L’Encyclopédie/1re édition/EAU
EAU, s. f. (Phys.) est un corps fluide, humide, visible, transparent, pesant, sans goût, sans odeur, qui éteint le feu, lorsqu’on en jette dessus en une certaine quantité, &c. Voyez Fluide, Feu, &c. Nous disons que l’eau est fluide & humide, car ces deux qualités ne sont pas identiques : le mercure, par exemple, est fluide sans être humide, &c. Voyez Humide.
Nous ne parlerons point ici de l’utilité de ce fluide : elle est assez connue. L’eau étoit un des quatre élémens des anciens, voyez Elémens ; & Thalès la regardoit comme le principe de toutes choses. Cette opinion de Thalès étoit même plus ancienne que lui ; & M. l’abbé de Canaye a prouvé, dans une excellente dissertation, tome X. des mém. de l’académie des Belles-lettres, que le mot grec ἀρχὴ, dont les partisans de cette opinion se servoient pour désigner cette propriété prétendue de l’eau, signifie, non un principe purement méchanique & physique, mais une cause efficiente & primitive. Mais il ne s’agit point ici de ce que les philosophes anciens ou modernes ont pensé ou rêvé sur cette matiere ; il s’agit de recueillir les faits les plus certains, & les propriétés physiques de l’eau les mieux connues.
On peut distinguer trois sortes d’eaux : eau de pluie, qui forme les mares, les citernes, & plusieurs lacs : eau de source, qui forme les fontaines, les puits, les rivieres, &c. eau de mer, qui est bitumineuse, amere, salée, & impotable. De cette division, il s’ensuit que l’eau n’est jamais absolument pure. L’eau de pluie même, en traversant l’air, & l’eau de source en traversant les terres, se chargent nécessairement d’une infinité de parties hétérogenes. Voyez Eaux minérales. L’eau la plus pure est celle qui coule à-travers un sable bien net & sur des caillous. Ce sont les particules hétérogenes dont l’eau est remplie, qui se combinant avec les particules de certains corps, ou s’insinuant dans leurs pores, changent ces corps en pierre, le fer en cuivre, &c. Il y a lieu de croire que l’eau de mer contient quelque chose de plus que du sel ; car en jettant du sel dans de l’eau commune, on n’en fera jamais d’eau de mer. On purifie l’eau de diverses manieres ; par filtration ou colature, voyez ces mots ; par congelation, parce que tout ce qu’il y a de spiritueux dans l’eau ne se gele pas, & que la gelée sépare de l’eau la plus grande partie des corps hétérogenes qui s’y trouvent ; par l’évaporation, qui éleve les parties aqueuses, & laisse tomber en-embas les parties grossieres ; par clarification, en y mêlant des corps visqueux, comme des jaunes d’œuf, du lait, &c.
Si on met de l’eau pure dans des boules de métal que l’on soude ensuite, & qu’on veuille comprimer ces boules avec une presse, ou les applatir à coups de marteau, on trouvera que l’eau ne peut être condensée, mais qu’elle suinte en forme de rosée par les pores du métal : c’est-là le phénomene si connu qui prouve l’incompressibilité de l’eau. On peut conclure de-là, selon M. Musschenbrock, que les particules de l’eau sont fort dures : ce que le même physicien prouve encore par la douleur qu’on sent en frappant vivement la surface de l’eau avec la main, & par l’applatissement des balles de fusil tirées dans l’eau.
Les parties de l’eau ont entr’elles beaucoup d’adhérence ; voyez Adhérence, Cohésion, & les mém. de l’ac. de 1731 : c’est pour cela que des feuilles de métal appliquées sur la surface de l’eau, ne descendent point, parce que la résistance des particules de l’eau à être divisées, est plus grande que l’excès de pesanteur spécifique de ces feuilles sur celle d’un pareil volume d’eau. M. Musschenbroek, article 607 de son essai de physique, rapporte une expérience qui prouve qu’un morceau de bois d’un pouce quarré, est attiré par l’eau avec une force de 50 grains.
La pesanteur spécifique de l’eau est à celle de l’or, comme 1000 est à 19640, ou environ comme un à 19 . Mais l’eau est un peu plus pesante d’environ en hyver, qu’en été ; parce qu’en général la chaleur raréfie les corps. Voyez Chaleur, Dilatation, &c. De-là il s’ensuit que l’eau a beaucoup plus de pores que de matiere propre, au moins dans le rapport de 20 à 1, & probablement beaucoup au-delà. Voyez Pore, &c.
Les particules de l’eau, quoique très-fines, puisqu’elles pénetrent les métaux, ne peuvent presque pénétrer le verre. A l’égard du degré de finesse de ces parties & de leur figure, c’est ce que les Philosophes ne peuvent, & peut-être ne pourront jamais déterminer. L’eau échauffée se raréfie de la vingt-sixieme partie de son volume, à compter du point d’où elle commence à se geler, jusqu’à ce qu’elle soit bouillante. Bacon a prétendu que l’eau bouillie s’évapore moins que celle qui ne l’est pas. L’eau s’évapore moins que l’eau-de-vie, mais plus que le mercure ; & l’eau courante, moins que l’eau dormante. La vapeur de l’eau échauffée a une grande vertu élastique. Voyez les mots Eolipile, Digesteur, Ebullition, Feu, Vapeur, &c. Voyez aussi Machines hydrauliques, & Pompe. On trouve même que cette vapeur a une force supérieure à celle de la poudre à canon : c’est ce que M. Musschenbroeck prouve par une expérience, rapportée §. 873 de son essai de physique ; 140 livres de poudre ne font sauter que 30000 livres pesant ; au lieu qu’avec 140 livres d’eau changée en vapeur, on peut élever 77000 livres. Plus la vapeur est chaude, plus elle a de force. La cause de ce phénomene, ainsi que de beaucoup d’autres, nous est entierement inconnue. La vapeur de l’eau, quoique comprimée par le poids de l’atmosphere, ne laisse pas de se dilater au point d’occuper un espace 14000 fois plus grand que celui qu’elle occupoit, & par conséquent elle se dilate bien plus que la poudre, puisque cette derniere, suivant les observations les plus favorables à sa raréfaction, ne se raréfie que 4000 fois au-delà de son volume. Il ne faut donc pas s’étonner si la vapeur de l’eau s’insinue si aisément dans les pores des corps. Sur les phénomenes de l’ébullition de l’eau, voyez Ebullition.
Lorsqu’on a pompé l’air de l’eau, si on y remet une bulle d’air, l’eau l’absorbe bien vîte ; elle absorbera de même une seconde bulle, & ainsi de suite, jusqu’à ce qu’elle soit tout-à-fait imprégnée d’air= mais cet air ne se change jamais en eau, puisqu’on peut toûjours l’en retirer : comme aussi l’eau ne donne jamais d’autre air que celui qui s’y trouvoit, ou qu’on y a mis. Il se trouve dans notre atmosphere divers fluides élastiques, qui s’insinuent aussi dans l’eau. L’eau pleine d’air ou sans air, est à peu-près de la même pesanteur spécifique ; mais l’eau pleine d’air est seulement un peu plus raréfiée : d’où M. Musschenbroeck conclut que l’air enfermé dans l’eau, est à peu-près aussi dense que l’eau. Sur les phénomenes chimiques de l’eau, voyez la suite de cet article ; voyez aussi Dissolution, Evaporation, &c.
L’eau éteint le feu, selon M. Musschenbroeck, parce que les corps ne brûlent qu’au moyen de l’huile qu’ils renferment, que l’huile brûlante a une chaleur de plus de 600 degrés, & que l’eau ne pouvant avoir une chaleur de plus de 212 degrés, n’en peut communiquer à l’huile. Il en rapporte encore d’autres raisons, qu’on peut voir dans son ouvrage, & que nous ne prétendons point garantir ; d’autant plus que l’eau jettée en petite quantité sur un grand feu, l’augmente au lieu de l’éteindre ; & qu’il y a des corps en feu, comme la poix, l’huile, &c. qu’on ne peut refroidir par le moyen de l’eau.
Sur les phénomenes de l’eau glacée, voyez Congelation, Glace, Gelée, & Dégel.
M. Mariotte prétend que l’état naturel de l’eau est d’être glacée, parce que la fluidité de l’eau vient du mouvement d’une matiere étrangere qui agite les parties de l’eau, & que le repos de cette matiere produit la glace. Il faudroit pour que cette raison fût bonne, 1°. que l’on connût bien certainement la cause de la congelation, 2° que le repos fût un état plus naturel aux corps que le mouvement. Voy. l’essai de physique de M. Musschenbroeck, d’où nous avons extrait la plus grande partie de cet article. (O)
Eau, (Hydraul.) L’eau, de même que les autres liqueurs, se tient de niveau dans quelque position qu’on la puisse mettre, c’est-à-dire en égale distance du centre de la terre.
Les eaux viennent ordinairement de sources naturelles, de ruisseaux, ou de machines qui les élevent des rivieres, des puits, & des citernes.
« Excepté les minérales & les intercalaires, elles se distinguent en eaux naturelles, artificielles, courantes, plates, jaillissantes, forcées, vives, dormantes, folles, eaux de pluie ou de ravines.
» Les eaux naturelles sont celles qui sortant d’elles-mêmes de la terre, se rendent dans un réservoir & font joüer les fontaines continuellement.
» Les artificielles ou machinales sont élevées dans un réservoir par le moyen des machines hydrauliques.
» On appelle eaux jaillissantes, celles qui s’élevent en l’air au milieu des bassins, & y forment des jets, des gerbes, & des bouillons d’eau.
» Les eaux plates sont plus tranquilles ; elles fournissent des canaux, des viviers, des étangs, des miroirs, & des pieces d’eau sans aucun jet.
» Les eaux courantes, produites par une petite riviere ou ruisseau, forment des pieces d’eau & des canaux très-vivans.
» Les eaux vives & roulantes sont celles qui coulent rapidement d’une source abondante, & que leur extrème fraîcheur rend peu propres à la boisson.
» Celles qui fournissent aux jets d’eau sont appellées forcées ; elles se confondent avec les jaillissantes.
» Les eaux dormantes, par leur peu de mouvement sujettes pendant l’été à exhaler de mauvaises odeurs, sont peu estimées.
» On appelle eaux folles, des pleurs de terre qui produisent peu d’eau, & sont regardées comme de fausses sources qui tarissent dans les moindres chaleurs.
» Les eaux de pluie ou de ravine sont les plus legeres de toutes ; elles ne sont pas les plus claires, mais elles se clarifient & s’épurent dans les citernes & les étangs qu’elles fournissent ». Théorie & pratique du Jardinage, pag. 323. Voyez Hydrauliques, Dépense, &c. (K)
Eau, (Jardin.) L’eau ne sera point ici considérée comme élément, mais par rapport à sa bonne qualité pour la conservation des plantes & de la santé.
Elle doit être transparente, legere, insipide : on l’éprouve avec la noix de galle ; & on observera qu’elle mousse avec le savon, & ne laisse aucune tache sur une assiette bien nette.
Par rapport au Jardinage, il faut expérimenter si les légumes y cuisent facilement ; il y a de certaines qualités d’eau, où ils durcissent plûtôt que de cuire.
On doit encore en consulter le goût, eu égard aux fruits, étant certain qu’ils conservent, ainsi que les légumes, celui que l’eau y a communiqué, en se filtrant à-travers les terres.
Dans le cas où les sources & l’eau de riviere manquent, on a recours aux eaux de pluie ramassées dans des citernes : elle est la plus legere, & imprégnée du nitre de l’air : elle est plus féconde & plus pure.
Si on est réduit à l’eau de puits, il faut absolument pour en corriger la crudité, la laisser dégourdir ou attiédir aux rayons du soleil dans un bassin, dans des cuvettes, ou dans des tonneaux défoncés & enfoüis dans la terre : on pourroit même y jetter un peu de colombine ou de crotin de mouton pour l’échauffer, avant que d’en arroser les plantes. (K)
Eau, (Chimie.) cette substance appartient à la Chimie à plusieurs titres :
Premierement, comme principe constituant des corps naturels & des composés & mixtes artificiels, & l’un des derniers produits de leur analyse absolue.
L’eau considérée sous cet aspect est un élément ou premier principe, un corps particulier, simple, pur, indivisible, improductible, & incommutable, que je prens ici dans son être solitaire & distinct, en un mot le corpuscule primitif de cet aggregé que tout le monde connoît sous le nom d’eau, & dont les propriétés physiques ont été exposées dans l’article Eau (Physique.).
J’observe 1°. à propos de la doctrine des élémens ou premiers principes, adoptée ici formellement, que cette doctrine est directement opposée à l’opinion regnante, qui admet une matiere premiere, homogene, commune, universelle ; mais qu’une pareille matiere me paroît un être purement abstrait, & dont on doit nier l’existence dans la Nature. Voyez le mot Principe.
J’observe 2°. à propos des qualités d’improductible & d’incommutable accordées à l’eau, que le dogme qui fait de cette substance le principe universel de tous les corps, & qui suppose par conséquent sa commutabilité, n’est qu’une opinion fondée sur des spéculations & des expériences illusoires ; que l’histoire si connue du saule de Vanhelmont, qui paroît avoir dû son accroissement & sa formation à l’eau seule ; celle de la citrouille élevée de la même maniere par Boyle ; le fait beaucoup plus décisif du chêne élevé dans l’eau par notre célebre académicien M. Duhamel ; les distillations répetées de l’eau, qui présentent toûjours un petit résidu terreux : que tout cela, dis-je, ne prouve pas que l’eau puisse être changée en terre, fournir seule des sels & des huiles, &c. car il n’est pas difficile de déterminer l’origine de la terre qui a formé les squelettes de ces végetaux, & qui a concouru à la production de leurs sels & de leurs huiles (V. Végétation) : que les savantes recherches dont M. Eller a composé son second mémoire sur les élémens (hist. de l’ac. roy. de Prusse, ann. 1746.), ne paroissent point assez décisives contre le sentiment que je défens : que c’est évidemment la vapeur de l’eau, comme telle, & non pas de l’eau changée en air, qui a fait descendre le mercure dans la jauge appliquée à une machine pneumatique, dans le récipient de laquelle ce savant medecin introduisit de l’eau en vapeur après l’avoir vuidé d’air : que c’est la vapeur de l’eau qui a constamment imposé, pour de l’air, à tous les physiciens qui ont crû que l’eau pouvoit être changée en air ; que c’est la vapeur de l’eau, & point du tout un air produit par l’eau, ou même dégagé de l’eau, qui agit dans la pompe à feu. Voyez Vapeur, Pompe à feu.
Personne ne pense plus aujourd’hui que l’air puisse devenir de l’eau en se condensant ; que les gouttes d’eau qui paroissent sur les vîtres d’un appartement dans certaines circonstances, soient de l’air condensé ; que les fontaines soient dûes à l’air condensé dans des concavités soûterraines, &c. (voyez Air, Fontaine, & Vapeur) : tout ceci sera traité dans une juste étendue à l’article , où il trouvera sa place plus convenablement qu’ici, lorsque nous établirons dans cet article l’improducibilité & l’incommutabilité des élémens ou premiers principes en général. Voyez Principe.
Je ferai encore une observation particuliere sur les qualités de corps pur, simple, & existant solitairement, que j’attribue à l’eau principe : il faut remarquer que ce ne sont pas ici des considérations abstraites, mais que l’eau existe physiquement dans cet état de pureté & de division actuelle, absolue, & qu’on pourroit appeller radicale, & que toute combinaison réelle de ce corps suppose cette division & cette pureté. Voyez Menstrue & Principe.
L’idée que la saine Chimie nous donne de l’eau principe étant ainsi déterminée, voici l’histoire chimique de cette substance.
L’eau concourt comme principe essentiel à la formation des sels, des huiles, des esprits ardens, & de toutes les matieres inflammables, de toutes les substances végétales & animales, & vraissemblablement des pierres proprement dites, & de tous les fossiles, excepté des substances métalliques.
L’eau constitue la base de toutes les humeurs animales ; de la seve & de tous les sucs végétaux, des vins, des vinaigres ; de la rosée, & de toutes les matieres connues en Physique sous le nom de météores aqueux. L’eau est essentielle à toute fermentation. Voyez Sel, Huile, Esprit, Flamme, Pierre, Fossile, Substances animales, Végétal, Substances métalliques, Humeur, Seve, Vin, Vinaigre, Rosée, Pluie, Neige, Grêle, Fermentation.
Boerhaave, & plusieurs autres physiciens, disent que l’eau est cachée dans un grand nombre de corps où il est merveilleux de la trouver, & cela (car Boerhaave s’explique) parce que ces corps n’ont aucune des qualités extérieures de l’eau, qu’ils ne sont ni mous ni humides, mais au contraire très-secs & très-compactes, tels que le plâtre employé, le vieux mortier, les parties très-dures des animaux, les bois les plus durs gardés dans des lieux secs & chauds pendant des siecles entiers, &c. Ceci est admirable en effet, comme tous les phénomenes naturels sont admirables, comme l’existence de l’univers est admirable, mais non pas étonnant, unique, incroyable ; puisque c’est au contraire un fait dérivé très-naturellement de cette observation générale, que les principes constituans des corps ne sont jamais sensibles, tant qu’ils sont actuellement combinés, & que l’eau ne se manifeste pas plus par ses caracteres sensibles dans l’esprit-de-vin rectifié, ou dans une huile, que dans le tartre ou la stalactite, quoique les premieres substances soient liquides & humides, & que les dernieres soient seches & consistantes : en un mot, que l’eau puisse être renfermée dans des corps secs & durs, cela n’est un phénomene isolé, un objet d’admiration, stupendum, mirabile, (Boerhaave, el. chem. de aqua, t. l. p. 314. ed. de Cavelier) que pour quiconque ne sait envisager un corps que sous l’image d’une masse revêtue de qualités sensibles, pour qui l’eau est toûjours une substance molle & fluide (sous une certaine température), un corps physique, un aggregé. Nous insistons sur les inconvéniens de cette mauvaise & très-peu philosophique acception, toutes les fois que l’occasion s’en présente, parce qu’on ne sauroit trop rappeller aux amateurs de la Chimie (lectori philochimico), que la façon de concevoir contraire, est absolument propre & nécessaire au chimiste. Voyez la partie dogmatique de l’article Chimie.
Nous disons donc, mais sans annoncer cette vérité par une formule d’admiration, que l’eau est un des matériaux de la composition de plusieurs corps très-secs & très-durs. Nous savons ceci très-positivement, soit parce que quelques-uns de ces corps se forment sous nos yeux, que nous disposons nous-mêmes leurs principes à la combinaison, comme lorsque nous gachons le plâtre, que nous préparons le mortier, &c. (voyez Platre, Mortier) ; soit parce que nous savons retirer cette eau de ces produits de l’art, & de plusieurs corps naturels, par le moyen du feu, & que nous en retirons en effet du plus grand nombre des corps secs & solides, à la formation desquels nous avons avancé que l’eau concouroit comme principe essentiel ; soit enfin parce que nous établissons par des analogies très-séverement déduites, l’origine de certains composés dont la Nature nous cache la formation, sur leur rapport avec d’autres corps dont l’eau est un principe démontré ; c’est ainsi que nous sommes fondés à admettre l’eau pour un des principes constituans de toutes les pierres qui ne sont pas produites ou altérées par le feu, par les phénomenes qui leur sont communs avec certaines substances salines. Voyez Sel & Pierre.
Si l’on ne peut pas établir démonstrativement que l’eau fait dans ces corps consistans, la fonction d’une espece de mastic, qu’elle est le vrai moyen d’union de leurs autres matériaux, qu’elle soûtient & lie leur aggrégation ; on peut au moins se représenter assez exactement, sous cette image, sa maniere de concourir à la formation de ces corps. Quoi qu’il en soit, c’est à ce titre que nous l’employons dans la préparation du plâtre, du mortier, des colles, &c.
Secondement, l’eau appartient à la Chimie comme menstrue ou dissolvant. Voyez Menstrue.
L’eau est le dissolvant de tous les sels, des extraits des végétaux, des gommes, des mucilages, des corps muqueux, de certaines couleurs végétales telles que celle des fleurs de violette, du bois de Brésil, &c. d’une partie des gommes-résines, des esprits ardens, des savons, des sucs gélatineux & lymphatiques des animaux, & même de leurs parties solides, si on l’applique à ces dernieres substances dans la machine de Papin. Voyez Machine de Papin ou Digesteur.
Quoique l’eau ne dissolve pas le corps entier des terres, cependant elle prend quelques parties dans la plûpart des matieres terrestres, & sur-tout dans les terres & pierres calcaires ; elle agit très-efficacement sur la chaux (V. Chaux) ; elle se charge de beaucoup de parties des terres & pierres gypseuses, calcinées ou non calcinées ; elle a aussi quelque prise sur les chaux métalliques, & même sur les substances métalliques inaltérées, principalement sur le fer, le mercure, & l’antimoine, ce qui est prouvé par les vertus médicinales des décoctions de ces substances. Tous les métaux triturés avec l’eau, passent pour fournir un certain sel ; l’or même, le plus fixe des métaux, par une longue trituration avec l’eau pure, fournit un sel jaune, selon la prétention de plusieurs habiles chimistes. M. Pott propose le doute suivant sur l’origine de ce produit, de l’existence duquel on pourroit peut-être douter aussi légitimement : an hic effectus tantum diutino triturationis motui, sali etiam ut vocane insipido in aquâ contento attribuendus sit, adhuc hæreo. (Pott, historia particular. corporum solutionis, §. 3.) Bécher dit que l’eau distillée un grand nombre de fois devient si corrosive, qu’elle dissout les métaux. Phys. subt. sect. V. cap. xj. L’auteur de la chimie hydraulique a des prétentions singulieres sur cet effet de la trituration avec l’eau. Voyez Hydraulique, (Chimie).
Quoique l’eau ne dissolve pas proprement le soufre, les huiles, les baumes, les résines, les graisses, les beurres, les bitumes, &c. elle extrait pourtant quelque chose de toutes ces substances, & principalement des huiles par expression, des baumes, & des bitumes. Voyez Huile.
Les pierres vitrifiables, comme le vrai sable, le caillou, &c. le bon verre, les émaux, les terres argilleuses bien cuites, le charbon, ne donnent absolument rien à l’eau.
Il faut observer sur ce que nous venons de dire de l’eau considérée comme menstrue, 1°. que selon la loi la plus générale de la dissolution (voyez Menstrue), l’eau ne dissout que des quantités déterminées de tous les corps consistans, que nous avons dit être entierement solubles par ce menstrue ; elle s’en charge jusqu’à un terme connu dans l’art sous le nom de saturation, & au-delà duquel la dissolution n’a plus lieu, tout étant d’ailleurs égal. Voyez Saturation. Le sucre est de tous les corps connus celui que l’eau dissout en plus grande quantité ; une partie d’eau tient deux parties de sucre en dissolution sous la température moyenne de notre climat ; car la même quantité d’eau très-chaude en dissout bien davantage (voyez Menstrue, Sirop). La quantité de la plûpart des sels requise pour saturer une certaine quantité d’eau, a été observée Voyez Sel.
2°. Qu’on n’observe point une pareille proportion entre l’eau & les différens liquides avec lesquels elle fait une union réelle ; mais qu’au contraire une quantité d’eau quelconque se combine chimiquement avec une quantité quelconque d’un liquide auquel elle est réellement miscible. Un gros d’eau se distribue uniformément dans une pinte d’esprit-de-vin, & y éprouve une dissolution réelle, comme une pinte d’eau étend un gros d’esprit-de-vin, & contracte avec ce dernier liquide une union réelle ou chimique. En un mot, l’eau se mêle à tous les liquides solubles par ce menstrue, comme l’eau s’unit avec l’eau, l’huile avec l’huile, &c. Quelques chimistes, du nombre de ceux qui ont considéré les phénomenes chimiques le plus profondément, ont fait du mêlange dont nous parlons, une espece particuliere d’union, qu’ils ont distinguée de la dissolution ou union menstruelle : mais ce n’est pas ici le lieu d’examiner combien cette distinction est légitime. V. Menstrue.
