en France, mais peut-être des moyens de vivre. — Je vous montrerai demain la copie de cet acte, que j’ai signé en 1862, sans le lire, sans en méditer les conséquences, et dont Malassis ne m’a jamais envoyé de double.

Quant à tous les autres détails, je vous deman- derai demain un rendez-vous, pour en causer avec vous, et puis j’irai à Honfleur vous chercher les quelques fragments qui manquent.

Croyez-vous, comme moi, qu’il y aurait avan- tage à faire une vente du tout, pour cinq ans, à partir de la publication ? Ou bien faut-il se bor- ner à vendre un certain nombre d’exemplaires de chaque ouvrage, à un prix aussi honorable que possible ? Dans ce cas-là, il faudrait vendre au moins trois mille exemplaires de chacun des quatre LETTRES l865 44^

volumes, et stipuler le paiement (argent ou billets, ça m’est é^al) sur livraison de l’ouvrage.

Pourrait-on obtenir 3.000 fr. pour chaque volume exploitable pendant cinq ans ? — Mais, décidément, je vous laisse tranquille pour aujourd’hui. La con- versation vaut mieux que la plume, et d’ailleurs je suis si inquiet que je me sens incapable de rai- sonner nettement. Depuis deux jours, je ne mange ni ne dors.

Les Paradis artificiels sont un livre très amu- sant, comme vous savez, mais assez court. Je crains au contraire que les deux volumes des Contempo- rains et que Pauvre Belgique ! ne soient bien gros.

Tout à vous.

A MONSIEUR JULIEN LEMER

Vous aviez prévu juste. Hetzel me dégage, con- tre remboursement. C’est demain le 7. Gare à Malassis I

Prévoyant le cas où le sieur Pincebourde serait, le 10, nanti du droit de réclamer 5.oûo fr.,j’ai livré la copie de l’acte en question à l’homme d’affai- res de ma mère (un ami de famille), espérant qu’il y verrait quelque vice qui permettrait d’introduire un arbitrage {date de l’acte, et puis date à laquelle je dois avoir remboursé, Juillet 1866).

Hetzel, comme vous, a trouvé quelque chose de bizarre dans la rédaction de cet acte.

I. — Les Fleurs du Mal, Edition définitive, aug446 CHARLES BAUDELAIRE

mentée de trente-cinq poèmes nouveaux, et d’une préface, par Théophile Gautier, i vol.

2. — Les Paradis artificiels, i vol. (Opium et Haschisch.)

3. — Quelques-uns de nos contemporains. (Pein- tres et littérateurs.) 2 vol.

4. — Le Spleen de Paris. (Pour faire pendant aux Fleurs du Mal.) i vol.

5. — Pauvre Belgique ! i vol. 6 vol.

Je pars demain matin. Je serai ici, le 9.

A POULET-MALASSIS

Honfleur. Samedi, 8 Juillet i865.

Mon cher ami,

Vous aurez ma lettre demain soir, c’est à dire la veille du délai fixé par vous. Cependant, ne livrez pas la créance à Pincebourde,à moins qu’il ne vous soit tout à fait indifférent de me mettre dans une situation atroce. — Je crois que vous aurez très pro- chainement vos 2.000 fr. Je ferai mes efforts pour qu’on vous les envoie, le ii. — Maintenant, il ne s’agit plus pour moi que de dénicher la somme nécessaire pour me délivrer de la Belgique. Je suis arrivé à Paris,le4,ausoir ; j’ai vu la personne char- gée des intérêts de ma mère (M. Ancelle, maire de de Neuilly, avenue de la Révolte). Je lui ai raconté mon cas vis à vis de vous, votre besoin d’argent, la situation où je me trouverais, si j’étais en face LETTRES l865 447

d’un spéculateur rig-oureux et malintentionné, etc. . ., ’^rjfin, combien c’était pressé. Cette conversation ait lieu, le 6, au soir. Le 7, je suis parti pour •nfleur, et, hier soir, bien que je fusse résolu à ne plus faire à ma mère aucune de ces déplorables confidences, la chose en question est venue dans la nversalion ; je ne lui ai rien demandé ; c’est elle i, spontanément, m’a dit : Il faut sortir de là, âce à foi, Je sais très gênée. Je ne peux pas njer 5.000 fr., pas même 2.000. Mais je vais ier instamment M. Ancelle de me prêter F ar- gent, pour détruire l’effet possible de cette créance ; ff toi, tu paieras les 3.000 fr. restants, plus tard, and tu pourras. Ainsi, en deux minutes, a été résolue une affaire qui me donnait le frisson, chaque fois que j’y pensais. — Ma mère a écrit aujourd’hui à ce monsieur que d’ailleurs je rever- i en traversant Paris. Il est impossible, je pré- sume, qu’il résiste à un désir de ma mère aussi formellement exprimé ; mais voilà le hic : il est ut-être sans argent, il lui faudra peut-être, lui ssi, emprunter ou déplacer, que sais-je ? De plus, st fort chargé d’affaires, et un peu len* par pro- —sion. Or, c’est demain le 9 ! — Mais comptez ir moi pour le talonner.

Je ne vous demande pas de réponse ; la réponse

croiserait sans doute avec moi. Je repars pour

ris, demain ; je crois que je serai à Bruxelles, le

’. Ancelle, que je reverrai, a votre nom, cela

va sans dire, mais je ne me souviens pas si je lui

ai donné votre adresse à Bruxelles. 448 CHARLES BAUDELAIRE

Vous avez sans doute vu Bracquemond. J’ai appris son départ par Madame Paul Meurice.

Je ne vous rapporte pas, cette fois, vos esquisses et vos dessins. Je suis trop ahuri pour faire des emballages.

Tout à vous.

J’ai vu Hetzel qui ne s’occupe plus que de ses livres pour les enfants, et qui me réclamera 1.200 fr., quand j’aurai trouvé un autre éditeur, lequel, je l’espère, ne sera pas Pincebourde.

A MONSIEUR ANGELLE

Honfleur. Samedi^ 8 Juillet.

Mon cher Ancelle,

Je m’étais sérieusement promis de ne rien dire à ma mère. Mais, accoutumée à me voir toujours dans des crises, elle m’a accablé de questions, et je ne sais comment il s’est fait que je lui ai raconté la chose qui m’agite tant. Je ne lui ai rien demandé ; c’est elle qui, spontanément, m’a dit : Il faut sor- tir de là ; et puisque 2.000 fr, suffisent pour te rendre ta liberté, et en payer 5. 000, c’est moi qui te les donnerai ; plus tard, tu paieras les 3. 000 restants,, si tu le peux, et si ta conscience te V or- donne.

En vérité, c’est magnifique ; libéré du côté de Malassis, l’argent venant par Julien Lemer me ser- virait à me délivrer de la Belgique ; et, en rêveLETTRES l805 /|49

liant en France, il me resterait encore quelque chose.

Mais ( !) c’est aujourd’hui le 8 ! le 9, demain, •[ le dernier délai posé est le 10 ! Je viens d’écrire

Malassis, pour le supplier d’attendre deux ou trois jours, car je suppose que vous n’avez pas d’argent ; mais attendra-t-il ? — Observez bien que je connais l’homme qui a offert de lui payer cette créance, 2.000 fr. ; c’est un vilain être, un espèce d’Auvergnat dans le commerce de la litté- rature, qui est venu récemment à Bruxelles, et m’a tourmenté pour que je fasse un livre pour lui. Je lui ai brutalement refusé, et il m’a dit (en riant, comme peuvent rire ces gens-là) qu’il pourrait bien lin jour ni*ij contraindre. Je n’ai pas compris ; je comprends, aujourd’hui, qu’il avait connaissance de la transaction secrète que je vous ai remise et de la gêne de Malassis.

Décidément, mon cher, il y a de longues puni- tions pour les péchés de jeunesse. Si jamais je sors de tous ces embarras, je me promets bien de ne rien emprunter à qui que ce soit. Mais en sor- tirai-je jamais ?

Autre question ! Il faudra rendre les •2.000 fr. à ma mère, et je ne puis guère faire cela qu’en pro- cédant par des acomptes, et à partir de la fin de l’année.

Quant aux 3. 000 fr. restants de la créance

lalassis, très sérieusement, je les rendrai aussi,

mais par lambeaux, et en prenant toutes mes aises,

puisque je n’aurai plus celte terrible épée dans la

IrW. I[b0 CHAULES BAUDELAIRE

Il me tarde bien de revoir Julien Lemer et de savoir ce qu’il a fait. Quand je pense qu’un coup de tête de Malassis, ou simplement ma gêne exces- sive, peuvent rendre les efforts de Lemer superflus, et jeter tout cet argent entre les mains d\m gou- jat !

Tout à vous.

Je pars demain matin.

Comme j’arriverai dimanche soir, je ne saurai rien, relativement à M. Julien Lemer.

A SAINTE-BEUVE

1 1 Juillet. Très cher ami.

Je ne pouvais pas traverser Paris sans venir vous serrer la main. — A bientôt, dans un mois proba- blement.

J’ai vu Julien Lemer, il y a trois jours, quand je me dirigeais surHonfleur. — Lemer prétendait alors qu’il allait entamer pour moi une affaire importante avec MM. Garnier. Il est inutile que j’y aille. — Si vous pouviez intervenir en ma faveur^ avec deux ou trois paroles autoritaires, vous me rendriez heureux. — Vous ne m’en voulez pas, n’est-ce pas, de mes bizarres compliments, à propos du Sénat ?

Votre très dévoué ami.

Je repars pour l’enfer, demain soir. Jusque-là, je suis à r Hôtel du Chemin de fer du Nord. Place du Nord. LETTRES — : 805 /j5l

A MONSIEUR ANGELLE

Jeudi, 20 Juillet i865. Mon cher ami,

Vous recevrez demain, vendredi 2 1, de M, M, le reçu que vous avez demandé à M. Malassis, et

(raité en question. Très sérieusement parlant^ M. Malassis a envoyé 100 fr. à ce gredin de Pin- •■^’hoarde avec qui^ à cequ il paraît, l’affaire était

iclue, dès le 10 Juillet. M. Malassis a payé, pour moi, une bagatelle (i fr. 60) que je vais lui rembourser. — Quant aux 100 fr., veuillez les por- ter à mon compte de dépenses.

le vous remercie d’avoir été voir Julien Lemer.

suis si troublé et si ahuri que je ne peux pas

résigner à écrire ce soir à Julien Lemer à qui

encore une masse de notes importantes à

oyer, 1 elativement au traité qu’il a à faire faire

(pilotes curieuses, intéressantes, pour la librairie

avec qui il traitera). Je les ferai, avant minuit.

l’ai, de plus, à vous envoyer une note peu impor-

ile, concernant M. Miquel Rouget qui m’a écrit

^ lettre pressante. Gela n’a rien d’alarmant.

’ ^e qui m’inquiète vivement, c’est de savoir si

nte-Beuve et Julien Lemer me feront faire un b)n traité^ pour mes six volumes. — Julien Lemer refuse (oui salaire. (]phi nr wn t’urtnimf pas.

IJunjuur à Madame Ancelle. M. Malassis sort de chez M. M. Il est inu-

tile que j’y aille. 452 CHARLES BAUDELAIRE

(Un de mes amis intimes, de Paris, à qui j’ai raconté les angoisses que cet auvergnat de Pince- bourde me faisait endurer, m’a offert de me débar- rasser de lui par des moyens violents et dictatoriaux. J’en profiterai peut-être. Ce Pincebourde fait le commerce immoral des autographes.)

A MONSIEUR ANC ELLE

9 Août i8G5. Mon cher ami,

Je viens de recevoir une longue lettre de Julien Lemer (qui n’a, d’ailleurs, rien que de rassurant), mais qui va, probablement, m’obliger à faire une nouvelle excursion à Paris et à Honfleur.

Veuillez m’envoyer les 5o fr. dont voici le reçu.

En attendant que j’aie le plaisir de vous voir (je ne sais pas au juste quand ce sera), veuillez cher- cher, dans vos papiers, si vous avez quelques arti- cles, ou quelques lettres, relatives aux Fleurs du Mal.

T. — Un Mémorandum, imprimé à mes frais, pour mes juges.

2. — Des articles du Salut public, signés Armand F rai s se.

3. — Lettres de Custine, de Flaubert, et d’autres.

4. — Et cœtera…

Comme je vous le dis, je ne sais pas au juste quel jour j’irai vous prendre ces petits documents ; il est bien inutile de me les envoyer, puisque je les LETTRES l865 453

destine à Julien Lemer, ainsi que tous ceux, de même nature, que je trouverai chez Malassis et chez ma mère.

Je saurai, sans doute, me procurer à Paris une passe gratuite pour Ilonfleur, et une passe pour Bruxelles. Lemer me dit que vous lui avez fait une nouvelle visite. Ne le tourmentez pas. Je vois qu’il met du zèle à mon service.

Mes respects à Madame Ancelle.

•>(9, rue de la Montagne ; et non pas : Hôtel du

(ind-Miroir.

Les 5o fr., tout de suite.

A MONSIEUR JULIEN LEMER

9 Août i865. Mon cher ami,

Je n’ai reçu que ce matin, mercredi 9 Août, votre lettre, datée du 7, et timbrée le 8. Vous recevrez celle-ci, demain matin, jeudi 10. vSera-t-il encore temps pour vous de profiter de quelques indica- tions relatives aux Fleurs du Mal que j^ne crois pas sans importance ?

Je dois d*abord vous remercier de toute la peine que vous prenez, et surtout de votre lettre de ce matin. Pour vous donner une idée de certaines faiblesses de mon caractère, je vous dirai que, ne

yant rien venir de vous, je m’étais figuré que, acsormai.s, aucun livre de moi /t’était vendable^ et, conséquemment, qu’il était inutile de finir Le 4r)4 CHARLES DAUDELAIflE

Spleen de Paris et La Belgique. Décourag’ement parfait. — Votre lettre m’a fait grand bien, et je me remets au Spleen de Paris qui sera certaine- ment fini à la fin du mois.

Pour ne négliger aucun moyen de me procurer un peu d’argent, nous donnerons, ou je donnerai, les fragments restants à Charpentier, ou à la Re- vue Française. — Car le besoin d’argent se fait cruellement sentir, et je croyais que l’affaire pour- rait être résolue en quinze jours. Or, je désire en- tamer le moins possible la somme que vous tire- rez du libraire, — de laquelle somme d’ailleurs il faudra d’abord défalquer 1.200 fr. pour Hetzel et 5oo pour Manet, — avant même de payer mes dettes de Bruxelles.

J’ai négligé d’avertir Hetzel que Vépée Dàmo- clèS’Malassis n’existait plus, et qu’il n’avait à craindre aucun procès. Il sera toujours temps de le lui dire, quand Les Fleurs et Le Spleen seront vendus.

Maintenant, j’arrive à votre lettre. Momentané- ment, je me fiche de la destinée de Pauvre Belgi- que ! (qui s’appellera, je crois, Une Capitale ridi- cule). Il y a seize mois, je disais à M. Dentu que j’allais partir pour la Belgique, et que j’en rappor- terais peut être un livre. Il m’a alors proposé de me l’acheter. D’un autre côté, quand j’ai tra- versé Paris, tout récemment, Massenet de Maran- cour m’a affirmé que M. Faure le prendrait volon- tiers. J’ai répondu que j’avais chargé Julien Lemer de mes petites affaires, et que je n’avais pas le droit LETTRES l8o5 455

de m’en mêler directement. Avez-vous vu Maran- cour ?

Quand à renoncer à finir ce livre, sous prétexte lu’il est aujourd’hui repoussé, c’est absurde ; j’y

i trop travaillé déjà pour ne pas le finir. D’ail-

leurs, j’ai des rancunes à satisfaire contre cette jieuplade immonde. La répugnance de M. Garnier m’a fait rire et m’a fait penser à ce que Alphonse Karr appelle la tyrannie des faibles. La Belg-ique est inviolable. Je le sais. Mais je m’en moque.

Je crois qu’il sera bon de parler au libraire de l’ordre des publications. Voici, selon moi, com- ment il faudra procéder : Avant tout,

I. — Fleurs du MaL Augmentées de plusieurs

•’èces, — et de plusieurs articles et lettres, rela-

ifs à la première et à la seconde édition. (Théo-

hile Gautier, Sainte-Beuve, Edouard Thierry

Moniteur), Asselineau, d’Aurevilly, Gustine, Des-

tiamps, etc..) Tout cela mis â la fin, comme a

lit Sainte-Beuve pour Joseph De/orme. Tout cela

st,en partie, chez ma mère, chez Malassis et chez

—I. Ancelle. J’en retrouverai certainement beau-

)un. Observez que le livre est dédié à Théophile

L’t que la préface, à coté de la dédicace,

leiaitun singulier effet.

Je sais que M. Eugène Grépet n’a aucun droit i exercer sur les extraits qu’on peut faire de son \nlliolof/ie, vendue depuis à Hachette.

I^es Fleurs du Mal sont la publication la plus pressée, parce que, depuis deux ans surtout, on les 456 CHARLES BAUDELAIRE

demande partout, et, dans les ventes, elles se ven- dent même assez cher.

Si le libraire veut, plus tard, en faire une riche édition, grand in-8o ou in-4o, il n’aura qu’à rache- ter à Poupart-Davyl les clichés des fleurons, lettres ornées et culs de lampe, préparés du temps de Ma- lassis. Il ne manque qu’un portrait et un frontis- pice, dans le même style, dont les dessins sont chez Braquemond.

Donc, d’abord :

I. — Fleurs du Mal.

2. — Spleen de Paris.{Qm\e\xv sert de pendant.

3. — Paradis artificiels. (Livre peu connu.)

4. — Contemporains. Peintres et Poètes. (Sur lesquels je compte beaucoup, et qui se trouveraient ainsi étayés sur trois livres amusants.)

Puisque vous allez quelquefois le soir au Café de Bade, bonsoir de ma part à Manet, — et dites- lui que je compte bien qu’il ne s’en ira pas en Espagne sans m’avertir.

Je vais écrire quelques mots à Sainte-Beuve.

Je vois, mon cher ami, que je vous donne beau- coup de mal, et je crois qu’il serait inconvenant que j’acceptasse, même de vous, un dévouement gratuit.

Tout à vous, et merci.

Je vais me remettre au Spleen et négliger, pour le moment, La Belgique. — Je vous remettrai Les Fleurs du Mal, en même temps que les articles y relatifs. LETTRES l8G5 457

A MONSIEUR ANCELLE

Dimanche. i3 Août i865.

Mon cher Ancelle,

Vous ne vous doutez pas combien j’ai besoin de la petite somme que je vous ai demandée. J’atten- dais votre réponse, le 1 1.

Quant aux autres objets dont je vous ai parlé, vous aurez quelques jours pour les chercher. Je vous les demanderai, quand je traverserai Paris.

Bien à vous.

A MONSIEUR ANCELLE

Bruxelles. Dimanche, i6( !)

Mon cher ami.

Par une sottise particulière d’un g-arçon de FIIo- tel du Chemin de fer du Nord, je n’ai pu avoir ma carte qu’hier, et je ne suis arrivé à Bruxelles qu’à minuit

1. — Joseph habite : Grande avenue de Neuilly.

2. — JeanCaroly, avocat. Rue de Naples, 2G. A » elles. Bruxelles.

j. — Henry Caroly (le vôtre, probablement),

cédé à Bruxelles, le 18 Mai 18G4.

Ouc faire ? J’irai, demain matin, de mon mouve- iiiont propre, chez M. Prospcr Crdbbr, agent de chaiirje, rue Neuve^ 62 bis. Je lui expliquerai mon 458 CHARLES BAUDELAIRE

affaire, et je le prierai de nous servir d’intermé- diaire avec M. Malassis. (Poulet-Malassis, rue de Mercélis, 35 bis, Ixelles. Bruxelles.)

