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À ÉDOUARD MANET


Jeudi, 11 Mai 1865.


Mon cher ami,

Je vous remercie de la bonne lettre que M. Chorner m’a apportée ce matin, ainsi que du morceau de musique.

J’ai, depuis quelque temps, l’intention de traverser Paris deux fois, une fois pour aller à Honfleur, une fois en revenant ; je n’avais confié cela qu’à ce fou de Rops, en lui recommandant le secret, car j’aurai à peine le temps de serrer la main à deux ou tois amis ; mais, d’après ce que me dit M. Chorner, Rops a dit la chose à plusieurs personnes, d’où il suit naturellement que beaucoup de personnes me croient à Paris et me traitent d’ingrat et d’oublieux.

Si vous voyez Rops, n’attachez pas trop d’importance à de certains airs violemment provinciaux. Rops vous aime, Rops a compris ce que vaut votre intelligence, et m’a même confié certaines observions faites par lui sur les gens qui vous haïssent (car il paraît que vous avez l’honneur d’inspirer de la haine). Rops est le seul véritable artiste (dans le sens où j’entends, moi, et moi tout seul peut-être, le mot artiste) que j’aie trouvé en Belgique.

Il faut donc que je vous parle encore de vous. Il faut que je m’applique à vous démontrer ce que