C’est par la propriété qu’a l’eau de dissoudre certaines substances, qu’elle nous devient utile pour les separer de divers corps auxquels elles étoient unies. C’est par-là qu’elle fournit un moyen commode pour retirer les sels lixiviels de parmi les cendres, le nitre des platras, les extraits des végétaux, &c. en un mot, qu’elle est un instrument chimique de l’analyse menstruelle, dont l’application est très-étendue. Voyez Menstruelle, (Analyse). C’est à ce titre qu’elle a mille usages œconomiques & diététiques ; qu’elle nous sert à blanchir notre linge, à dégraisser nos étoffes, à nous préparer des bouillons, des gélées, des syrops, des boissons agréables comme orgeat, limonade, &c. qu’elle nous fournit plusieurs remedes sous une forme commode, salutaire, & agréable. Voyez Eau, Pharmacie.
Il est essentiel de se ressouvenir que l’eau que le chimiste emploie à titre de menstrue doit être pure, & que celle que la Nature peut lui fournir ne l’est pas ordinairement assez pour les opérations qui demandent beaucoup de précision. La distillation lui offre un moyen commode & suffisant pour retirer de l’eau la moins chargée de parties étrangeres, telle que l’eau de neige, d’en retirer, dis-je, une eau qu’il peut employer comme absolument pure. L’eau de neige distillée est donc l’eau pure des laboratoires ; l’eau de pluie, l’eau de riviere, & même une eau commune quelconque, acquiert aussi par la distillation un degré de pureté qui peut être pris pour la pureté absolue.
L’ordre d’affinité de l’eau & de quelques-unes des substances que nous avons nommées, est tel que l’acide vitriolique & l’alkali fixe doivent être placés au premier rang, sans qu’on puisse leur assigner un ordre entr’eux ; car lorsqu’on verse un de ces deux corps sur une eau chargée de l’autre, il agit sur ce dernier avec tant d’énergie, qu’il est impossible de distinguer s’il en opere la précipitation avant la dissolution, comme cela s’observe sensiblement de l’alkali versé sur une dissolution de cuivre.
L’acide vitriolique a plus de rapport avec l’eau, que tous les autres acides ; il le leur enleve, il les concentre. L’ordre de tous ces autres acides entre eux, quant à leur affinité avec l’eau, n’est pas connu, & n’est peut-être pas connoissable.
Les esprits ardens (ordinairement représentés dans les expériences chimiques par l’esprit-de-vin) occupent le second rang, du moins par rapport à l’alkali fixe ordinaire qui les déphlegme.
Je dis, du moins par rapport à l’alkali fixe, pour ne rien établir sur l’acide vitriolique, duquel on ne sait pas en effet s’il y a plus de rapport avec l’eau que l’esprit-de-vin ; car on n’apprend rien sur ce point par les phenomenes de la préparation de l’éther vitriolique (voyez Ether vitriolique), & je crois que personne ne s’est encore avisé de mêler de l’acide vitriolique concentré, à de l’esprit-de-vin foible, pour s’instruire du degré d’affinité dont il s’agit.
Je dis en second lieu, l’alkali fixe ordinaire ; car l’ordre de rapport de l’alkali fixe de soude, de l’eau, & de l’esprit-de-vin, n’a pas été observé que je sache, & il ne paroît pas qu’il doive être le même que celui de l’alkali fixe ordinaire.
L’alkali volatil uni à l’eau est précipité par l’esprit-de-vin rectifié, comme il est évident par la production de l’offa de Vanhelmont. Voyez Offa de Vanhelmont.
Plusieurs sels neutres dissous dans l’eau, sont précipités par l’esprit-de-vin.
Plusieurs sels neutres unis à l’eau, sont précipités par l’alkali fixe, selon les expériences de M. Baron. (Voyez mém. étr. de l’acad. roy. des Scienc. vol. I.) Les sels neutres ont donc moins de rapport avec l’eau, que l’alkali fixe & que l’esprit-de-vin. Ils ont aussi avec ce menstrue une moindre affinité sans doute, que tous les acides minéraux ; mais ceci n’a pas été déterminé par des expériences, non plus que l’ordre d’affinité de toutes les autres substances solubles par l’eau.
Le chimiste qui se proposera d’étendre autant qu’il est possible, la table des rapports de M. Geoffroy, nous fournira sans doute toutes ces connoissances de détail, & il aura fait un travail très-utile.
Nous retirons dans les travaux ordinaires quelques utilités pratiques du petit nombre de connoissances que nous avons sur cette matiere : nous réduisons sous une forme concrete, des sels neutres très-avides d’eau, par le moyen de l’esprit-de-vin ; nous concentrons l’acide nitreux par l’acide vitriolique ; nous déphlegmons l’esprit-de-vin par le sel de tartre. Voyez la table des rapports au mot Rapport ; voyez Précipitation.
Troisiemement, le chimiste employe l’eau comme instrument méchanique, ou, si l’on veut, physique ; il l’interpose entre le feu & certains corps auxquels il veut appliquer un feu doux, & renfermé dans l’étendue des degrés de chaleur dont ce liquide est susceptible. Cet intermede (que j’appellerai faux, voy. Intermede) est connu dans l’art sous le nom de bain-marie (voyez Feu, Chimie). L’eau sert de la même façon dans la cuite des emplâtres qui contiennent des chaux de plomb. Voyez Emplatre.
L’eau est l’instrument essentiel de la pulvérisation philosophique, qu’on appelle aussi pulvérisation à l’eau. Voyez Pulvérisation.
Le lavage par lequel on sépare une poudre plus legere d’une poudre plus pesante, est encore une opération méchanique que le chimiste exécute par le moyen de l’eau. Voyez Lavage.
Il est aisé d’appercevoir que l’eau, dans les derniers usages que nous venons de rapporter, agit comme liquide, & non pas comme liquide tel ; & voilà pourquoi elle est dans ces cas un agent physique, & non pas un agent chimique. Voyez la partie dogmatique de l’article Chimie. (b)
Eau douce ou eau commune. L’eau que la nature nous présente sous la forme d’un corps aggregé, est encore un objet chimique, entant que les différentes substances dont elle est toûjours mêlée, ne peuvent être découvertes & définies que par des moyens chimiques.
L’eau qui paroît la plus pure, c’est-à-dire la plus limpide, la plus inodore & la plus insipide, celle que tout le monde connoît sous le nom d’eau douce ou d’eau commune, n’est pas exempte de mêlange, n’est pas un corps simple ou homogene. La distillation de la plus pure de ces eaux présente toûjours un résidu au moins terreux.
Les Naturalistes & les Medecins distinguent les différentes especes d’eau douce par divers caracteres extérieurs, & sur-tout par leur lieu ou leur origine. Nous adoptons cette division, puisqu’en effet c’est du lieu & de l’origine des eaux que dépendent les différences qui les spécifient chimiquement.
Il faut remarquer que nous ne comptons point parmi les matieres qui alterent la simplicité de l’eau douce, celles qui la troublent, qui sont simplement confondues avec l’élement aqueux, qui en sont séparables par la filtration, comme on les sépare en effet des eaux qu’on destine à la boisson. Voyez Filtre & Fontaine domestique.
Les principales especes d’eau douce, selon cette division, sont l’eau de pluie & de neige, l’eau de fontaine, l’eau de puits, l’eau de riviere, & l’eau croupissante.
Nous exposerons dans un instant la composition la plus ordinaire de chacune de ces eaux, d’après les connoissances positives que nous avons acquises sur cette matiere par divers moyens chimiques ; savoir la distillation, l’évaporation, & l’application de certains réactifs. Mais nous ne rapporterons ici que les résultats des recherches faites sur les eaux par ces moyens, nous réservant d’exposer leur emploi, leur usage & leur maniere d’agir, à l’article Minérale, (Eau) ; car les eaux minérales étant plus manifestement & plus diversement composées que les eaux douces, les effets des moyens chimiques seront plus marqués, plus évidens, plus distincts.
La légereté de l’eau est un signe de sa pureté. On détermine la gravité spécifique d’une eau, en la comparant à l’eau très-pure des Chimistes ; savoir l’eau distillée de pluie ou de neige, par le moyen de divers aréometres. Voyez Aréometre.
Il est, outre ces moyens exacts, quelques signes auxquels on peut reconnoître la pureté des eaux ; & ces signes sont très-suffisans, quand il ne s’agit de la déterminer que relativement aux besoins ordinaires de la vie : les voici tels qu’ils sont rapportés dans Rieger, introductio ad notitiam rerum naturalium, d’après les anciens auteurs de Medecine, d’Histoire naturelle & d’Œconomie rustique.
« Cette eau est bonne ou pure, qui étant roulée dans un vaisseau de cuivre, n’y laisse point de taches ; qui ayant boüilli dans un chauderon, & en ayant été versée par inclination, après qu’on l’y a laissée reposer un certain tems, n’a laissé au fond de ce vaisseau ni sable ni limon ; dans laquelle les légumes sont bientôt cuits ; dans le cours de laquelle il ne naît ni mousse ni jonc, & qui n’y laisse aucune espece d’ordure ; qui ne donne point un mauvais teint à ceux qui en font leur boisson ordinaire, qui les laisse joüir au contraire d’une santé robuste, d’une couleur fraîche & vermeille ; qui n’affecte ni leurs jambes, ni leurs yeux, ni leur gorge. Une couleur parfaitement limpide, une insipidité parfaite, & un manque absolu d’odeur, sont encore des caracteres essentiels à la bonne eau ; ensorte que Pline a eu raison de dire que la bonne eau devoit être en quelque maniere semblable à l’air.... Ajoûtez à cela qu’elle dissout parfaitement le savon, qu’elle nettoye mieux le linge, qu’elle nourrit les meilleurs poissons, qu’elle tire mieux les teintures des diverses substances auxquelles on l’applique, comme le thé ; qu’elle est la plus propre à faire du bon mortier ; & qu’enfin on en prépare la plus excellente biere. Les eaux qui réunissent toutes ces propriétés, sont appellées légeres, vives, douces, subtiles, molles, mites, lenes ; celles qui ont les qualités contraires, sont appellées dures, crues, pesantes ».
Eau de pluie & de neige. L’eau de pluie est ordinairement très-pure, elle a été élevée dans l’atmosphere par une véritable distillation ; cependant, soit qu’elle ait volatilisé une partie des matieres auxquelles elle étoit unie avant son élevation, soit qu’après avoir été parfaitement épurée par ce moyen, elle se soit chargée de nouveau de diverses substances répandues dans l’air, il est démontré par de bonnes expériences, que l’eau de pluie, dans le plus grand état de pureté où il paroisse possible de l’obtenir, contient-encore quelques principes étrangers.
Si l’on veut recueillir de l’eau de pluie dans la vûe de l’examiner chimiquement, il faut pourvoir avec les soins les plus scrupuleux à ce qu’elle ne puisse contracter pendant cette opération le moindre mêlange, la moindre altération : on doit la recevoir dans des vaisseaux de verre auparavant rincés avec de l’eau distillée, & exposés immédiatement à la pluie, après que l’air a été suffisamment purgé par une pluie précedente, dans un lieu écarté & découvert : on doit encore avoir soin d’enfermer cette eau dans des bouteilles de verre bien propres, dès qu’il a cessé de pleuvoir. C’est avec ces précautions que M. Marggraf a ramassé pendant l’hyver de 1751, l’eau de pluie sur laquelle ce savant chimiste a fait les expériences qu’il rapporte dans l’histoire de l’académie de Berlin, (année 1752) sous le titre d’Examen chimique de l’eau. Le résultat de cet examen, exécuté par le procédé le mieux entendu & le plus démonstratif, est que « cent mesures, chacune de trente-six onces d’eau de pluie, ont donné cent & quelques grains d’une terre blanche tirant sur le jaunâtre, & fort subtile, qui dans toutes ses relations & qualités ressembloit parfaitement à une véritable terre calcaire.... un vrai sel en forme de petite pique, tout-à-fait semblable au nitre, &..... quelques crystaux cubiques qui ne différoient en rien du sel commun de cuisine. Ces deux sels pesoient seulement quelques grains, & ils étoient d’une couleur brunâtre ; indice clair que cette eau, malgré toutes les précautions prises pour la recueillir, étoit cependant encore mêlée de particules visqueuses & huileuses ; ce qui ne pouvoit guere être autrement, puisque notre air en toute saison de l’année est abondamment rempli de diverses exhalaisons, comme les pluies de l’été le font très-souvent connoître par leur seule odeur..... Les parties salines & terrestres qui sont contenues dans l’eau de pluie recueillie très-pure, se découvrent assez manifestement, si on fait pourrir l’eau de pluie en l’exposant à la chaleur du soleil.... Je l’y exposai pendant les mois de Mai, Juin, Juillet, Août, jusqu’à la moitié de Sept. de l’année 1752, pendant lesquels mois il fit un tems assez chaud. Dans le commencement je n’observai aucun changement remarquable ; mais au bout d’un mois j’apperçûs un mouvement intérieur & de l’agitation : il s’élevoit de petites bulles, & on voyoit un limon verdâtre, assez semblable à celui qui couvre la surface de l’eau lorsqu’on dit qu’elle fleurit. Ce limon s’augmentoit de plus en plus, & s’attachoit en partie au fond, en partie aux côtés du vase. Si donc les parties susdites de notre eau de pluie étoient exemptes de mélange, & sur-tout que cette eau ne contînt point de parties mucilagineuses & huileuses, il n’y seroit arrivé aucune putréfaction ; mais la lenteur avec laquelle cette putréfaction arrive, en comparaison de celle qu’éprouvent d’autres eaux plus impures, vient de ce qu’il ne s’y trouve qu’une très-petite quantité des parties susdites : car l’eau poussée par la concentration de la même eau de pluie, faite en distillant, ayant été pareillement exposée à une égale chaleur du soleil, ne laissa pas appercevoir le moindre mouvement, bien loin d’éprouver la putréfaction & la séparation des parties terrestres.
» Cent mesures d’eau de neige recueillie avec les précautions dont nous venons de parler pour l’eau de pluie, fournirent à M. Marggraf, par les mêmes moyens, soixante grains d’une véritable terre calcaire, & quelques grains de sel qui tenoient plus du sel de cuisine que du sel nitreux ; en quoi il différoit du sel extrait de l’eau de pluie, lequel avoit plus de rapport avec le nitre. Toute la différence donc entre l’eau de pluie & l’eau de neige, n’est d’aucune importance, & se réduit à ce que l’acide de l’eau de pluie est plus nitreux, & qu’elle renferme plus de terre calcaire ; au lieu que l’eau de neige a plûtôt un acide salin que nitreux, & contient une moindre quantité de terre calcaire. Au reste le peu de sel que j’avois tiré de l’eau de neige, étoit pareillement d’une couleur brunâtre ; ce qui est un indice qu’il y a aussi des parties mucilagineuses & huileuses. Ayant exposé mon eau de neige à la chaleur du soleil pendant l’été de cette année, il lui arriva exactement les mêmes accidens qu’à l’eau de pluie, & elle vint aussi à putréfaction ».
Vanhelmont rapporte, & c’est un fait très-connu à-présent, que l’eau la plus pure dont on approvisionne nos navires, éprouve sous la ligne une véritable putréfaction ; qu’elle devient roussâtre, ensuite verdâtre, & enfin rouge ; que dans ce dernier degré d’altération elle répand une puanteur insupportable, & qu’elle se rétablit ensuite d’elle-même en peu de jours. Le même phénomene observé par M. Marggraf sur l’eau de neige & sur l’eau de pluie, l’une & l’autre beaucoup plus pure que celle qu’on charge sur nos vaisseaux, rend le premier beaucoup moins singulier. La putrescibilité de nos meilleures eaux est toûjours cependant une de leurs propriétés qui mérite le plus d’attention. Voyez Putréfaction.
Voilà des expériences exactes, qui établissent une grande analogie entre l’eau de pluie & l’eau de neige ; ensorte que l’on doit au moins douter que l’opinion qui fait regarder l’eau de pluie comme très-salutaire pour la boisson, & l’eau de neige très-insalubre au contraire ; que cette opinion, dis-je, soit suffisamment fondée : ou penser au moins que l’insalubrité, la prétendue dureté, crudité, &c. des eaux des neiges ou des glaces fondues, dépendent de certains accidens arrivés à la neige pendant qu’elle couvroit la surface de la terre, qu’elle étoit retenue sur-tout pendant de longs hyvers sur le sommet des montagnes.
Au reste il est trés-raisonnable de penser que la composition de la pluie & de la neige doivent varier dans les différens pays, dans les différentes saisons, par les différens vents, & par les autres circonstances qui modifient diversement l’état de l’athmosphere. M. Hellot recueillit au mois d’Aout 1735, dans des terrines isolées avec soin, de l’eau d’orage qui avoit une odeur sulphureuse, & qui précipitoit l’huile de chaux, comme auroit fait un esprit de vitriol très affoibli. M. Grosse a eu du tartre vitriolé, en faisant dissoudre du sel de tartre pur dans de l’eau d’orage qu’il avoit ramassée à Passy en 1724. Voyez mémoire sur le phosphore de Kunckel, &c. à la fin ; mém. de l’académie royale des Sciences, année 1737.
L’eau de pluie & l’eau de neige se conservent très bien, si on les ramasse avec les précautions rapportées à l’article Citerne.
L’eau distillée de pluie ou de neige est inaltérable, si on l’expose même à la chaleur du soleil & à l’abord libre de l’air, selon l’expérience de M. Marggraf, que nous avons rapportée ci-dessus en passant, & dont nous faisons mention ici plus expressément, pour confirmer ce que nous avons avancé de la pureté de cette eau dans l’article Eau, (Chimie.)
Eau de fontaine. Les variétés des eaux de fontaine sont très-considérables, parce que les entrailles de la terre que ces eaux parcourent, renferment une grande quantité de diverses matieres dont l’eau peut se charger par une vraie dissolution. Si quelques-uns de ces principes sont contenus dans une eau de source en une proportion suffisante pour altérer sensiblement les qualités extérieures de l’eau pure, une pareille eau est appellée minérale, voyez Minérale, (Eau.) Si au contraire elle n’est altérée par aucun principe qui se manifeste par des caracteres sensibles, tels que l’odeur, la saveur, la couleur, certains dépôts, des vertus medicinales évidentes, &c. elle est rangée parmi les eaux douces.
On trouve des eaux de fontaine qui sont autant ou plus pures que l’eau de neige : celles-ci naissent ordinairement dans les contrées où les pierres de la nature des grais, des quartz, des cailloux, sont dominantes. Les sources d’eau douce qui sortent d’un banc d’argile pure, sont aussi communément assez simples. Les pays où l’on ne trouve que des pierres & des terres calcaires, comme marbre, pierres coquilleres, craie, marne, &c. fournissent au contraire des eaux chargées d’une terre de ce genre, qui s’y trouve en partie nue, & en partie combinée avec un peu d’acide vitriolique sous la forme de selenite. La raison de ceci, c’est que la terre vitrifiable & la terre argilleuse ne sont que peu solubles, peut-être même absolument insolubles, par l’élément aqueux & par l’acide dont il peut être chargé, au lieu que les terres calcaires sont soûmises à l’action de ces menstrues.
Eau de puits. Il paroît que l’eau de puits ne doit pas différer originairement de l’eau de fontaine, & que si on la trouve plus communément chargée de terre & de diverses substances salines, c’est qu’étant ramassée dans une espece de bassin où elle est peu renouvellée, elle se charge de tout ce que l’eau qui vient de la surface de la terre, lui amene par une espece de lixiviation, & des ordures que l’air peut lui apporter sous la forme de poussiere. Cette conjecture est d’autant plus fondée, que c’est une ancienne observation que l’eau de puits devient d’autant plus pure, qu’elle est plus tirée.
L’eau des puits varie considérablement dans les différens pays, & dans les différens lieux du même pays ; nouvelle preuve que sa composition lui vient principalement des couches de terre supérieures à celle dans laquelle se trouvent les sources du toît. Quoi qu’il en soit, on trouve des puits qui fournissent une eau aussi pure que la meilleure eau de riviere, mais toûjours avec la circonstance de les tirer sans interruption.
L’eau des puits de Paris est prodigieusement seleniteuse & chargée de terre calcaire ; dans quelques puits même, au point d’en être trouble. M. Marggraf a trouvé l’eau des puits de Berlin très-chargée de terre calcaire, & d’une petite portion de terre gypseuse : ces eaux lui ont fourni aussi du vrai sel marin & du nitre. Ce dernier produit mérite une considération particuliere, relativement à une prétention sur l’origine du nitre, contredite par un fait rapporté dans les mémoires de l’académie royale des Sciences, & par celui-ci. Voyez Nitre.
Eau de riviere. La composition de l’eau de riviere, en exceptant toûjours les matieres qui la troublent après les inondations, est dûe 1°. aux principes dont se sont chargées, dans les entrailles de la terre, les diverses fontaines dont les rivieres sont formées : 2°. aux matieres solubles qu’elles peuvent détacher du fond même de leur lit : 3°. aux plantes qui végetent dans leur sein, & aux poissons qui s’y nourrissent : 4°. enfin aux diverses ordures, que les égoûts & les fossés qui s’y dégorgent peuvent leur amener des lieux habités, des terres arrosées, &c.
Comme les eaux de fontaine pures sont plus ordinaires que celles qui sont très-terreuses, & que ces dernieres se purifient vraissemblablement dans leur course, l’eau de riviere doit être peu chargée de matieres détachées de l’intérieur de la terre ; elle varie davantage, selon la nature du terrein qu’elle parcourt. Celle qui coule sur un beau sable, sur des gros caillous, ou sur une couche de pierre vitrifiable, est très-pure. Celles qui, comme la Marne, coulent dans un lit de craie, ou dans un terrein bas & marécageux, comme la plûpart des rivieres de la Hollande & celles de la Marche de Brandebourg, selon Fréd. Hoffman ; celles-ci, dis-je, sont très impures. La rapidité des rivieres est encore une cause très-efficace de la pureté de leurs eaux, tant parce qu’elles s’épurent, qu’elles éprouvent une précipitation spontanée, une vraie décomposition par le mouvement intérieur de leurs parties, que parce que les rivieres rapides ne sont point poissonneuses, & qu’il ne peut croître que très-peu de plantes dans leur lit. Le Rhin, le Rhone, & presque toutes les grandes rivieres du royaume, fournissent des eaux très-pures ; parce qu’elles coulent dans un beau lit, qu’elles sont rapides, & peu poissonneuses. Les rivieres très-lentes & très-poissonneuses d’Hongrie, roulent une eau très-chargée de divers principes qui la disposent facilement à la corruption. Deux plantes dangereuses, l’hippuris & le conserva, ou mousse d’eau, s’étant extrèmement multipliées dans le lit de la Seine en l’année 1731, qui fut très-seche, il régna à Paris des maladies qui dépendoient évidemment de la qualité que ces plantes avoient communiquée à l’eau, selon l’observation de M. de Jussieu (Mém. de l’acad. roy. des Sc. ann. 1733) Toutes les immondices que les égoûts des villes peuvent porter dans une grande riviere, ne l’alterent pas au point qu’on l’imagine communément. L’eau de la Seine, prise au-dessous de l’hôtel-Dieu & de tous les égouts de Paris, & même dans le voisinage de ces égouts, & au-dessous des bateaux des blanchisseurs, n’est point sensiblement souillée ; la masse immense & continuellement renouvellée d’eau, dans laquelle ces ordures sont noyées, empêche qu’elles n’y soient sensibles : en un mot l’eau de la Seine, puisée sur le bord de la riviere, entre le pont-neuf & le pont-royal, sans la moindre précaution, est excellente pour la boisson & pour l’usage des arts chimiques ; & l’auteur des nouvelles fontaines domestiques a eu raison d’attribuer aux fontaines de cuivre, les dévoiemens qu’éprouvent assez ordinairement, par la boisson de l’eau de la Seine, les étrangers nouvellement transplantés à Paris, au lieu d’en accuser l’impureté de cette eau.