Vous enverrez à M. Prosper Crabbe le double de l’acte, pour qu’il puisse collalionner.

Quant à exiger, en outre, un reçu de 2.000 fr., cela me paraît un peu sévère, et superflu. — Je crains d’offenser un vieil ami.

Lundi, 17 (vous recevez ma lettre). Mardi, 18. Mercredi, 19. Jeudi, 20 ( !!!)

M. Jean Garoiy est à Marienbourg- ; il ne revien- dra que jeudi ; et les frères se voyaient fort peu.

Tout à vous.

A MOxNSIEUR ANCELLE

Lundi, 17.

Mon cher Ancelle,

Je sors de chez M. Prosper Crabbe, 62, rue Neuve. Voici un en-tête de lettre. Je lui ai expliqué la chose. — Un double (duplicata), qu’il recevra de vous, et qu’il aura à collationner. — Plus, 2.000 fr., qu’il livrera en échange du traité, enre- gistré jadis à Paris.

Adressez donc, en toute sûreté, les 2.000 fr. et ce traité à Crabbe.

C’est M. Crabbe qui vient d’acheter les tableaux de Malassis.

Vite ! Vite !

Vous savez que votre Caroly est mort. Nous sommes le 17 ; vous recevrez cette lettre le 18, à 10 h. ; vous n’aurez que tout juste le temps de répondre et d’envoyer l’argent. Il va sans dire que c’est Crabbe, et non pas moi, qui vous renverra le traité.

Mettez, dans une chemise, les lettres de Malassis, avec le traité.

Et maintenant je vais chauffer l’affaire Lemer.

Bonjour à Madame Ancelle.

Tout à vous.

A SAINTE-BEUVE

3 Septembre 1805.

Mon cher ami.

Que vous seriez bon, et aimable, si vous pouviez prendre cinq minutes sur vos occupations journalires pour m’ëcrire quelques lignes !

Je suis revenu ici (à Bruxelles), le i5 Juillet. Rien de neuf de l’affaire Lemer-Garnier, depuis le 9 Août, jour où j’ai reçu une lettre de Julien Lemer me disant qu’il avait vu trois fois Hippalyte Garnier,et qu’il espérait conclure avant le 12, Garnier devant se mettre en voyage de nouveau, le 12. — Depuis lors, silence absolu. Lemer est un disciple trop zélé de Pythagore. Et puis il ne sait pas ce que sont les nerfs des cens exilés sans nouvelles et sans communications.

L’affaire est-elle manquée, ou bien a-t-elle été remise jusqu’au retour de M. Garnier, et celui-ci est-il toujours absent ? Impossible de rien deviner de cela.

Mais ce qui m’avancerait beaucoup dans mon travail de conjectures, ce serait de savoir si vous avez été consulté. Dites-le-moi, je vous en prie, je ne vous demande que cela. Si vous avez été consulté, ce sera pour moi une preuve que la question a marché. Cependant, si, me connaissant aussi bien que je me connais, vous voulez me dire quelques injures sur ma faiblesse, mon découragement, dites, dites. Des injures de vous me feront plaisir, et cela me prouvera, au moins, que vous êtes en bonne santé.

Si je pouvais remplir dix pages avec les impressions que j’ai ressenties par le dernier volume que vous m’avez donné, je suis sûr que je vous amuserais. Je l’ai lu lentement, car la lecture en chemin de fer me blesse les yeux, et, dans ce vilain climat, je suis rongé de névralgies. — Je connais maintenant ce M. Deleyre, mais vous me l’avez si bien fait comprendre qu’il me semble que j’ai connu d’autres Deleyre. Ce n’est plus un individu, c’est un genre.

Votre dénombrement de l’armée des cafards et des ultras, sous la Restauration, m’a fait rire comme un fou (et je ne ris guère ici). Mais, en général, ce qui m’a le plus frappé dans votre livre, c’est un ton de justice, d’équité ; c’est une espèce de bonne humeur philosophique qui vous permet de voir ce qui est bien, là même où n’est pas votre amour. Jamais je ne pourrai attraper cette qualité. LETTRES l805 40 I

A propos de Rodin et des livres qui expriment Ui haine populaire contre la congrégation, vous avez oublié Le Monde tel qiiil est, par de Custine, qui a précédé les livres d’E. Sue de bien des an- nées. C’est un livre qui m’a paru bien surprenant, je vous assure, un livre que Balzac trouvait trop misanthropique, et auquel il reprochait ce qu’on a reproché plus tard à La Comédie humaine. iQ fais allusion à un article inédit de Balzac, retrouvé par Dutacq.

Votre travail sur Lacordaire est lumineux. Il y a, dans vos études, une foule de petites choses très f/rosses,JG veux dire très suggestives, qui font plai- sir à se faire comprendre. Je connais bien les côtés faibles du P. Lacordaire, mais j’aime encore les grands rhéteurs, comme j’aime la peinture et la musique. Soyez tranquille de ce côté-là ; chez moi, comme chez tous les hommes, la sensualité dimi- nuera avec le temps.

J’ai relu l’article S alammbâ^ et Idi réplique. Notre excellent ami a décidément raison de défendre gra- vement son rêve. Vous aviez raison de lui faire sentir, en riant, qu’il est quelquefois ^eu adroit d’être trop grave ; mais, peut-être, en certains en- droits, avez-vous ri un peu fort.

Voyez comme je m’ennuie, puisque je bavarde à ce point que je vous parle, à vous, de vos livres !

Pardonnez-moi, et aimez-moi.

27. 462 CHARLES BAUDELAIRE

A MONSIEUR ANCELLE

DimancliCj ler Octobre i865.

Mon cher Ancelle,

Vous recevrez cette lettre demain matin, lundi, à 10 h. Ayez l’obligeance, sans attendre 5 h. du soir, de m’envoyer immédiatement ces loo fr., par la poste. Je vous en supplie, n’attendez pas au lendemain. Je vous assure que c’est très pressé. Il s’agit de petits besoins urgents, de ces petits be- soins qui ne veulent pas attendre.

J’ai reçu, ce matin, de nouvelles informations de Paris. Il paraît que mon affaire n’est pas du tout perdue, mais que M. Hippolyte Garnier veut^ et que son frère Auguste ne veut pas. Heureusement, Hippolyte est le plus fort. Mais il est encore à la campagne. Il s’agit de 4-ooo fr. Seulement, quand l’affaire sera conclue, tout sera mangé d’avance. Il ne restera rien pour payer des dettes en France.

J’espère qu’il me restera, sur ces lOO fr., de quoi aller à Paris, avant le i5, pour signer ce traité, s’il y a lieu.

Quand vous m’aurez envoyé ces loo fr., mais seulement après {les loo fr. étant ce qu’il y a de plus pressé), ayez l’obligeance de demander, dans une mairie (derrière Saint-Sulpice), un extrait de mon acte de naissance, 9 Avril 182 1, et de me l’en- voyer ici. On me le réclame à l’Hôtel de Ville.

Je n’ai pas pu faire autrement) n’ayant pas de LETTRES l86r » 4G3

domicile en France, que de souscrire un billet à l’ordre de Miqiiel Rouget, payable chez vous, — un billet de 280 ou 2go, — le 25 ou le 26 Octobre prochain » Vous serez d’ailleurs parfaitement ga- ranti. — lime reste no fr. à vous prendre sur Septembre. Il vous en restera : 10. Tout Octobre : 160. Novembre : 160. — Total : 33o. — [\o h, de trop.

Je n’ai pas besoin de vous dire que ce billet m’a été une chose désag^réable. Mais la lettre de Rou- get était plus qu’impérieuse, elle était suppliante.

Comme la mienne, aujourd’hui.

Mes respects à Madame Ancelle.

A POULET-MALASSIS

Dimanche, i<^r Octobre i865.

Mon cher ami,

y Vous seriez bien gentil si vous m’envoyiez une n^te me disant quel est le prix d’un exemplaire de la Justine, et où cela peut se trouver, tout de suite ; me disant aussi le prix des Aphrodites^ du Diable au corps, e( quelles sont, selon vous, les ^aracté- ristiques morales ou littéraires d’autres saloperies, telles que celles produites par le Mirabeau et le Rétif.

Que diable le sieur Baudelaire veut-il faire de ce paquet d’ordures f Le sieur Raudelaire a assez de génie pour étudier le crime dans son propre cœur. Cette note est destinée à un grand homme qui croit ne pouvoir l’étudier que chez les autres. 464 CHARLES BAUDELAIRE

J’ai reçu de Paris une lettre singulière. Il paraît que j’ai fait les frères ennemis dans la maison Garnier. C’est à dire qu’Auguste est contre moi, et Hippolyte, pour moi.

En attendant, je manque de tout, et on me fait ici une vilaine mine.

Un agent de police est venu, ce matin, me dire que j’étais depuis bien longtemps à Bruxelles, et qu’il me priait de faire venir de France un extrait de mon acte de naissance.

Est-ce un signe de malveillance, ou simplement un fait résultant de quelque règlement ?

Grâce aux lenteurs de Lemer, quand l’affaire sera conclue, tout sera mangé d’avance.

Tout à vous.

A MONSIEUR JULIEN LEMER

Vendredi, i3 Octobre i865. Mon cher Lemer,

Ma situation diabolique ne peut guère traîner plus longtemps. Je vous prierai donc, avant le retour de M. Garnier, d’aviser à la vente du livre sur la Belgique, dont je vous enverrai demain, ou après-demain, une analyse, ou une table des ma- tières très détaillée (ainsi qu’une note relative aux nouvelles Fleurs du Mal^ et un paquet consi- dérable de poèmes en prose, avec une lettre pour Yriarte ou pour Galonné, à qui vous demanderez de l’argent, de ma part). Je crains toujours de vous ennuyer, mon cher ami, et ce n’est qu’avec une certaine répugnance que je vous charge de commissions. L’indiscrétion me fait horreur.

Yriarte m’a, plusieurs fois, donné de l’argent sur dépôt de manuscrits. D’ici à la fin du mois, je vous livrerai cinquante poèmes en prose, complément du Spleen de Paris, (Il y en a chez Charpentier, et il m’est impossible de savoir si ce les prend ou les repousse.) Or, en supposant que, sur ces derniers cinquante, il y en ait vingt inintelligibles ou répulsifs pour le public d’un journal, il restera toujours bien assez de matière pour pouvoir demander une bonne somme.

Je n’écris que très lentement, parce que l’impossibilité de trouver ici un bon copiste me force à écrire au crayon, avec un papier à décalquer.

Quant à Belgique, je ne vois guère à l’horizon que M. Dentu ou MM. Faure. J’avoue que j’inclinerais plutôt vers ces derniers.

Pour obtenir la plus grosse somme possible, je suis porté d’abord à livrer la chose tout à fait inédite, ensuite à la céder pour un nombre d’exemplaires assez considérable, ou plutôt pour un laps de temps déterminé !

Inutile, n’est-ce pas, de vous envoyer immédiatement l’exemplaire remanié des Fleurs, avec pièces intercalaires ? Il me manque des documents qui sont à Honfleur, et je n’ai ni le temps, ni l’argent du voyage. — Je vous ai dit, je crois, que la 400 CHARLES HAUDELAIUE

lettre retrouvée de Sainte-Beuve est très impor- tante et très extraordinaire.

Les autres lettres sont de Deschamps et de Gus- tine ; les articles sont de Gautier, d’Aurevilly, Thierry, etc..

Ge qui m’a poussé subitement à vous écrire ce matin, c’est que je viens de voir dans un journal belge que le nouveau tirag-e de la brochure Des- champs est fait. Le 4 » lendemain du jour où votre lettre m’est arrivée, un M. Grabbe partait pour Paris, avec une note pour vous, relative à M. Des- champs et à Gasanova. Je crois bien qu’en sa qua- lité de Belge, M. Grabbe se sera dispensé de faire la commission.

Il y a des Gasanova, chez Rosez, 6 vol.,i6 fr. 5o (remise faite) ; i fr. par volume, pour la contre- bande, — à moins qu’un ami, passant par Bruxelles, ne s’en charge.

Total. Deux exemplaires : iGfr. 5o. i6 fr. 5o. 6.

J’ignore le prix du Deschamps. Tout à vous.

A MONSIEUR ANGELLE

i3 Octobre i8G5.

Vous voyez bien, mon cher Ancelle,que cet acte de naissance est une chose pressée.

Si vous l’avez oublié, envoyez-moi un acte quel- conque, constatant mon identité.

Tout à vous.

N’oubliez pas le billet de 280, pour le ’ao.

I LETTRES l805 /|()7

A xMONSIEUR ANCELLE

Jeudi, 26 Octobre i865. Mon cher Ancelle,

Je crois que la puissante et curieuse municipa- lité de Bruxelles, après m’avoir fatigué de ques- • ns indiscrètes, comme cela se fait généralement liansles pays de liberté, se déclare enfin satisfaite ; car on m’a envoyé un permis officiel de séjour, ni je voudrais bien, croyez-le, n’user que fort a de temps.

Je vous remercie du ton de votre excellente let- tre. Puisque vous voulez bien vous intéresser à ’S affaires, je vous dirai que je n’ai aucun repro- cne à faire à M. Julien Lemer, et qu’il n’y a nul- lement de sa faute, si ma dette ici s’est grossie des dépenses forcées de quatre mois. (Hélas ! les ’)00 fr. promis y passeront peut-être.) Julien mer croyait pouvoir aboutir, au moment où j’ai litté Paris, le i5 Juillet. Après plusieurs confé^ lices (dans lesquelles il a deviné qu’Hippolyte irnier,le plus fort des deux frères, était ^our moi, Auguste, contre moi), il a été obligé de laisser irtir Hippolyte pour la campagne et pour ses •yages annuels, sans avoir obtenu de conclusion > Août). On me dit qu’Hippolyte (qui était ici, à Bruxelles, le 23, mais que fai eu le plus grand in de ne pas voir) a dû rentrer à Paris, le 25. il y a donc lieu d’espérer que mon affaire va être reprise. Lemer prétend qu’elle sourit beaucoup à 4^8 CHARLES BAUDELAIRE

Hippolyle. Mais le livre sur la Belgique est exclu du marché. Après tout, tant mieux. C’est toujours ça de sauvé. On en trafiquera, plus tard.

J’ai deviné, en lisant votre lettre, que, très alar- mé de ma situation, vous avez peur d’une de ces demandes de fonds auxquels, naturellement, vous devez résister, et qui m’ont tant appauvri. Non, mon cher ami, je souffre, et je souffrirai encore ; mais je crois que je me tirerai d’affaire tout seul.

Cependant, voilà un reçu préparé d’avance qui implique, de ma part, Vintention de ne vous rien prendre, avant le 3i Décembre. Je vous vois, d’ici, sourire, ou froncer le sourcil.

Il n’y a pas moyen de faire autrement. L« 50/ ? z/7î^ est minime ; mais, avec 200 ou 3oo fr. que je recevrai peut-être du Monde Illustré^ elle servira à graisser le bec de mon insupportable hôtesse, avec qui j’ai eu une entrevue des plus désagréables, et qui m’ennuie depuis le i5 Juillet. Sachez, de plus, qu’elle surveille mes lettres, et qu’à chaque lettre nouvelle, elle se précipite vers moi, d’un air curieux. Cela devient intolérable. Ces 200 fr. repré- sentent, à 10 fr. près, en plus ou en moins, tout ce que j’ai le droit de vous demander avant Janvier, les 290 fr. de Miquel Rouget étant ajoutés au compte de mes dépenses. J’ai noté tout cela, très exactement.

J’ajouterai que je désire que, cette fois, vous m’envoyiez cela, poste /^estante, tant la curiosité de cette femme m’irrite ! J’irai, après-demain ma- tin, samedi, à la poste ; mais je ne serai très in- 1 LETTRES l865 4^9

quiet que si, dimanche matin, il n*y a encore rien.

Ma seconde crise nerveuse sera occasionnée par

Uente de ia réponse du Monde Illustré. J’espère qu’enfin la première quinzaine du mois prochain

rra finir mes douleurs.

1/a santé, dites-vous ? Comment diable voulez-

is qu’elle soit bonne, avec tant de colères et de soucis ? Et la vôtre ? Je viens d’apprendre que cet excellent ami Edouard Manet a eu une attaque de choléra. Il est tiré d’affaire.

Ce qui m’irrite plus que tout, plus que la misère, plus que Victor Hug-oqui m’a tant fatigué, plus que la bêtise dont je suis environné, c’est un certain étatsoporeux qui me fait douter de mes facultés. Au bout de trois ou quatre heures de travail, je ne suis plus bon à rien. Il y a quelques années, je travaillais quelquefois douze heures, et avec plaisir !

Vussitôt que Lemer aura conclu, je ferai mes ^ paratifs, et, dix jours après, je serai en France.

Et ma pauvre mère, que doit-elle penser de moi ?

Tout à vous, et mes respects à Madame Ancelle.

Ht la lettre Custine ? *

Mais ne perdez pas de temps à la chercher, cela irderait votre réponse.

La lettre Custine ne sera indispensable que quand MM. Garnier demanderont la note des pièces iiislilicalives des Fleurs du Mal,

à promis les 200 pour dimanche. 470 CHARLES BAUDELAIRE

A EDOUARD MANET

Samedi, 28 Octobre i865.

Mon cher ami,

Les premières lignes de votre lettre m’ont donné Je frisson. Il n’y a pas dix personnes en France, — — non certes, il n’y en a pas dix, — au sujet des- quelles j’en pourrai dire autant.

Les lenteurs forcées de Lemer (car je n’ai vrai- ment rien à lui reprocher) me font en effet beau- coup souffrir.

Je me vois mangeant en herbe les 4-ooo fr. pro- mis. Et vous savez que j’avais l’iatention de pré’ lever d’abord une part pour Hetzel et une part pour vous.

Gela devait se conclure le i5 Juillet, jour démon retour en Belgique. Gela a dû, plus tard, se con- clure le 12 Août. Hippolyte Garnier est parti pour sa maison de campagne et pour ses A^oyages an- nuels, avant que la chose fût conclue. Le 3 Octobre, Julien Lemer m’a envoyé une lettre d’explication, de laquelle il résulte : i^ qii’ Hippolyte Garnier est parti avant la conclusion de l’affaire ; 2"" qu’on attendait le retour de Garnier, le 26 Octobre ; 3^ qu^ Hippolyte était pour moi, mais qu^ Auguste était contre moi ; 4"" que le livre sur la Belgiqw* était exclu du marché.

Je vais envoyer à Lemer une table des matières très bien distribuée et très intelligible, et le prier LETTRES l865 4 ? ^

traiter tout de suite, tout de suite, pour le livre Ujique. Si je le fais attendre un peu, c est que j ai été repris par mes infâmes névralgies. Ce fléau augmente avec l’âge. Autrefois, je ne les subissais dans les bras ou dans les jambes. Actuellement, elles se jettent quelquefois dans la poitrine etdans V\ tète.

(’e qu’il y a de bizarre dans mon cas (littéraire),

c’est que Ton continue à demander mes livresdans

les librairies, quoique je ne publie rien, et que je

laisse s’écouler des années entre une édition et

litre. Comme les hommes faits pour les affaires

ivent me mépriser 1

ÏÏt Victor Hugo ! // ne peut pas se passer de y/, dites-vous. Il m’a un peu fait la cour. Mais il fait sa cour à tout le monde et traite de poète ’ dernier ou premier venu. Mon cher ami, il y a lis votre phrase un peu de la correspondance evenSy trois espions du genre humain qui font iicurrence à la correspondance Ilavas. Hugo avait écrit sur le volume : à Charles Bau- laire, junc/anius dextras, — Gela, je crois, ne ut pas dire seulement : donnons-nous une mu- l’Ile poignée de mains. Je connais les sous-enten- is du latin de Victor Hugo. Cela veut dire aussi : lissons nos mains, pour sauver le genre humain. ais je me fous du genre humain, et il ne s’en est is aperçu.

