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LETTRES — l865

je ne peux plus aller. Je souffre d’un mal que je n’ai pas, comme quand j’étais gamin, et que je vivais au bout du monde. Et cependant je ne suis pas patriote.

A MADAME PAUL MEURICE

Mercredi, 24 Mai 1865.

Il faut, ma chère Madame, que vous soyez bien intimement coquette ou bien incrédule à l’amitié pour avoir béni la maladie, dans l’espérance qu’elle vous rendrait plus intéressante. Vous n’avez, je vous le jure, aucun besoin d’ornements de circons- tance et j’ajoute qu’il faut aussi que vous soyez bien crédule pour vous figurer que la maladie attire l’amitié. Elle peut attirer l’amitié vraie (celle qui est inspirée par mon Dieu; car, pour votre Dieu, je ne vois pas qui il est, à moins qu’il ne soit celui de MM. Rogeard, Michelet, Benjamin Gastineau, Mario Proth, Garibaldi, et de l’abbé Chatel). Mais elle n’attire jamais l’amitié banale et légère. Je me souviens qu’un jour, étant dans un cas fort grave, j’ai fait prier quatre fois un de mes amis de me venir voir. Enfin, son père m’a répondu, pour lui, qu’il me priait d’excuser son fils, mais que celui- ci, ayant une insurmontable horreur du sang, ne pouvait pas prendre sur lui de me venir voir. Je me suis guéri, j’ai retrouvé mon ami, et je ne l’ai jamais plaisanté sur sa couardise à l’endroit du sang.