Eau croupissante, stagnans. Le degré d’impureté auquel ces eaux-ci peuvent parvenir, n’a d’autres bornes que leur faculté de dissoudre, jusqu’à saturation, toutes les matieres qu’elles peuvent attaquer, les plantes, les poissons, les insectes, les fumiers, & toutes les matieres répandues sur la surface d’un terrein habité & cultivé. Leur état de composition se décele à la vûe, à l’odeur, & au goût. Nous ne saurions entrer dans un plus grand détail sur cette matiere. (b)
Eau salée, eau de la mer, des fontaines, & puits salans. Voyez Marin (Sel), Mer, Puits salant & Salines.
Eaux minérales & médicinales, voyez Minérales (Eaux).
Eau commune, (Pharm.) l’eau sert d’excipient dans un très-grand nombre de préparations pharmaceutiques. Il est celui des potions, des apozèmes, des bouillons, des tisanes, &c. On la prescrit souvent dans les remedes magistraux, sans dose déterminée, ou en s’en rapportant à l’expérience de l’apothicaire. Aquæ communis quantum satis, ou quantum sufficit, dit-on dans ce cas : formule qui s’abrege ainsi, Aq. C. Q. S. Dissolve, dit-on encore, ou coque in sufficienti quantitate aquæ communis, qu’on abrege ainsi, in S. Q. Aq. C. C’est souvent de l’eau de fontaine que les Medecins demandent dans ces cas ; & on trouve communément dans les ordonnances aqua fontana, au lieu d’aqua comnunis ; mais l’eau commune pure de fontaine, de citerne, ou de riviere, est également bonne pour tous les usages pharmaceutiques.
L’eau a un usage particulier dans la cuite des emplâtres. Voyez Emplatre.
Elle est la base des émulsions, du plus grand nombre de sirops, &c. Voyez Emulsion & Sirop. (b)
Eau, (Med.) L’eau douce, ou l’eau commune, appartient à la Medecine à deux titres : premierement, comme chose non-naturelle, ou objet diététique : secondement, comme un remede. Nous allons la considérer sous ces deux points de vûe dans les deux articles suivans.
Eau commmune, (Diete.) Personne n’ignore les principaux usages diététiques de l’eau ; l’eau pure est la boisson commune de tous les animaux : & quoique les hommes l’ayent chargée dès long-tems de diverses substances, comme miel, lait, extrait leger de quelques plantes, diverses liqueurs fermentées, &c. que plusieurs même lui ayent absolument substitué ces dernieres liqueurs, il est cependant encore vrai que l’eau pure est la boisson la plus générale des hommes.
Cette boisson salutaire a été de tout tems comblée des plus grands éloges par les Philosophes & par les Medecins ; la santé la plus constante & la plus vigoureuse a été promise aux buveurs d’eau, comme un ample dédommagement des plaisirs passagers que l’usage des liqueurs fermentées auroit pû leur procurer. La loi de la nature interprétée sur l’exemple des animaux, a fourni aux apologistes de l’eau un des argumens, sur lesquels ils ont insisté avec le plus de complaisance. Plusieurs medecins de ce siecle nous ont donné des explications physiques & méchaniques des bons effets de l’eau. Mais il est un autre ordre de medecins qui échangeroient volontiers ces savantes spéculations, contre une bonne suite d’observations exactes. Nous nous en tiendrons avec ceux-ci, à ce que nous apprend sur ce point important de diete, un petit nombre de faits dont la certitude est incontestable.
Premierement, nous n’avons aucun moyen d’apprétier au juste l’utilité de l’eau, considérée génériquement comme boisson, mise en opposition avec la privation absolue de toute boisson. Les exemples des gens qui ne boivent point, sont trop rares pour que nous puissions évaluer contradictoirement les effets absolus de l’eau dans la digestion, la circulation, la nutrition, les secrétions. Il est prouvé cependant par plus d’une observation, qu’on peut vivre & se bien porter sans boire.
Secondement : les bûveurs d’eau, mis en opposition avec les bûveurs de vin (selon la maniere ordinaire de considérer les vertus diététiques de l’eau), joüissent plus communément d’une bonne santé que ces derniers. Les premiers sont moins sujets à la goutte, aux rougeurs des yeux, aux tremblemens de membres, & aux autres incommodités, que l’on compte avec raison, parmi les suites funestes de l’usage des liqueurs spiritueuses. Voyez Vin, (Diete).
Les bûveurs d’eau sont peu sujets aux indigestions ; l’eau est, selon la maniere de parler vulgaire, le meilleur dissolvant des alimens. La plûpart des personnes qui se portent bien, éprouvent après le repas, pendant lequel elles n’ont bû que de l’eau, cette légereté de corps & cette sérénité paisible de l’ame, qui annoncent la digestion la plus facile & la meilleure.
En mangeant des fruits ou des sucreries, il faut boire nécessairement de l’eau ; le palais même qui est le premier juge des boissons & des alimens, décide par un sentiment très-distinct en faveur de l’eau.
Les bûveurs d’eau passent pour très-vigoureux avec les femmes, dans l’exercice vénérien ; mais peut-être ne se sont-ils fait une réputation à cet égard, que par la comparaison qu’on a faite de leur talent avec l’impuissance des hommes perdus d’ivrognerie. Voyez Vin, (Diete).
Au reste, il n’est personne qui n’apperçoive que ce sont moins ici les propriétés réelles de l’eau, que l’exemption des inconvéniens qu’entraîne l’usage immodéré des liqueurs fermentées. Voyez l’article Vin, (Diete).
Il n’est pas vrai que les paysans des pays où les liqueurs vineuses manquent, soient plus forts & plus laborieux que ceux où ces liqueurs sont si communes, que le paysan en peut faire sa boisson ordinaire. Voyez Vin, (Diete), & Climat, (Med.)
En général, il vaut mieux boire l’eau froide que chaude. Dans le premier état, elle remplit mieux les vûes de la nature, c’est-à-dire, qu’elle pourvoit mieux au besoin que l’on cherche à satisfaire en bûvant de l’eau ; elle appaise la soif, & ranime davantage, reficit ; elle plaît à l’estomac sain, comme au palais. L’eau chaude, au contraire, ne desaltere point & ne ranime point ; elle ne plaît point à l’estomac, non plus qu’aux organes du goût : les nausées & le vomissement qu’elle excite, quand elle est échauffée à un certain degré, en sont une preuve. Cette observation générale n’empêche point que dans certains cas particuliers, dans celui où se trouvent, par exemple, les personnes qui ont l’estomac trop sensible, ou pour exprimer un état plus évident, les personnes qui ont éprouvé que l’eau froide dérangeoit leur digestion, ou même leur causoit des coliques, des hoquets, &c. accidens qu’on observe quelquefois chez des femmes vaporeuses, & chez certains mélancoliques, on ne doive user d’eau chaude. V. Colique, Hoquet, Histérique (Passion), Mélancolie, Hippocondriaque.
Il n’est pas si évident que, dans le cas des simples rhûmes, où l’on est assez généralement dans l’usage de chauffer l’eau qu’on boit, cette pratique soit aussi nécessaire que dans le cas précédent. Dans le premier, elle est fondée sur un fait : dans le dernier, ce pourroit bien n’être que sur une prétention ; il sera cependant toûjours prudent de boire chaud pendant qu’on est enrhûmé, jusqu’à ce qu’il soit décidé par des bonnes observations, que la boisson de l’eau froide n’est pas dangereuse dans les rhûmes. On a prétendu en Angleterre, qu’elle étoit curative. Voy. l’article suivant.
Au reste, en continuant à reclamer les observations, nous établirons que dans les sujets sains, la boisson de l’eau froide, & même à la glace, ne produit aucun mal connu ; & que l’usage habituel de l’eau chaude (ou des infusions théiformes qui sont la même chose, à quelque legere nuance d’activité près), affoiblit l’estomac, rend le corps lourd & paresseux, & l’esprit sans chaleur & sans force.
Ce que nous venons d’établir, ne détruit point cette sage loi diététique, qui défend de boire de l’eau froide quand le corps est très-échauffé par un exercice violent : mais dans ce cas même, la boisson de l’eau froide est sujette à peu d’inconvéniens, si l’on continue à s’échauffer après avoir bû. Les chasseurs des pays chauds, suans à grosses gouttes, boivent sans s’arrêter de l’eau des fontaines qu’ils trouvent sur leur chemin, & ils prétendent qu’ils ne s’en sont jamais trouvés mal. Il ne seroit pourtant pas prudent de boire de l’eau trop froide, même avec cette précaution.
L’eau bûe en trop grande quantité pendant les chaleurs de l’été, dispose à suer, & affoiblit singulierement. Voyez Climat, (Med.) Plus on la boit chaude, plus elle produit ces effets.
L’eau la plus pure est la meilleure pour la boisson. Voyez ci-dessus, à l’article Eau douce (Chimie), quelle est la plus pure des différentes eaux douces, & à quels signes on la reconnoît. Nous n’en savons pas plus sur le choix des eaux, que ce qu’en ont écrit les anciens medecins. Nous sommes, avec raison ce semble, de l’avis de Celse sur cette matiere. Voici comme il s’en explique. L’eau la plus legere, dit-il, (c’est-à-dire la meilleure à boire, levissima stomacho, minime gravis), est l’eau de pluie ; ensuite l’eau de source, de riviere, ou de puits ; celles que fournissent les neiges & les glaces fondues, viennent après celles-là. Les eaux de lac sont plus pesantes (sous-entendez à l’estomac) que celles-ci ; & les plus lourdes sont enfin les eaux d’étang ou de marais, ex palude.
Les eaux des neiges & des glaces fondues, passent pour la principale cause des goëtres & des tumeurs écroüelleuses, auxquelles sont sujets les habitans des montagnes. Voyez Goetre & Ecrouelles. Les eaux croupissantes, palustres, causent aux hommes qui les boivent les maux suivans, qu’Hippocrate a très-bien observés & décrits dans son traité, de aere, aquis & locis : toute eau qui croupit, dit ce pere de la Medecine, doit être nécessairement chaude, lourde, & puante en été ; froide, & troublée par la neige & la glace (sur-tout par le dégel) en hyver ; ceux qui la boivent ont des rattes amples & engorgées, & les ventres durs, resserrés, & chauds ; les clavicules, les épaules, & la face déprimées ; ils sont maigres, mangeurs, & altérés ; leurs ventres ne peuvent être évacués que par les plus forts médicamens ; ils sont sujets en été à des dyssenteries, des cours de ventre & des fievres quartes : ces maladies étant prolongées, disposent de pareils sujets à des hydropisies mortelles. En hyver, les jeunes gens sont sujets à des péripneumonies, & à des délires ; & les vieillards, à des fievres ardentes, à cause de la dureté de leur ventre. Les femmes sont sujettes à des tumeurs œdémateuses ; elles conçoivent difficilement, & accouchent avec peine de fœtus grands & bouffis : les enfans de ces pays sont sujets aux hernies ; les hommes aux varices & aux ulceres des jambes. Il est impossible que des sujets ainsi constitués, puissent vivre long-tems ; & en effet, ils vieillissent & meurent de bonne-heure, &c.
On a imaginé divers moyens de purifier les mauvaises eaux. Le meilleur & le plus praticable est de les faire bouillir après les avoir exposées à la putréfaction, & ensuite de les filtrer, ou de les laisser déposer par le repos. Voyez Fontaine domestique. On peut aussi les faire bouillir, sans les avoir laissées pourrir ; mais la dépuration sera alors moins parfaite. Voyez Putréfaction.
L’application extérieure de l’eau est encore de notre sujet. L’immersion totale du corps dans l’eau est généralement connue sous le nom de bain. Voyez Bain. L’habitude de laver tous les matins, ou dans d’autres intervalles reglés, les piés, les mains, & la tête avec de l’eau froide, a été célébrée par plusieurs auteurs. Locke propose, dans son traité de l’éducation des enfans, de les y soûmettre dès l’âge le plus tendre ; cet illustre Anglois s’appuie sur l’exemple de tous les peuples du Nord, où on nous assûre que c’est une pratique absolument établie depuis long-tems. Les partisans de cet usage prétendent que non-seulement il peut procurer au corps une vigueur peu commune, mais encore qu’il met presque absolument à l’abri de tous rhûmes, fluxions, douleurs, & autres incommodités qui sont dûes dans les sujets ordinaires, à leur sensibilité au froid, & à l’humidité de l’air, auxquels on est inévitablement exposé. Ces avantages sont très-grands assûrément, & il paroît assez raisonnable de ne pas les regarder comme des promesses vaines. Nous avons déjà, ce qui est beaucoup, une forte présomption qu’au moins cette méthode est sujette à peu d’inconvéniens réels. Il est peu de personnes saines, qui ayant essuyé une longue pluie qui a percé leurs habits jusqu’au corps, ayent été réellement incommodées par cet accident. L’habitude doit rendre l’application extérieure de l’eau froide, moins dangereuse encore sans contredit. On a poussé les prétentions plus loin, en faveur de l’application dont il s’agit ; on l’a érigée en remede de la foiblesse de tempérament actuelle, même chez les enfans.
Les femmes, pendant le tems des regles ou des vuidanges, ne doivent point tremper les piés ou les mains dans l’eau froide, ni s’exposer d’aucune autre façon au contact immédiat de l’eau froide. On a vû souvent ces évacuations s’arrêter par cette cause, avec tous les accidens dont ne sont que trop souvent suivies ces suppressions. Voyez Regles & Vuidanges. C’est cependant encore ici une cause de maladie, que l’habitude rend sans effet. Les femmes du peuple font leur ménage, lavent leur linge, &c. sans inconvénient, pendant leurs regles & pendant leurs vuidanges : mais leur exemple en ceci, comme sur tous les autres points de régime, ne conclut rien pour les personnes élevées délicatement, pour les corps qui ne sont pas familiarisés avec ces sortes d’épreuves.
Tout le monde sait que les personnes qui sont exposées par état à souffrir la pluie, à garder long-tems des habits mouillés sur le corps, à dormir sur la terre humide, quelquefois dans une vraie boue, ou même dans l’eau, &c. tels que les soldats, les pêcheurs de profession, les chasseurs passionnés, ceux qui travaillent sur les rivieres, &c. que ces personnes, dis-je, sont très-sujettes aux douleurs rhûmatismales, & même à certaines paralysies. Voyez Rhumatisme & Paralysie.
Les ouvriers & les manœuvres, qui ont continuellement les jambes dans l’eau, sont particulierement sujets à une espece d’ulceres malins qui attaquent cette partie, & qui sont connus sous le nom de loups. Voyez Loups, (Chirurgie).
Eau commune, (Mat. med.) Ce n’est rien que les éloges qu’on a accordés à la boisson ordinaire de l’eau pure, dans l’état de santé, en comparaison de ceux qu’on lui a prodigués à titre de remede ; elle a réuni les suffrages des Medecins de tous les siecles ; Avicenne & ses disciples ont été les seuls qui ayent paru en redouter l’usage dans les maladies.
C’est contre cette crainte systématique, qui avoit apparemment séduit quelques esprits au commencement de ce siecle, que Hecquet s’éleva avec tant de zele & de bonne-foi. Personne n’ignore l’excès jusqu’auquel il poussa ses prétentions, plus systématiques encore, en faveur de la boisson de l’eau : la mémoire toute récente de sa méthode, & plus encore le portrait le plus ressemblant que nous a tracé l’ingénieux auteur de Gilblas, sous le nom du docteur Sangrado, rendent présente cette singuliere époque de l’histoire de la Medecine, à ceux même qui ne connoissent point les écrits aussi bisarres que fanatiques de ce medecin. Fridéric Hoffman entreprit à peu-près dans le même tems d’établir, dans une dissertation faite à dessein, que l’eau étoit la vraie medecine universelle : mais ce célebre medecin, peut-être plus blamable en cela, mais cependant moins dangereux qu’Hecquet, ne pratiqua point d’après ce dogme ; il employa beaucoup de remedes, il eut même des secrets ; il ne fut qu’un panégyriste rationel de sa prétendue medecine universelle. Quelques auteurs modernes, beaucoup moins connus, nous ont donné aussi des explications physiques & méchaniques des effets de l’eau. L’opinion du public, & sur-tout des incrédules en Medecine, est encore très-favorable à ce remede ; & enfin quelques charlatans en ont fait en divers tems un spécifique, un arcane.
En reduisant tous ces témoignages, & les observations connues à leur juste valeur, nous ne craindrons pas d’établir.
1°. Que la méthode de traiter les maladies aiguës par le secours de la boisson abondante des remedes aqueux, des délayans dont l’eau fait le seul principe utile (V. Délayant), est vaine, inefficace, & souvent meurtriere ; qu’elle mérite sur-tout cette derniere épithete, si on soûtient l’action de la boisson par des fréquentes saignées ; que l’eau n’est jamais un remede véritablement curatif.
2°. Que la nécessité, & même l’utilité de la boisson dans le traitement des maladies aiguës, à titre de secours secondaire, disposant les organes & les humeurs à se préter plus aisément aux mouvemens de la nature, ou à l’action des remedes curatifs ; que l’utilité de la boisson, dis-je, à ce titre n’est rien moins que démontrée ; qu’aucune observation claire & précise ne reclame en sa faveur ; & qu’on trouveroit peut-être plus aisément des faits, qui prouveroient qu’elle est nuisible dans quelques cas.
3°. Que certaines méthodes particulieres, nées hors du sein de l’art, & qui ont eu une vogue passagere dans quelques pays, telles que celle d’un ecclésiastique anglois nommé M. Hancock, & celle du P. Bernardo-Maria de Castrogianne capucin sicilien ; que ces méthodes, dis-je, ne sauroient être tentées qu’avec beaucoup de circonspection, & même de méfiance, par les Medecins légitimes. Le premier des deux guérisseurs que nous venons de nommer, donnoit l’eau froide comme souverain fébrifuge ; & il prétend avoir excité, dans tous les cas où il a éprouvé ce remede, des sueurs abondantes qui prévenoient les fievres qui auroient été les plus longues & les plus dangereuses, telles que la fievre maligne, &c. si on donnoit le remede à tems, c’est-à-dire dès le premier ou le second jour de la maladie, & qu’il l’enlevoit même quelquefois lorsqu’elle étoit bien établie, c’est-à-dire si elle étoit déjà à son quatrieme ou à son cinquieme jour. Le capucin a guéri toutes les maladies aiguës & chroniques, en faisant boire de l’eau à la glace, & observer une diete plus ou moins severe. M. Hancock guérissoit par les sueurs ; le capucin avoit grand soin de les éviter, il ne vouloit que des évacuations par les selles. On trouvera ces deux méthodes exposées dans le recueil intitulé vertus de l’eau commune ; la premiere dans une dissertation fort sage & fort ornée d’érudition médicinale ; & la seconde avec tout l’appareil de témoignages qui annoncent le charlatanisme le plus décidé. Le remede anglois contre la toux, savoir quelques verres d’eau froide prise en se mettant au lit, qui est un rejetton du système du chapelain Hancock, dont quelques personnes font usage parmi nous, ne sauroit passer pour un remede éprouvé.
4°. Les vertus réelles & évidentes de l’eau se réduisent à celles-ci : l’eau chaude est réellement un sudorifique léger & innocent ; les infusions théiformes, qui ne sont que de l’eau dont la dégoutante fadeur est corrigée, excitent doucement la transpiration de la peau & des poumons (voyez Sudorifique) ; elles sont stomachiques (voyez Stomachique). L’eau tiede fait vomir certains sujets par elle-même, & facilite l’action des vomitifs irritans dans tous les sujets (voyez Vomitif) ; prise en abondance elle nettoye l’estomac des restes d’une mauvaise digestion, & remédie quelquefois aux indigestions, en faisant passer dans le canal intestinal la masse d’alimens qui irritoit ou affaissoit l’estomac. L’eau froide calme, du moins pour un tems, la chaleur de l’estomac & les légeres ardeurs d’entrailles ; elle appaise la soif ; elle rafraîchit réellement & utilement tout le corps, en certains cas, comme dans ceux où l’on a contracté une augmentation de chaleur réelle par l’action d’une chaleur extérieure, ou par l’usage des liqueurs fermentées ; elle remet très efficacement l’estomac qui a été fatigué par un excès de vin, hesternâ crapulâ. Un ou deux verres d’eau fraîche pris deux heures après le repas, préviennent les mauvais effets des digestions fougueuses chez les personnes vaporeuses de l’un & de l’autre sexe (voy. Passion hystérique & Mélancolie hypocondriaque). Des personnes qui avoient l’estomac foible & noyé de pituite ou de glaires, se sont fort bien trouvées de l’habitude qu’elles ont contractée d’avaler quelques verres d’eau fraîche le matin à jeun.
Nous n’avons parlé jusqu’à présent que des effets de l’eau prise intérieurement ; ses usages extérieurs ne sont pas moins étendus, peut-être sont-ils plus réels, au moins plus efficaces. L’eau s’applique extérieurement sous la forme de bain (voyez Bain & ses diverses especes, Demi-bain, Lotion des piés pediluvium, Lotion des mains & du visage, aux articles Bain & Lotion.
L’eau froide jettée avec force sur le visage, arrête les évanoüissemens (voyez Evanouissement) ; elle produit quelquefois le même effet, au moins pour un tems, dans certaines hémorrhagies (voyez Hémostatique) ; mais plusieurs autres liqueurs froides procureroient le même soulagement. (b)
Eaux distillées, (Chimie médicinale.) Les eaux distillées dont il est ici question, sont le produit le plus mobile de la distillation des végétaux & des animaux, celui qui se sépare de ces substances exposées au degré de chaleur de l’eau bouillante, & même à un feu inférieur à ce degré.
La base de ces liqueurs est de l’eau ; & même la partie qui n’est pas eau, dans celles qui sont le plus chargées de divers principes, est si peu considérable, qu’elle ne sauroit être déterminée par le poids ni par la mesure.
Les différens principes qui peuvent entrer dans la composition des eaux distillées, sont 1°. la partie aromatique des plantes & des animaux : 2°. une certaine substance qui ne peut pas être proprement appellée odeur ou parfum, puisqu’elle s’éleve des substances même que nous appellons communément inodores, mais qui se rend pourtant assez sensible à l’odorat, pour fournir des caracteres plus ou moins particuliers de la substance à laquelle elle a appartenu ; cette partie aromatique & cette substance beaucoup moins sensible, sont connues parmi les Chimistes sous le nom commun d’esprit recteur, que Boerhaave a remis en usage : 3°. les alkalis volatils spontanés des végétaux : 4°. la partie vive de plusieurs plantes, qui a imposé à Boerhaave & à ses copistes pour de l’alkali volatil, telle que celle de l’ail, de l’oignon, de la capucine, de l’estragon, &c. 5°. l’acide volatil spontané que j’ai découvert dans le marum, & qu’on trouvera peut-être dans quelques autres plantes.
C’est pour l’usage médicinal que l’on prépare communément les eaux distillées, & l’on expose au feu les matieres desquelles on les retire, dans un appareil tel qu’il est impossible de pousser la distillation au-delà de la production de ces eaux, qui sont l’unique objet de cette opération. L’artiste retire de cette méthode beaucoup de commodité, puisqu’il est toûjours sûr de son opération, sans qu’il soit obligé à gouverner son feu avec une attention pénible, & qui pourroit souvent être insuffisante.
Les produits qu’un plus haut degré de feu détacheroit des sujets de l’opération dont il s’agit, mêlés, quoiqu’en petite quantité, à une eau distillée, la coloreroient, lui donneroient une odeur d’empyreume, altéreroient ses vertus médicinales, & la disposeroient à une altération plus prompte : voilà précisément les inconvéniens qu’on évite dans le procédé que nous avons annoncé & que nous allons exposer.
On exécute cette opération dans deux appareils différens ; la maniere de procéder par le premier appareil consiste à placer les matieres à distiller dans une cucurbite de cuivre étamé, ou d’étain pour le mieux, à adapter cette cucurbite dans un bain-marie, à la recouvrir d’un chapiteau armé d’un réfrigérant, & à distiller par le moyen du feu appliqué au bain, jusqu’à ce que la liqueur qui passe soit trop peu chargée d’odeur ou trop peu sapide. V. les Pl. de Chim.