Vous comprenez, mon cher Manet, que je vous

ris secrètement, relativement à beaucoup de

— ainsi, si vous voyez Madame Meurice^ 472 CHARLES BAUDELAIRE

il est inutile d’affliger ses convictions. Cette excel- lente femme, qui aurait eu autrefois plaisir à vivre, est tombée, vous le savez, dans la démocratie, comme un papillon dans la g-élatine.

De même, je vous recommanderai, si vous voyez Julien Lemer, de ne lui raconter de ma lettre que ce que vous jugerez bon de lui raconter.

Il paraît que M. B, qui est venu à Bruxel-

les, n’a pas trouvé bon de me venir voir. Il opère une vente de ses lithographies, au mois de Janvier. J’ai une vive envie de quatre ou cinq pièces de Déveria qui sont chez lui. — Achat, échange, cadeau, ce qu’il voudra.

N’oubliez pas de présenter à votre mère et à votre femme mes respects les plus affectueux.

Tout à vous.

A MONSIEUR ANGELLE Dimanche, 29 Octobre, 7 h. du soir.

Mon cher Ancelle,

Avez-vous reçu ma lettrejdu jeudi 26 ?

J’ai encore eu, hier et aujourd’hui, deux explica- tions désagréables avec mon hôtesse.

Je suis allé à la poste restante, hier matin. J’y suis allé, aujourd’hui, trois fois, aux trois cour- riers.

Aucune réponse.

Peut-être êtes-vous malade.

Je ne sais que penser et que devenir.

Tout à vous. LETTRES l865 473

A GHAMPFLEURY

Lundi, i3 Novembre i865.

… J’y ai trouvé vos trois grandes qualités, la sensibilité, la bonne humeur, et l’esprit de justice. Mais ce qui ne vous sera peut-être pas indifférent, ce volume m’a procuré une sensation très parti- culière : il a renouvelé en moi la mémoire d’une

lile de faits, d’anecdotes, d’amusements, de plai- sirs^ et d’impressions presque oubliées. Il m’a fait revivre dans un temps déjà ancien. Il a rafraîchi un tableau un peu terni dans mon esprit. Je vous remercie de tout ce que j’y ai trouvé de personnel- ^’^ment agréable pour moi ; mais, franchement,

us m’avez un peu trop loué, et un peu trop cité…

A M. LE COMMANDANT LEJOSNE

iC Novembre i865.

Mille mercis, mon cher ami. Dans une lettre datée du 3 Octobre, Lemer me isait que Garnier était attendu du 20 au 26 Octo- bre. Garnier était à Bruxelles, le 28 Octobre, et il est reparti pour Paris, le 26 Octobre. J’ai fait dire la à Lemer par Alfred Stevens. Quand même iurais rencontré Garnier, je n’aurais pas soufflé ot de mes affaires. Je considérerais cela comme ne maladresse et une déloyauté^ puisque j’ai con- • toute l’affaire à Lemer. Seulement, je crois que /|74 CHARLES BAUDELAIRE

si ces interminables lenteurs s’allongent encore, Lemer lui-même enverra promener Garnier,et, tout en regrettant ces cinq mois perdus, s’adressera à un autre éditeur. En vérité, s’il faut attendre le bon vouloir de MM. Garnier, Les Fleurs du Mal, Les Paradis risquent fort de ne jamais reparaître, et Le Spleen de Paris et les articles sur les Contem- porains peuvent être jetés au feu.

Quant à la question d’argent, je puis mettre Lemer (et conséquemment Garnier) bien à leur aise : je n’ai besoin immédiatement que de 2.000 fr., et le reste peut être réglé en billets.

Et dans le cas où, la chose conclue, les livres en question auraient, comme c’est probable, une seconde édition, est-ce qu’ils se feraient tirer l’oreille encore pendant cinq mois pour payer les droits d’auteur ?

Comment persuader à des esprits si mercantiles et si timides que mes articles critiques eux-mêmes, pourvu qu’ils soient publiés en dernier lieu, sont d’une défaite facile ?

Cela regarde Lemer.

J’ai commencé, il y a quinze jours au moins, ce travail de classification, et cet argument ou ce som- maire minutieux que vous me demandez pour Lemer. Mais les névralgies et le découragement l’ont interrompu. — Je crois qu^il l’aura lundi.

D’ailleurs, le prix d’un tel livre (sur lequel je ne veux recevoir qu’un acompte) ne pourrait pas suffire.

Avanttout, Les Fleurs duMal,Les Paradis y etc. . . LETTRES l865 4 ? ^

Ronjonr à Lemer. Montrez-lui ma lettre, si vous

Mes respects à Madame Lejosne. Contraignez-la à boire à ma santé. Tout à vous.

Cette question d’argent est absurde. Si le traité était signé, je ne pourrais réclamer tout de suite que le paiement des Fleurs du Mal, des Paradis et des Contemporains (et encore je ne demanderais paiement des Contemporains qu’en billets). Uuant au Spleen de Paris, j’en ai ici un grand nombre de fragments déjà publiés, et le reste va être disséminé entre Charpentier qui en a déjà, Calonne et Yriarte. — Du reste, s’il n’y a rien de conclu à la fin du mois, je tâcherai d’aller à Paris pour découvrir quelque moyen de gagner un peu d’argent.

L’article du vieux mauvais sujet est exécrable. Quel petit-lait ! et encore M. Ganesco le trouve-t-il trop amer.

A MONSIEUR ANCELLE

3o Noveml|^e i865.

Mon cher Ancelle,

Je vous demande pardon de vous faire payer douze sols pour une demande désagréable d’argent. Je nr peux pas faire autrement, y dii, là, une baga- telle que je me suis procurée, il y a longtemps, pour ma mère, et je ne peux pas la lui envoyer, faute de pouvoir payer le port. 47^ CHARLKS BAUDELAIRE

Hélas ! vous aviez donc encore raison. Je ne peux pas attendre le 3i Décembre. Heureusement, nous touchons à la fin de l’année, et la somme n’est pas forte. Si j’étais à Honfleur, je laisserais dormir mon revenu chez vous ; mais quand y serai-je ?

J’ai repris un peu l’habitude du travail. C’est tout ce que j’ai de bon à vous annoncer.

Le Monde Illustré m’a renvoyé mon manuscrit, en me disant de le retoucher, d’atténuer certaines choses que l’abonné ne pourrait pas supporter, etc.. Connaissez-vous quelque chose de plus bête et de plus tyran nique qu’un abonné ou qu’un ré- dacteur en chef ?

Je n’ai aucunes nouvelles de Julien Lemer et des frères Garnier, sauf que M. Hippolyte Garnier est rentré à Paris, le 26 Octobre ; et puis, — ce que je savais déjà, — c’est qu’avant de s’absenter il avait été consulter Sainte-Beuve sur la valeur de mes livres. — Julien Lemer m’a fait dire, par un de nos amis, qu’il voudrait bien voir mes notes sur la Belgique. Je soupçonne qu’il veut acheter le livre, lequel livre répugne à Garnier. J’ai donc remis le nez dans cet épouvantable fatras que j’avais depuis longtemps jeté de côté. Depuis quatre jours, je travaille à classer toutes mes notes et à construire une table des matières. J’en ai mal aux reins.

Mais, en supposant que Lemer me le prenne, les 800 fr. qu’il me donnera ne me tireront pas d’af- faire. Je ne puis être délivré que par la conclusion de l’affaire Garnier. Et comme ça traîne ! Gomme ça traîne ! LETTRES — i865 477

Je vais vous faire, mon cher Ancelle, ma prière

liabituelle. Quand j’attends un peu d’argent, je suis

lujsiquémeni malade^ d’impatience. Je vous en

iipplie, n’attendez pas au lendemain, pour ces

misérables loofr. Cette bougresse (la maîtresse de

l’HotcI) rae rend malade, elle, de colère et de honte.

Vous pouvez, cette fois, m’adresser directement

cette lettre, rue de la Montagne, 28, Je lui destine

1 4o fr., afin de l’apaiser pour quelques jours. En-

lite, j’attendrai, aussi patiemment que mes nerfs

me le permettront, les réponses de Lemer et du

Monde illustré.

Pensez à la lettre Custine, et écrivez-moi quel- ques bonnes paroles. Pas besoin de recommanda- tions d’économie ; je vous verrai, probablement, dans le courant de Décembre, et je ne vous pren- drai pas d’argent. Aussitôt que je recevrai une omme quelconque, je mettrai 100 fr. de côté, ’)ur aWer inspecter un peu mes affaires, moi-même., / Paris*.

Je m’ennuie et je souffre le martyre. J’ai rompu ouïe espèce de relations. J’aime encore mieux ne solitude absolue que les compagnies brutales,

)tHes et Ignorantes.

Et ma mère ? Avez-vous de ses nouvelles ? Je me iL(ure quelquefois que je ne la verrai plus.

Vous aurez cette lettre, demam matin, à 10 h. ^i vous pouvez (je suis exigeant, comme un homme jui souffre) me répondre avant 5 h., j’aurai votre

ttre, le 2, à 8 h.

a8. 478 CHARLES BAUDELAIRE

Bien à vous, et pas de gronderie, n’est-ce pas ? Mes respects à Madame Ancelle.

Lisez les articles de Sainte-Beuve sur Proudhon.

A MONSIEUR ANCELLE

Jeudi, 21 Décembre i865.

Mon cher Ancelle,

Il y a bien longtemps que j’aurais dû vous répon- dre, mais j’ai été saisi par une névralgie à la têle qui dure depuis plus de quinze jours ; vous savez que cela rend bête et fou, et pour pouvoir écrire aujourd’hui, à vous, à Lemer, et à ma mère, j’ai été obligé de m’emmaillotter la tête dans un bour- relet que j’imbibe d’heure en heure d’eau sédative. Les crises sont moins violentes que l’an passé, mais le mal dure bien plus longtemps. — Je dois, avant tout, vous faire mille excuses pour l’ennui que je vais vous causer. Rien n’est plus insuppor- table que les commissions, pour un homme occupé. Je sens combien je suis indiscret, mais comment faire, et à qui m’adresser_, si ce n’est à vous ?

Il s’agit de" la montre. D’ailleurs, le temps est venu (sinon passé !) de la dégager, et vous savez combien je tiens à ce souvenir. J’ai celte manie de vouloir savoir liieure à tout instant, et de ne pas pouvoir travailler sans pendule. Or, je n’en ai pas dans ma chambre. Pendant très longtemps, je me suis servi d’une montre prêtée qui m’a été LETTRES î865 -^79

ncictiwcc. Ainsi, il vaut mieux dégag-er que renou- veler.

le suis vraiment désolé des courses que cela va vous imposer. Aller une fois, deux fois peut-être, au Mont-de-Piété, empaqueter soigneusement cela dans une petite boîte, de telle façon que l’objet ne sse pas bouger en route, et, enfin, le déposer au chemin de fer, ou à la poste, en demandant un reçu. Je crois qu’heureusement vous avez ce qu’on nomme une grande reconnaissance, et que le bu- reau de la rue Joubert est un grand bureau. Alors, il n’y aura qu’une course. Mais vous pouvez vous débarrasser de tout cela sur un commissionnaire en qui vous ayez confiance.

Le reçu ci-joint représente les 4o fr. de la mon- tre, 100 fr. que je vous demande pour suffire aux besoins du Jour de l’An (ce qui me navre), (et c’est pour les soustraire à la maîtresse de l’Hôtel que je vous prie de me les adresser poste restante,) enfin lo fr. que je suppose devoir être plus que suffisants pour les intérêts du Mont-de-Piété et les deux affranchissements. 11 va sans dire qu’il faut ano dans les premiers mois de l’année je^établisse uilibre dérangé par une avance de 3oo fr. C’est facile, en ne prenant que 8o ou go fr. par mois. En Avril, nous serons au pair. Je ne me vante pas de posséder encore ces vulgaires vertus que vous m’avez tant prêchées, mais cependant vous avez pu vous apercevoir que j’y tends un peu. J’ai à peu près une trentaine de francs à éparpiller entre les domestiques, et je ne peux pas ne pas 48o CHARLES BAUDELAIRE

apporter quelques bagatelles dans deux ou trois maisons, particulièrement chez Madame Hugo où j’ai longtemps fréquenté.

Maintenant, je ne vois plus personne, malgré votre conseil. J’aime mieux mon ennui que la dis- traction causée par des conversations insipides. Et puis j’ai l’esprit toujours tourné vers ma mère, ou vers ce maudit Julien Lemer. Rien ûc olus. D’ail- leurs, je ne peux plus quitter ma chamL’^e, ma coiffure fait scandale, même dans la cour.

Et vous supposez que je lis les fadaises de Paris et les bavardages d’un M. Rochefort,mais je con- nais trop bien ce qu’on appelle le petit journalisme, et les petites gazettes, et la littérature de café I Et vous me parlez du sieur Lanfrej, mais vous avez donc oublié ma haine contre ce qu’on appelle les libéraux. Le livre sur la Belgique est justement l’expression de cette haine. — Julien Lemer me Ta récemment fait demander, ou tout au moins le plan minutieux, l’argument. Je crois qu’il veut l’acheter. Mais, tant que je n’aurai pas l’espérance de quelques heures de répit dans mon crâne, je ne pourrai pas travailler.

J’ai reçu, il y a quelques jours, quinze jours à peu près, une visite agréable qui m’a un peu re- monté le caractère, — pour quelques heures. Un jeune homme de Paris, de mes amis, est venu me voir ; il avait rencontré Julien Lemer sortant de chez les Garnier, et prétendant toujours que la chose se ferait.

Lemer ne parle plus de 4.000 fr., mais de 6.000. LETTRES l865 48 »

ais quel mystère que ces lenteurs ! Enfin, le tu- tu ulte du Jour de l’An passé, j’irai m’énquérir moi- même de tout cela.

Et mon nom qui se laisse oublier ! et ces Fleurs du Mal qui sont une valeur dormante, et qui dans une main habile auraient pu, depuis neufans^ avoir

nx éditions par an ! Et les autres livres ! Quelle

ludite situation !

Et en supposant La Belgique parfaitement finie, et achetée par Lemer, il ne pourra m’en donner

it au plus que 800 fr., pour le premier tirage ; or, non seulement une pareille somme est pour moi très insuffisante ; mais, de plus, je ne peux pas

isser imprimer le livre, tant que je serai en Bel-

[ue. Donc, il faut en revenir à l’affaire Garnier.

Le nouveau Roi a fait son entrée triomphale

r un air des Bouffes-Parisiens ’.C’est le Roi barbu

(jui s’avance. C’est la faute d’un naïf Allemand diri- geant l’orchestre militaire. Ce peuple est si profon- dément bêle que personne n’a trouvé cela bouffon.

Les princes d’Orléans n’ont pas assisté à la pres- tation du serment. Ils ont préféré se retirer plutôt que de céder la préséance aux ambassacleurs.

Tout ce deuil national s’est exprimé par une

•issonnerie épouvantable. Jamais les rues n’ont

’■ tant inondées d’urine et de vomissements. Le

ir, j’ai voulu sortir, et, tout de suite, je suis

rnbé par terre. — Me voilà obligé d’ajouter un cljupitre sur le vieux Roi.

Si vous aimez, comme moi, vous mettre un peu Je rage au cœur, lisez un grand succès parisien : Une cure du docteur Pontalais. C’est l’histoire d’un saint, converti à l’athéïsme par un jeune médecin. C’est une infamie, écrite par un sot. C’est digne de la femme Sand.

Encore une fois, mille pardons, et mes respects à Madame Ancelle.

En tout cas, dimanche, je m’empaquetterai la tête, et j’irai à la poste. Peut-être la poste prend-elle des paquets pour poste restante.

Je serais bien heureux de recevoir vos deux réponses (le paquet, par le chemin de fer, — à moins que la poste ne s’en charge, — et la lettre chargée, par la poste restante) dimanche, veille de Noël. Mais je crains bien que vous ne puissiez faire tout cela en deux jours.

A MONSIEUR ANCELLE
Mardi, 26 Décembre 1865.

Mon cher ami,

Je vous remercie. Je suis sorti ce matin, pour aller à la poste, et pour chercher un emballeur pour les objets que je veux envoyer à ma mère.

J’ai un peu de vague dans la tête, du brouillard et de la distraction. Cela tient à cette longue série de crises, et aussi à l’usage de l’opium, de la digitale, de la belladone et de la quinine. — Un médecin, que j’ai fait venir, ignorait que j’avais fait autrefois un long usage de l’opium. C’est pourquoi LETTRES — i865 483

il m a uiuiiagé, et c’est pourquoi j’ai été obligé de doubler et de quadrupler les doses. Je suis parvenu

léplacer les heures des crises ; c’est beaucoup. Mais je suis très fatigué.

Ainsi, je vous remercie pour les loo fr.

Mais, quant à la montre, vous vous abusez en croyant que ce n’est pas pressé. — L’engagement primitif a eu lieu en Septembre 63 ; dernier délai, Octobre 64- — Vous avez renouvelé l’engagement ; dernier délai, Novembre 65. Or, nous sommes à la fin de Décembre ; donc, le temps légal est passé î S’il est arrivé un malheur (car, le treizième mois passé, le Mont-de-Piété considère les objets comme lui appartenant), il va falloir consulter les registres de vente (grande fatigue) et trouver le nom du marchand qui aacheté la montre, et me la revendra

ju’il voudra^ s’il l’a encore. Considérez aussi quelle fatigue pour moi que d’attraper au vol les vagues sonneries des horloges de la ville, dans ma maudite chambre.

II faut que je vous parle encore un peu de Julien Lemer. Toutes ces lenteurs sont pour moi très mys- térieuses. Viennent-elles d’un affaiblissement de la volonté, d’un défaut de caractère chez Lemer, ou bien ne seraient-elles pas le signe d’une prudence excessive de la part de ce brave garçon qui, deux ou trois fois, m’a écrit : Patience ! patience I et qui, ayant refusé tout salaire de moi, a gardé l’espé- rance de se faire payer par les Garnier, comme leur procurant une excellente affaire ? — Ce que je dis est subtil, mais ne manque pas de sens. Par suite de l’affaire Malassis, vous avez eu occasion de voir Lemer, il y a six mois, et il sait que vous êtes un ami de ma famille et que vous avez quelquefois de l’argent à me donner. Je ne verrais donc aucun inconvénient à ce que vous passiez chez lui, et que, avec votre tact habituel, doucement, légèrement, sans le blesser, vous vous entreteniez avec lui de mes inquiétudes et des obstacles qu’il trouve à la réalisation de ses promesses.

Dans ce cas-là, pensez à quatre points :

1. — Si je n’ai pas obéi à l’invitation qu’il m’a fait transmettre par un ami commun, le commandant Lejosne (lui envoyer un plan et des fragments du livre sur la Belgique), c’est parce que j’ai été très sérieusement malade, surtout depuis la visite de Madame Massenet de Marancour.

2. — Mes embarras, et mes inquiétudes. Les petites sommes que vous avez pu m’envoyer n’équivalent pas à mes dépenses. Dettes forcées, et indéfiniment croissantes.

3. — Mon véritable besoin de revoir ma mère et mon chez moi.

4. — Enfin le danger qu’il y a à me laisser oublier et à laisser dormir mes livres. C’est ce qui me tourmente le plus.