On peut exécuter aussi cette opération par l’application du feu nud, au moyen d’un ancien alembic appellé chapelle ou rosaire, voyez Chapelle. Boerhaave expose ses matieres au feu nud ; voyez son premier procédé, el. chim. tom. II. & il est obligé de mesurer par le thermometre le degré de chaleur qu’il employe, ce qui est d’une pratique très-incommode.
Dans le second appareil on met les matieres à distiller dans une cucurbite de cuivre étamé ; on verse sur ces matieres une certaine quantité d’eau ; on recouvre la cucurbite d’un chapiteau armé de son réfrigerant, & on retire par le moyen du feu appliqué immédiatement à la cucurbite, une certaine quantité de liqueur déterminée par une observation transmise d’artiste à artiste, & conservée dans les pharmacopées. Voyez les Planches de Chimie.
On traite ordinairement par le premier procedé les fleurs odorantes, telles que les roses, les œillets, la fleur d’orange, celle de muguet, de tilleul, &c. On distille toûjours, selon le même procedé, le petit nombre de substances animales dont les eaux distillées sont en usage en Medecine ; savoir, le miel, le lait, la bouse de vache, le frai de grenouilles, l’arriere-faix, le jeune bois de cerf, les limaçons, &c.
Les eaux distillées de cette premiere maniere, sont connues dans quelques livres sous le nom d’eaux essentielles.
On distille aussi au bain-marie, & sans addition, les plantes cruciferes, telles que le cochlearia & le cresson, pour faire ce qu’on appelle les esprits volatils de ces plantes. On distille ces mêmes plantes par le même procédé, mais en ajoûtant de l’esprit-de-vin pour faire leurs esprits volatils. On a coûtume d’ajoûter aussi un peu d’eau dans la distillation des fleurs d’orange au bain-marie.
On traite de la seconde maniere toutes les autres substances végétales, dont on s’est avisé de retirer des eaux distillées, plantes fraîches & seches, fleurs, calices, semences, écorces, bois, racines, &c. & même la plûpart de celles que nous venons de donner pour les sujets ordinaires de la distillation au bain-marie.
Les produits de cette derniere opération s’appellent proprement eaux distillées.
Il faut observer que lorsque ces dernieres eaux sont bien préparées, & sur-tout lorsqu’elles ont été très-chargées des principes volatils des plantes par des cohobations répetées (voyez Cohobation), elles ne retiennent que bien peu de l’eau étrangere qui a été employée dans leur distillation, & qu’elles sont comprises par conséquent dans la définition que nous avons donnée des eaux distillées en général, qui paroîtroit, sans cette réflexion, ne convenir qu’aux eaux essentielles.
Les eaux essentielles, rétirées des substances odorantes, sont cependant plus aromatiques & plus durables que celles qui sont rétirées des mêmes substances par l’addition de l’eau. Cela vient, pour la partie aromatique, de ce que dans la premiere opération toute la partie aromatique du sujet traité passe avec l’eau essentielle ; au lieu que dans la seconde, une partie de ce principe reste unie à une huile essentielle qui s’éleve avec l’eau dans la distillation du plus grand-nombre des plantes odorantes (voyez Huile essentielle). Les eaux distillées par la seconde méthode sont moins durables, parce que l’eau qu’on employe à leur distillation, & le plus haut degré de feu qu’on leur applique, volatisent une certaine matiere mucilagineuse qui forme des especes de réseaux ou nuages qui troublent après quelques mois la limpidité de ces eaux, & qui les corrompt à la fin, qui les fait graisser. Les eaux les plus sujettes à cette altération, sont celles qu’on retire des plantes très aqueuses, insipides, & inodores ; telles sont l’eau de laitue, l’eau de pourpier, de bourrache, de buglosse, &c.
Voilà donc les principales différences des deux opérations : l’addition d’une eau étrangere & un feu plus fort, distinguent la derniere de la premiere. On verra à l’article Feu, qu’un corps exposé à la chaleur de l’eau, dans l’appareil que nous appellons bain-marie, ne prend jamais le même degré de chaleur que le bain, & par conséquent qu’il ne contracte jamais celui de l’eau bouillante.
Après avoir donné une idée générale de ces opérations, voici les observations particulieres que nous croyons les plus importantes.
Premierement, il importe très-fort pour l’exactitude absolue de la préparation, & plus encore pour son usage médicinal, que les vaisseaux qu’on employe à la distillation des eaux dont il s’agit, ne puissent leur communiquer rien d’étranger, & sur-tout de nuisible. C’est pour se conformer à cette regle (qui n’est qu’une application d’une loi générale du manuel chimique), que nous avons recommandé de se servir de cucurbites d’étain autant qu’il étoit possible : il est plus essentiel encore que les chapiteaux soient faits de ce métal, que les principes les plus actifs élevés dans la distillation dont nous parlons n’attaquent point, du moins sensiblement, au lieu que le cuivre est manifestement entamé par plusieurs de ces principes. Voyez Chapiteau.
La pauvreté chimique ne permet pas de penser aux chapiteaux d’argent ou d’or, qui seroient sans contredit les meilleurs. Les alembics de verre, recommandés dans la pharmacopée de Paris pour la distillation des plantes alkalines, ne peuvent servir que pour un essai, ou dans le laboratoire d’un amateur, mais jamais dans celui d’un artiste qui exécute ces distillations en grand : car la fracture à laquelle ces vaisseaux sont sujets, la prodigieuse lenteur de la distillation dans des alembics dont on ne peut presque pas rafraîchir les chapiteaux, l’impossibilité d’en avoir d’une certaine capacité ; tout cela, dis-je, rend cette opération à-peu-près impraticable. On a eu raison cependant de préferer les vaisseaux de verre aux vaisseaux de cuivre, malgré tous les inconvéniens de l’emploi des premiers ; mais l’étain, comme nous l’avons déjà observé, n’est pas dangereux comme le cuivre, & il en a toutes les commodités.
2°. Si le réfrigérant adapté au chapiteau d’étain, ne condense pas assez au gré de l’artiste certains principes très-volatils, il a la ressource du serpentin ajoûté au bec du chapiteau. Voyez Serpentin.
3°. Si les substances à distiller sont dans un état sec ou solide, il est bon de les faire macérer à froid ou à chaud, pendant un tems proportionné à l’état de chaque matiere. Les bois & les racines seches doivent être rapés, les racines fraîches pilées ou coupées par rouelles ; les écorces seches, comme celles de canelle, concassées, &c. N. B. Que les bois, les racines, & les écorces se traitent par le second procédé.
4°. L’on doit avoir soin dans la distillation avec addition d’eau, de ne remplir la cucurbite que d’une certaine quantité de matiere, telle que le plus grand volume qu’elle acquerra dans l’opération, n’excede pas la capacité de la cucurbite ; car si ces matieres en se gonflant passoient dans le chapiteau, non-seulement l’opération seroit manquée, mais même si le bec du chapiteau venoit à se boucher, ce qui arrive souvent, dans ce cas le chapiteau pourroit être enlevé avec effort, & l’artiste être blessé ou brûlé. Les plantes qu’on appelle grasses, & sur-tout celles qui sont mucilagineuses, font sur-tout risquer cet accident.
5°. Aucun artiste n’observe les doses d’eau prescrites dans la plûpart des pharmacopées, & il est en effet très-inutile d’en prescrire : la regle générale qu’ils se contentent d’observer, est d’employer une quantité d’eau suffisante, pour qu’il y ait au fond du vaisseau ; sous la plante, le bois ou l’écorce traitée, toutes matieres qui surnagent pour la plûpart ; qu’il y ait, dis-je, au fond de la cucurbite trois ou quatre pouces d’eau, plus ou moins, selon la capacité du vaisseau, ou un ou deux pouces au-dessus des bois plus pesans que l’eau, comme gayac, &c.
6°. On ne voit point assez à quoi peut être bonne l’eau demandée dans la pharmacopée de Paris, dans les distillations exécutées par notre premier procédé : il semble qu’il vaudroit mieux la supprimer.
Les eaux distillées sont ou simples ou composées. Les eaux simples sont celles qu’on retire d’une seule substance distillée avec l’eau : les eaux composées sont le produit de plusieurs substances distillées ensemble avec l’eau.
Nous n’avons parlé jusqu’à présent que des eaux distillées proprement dites, c’est-à-dire de celles qui ne sont mêlées à aucun principe étranger, ou tout au plus à une petite quantité d’eau commune, qui est une substance absolument identique avec celle qui constitue leur base.
Il est outre cela dans l’art plusieurs préparations, soit simples soit composées, qui portent le nom d’eau spiritueuse, ou même d’eau simplement, & qui sont des produits de la distillation de diverses substances aromatiques avec les esprits ardens ou avec le vin ; telles sont l’eau de cannelle spiritueuse, l’eau de mélisse ou eau des carmes, l’eau de la reine d’Hongrie, &c. On prépare ces eaux comme les eaux distillées proprement dites : les regles de manuel sont les mêmes pour les deux opérations ; il faut seulement ne pas négliger dans la distillation des eaux spiritueuses, les précautions qu’exige la distillation des esprits ardens. Voyez Vin.
Au reste, toutes les préparations de cette espece ne sont pas connues dans l’art sous le nom d’eau ; cette dénomination est bornée par l’usage à un certain nombre : plusieurs autres exactement analogues à celles-ci portent le nom d’esprit (voyez Esprit) ; ainsi on dit eau de cannelle & esprit de lavande, de thim, de citron ; eau vulneraire & esprit carminatif de Sylvius. N. B. qu’il faut se servir scrupuleusement de ces noms, quelque arbitraires qu’ils soient ; car si vous dites eau de lavande, par exemple, au lieu de dire esprit de lavande, vous désignerez une autre préparation très-arbitrairement nommée aussi, savoir la dissolution de l’huile de lavande dans l’esprit de vin.
On trouvera un exemple de distillation d’une eau essentielle à l’article Orange, d’une eau distillée simple au mot Lavande, d’une eau distillée composée proprement dite au mot Menthe, d’une eau spiritueuse simple au mot Romarin, d’une eau spiritueuse composée à l’article Mélisse. On fera d’ailleurs mention des différentes eaux distillées dans les articles qui traiteront en particulier des matieres dont on retire ces eaux, ou qui leur donnent leur nom. Les eaux qui sont connues sous des noms particuliers tirés des vertus qu’on leur attribue, ou de quelque autre qualité, auront leurs articles particuliers, du moins celles qui sont usuelles ou qui méritent de l’être ; car nous ne chargerons point ce Dictionnaire de la description d’une eau générale, d’une eau impériale, d’une eau prophylactique, d’une eau épileptique, d’une eau de lait alexitere, &c.
De tous les remedes inutiles dont l’ignorance & la charlatanerie remplirent les boutiques des apothicaires, lors de la conquête que fit la Chimie, de la Medecine & de la Pharmacie, nul ne s’est multiplié avec tant d’excès que les eaux distillées. Les vûes chimériques de séparer le pur d’avec l’impur, de concentrer les principes des mixtes, d’exalter leurs vertus médicinales qu’on crut principalement remplir par la distillation ; ces vûes chimériques, dis-je, nous ont fourni plus d’eaux distillées parfaitement inutiles, que les connoissances réelles des propriétés de diverses plantes ne nous en ont procuré dont on ne sauroit trop célebrer les vertus.
Les eaux distillées des plantes parfaitement inodores, sont privées absolument de toute vertu medicinale, aussi-bien que les eaux distillées des viandes, du lait, & des autres substances animales dont nous avons fait mention au commencement de cet article. Elles ne different de l’eau pure que par une saveur & une odeur herbacée, laiteuse, &c. & par la propriété de graisser, dont nous avons déjà parlé. Zwelfer a le premier combattu la ridicule confiance qu’on eut pour ces préparations, & sur-tout le projet de nourrir un malade avec de l’eau distillée de chapon (Voyez Chapon, Diete & Matiere médicale) ; & Gédéon Harvée a mis tous ces remedes à leur juste valeur, dans l’excellente satyre qu’il a faite de plusieurs secours inutiles employés dans la pratique ordinaire de la medecine, sous le titre de Ars curandi morbos expectatione. Les Apothicaires de bon sens ne distillent plus la laitue, la chicorée, la pariétaire, la trique-madame, ni toutes ces autres plantes dont on trouve une longue liste dans la nouvelle pharmacopée de Paris, p. 182. Au reste si on pouvoit se nourrir expectatione, comme on peut guérir expectatione, l’eau de chapon, dont la mode est passée, auroit bien pû être encore pendant quelques générations une grande ressource diététique, comme les eaux distillées inodores paroissent destinées à occuper encore pendant quelque tems un rang dans l’ordre des médicamens.
Les eaux distillées aromatiques sont cordiales, toniques, antispasmodiques, stomachiques, sudorifiques, emmenagogues, alexiteres, & quelquefois purgatives, comme l’eau-rose (voyez Rose.) Voyez ce que nous disons de l’usage particulier de chacune, connoissance plus positive que celle de toutes ces généralités, aux articles particuliers des différentes plantes odorantes employées en Medecine.
Les eaux distillées des plantes alkalines ou cruciferes de Tournefort, sont principalement employées comme antiscorbutiques ; elles ont aussi plusieurs autres usages particuliers, dont il est fait mention dans les articles particuliers : voyez sur-tout Cochléaria & Cresson.
Les eaux distillées spiritueuses possedent toutes les vertus des précédentes, & même à un degré supérieur ; & de plus elles sont employées dans l’usage extérieur, comme discussives, repercussives, vulnéraires, dissipant les douleurs : on les respire aussi avec succès dans les évanoüissemens legers, les nausées, &c.
Outre toutes ces acceptions plus ou moins propres du mot eau, on l’employe encore dans un sens bien moins exact pour désigner plusieurs substances chimiques & pharmaceutiques : on connoît sous ce nom des infusions, des décoctions, des dissolutions, des ratafiats, des préparations même dont l’eau n’est pas un ingrédient, telles que l’eau de Rabel, l’eau de lavande, &c. Les principales eaux chimiques ou pharmaceutiques très-improprement dites, sont les suivantes :
Eau alumineuse, n’est autre chose qu’une dissolution d’alun dans des eaux prétendues astringentes.
Prenez des eaux distillées de roses, de plantain & de renoüée, de chacune une livre ; d’alun purifié trois gros : faites dissoudre votre sel, & filtrez : gardez pour l’usage.
Eaux Antipleuretiques, (les quatre) sont les eaux distillées de scabieuse, de chardon-beni, de pissenlit, & de coquelicot.
On peut avancer hardiment que de ces quatre eaux, trois sont absolument incapables de remplir l’indication que les anciens medecins se proposoient en les prescrivant ; savoir d’exciter la sueur. Ces trois eaux sont celles de scabieuse, de pissenlit, & de coquelicot. Ces eaux ne sont chargées d’aucune partie médicamenteuse des plantes dont elles sont tirées (voyez Eau distillée, Scabieuse, Pissenlit, Pavot rouge). L’eau distillée de chardon-beni (du moins celle du chardon-beni des Parisiens), a une vertu plus réelle. Voyez Chardon-beni.
Que peut-on espérer en général des premieres & de la derniere dans le traitement de la pleurésie ? Ceci sera examiné à l’article Pleurésie. Voy. Pleurésie.
Eau de cailloux : on appelle ainsi une eau dans laquelle on a éteint des cailloux rougis au feu. C’étoit autrefois un remede, aujourd’hui ce n’est rien.
Eau de Chaux (premiere & seconde) voyez Chaux.
Eau des Carmes ou de Mélisse composée, voyez Melisse.
Eau de casse-lunette, (Pharm.) on a donné ce nom à l’eau distillée de la fleur de bluet. Voy. Bluet.
Eaux cordiales, (les quatre) les eaux qui sont connues sous ce nom dans les pharmacopées, sont celles d’endive, de chicorée, de buglose & de scabieuse. Ces eaux ne sont point cordiales ; elles sont exactement insipides, inodores & sans vertu. Voyez l’article Eaux distillées, vers la fin.
Eau-forte : c’est un des noms de l’acide nitreux en général. Les matérialistes & les ouvriers qui employent l’acide nitreux, appellent eau-forte l’acide retiré du nitre par l’intermede du vitriol. V. Nitre.
Eau de Goudron, c’est une infusion à froid du goudron. Voyez Goudron.
Eau mercurielle : les Chirurgiens appellent ainsi la dissolution de mercure par l’esprit de nitre, affoiblie par l’addition d’une certaine quantité d’eau distillée. Voyez Mercure.
Il est essentiel d’employer l’eau distillée, pour étendre la dissolution du mercure dont il s’agit ici ; car il est très-peu d’eaux communes qui ne précipitent cette dissolution.
Eau-mere : on appelle ainsi, en Chimie, une liqueur saline inconcrescible, qui se trouve mêlée aux dissolutions de certains sels, & qui est le résidu de ces dissolutions épuisées du sel principal par des évaporations & des crystallisations répetées. Les eaux-meres les plus connues sont celle du nitre, celle du sel marin, celle du vitriol, & celle du sel de seignette. Voyez Nitre, Sel marin, Vitriol, Sel de Seignette.
Eau de Mille-fleurs, (Pharmac.) on appelle ainsi l’urine de vache, aussi-bien que l’eau que l’on retire par la distillation de la bouse de cet animal. Voyez Vache.
Eau phagedenique : prenez une livre d’eau premiere de chaux récente, trente grains de mercure sublimé corrosif, mêlés & agités dans un mortier de marbre : c’est ici un sel mercuriel précipité. Voyez Mercure.
Eau de Rabel, ainsi nommée du nom de son inventeur, qui la publia vers la fin du dernier siecle.
Prenez quatre onces d’huile de vitriol, & douze onces d’esprit de vin rectifié ; versez peu-à-peu dans un matras l’acide sur l’esprit-de-vin, en agitant votre vaisseau, & gardez votre mélange dans un vaisseau fermé, dans lequel vous pouvez le faire digérer à un feu doux.
L’eau de Rabel est l’acide vitriolique dulcifié. Voyez Acide vitriolique, au mot Vitriol.
Eau régale : le mélange de l’acide du nitre & de celui du sel marin, est connu dans l’art sous le nom d’eau régale. Voyez Régale (Eau.)
Eau saphirine, Eau bleue, ou Collyre bleu, (Pharm. & mat. med. externe.) Collyre, c’est-à-dire remede externe ou topique, destiné à certaines maladies des yeux. Voyez Collyre, Topique, Maladie des yeux, sous le mot Œil.
En voici la préparation, d’après la pharmacopée universelle de Lemery.
Prenez de l’eau de chaux vive filtrée, une chopine ; de sel ammoniac bien pulverisé, une dragme : l’une & l’autre mêlés ensemble, seront jettés dans un vaisseau de cuivre, dans lequel on les laissera pendant la nuit ; après quoi on filtrera la liqueur, qui sera gardée pour l’usage.
L’eau saphirine n’est autre chose qu’une eau chargée d’une petite quantité d’huile de chaux, & d’un peu d’alkali volatil, coloré par le cuivre qu’il a dessous. Voyez Sel ammoniac & Cuivre.
Cette eau est un collyre irritant, tonique & dessiccatif. Voyez les cas particuliers dans lesquels il convient, à l’article Maladie des yeux, sous le mot Œil.
Eau verte ou Eau seconde : les ouvriers qui s’occupent du départ des matieres d’or & d’argent, appellent ainsi l’eau-forte chargée du cuivre qu’on a employé à en précipiter l’argent. Voyez Départ.
Eau-de-vie, produit immédiat de la distillation ordinaire du vin. Voyez Vin.
Eau vulnéraire, V. Vulnéraire, (Eau). (b)
Eau-de-vie, (Art méchan.) fabrication d’eau-de-vie. La chaudiere dont on se sert pour cette distillation, est un vaisseau de cuivre en rond, de la hauteur de deux piés & demi, & de deux piés de diametre ou environ, dont le haut se replie sur le dedans en talus montant, comme si elle devoit être entierement fermée, & où pourtant il y a une ouverture de neuf à dix pouces de diametre, avec un rebord de deux pouces ou à-peu-près : on appelle l’endroit où la chaudiere se replie avec son rebord, le collet. Cette chaudiere contient ordinairement quarante veltes, à huit pintes de Paris la velte. Cette mesure est différente en bien des endroits où l’on fabrique de l’eau-de-vie. Il y a des chaudieres plus grandes & plus petites.
Cette chaudiere est placée contre un mur, à un pié d’élévation du sol de la terre, dans une maçonnerie de brique jointe avec du mortier de chaux & de sable, ou de ciment, qui la joint & la couvre toute entiere jusqu’au bord du tranchant du collet, sauf le fond qui est découvert. Cette chaudiere est soûtenue dans cette maçonnerie par deux ou trois ances de cuivre, longues chacune de cinq pouces, & d’un pouce d’épaisseur, qui sont adhérantes à la chaudiere. Cette maçonnerie prend depuis le sol de la terre ; & le vuide qui reste depuis le sol de la terre jusqu’à la chaudiere, s’appelle le fourneau. Ce fourneau a deux ouvertures, l’une dans le devant, & l’autre au fond : celle du devant est de la hauteur du fourneau, & d’environ dix à onze pouces de large : c’est par-là qu’on fait entrer le bois sous la chaudiere. L’ouverture du fond est large d’environ quatre pouces en quarré ; elle s’éleve dans une cheminée faite exprès, par où s’échappe la fumée. Il y a à chacune de ces ouvertures, une plaque de fer que l’on ôte & que l’on replace au besoin, pour modérer l’action du feu : on en parlera ci-après.
C’est cette chaudiere qui contient le vin, où il boût par l’action du feu que l’on entretient dessous. On ne remplit pas en entier la chaudiere de vin, parce qu’il faut laisser un espace à l’élévation du vin, quand il boût, afin qu’il ne surmonte pas au-dessus de la chaudiere. L’ouvrier (que l’on nomme un brûleur, ce sont ordinairement des tonneliers) qui travaille à la conversion du vin en eau-de-vie, fait l’espace qu’il doit laisser vuide pour l’élévation du vin bouillant. La plûpart de ces brûleurs, pour connoître ce vuide, appliquent leurs bras au pli du poignet sur le tranchant du bord de la chaudiere, & laissent pendre leur main ouverte & les doigts étendus dans la chaudiere ; & lorsqu’ils touchent du bout du doigt le vin qui est dans la chaudiere, il y a assez de vin, & il n’y en a pas trop.
Ce vuide est toûjours ménagé, quoiqu’on mette autre chose que du vin dans la chaudiere ; car il faut savoir qu’après la bonne eau-de-vie tirée, il reste une quantité d’autre eau-de-vie (qu’on appelle seconde), qui n’a presque pas plus de force ni de goût que si on mêloit dans de bonne eau-de-vie d’eau commune ; dans laquelle seconde pourtant il y a encore une partie de bonne eau-de-vie que l’on ne veut pas perdre, & que l’on retire en la faisant bouillir une seconde fois avec de nouveau vin dans la chaudiere : on appelle cette seconde fois, une seconde chauffe ou une double chauffe, parce qu’ordinairement on remet dans la chaudiere tout ce qui est venu de la premiere chauffe, soit bonne eau-de-vie ou seconde ; ainsi il faut moins de vin à cette double chauffe qu’à la premiere. Il y a des gens qui à toutes les chauffes mettent à part la bonne eau-de-vie qui en vient : on appelle cela lever à toutes les chauffes. Pour la seconde chauffe ils ne mettent que la seconde qui est venue de la premiere chauffe : il y a quelquefois jusqu’à 60 ou 70 pintes de seconde, plus ou moins, suivant la qualité du vin. On dira ci-après comment on connoît qu’il n’y a plus d’esprit dans ce qui vient de la chaudiere, & que ce qui y reste n’est bon qu’à être jetté dehors.
Lorsque la chaudiere est remplie jusqu’où elle doit l’être, on met du feu sous le fourneau ; on se sert d’abord de bois fort combustible, comme du sarment de vigne, du bouleau ou autre menu bois, qui donnant plus de flamme que le gros bois, a une chaleur plus vive : on en met sous le fourneau, & on l’y entretient toûjours vif, autant qu’il en faut pour faire bouillir cette chaudiere ; on appelle cela, en termes de l’art, mettre en train. Quand la chaudiere commence à bouillir, c’est-à-dire quand elle est assez chaude pour ne pouvoir plus, souffrir la main, on la couvre d’un autre vaisseau que l’on appelle un chapeau. Ce chapeau est un vaisseau de cuivre fait en cone applati, dont la partie étroite entre dans le bord du collet de la chaudiere, & s’y joint le plus juste qu’il est possible. Ce cone applati & renversé, peut avoir douze à treize pouces. Le diametre de la partie étroite est celui du collet de la chaudiere, sauf la liberté d’entrer dans ce collet ; & le diametre du haut peut avoir sept à huit pouces de plus. Il y a à ce chapeau une ouverture ronde, de quatre pouces de diametre, à laquelle est joint & bien soudé un tuyau de cuivre qu’on appelle la queue du chapeau, d’environ deux piés de long, qui va toûjours en diminuant jusqu’à la réduction d’un pouce de diametre au bout.
On couvre cette chaudiere avec le chapeau : on appelle cela coiffer la chaudiere, pour empêcher l’exhalaison de la fumée du vin, parce que c’est dans cette fumée que se trouve l’esprit du vin qui fait l’eau-de-vie. On fait ensorte qu’il ne reste entre le chapeau & le collet de la chaudiere aucune ouverture par où la fumée puisse s’échapper ; & pour y réussir, après que le chapeau est entré & bien enfoncé dans le collet de la chaudiere, on met de la cendre seche autour du collet, pour la fermer presque hermétiquement.
Ce tuyau ou cette queue de chapeau va se joindre dans un autre vaisseau de cuivre ou d’étain, que l’on appelle serpentine, parce qu’elle est faite en serpent replié. C’est un ustensile fait de différens tuyaux adaptés & soudés les uns aux autres en rond & en spirale, qui n’en font qu’un. Ce tuyau peut avoir un pouce & demi de diametre à son embouchure, & est réduit à un pouce à son extrémité ; il est composé de six à sept tournans en spirale, élevés les uns sur les autres d’environ six à sept pouces ; ensorte que la serpentine, dans toute sa hauteur appuyée sur ses tournans, peut avoir trois piés & demi ou environ. Ces tuyaux tournans sont assujettis par trois bandes de cuivre, ou du même métal dont est la serpentine, qui y sont jointes du haut en-bas pour en empêcher l’abaissement.
On unit la queue du chapeau à la serpentine, en faisant entrer le petit bout de la queue du chapeau dans l’ouverture du haut de la serpentine, où cette queue entre d’un pouce & demi ou environ : on lutte bien l’un & l’autre avec du linge & de la terre grasse bien unie, afin qu’il ne sorte point de fumée qui vienne de la chaudiere.
Cette serpentine est, comme l’on doit le comprendre, éloignée du corps de la chaudiere & de la maçonnerie qui l’environne, de l’espace de dix pouces ou environ : elle est placée dans un tonneau ou autre vaisseau de bois fait en forme de tonneau, que l’on appelle pipe en bien des endroits. Cette serpentine y est posée debout & à-plomb, penchant néanmoins tant-soit-peu sur le devant, pour faciliter l’écoulement de la liqueur qui y passe : elle y est assujettie ou par des pattes de fer, des crampons & des pieces de bois qui, sans l’endommager, peuvent la rendre immobile & la tenir dans un état stable. Il y a à cette pipe trois trous ou ouvertures, l’un au haut, du côté de la chaudiere, par lequel sort de la longueur d’un pouce le bout d’en-haut de la serpentine ; l’autre trou au bas, dans le devant de la pipe, par où sort de la longueur de trois pouces ou environ, le petit bout de la serpentine ; & un autre trou dans le derriere de la pipe, où l’on a ajusté une fontaine ou gros robinet. Lorsque la serpentine est bien posée dans la pipe, & que la pipe elle-même est bien assujettie en équilibre, on bouche bien les trois trous de la pipe : on calfeutre les deux premiers avec de l’étoupe ou de vieilles cordes effilées ou épluchées, autour du tuyau sortant de la serpentine ; & le troisieme, qui est celui de derriere, doit être bien fermé par la fontaine que l’on y a fait entrer.
Pour savoir si la serpentine est bien posée & a assez de pente, on prend une balle de fusil qui ne soit pas d’un trop gros calibre, & on la laisse couler dans la grande ouverture de la serpentine ; elle doit rouler aisément, faire tous les tours de la serpentine, & sortir par le petit bout : alors elle est bien posée. Si la balle s’arrête dans la serpentine, ce qui peut quelquefois être causé par un grain de soudure des tuyaux, que le poëlier aura laissé échapper dans le dedans des tuyaux, en la soudant, ou parce que la serpentine n’est pas bien soudée : il faut faire sortir cette balle ; & pour y réussir, il faut mettre dans le trou de la serpentine la queue du chapeau renversé, c’est-à-dire son vuide en-dehors, & jetter dans ce chapeau environ un seau d’eau, laquelle s’écoulant à force dans cette serpentine, entraînera avec elle la balle qui y est restée ; & si la pipe n’est pas droite ou posée comme il faut, il faut la rétablir, & remettre cette balle jusqu’à ce qu’elle passe.
Pour savoir s’il n’y a point de petits trous à la chaudiere, au chapeau ou à la serpentine, il faut, pour la serpentine, la remplir d’eau avant de la mettre dans la pipe, boucher bien le trou d’en-bas avec un bouchon de liége qui ferme bien juste, & souffler par le gros bout avec un soufflet qui prenne bien juste : s’il y a quelque sinus, l’eau sortira par-là, attendu que le vent du soufflet la presse vivement : alors il faut faire souder cet endroit avant de la mettre dans la pipe ; s’il n’y a point de trou, on sentira que l’eau fait résistance au vent du soufflet : on le retire, parce que la serpentine est bien jointe & bien soudée. Pour le chapeau, il faut le mettre entre ses yeux & le jour, le vuide du côté des yeux ; s’il y a des sinus, on les verra ; s’il n’y en a point, le chapeau est en bon état. Pour la chaudiere on s’apperçoit qu’il y a un ou des trous, quand on voit dégoutter du vin dans le feu, ou quelqu’endroit de la maçonnerie mouillé : il faut alors demaçonner la chaudiere, pour réparer le mal.
Quand tous les ustensiles sont en ordre, on remplit la pipe d’eau froide, n’importe de quel fond elle vienne, soit de riviere, de puits, de pluie, ou de mer : celle de mer est la moins bonne, parce qu’elle est plûtôt chaude. Il faut que l’eau surmonte la serpentine d’environ un pié. Cette eau sert à rafraîchir l’eau-de-vie qui sort bouillante de la chaudiere, en s’élevant en vapeur vers les parois du chapeau, s’écoule par l’ouverture du chapeau, passe dans la queue de ce chapeau, & de-là dans les tours de la serpentine, & en sort par le petit bout, où elle est reçûe dans un bassiot couvert, qui est dans un trou en terre au bas de la pipe, & où elle entre au moyen d’un petit vase de cuivre ou d’autre métal, qui est fait en forme d’un petit entonnoir plat, que l’on place sur le petit bout de la serpentine : cet entonnoir est percé à l’autre bout d’un trou, sous lequel il y a une petite queue ou douille, qui entre dans un trou fait exprès au bassiot, par où se vuide l’eau-de-vie qui vient de la chaudiere. On appelle le trou en terre où l’on place le bassiot, faux bassiot. On donne à ces ustensiles les noms qui sont en usage dans la province où l’on s’en sert.
On a dit que cette eau dans la pipe sert à rafraîchir l’eau-de-vie avant qu’elle entre dans le bassiot ; car quand elle y entre chaude, elle est ordinairement âcre, ce qui lui vient des parties du feu dont elle est remplie en sortant de la chaudiere ; & plûtôt elle se décharge de ces parties ignées, & plus l’eau-de-vie est douce & agréable à boire, sans rien perdre de sa force : ainsi il est à-propos de rafraîchir cette eau de la pipe de tems en tems, en y en mettant de nouvelle, afin qu’elle soit toûjours froide s’il est possible : car plus l’eau-de-vie vient froide, & meilleure elle est. Il faut toûjours de nouvelle eau à toutes les chauffes.
Ce bassiot est fait avec des douves, comme sont celles des tonneaux ; il est lié avec des cerceaux, comme on lie les tonneaux ; il est fermé ou foncé dessus & dessous pour la conservation, & empêcher l’évaporation de l’eau-de-vie qui y entre. Ce bassiot a deux trous sur son fond d’en-haut, qui ont chacun leur bouchon mobile ; l’un des trous est celui où entre la queue du petit entonnoir, & l’autre sert pour sonder & voir combien il y a d’eau-de-vie de venue. Ce bassiot est jaugé à la jauge d’usage dans le pays, afin que l’on puisse savoir précisément ce qu’il contient. On sait ce qu’il y a dedans d’eau-de-vie, quoiqu’il ne soit pas plein ; on a pour cela un bâton fait exprès, sur lequel on a mesuré exactement les pots & veltes de liqueur que l’on y a mise, à mesure qu’on l’a jaugé, tellement que quand il n’y a dans le bassiot que quatre, cinq, six, sept pots plus ou moins de liqueur, en coulant le bâton dedans & l’appuyant au fond du bassiot, l’endroit où finit la hauteur de la liqueur qui est dans le bassiot, doit marquer sur le bâton le nombre des pots ou veltes qui y sont contenues, & cela par des marques graduées & numérotées, qui sont empreintes ou entaillées sur ce bâton. Ce bassiot doit être posé bien à-plomb & bien solide dans le faux bassiot. On sait que pour un pot il faut deux pintes, & que la velte contient quatre pots.
On a dit qu’au fourneau qui est sous la chaudiere, il y avoit deux ouvertures ; l’une pour y faire entrer le bois, & l’autre pour laisser échapper la fumée. Ces deux ouvertures ont chacune leur fermeture de fer ; celle de devant par une plaque de fer, avec une poignée, pour la placer ou l’enlever à volonté : on appelle cette plaque, une trappe. L’ouverture de la fumée a également sa fermeture, mais elle n’est pas placée à l’orifice du trou ; on sait que par ce trou, la fumée du feu monte dans la cheminée pour se répandre dans l’air ; la fermeture de ce trou est placée au-dessus de la maçonnerie de la chaudiere, un peu sur le côté : ensorte que le tuyau de cette fumée, qui prend sous la chaudiere, est un peu dévoyé, pour gagner le conduit de la cheminée. Cette fermeture consiste dans une plaque de fer, longue environ d’un pié, & large de quatre pouces & demi, ce qui doit boucher le tuyau de la cheminée : ainsi ce tuyau ne doit avoir que cela de largeur, & être presque quarré ; on appelle cette fermeture, une tirette, parce qu’on la tire pour l’ôter, & on la pousse pour la remettre, c’est-à-dire pour ouvrir & fermer ce trou, qui répond au-dehors au-dessus de la chaudiere par une fente, dans le mur du tuyau de la cheminée ; il ne faut pas néanmoins que cette tirette bouche tout-à-fait le tuyau de la cheminée, parce que pour l’entretien du feu, il faut qu’il s’en exhale un peu de fumée, sans quoi il seroit étouffé sous le fourneau : ainsi il peut rester autour de la tirette une ligne ou deux de vuide.
Ces deux plaques de fer servent pour entretenir le feu sous le fourneau dans un degré égal de chaleur ; & quand il n’y a pas assez d’air, on tire tant soit-peu la tirette ; s’il y en a trop, on la pousse tout-à-fait : de façon que le feu qui est sous la chaudiere, n’étant point animé par un air étranger, brûle également, & entretient le bouillon de la chaudiere dans une égale effervescence, ce qui fait que l’eau-de-vie vient toûjours presque également & doucement ; ce qui contribue beaucoup à sa bonté.
Quand la chaudiere est coiffée, on continue à mettre du menu bois sous le fourneau, jusqu’à ce que la vapeur qui sort du vin, & qui monte au fond du chapeau, soit entrée dans la serpentine, & soit sur le point de gagner les tours de la serpentine ; ce que l’on connoît en mettant la main sur le bout de la queue du chapeau, du côté de la serpentine : s’il est bien chaud, c’est une preuve qu’il y a passé de la vapeur assez considérablement pour l’échauffer : alors on met du gros bois sous le fourneau ; ce sont des bûches coupées de longueur, pour ne pas excéder celle du fourneau, & ne pas empêcher que l’on n’en ferme bien l’ouverture avec la trape ; on y met de ce gros bois autant qu’il en faut pour remplir le fourneau presqu’en entier, & assez suffisamment pour faire venir toute la bonne eau-de-vie ; car le fourneau une fois fermé, on ne doit plus l’ouvrir : on laisse cependant parmi ces bûches assez de vuide pour l’agitation de l’air. On appelle cela, garnir la chaudiere. Lorsque le fourneau est rempli, on met la trape pour en boucher l’ouverture d’entrée, & on pousse la tirette pour en fermer l’ouverture de la cheminée : ce que l’on n’avoit pas fait, lorsque l’on mettoit la chaudiere en train ; l’eau-de-vie alors vient tranquillement, & le courant ne doit avoir qu’une demi-ligne ou environ de diametre ; plus le courant est fin, & plus l’eau-de-vie est bonne. C’est au brûleur, comme conducteur de la chaudiere, à voir comment ce courant vient : car quelquefois, surtout dans le commencement, il est trouble & gros, parce que l’on n’a pas garni & fermé les ouvertures assez tôt ; & le feu alors ayant trop d’activité, fait monter le vin de la chaudiere par son bouillon, par l’ouverture du chapeau, qui passe ainsi dans la serpentine, & en sort de même : quand on a un ouvrier entendu & soigneux, cela n’arrive point ; mais si cela arrivoit, il faudroit sur le champ jetter un peu d’eau froide sur le chapeau & sur la serpentine, pour arrêter & réprimer cette vivacité du feu : cela ordinairement ne dure qu’un bouillon, parce que le gros bois qu’on a mis dans le fourneau sous la chaudiere, & la suppression de l’air par les fermetures des trous, amortit cette vivacité. S’il étoit entré de cette liqueur trouble dans le bassiot, il faudroit l’ôter en la vuidant, pour ne pas la laisser mêlée avec la bonne eau-de-vie, car cela la rendroit trouble & défectueuse. Lorsque c’est une premiere chauffe que l’on repasse une seconde fois dans la chaudiere, cette liqueur trouble mêlée avec l’autre, n’y fait rien : car on remettra le tout dans la chaudiere pour une seconde chauffe. L’on doit savoir que le grand nombre des brûleurs & de ceux qui font convertir leurs vins en eaux-de-vie, font deux chauffes pour une, la simple & la double ; la simple, c’est la premiere fois ; la double, c’est la seconde fois, dans laquelle on repasse tout ce qui est venu dans la premiere avec de nouveau vin, autant qu’il en faut pour achever de remplir la chaudiere jusqu’au point où elle doit l’être. Supposé que l’on s’apperçoive que le bois ne brûle point sous la chaudiere par le défaut de sa qualité, & qu’il n’a pas assez d’air, il faut lui en donner en tirant un peu la tirette : cela le ranimera ; mais d’abord que l’on s’apperçoit que l’eau-de-vie vient mieux, & par conséquent que le bois brûle mieux, il faut repousser cette tirette & fermer. Il ne faut presque jamais ôter la trape pendant que l’eau-de-vie vient, on courroit des risques de faire venir trouble : car le feu étant animé par l’air qui entre sous le fourneau, peut tellement donner de l’activité au feu, que le bouillon du vin en devienne trop élevé, & qu’il ne surmonte jusqu’au trou du chapeau, & de-là ne coule dans la serpentine. Il peut même arriver encore d’autres accidens plus funestes : car le bouillon du vin étant très-violent, peut faire sauter le chapeau de la chaudiere, & répandre le vin qui prend feu alors comme la poudre, ou comme l’eau-de-vie même, ce qui peut mettre le feu dans la maison, brûler les personnes, & causer un incendie des plus fâcheux ; car le feu prenant dans la chaudiere, il s’en éleve une flamme que l’on ne peut éteindre qu’avec de très-grandes peines & beaucoup de danger, & tout ce qui se rencontre de combustible est incendié. Ce sont des malheurs qui arrivent quelquefois par l’ignorance, l’imprudence, ou la négligence de l’ouvrier brûleur ; c’est à quoi il faut bien prendre garde, & on y veille dès qu’on coiffe la chaudiere, en assujettissant bien le chapeau, le calfeutrant bien avec de la cendre, & prenant dans la suite garde à ménager bien son feu : c’est pourquoi il faut bien visiter la serpentine & le chapeau, pour voir s’il n’y a point de trou ; car s’il y en avoit un, quelque petit qu’il pût être, cela causeroit de la perte par l’écoulement de l’eau-de-vie, & exposeroit aux accidens du feu, qu’il faut éviter.
Quand la chaudiere est en bon train, que le bassiot pour la réception de l’eau-de-vie est bien posé, on laisse venir l’eau-de-vie tout doucement, jusqu’à ce qu’il n’y ait plus d’esprit supérieur dans le vin ; car il faut savoir que dans le vin il y a trois sortes de choses, un esprit fort & supérieur, un esprit foible ou infirme, & une partie épaisse, compacte & flegmatique. L’esprit fort & supérieur, est celui qui forme l’eau-de-vie, qui est inflammable, évaporable, fort, brûlant, savoureux, brillant comme du crystal, qui avec sa force a de la douceur qui est agréable à l’odorat & au goût, quoique violent : cet esprit, quand le feu le détache par son activité des parties grossieres qui l’enveloppent, forme une liqueur extrèmement claire, brillante, vive, & blanche ; ce que nous appellons eau-de-vie, la bonne & forte eau-de-vie. L’esprit foible & infirme, est celui qui s’exhale des parties épaisses, après que l’esprit fort comme plus subtil est sorti : cet esprit foible est assez clair, blanc, transparent ; mais il n’a pas, comme l’esprit fort, cette vivacité, cette inflammabilité, cette saveur, ce bon goût & cette bonne odeur qu’a l’esprit fort : cet esprit n’est dit foible & infirme, que parce qu’il est composé de quelques parties d’esprit fort, & de parties aqueuses & flegmatiques, lesquelles étant supérieures de beaucoup à celles de l’esprit fort, l’absorbent & le rendent tel qu’on vient de le dire ; & comme il y a encore dans ce mêlange des particules de l’esprit fort que l’on veut avoir, & qui feront, comme le pur esprit fort, de bonne eau-de-vie, c’est ce qui fait qu’après la bonne eau-de-vie tirée, on laisse venir jusqu’à la fin cet esprit foible, pour le repasser dans une seconde chauffe. On appelle cet esprit foible, en terme de fabrication d’eau-de-vie, la seconde, c’est-à-dire la seconde eau-de-vie. La troisieme partie du vin, qui est le reste du dedans de la chaudiere, après que ces deux esprits en sont sortis, est-une matiere liquide, trouble & brune, qui n’a aucune propriété pour tout ce qui regarde l’eau-de-vie : aussi la laisse-t-on couler dehors par des canaux faits exprès, où elle se vuide par un tuyau de cuivre long d’un pié & de deux pouces de diametre, qui est joint & soudé à la chaudiere sur le côté près le fond, afin que tout puisse se bien vuider ; lequel tuyau est bien & solidement bouché pendant toute la chauffe. On appelle cette derniere partie du vin, la décharge, c’est-à-dire cette partie grossiere qui chargeoit les esprits du vin, & que le feu a séparée & divisée.
On laisse venir cette eau-de-vie dans le bassiot jusqu’à ce qu’il n’y ait plus d’esprit fort ; & pour le connoître, on a une petite bouteille de crystal bien transparente, longue de quatre à cinq pouces, d’un pouce de diametre dans son milieu, & d’un peu moins dans ses extrémités : on l’appelle une preuve, parce qu’elle sert à éprouver ; avec laquelle bouteille on reçoit du tuyau même de la serpentine, cette eau-de-vie qui en vient ; on emplit cette bouteille jusqu’aux deux tiers ; & en mettant le pouce sur l’embouchure & frappant d’un coup ou deux ferme dans la paume de l’autre main, ou sur son genou, & non sur une matiere dure, parce qu’on casseroit la bouteille, on excite cette liqueur, qui devient bouillonnante, & qui forme une quantité de globules d’air dans le haut de cette liqueur : c’est par ce moyen & la disposition, grosseur, & stabilité de ces globules, que les connoisseurs savent qu’il y a encore, ou qu’il n’y a plus de cet esprit fort à venir ; & même avant qu’il soit tout venu, c’est-à-dire quand il est proche de sa fin, ces globules de la preuve commencent à n’avoir plus le même œil vif, la même grosseur, la même disposition, & la même stabilité ; & quand tout cet esprit fort est venu, il ne se forme plus ou presque plus de globules dans la preuve ; & quoique l’on frappe comme ci-devant, elle ne forme plus qu’une petite écume, qui est presqu’aussi-tôt passée qu’apperçûe. Les ouvriers d’eau-de-vie appellent cela, la perte ; ainsi on dit, la chaudiere commence à perdre, ou est perdue, c’est-à-dire qu’il n’y a plus d’esprit fort & de preuve à venir : & ce qui vient ensuite est la seconde.
Quand on veut avoir de l’eau-de-vie très-forte, on leve le bassiot dès qu’elle perd ; on n’y laisse entrer aucune partie de seconde : on appelle cela, couper à la serpentine, ou de l’eau-de-vie coupée à la serpentine. Et pour recevoir ensuite la seconde, on place un autre bassiot où étoit le premier, qui reçoit cette seconde, comme le premier avoit reçu la bonne eau-de-vie.
Mais comme cette eau-de-vie coupée à la serpentine n’est pas une eau-de-vie de commerce, où on ne la demande pas si forte, quoiqu’on l’y reçoive bien ; quand on la vend telle, les brûleurs-marchands-vendeurs y laissent venir une partie de la seconde, qui tempere le feu & la vivacité de cette premiere eau-de-vie.
Il y a eu dans une province du royaume (l’Aunis) où l’on fabrique beaucoup d’eau-de-vie, des contestations au sujet de ce mêlange de la seconde avec la bonne eau-de-vie, ou de l’eau-de-vie forte ; les acheteurs disoient qu’il y avoit trop de seconde, & que cela rendoit l’eau-de-vie extrèmement foible au bout de quelques jours, sur-tout après quelque transport & trajet sur mer ; les vendeurs de leur côté disoient que non, & qu’ils fabriquoient l’eau-de-vie comme ils avoient toûjours fait, & que s’il y avoit de la fraude, elle ne venoit pas de leur part : ensorte que cela mettoit dans ce commerce d’eau-de-vie des contestations qui le ruinoient ; chacun crioit à la mauvaise foi, chacun se plaignoit, & peut-être les deux parties avoient raison de se plaindre l’une de l’autre. Sur ces contestations, & pour rétablir & faire refleurir cette branche du commerce, le Roi, par les soins & attentions de M. de Boismont, intendant de la province, a interposé son autorité ; & par son arrêt du conseil du 10 Avril 1753, sa Majesté a ordonné, art. 1. que les eaux-de-vie seront tirées au quart, garniture comprise, c’est-à-dire que sur seize pots d’eau-de-vie forte il n’y aura que quatre pots de seconde. Pour entendre ceci, il faut se rappeller ce que l’on a ci-devant dit ; que la forte eau-de-vie venoit dans le bassiot ; qu’elle étoit forte jusqu’à ce qu’elle eût perdu ; que pour savoir ce qui en étoit venu, & combien il y en avoit dans le bassiot, on avoit un bâton fait exprès, sur lequel il y avoit des marques numérotées qui indiquoient la quantité de liqueur qu’il y avoit dans le bassiot : ainsi supposant qu’en sondant avec le bâton, il marque qu’il y a de la liqueur jusqu’au n°. 20, cela veut dire qu’il y a vingt pots d’eau-de-vie dans le bassiot ; ainsi y ayant vingt pots d’eau-de-vie forte, on peut la rendre & la conserver bonne, marchande, & conforme à l’arrêt du conseil, en y laissant venir cinq pots de seconde, qui se mêlant avec les 20 pots d’eau-de-vie forte, en composent 25 : c’est ce qu’on appelle lever au quart, parce que le quart de 20 est 5, & que l’on ne leve le bassiot qu’après que ces 5 pots de seconde sont mêlés avec les 20 pots d’eau-de-vie forte : & ainsi soit qu’il y ait plus ou moins d’eau-de-vie forte de venue dans le bassiot, on prend le quart de ce qui est venu pour la laisser venir en seconde. Ces pots de seconde sont appellés la garniture, par l’arrêt du conseil.