Maintenant que la grande comédie du deuil belge est finie, les articles amers sur le Léopold Ier commencent. C’était véritablement une triste canaille. Croyez-moi. J’ai lu les journaux français. En général, ils sont ineptes, excepté un article de LETTRES — i865 485

/ I^atrie, signé Casimir Delamarre,[es iounmux

ançais n’enlendant rien à la question belge.

Voir, dans Le Figaro, un article sur Léopold, bon licie signé Yvan Wœsfyne, ce qui signifie van de Vœstyne, officier d’artillerie belge, que j’ai connu Paris. Les officiers belges le traitent de gredin, la va sans dire.

Les articles de Sainte Beuve, au nombre de trois ou quatre, ont paru dans la Revue contemporaine ; .’ sont des miracles d’intelligence et de souplesse. Tous vos libéraux seront damnés. Ecrivez-moi, au plus vite, et mille mercis.

A MONSIEUR JULIEN LEMER

3o Décembre i865.

Mon cher ami,

Je profite de toutes les occasions pour vous faire uvenir que j’existe encore. Il y a près d’un mois le je suis malade. Ça a été surtout après la visite

de Marancour que j’ai été pris. Depuis quinze jours,

ie vis d’opium, de digitale et de belladone.

Je crois cependant que vous aurez procnainement ’rr/ument de La Belgique déshabillée, interrompu

ijpuis si longtemps.

Enfin, je vous demanderai si décidément vous oyez encore aux Garnier, ou si vous jugez le

Miomeiit venu de les envoyer promener. 866

A FELICIEN ROPS

Bruxelles, icr Janvier 1866.

Mon cher Rops,

J’avais juré cette année de protester, par une vigoureuse abstention, contre l’usage des cartes du Jour de l’An, et vous êtes déjà le second ami, aujourd’hui, qui m’oblige à me contredire.

Avez-vous donc besoin de ma carte pour deviner que je ne vous oublie pas, et que je désire pour vous mille prospérités ?

Présentez, je vous prie, mes respects bien affec- tueux à votre beau-père et à Madame Rops.

En voyant votre nom, j’ai d’abord supposé que vous étiez à Bruxelles. Mais je suis parvenu à déchiffrer le timbre Namur.

Qu’est devenue la Danse macabre ?

Tout à vous. LETTRES — 1866 487

A SAINTE-BEUVE

Mardi, 2 Janvier 1866. Mon bon ami,

Je viens de voir que, pour la première fois de tre vie, vous avez livré votre personne physique ^va public. Je fais allusion à un portrait de vous, publié par U Illustration. Ce^i bien vous, ma foi i ir familier, railleur, et un peu concentré, et la petite calotte elle-même ne s’est pas cachée. Vous dirai-je que je m’ennuie tellement que cette simple image m’a fait du bien ? La phrase a l’air imperti- nent. Elle veut dire simplement que, dans l’abandon où me laissent quelques vieux amis de Paris (en par- ticulier Julien Lemer), votre image a suffi pour me nertir de mon ennui. Que ne donnerais-je pas pour aller en cinq minutes rue du Montparnasse, pour causer une heure avec vous de vos articles sur Proudhon, avec vous qui savez écouter, même les gens plus jeunes que vous !

Ce n’est pas, croyez-le bien, que je trouve la

iction en sa faveur illégitime. Je l’ai beaucoup

. et un peu connu. La plume à la main, c’était un

Uonhoufjrp : mais il n’a pas été et n’eût jamais été,

mAmesur le papier, un (/rt ; i(/y. C’est ce que je ne lui

rdonnerai jamais. Et c’est ce que j’exprimerai,

dussé-je exciter la mauvaise humeur de toutes les

"osses bêtes bien pensantes de L’Univers.

De votre travail, je ne vous dis rien. Vous avez,

is que jamais, l’air d’un confesseur et d’un accou488

CHARLES BAUDELAIRE

cheur d’âmes. Oii disait, je crois, la même chose de Socrate, mais les sieurs Baillarger et Lélut ont déclaré, sur leur conscience ^ qu’il était fou.

Voici le commencement d’une année qui sera, sans doute, aussi ennuyeuse, aussi bête, aussi cri- minelle que toutes les précédentes. Que puis-jevous souhaiter de bon ? Vous êtes vertueux et aimable, et (chose extraordinaire !) on commence à vous rendre justice !

Il n’y a ici que deux personnes avec qui je puisse causer de vous, mais de deux manières bien dif- férentes, Malassis et Madame Hugo.

Quand je suis retourné à Bruxelles, en Juillet, j’ai cru qu’un littérateur français ne pouvait se dis- penser de faire une visite à Victor Hugo. Ce senti- ment, dérivant d’une politesse innée, m’a jeté dans les aventures les plus baroques. Je vous raconterai cela, si jamais je vous revois. Car il me semble quelquefois, quoique je ne sois éloigné de mes amis que de six heures, que je ne les reverrai plus.

Madame Hup^o, seule, et malgré ses fils, entend votre nom et votre éloge avec plaisir. Le mot : grand poète ne l’étonné pas. Au fait, de ce côté-là, la clarté ne s’est pas assez faite. C’est peut-être moi qui aiderai le plus à la faire, si on veut bien encore imprimer une ligne de moi.

Je bavarde beaucoup trop, comme un homme nerveux qui s’ennuie. — Ne me répondez pas, si vous n’avez pas cinq minutes de loisir.

Votre bien affectionné. LETTRES iSOO 489

—V MoxsîFJTR ANGELLE

Mercredi, 3 Janvier 1866.

Mon cher Ancelle,

Je sens avec humiliation combien je vous fatigue. En vous donnant une nouvelle commission, j’ai

iijmenté mon indiscrétion. Laissez de côté Julien Lemer, et envoijez-moi tout de suite la montre, s*il est encore temps. On vous demandera quelle est la valeur de l’objet. Déclarez tout au plus la

leur de l\o fr., et payez les frais.

Lemer vient de recevoir, coup sur coup, deux

usagers de moi, avec prières insistantes de me

i)ondre. S’il ne me répond pas, c’est qu7/ ne le peut ou ne le veut. Si vous saviez ce que c’est que d’attendre une réponse pendant quatorze jours.

Tout à vous, et ne m’en veuillez pas.

Envoyez donc un commissionnaire au Mont-de- <*té. C’est si simple !

A POULET- MALASSIS

Mon cher ami,

Je suis repris par les migraines, grâce aux quatre

ures passées à l’entrepôt, dans le vent et dans la

pluie. Je viens de trouver, sous ma porte, une très

longue et très étrange lettre de Sainte-Beuve où

il y a quelques mots affectueux pour vous, et dont

’xtrais ce passage : 490 CHARLES BAUDELAIRE

… E Ti faisant mes compliments à Malassis y de- mandez’lui le titre de je ne sais quelle petite ordure de l’abbé de Voisenon, réimprimée là-bas, et qui n’est pas dans ses œuvres. Dans quel petit recueil du XVIIP"^^ siècle a-t-elle été d’abord im- primée" ? Vnijfi iHtjjez que je suis un ruripn.r incij^ rable…

J’enfermerai votre réponse dans la mienne.

Mes compliments à M^’^ Fanny. Dites-lui com- bien je lui suis reconnaissant de ses complaisan- ces. Je crains que la mig-raine ne me fasse passer à ses yeux pour un paresseux.

Oh ! la visite à l’entrepôt, quel chapitre î

Tout à vous.

Vous pouvez me répondre tout de suite, et don- ner votre réponse au commissionnaire, avec mes poèmes en prose bien enveloppés.

A MONSIEUR ANGELLE

Vendredi, 12 Janvier 186G.

Mon cher ami,

Je reçois une lettre de ma mère, qui me gronde de n’avoir pas répondu tout de suite à votre der- nière longue lettre.

Je ne réponds que provisoirement^ pour vous remercier de votre amitié. Mais croyez-vous donc qu’il soit très facile de répondre dans de telles com- plications ? LETTRES 1866 491

Il faut beaucoup réftéchir.

Je crois que, dans deux jours, vous recevrez le plan, ou, pour mieux dire, le sommaire, le compen- diiim, du livre sur la Belgique, à communiquer à Julien Lemer çui paraît avoir envie de ce livre. Ce sera pour vous une occasion de le voir.Lejeter immédiatement de côté, ce serait trop brutal. Vous recevrez les lettres de Lemer et la lettre de Sainte- Beuve, ayant trait à cette affaire. — Vous déci- derez ce que vous voudrez, et vous ferez de mes conseils ce que vous voudrez. Yous m’apprenez des choses que je savais, en particulier le rejet, par la maison Garnier, du livre sur la Belgique.

Vous êtes tombé, grâce à une inspiration dont je vous sais d’ailleurs le plus grand gré, dans une maison dont vous ignoriez le train-train. Et la seule chose qui me frappe dans votre récit, c’est qu’Hip- polyte Garnier {le vrai directeur) n’avaitpas encore instruit Auguste Garnier {le frère vulgaire) de

Hat de l’afTaire. Du reste, le paquet que vous allez locevoir vous instruira à fond, — et, s’il vous plaît, si vous jugez convenable de revoir les Garnier, dites

implement que je suis en train de donner le der- nier tour à mon livre : Le Spleen de Paris (pour faire pendant aux Fleurs du Mal), ainsi qu’à mes /((’flexions sur mes Contemporains, ei que j’irai les

’)ir au mois de Février.

Il faudra évidemment que Sainte-Beuve entre de nouveau en danse.

Traiter directement avec moi ! pour mon esprit 492 CHARLES BAUDELAIRE

défiant, cela veut dire : M. Baudelaire sera plus facile à duper.

Tout à vous. Merci. Et souvenez-vous, quoi qu’en dise ma mère, que j’ai deviné et apprécié toute l’énergie de votre amitié.

La sanléde ma mère m’inquiète beaucoup, beau- coup. Je vais écrire secrètement au docteur Lacroix, de Honfleur, pour être renseigné avec précision à ce sujet.

Présentez mes respects à Madame Ancelle.

A SAINTE-BEUVE

i5 Janvier 1866.

Mon cher ami,

Je ne saurais trop vous remercier de vos bonnes lettres. C’est vraiment d’autant plus beau de votre part que je vous sais très occupé. Si je tarde quel- quefois longtemps à répondre, c’est que je suis dans un état de santé qui me casse la volonté et me jette même quelquefois au lit pour plusieurs jours.

Je suivrai votre conseil, j’irai à Paris, et je ver- rai les Garnier moi-même. Alors, peut-être, com- mettrai-je l’indiscrétion de vous demander un nouveau coup d’épaule. Mais quand ? Depuis six, semaines, je suis plongé dans la pharmacie. Qu’il faille supprimer la bière, je ne demande pas mieux. Le thé et le café, c’est plus grave, mais passe encore. Le vin ? diable ! c’est cruel. Mais voici un animal encore plus dur, qui dit qu’il ne faut ni lire,

éUuik’r. Drôle de médecine que celle qui supprime la fonction principale ! Un autre médit, pour toute consolation, que je suis hystérique. Admirez-vous, comme moi, l'usage élastique de ces grands mots bien choisis pour voiler notre ignorance de toutes choses ?

J’ai tâché de me replonger dans Le Spleen de Paris (poèmes en prose), car ce n’était pas fini. Enfin, j’ai l’espoir de pouvoir montrer, un de ces jours, un nouveau Joseph Delorme accrochant sa pensée rapsodiqne à chaque accident de sa flânerie, et tirant de chaque objet une morale désagréable. Mais que les bagatelles, quand on veut les exprimer d’une manière à la fois pénétrante et légère, sont donc difficiles à faire !

Joseph Delorme est venu là tout naturellement. J'ai repris la lecture de vos poésies ab ovo. J’ai vu, avec plaisir, qu’à chaque tournant de page je reconnaissais des vers qui étaient d’anciens amis. Il paraît que, quand j’étais un gamin, je n’avais pas si mauvais goût. (La même chose, en Décembre^ m’est arrivée pour Lucain. La Pharsale^ toujours étincelante, mélancolique, déchirante, stoïcienne, a consolé mes névralgies. Et ce plaisir m’a induit à penser qu’en réalité nous changions fort peu, c’est à dire qu’il y a en nous quelque chose d'invariable.)

Puisque vous avouez qu’il ne vous déplaît pas d’entendre parler de vos ouvrages, j’aurais bien la tentation de vous faire, à ce sujet, trente pages de confidences ; mais je crois que je ferai mieux de les 404 CHARLES nAUDELAIRE

écrire d’abord en bon français pour moi-même, et puis de les communiquer à un journal, s’il existe encore un journal où Ton puisse causer poésie.

Cependant, voici quelques suggestions du livre qui me viennent, au hasard :

J’ai beaucoup mieux compris qu’autrefois Les Consolations et Les Pensées d’Août.

J’ai noté, comme plus éclatants^ les morceaux suivants :

Sonnet à Madame G, p. 226.

(Vous avez donc connu Madame Grimblot, cette grande et élégante rousse pour qui a été fait le mot désinvolture, et qui avait cette voix rauque, ou plutôt profonde et sympathique, de quelques comé- diennes parisiennes ? — J’ai souvent eu le plaisir d’entendre Madame de Mirbel lui faire de la morale, et c’était fort drôle. — Après tout, je me trompe peut-être ; c’est peut-être une autre MadameG. Ces recueils de poésie sont non seulement de la poésie et de la psychologie, mais aussi des anna- les.)

Tu te révoltes…, p. 1^2. Dans ce cabriolet…. p.igS. En revenant duconvoi…, p. 227. La voilà…, p. 199.

Page 235, j’ai été un peu choqué de vous voir désirant l’approbation de MM. Thiers, Berryer, Thierry, Villemain. Est-ce que vraiment ces mes- sieurs sentent \q, foudroiement, ou V enchantement d’un objet d’art ? Et puis, vous aviez donc bien peur de n’être pas apprécié, pour avoir accumulé tant de documents justificatifs ? Ai-je besoin, pour vous LETTRES 1866 495

I mirer, de la permission de M. de Béranger ? Sacrebleu ! j’allais oublier Le Joueur d’orgue, . 242. J’ai beaucoup mieux saisi qu’autrefois le but et Part des récits tels que Z)omc/« /i, Marèze, Ramon, ^f.Jean, etc.. — Le mot élégie analytique s’appli- ■ iie à vous, bien mieux qu’à André Ghénier. Il y a encore une pièce que je trouve merveilleuse, est le récit d’une veillée funèbre, près d’un cada- re inconnu, adressée à Victor Hugo, au moment <t la naissance d’un de ses fils. Ce que j’appelle le décor (paysage ou mobilier) ^t toujours parfait. En de certaines places de Joseph Delorme, je ouve un peu trop de luths, de lyres, de harpes, et de Jehovahs. Cela fait tache dans des poèmes parisiens. D’ailleurs, vous étiez venu pour détruire tout cela.

En vérité, pardon ! Je m’égare ! Je n’ai jamais osé »us en dire si long*.

J’ai retrouvé des pièces que je savais par cœur, ’ourquoi relit-on avec plaisir, dans des caractères imprimerie, ce que la mémoire pourrait réciter ?) Dans rtle Saint-Louis. (Consolation^) Le Creux de la vallée, p. 11 3. Voilà bien du ’lorme !

Et Rose (charmantj,p. 127. Stances de Kir ke White,i^, iSg. A / Plaine (beau paysage d’Octobre), p. i38. Ma foi ! je m’arrête. J’ai l’air de vous faire des nj : rn/.„ic..f \,. „’,.,. ..,’ paslcdroit. C’est imper49^ CHARLES BAUDELAIRE

A MONSIEUR ANCELLE

Jeudi, i8 Janvier.

Mille remerciements, mon cher ami, pour votre amitié et votre bonne volonté. Si j’avais pu deviner votre inspiration, je vous aurais donné des docu- ments ! Vous n’avez rien obtenu de clair, parce que vous avez causé avec un imbécile (Auguste Garnier) que son frère Hippoljte n’instruit des choses qu’au dernier moment. Vous comprenez que si Hippolyte est allé consulter Sainte-Beuve sur ma valeur litté- raire, c’est qu’il considérait la chose comme dig-ne d’attention. Je sais, depuis plus de six mois, que La Belgique sera exclue du marché.

Demain, je vous enverrai les lettres de Lemer et de Sainte-Beuve.

J’ai encore été malade, très malade. Vertiges et vomissements pendant trois jours. lia fallu que je me tinsse sur le dos, pendant trois jours ; car, même accroupi par terre, je tombais, la tète empor- tant le corps. Je crois que c’était une ivresse de bile. Le médecin ne me recommande que l’eau de Vichy, et pas le sou I

Voici le plan du livre sur la Belgique que Julien Lemer désirait voir depuis longtemps.

C’est enfin une occasion pour vous de causer avec lui, et d’obtenir un compte rendu exact de ce qui a, été dit entre Hippolyte Garnier et lui à mon sujet, depuis six mois et demi. LETTRES 1866 497

Vous le trouverez toujours entre oh. et minuit, yuand il n’est pas à son bureau, il est dans son appartement ; il demeure au-dessus.

Combien je suis honteux de vous causer tant

ennuis !

Je veux, sur La Belgique^ une réponse rapide, sinon immédiate.

On m’écrit queLemerest dans de mauvaises afFai- •s. Je ne serais pas très heureux de lui vendre ce livre ; mais je me souviens qu’il y a deux ans, quand j’annonçai à Dentu mon voyage projeté en Belgique, il me dit que si je faisais quelque chose sur ce pays, il l’achèterait volontiers. Malheurea- « ement, la librairie Dentu a de grands vices.

Peut-être se figurait-il à l’avance une descrip- >nde monuments, et non pas un croquis de mœurs. 1 mariée est devenue trop belle.

Enfin, que ce soit Lemer, Dentu, ou le diable

li l’achète, ye ne veux plus écrire une ligne, avant

dvoir un traité. Malgré le traité, je ne prendrai

argent que quart par quarts et je livrerai la

litière au fur et à mesure. Cet argument minu-

■iix prouve que j* ai passablement de matériaux

fre les mains. Je peux dire que le livre est dans

fat confus où Proudhon a laissé ce quon ap-

lle ses œuvres posthumes. Quant à l’arrange-

nt que je propose, il prouve que je veux aller

te ; (cependant je ne laisserai pas publier le livre

! nt que je serai ici. Donc, comme vous ne me

lèterez pas les 2. 5oo fr. dont j’ai besoin, il fau-

29. 49^ CHARLES BAUDELAIRE

dra en revenir à la grosse affaire Garnier. Julien Lemer a la table des matières, et a la matière de trois volumes, sur cinq. Je n’irai à Ronfleur cher- cher la matière, pour combler les lacunes, qu’après le traité fait.) Il dit qu’Hippolyte a même pris des notes sur mon programme.

La Belgique est un peu à la mode. Donc, on peut faire un assez gros tirage.

Dites à Lemer que je lui recommande bien de ne pas égarer Les Paradis {je n’ai pas d’autre exemplaire), ni la collection d’articles critiques que j’appelle : Les Contemporains. Il y a décidé- ment dans cette lettre des lignes que vous ne pourrez pas lui lire. Il faut bien prendre garde de le blesser ; et d’ailleurs, même en adoptant le plan que vous me suggérez, nous ne pouvons jeter Lemer de côté qu’après l’avoir mis au pied du mur, c’est à dire convaincu d’incapacité. Ne trichons jamais.

Je ne puis pas, mon cher ami, me faire envoyer par vous 80 fr.Les quatre premiers mois de Tanné’ font 640 fr.J’en ai déjà reçu 3oo. Je voudrais, le plus tôt possible, ne plus vous rien devoir. Je joins donc à cette lettre un reçu de 100 fr., juste. Et en Février, quand il faudra, comme je l’espère, aller moi-même à Paris, vous m’enverrez 5o h. Pas de lettre char- gée, je vous en prie ; la femme de l’Hôtel croirait que je reçois des trésors, et les voyages à la poste restante ne me sont plus possibles. On ne volera pas la lettre, parce qu’il y aura dedans un billet de 100 fr. Le coût des lettres entre France et BelgiLETTRES 1866 499

que est changé, pour les lettres ordinaires. Ce n’est i>îus que o fr. 3o.