Lorsque cette eau-de-vie est venue avec sa garniture, on leve le bassiot sur le champ pour y en placer un autre, afin de recevoir tout le reste de la seconde ; & l’on peut dès ce moment vuider ce premier bassiot, & mettre cette bonne eau-de-vie dans un tonneau ou futaille, appellée barrique ou piece ; & l’on peut dire qu’il y a dans cette barrique 25 pots de bonne eau-de-vie marchande, & faite conformément aux intentions du Roi.
Cette futaille, piece, ou barrique, doit être fabriquée suivant le réglement porté par l’arrêt du conseil du 17 Août 1743, rendu aux instances de M. de Barentin, intendant alors de la province, qui vouloit soûtenir ce commerce, où il voyoit dès-lors naître des contestations qui le ruineroient infailliblement, si l’on n’alloit au devant par l’interposition de l’autorité souveraine ; ces futailles doivent donc être faites conformément à ce réglement, pour qu’elles puissent jauger juste & velter juste, en terme de commerce, ce qu’elles contiennent : ce que l’on sait par le moyen d’une jauge ou velte numerotée & graduée suivant toutes les proportions géométriques, & approuvée par la police des lieux, laquelle velte l’on glisse diagonalement dans la barrique par la bonde d’icelle.
Il y a pour ce commerce d’eau-de-vie des courtiers auxquels on peut s’adresser : ces gens là sont chargés de la part des marchands-commissionnaires, ou autres, de l’achat de cette liqueur ; & comme dans les contestations reglées par l’arrêt du conseil de 1753, les courtiers avoient été compris dans les plaintes respectives, le Roi par son édit a établi dans la ville de la Rochelle des agréeurs, pour l’acceptation & pour le chargement des eaux-de-vie : ensorte que sur le certificat des agréeurs à l’acceptation, les eaux-de-vie sont réputées bonnes ; & sur le certificat des agréeurs au chargement, les eaux-de-vie ont été embarquées & chargées bonnes, & cela afin de faire cesser les plaintes des marchands-commettans des provinces éloignées, qui se plaignoient qu’on leur envoyoit de l’eau-de-vie trop foible.
C’est ainsi que se fabrique & se commerce l’eau-de-vie, qui a un flux & reflux continuel dans le prix.
Comme l’on veut conserver tout ce qui est esprit dans le vin que l’on brûle, on fait l’épreuve à la fin de la chauffe, pour savoir s’il y a encore quelque esprit dans ce qui vient de la chaudiere ; & pour cela l’ouvrier brûleur reçoit du tuyau de la serpentine dans un petit vase, un peu de la liqueur qui vient ; & une chandelle flambante à la main, il verse de cette liqueur sur le chapeau brûlant de la chaudiere, & présente la flamme de la chandelle au courant de cette liqueur versée : si le feu y prend, & qu’il y ait encore quelque peu de flamme bleuâtre qui s’éleve, c’est une marque qu’il y a encore de l’esprit dans ce qui vient, & on attend qu’il n’y en ait plus. Quand la flamme de la chandelle n’y prend point, ce n’est plus qu’un flegme inutile : ainsi on leve le chapeau de la chaudiere, & on laisse échapper par le tuyau qui est au-bas de la chaudiere, toute la décharge, c’est-à-dire toute cette liqueur grossiere, impure, & inutile qui reste dans la chaudiere, qui s’écoule dehors, ou dans des trous ou fossés faits exprès, où elle se perd dans les terres ; après quoi on recharge la chaudiere avec de nouveau vin, on y met la seconde que l’on a reçue, & on fait la chauffe comme la premiere fois. Il faut 24 heures pour les deux chauffes, la simple & la double.
Lorsque l’on a deux chaudieres, on les accole l’une contre l’autre ; mais il faut autant de façon à chacune, c’est-à-dire il faut les mêmes ustensiles, un fourneau à part, une cheminée à part, & une conduite & un gouvernement à part. Si on a plusieurs chaudieres, on peut les construire dans le même endroit, mais toûjours chacune doit être garnie de ses ustensiles particuliers.
Les termes dont on s’est servi pour la fabrication & le commerce de cette eau-de-vie, peuvent être différens dans les différentes provinces où l’on fait de l’eau-de-vie : mais le fond de la fabrique & du commerce, est toûjours le même. Voyez l’article Distillation, & la Planche du Distillateur.
Eaux-fortes, (Chimie.) dans la préparation du salpetre, & d’autres opérations de la même nature, on donne le nom d’eaux-fortes à celles qui sont très chargées ou de sel, ou plus généralement des matieres qui y sont en dissolution.
* Eaux sures, (Teinture.) eau commune, aigrie par la fermentation du son : c’est une drogue non colorante. On donne le même nom au mêlange d’alun & de tartre, qui sert à éprouver les étoffes par le débouilli. Voyez Débouilli & Teinture.
Eau donner, (Teinture.) c’est achever de remplir la cuve qui ne jette pas du bleu, & y mettre de l’indigo pour qu’elle en donne.
Eaux ameres de jalousie, (Hist. anc.) il est parlé dans la loi de Moyse, d’une eau qui servoit à prouver si une femme étoit coupable ou non d’adultere.
Voici comment on procédoit : le prêtre présentoit à la femme l’eau de jalousie, en lui disant : « Si vous vous êtes retirée de votre mari, & que vous vous soyez souillée en vous approchant d’un autre homme, &c. que le Seigneur vous rende un objet de malédiction, & un exemple pour tout son peuple, en faisant pourrir votre cuisse & enfler votre ventre ; que cette eau entre dans vos entrailles, pour faire enfler votre ventre & pourrir votre cuisse ». Et la femme répondra, ainsi soit-il. Le prêtre écrira ces malédictions dans un livre, & il les effacera ensuite avec l’eau amere. Lorsqu’il aura fait boire à la femme l’eau amere, il arrivera que si elle a été souillée, elle sera pénetrée par cette eau, son ventre s’enflera, & sa cuisse pourrira, &c. Que si elle n’a point été souillée, elle n’en ressentira aucun mal, & elle aura des enfans. Num. cap v. Voilà une pratique qui prouve certainement que Jehova n’étoit pas seulement le Dieu des Juifs, mais qu’il en étoit encore le souverain, & que ces peuples vivoient sous une théocratie. Chambers. (G)
Eau lustrale, (Myth.) ce n’étoit autre chose que de l’eau commune, dans laquelle on éteignoit un tison ardent tiré du foyer des sacrifices. Cette eau étoit mise dans un vase, qu’on plaçoit à la porte ou dans le vestibule des temples ; & ceux qui y entroient s’en lavoient eux-mêmes, ou s’en faisoient laver par les prêtres, prétendant avoir par cette cérémonie acquis la pureté de cœur nécessaire pour paroître en présence des dieux. Dans certains temples il y avoit des officiers préposés pour jetter de l’eau lustrale sur tous les passans ; & à la table de l’empereur, ils en répandoient quelques gouttes sur les viandes. Dans toute maison où il y avoit un mort, on mettoit à la porte un vase d’eau lustrale, préparée dans quelqu’autre lieu où il n’y avoit point de mort : on en lavoit le cadavre ; & tous ceux qui venoient à la maison du mort, avoient soin de s’asperger de cette eau, pour se préserver des souillures qu’ils croyoient contracter par l’attouchement ou par la vûe des cadavres. Chambers. (G)
Eau-benite, (Hist. ecclésiast.) eau dont on fait usage dans l’Église romaine après l’avoir consacrée avec certaines prieres, exorcismes & cérémonies. Celle qu’on fait solennellement tous les dimanches dans les paroisses, sert pour effacer les péchés véniels, chasser les démons, préserver du tonnerre, &c. c’est ce que dit le dictionnaire de Trévoux.
Les évêques grecs ou leurs grands vicaires font le 5 Janvier sur le soir l’eau-benite, parce qu’ils croyent que Jesus-Christ a été baptisé le 6 de ce même mois ; mais ils n’y mettent point de sel, & ils trouvent fort à redire (on ne sait pas pourquoi) que nous en mettions dans la nôtre. On boit cette eau-benite, on en asperge les maisons, on la répand chez tous les particuliers ; ensuite le lendemain jour de l’épiphanie, les papas font encore de l’eau-benite nouvelle qui s’employe à benir les églises prophanées & à exorciser les possédés.
Les prélats arméniens ne font de l’eau-benite qu’une fois l’année ; & ils appellent cette cérémonie le baptême de la croix, parce que le jour de l’épiphanie ils plongent une croix dans l’eau, après avoir récité plusieurs oraisons. Dès-que l’eau-benite est faite, chacun en emporte chez soi ; les prêtres arméniens, & sur-tout les prélats, retirent de cette cérémonie un profit très-considérable.
Il y avoit parmi les Hébreux une eau d’expiation dont parle le chap. xjx. du livre des nombres. On prenoit de la cendre d’une vache rousse, on mettoit cette cendre dans un vase où l’on jettoit de l’eau, avec laquelle on faisoit des aspersions dans les maisons, sur les meubles, & sur les personnes qui avoient touche quelque chose d’immonde. Telle est apparemment l’origine de benir avec de l’eau, vers le tems de pâques, dans quelques pays catholiques, les maisons, les meubles, & même les alimens.
Enfin les Payens avoient aussi leur eau sacrée. Voyez l’article Eau lustrale.
Il est assez vraissemblable, comme le prétend le P. Carmeli, que la connoissance qu’on avoit des vertus de l’eau, engagea les hommes à s’en servir pour les cérémonies religieuses. Ils observerent que cet élément entretenoit, nourrissoit & faisoit végéter les plantes ; ils lui trouverent la propriété de laver, de nettoyer & de purifier les corps. Ils regarderent en conséquence les fleuves, les rivieres & les fontaines, comme des symboles de la divinité ; ils porterent dès-lors jusqu’à l’idolatrie le respect qu’ils avoient pour l’eau, & lui offrirent un encens sacrilége. Enfin elle fut employée dans les rits sacrés presque par tous les peuples du monde ; & cet usage est venu jusqu’à nous. Il ne faut donc point douter que l’eau d’expiation des Juifs, l’eau lustrale des Payens, & l’eau-benite des Chrétiens, ne partent du même principe ; mais l’application en est bien différente, puisque nous ne sommes ni Juifs ni Payens. Article de M. le Chevalier de Jaucourt.
EAUX ET FORESTS, (Jurispr.) On comprend ici sous le terme d’eaux les fleuves, les rivieres navigables, & autres ; les ruisseaux, étangs, viviers, pêcheries. Il n’est pas question ici de la mer ; elle fait un objet à part pour lequel il y a des reglemens & des officiers particuliers.
Le terme de forêts signifioit anciennement les eaux aussi-bien que les bois, présentement il ne signifie plus que les forêts proprement dites, les bois, garennes, buissons.
Sous les termes conjoints d’eaux & forêts, la Jurisprudence considere les eaux, & tout ce qui y a rapport, comme les moulins, la pêche, le curage des rivieres ; elle considere de même les forêts, & tous les bois en général, avec tout ce qui peut y avoir rapport.
Les eaux & forêts du prince, ceux des communautés & des particuliers, sont également l’objet des lois, tant pour déterminer le droit que chacun peut avoir à ces sortes de biens, que pour leur conservation & exploitation.
On entend aussi quelquefois par le terme d’eaux & forêts les tribunaux & les officiers établis pour connoître spécialement de toutes les matieres qui ont rapport aux eaux & forêts.
Ce n’est pas d’aujourd’hui que les eaux & forêts ont mérité l’attention des lois ; il paroît que dans tous les tems & chez toutes les nations, ces sortes de biens ont été regardés comme les plus précieux.
Les Romains qui avoient emprunté des Grecs une partie de leurs lois, avoient établi plusieurs regles par rapport aux droits de propriété ou d’usage que chacun pouvoit prétendre sur l’eau des fleuves & des rivieres, sur leurs rivages, sur la pêche, & autres objets qui avoient rapport aux eaux.
La conservation & la police des forêts & des bois paroît sur-tout avoir toûjours mérité une attention particuliere, tant à cause des grands avantages que l’on en retire par les différens usages auxquels les bois sont propres, & sur-tout pour la chasse, qu’à cause du long espace de tems qu’il faut pour produire les bois.
Aussi voit-on que dans les tems les plus reculés il y avoit déjà des personnes préposées pour veiller à la conservation des bois.
Salomon demanda à Hiram roi de Tyr, la permission de faire couper des cedres & des sapins du Liban pour bâtir le temple.
On lit aussi dans Esdras, lib. II. cap. ij. que quand Nehemias eut obtenu du roi Artaxercès surnommé Longuemain, la permission d’aller rétablir Jerusalem, il lui demanda des lettres pour Asaph garde de ses forêts, afin qu’il lui fît délivrer tout le bois nécessaire pour le rétablissement de cette ville.
Aristote en toute république bien ordonnée désire des gardiens des forêts, qu’il appelle ὑλωροὺς, sylværum custodes.
Ancus Martius quatrieme roi des Romains, réunit les forêts au domaine public, ainsi que le remarque Suétone.
Entre les lois que les décemvirs apporterent de Grece, il y en avoit qui traitoient de glande, arboribus, & pecorum pastu.
Ils établirent même des magistrats pour la garde & conservation des forêts, & cette commission étoit le plus souvent donnée aux consuls nouvellement créés, comme il se pratiqua à l’égard de Bibulus & de Jule-César, lesquels étant consuls, eurent le gouvernement général des forêts, ce que l’on désignoit par les termes de provinciam ad sylvam & colles ; c’est ce qui a fait dire à Virgile : Si canimus sylvas, sylvæ sunt consule dignæ. Voyez Suétone en la vie de Jule-César.
Les Romains établirent dans la suite des gouverneurs particuliers dans chaque province pour la conservation des bois, & firent plusieurs lois à ce sujet. Ils avoient des forestiers ou receveurs établis pour le revenu & profit que la république percevoit sur les bois & forêts, & des préposés à la conservation des bois & forêts nécessaires au public à divers usages, comme Alexandre Severe, qui les réservoit pour les thermes.
Lorsque les Francs firent la conquête des Gaules, ce pays étoit pour la plus grande partie couvert de vastes forêts, ce que nos rois regarderent avec raison comme un bien inestimable.
La conservation des bois paroissoit dès-lors un objet si important, que les gouverneurs ou gardiens de Flandres, avant Baudouin surnommé Bras-de-fer, étoient nommés forestiers, à cause que ce pays étoit alors couvert pour la plus grande partie de la forêt Chambroniere : le titre de forestiers convenoit d’ailleurs aussi-bien aux eaux qu’aux forêts.
Les rois de la seconde race défendirent l’entrée de leurs forêts, afin que l’on n’y commît aucune entreprise. Charlemagne enjoignit aux forestiers de les bien garder ; mais il faut observer que ce qui est dit des forêts dans les capitulaires, doit quelquefois s’entendre des étangs ou garennes d’eau, qui étoient encore alors comprises sous le terme de forêts.
Aymoin fait mention que Thibaut Filetoupe étoit forestier du roi Robert, c’est-à-dire inspecteur général de ses forêts. Il y avoit aussi dès-lors de simples gardes des forêts, appellés saltuarios & sylvarios custodes.
La plus ancienne ordonnance que l’on ait trouvée des rois de la troisieme race, qui ait quelque rapport aux eaux & forêts, est une ordonnance de Louis VI. de l’an 1115, concernant les mesureurs & arpenteurs des terres & bois.
Mais dans le siecle suivant il y eut deux ordonnances faites spécialement sur le fait des eaux & forêts ; l’une par Philippe-Auguste, à Gisors en Novembre 1219 ; l’autre par Louis VIII. à Montargis en 1223.
Les principaux réglemens faits par leurs successeurs, par rapport aux eaux & forêts, sont l’ordonnance de Philippe-le-Hardi, en 1280 ; celle de Philippe-le-Bel, en 1291 & en 1309 ; celle de Philippe V. en 1318, de Charles-le-Bel, en 1326 ; du roi Jean, en 1355 ; de Charles V. en 1376 ; de Charles VI. en 1384, 1387, 1402, 1407 & 1415 ; de François I. en 1515, 1516, 1518, 1520, 1523, 1534, 1535, 1539, 1540, 1543, 1544 & 1545 ; d’Henri II. en 1548, 1552, 1554, 1555, 1558 ; de Charles IX. en 1561, 1563, 1566 & 1573 ; d’Henri III. en 1575, 1578, 1579, 1583 & 1586 ; d’Henri IV. en 1597 ; de Louis XIII. en 1637 ; & de Louis XIV. au mois d’Août 1669.
Cette derniere ordonnance est celle qu’on appelle communément l’ordonnance des eaux & forêts, parce qu’elle embrasse toute la matiere, & résume ce qui étoit dispersé dans les précédentes ordonnances. Elle est divisée en trente-deux titres différens, qui contiennent chacun plusieurs articles. Elle traite d’abord dans les quatorze premiers titres, de la compétence des officiers des eaux & forêts ; savoir de la jurisdiction des eaux & forêts en général, des officiers des maîtrises, des grands-maîtres, des maîtres particuliers, du lieutenant, du procureur du roi, du garde-marteau, des greffiers, gruyers, huissiers-audienciers, gardes généraux, sergens & gardes des forêts & bois tenus en grueries, grairies, &c. des arpenteurs, des assises, de la table de marbre, des juges en dernier ressort, & des appellations.
Les titres suivans traitent de l’assiete, balivage & martelage, & vente des bois ; des recollemens, des ventes, des chablis & des menus marchés ; des ventes & adjudications ; des panages, glandées & paissons ; des droits de pâturage & panage ; des chauffages & autres usages des bois, tant à bâtir qu’à réparer ; des bois à bâtir pour les maisons royales & bâtimens de mer ; des eaux & forêts, bois & garennes tenus à titre de doüaire, &c. des bois en gruerie, grairie, tiers & danger ; des bois appartenans aux ecclésiastiques & gens de main-morte ; des bois, prés, marais, landes, pâtis, pêcheries, & autres biens appartenans aux communautés & habitans des paroisses ; des bois appartenans à des particuliers ; de la police & conservation des forêts, eaux. & rivieres ; des routes & chemins royaux ès forêts & marche-piés des rivieres ; des droits de péages, travers & autres ; des chasses, de la pêche, enfin des peines, amendes, restitutions, dommages-intérêts & confiscations.
Nous avons crû ne pouvoir mieux faire que de rapporter ainsi les titres de cette ordonnance, pour faire connoître exactement quelles sont les matieres qu’elle embrasse, & que l’on comprend sous les termes d’eaux & forêts.
Depuis l’ordonnance de 1669, il est encore intervenu divers édits, déclarations & arrêts de réglemens, pour décider plusieurs cas qui n’étoient pas prévûs par l’ordonnance.
Les tribunaux établis pour connoître des matieres d’eaux & forêts, & de tout ce qui y a rapport, sont, 1°. les juges en dernier ressort, composés de commissaires du parlement, & d’une partie des officiers de la table de marbre, pour juger les appellations des maîtrises, grueries royales, grueries particulieres non royales, & de toutes les autres justices seigneuriales, sur le fait des réformations, usages, abus, délits & malversations commis dans les eaux & forêts, & sur les faits de chasse au grand-criminel ; 2°. les tables de marbre du palais de Paris, de Roüen, Dijon, Bordeaux, Metz & autres, pour juger les appellations ordinaires des maîtrises ; 3°. les maîtrises particulieres ; 4°. les grueries royales ; 5°. les grueries en titre, non royales, & les autres justices seigneuriales, lesquelles, sans avoir le titre de gruerie, en ont tous les attributs.
La compétence de chacun de ces tribunaux sera expliquée en son lieu, aux mots Gruerie, Juges en dernier ressort, Maîtrise, Tables de marbre, & Justice seigneuriale.
Les officiers des eaux & forêts étoient anciennement nommés forestiers, maîtres des garennes, & depuis, maîtres des eaux & forêts.
Ceux qui ont présentement l’inspection & jurisdiction sur les eaux & forêts, sont les grands-maîtres, les maîtres particuliers, les gruyers, verdiers.
Il y a aussi dans les tables de marbre, maîtrises & grueries, d’autres officiers, tels que des lieutenans, un procureur du roi, un garde-marteau, un greffier, des huissiers-audienciers, des sergens-garde-bois, des sergens-gardes-pêche, des arpenteurs, des receveurs & collecteurs des amendes, &c. Nous expliquerons ce qui concerne ces différens officiers, soit en parlant des tribunaux où ils exercent leurs fonctions, soit dans les articles particuliers de ces officiers, pour ceux qui ont une dénomination propre aux eaux & forêts, tels que les gardes-marteau, gardes-chasse, sergens-à-garde, sergens forestiers, sergens-gardes-pêche.
Plusieurs matieres des eaux & forêts se trouvent déjà expliquées ci-devant aux mots Aire, Alluvion, Attérissement, Bac, Baliveaux, Batardeaux, Bois, Bruyeres, Bucherons, Buches, Canaux, Capitaineries, Cepées, Chablis, Charmés, Chasse, Chemins, Chêne, Chommage, Collecteur des Amendes, Cormiers, Coupes, Curage, Danger, Deffends, Défrichement, Délits, Doublement.
Nous expliquerons le surplus ci-après, aux mots Ecuisser, Ecluses, Encrouer, Eshouper, Essarter, Etalon, Etant, Etang, Fauchaison, Flotage, Forêts, Fosse, Fouée, Fray, Furter, Futaye, Garennes, Gisant, Glandée, Gords, Halots, Haute-futaye, Landes, Lapins, Layes, Marteau, Martelage, Merrein, Moulins, Navigation, Paissons, Paluds, Panage, Parcs, Paroi, Paturage, Patis, Péages, Pertuis, Pêche, Piés-cormiers, Poches, Poisson, Rabougris, Raboulieres, Recepage, Recollemens, Reserves, Riverains, Riviere, Routes, Ruisseau, Segrairies, Souchetage, Taillis, Terriers, Tiers & Danger, Tiers-lot, Triage, Vente, Visite, Usage, Usagers, & plusieurs autres termes qui ont rapport à cette matiere. (A)
Eau, (Jurispr.) suivant le droit romain, l’eau de la mer, celle des fleuves & des rivieres en général, & toute eau coulante, étoient des choses publiques dont il étoit libre à chacun de faire usage.
Il n’en est pas tout-à-fait de même parmi nous : il n’est pas permis aux particuliers de prendre de l’eau de la mer, de crainte qu’ils n’en fabriquent du sel, qui est un droit que nos rois se sont réservé.
A l’égard de l’eau des fleuves & des rivieres navigables, la propriété en appartient au roi, mais l’usage en est public.
Les petites rivieres & les eaux pluviales qui coulent le long des chemins, sont aux seigneurs hauts-justiciers : les ruisseaux appartiennent aux riverains.
Il est libre à chacun de puiser de l’eau dans les fleuves, rivieres & ruisseaux publics ; mais il n’est point permis d’en détourner le cours au préjudice du public ni d’un tiers, soit pour arroser ses prés, pour faire tourner un moulin, ou pour quelqu’autre usage, sans le consentement de ceux auxquels l’eau appartient.