On m’a dit que IJ Indépendance avait été inter- dite en France, à cause des mauvaises nouvelles qu’elle donnait sur le Mexique.

Si je peux finir cette nuit cet extrait de mes notes

le j’appelle C argument, ]q joindrai tout de suite à ce paquet la lettre de Sainte-Beuve et les lettres de Lemer.

Inutile de recopier pour vous le programme de

’S cinq autres volumes qui est chez Lemer.

Fleurs du Mal (augmentées, et avec lettres et

licles curieux).

Spleen de Paris, pour faire pendant.

Contemporains, peintres et poètes, 2 vol.

Paradis Artificiels,

Il me semble que pour avoir trois volumes amu- sants, et d’une vente sûre, un libraire peut bien se risquer à acheter deux volumes de critique en plus. C’était mon calcul, et Lemer le trouvait bon. Sainte-

uve le trouvait audacieux.

l’ai peur que Lemer n’ait appris votre visite chez

s Garnier, et ne prenne ça pour un e|pionnage

> ma part. Raison de plus pour le voir, et, puisqu’il

i est si pénible d’écrire des lettres, dites-lui que vuus me transmottroz fidèlement tout ce qu’il vous dira.

Je suis très inquiet de la santé de ma mère.

Quant à moi, je ne peux plus fumer sans dégoût ;

)ur un fumeur, c’est un vrai signe de décourage- ment. Tout à l’heure, j’ai été obligé d’interrompre CFIARLES BAUDELAIRE

cette lettre pour me jeter sur mon lit, et c’est un grand travail, car je crains toujours d’entraîner avec moi les meubles auxquels je m’accroche.

Avec ça, les idées noires ; il me vient quelquefois à l’esprit que je ne verrai plus ma mère.

Pardon et merci. Tout à vous.

Mes compliments à Madame Ancelle.

Pourvu que Lemer n’aille pas s’offenser, parce que je ne lui écris pas, et parce que je ne vous donne pas une lettre d’introduction pour lui ! Mais il ne me répond jamais. Après tout, c’est un excel- lent garçon ; seulement, je crois que la vieillesse et les chagrins l’ont apparessé.

Je n’ai pas de copie du plan du livre sur la Bel- gique. Ce serait cruel de recommencer. Si Lemer le garde, faites-lui observer ça.

Il me paraît difficile qu’un tel plan n’excite pas la curiosité d’un éditeur, si peu intelligent qu’il soit.

Je mets toute ma confiance en vous, délivrez- moi. Mais soyez prudent.

Vous devriez mettre le plan dans une enveloppe à part, avant de le montrer.

Maintenant, je ferme le livre, et je mets mes notes au fond de ma commode, afin de n’y plus penser que quand j’aurai un traité, c’est à dire la certitude d’être payé. A MONSIEUR ANCELLE

Lundi, 22.

Mon cher ami,

Ce lourd travail de classification n’était pas fini, interrompu par une reprise de crises nerveuses, de vertiges,de nausées et de culbutes. J’ai eu une crise lez le médecin lui-même. Il me demande sans cesse si je suis son traitement. Je n’ose pas lui dire pour quelles raisons je ne fais rien. (Bains, éther, valériane, eau de Vichy.) Mais, selon moi, tout cela ne serait pas suffisant.

N^ écrivez rien de toute cette aventure à ma mère.

Ma lettre est bien confuse, n’est-ce pas ? Je sume : voir Lemer, obtenir de lui tous les ren- içnements possibles sur la question Garnier. Vendre /.a Belgique, tout de suite ; (il faut trois inaines pour lui donner le dernier y ? o/i.) Ne pas perdre le plan,

La copie des trois volumes qui sont cliez Lemer it être serréesoigneusement jusqu’à ce que j’aille

.^i tiuus jetons Lemer de côté, alors vous vous

rez homme d’affaires littéraires, par amour pour njoi,et vous tâcherez de vendre en Février les cinq

itres volumes.

Il faut que l’éditeur (quel qu’il soit) observe que lielgique sera tout à fait inédit, q{ que, en en disse502 CHARLES BAUDELAIRE

minant les frag-menls, j’en pourrais tirer beaucoup d’argent.

Mes compliments à Madame Ancelle.

A MONSIEUR ANCELLE

Lundi, 29 Janvier 18CO, Mon cher ami,

Ou vous n’avez pas reçu mon paquet de lundi dernier, 22, composé d’un plan de Belgique, en seizo feuillets, d’une longue lettre pour vous, de deuo lettres de Lemer, d’une lettre de Sainte-Beuve et d’un reçu de 100 fr. — Ou vous n’avez pas com- pris toute la tristesse de ma situation, — ou bien, enfin, votre réponse a été égarée ou volée.

Mes crisesy vertiges, convulsions sont devenus plus rares ; mais excepté quand je suis couché sur le dos, Je ne suis pas solide. Le médecin, me croyant peut-être guéri, ne vient plus, et Je n’ose plus faire payer les médicaments par l’Hôtel.

Enfin, je suis inquiet non pas seulement des 100 fr., mais aussi de tout le reste. Quant à ce tout le reste, vous recevrez prochainement la visite d’un de mes amis, M. Lécrivain, ancien libraire ; vous pourrez peut-être vous éclairer de ses conseils, et il me transmettra à son retour votre conversation avec lui. Vous aurez soin de bien vous faire expli- quer ce que c’est qn’un traité à temps, et un traité basé sur un tirage déter miné. DansV un des cas, une somme est donnée à l’auteur, en échange de l’exploii80b

lalion pour un certain temps. Dans l’autre cas, on donne à l’auteur tant par exemplaire. M. Lécri- vain prétend que MM. Garnier préféreront, s’ils traitent avec moi, traiter pour dix ans. Mais alors, "••and Dieu ! quelle somme demander ?

J’ai rédigé la note que vous me demandez pour M. Hippolyte Garnier ; mais avant de vous l’en- voyer, il faut prendre un parti, mûrement réfléchi, au sujet de Lemer ; alors seulement, je prierai Sainte-Beuve de revenir à la charge.

Présentez mes respects à Madame Ancelle. Mais, je vous en supplie, répondez-moi.

Bien à vous.

A MONSIEUR ANCELLE

Mardi, 3o Janvier 1866.

Mille remerciements pour tout votre zèle ; vous

JUS en tirez beaucoup mieux que je ne croyais.

J’ai d’abord lu votre lettre à M, Lécrivâin qui part demain, et que vous recevrez sans doute, le 2, ’^>n le 3, ^

Voilà, à peu de choses près, le résultat de notre conversation, et, conséquemment, le sujet de votre future conversation :

I. — Les arrangements futurs dont vous me parlez

int-ils une réalité fdLU moins une réalité commencée,

il bien F exposé des espérances de Julien Lemer ?

. écrivain <infrnPr.U’ j ; a „,.pr /^-m^/’, l’aura peut-

ire tâté. CHARLES BAUDELAIRE

2. — Je trouve les tirages trop faibles, Lécrivain dit qu’il importe peu, et que les Garnier s’aperce- cevront bien vite de la valeur de mes livres.

3. — Que signifie ce délaide trois ans ? — et si, dans six mois, un des cinq tirages est épuisé, ne devra-t-on pas payer de nouveaux droits d’auteur, au taux convenu ?

Lécrivain prétend que cela va sans dire.

l[. — Je veux corriger lesépreuves ; je ne laisserai jamais imprimer une ligne de moi, sans l’avoir relue au moins deux fois.

5. — Faites-vous expliquer ce que c’est que les doubles mains de passe, sur lesquelles je prétends qu’on doit prélever les exemplaires pour les amis et les journaux.

6. — Que MM. Garnier sachent que si j’accepte des conditions que je trouve chétives, c’est parce que je veux que mes œuvres soient désormais abri- tées dans une maison solide^ et que j’espère que c’est une raison pour que tout mon avenir s’y rattache (à cette maison). Les Garnier ignorent ce que c’est que Le Spleen de Paris, que Sainte-Beuve, dans Le Constitutionnel, lors de ma bouffonne^ mais très intentionnée candidature à l’Académie, si cité, parlant de quelques-uns de ces fragments comme de vrais chefs-d’œuvre. Ce n’est pas moi qui parle. On pourrait retrouver le numéro.

MM, Garnier ignorent la valeur des piécesjustifî-* càtives des Fleurs du Mal (arûdes de Sainte-Beuve. Custine, Th. Gautier, d’Aurevilly, etc.). Il leur en faudra parler. Mais M. Lécrivain prétend qu’avec LETTRES — 186G 5o5

des gens aussi rusés que les Garnier, il ne faut pas voir Tair trop pressé.

Et puis souvenez-vous que si les deux Garnier sont éi^aux quant à la propriété, ils sont très iné- gaux en intelligence et en fonctions. Hippolyte est le directeur spirituel.

Tous ces points, sans exception, sont également intéressants. Lécrivain vous parlera aussi de La Belgique déshabillée.

Tout ce que vous a débité là-dessus Lemer est radicalement absurde.

Aucun journal, c’est vrai, aucune revue même ne peut prendre ce livre total^ seulement, peut-être, (juelques fragments descriptifs. Il faut qu’il parais- se, neuf et entier, chez un éditeur. — 11 n’est pas l’éditeur assez bêle pour ne pas comprendre le pro- jramme minutieux que je vous ai envoyé. Il n’est pas d’éditeur assez bête pour ne pas comprendre que la condition que j’impose (paiement <lu livre quart par quart) est la meilleure garantie de mon ctivité. (C’est pour pouvoir finir le livre en France.)

J’accepte volontiers le secours de M. N [^écrivain n’est pas de cet avis), et je l’en remercie l’avance. Si M. N avait lu plus attentivement

lion programme, il aurait vu une ligne qui répon- ! ait à sa pensée : que l’impiété belge est une con- /•efaçoriy résultat de renseignement des réfugiés français. Quant aux lignes malhonnêtes et inju- rieuses qu’il accole au nom de Victor Hugo, j’en pense encore bien plus long que lui. Mais je ne puis pas le dire.

3o GH.VKLES BAUDELAIRE

Souvenez-vous que La Belgique déshabillée est un croquis très g^rave, très sévère, de suggestion sévêre^sous une apparence bouffonne, à l’excès quel- quefois. Ainsi tombent vos reproches à propos du bâton merdeiiœ, et d’autres expressions purement confidentielles. Je suis convaincu que l’éditeur auquel vous montrerez cet abrég-é de l’ouvrag-e ne s’y méprendra pas.

Maintenant, le courage me revient. Je vais /rema- nier Le Spleen, et remanier aussi Les Contempo- rains (enm’appuyant uniquement sur ma mémoire, hélas ! car le manuscrit est chez Lemer). J’aurai fini, le 20 Février, si mes évanouissements et mes vomissements ne reviennent pas. 11 me suffit donc que toutes les clauses soient vidées le 20.

Quant à votre dernier conseil, je ne puis pas le suivre. Jamais je ne trouverai le courage d’abord de déclarer à ma maîtresse d’Hôtel que je m’en vais sans la payer, ensuite de voler encore de l’argent à manière, de la bonté de quij’ai honteusement abusé.

Il est 6 h. Je n’ai plus le temps de vous remercier comme mon cœur le voudrait.

Tout à vous.

Relisez cette lettre, en commun avec M, Lécri’ vain, et discutez ensemble la valeur de chaque article (excepté les passages confidentiels sur ma pauvreté).

Il va me rester 20 fr. Je retourne dimanche à^ Malines voir Rops, et admirer de nouveau cette église des Jésuites dont je ne me lasserai jamais. LETTRES — 18G6 507

Pourvu que le wa^on ne me rende pas malade !

Je sais que M. Rops a fait une mag-nifique affîclic

)ur le cas de réimpression des Fleurs du Mal. 11 en veut 100 fr.

Mais les Garnier sont si peu cultivés qu’ils igno-

■nt peut-être le nom de M. Rops.

Il y a, chez un imprimeur de Paris, des clichés, fleurons, culs de lampe, majuscules ornées, qui avaient été préparés pour une g-rande édition des Fleurs du Mal (avis aux Garnier, sauf consulta- tion de Lécrivain).

A SAINTE-BhUVE

5 Février.

Mon cher ami,

La lettre est restée longtemps interrompue. J’ai été repris par les vertiges et les culbutes.

Ensuite, j’ai appris que vous étiez vous-même malade, ou que vous l’aviez été. Ceci m’inquiète et a inquiété Malassis. Il a été, à ce qu’il paraît, ques- tion d’une opération. Qu’est-ce que c’est que cela ? Où en êtes-vous ? ^

Pas de politesse d’écriture avec moi. Mais, je

»us en prie, chargez voire Ji dus Troubatês de

m’écrire f/uehpies lignes sur votre santé. Dites-lui

aussi, si vous pouvez pensera ces bagatelles, qu’il

serait bien aimable de me trouver le numéro d’un

)urnal nouveau^ L’Art, et de me renseigner sur

le autre publication périodique, en vers : Le

amasse (avec un adjectif à la suite). 5o8 CHARLES BAUDELAIRE

Malassis n’a rien trouvé de plus sur Volsenon. — Je crois qu’il a été un peu étourdi d’un petit sermon que vous lui avez adressé. Il avait eu, en efïet, une drôle d’idée (sans s’en douter). Moi qui sais que vous ne grondez jamais longtemps les gens qui vous aiment, j’en ai bien ri.

A propos d’amitié et d’ami renié, savez-vous que le magnifique vers : E^l comme un enfant mort, dans nos flancs ^ avant C heure ^

vers 12, p. 196, 2’^'"^ volume, se trouve traduit en prose, et très bien, ma foi ! dans une nouvelle de Paul de Molènes, I^a Pâtissière, je crois, his- toire de l’amour d’un />« //^//^ officier de cavalerie légère (style Molènes) pour une pâtissière ? L’image est transférée de l’amitié à l’a mour. Peut-être igno- rait-il qu’il vous copiait.

Mais vous êtes malade, et il se peut que je vous fatisTue.

Bien à vous.

A CHARLES ASSELINEAU

5 Février 1866.

… Ce n’est pas chose facile pour moi que d’é dire. Si vous avez quelque bon conseil à me donner vous me ferez plaisir. K proprement parler, depuii vingt mois j’ai été presque toujours malade… El Février de l’année dernière, violente névralgie à 1| tête, ou rhumatisme aigu, lancinant ; qumze jours à peu près. Peut-être est-ce autre chose ? Retour de la même affection, en Décembre. — En Janvier, LETTHES loOG âoy

i(re avenluie : un soir, à jeun,je me mets à rouler à faire des culbutes comme un homme ivre, accrochant aux meubles et les entraînant avec >i. Vomissements de bile ou d’écume blanche. >ilà invariablement la gradation : je me porle ! rfaitement bien, je suis à jeun, et tout à coup, lis préparaliou ni cause apparente, je sens du vague, de la distraction, de la stupeur ; et puis, une douleur atroce à la tête. Il faut absolument que je tombe, à moins que je ne sois en ce moment-là uché sur le dos. — Ensuite, sueur froide, vomisse- ments, longue stupeur. Pour les névralgies, on m’a- vait fait prendre des pilules composées de quinine, de \ritale, de belladone et de morphine. Puis, appli- cation d’eau sédative et de térébenthine, très inutile d’ailleurs, à ce que je crois. Pour les vertiges, eau Vichy, valériane, éther, eau de Pullna. — Le ’1 a persisté. Maintenant, des pibiles dans la com- pusition desquelles je me souviens qu’il entre de la valériane, ou de l’oxyde de zinc, de Tassa fœtida, te… C’est donc de l’antispasmodique ? — JLe mal persiste. Et le médecin a prononcé le grand mot : hystérie. En bon français : je jette ma langue IX chiens. Il veut que je me promène beaucoup, lucoup. C’est absurde. Outre que je suis devenu me timidité et d’une maladresse qui me rendent la insupportable, iln’y a pas moyen de sepromener ••ause de l’état des rues et des roules, surtout r ce temps. Je cède pour la première fois au désir ’ me plaindre. Connaissez voii< a- ’.piire d’infir- ité ? Avez- vous déjà vu ça ? . CHARLES BAUDELAIIIE

Merci encore une fois pour voire bonne lettre. Donnez -moi la distraction d’une réponse. Serre- ment de main à Banville, à Manet, à Ghampfleury, si vous les voyez.

A MONSIEUR ANGELLE

Mardi, 6 Février 1866,

Mon cher ami,

Je vous renvoie la note de M. Charles N,

pour éviter de céder à l’envie de lui jouer un mau- vais tour et de publier cette note. M. Charles N est sans doute très jeune, et d’ailleurs il aura été élevé parmi les professeurs. Ce n’est pas un joli monde. Je n’avais pas réfléchi d’abord à la singu- larité de son procédé. Veut-il m’imposer des hai- nes ? C’est indiscret. Suppose-t-il que je ne connais pas les ridicules de Victor Hugo ? C’est imperti- nent. Croit-il que je sois un ami aveugle et intime, de Victor Hugo ? Alors c’est un outrage personnel qu’il m’adresse. N’est-ce pas vrai ?

Je reviens à notre affaire ? (Mon Dieu ! comme Madame Ancelle doit m’en vouloir de vous chiper ainsi une portion de votre temps !)

M. Lécrivain n’a pu partir de Bruxelles que ven- dredi. Sa première observation, quand je lui ai lu votre lettre, a été : Lem^^r donne des détails biert minutieux pour une affaire entamée. S’il en savait., si long l’affaire serait pour ainsi dire conclue.

Voici la note que vous m’avez demandée depuis L^rrats — ^ ibG’J Hii

no^lomps pour Ilippolyte Garnier (au cas où

>us jetterions Lemer de côté). Mais attention ! —

. ’iner espérait sans doute tirer de MM. Garnier un

î’til bénéfice, très lé§^itime,au sujet de cette affaire.

’ suppose que vous la finissiez, mais il l’a com-

icncée, et il est évident que MM. Garnier seront

uchantés de trouver un prétexte pour le priver de

» qu’il attend. Il y a là des délicatesses à observer.

Notez cette phrase que vous retrouverez dans

une de ses deux lettres : Je persiste à considérer

’ijfaire non seulement comme bonne pour vous,

/’lis aussi comme excellente pour les Garnier.

Il Taura présentée ainsi. Je me creuse la cervelle

()ur songer i\ tout et ne rien oublier.

Une singularité dans votre note, écrite presque

"- ^-^ ’liriée de Lemer :

. ."ioo exemplaires, tirage des Fleurs I i.Hoo — — des Paradis !

i.ooo — — de Spleen !

et 2.000 — — des Contemporains ?

J’aurais supposé juste le contraire, puisque ce •riiier ouvrage est celui dont le succès est dou- ux (aux yeux du libraire, du moins). ^ J’ai été obligé de me remettre^ depuis quelques lit, et je crois que je n’en bougerai plus. li iKtp peur de mes étourdissemenls, et quelque- i^, au lit même, j’ai la tète lourde. Mais je suis rcté. Quant à la maîtresse d’Hôtel, je n’ose lus penser à elle.

Avez-vousq"" ! ’ Nui.o..c u.a mère ?

Tout à vous. 5X2

CHARLES BAUDELAIRE

Que Lemer n’égare rien. Il a la matière de trois volumes.

Note pour M. Hippohjte Garnier.

Il y a un an, j’ai chargé M. Lemer, un de mes anciens amis, de trouver un libraire qui voulût bien se charger de mes œuvres, un libraire solide et fort, qui pût leur donner une longue publicité. M. Lemer m’instruisit qu’il avait fait choix de MM. Garnier, mais que très certainement La Bel- gique déshabillée serait exclue du marché, si mar- 1 ché il y avait. Je ne pouvais pas, d’ailleurs, ne pas * trouver le choix de M. Lemer excellent. M. Lemer approuvait mon idée de rassembler mes œuvres chez le même éditeur, pour qu’elles pussent s’é- pauler les unes les autres ; et moi, sachant que les libraires actuels n’augurent pas toujours bien des œuvres critiques, je me disais qu’après tout on pouvait bien prendre les miennes, appuyées ainsi sur trois volumes amusants : Les Fleurs du 3Ial, Les Paradis artificiels elLe Spleen de Paris (pen- dant des Fleurs du Mal), dont Sainte-Beuve a, par avance, trop chanté les louanges dans Le Consti- tutionnel.

Et puis je n’ai plus eu aucunes nouvelles des résultats de cette offre.

Voici quelques notes qui ne sont pas inutiles :

— Fleurs 6/MJ/a/ (se demandent toujours, épui- sées depuis très longtemps). F dit ion définitive, augmentée cette fois de plusieurs pièces de vers LETTRES 186G 5l3

nouvelles, et de plusieurs pièces justificatives des plus curieuses (Théophile Gautier, Saînle-Beuve, de Custirie, d’Aurevilly, et d’autres). Tout cela est à ’ irai le chercher, aussitôt que ma santé me pcrnietlra de quitter Bruxelles.

— Le Spleen de Paris, pour faire pendant aux iirs du Mal. (En prose.) Le manuscrit est moitié Bruxelles), moitié à Honfleur.

— Les Paradis artificiels, études sur les effets physiques et moraux de Topium et du haschisch. (Livre à succès, peu connu.)

— Quelques-uns de mes Contemporains, artistes [)oètes, 2 vol.

Le Dessin (Ingres). La Couleur (Delacroix). Le r ! ii<- \>rnet). L’Eclectisme et le Doute (Scheller et Delaroche).La Beauté moderne.

Méthode de critique. — Delacroix et Ingres à l’Exposition universelle. — La reine des facultés. — Le public et la photographie, — L’artiste moderne, e^ic. — L’essence du rire. Caricaturistes français. — Morale du Joujou. — Le peintre de la Modernité (Constantin Guys de Sainte-Hélène). — L’Art didactique, écoles allemande et lyon- naise. — La vie et les œuvres de Delacroix.

I^dgar Poe, sa vie et ses œuvres. Victor Hugo. Desbordes-Valmore. Auguste Barbier. Pé- trus Borel. H. Moreau. G.Le Vavasseur. Th. de Banville. P. Diqiont. Th. Gaulier. Le- conte de Lisle. Bouvière. Bichard Was^ner.

3o. 5l4 CHARLES BAUDELAIRE

Les Dandies (Chateaubriand et autres). Sainte-Beuve, ou Joseph Delorme jug^é par l’auteur des Fleurs du Mal. Tout cela est à Paris.

A JULES TROUBAT

Mercredi des Cendres, i4 Février 1866. Cher M. Troubat,

J’ai envoyé à M. Sainte-Beuve, il y a une huitaine de jours, une lettre un peu folâtre qui est peut- être tombée d’une manière très intempestive. Car, comme j’achevais ma lettre, commencée depuis un mois, j’apprenais brusquement qu’il était malade. Qu’est-ce que c’est que cette opération dont a parlé la stupide Indépendance ? Vraiment, je suis inquiet, je vous l’assure, et je vous serai person- nellement très obligé de vouloir bien me donner nettement de ses nouvelles.

Merci, et bonjour à Champfleury. Si vous pou- vez m’envoyerX’.4r^, vous me ferez plaisir.

Veuillez agréer l’assurance de mes meilleurs sen- timents.

A POULET-MALASSIS

Vendredi, 16 Février 186G.

Mon cher,

J’ai reçu ce matin une lettre de Sainte-Beuve. Il est tout à fait tire d’affaire. Il s’agissait d’un engorLETTRES l80’> 5l5

gement au prépuce. On voulait le dissuader de se faire opérer, et on lui disait de vivre avec ça ; mais on ne doit pas (farder ces choses-là^ comme il dit, et il a tant tourmenté les gens qu’on l’a opéré. Un homme fort habile, à ce qu’il paraît, s’est chargé de cela ; mais il est survenu des compli- cations (sans doute des fièvres), et il m’écrit qu’il a beaucoup souffert. La fin de la lettre vousconcerne : …Je serais désolé que le petit mot que Troubat ’^rit à Malassis, et dans lequel il lui faisait en im de petites recommandations de prudence, eut chiffonné ce galant homme et cet excellent ami. Il y a répondu, d’ailleurs, de la manière la plus fjracieuse, en nous envoyant une drôlerie de àsenon qui a charmé l’un de mes intervalles de souffrance et qui nous a déridés quelques instants. — Je vais maintenant tout à fait bien…

A MONSIEUR ANCELLE

Vendredi, i6 Février 1866.

Mon cher ami,

M. Lécrivain est revenu à Bruxelles dans la it de mercredi à jeudi. Il a causé quatre fois avec Lemer, et n’est pas allé vous voir. Je lui ai (h-niandt- pourquoi, et il m’a fait cette singulière le n’ai pas voulu voir M, Ancelle, parce que j’ai craint de l’offenser en lui disant ce que ’"" pense : c’est à dire que MM. Garnier ne traite- nt pas plus avec lui Ancelle qu’avec Lemer. 5l6 CHARLES BAUDELAIRE

Les visites de M. AnceUe chez MM. Garnier ne serviront quà persuader à ceux-ci que vous avez un violent besoin d’argent, et plus vous le laisserez voir, et moins ils seront pressés de conclure.

M, AnceUe peut traiter en votre nom, mais avec des lettres de vous. Mais le plus raisonnable serait d’aller à Paris traiter vous-même, et sur- tout de ramasser et de mettre en ordre les élé- ments des deux autres volumes, puisque Lemer n’en a que trois. Les Garnier sont très défiants.

De mes conversations avec Lemer, il résulte pour moi que, comme je V avais deviné, les chiffres indiqués par Lemer à M. Ancelle sont des chiffres l en l’air ne représentant que les calculs approxi-T matifs de Lemer, et ne signifient donc absolument rien, puisque Hippolyte Garnier n’a fait aucune ofFre réelle.

Des mêmes conversations, il résulte que M M. Gar- nier ont envie de faire l’affaire, mais qu’ils traînent en longueur afin d’avoir plus facilement raison de vous, — de plus (ici, mon cher Ancelle, attention !) qu’ils voudraient surtout acquérir ces cinq volumes en toute propriété.

Quant aux idées de Lemer sur votre Belgique, ; elles sont stupides. M. Ancelle devrait voir Dent ou Faure (avec des lettres de vous) et montrer ce plan qui suffit parfaitement.

Ainsi, mon cher Ancelle, voilà des raisons pour enrayer votre beau zèle. Mais je vous suis très re- connaissant, je vous le répète. Je crois seulement qu’il n’y aurait pas eu mal à faire une visite à

i LETTRES — 18G6 517

M. Hippolyte Garnier, à lui remettre la petite note que je vous ai envoyée, à lui dire que je suis ma- lade, qu’en Mars j’irai probablement à Paris exprès pour le voir, apportant avec moi Le Spleen de Pa- ri s, ti(\\\’Qui\n j’irai à Honfleur chercherais Fleurs du J/a/,avec les additions et les pièces justificatives. Dans la conversation, vous trouverez bien moyen de le tâter un peu.

Pour votre gouverne, il faut que je vous expli- que la phrase de Lécrivain, relative à la propriété. Accepter un pareil arrangement, ce serait une im- mense sottise. Jamais les Garnier ne consentiraient à me donner une somme assez forte pour l’exploi- ition, pendant toute ma vie et les trente ans qui suivront ma mort, de ces cinq volum.es.

Puisque je n’ai aucune fortune, il faut que mes Hvres me fassent une petite rente, et j’aime mieux, croyant fermement au succès, recevoir une série indéterminée de petites sommes. J’ai aliéné à tout jamais ma traduction de Poe, et je m’en suis mille )is repenti. Supposons seulement deux tirages de chaque volume à deux mille exemplaires, à o fr. 3o parexemplaire. Cela faitvingtmilleexemjjaires, soit <).ooofr.Je parie qu’ils ne consentiraient même pas i me donnercette somme pour la propriété entière, ’ >r, faisons un simple calcul sur mes poésies seule- ment : si, pendant trente ans, on en vend seulement leux cents exemplaires par an, cela donne un résultat net de six mille exemplaires, soit 1.800 fr.de droits d’auteurs, dont MM. Garnier bénéficieraient. Suppo- sons cinq cents exemplaires par an, cela fait quinze OIO CHARLES BAUDELAIRE

mille exemplaires, soit 4.5oo fr. Or, Les Fleurs du Mal se vendront longtemps. Opérez maintenant le même petit calcul, le plus modeste possible, sur les autres volumes, et vous verrez le résultat.

Je vais mieux, je ne vais pas bien. On me parle de la nécessité de beaucoup me promener, de sui- vre un régime ferrugineux, et de prendre beaucoup de douches, sans compter les antispasmodiques, comme ceux que j’ai pris. Tout cela est bien en- nuyeux, et il est impossible de se promener ici. De plus, les appareils à douches sont mal faits.

Mes respects à Madame Ancelle.

Tout à vous. Ecrivez-moi.

Je n’ai pas encore osé me remettre au travail. Je vous enverrai une lettre pour Dentu d’abord, puis pour Faure.

A MONSIEUR ANCELLE

Dimanche, i8 Février 1866.

Mon cher ami,

Votre terrible lettre vient d’arriver, comme la mienne partait.

Je suis désolé queLécrivain ne soit pas allé vous voir, ou que vous n’ayez pas attendu ma lettre. Lécrivain était convaincu que le traité se ferait chez les Garnier. Il y a eu, je le vois bien, des malen- tendus dans cette conversation. Hippolyte Garnier n’avait pas vu Lemer — depuis un an ! Que signiLETTf\ES 1866 5 19

fie donc la lettre ou plutôt les deux lettres de Leme que je vous ai envoyées, et la visite de Garnier à Sainte-Beuve ? — Que je sois à Bruxelles, qu’im- porte ? j’ai bien fait ici un livre (le dernier) pour Michel Lévy.

Les Paradis ont eu un très (/ranci succès litté- raire ; peu de livres ont obtenu autant de comptes rendus. La dég-ring^olade de Malassis, seule, a empê- ché la diffusion et le succès d’aro^ent.

Les Contemporains sont absolument inconnus. Plusieurs fragments ont paru, mais dans des jour- naux inconnus, arrhi-icfnorés.

Les Fleurs du Mal, livre oublié ! Ceci est trop i^êle. On les demande toujours. On commencera peut-être à les comprendre dans quelques an- nées.

— Iletzell mais il n’yapas même euun commen- cement d’exécution avec Hetzel. Il m’avait acheté î^e Spleen de Paris et Les F leur s. Mais, à Bruxelles, où nous nous sommes vus, comme je lui disais que je voulais tout vendre d’un coup, il m’a rendu ma parole, parce qu’il croyait comme moi^ comme Lemer,que ces deux volumes faciliteraient la vente du tout. Il n’y aura à régler avec Hetzel qu’une toute petite question d’argent.

Et maintenant, que faire ? Diviser le tout en lots ? Je crois cela imprudent et long. Voulez- vous entamer une nouvelle négociation, ne fût-ce que légèrement, en attendant que j’aille à Paris ? Vous sentez-vous bien ferré actuellement ? Mais méfiez-vous de tout mouvement subit, de toute inspiration, et n’allez qu’à pas bien comptés.

Liste d’éditeurs possibles

Lévi (Michel).

Il y a deux ans, je lui ai offert le tout. Il voulait traîner, pour avoir bon marché de moi. Il a su que je négociais avec Hetzel. Il est devenu furieux et m’a dit qu’Hetzel avait pris le dessus du panier. S’il faut en revenir à Michel, il faudra lui dire que c’est en pensant à lui que j’ai fait annuler mon traité avec Hetzel, et que Les Fleurs et Le Spleen sont rentrés dans mes mains.

Mais un mensonge, et des rapports désagréables (toujours désagréables !) avec Michel Lévy, quelle humiliation !!!

Maison Hachette (aujourd’hui ses gendres). Grande et solide maison. Deschanel m’a offert de m’y présenter. J’y suis d’ailleurs bien connu. Mais songez quelle horreur ma littérature doit inspirer dans une maison de pions, de professeurs, de pédants, de cuistres, de littérateurs vertueux à tant la ligne, et autres canailles !

Faure.

Très bon choix. Mais il est venu à Bruxelles, j’ai dîné avec lui, et s’il avait eu quelque envie de mes livres, il me l’aurait témoigné. Quant à moi, je ne lui ai rien offert.

Amyot,

Bon, mais un pis aller.

Didier. i.F,rrRr^s — 18OG 621

Ijon, mais un pis aller.

— Dentii,

Relisez la dernière phrase de ma lettre à Dentu, envoyée aujourd’hui à vous. Peut-être y trouverez- vous une entrée en matière. Mais si vous jugez cela faisable, ne causez que légèrement. En affaires, il faut toujours inspirer le désir, et n’avoir pas l’air d’être à la merci des gens. — Ci-joint une note pour DentUjdans le cas seulement où vous lui parlerez de cette affaire, sans compter La Belgique désha- billée.

A propos, vous me parlez de retranchements que vous faites dans mes notes. Si vous en avez fait dans le plan de La Belgique^ c’est la version pri- mitive qu’il faut prêter à Dentu.

Et vous avez été assez enfant pour aller écou- ler ce betit bétat de D ! professeur pour demoiselles ! démocrate qui ne croit pas aux mira- cles et ne croit qiiaa bon sens ( !), parfait représen- tant de la petite littérature, petit vidgarisateur de ’ 'oses vulgaires, etc.. î

ilier, samedi 17, il était joliment traité à propos de cette conférence, dans la Chronique du Temps signée de la Madelène. — Et cette leçon lui était ^^^mnée d’une main vraiment badine et légère.

l^t vous avez été assez enfant pour oublier que France a horreur de la poésie, de la vraie poé- sie ; qu’elle n’aime que les saligauds, comme Bé- ranger et de Musset ; que quiconque s’applique à

tire r orthographe passe pour un homme sans CHARLES BAUDELAIRE

cœur (ce qui est d’ailleurs assez logique, puisque la passion s’exprime toujours mal) ; enfin, qu’une poésie profonde, mais compliquée, amère, froidement diabolique (en apparence), était moins faite que toute autre pour la frivolité éternelle !

Faut-il vous dire, à vous qui ne l’avez pas plus deviné que les autres, que dans ce livre atroce j’ai mis tout mon cœur, toute ma tendresse, toute ma religion (travestie), toute ma haine ? Il est vrai que j’écrirai le contraire, que je jurerai mes grands dieux que c’est un livre d'art pur, de singerie, de jonglerie, et je mentirai comme un arracheur de dents.

Et à propos ! Qu’est-ce que c’est donc que la poésie fantaisiste ? Je ne pourrai jamais le deviner. Je défie D de l’expliquer, comme je défie

un journaliste ou un professeur quelconque d’ex- pliquer le sens d’un seul des mots dont il se sert. — Il y a donc une poésie fantaisiste, et une poésie qui ne l’est pas. Qu’est-ce que c’est que celle-là qui n’est pas basée sur la fantaisie de l’artiste, du poète, c’est à dire sur sa manière de sentir ?

A propos du sentiment, du cœur, et autres salo- peries féminines, souvenez-vous du mot profond de Leconte de Lisle : Tous les élégiaques sont des canailles !

Assez, n’est-ce pas ? Et vous me pardonnez ma diatribe. Ne me privez pas du seul ami à qui je puisse dire des injures ! Mais comprend-on une pareille idée ? aller à une conférence de D ! - i8CG r)2 3

L’li\ o : iLii., iju- >v,M^ iii’indicjuez est adoptée et mise en pralique par rnoi depuis deux. ans.

L’offre que vons m’avez faite d’intervenir pour me débarrasser de Bruxelles me répugne souverai- nement, à moins que nous n’ayons derrière nous la g-arantie de traités littéraires avec échéances

arquées pour les paiements. Je vous parlerai de

•la un autre jour.

Vos lig^nessurce joli pédant m’ont mis en fureur.

>ng-ez donc qu’en général Terreur me cause des crises nerveuses, excepté quand je cultive volon- tairement la sottise, comme j’ai fait pendant vingt Mspour le siècle, pour en extraire la quintessence.

Excepté Chateaubriand, Balzac, Stendhal, Méri- mée, de Vig-ny, Flaubert, Banville, Gautier, Leconte de Lisle, toute la racaille moderne me fait horreur.

»s académiciens, horreur. Vos libéraux, horreur. La vertu, horreur. Le vice, horreur. Le style cou- lant, horreur. Le progrès, horreur. Ne me parlez plus jamais des diseurs de riens.

Tout à vous.

Je suppose que les loo fr. sont en rqjjte. Soyez iident avec Dentu. Vous pourrez, à la vérité, outer que La Belgique déshabillée, sous une I me badine, sera, on beaucoup de points, un livre issablement sérieux, et que le but de ce livre sati- jue est la raillerie de tout ce qu’on appelle/)ro<7^ ; rs, (|ue j’appelle, moi, le paganisme des imbéciles, et la démonstration du gouvernement de Dieu, l-ce clair ? 5 : ^4 CHAULES BAUDELAIRE

Si vousjiiffez à propos de vous ouvrir à Dentu sur la grosse affaire, il faut trouver une explica- tion plausible pour le refus de Garnier. Le refus d’un premier décourage le second, et ainsi de suite, par une progression accumulative.

Quant à ma manière de traiter, j’inclinerais plu- tôt vers le système :

— Tant d’exemplaires par édition.

— Tant pour Fauteur par exemplaire. Que vers le système :

— Abandon de propriété absolue.. Ou même :

— Abandon pour un nombre d’années déter- miné.

A MONSIKUR ANC ELLE

Dimanche, i8 P’évrier 18G6,

Mon cher ami,

Je présume que maintenant, d’après toutes mes lettres, vous savez toutes mes affaires par cœur.

Avez-vous vu M. Hippolyte Garnier, et lui avez-^ vous remis la note à lui destinée, en lui disant que’ je tâcherai d’aller le voir ? (Je ne connais pas les heures où il est chez lui.) Maintenant, parlons de La Belgique. Voici une lettre d’introduction explicative pour M. Dentu, libraire-éditeur, au Palais-Royal. (Je ne connais pas non plus ses heures.) Lisez la lettre, et puis cachetez-la.

N’ayez pas l’air trap pressé avec Garnier. Mais tâtez-le. Dentu est un bon garçon ; mais, comme il est rès affairé et très irrégulier, vous devriez, en déposant cette lettre chez lui, lui demander par écrit de vous indiquer un rendez-vous.

Ayez la bonté de ne pas rester trop longtemps sans me répondre. D’abord, une réponse immédiate, relative à cette lettre ; ensuite, une réponse relative à Garnier, et puis une relative à Dentu, J’attends votre première lettre après-demain^ 20,

J’ai eu tout à l’heure une scène des plus désagréables avec mon hôtesse. J’ai dans ma chambre 100 fr.Avec ces 100 fr. (sur Mars), cela fera 200, somme qu’on peut offrir Je vous enverrai cette semaine un paquet pour le directeur du Monde Illustré qui vous remettra sans doute 300 fr. pour moi. Du moins, il me l’a promis. Et ce qui était bon, il y a trois mois, doit être encore valable aujourd’hui.