Le droit actif de prise d’eau peut néanmoins s’acquérir par prescription, soit avec titre ou sans titre, comme les autres droits réels ; par une possession du nombre d’années requis par la loi du lieu.
Mais la faculté de prendre de l’eau ne se prescrit point par le non-usage, sur-tout tandis que l’écluse où l’on puisoit l’eau est détruite.
Celui qui a la source de l’eau dans son fonds, peut en disposer comme bon lui semble pour son usage ; au-lieu que celui dans le fonds duquel elle ne fait simplement que passer, peut bien arrêter l’eau pour son usage, mais il ne peut pas la détourner de son cours ordinaire. Voyez au code de aquæduct. Franç. Marc, tome I. quest. dlxxxjx & dxcvij. Henrys, tome II. liv. IV. quest. xxxv & xxxvij. Basset, tome II. liv. III. tit. vij. ch. 1 & 7. (A)
Eau bouillante, (Jurispr.) servoit autrefois d’épreuve & de supplice. Voyez ci-après Epreuve de l’Eau bouillante, & aux mots Bouillir, Peine, Supplice.
Eau chaude, voyez ci-dev. Eau bouillante.
Eau froide, voyez ci-après Epreuve de l’Eau froide. (A)
Eau, (Marine.) Faire de l’eau, en terme de marine, ou faire aiguade, c’est remplir des futailles destinées à contenir l’eau nécessaire pour les besoins de l’équipage pendant le cours du voyage. Il faut, autant qu’il est possible, ne choisir que des eaux de bonne qualité & saines, tant pour éviter les maladies que les mauvaises eaux peuvent causer, que parce qu’elles se conservent mieux, & sont moins sujettes à se corrompre.
Eau douce, on donne ce nom aux eaux de fontaine, de riviere, &c.
Eau salée, c’est l’eau de la mer.
Eau saumache, c’est de l’eau qui, sans avoir tout le sel & l’âcreté de l’eau de mer, en tient cependant un peu ; ce qui se trouve quelquefois, lorsqu’on est obligé de prendre de l’eau dans des puits que l’on creuse sur le bord de la mer : on ne s’en sert que dans un grand besoin.
Eau basse, eau haute ou haute eau, morte eau, se disent des eaux de la mer lorsqu’elle monte ou descend. Voyez Marée.
Faire eau, terme tout différent de faire de l’eau : il se dit d’un vaisseau où l’eau entre par quelqu’ouverture, de quelque cause qu’elle provienne, soit dans un combat par un coup de canon reçû à l’eau, c’est-à-dire dans les parties qui sont sous l’eau ; soit par quelques coutures qui s’ouvrent, ou toute autre voie par où l’eau pénetre dans la capacité du vaisseau.
Eau du vaisseau, c’est la trace que le navire laisse sur l’eau dans l’endroit où il vient de passer ; c’est ce qu’on appelle le sillage, l’oüaiche ou la seillure. Lorsqu’on suit un vaisseau de très-près, & qu’on marche dans son sillage, on dit être dans ses eaux.
Mettre un navire à l’eau, c’est le mettre à la mer, ou le pousser à l’eau de dessus le chantier, après sa construction ou son radoub. Voyez Lancer. (Z)
Eau de Nef, terme de Riviere, est la portion d’eau qui coule entre deux bateaux sur lesquels sont posées deux pieces de bois par-dessus lesquelles on décharge le vin.
Eau, (Manége.) envisagée par ses usages relativement aux chevaux.
1°. Elle en est la boisson ordinaire.
Je ne sai comment on pourroit accorder les idées d’Aristote, & de quelques écrivains obscurs qui n’ont parlé que d’après lui, avec celles que nous nous formons des effets que cet élément produit dans nos corps & dans celui des animaux. Ce philosophe, à l’étude & aux observations duquel Alexandre en soûmit une multitude de toute espece, ne me paroît point aussi supérieur dans les détails, qu’il l’a été par rapport aux vûes générales. A l’en croire, les chevaux & les chameaux boivent l’eau trouble & épaisse avec plus de plaisir que l’eau claire ; la preuve qu’il en apporte, est qu’ils la troublent eux-mêmes : il ajoûte que l’eau chargée de beaucoup de particules hétérogenes, les engraisse, parce que dès-lors leurs veines se remplissent davantage.
La seule exposition des faits allégués par ce grand homme, & des causes sur lesquelles il les appuie, suffiroit aujourd’hui pour en demontrer la fausseté ; mais peut-être des personnes pénétrées d’une estime aveugle & outrée pour les opinions des anciens, me reprocheroient de n’avoir qu’un mépris injuste pour ces mêmes opinions : ainsi je crois devoir, en opposant la raison à l’autorité, me mettre à l’abri du blâme auquel s’exposent ceux qui tombent dans l’un ou dans l’autre de ces excès.
Il est singulier que le même naturaliste, qui, pour exprimer le plaisir que le cheval ressent en se baignant, le nomme animal philolutron, philydron, soit étonné de voir qu’il batte & qu’il agite communément l’eau au moment où il y entre, & n’impute cette action de sa part qu’au dessein & à la volonté de la troubler, pour s’en abreuver avec plus de satisfaction. Il me semble qu’en attribuant ces mouvemens, que nous ne remarquons que rarement dans les chevaux accoûtumés à boire dans la riviere, au desir naturel à l’animal philolutron, de faire rejaillir par ce moyen l’eau sur lui-même, ou de s’y plonger, on ne se seroit pas si éloigné de la vraissemblance.
L’expérience est mille fois plus sûre que le raisonnement. Présentez à l’animal de l’eau trouble, mais sans odeur ou mauvais goût, & de l’eau parfaitement limpide, il s’abreuvera indifféremment de l’une ou de l’autre : conduisez-le dans une riviere, dès qu’il sera véritablement altéré, il boira sur le champ, & ne cherchera point d’abord à en troubler l’eau : permettez-lui de la battre & de l’agiter à son gré, il s’y couchera infailliblement : examinez enfin ce dont ont été témoins nombre d’écrivains qui ont enrichi le recueil curieux qui a pour titre, Scriptores rei rusticæ veteres, &c. & ce dont vous pouvez vous assûrer par vous-même, vous verrez que beaucoup de chevaux brûlant d’une soif ardente, ne sont point pressés de l’étancher, lorsqu’on ne leur offre à cet effet qu’une eau sale & brouillée. Aristote, Crescentius, Ruellius & quelques autres, prêtent donc à l’animal une intention qu’il n’a point, & ont laissé échapper celle qu’il a réellement, & qui lui est suggérée par un instinct & par un goût qu’ils reconnoissoient néanmoins en lui.
Il n’est pas douteux que c’est ce même goût qui le sollicite & qui l’engage à plonger sa tête plus ou moins profondément dans l’auge ou dans le seau qui contient sa boisson. Cette action, à laquelle il ne se livre que lorsque l’altération n’est pas considérable, a cependant occasionné de nouveaux écarts. Pline en a conclu que les chevaux trempent les nazeaux dans l’eau quand ils s’abreuvent. Jerôme Garembert, quest. xlv. a avancé qu’ils y plongent la tête jusqu’aux yeux, tandis que les ânes & les mulets hument du bord des levres. Un naturaliste moderne, qui sans doute n’a vérifié ni l’un ni l’autre de ces faits, & qui n’a peut-être prononcé que sur la foi des Naturalistes qu’il a consultés, n’a pas craint de regarder la froideur de l’eau qui frappe la membrane muqueuse de l’animal au moment où il boit, comme la cause d’une maladie dont la source n’est réellement que dans le sang : il suggere même un expédient assez particulier pour la prévenir. Il conseille à cet effet d’essuyer les nazeaux du cheval chaque fois qu’il a bû. Telle est la triste condition de l’esprit humain, les vérités les plus sensibles se dérobent à lui ; & des écrits dans lesquels brillent l’érudition & le plus profond savoir, sont toûjours semés d’une foule d’erreurs.
Ce n’en seroit pas une moins grossiere que d’imaginer sur le nom & sur la réputation d’Aristote, que l’eau trouble engraisse le cheval, & lui est plus salutaire que d’autre. Pour peu que l’on soit éclairé sur le méchanisme des corps animés, on rejette loin de soi le principe pitoyable sur lequel est établie cette doctrine. Il seroit très-difficile de découvrir la sorte d’élaboration à la faveur de laquelle des corpuscules terrestres & grossiers aideroient à fournir un chyle balsamique, & propre à une assimilation d’où résulteroit une homogenéité véritable. Non-seulement le fluide aqueux dissout les humeurs visqueuses, entretient la fluidité du sang, tient tous les émonctoires convenables ouverts, debarrasse tous les conduits, & facilite merveilleusement la plus importante des excrétions, c’est-à-dire la transpiration insensible ; mais sans son secours la nutrition ne sauroit être parfaitement opérée : il est le véhicule qui porte le suc nourricier jusque dans les pores les plus tenus & les plus déliés des parties. Il suit de cette vérité & de ces effets, que les seules eaux bienfaisantes seront celles qui, legeres, pures, simples, douces & claires, passeront avec facilité dans tous les vaisseaux excrétoires ; & nous devons penser que celles qui sont crues, pesantes, croupissantes, inactives, terrestres, & imprégnées en un mot de parties hétérogenes grossieres, forment une boisson très-nuisible, attendu la peine qu’elles ont de se frayer une route à-travers des canaux, à l’extrémité desquels elles ne parviennent jamais sans y causer des obstructions. J’avoue que celles-ci, eu égard à la construction de l’animal, à la force de ses organes digestifs, au genre d’alimens dont il se nourrit, &c. ne sont point aussi pernicieuses pour lui que pour l’homme : nous ne devons pas néanmoins nous dispenser de faire attention aux différentes qualités de celles dont nous l’abreuvons. Les eaux trop vives suscitent de fortes tranchées, des avives considérables. Les eaux de neige provoquent ordinairement une toux violente, un engorgement considérable dans les glandes sublinguales & maxillaires ; elles excitent en même tems dans les jeunes chevaux un flux considérable par les nazeaux, d’une humeur plus ou moins épaisse, & d’une couleur plus ou moins foncée.
Le tems & la maniere d’abreuver ces sortes d’animaux, sont des points qui importent essentiellement à leur conservation.
On ne doit jamais, & dans aucune circonstance, les faire boire quand ils ont chaud, quand ils sont essoufflés, & avant de les avoir laissé reposer plus ou moins long-tems. L’heure la plus convenable pour les abreuver, est celle de huit ou neuf heures du matin, & de sept ou huit heures du soir. En été on les abreuve trois fois par jour, & la troisieme fois doit être fixée à environ cinq heures après la premiere. Il est vrai qu’eu égard aux chevaux qui travaillent & aux chevaux qui voyagent, un pareil régime ne sauroit être exactement constant ; mais il ne faut point absolument s’écarter & se départir de la maxime qui concerne le cheval hors d’haleine, & qui est en sueur. Nos chevaux de manége ne boivent qu’une heure ou deux après que nos exercices sont finis ; le soir on les abreuve à sept heures, & toujours avant de leur donner l’avoine : cette pratique est préférable à celle de leur donner le grain avant la boisson, à moins que le cheval ayant eu très-chaud, on ne lui donne une mesure d’avoine avant & après qu’il aura bû.
Plusieurs personnes sont en usage d’envoyer leurs chevaux boire à la riviere ; cette habitude, blâmée d’un côté par Xénophon, & loüée de l’autre par Camerarius, ne sauroit être improuvée, pourvû que l’on soit assûré de la sagesse de ceux qui les y conduisent, qu’on ne les y mene pas dans le tems le plus âpre de l’hyver, & qu’on ait l’attention à leur retour, non-seulement d’avaler avec les mains l’eau dont leurs quatre jambes sont encore mouillées, mais de leur essuyer & de leur sécher parfaitement les piés.
Ceux qui abreuvent l’animal dans l’écurie doivent, en hyver, avoir grand soin de lui faire boire l’eau sur le champ & aussi-tôt qu’elle est tirée. Dans l’été au contraire il est indispensable de la tirer le soir pour le lendemain matin, & le même matin pour le soir du même jour. Je ne suis point sur ce fait d’accord avec Camerarius ; il invective vainement les palefreniers qui offrent à boire à leurs chevaux de l’eau qui a séjourné dans un vase, parce qu’elle a été exposée à la chûte de plusieurs ordures ; il veut qu’elle soit tirée fraichement & présentée aussi-tôt à l’animal : mais les suites funestes d’une pareille méthode observée dans le tems des chaleurs, n’ont que trop énergiquement prouvé la séverité avec laquelle elle doit être proscrite. On peut parer cependant à la froideur de l’eau & à sa trop grande crudité, soit en y trempant les mains, soit en y jettant du son, soit en l’exposant au soleil, soit en la mêlant avec une certaine quantité d’eau chaude, soit enfin en l’agitant avec une poignée de foin, autrement on courroit risque de précipiter le cheval dans quelque maladie sérieuse. J’ajoûterai qu’il est essentiel de s’opposer à ce qu’il boive tout d’une haleine ; on doit l’interrompre de tems en tems quand il s’abreuve, de maniere qu’il ne s’essouffle pas lui-même, & que sa respiration soit libre ; c’est ce que nous appellons couper, rompre l’eau à l’animal.
Une question à décider, est celle de savoir s’il convient mieux d’abreuver un cheval dans la route, ou d’attendre à cet effet que l’on soit arrivé au lieu où l’on doit s’arrêter. Si l’on consultoit M. de Soleysel sur cette difficulté, on trouveroit qu’il a prononcé pour & contre. Dans le chapitre xxjx. de la seconde partie de son ouvrage, édition de l’année 1712, chez Emery, il charge le bon sens de conclure pour lui, que les chevaux doivent boire en chemin, par la raison que s’ils ont chaud en arrivant, on est un tems infini sans pouvoir les faire boire, & que la soif les empêchant de manger, une heure ou deux s’écoulent, ensorte qu’ils sont obligés de repartir n’ayant ni bû ni mangé, ce qui les met hors d’état de fournir le chemin. Dans le chapitre suivant il recommande expressément de prendre garde aux eaux que les chevaux boivent, particulierement en voyage, car de-là dépend, dit-il, la conservation de leur vie ou leur destruction ; or le bon sens indique ici une contradiction manifeste : en effet, si je dois d’une part abreuver mon cheval dans la route, plûtôt que de patienter jusqu’au moment où j’arriverai ; & si de l’autre il est très-important que je considere la nature des eaux dont je l’abreuve, je demande quels seront les moyens par lesquels je jugerai sainement de la différente qualité de celles que je rencontrerai en cheminant. Je crois donc que la seule inspection n’étant pas capable de donner des lumieres suffisantes pour observer avec fruit, la prudence exige qu’on ne fasse jamais boire les chevaux à la premiere eau que l’on découvre. Il vaut mieux différer jusqu’à ce que l’on soit parvenu dans l’endroit où l’on s’est proposé de prendre du repos & de satisfaire ses autres besoins. Les habitans de ce lieu instruits par l’expérience des eaux plus ou moins favorables à l’animal, dissiperont toutes nos inquiétudes & toutes nos craintes à cet égard ; nous ne nous exposerons point, en un mot, au danger d’abreuver nos chevaux d’une eau souvent mortelle pour eux, telles que celles de la riviere d’Essone sur le chemin de Fontainebleau à Paris, d’une autre petite riviere qui passe dans le Beaujolois, & d’une multitude de petits torrens dans lesquels nul cheval ne boit qu’il ne soit atteint de quelques maladies très-vives & très-aiguës. Le moyen de parer l’inconvénient de la trop grande chaleur & de la sueur de l’animal lorsqu’il arrive, est très-simple : il ne s’agit que de rallentir son allure environ une demi-lieue avant de terminer sa marche ; alors il entre dans son écurie sans qu’on apperçoive aucuns signes de transpiration & de fatigue, & un quart-d’heure de repos suffit, pour qu’il puisse sans péril manger les alimens qu’on lui présente, & ensuite être abreuvé. On doit en user de même relativement aux chevaux de carosse, & aux autres chevaux de tirage. Il est rare qu’ils puissent boire commodément en route, les uns & les autres étant attelés ; mais la précaution de les beaucoup moins presser à mesure que l’on approche de l’alte, est très-utile & très-sage. Celle d’abreuver les chevaux avant de partir, n’est bonne qu’autant que la boisson précede d’environ une heure l’instant du départ ; des chevaux abreuvés que l’on travaille sur le champ, cheminent moins aisément, avec moins de vivacité & de legereté, & ont beaucoup moins d’haleine.
Selon Aristote, les chevaux peuvent se passer de boisson environ quatre jours ; je ne contredis point ce fait dont je n’ai pas approfondi la vérité : il en est qui boivent naturellement moins les uns que les autres : il en est qui boivent trop peu, ceux-ci sont communément étroits de boyaux : il en est aussi que la fatigue, le dégoût, empêche de s’abreuver ; en cherchant à aiguiser leur appétit par différentes sortes de masticatoires, on réveille en eux le desir de la boisson : il en est enfin que des maladies graves mettent hors d’état de prendre aucune sorte d’alimens solides ou liquides ; nous indiquerons en parlant de ces maladies, & quand l’occasion s’en présentera, les moyens d’y remédier.
Je ne place point au rang de ces maux les excroissances qui surviennent dans la partie de la bouche que nous nommons le canal, & que l’on observe à chaque côté de la langue, précisément à l’endroit où se termine le repli formé par la membrane qui revêt intérieurement la mâchoire inférieure. Ces excroissances, assez semblables par leur figure à des nageoires de poissons, sont ce que nous nommons barbes ou barbillons. On doit les envisager uniquement comme un allongement de cette membrane, qui toûjours abreuvée par la salive, & plus humectée qu’ailleurs par la grande quantité d’humeurs que les glandes sublinguales filtrent & fournissent à cet endroit, peut se relâcher dans cette portion plus aisément que dans le reste de son étendue, le tissu en étant d’ailleurs naturellement très-foible. Ce prolongement empêche les chevaux de boire aussi librement qu’à l’ordinaire ; ainsi lorsqu’ils témoignent non-seulement quelque répugnance pour la boisson, mais un desir de s’abreuver qu’ils ne peuvent satisfaire que difficilement & avec peine, il faut rechercher si les barbillons n’en sont pas l’unique cause ; en ce cas on tient la bouche du cheval ouverte par le moyen du pas-d’âne (voyez Pas-d’ane), & l’on retranche entierement avec des ciseaux la portion prolongée de la membrane ; on peut laver ensuite la bouche de l’animal avec du vinaigre, du poivre, & du sel : pour cet effet on trempe dans cet acide un linge entortillé au bout d’un morceau de bois quelconque ; on en frotte la partie malade, après quoi on retire le pas-d’âne, & on fait mâcher le linge pendant un instant au cheval. Nombre de personnes ajoûtent à cette opération, celle de lui donner un coup de corne (voyez Phlébotomie) : dès-lors on n’employe point le vinaigre ; & on se contente, quand une suffisante quantité de sang s’est écoulée, de présenter du son sec à l’animal.
Pour opérer avec plus de succès, & sans offenser les parties voisines de celles qu’on doit couper, il est bon de se servir de ciseaux dont les branches soient tellement longues, que la main de l’opérateur ne soit point empêchée par les dents du cheval sur lequel il travaille ; il faut encore que l’extrémité des lames au lieu d’être droite soit recourbée, non de côté, mais en-haut, & que chaque pointe de ces mêmes lames ait un bouton. Voyez Onglée.
Il est des circonstances dans lesquelles nous sommes obligés de communiquer à l’eau simple & commune, dont nous abreuvons les chevaux, des vertus qu’elle n’auroit point, si nous n’y faisions quelques additions & des mêlanges appropriés aux différens cas qui se présentent.
L’eau blanche est, par exemple, la boisson ordinaire des chevaux malades. Elle ne doit cette couleur qu’au son que nous y ajoûtons ; mais il ne suffit pas pour la blanchir d’en jetter, ainsi que plusieurs palefreniers le pratiquent ; une ou deux mesures dans l’eau dont est rempli le seau ou l’auge à abreuver. Elle n’en reçoit alors qu’une teinture très-foible & très-legere ; & elle participe moins de la qualité anodine, tempérante & rafraîchissante de cet aliment, dont elle est plûtôt empreinte par la maniere dont on l’exprime, que par la quantité que l’on en employe très-inutilement. Prenez une jointée de son ; trempez vos deux mains qui en sont saisies dans l’auge ou dans le seau ; exprimez fortement & à plusieurs reprises l’eau dont le son que vous tenez est imbû, le liquide acquerra une couleur véritablement blanche ; laissez ensuite tomber le son dans le fond du vase ; reprenez, s’il en est besoin, une seconde jointée, & agissez-en de même, la blancheur du liquide augmentera ; & le mêlange sera d’autant plus parfait, que cette blancheur ne naît que de l’exacte séparation des portions les plus déliées du solide, lesquelles se sont intimement confondues avec celles de l’eau.
Nous n’en usons pas ainsi, lorsque pour soûtenir l’animal dans des occurrences d’anéantissement, nous blanchissons sa boisson par le moyen de quelques poignées de farine de froment. Si nous précipitions sur le champ la farine dans l’eau, elle se rassembleroit en une multitude de globules d’une grosseur plus ou moins considérable. Si nous l’y trempions comme le son, pour exprimer ensuite le fluide, il en résulteroit une masse que nous aurions ensuite une peine extrème à diviser ; il faut donc, à mesure que l’on ajoûte le froment en farine, le broyer sec avec les doigts, & le laisser tomber en poudre, après quoi on agite l’eau & on la met devant l’animal, qui s’en abreuve quand il le peut ou quand il le veut.
L’eau miellée forme encore une boisson très-adoucissante ; il ne s’agit que de mettre une plus ou moins forte dose de mies dans l’eau que l’on veut donner à boire au cheval, & de l’y délayer autant qu’il est possible. Il est néanmoins beaucoup de chevaux auxquels elle répugne, & qui n’en boivent point.
Souvent aussi la maladie & le dégoût sont tels, que nous sommes contraints de ne nourrir l’animal qu’en l’abreuvant. Alors nous donnons à la boisson encore plus de consistance, en y faisant cuire ou de la mie de pain, ou de l’orge mondé, ou de la farine d’orge tamisée ; nous passons ensuite ces especes de panades, & nous les donnons au cheval avec la corne.
Du reste nous employons les décoctions, les infusions, les eaux distillées, &c.
Je ne puis rapporter qu’un seul exemple de l’efficacité des eaux minérales données en boisson à l’animal ; mais je suis convaincu qu’elles lui seroient très-salutaires, si on les prescrivoit à-propos, & si on ajoûtoit ce secours à tous ceux que nous avons tirés de la Medecine du corps humain. Il étoit question d’un cheval poussif ; les eaux minérales du Montd’or, très-propres à la cure de l’asthme, le rétablirent entierement.
2°. Les avantages que l’animal retire de l’usage extérieur de l’eau sont sensibles.
On peut dire que ses effets relativement à l’homme & au cheval sont les mêmes. Si l’eau froide excite dans les fibres une véritable constriction, si elle contraint les pores de la peau à se resserrer, c’en est assez pour pénétrer les raisons de la prohibition des bains entiers, eu égard à tout animal en sueur, & pour être instruit du danger éminent qu’il y auroit de le tenir alors le corps plongé dans une riviere. Si en même tems ce fluide doit être envisagé toûjours à raison de sa froideur comme un repercussif, on ne doit point être étonné qu’on le prescrive dans les cas de fourbure, de crampes, d’entorses récentes, &c. & qu’on ordonne de l’employer en forme de bains pédilaves, lorsqu’à la suite d’un certain travail ou de trop de repos, ou d’autres causes quelconques, on veut prévenir ou dissiper l’engorgement des jambes en augmentant la force & la résistance des solides, & en les disposant à résister à l’affluence trop prompte & trop abondante des humeurs sur ces parties.