Je remettrai ces 3OO fr. au monstre du Grand-Miroir. Dans l’intervalle, il est permis de croire que vous traiterez avec Dentu ou avec Faure, et tous les acomptes, donnés au fur et à mesure que je livrerai le manuscrit, iront au Grand-Miroir. — Lisez bien la lettre préparée pour Dentu, et déposez-la avec le plan dont vous avez fait faire une copie) chez lui ou à sa librairie, et avec la demande d’un rendez-vous.

Si les choses sont gouvernées comme je le désire, je trouverai plus tard, à peu près intacte, la somme le je pourrai tirer des Garnier.

Tout à vous. Ne me négligez pas, et renouvelez encore mes excuses à Madame Ancelle. ÔiÔ CHARLES BAUDELAIRE

Je vais toujours cahin-caha. Une idée m’est ve- nue, baroque, il est vrai : c’est qu’il se pourrait bien que mes accidents de Janvier et de Février fussent le résultat d’un empoisonnement causé parle trai- tement de Décembre contre les névralgies (digitale et belladone) I

Et puis les lettres de ma mère ne me rassurent pas du tout sur sa santé.

Enfin, j’ai toujours la cervelle martelée par une foule de choses.

Je ne trouve pas d’enveloppe pour Dentu. Fai- tes-la vous-même. Dentu, Galerie d’Orléans.

Sur votre lettre chargée, ne mettez que ces mots : 28^rue de laMontagne. Pour après-demain, mardi, n’est-ce pas ?

A MONSIEUR DENTU

Dimanche, i8 Février 1866. Monsieur,

Il y a deux ans, vous m’avez dit, si j’écrivais quel* que chose sur la Belgique, de vous en faire part. Peut-être pensiez-vous alors à une description de monuments. La mariée est peut-être devenue tropt belle pour vous. Il s’agit maintenant d’un croquis de mœurs, où tout, ou presque tout, doit entrer sans compter les descriptions, surtout à propos dé quelques villes où les guides imbéciles et routîA niers n’ont rien su voir.

Un de mes vieux amis, M. Ancelle, vous remettra LETTRES 18O6 527

OU vous fera lemettreun plan très minutieux deTou- vrage(un volume de dix feuilles au moin^, trois cent i^t, ou trois cent soixante, ou quatrecentsçages). L est un plan fait pour être lu par un éditeur, et non pas une table des matières. Voici la Belgique un peu à la mode, grâce à la bêtise française. Il est temps de dire la vérité sur la Belgique, comme sur V Amérique, autre Eldorado delà canaille fran- çaise, — et de reprendre la défense de l’idéal vrai- ment français.

Le livre (ou plutôt mes notes) est si abondant e je serai obligé de faire des coupures, — pas • nd mal à ça. Il y a des redites. Figurez-vous l’état où Proudhon a laissé ses manuscrits. En un mois, ça peut être mis dans un état présentable. .Mais j’ai juré de ne plus écrire une ligne sans la garantie d’un traité. Je ne désire aucune somme d’argent immédiate, mais je désire une série de paiements partiels, au fur et à mesure que je livre- rai le manuscrit. Cet arrangement est une excellente méthode pour accélérer l’achèvement du livre, et le traité devient nul, si je ne le livre pas en entier, on si je meurs, etc. . . Et même, à la rigueur, dans cas, je pourrais garantir le remboursement des mptes.

le suis actuellement maître de tous mes livres, is exception. J’aurais peut-être voulu vous offrir antage, mais un de mes amis, que j’avais chargé mes affaires, a entamé avec quelqu’un un arran- iientdont je dois avec loyauté attendre la solu- u ou le refus. 028 CHARLES BAUDELAIHE

Veuillez agréer, cher Monsieur, l’assurance de mes sentiments bien distingués.

M. Ancelle demeure : Avenue de la Révolte, n° 1 1.

A MONSIEUR ANCELLE

Cette nuit, du i8 au 19.

Il y a encore, mon cher ami, une chose qu^il faul que vous pesiez attentivement dans votre esprit, c’est que s’il était possible de renouer avec Michel Lévy (voir la note qui le concerne dans la lettre précédente), malgré que ses manières et sa hideuse avarice m’inspirent beaucoup de répuç^nance, il y aurait peut-être avantage, à cause de la puissance de sa librairie. Mais il pourrait dire, à propos de La Belgique et de Dentu, comme il a dit, il y a deux ou trois ans, à propos de M. Hetzel : Je veux tout ou je ne prends rien.

Mais comment tâter Michel ? Encore une raison pour moi d’aller à Paris.

Plus je réfléchis à ce dénouement chez les Gar- nier, plus je suis étonné :

Contradiction avec les deux lettres de Lemei que vous avez, — avec la lettre de Sainte-Beuve, — avec la manière dont vous aviez été une premièrç fois reçu, — et avec l’opinion rapportée ici pai Lécrivain. LETIRLS l8G0 529

A MONSIEUR ANGELLE

Lundi, 19 Février 18OG.

Mon cher ami,

Voilà que je reçois ce matin une lettre fort sin- gulière de M. Troubat, secrétaire de Sainte-Beuve, qui me parle avec beaucoup de sympathie de I. Lemerre, éditeur très zélé et très inteUiffent, (iil-il, qui a témoig-né le désir de réimprimer Les Fleurs du Mal. Je réponds à M. Troubat que je vous ai chargé de placer tout.

Ce renseignement vaut-il que vous interrompiez toute démarche ; je ne le crois pas. (Mais il fau- drait peut-être savoir ce que c’est que M. Lemerre, passage Choiseul, 47-)

Sainte-Beuve étant au courant de mes ennuis,

Troubat (qui, en général, ne pense que par Sainte-

’>euve) ne doit pas parler à la légère.

Du reste, voici la lettre, passablement énigmati-

que. Je ne peux même pas comprendre au juste si

l’on me désigne ce monsieur comme un éditeur dis-

[)Osé à prendre généralement toutes choses de moi,

ien disposé pour moi, d’une façon #ague, une

spèce d’ami inconnu, ou simplement comme un

bon éditeur, pour poésies seulement.

îe présume que les deux lettres que vous aurez

t’çues avant celles-ci vous auront frappé, il faut

are attention à tant de choses ! J’ai vraiment

lonte en pensant à tous les tintouins que je vous

cause, et j’ai pitié de vous.

3i 530 CHARLES BAUDELAIRE

Et puis, quand je pense que dans ce chien de pays je n’ai trouvé que vol, mensonge, perles for- cées d’argent, et que, par surcvoîl^ la Belgique ne m’aura servi qu’àrendre toutes mes affaires à Paris plus difficiles, je suis pris d’une sorte de fureur.

Beaucoup de prudence, je vous en prie.

La vie me devient ici de plus en plus intoléra- ble. Je crois que les économies forcées que j’ai faites, pendant deux mois ou six semaines, ont exaspéré cette mégère. Même quand on ne paie pas ces gens-là, il faut dépenser chez eux. Un malade qui mange beaucoup est honoré.

Aprês-midL

M. Lécrivain sort de chez moi. Je lui ai lu votre lettre, et celle des Garnier. Lécrivain était aba- sourdi, tant l’affaire lui paraissait sûre. Il m’a fait recommencer la lecture et m’a dit : Ou est-ce que ce traité avec Lemer ? (Je n’ai jamais eu de traité avec Lemer.) — Ou est-ce que c’est que ce traité avec Hetzel ? (Je lui ai raconté alors l’affaire Het- zel.) Alors, il a conclu (en se souvenant que Lemer l’avait beaucoup consulté lui-même, Lécrivain, sur la valeur de cette affaire) que Lemer avait présenté l’affaire aux Garnier comme lui appartenant, mais en même temps de manière à les en dégoûter, vou- lant peut-être la faire lui-même et la revendre, ou simplement en dégoûter les autres.

La lettre que vous attribuez aux Garnier, et qui est de quelque commis, est en effet si bête et si LETTRES 18G6 531

|)leine de faussetés qu’il faut supposer quelque |)etit mystère.

Observez que Lemer seul connaissait le traité

avec Hetsel, qui n’a pas reçu son exécution, et que

est sur les conseils de Lemer (qui prétendait que

Le Spleen et Les Fleurs décideraient l’affaire) que

je suis allé prier Hetzel de me rendre ma liberté.

Lemer a vu Hippolyte cinq fois. Je vous répète mes conseils de prudence.

Ne voyez personne sans me consulter. Tournez la page.

J’ai peur maintenant que cet insuccès chez les Garnier n’influence fâcheusement Dentu. Il fau- drait, comme on dit, le voir venir, c’est à dire que peut-être dans la conversation il peut lâcher ces mots : Qu’est-ce que c’est donc que ces autres rolumes pour lesquels un ami de M. Baudelaire a entamé une affaire ? etc.. Alors, vous pourrez vous lâcher.

A JULES TROUBAT

Lundi, 19 Févqier 1866.

Mon cher Troubat,

Je suis, je vous l’assure, très sensible à la preuve amitié que vous me donnez ce matin. Vous savez Mie je ne suis pas un enfant gâté de la vie.

Mais je vous dirai que votre lettre m’a paru tant ’It peu énigmatique ; qu’est-ce que c’est que 532 CHARTRES BAUDELAIRE

M. Lemerre ? Sérieusement, je ne le connais pas du tout.

Pendant deux mois, Julien Lemer m’a laissé croire qu’il traiterait pour moi avec MM. Garnier pour la totalité de mps livres, excepté Poe et La Belgique déshabillée. Et puis un de mes amis, qui est allé les voir, m’apprend hier qu’HippoIjte Gar- nier prétend n’avoir jamais vu Lemer, et que, de plus, ces messieurs refusent.

Or, mon ami va se remettre en quête d’un édi- teur. Je crois même qu’il a déjà demandé un ren- dez-vous à Dentu. — Faut-il prier mon ami de ces- ser toute démarche ?

Je crois que j’irai à Paris, vers le i5 Mars. Car il faut que cette situation cesse. Tout le monde m’oublie. Il me faut un éditeur pour la collection de mes articles Variétés, 3 vol., un éditeur pour Les Fleurs du Mal, très aug-mentées, et Le Spleen de Paris (poèmes en prose), je fais les dernières pag-es^ 2 vol., et un éditeur pour La Belgique déshabillée, i vol.

Je relis cette petite lettre, et je ne comprends pas du tout si vous me recommandez M. Lemerre comme disposée Sicheier généralement des ouvra- ges de moi, ou seulement des livres de poésie.

Un petit mot de réponse, Je vous en prie.

Je suis assez content de mon Spleen.En somme, c’est encore Les Fleurs du Mal, mais avec beau- coup plus de liberté, et de détail, et de raillerie.

Merci, et bien à vous. LETTRES î8G6 533

A MONSIEUR ANCELLE

Mercredi, 21 Février 1866.

Mon cher ami,

J’ai attendu votre réponse (pour les 100 fr.),hier matin, à 8 h., à 3 h., et à 6 h. du soir, et puis aujourd’hui, aux mêmes heures. Sans doute, vous désirez me transmettre en même temps des nou- velles de Dentu. Mais, dans ce cas, je risque d’at- tendre lonj^temps. Vous ne sentez pas jusqu’à quel point ma situation est tendue, — Je vous ai, selon votre désir, transmis quelques notes sur les librai- res possibles ; mais, excepté pour Dentu, chez qui vous étiez allé à tout hasard, je vous eng-ag"e à lais- ser tout cela de côté, pour le moment. Lécrivain voulait vous dire cela et il n’a pas osé. Ne m’en veuillez pas, mon cher ami, de ce que je vous dis là, et croyez que je f^arde une vive reconnaissance de toute l’amitié et de tout le dévouement que vous m’avez montrés. Mais franchement, tous ces tripo- taeres, toutes ces considérations de commerce sont choses neuves pour vous, et puis je cr^ns que dans ce Paris, où tout se répète comme dans un village, vous ne fassiez trop rapidement le tour des libraires possibles, et ne rendiez, sans le vou- loir, l’alfaire impossible, ou du moins trop difficile. Mais ma grosse raison, je crois, — raison qui ne prouve que mon extrême faiblesse de caractère, — est que l’alleutc de vos réponses me cause une agi- tation qui m’empêche complètement de travailler.

3i. 534 CHARLES BAUDELAIRE

Malgré vents et marées j’irai à Paris, le i5 Mars, et, après avoir causé, légèrement, avec quelques individus, je verrai s’il y a Heu de diviser mes livres en deux paquets, ou si, comme cela paraît plus raisonnable, je dois m’obstiner à n’en faire qu’un bloc.

Quant au mi/slère Lemer-Garnier, je n’en cher- cherai même pas la solution ; Lemer seul a cette clef, et il a sans doute ses raisons pour ne pas la donner.

Dans une de vos dernières lettres, vous me dites que le médecin de ma mère passe pour un homme incapable, mais qu’il ne faut pas le dire. Gela m’a beaucoup alarmé. Nous couvons tous une maladie. Jugez combien je serais inquiet si l’état de ma mère s’aggravait ! Je vous obéirai ; mais fran- chement, j’aurais fait le raisonnement contraire.

Depuis trois jours, j’ai déjà entamé les loofr. qui étaient soigneusement serrés. Ainsi, quand vos 100 fr. arriveront, je ne pourrai plus offrir que 190 fr. Et si on les rejette avec mépris ?

Présentez, je vous prie, mes bons souvenirs à Madame Ancelle.

Tout à vous, et merci.

A MADAME ANCELLE

Lundi, 26 Février 1866.

Madame, Remerciez bien votre mari de tout le soin qu’il LETTRES — 1866 535

\eat bien prendre de mes affaires. Je serais fort ingrat, si je ne reconnaissais pas quel mérite il a à me consacrer ainsi une partie du temps qu’il doit aux siennes.

Je ne vous ai pas tout de suite accusé réception de vos 100 fr., parce que, le jour même où ils sont arrivés, je venais d’être repris par un rhumatisme ’ la tête. Cela ne permet pas d’écrire.

Veuillez agréer. Madame, l’assurance de mes sentiments bien distingués.

Pour amuser M. Ancelle qui est grand collec- tionneur de curiosités, j’enferme dans cette lettre une ignominie que je vous serai fort ofAicjé défaire copier pour moi. Car, puisque la sottise belge j ; igne même les Français, il faudra que je parle de ela dans mon livre sur la Belgique, Ce baron de i’onnat dont il est (juestion ici est cet imbécile qui avait créé Le Candide, journol athée et maté- rialiste, quia été supprimé.

Je vous demande pardon, Madame, de me ser- vir de votre canal pour faire passer toutes ces saletés. — Dans la copie, faites soulign ? r les pas- sages soulignés.

Gomme je crains d’offenser Madame Ancelle par ce bizarre envoi, je me ravise et je mets sur la

suscription : Pour remettre à 31. Ancelle.
A JULES TROUBAT
Lundi, 5 Mars 1866.

Mon cher Troubat,

Je crois que j’ai oublié de vous remercier de votre lettre du 20 Février. — J’ai reçu de M. Lemerre deux des trois numéros de L’Art contenant l’article qui me concernait. L’oubli du premier numéro ne vaut pas que vous le dérangiez. J’ai parcouru ces deux journaux. Ces jeunes gens ne manquent pas certes de talent, mais que de folies ! que d’inexactitudes ! quelles exagérations ! quel manque de précision ! Pour dire la vérité, ils me font une peur de chien. Je n’aime rien tant que d’être seul.

Je persiste dans mon idée de faire un bloc de mes six volumes. Je suivrai le conseil de Sainte-Beuve ; j’irai moi-même tâter la fortune à Paris, dans une vingtaine de jours. Je verrai peut-être ce M. Lemerre, mais je ne lui parlerai qu’avec beaucoup de discrétion, et seulement de quelques mignonnes brochures, principaux extraits des trois volumes de Variétés critiques, brochures que je conçois faites dans le système de la Bibliothèque originale. Mais cela n’est pour moi qu’un horrible pis aller, pour le cas où je ne pourrais pas imposer ces Variétés en même temps que Les Fleurs du Mal, Le Spleen de Paris et La Belgique déshabillée. Ah !Le Spleen, quelles colères, et quel labeur il m’a causés ! Et je reste mécontent de certaines parties. r.F.TTRES 1866 537

Je vous ai conté le désastre Lemer-Garnier, M. Lécrivain, qui a vu Lemer à son dernier vojai^c à Paris, est convaincu que Lemer a présenté la chose à Garnier aussi maladroitement que possi- ble, mais avec préméditation, pour me contrain- dre à me réfui^ier chez lui. Je n’aime pas ces idées trop profondes. Mais Lemer m’est devenu sus- pect.

Vous seriez bien gentil de me trouver l’adresse de Léon de Marancour, — vous trouverez ça chez Achille Faure dont j’ig-nore aussi l’adresse.

Je pense à Dentu^ à Faure, et peut-être à me rabibocher avec ce monstre de Lévij, Mais je suis devenu plus bête, plus gauche que je n’ai jamais été.

J’ai été bien heureux d’apprendre le rétablisse- ment de Sainte-Beuve. Je n’aiéprouvéd’émotions de ce genre, pour la santé d’autrui, que pour E. Dela- croix qui était pourtant un grand égoïste. Mais es affections me viennent beaucoup de l’esprit.

J’espère bien qu’à Paris nous dînerons un soir ivec lui (Sainte-Beuve).

Tout à vous. •

Je vous apporterai, à vous, et à lui, une baga- elle qui n’a d’autre mérite que la rareté.

A ERNEST PRAROND

29 Mars 186O. Mon cher Prarond,

Je vous suis très reconnaissant pour le livre 538 CHARLES BAUDELAIRE

Airs de flûte que vous avez eu la bonté de m’a- dresser. Je Tai rapidement parcouru, et il m’a fait Teffet d’être ce que j’appellerais les annales de Tamitié. J’oubliais de vous remercier aussi du char- mant souvenir qui est en tête.

Quant à la lecture du volume, je ne peux vous parler que de ce que j’ai déjà lu : La Question d Orient. Je la trouve excellente, ma^-nifiquement rimée et très drôle. J’attire seulement vos yeux sur le vers 5 (page 270) qui est faux.

Je lirai tout le reste, cher ami, et je vous remer- cie de tout mon cœur. Je suis un peu malade^ et je ne vous écris pas moi-même.

Tout à vous.

A MONSIEUR ANGELLE

Vendredi, 3o Mars 186G. Mon cher ami,

Je vous remercie vivement de votre toute cor- diale lettre, j’en apprécie tous les excellents senti- ments ; mais je vois avec peine que d’un côté vous vous pressez un peu trop, et que de Vautre c’est surtout pour complaire à ma mère.

1. — Je ne peux pas bouger.

2. — J’ai des dettes.

3. — J’ai, pour finir mon travail, cinq ou si> villes à visiter.

Nous nous entendrons par lettres infiniment bicr sur une foule de points. Ne négligez pas lafemmt de l Hôtel.

Sans recommencer l’affaire Dentu, sachez seulement ce qui s’est passé dans son esprit, et ne lui laissez le plan que s’il tient à faire l’affaire. Dites-lui, si vous voulez, que je suis souffrant, mais ne lui dites pas la vérité sur mon cas.

Écrivez-moi quelques mots et présentes mes respects à votre femme.

Ma mère voulait offrir 1.000 fr. à cette fichue bête ; obéissez-lui.

Excusez mon style écourté, J’emprunte la plume d’un autre.

Tout à vous.

L’an mil huit cent soixante-sept, le premier Septembre, à dix heures du matins,

Devant nous, Pierre Klein, chevalier de la Légion d’honneur, adjoint au Maire du seizième arrondissement de Paris, officier de l’État-civil,

Ont comparu :

Narcisse Désiré Ancelle, âgé de soixante-cinq ans, chevalier de la Légion d’honneur, maire de Neuilly (Seine), y demeurant,

Charles François Alexandre Asselineau, âgé de quarante-sept ans, propriétaire, demeurant à Paris, rue du Four-Saint-Germain, 43,

Lesquels nous ont déclaré que, le trente et un Août dernier, à onze heures du matin, est décédé en son domicile à Paris, rue du Dôme, 1, Charles Pierre Baudelaire, âgé de quarante-six ans, homme de lettres, né à Paris, ancien onzième arrondissement, célibataire, fils de Joseph François Baudelaire, décédé, et de Caroline Dufays, sa veuve, âgée de soixante-dix ans, rentière, demeurant à Honfleur (Calvados).

Après nous être assuré du décès, nous avons dressé le présent acte que les déclarants ont signé avec nous.

ANCELLE. ASSELINEAU. KLEIN.


ÉTAT DES LETTRES



1841
20 Octobre — A. M. Ad. Autard de Bragard 7
1844
— À Sainte-Beuve 9
1845
— À Monsieur R 10
— À Monsieur 12
1846
— À la Société des Gens de Lettres 13
— À la Société des Gens de Lettres 13
— À Monsieur Godefroy 14
— À la Société des Gens de Lettres 14
1849
— À Monsieur Ancelle 16
1850
10 Janvier — À Monsieur Ancelle 17
12 Janvier — À Monsieur Ancelle 25
8 Mai — À Gérard de Nerval 26
15 Juillet — À Poulel-Malassis 27
1852
3 Février — À Armand Baschet 28
23 Février — À Monsieur Godefroy 29
23 Février — À la Société des Gens de Lettres 30
5 Mars — À Monsieur Ancelle 30
— À Théophile Gautier 32
20 Mars — À Poulet-Malassis 32
Mai — À Antonio Watripon 34
18 Août — À Monsieur O 36
30 Août — À la Société des Gens de Lettres 38
19 Octobre — Au Docteur Véron 39
— À Madame Marie 41
9 Décembre À Madame Sabatier 45
1853
22 Avril — À Champfleury 46
24 Avril — À la Société des Gens de Lettres 46
3 Mai — À Madame Sabatier 47
9 Mai — À Madame Sabatier 47
12 Août — À Monsieur Verteuil 48
24 Septembre — À Monsieur Ancelle 49
16 Décembre — À Poulet-Malassis 50
1854
14 Janvier — À Champfleury 54
28 Janvier — À J.-H. Tisserant 54
7 Février — À Poulet-Malassis 61
7 Février — À Madame Sabatier 62
— À Madame Sabatier 63
16 Février — À Madame Sabatier 63
8 Mai — À Madame Sabatier 64
1er Août — À Monsieur Ancelle 66
8 Novembre — À Monsieur Hostein 67
14 Novembre — À la Société des Gens de Lettres 70
20 Décembre — À Barbey d’Aurevilly 71
1855
— À Fernand Desnoyers 72
9 Juin — À Monsieur 73
29 Juin — À la Société des Gens de Lettres 74
— À Philoxène Boyer 75
Octobre — À Madame Aupick 76
21 Décembre — À Monsieur Ancelle 78
24 Décembre — À Monsieur Ancelle 80
1856
21 Janvier — À Alphonse Toussenel 82
— À Charles Asselineau 85
13 Mars — À Charles Asselineau 86
19 Mars — À Sainte-Beuve 90
26 Mars — À Sainte-Beuve 91
12 Novembre — À Monsieur Godefroy 93
9 Décembre — À Poulet-Malassis 94
11 Décembre — À Poulet Malassis 97
1857
10 Février — À Poulet-Malassis 99
16 Février — À Poulet-Malassis 100
7 Mars — À Poulet-Malassis 101
9 Mars — À Poulet-Malassis 103
9 Mars — À Sainte-Beuve 104
15 Mars — À Monsieur de Broise 105
17 Mars — À Poulet-Malassis 107
18 Mars — À Poulet-Malassis 107
18 Mars — À Poulet-Malassis 109
— À Poulet-Malassis 111
21 Mars — À Poulet-Malassis 112
24 Mars — À Poulet-Malassis 113
25 Mars — À Poulet-Malassis 115
4 Avril — À Poulet-Malassis 117
25 Avril — À Poulet-Malassis 118
27 Avril — À Poulet-Malassis 121
6 Mai — À Poulet-Malassis 123
14 Mai — À Poulet-Malassis 124
16 Mai — À Poulet-Malassis 125
— À Poulet-Malassis 126
6 Juin — À Poulet-Malassis 127
11 Juillet — À Poulet-Malassis 128
— À M. le Ministre d’État 129
20 Juillet — À Poulet-Malassis 131
— À Me Chaix d’Est-Ange fils 132
18 Août — À Madame Sabatier 132
18 Août — À Sainte-Beuve 135
24 Août — À Madame Sabatier 136
25 Août — À Gustave Flaubert 136
25 Août — À Poulet-Malassis 137
31 Août — À Madame Sabatier 137
— À Armand Fraisse 140
— À Madame Sabatier 141
— À Madame Sabatier 141
— À Madame Sabatier 142
8 Septembre — À Madame Sabatier 143
10 Septembre — À Madame Sabatier 143
13 Septembre — À Madame Sabatier 144
25 Septembre — À Madame Sabatier 144
9 Octobre — À Poulet-Malassis 145
17 Novembre — À Madame Sabatier 146
30 Décembre — À Poulet-Malassis 147
1858
3 Janvier — À Madame Sabatier 149
11 Janvier — À Madame Sabatier 150
12 Janvier — À Madame Sabatier 150
19 Février — À Poulet-Malassis 151
21 Février — À Poulet-Malassis 154
7 Mars — À Poulet-Malassis 155
13 Avril — À Poulet-Malassis 156
2 Mai — À Madame Sabatier 157
14 Mai — À Poulet-Malassis 158
18 Mai — À Sainte-Beuve 160
19 Mai — À Poulet-Malassis 160
11 Juin — À Monsieur 161
14 Juin — À Sainte-Beuve 162
14 Août — À Sainte-Beuve 164
3 Novembre — À Poulet-Malassis 164
11 Novembre — À Poulet-Malassis 167
13 Novembre — À Poulet-Malassis 168
7 Décembre — À Poulet-Malassis 169
9 Décembre — À Poulet-Malassis 171
10 Décembre — À Poulet-Malassis 172
11 Décembre — À Poulet-Malassis 174
30 Décembre — À Poulet-Malassis 175
— À Armand Fraisse 176
1859
13 Février — À Poulet-Malassis 177
16 Février A Poulet-Malassis 178
20 Février A Charles Asselineau 181
21 Février A Saiate-Beuve 184
24 Février A Charles Asselineau 185
24 Février A Poulet-Malassis 186
A Poulet-Malassis 187
27 Février A Théophile Gautier fils 189
28 Février A Sainte-Beuve 191
A Sainte-Beuve 192
A Monsieur Ducessois 198
26 Mars A Poulet-Malassis 198
26 Mars A la Société des Gens de Lettres 194
29 Avril A Poulet-Malassis 194
1er Mai A Poulet-Malassis 198
4 Mai A Poulet-Malassis 201
8 Mai A Poulet-Malassis 203
14 Mai A Félix Nadar 204
16 Mai A Félix Nadar 206
13 Juin A Poulet-Malassis 213
7 Août A Poulet-Malassis 214
A Poulet-Malassis 215
19 Septembre A Poulet-Malassis 215
A Poulet-Malassis 216
1er Octobre A Poulet-Malassis 218
1er Novembre A Poulet-Malassis 219
15 Novembre A Poulet-Malassis 220
15 Décembre A Poulet-Malassis 221
17 Décembre A Jeanne Duval 223
A Alphonse de Galonné 224
23 Décembre A Poulet-Malassis 224
A Poulet-Malassis 225
1860
8 Janvier A Poulet-Malassis 227
A Poulet-Malassis 229
4 Février A Poulet-Malassis 232
16 Février A Poulet-Malassis 233
19 Février A Armand Fraisse 238
23 Février A Joséphin Soulary 239
23 Février A Poulet-Malassis 241
28 Février A Champfleury 242
29 Février A Poulet-Malassis 243
4 Mars A Poulet-Malassis 244
9 Mars A Madame Sabatier 246
13 Mars A Poulet-Malassis 247
A Poulet-Malassis 249
18 Avril A Poulet-Malassis 251
22 Avril A Poulet-Malassis 253
27 Avril A Poulet-Malassis 254
A Poulet-Malassis 257
1er Mai A Poulet-Malassis 257
3 Mai A Poulet-Malassis 258
A Poulet-Malassis 258
A Poulet-Malassis 259
12 Mai A Paul de Molènes 261
18 Mai A Poulet-Malassis 263
A Poulet-Malassis 264
20 Mai A Poulet-Malassis 266
26 Juin A Gustave Flaubert 267
A Poulet-Malassis 269
A Sainte-Beuve 269
12 Juillet A Poulet-Malassis 271
12 Juillet A Joséphin Soulary 274
13 Juillet A Monsieur Alfred Guichon 275
14 Juillet A Poulet-Malassis 277
21 Juillet A Poulet-Malassis 279
A Théophile Gautier 279
12 Août A Poulet-Malassis 280
16 Août A Poulet-Malassis 283
18 Août A Poulet-Malassis 284
A Poulet-Malassis 285
30 Août A Poulet-Malassis 290
8 Septembre A Poulet-Malassis 291
27 Septembre A Poulet-Malassis 293
27 Septembre A Poulet-Malassis 296
20 Novembre A Poulet-Malassis 297
A Poulet-Malassis 297
5 Décembre A Poulet-Malassis 299
A Louis Martinet 300
A Poulet-Malassis 301
1861
5 Janvier A Poulet-Malassis 305
7 Janvier A Poiilet-Malassis 307
16 Janvier A Poulet-Malassis 309
A Poulet-Malassis 312
25 Mars A Poulet-Malassis 314
A Auguste Vacquerie 316
29 Avril A Théophile Gautier 317
A Poulet-Malassis 317
A Poulet-Malassis 319
A Arsène Houssaye 320
A Arsène Houssaye 321
A Alfred de Vigny 322
A Alfred de Vigny 323
A Charles Asselineau 324
1862
A Sainte-Beuve 325
26 Janvier A Alfred de Vigny 328
A Gustave Flaubert 332
31 Janvier A Gustave Flaubert 333
A Alfred de Vigny 334
3 Février A Gustave Flaubert 336
3 Février A Sainte-Beuve 337
A Alfred de Vigny 339
A Poulet-Malassis 339
A Théophile Gautier 340
4 Août A Théophile Gautier 341
A Théophile Gautier 341
8 Octobre A Arsène Houssaye 341
18 Novembre A Poulet-Malassis 344
13 Décembre A Poulet-Malassis 346
1863
6 Mars A Champfleury 350
14 Mars A Auguste de Chatillon 351
8 Août A Poulet-Malassis 351
21 Août A Théophile Gautier 352
6 Octobre [A Taine] 352
6 Octobre — A Etienne Carjat 353
— A Eugène Crépet 354
— A Sainte-Beuve. 354
1864
— A Poulet-Malassis 355
— A Judith Gautier 356
— A Poulet-Malassis 357
— A Monsieur Ancelle 358
30 Avril — A Monsieur Frédérix 359
4 Mai — A Monsieur Frédérix 359
7 Mai — A Monsieur Ancelle 359
— A Monsieur Ancelle 360
— A Théophile Thoré 361
27 Mai — A Edouard Manet 363
27 Mai — A Monsieur Ancelle 364
— A Monsieur Ancelle 365
11 Juin — A Poulet-Malassis 366
11 Juin — A Monsieur Frédérix 367
— A Monsieur Rosez 367
14 Juillet — A Monsieur Ancelle 368
2 Septembre. — A Monsieur Ancelle 370
13 Octobre — A Monsieur Ancelle 373
23 Octobre — A Monsieur Ancelle 381
30 Octobre — A Poulet-Malassis 383
13 Novembre — A Monsieur Ancelle 384
18 Novembre — A Monsieur Ancelle 387
18 Décembre — A Monsieur Ancelle 388
29 Décembre — A Monsieur Ancelle 391
1865
1er Janvier — A Monsieur Ancelle 394
1er Janvier — A un Directeur du Mont-de-Piété 395
2 Janvier — A Monsieur Ancelle 396
3 Janvier — A Madame Paul Meurice 397
3 Janvier — A Madame Aupick 399
27 Janvier — A Monsieur Ancelle 401
4 Février — A Monsieur Ancelle 401
8 Février — A Monsieur Ancelle 402
12 Février — A Monsieur Auceile 407
15 Février — A Monsieur Julien Lemer 411
15 Février — A Monsieur Marcellin 413
23 Février — A Monsieur Julien Lemer 414
25 Février — A Monsieur Ancelle 420
15 Mars — A Sainte-Beuve 421
22 Mars — A Monsieur Ancelle 422
— A Monsieur E R 425
30 Mars — A Sainte-Beuve 426
18 Avril — A Monsieur Ancelle 431
2 Mai — A Monsieur Ancelle 432
4 Mai — A Sainte-Beuve 432
11 Mai — A Edouard Manet 435
24 Mai — A Madame Paul Meurice 437
25 Mai — A Champfleury 440
30 Mai — A Monsieur Ancelle 440
— A Poulet-Malassis 441
— A Poulet-Malassis 442
28 Juin — A Monsieur Ancelle 442
4 Juillet — A Monsieur Julien Lemer 443
— A Monsieur Julien Lemer 445
8 Juillet — A Poulet-Malassis 446
8 Juillet — A Monsieur Ancelle 448
11 Juillet — A Sainte-Beuve 450
20 Juillet — A Monsieur Ancelle 451
9 Août — A Monsieur Ancelle 452
9 Aoùt — A Monsieur Julien Lemer 453
13 Août — A Monsieur Ancelle 457
16 Août — A Monsieur Ancelle 457
17 Août — A Monsieur Ancelle 458
3 Septembre — A Sainte-Beuve 460
— A Monsieur Ancelle 462
1er Octobre — A Poulet-Malassis 463
13 Octobre — A Monsieur Julien Lemer 464
13 Octobre — A Monsieur Ancelle 466
26 Octobre — A Monsieur Ancelle 467
28 Octobre — A Edouard Manet 470
29 Octobre — A Monsieur Ancelle 472
13 Novembre — A Champfleury 473
16 Novembre — A Monsieur le Commandant Lejosne 473
30 Novembre — A Monsieur Ancelle 475
21 Décembre — A Monsieur Ancelle 478
26 Décembre — A Monsieur Ancelle 482
30 Décembre — A Monsieur Julien Lemer 485
1866
1er Janvier — A Félicien Rops 486
2 Janvier — A Sainte-Beuve 487
3 Janvier — A Monsieur Ancelle 489
— A Poulet-Malassis 489
12 Janvier — A Monsieur Ancelle 490
10 Janvier — A Sainte-Beuve 492
18 Janvier — A Monsieur Ancelle 496
22 Janvier — A Monsieur Ancelle 501
29 Janvier — A Monsieur Ancelle 502
30 Janvier — A Monsieur Ancelle 503
5 Février — A Sainte-Beuve 507
5 Février — A Charles Asselineau 508
6 Février — A Monsieur Ancelle 510
14 Février — A Jules Troubat 514
16 Février — A Poulet-Malassis 514
16 Février — A Monsieur Ancelle 515
18 Février — A Monsieur Ancelle 518
18 Février — A Monsieur Ancelle 524
18 Février — A Monsieur Dentu 526
18 au 19 Févr — A Monsieur Ancelle 528
19 Février — A Monsieur Ancelle 529
19 Février — A Jules Troubat 531
21 Février — A Monsieur Ancelle 533
26 Février — A Madame Ancelle 534
5 Mars — A Jules Troubat 536
29 Mars — A Ernest Prarond 537
30 Mars — A Monsieur Ancelle 538



SOURCES DES LETTRES


Charles Baudelaire. Sa Vie et son Œuvre, par Charles Asselineau. — Paris, Alphonse Lemerre, 1869.

Charles Baudelaire. Souvenirs. Correspondances. Bibliographie suivie de pièces inédites. — Paris, chez René Pincebourde, 1872.

A. de Vigny et Charles Baudelaire candidats à l’Académie française. Étude par Étienne Charavay. — Paris, Charavay frères, éditeurs, 1879.

Charles Baudelaire. Œuvres posthumes et correspondances inédites, précédées d’une étude biographique par Eugène Crépet. — Paris, maison Quantin, 1887.

Notules sur Charles Baudelaire, par Henri Cordier [Extrait du Bulletin du Bibliophile]. — Paris, librairie Henri Leclerc, 1900.

——

Fontainebleau. Paysages. Légendes. Souvenirs. Fantaisies, par Charles Asselineau, Philibert Audebrand, Théodore de Banville, Baudelaire… — Paris, librairie de L. Hachette et Cie, 1855.

Maurice du Seigneur. L’Art et les Artistes au Salon de 1881. — Paris, Paul Ollendorff, éditeur, 1881.

Arsène Houssaye. Les Confessions. Tome premier. — Paris, E. Dentu, éditeur, 1885.

Catlalogue des autographes composant la Collection Champfleury. — Paris, Étienne Charavay, 1891.

Judith Gautier. Le Collier des Jours. Le Secong Rang du Collier. — Paris, Félix Juven, éditeur.

——

Proudhon en Belgique. E. R. — (La Petite Revue, 11 Mars 1865.)

Chronique. X. Feyrnet. — (Le Temps. 13 Février 1869.)

Varia. — Un billet inédit de Baudelaire, Henry d’Ideville. — (Gazette anecdotique, 31 Mars 1879.)

Mon carnet. Georges Duval. — (L’Événement, 28 Mars 1882.)

Fiches d’une petite bibliothèque. Henry Houssaye. — (Société des Amis des Livres. Annuaire, 1883.)

Échos de Paris. Le Sphinx. — (L’Événement, 16 Juillet 1884.)

Courrier de Paris. Rastignac. — (L’Illustration, 6 Février 1886.)

Lettres inédites de Charles Baudelaire à Sainte-Beuve. E. N.— (La Nouvelle Revue, 1er Octobre 1886.)

Correspondance de Baudelaire. Gazette bibliographique, page 603. — (Le Livre. 1886.)

Quelques autographes intimes de Charles Baudelaire. Julien Lemer. — (Le Livre, 10 Mai 1888.)

Pièces inédites. Charles Baudelaire. Étienne Charavay. — (L’Amateur d’autographes. Janvier 1891.)

Baudelaire amoureux. — Sept lettres inédites à la Presidente. Maurice Tourneux. — (Le Livre moderne, 10 Novembre 1891.)

Baudelaire et les Belges. Lettres inédites. — (L’Écho de Paris, 29 Septembre 1892,)

Baudelaire et Manet. Lettres inédites. — (L’Écho de Paris, 30 Septembre 1892.)

Notes sur Baudelaire. Jules Le Petit. — (La Plume, 1er Juillet 1893.)

Baudelaire et Jeanne Duval. Mis Daruty de Grandpré. — (La Plume, 15 Août 1893.)

Journal d’un Parisien. Jules Claretie. — Le Journal, 19 Décembre 1900.)

Un amour de Charles Baudelaire. Jacques Crépet. — (Le Journal, 3 Mars 1902.)

Charles Baudelaire. La Vie douloureuse du poète. Féli Gautier. — (Revue bleue, 27 Décembre 1902. 3, 10, 17 Janvier 1903.)

La Vie amoureuse de Baudelaire. Féli Gautier. — (Mercure de France, 1er Janvier 1903.)