Ce seroit perdre un tems prétieux, que de rechercher ce que les anciens ont écrit sur cette matiere : quel fruit pourrions-nous en attendre ? d’une part nous verrions Buellius soûtenir gravement que dès les premiers cinq mois on doit mener le poulain à l’eau, & le faire souvent entrer entierement dans la riviere afin de lui enseigner à nager : de l’autre nous ne serions que surpris du ton dogmatique & imposant avec lequel Columelle & Camérarius énoncent tous les principes qu’ils ont affecté de répandre sur ce point ; l’un dans son traité sur les chevaux, chapitre v ; & l’autre dans son hippocom. Abandonnons donc ces auteurs ; les propriétés que nous avons assignées à l’eau froide suffiront pour indiquer les cas où elle nous conduira à la guérison de l’animal.
Je ne conçois pas pourquoi nous bannissons ou nous oublions les bains d’eau chaude. Il est constant qu’ils ne peuvent que ramollir des fibres roides, tendues, & resserrées par les spasmes ; ils procurent un relâchement dans toute l’habitude du corps ; ils facilitent la circulation, ouvrent les pores, raréfient le sang, facilitent la dilatation du cœur & des arteres, & disposent enfin l’animal aux effets des médicamens qui doivent lui être administrés dans nombre de maladies. Je les ai employés très-souvent ; & les épreuves que j’en ai faites m’ont persuadé que les succès qui suivroient cette pratique, sont tels qu’ils doivent nous faire passer sur les difficultés que nous offrent d’abord l’appareil & les préparations de ces sortes de remedes. Les douches d’eau simple & commune, froide ou chaude, injectée de loin sur l’animal avec une longue & grande seringue, semblable à celle dont les Maréchaux se servent communément pour donner des lavemens, ou versée de haut par le moyen d’une forte éponge que l’on exprime, sont encore d’une ressource admirable dans une multitude d’occasions. Celles d’eau commune dans laquelle on a fait bouillir des plantes qui ont telles & telles qualités selon le genre des maux que l’on doit combattre, ne sont pas d’une moindre utilité ; & personne n’ignore les effets salutaires des fomentations & des bains artificiels résolutifs, astringens, anodins, fortifians, émolliens, &c. suivant les vertus communiquées à l’eau par les plantes médicinales auxquelles on l’associe. Plusieurs se servent de tems en tems du bouillon de tripe ou de l’eau dans laquelle on a lavé la vaisselle, mit harspuolen, pour laver les jambes des chevaux : ces especes de fomentations onctueuses ne sont pas à dédaigner ; elles maintiennent les fibres dans un degré de souplesse qui en facilitent le jeu, & elles préviennent ces retractions fréquentes des tendons qui arquent la jambe, & qui boutent ou boulletent presque tous les chevaux après un certain tems de service.
Les douches d’eaux minérales enfin, les applications des boues ou des sédimens épais de ces mêmes eaux, sont des remedes recommandables. J’ai vû deux chevaux de prix entierement délaissés à la suite d’un effort de reins, auquel on n’avoit pû radicalement remédier, & qui pouvoient à peine traîner leur derriere lorsqu’ils avoient cheminé l’espace d’une demi-lieue ; les douches des eaux d’Aix en Savoie leur rendirent toute leur force & toute leur vigueur.
Chevaux qui craignent l’eau ; chevaux qui s’y couchent. Rien n’est plus incommode que le vice dont sont atteints les premiers, & rien n’est en même tems plus dangereux que le défaut des seconds ; je suggérerai ici en peu de mots les moyens de corriger l’un & l’autre.
Les chevaux qui redoutent l’eau au point de se défendre vivement, lorsqu’on veut les faire entrer dans une riviere, soit pour les abreuver, soit pour les y baigner, ou pour la leur faire guéer dans une route, ne peuvent être la plûpart affectés de terreur que conséquemment au bruit ou à la vivacité de son cours. Il ne s’agiroit que d’y accoûtumer leurs oreilles & leurs yeux prudemment & avec patience : la dureté, les coups, la rigueur, la surprise, sont de vaines armes pour les vaincre ; & l’expérience nous apprend que l’effroi des châtimens est souvent plus préjudiciable, que celui du premier objet appréhendé. Tâchons donc toûjours de leur donner l’habitude de reconnoître & de sentir l’objet qu’ils craignent. Si nous n’imputons leur desobéissance qu’à l’étonnement que leur cause le bruit de l’eau lorsqu’ils en abordent, il est bon de les attacher pendant quelque tems dans le voisinage d’un moulin, insensiblement on les en approche, & enfin on les tient vis-à-vis la roue de ce même moulin, entre deux piliers, régulierement une heure ou deux dans la journée, ayant soin de les flater & de leur donner du pain, ou quelques poignées d’avoine. On pratique ensuite la même chose, relativement à l’effroi qu’occasionne en eux la rapidité des eaux qui roulent ; après quoi on tente de les conduire dans la riviere même, en observant d’y faire entrer un autre cheval avant eux, & de le leur faire suivre en les caressant. On doit avoir attention de ne les y point d’abord mener trop avant ; il n’est question dans le commencement que de les déterminer à obéir : on les y maintient plus ou moins de tems, & on les ramene à l’écurie. On gagne par cette voie peu-à-peu l’animal ; & non-seulement, si les coups n’ont pas précédé cette méthode & ne l’ont pas rebuté, il n’aura pas besoin de l’exemple d’un autre cheval pour se soûmettre, mais il passera enfin sans peine la riviere entiere, dès que le cavalier qui le monte l’en sollicitera.
Il en est qui par une forte exception au terme générique d’animal philolutron, se gendarment au moindre attouchement & à l’impression la plus legere de l’eau, ou de quelqu’autre liquide sur leur peau. Cette répugnance quelquefois naturelle, mais provenant le plus souvent de la brutalité des palefreniers qui les épongent, cessera de subsister, si on les mouille legerement & avec douceur, & si les caresses accompagnent cette action, qu’il faut répéter dans l’écurie presque toutes les heures, & qui doit nécessairement précéder celle de les mener à l’eau. Au surplus, si cette crainte a sa source dans la nature de l’animal, il redoutera la riviere. Quand elle n’a pour cause que la rigueur des traitemens qu’il a essuyés, il y entre & y nage franchement sans aucun effroi : c’est ce dont j’ai été témoin plusieurs fois, & spécialement eu égard à un cheval qu’un écuyer sexagénaire s’occupoit à châtier & assommer de coups de foüet à l’écurie, sous prétexte de le mettre sur les hanches, & le tout tandis qu’on lui lavoit les crins. Cet animal qu’il faisoit baigner trois fois par jour pendant une heure au moins, dans l’espérance, disoit-il, de l’apprivoiser, sembloit se plaire dans l’eau : mais dès qu’on l’abordoit en tenant une éponge, & qu’on vouloit sur-tout entreprendre d’en peigner & d’en mouiller la criniere, il se défendoit avec fureur. Ce même écuyer m’ayant consulté, & m’ayant ingénument avoüé qu’il étoit l’auteur des desordres de son cheval, j’imaginai de l’en corriger, en l’exposant plusieurs jours sous une gouttiere, de maniere que l’eau qui en tomboit frappoit directement sur son encolure. Dans ce même tems, un palefrenier le flattoit, lui présentoit du pain, lui manioit les crins ; il y passa bien-tôt l’éponge & le peigne, & l’animal fut enfin réduit.
Quelquefois l’appréhension du cheval que l’on veut embarquer, naît de l’aspect seul du bateau : alors on doit le familiariser avec l’objet ; quelquefois aussi elle est suscitée par le bruit que font les piés sur les planches : en ce cas il faut recourir à une partie de l’expédient que j’ai proposé dans mon nouveau Newkastle, pour dissiper la frayeur dont sont saisis quelques chevaux, qui refusent & se défendent, lorsqu’ils ont à peine fait deux pas sur un pont de bois : substituez des plateaux de chêne au pavé qui garnit la place qu’ils occupent dans l’écurie, le cheval étant sur ces plateaux, ses piés feront le même bruit que lorsqu’il entrera ou remuera dans le bateau, & il sera conséquemment forcé de s’y accoûtumer.
On risque souvent sa vie avec ceux qui se couchent dans l’eau. Il en est qui se dérobent à cet effet si subtilement, & d’une maniere si imperceptible, que le cavalier n’a pas même le tems de se servir de sa main & de ses jambes pour les soûtenir & pour les en empêcher. On ne sauroit leur faire perdre ce vice sans une grande attention à leur mouvement, qu’il est nécessaire de prévenir. Je dois néanmoins avertir qu’il est rare que les éperons & les autres châtimens suffisent pour les en guérir ; mais j’ai éprouvé sur un des plus beaux chevaux limousins, dont cette dangereuse habitude diminuoit considérablement le prix, un moyen qui le rendit très-docile, & qui lui ôta jusqu’au desir de se coucher. Je le montai, après m’être pourvû de deux ou trois flacons de verre recouverts d’osier, & remplis d’eau ; je le menai à un ruisseau, & je saisis exactement le tems où il commençoit à fléchir les jambes, pour lui casser sur la nuque un de ces mêmes flacons : le bruit du verre, l’eau qui passoit au-travers de l’osier, & qui couloit dans ses oreilles, fit sur lui une telle impression, qu’il se hâta de traverser ce ruisseau ; je le lui fis repasser, & j’usai du même châtiment : au bout de cinq ou six jours, l’animal gagnoit avec rapidité, & sans aucun dessein de s’arrêter, l’autre côté du torrent : & depuis cette leçon il n’a jamais donné le moindre signe de la plus legere envie de se plonger dans l’eau. On peut encore prendre, au lieu des flacons, deux balles de plomb, percées & suspendues à une petite ficelle ; on les lui laisse tomber dans les oreilles, lorsqu’il est prêt à se coucher ; & s’il continue son chemin, on les retire. (e)
Eaux, (Manege & Maréchall.) maladie cutanée qui tire sa dénomination du premier de ses symptomes, & à laquelle sont très-sujets les jeunes chevaux, qui n’ont pas jetté ou qui n’ont jetté qu’imparfaitement, ainsi que tous les chevaux de tout âge qui sont épais, dont les jarrets sont pleins & gras, dont les jambes sont chargées de poils, & qui ont été nourris dans des terreins gras & marécageux, &c.
Elle se décele par une humeur fœtide, & par une sorte de sanie, qui sans ulcérer les parties, suintent d’abord à-travers les pores de la peau qui revêt les extrémités inférieures de l’animal, spécialement les postérieures. Dans le commencement, on les apperçoit aux paturons : à mesure que le mal fait des progrès, il s’étend, il monte jusqu’au boulet, & même jusqu’au milieu du canon ; la peau s’amortit, devient blanchâtre, se détache aisément & par morceaux ; & le mal cause l’enflûre totale de l’extrémité qu’il attaque. Selon les degrés d’acrimonie & de purulence de la matiere qui flue, & selon le plus ou le moins de corrosion des tégumens, la partie affectée est plus ou moins dégarnie de poil : l’animal qui ne boitoit point d’abord, souffre & boite plus ou moins : & il arrive enfin que la liaison du sabot & de la couronne à l’endroit du talon, est en quelque façon détruite.
Lorsque je remonte aux causes de la maladie dont il s’agit, je ne peux m’empêcher d’y voir & d’y reconnoître le principe d’une multitude d’autres maux que nous ne distinguons de celui-ci qu’attendu leur situation, & dont les noms & les divisions ne servent qu’à multiplier inutilement les difficultés, & qu’à éloigner le maréchal du seul chemin qui le conduiroit au but qu’il se propose. Tels sont les arrêtes ou les queues de rat, les grappes, les mules traversines, la crapaudine humorale, les crevasses, le peigne, le mal d’âne, &c. qui ne sont, ainsi que les eaux, que des maladies cutanées, produites par une même cause générale interne, ou par une même cause générale externe : quelquefois par l’une & l’autre ensemble.
Supposons, quant à la premiere, une lymphe plus ou moins âcre, & plus ou moins épaisse ; sa viscosité l’empêchant de s’évaporer par la transpiration, elle gonflera les tuyaux excrétoires de la peau, & elle ne pourra que séjourner dans le tissu de ce tégument, sur lequel elle fera diverses impressions, selon la différence de son caractere. Si elle n’est pas infiniment grossiere & infiniment visqueuse, les embarras & les engorgemens qu’elle formera, ne seront pas fort considérables : il en résultera une crasse farineuse, comme dans ce que nous nommons peignes secs. Est-elle chargée de beaucoup de parties sulphureuses, qui par l’évaporation de ce qu’il y avoit de plus tenu & de plus aqueux, s’unissent & se dessechent, & ses sels sont-ils fortement embarrassés & émoussés par ces parties ? elle produira des croûtes : c’est ce que nous voyons dans les arrêtes ou queues de rat crustacées. Enfin est-elle imprégnée de beaucoup de sels dont l’action se développe, attendu le peu de parties sulphureuses qu’elle contient, & qui seules pourroient y former obstacle ? elle déchirera, elle rongera le tissu de la partie où elle sera arrêtée, les houpes nerveuses & les petits vaisseaux cutanés, corrodés ; l’animal ressentira ou des douleurs ou des picotemens incommodes : il en découlera une sanie plus ou moins épaisse, & plus ou moins fœtide : & telle est celle qui suinte dans la maladie qui fait l’objet de cet article, dans les arrêtes humides, dans les peignes avec écoulement, & dans toutes les autres affections qui ne partent que d’une seule & même source. Que si d’un autre côté ces maladies auxquelles non-seulement le vice de la lymphe, mais encore l’obstruction des tuyaux excrétoires donnent lieu, ont été simplement occasionnées par des causes externes, capables de favoriser cette obstruction, elles seront plus aisément vaincues ; & ces causes externes n’étant que la crasse, la boue, & d’autres matieres irritantes, il s’ensuit que nous pouvons placer, sans crainte de nous égarer, les porreaux & les javarts dans la même catégorie, soit que nous les envisagions comme ayant leur principe dans l’intérieur, soit que nous les considérions comme provenant de l’extérieur. Du reste, s’il y a cause externe & cause interne tout ensemble, le mal sera plus rebelle : mais le succès ne sauroit en être douteux. J’avoue cependant que les eaux ont été quelquefois suivies de maux extremement dangereux, comme de fics, ou crapauds, de javarts encornés, &c. Mais cet évenement n’a rien d’étonnant, lorsque l’on considere que toutes les maladies qui ont jusqu’ici extérieurement attaqué l’animal, n’ont été combattues qu’avec des remedes externes, comme si la cause ne résidoit pas dans l’intérieur : or s’attacher simplement à dessécher des eaux, des solandres, des crevasses, &c. c’est pallier le mal, c’est négliger d’aller à son principe, c’est détourner seulement, & jetter sur d’autres parties l’humeur, qui ne peut acquérir que des degrés de perversion, capables de susciter des maladies véritablement funestes.
On doit débuter dans le traitement de celle-ci, par les remedes généraux, & non par l’application des dessiccatifs, plûtôt nuisibles dans les commencemens, que salutaires ; il faut conséquemment pratiquer une legere saignée à la jugulaire ; le même soir du jour de cette saignée, donner à l’animal un lavement émollient, afin de le disposer au breuvage purgatif qu’on lui administrera le lendemain matin, & dans lequel on n’oubliera point de faire entrer l’aquila alba, ou le mercure doux. Selon les progrès du mal, on réitérera le breuvage, que l’on fera toûjours précéder par le lavement émollient. Le cheval suffisamment évacué, on le mettra à l’usage du crocus metallorum, donné chaque matin dans du son (car on lui retranchera l’avoine) à la dosé de demi-once, dans laquelle on mêlera d’abord trente grains d’æthiops minéral fait sans feu, que l’on augmentera chaque jour de cinq grains jusqu’à la dose de soixante ; on continuera le crocus & l’æthiops à cette même dose de soixante grains, encore sept ou huit jours, plus ou moins, selon les effets de ces médicamens : effets dont on jugera par l’inspection des parties, sur lesquelles le mal avoit établi son siége. La tisane des bois est encore, dans ces sortes de cas, d’un très grand secours ; on fait bouillir de salsepareille, squine, sassafras, gayac, égale quantité, c’est-à-dire trois onces de chacun, dans environ quatre pintes d’eau, jusqu’à réduction de moitié ; on passe cette décoction ; on y ajoûte deux onces de crocus metallorum ; on remue, & l’on agite bien le tout ; on humecte le son que l’on présente le matin à l’animal, avec une chopine de cette tisane que l’on charge plus ou moins proportionnément au besoin & à l’état du malade ; & si le cheval refusoit cet aliment ainsi détrempé, on lui donneroit la boisson avec la corne. La poudre de vipere n’est pas d’une moins grande ressource : on prend des viperes desséchées, on les pulvérise, & l’on jette la poudre d’une vipere entiere, chaque jour, dans le son. Souvent elle répugne au cheval : alors on la mêle avec du miel, & l’on en fait plusieurs pilules, que l’on fait avaler à l’animal.
Quant aux remedes qu’il convient d’employer extérieurement, on ne doit jamais en tenter l’usage, que lorsque l’animal a été suffisamment évacué, & qu’on l’a tenu quelques jours à celui du crocus & de l’æthiops, ou de la tisane, ou des viperes. Jusque-là il suffit de couper le poil, dégraisser la partie malade, & il est important de laisser fluer la matiere morbifique ; mais une partie de cette même matiere s’étant échappée au moyen des purgatifs, & par les autres médicamens qui ont provoqué une plus abondante secrétion de l’humeur perspirable, il est tems alors d’en venir aux remedes externes : ceux-ci ne peuvent être suggérés que par le plus ou le moins de malignité des symptomes qui se manifestent au-dehors. Il est rare qu’après l’administration des médicamens que j’ai prescrits, ils se montrent tels qu’on les a vûs ; souvent l’enflûre est dissipée, la partie se desseche d’elle-même, & il ne s’agit alors que de la laver avec du vin chaud, & de la maintenir nette & propre : quelquefois aussi on apperçoit encore un leger écoulement : dans cette circonstance il s’agit de substituer au vin dont on se servoit, de l’eau-de-vie & du savon ; & si le flux est plus considérable, on bassinera l’extrémité affectée avec de l’eau, dans laquelle on aura fait bouillir de la couperose blanche & de l’alun, ou avec de l’eau seconde ; & l’on ne craindra pas de repurger l’animal, qui parviendra à une entiere guérison sans le secours de cette foule de recettes d’eaux, d’emmiellures, & d’onguens, vainement prescrits par M. de Soleysel, & par Gaspard Saunier.
J’ai observé qu’il peut arriver que la liaison du sabot & de la couronne commence à se détruire : alors on desséchera les eaux à cet endroit seul, en y mettant de l’onguent pompholix, & on les laissera fluer par-tout ailleurs, jusqu’au moment où on pourra recourir aux remedes externes que j’ai recommandés. Il peut se faire aussi qu’ensuite des érosions & des plaies faites conséquemment à la grande acrimonie de l’humeur, les chairs surmontent : alors on se servira de legers caustiques, que l’on mêlera avec de l’ægyptiac pour les consumer, & on suivra dans le traitement la même méthode que dans celui des plaies ordinaires.
Les eaux qui endommagent quelquefois la queue, qui occasionnent la chûte des crins dont le tronçon est garni, & qui en changent la couleur, doivent être regardées comme une humeur dartreuse, contre laquelle on procédera en employant les remedes avec lesquels on a combattu les autres eaux. Cette sorte de dartre qui reconnoît les mêmes causes, est quelquefois tellement opiniâtre, que je n’ai pû la dissiper qu’en frottant tout le tronçon dont j’avois fait couper les crins avec l’onguent napolitain, après néanmoins avoir administré intérieurement les remedes généraux & spécifiques.
La crainte de ne pas trouver l’occasion de parler dans le cours de cet ouvrage, des arrêtes ou queues de rat, des crevasses, & de la crapaudine humorale, m’oblige à en dire un mot ici ; d’autant plus que ces maladies ayant, ainsi que je l’ai remarqué, le même principe que celle sur laquelle je viens de m’étendre, ne demandent pas un traitement différent.
Le siége des arêtes ou queues de rat est fixé sur la partie postérieure de la jambe, c’est-à-dire le long du tendon. Il en est de deux especes : les unes sont crustacées : les autres coulantes. Les premieres sont sans écoulement de matiere ; les secondes se distinguent par des croûtes humides & visqueuses, qui laissent des impressions dans le tissu de la peau, d’où il découle une sérosité ou une lymphe roussâtre, âcre, & corrosive, qui ronge communément les tégumens. Ces croûtes qui rarement affectent les extrémités antérieures, & qui sont plus ou moins élevées, sont appellées, par quelques personnes, des grappes.
Les crevasses sont situées dans le pli des paturons, soit au-devant, soit au derriere de l’animal ; elles sont comme autant de gersures ou de fentes, d’où suintent des eaux plus ou moins fœtides, & qui sont accompagnées souvent d’enflûre & d’une inflammation plus ou moins forte. Quelques-uns les confondent avec ce que nous nommons mules traversines : mais l’erreur est d’autant plus excusable, que les unes & les autres ne different que par la situation ; car les dernieres s’annoncent par les mêmes signes dans le pli de l’articulation du paturon avec le boulet. L’onguent pompholix succédant aux remedes intérieurs, est un dessiccatif des plus convenables & des plus efficaces.
La crapaudine humorale naît le plus souvent de cause interne, & elle est infiniment plus dangereuse que cette sorte d’ulcere que nous appellons du même nom, & qui ne provient que d’une atteinte que le cheval se donne lui-même à l’extrémité du paturon sur le milieu de cette partie, en passageant & en chevalant : cette atteinte se traite de la même maniere que les plaies. Quant à la crapaudine dont il est question, elle est située comme l’autre sur le devant du paturon, directement au-dessus de la couronne : d’abord on apperçoit sur cette partie une espece de gale d’environ un pouce de diametre, le poil tombe, & la matiere qui en découle est extrèmement puante ; elle est même quelquefois si corrosive & tellement âcre, qu’elle sépare l’ongle & qu’elle provoque la chûte du sabot. Voyez Piés. On conçoit par conséquent combien il importe d’y remédier promptement, & d’en arrêter les progrès ; ce que l’on ne peut faire qu’au moyen des médicamens ordonnés pour les eaux. Elle produit encore des soies ou piés de bœuf. Voyez Soies, Piés, &c. (e)
Eau, chez les Joailliers, est proprement la couleur ou l’éclat des diamans & des perles. Elle est ainsi appellée, parce qu’on croyoit autrefois qu’ils étoient formés d’eau. Voyez Pierre précieuse, &c.
Ainsi on dit, cette perle est d’une belle eau. Voyez Perle. L’eau de ce diamant est trouble. Voyez Diamant.
Ce terme s’employe aussi quelquefois, quoique moins proprement, pour signifier la couleur d’autres pierres précieuses. Voyez Pierre précieuse, &c. Chambers.
* Eau, (donner l’) Drap. Teintur. Tann. Chapel. Cette maniere de parler est synonyme à lustrer ou à apprêter. On lustre une étoffe en la mouillant légerement, & en la passant, soit à la presse, soit à la calendre à froid ou à chaud.
Eau, (donner une) Plumas. c’est passer les plumes naturellement noires dans un bain de teinture, moins pour les teindre que pour les lustrer, & leur communiquer plus d’éclat.
Eau-forte, (jetter l’) Relieur. On met l’eau-forte mitigée avec trois quarts d’eau sur le veau qui couvre les livres, lorsque l’on veut faire paroître sur le veau de grosses ou petites taches, ou d’autres figures, selon que le relieur la dirige. Elle imite aussi les taches du caffé au lait, quand la jaspure est plus serrée.
Les cartons & le veau étant battus, on glaire le livre ; & quand la glaire est seche, on jette l’eau-forte par grosses ou petites gouttes. On dit, jetter l’eau-forte.
Eau de senteur, (Distillat.) On appelle ainsi la partie odoriférante de différentes substances, telles que l’orange, la mille-fleur, le nard, le napse, la rose, l’œillet, &c. qui en sont extraites par la distillation ou l’infusion, ou l’expression, que les distillateurs de profession & les parfumeurs vendent, ou dont ils se servent pour donner de l’odeur à leurs marchandises. Voyez l’article Distillation.