L’Encyclopédie/1re édition/GARENNE

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GARENNE, s. f. (Chasse.) on appelle ainsi tout espace peuplé d’une grande quantité de lapins. Cependant les garennes proprement dites sont enfermées de murs, & par cette raison on les nomme garennes forcées. Celles qui ne sont pas forcées font trop de tort à leur voisinage, pour qu’il dût être permis d’en avoir.

On établit une garenne pour avoir commodément des lapins pour son usage, ou pour les donner à loyer : dans l’un & dans l’autre cas, les intérêts & les soins sont les mêmes.

Une garenne n’est avantageuse qu’autant que les lapins y sont bons, qu’ils y multiplient beaucoup, & que les lapreaux y sont hâtifs. Pour cela, il faut que le terrein soit sec, qu’il produise des herbes fines & odoriférantes, comme le serpolet, &c. & qu’il soit exposé au midi ou au levant. Le lapin est de tous les animaux celui dont la chair garde le mieux le goût des herbes dont il s’est nourri. Une odeur rebutante décele ceux qui ont mangé des choux, & les autres nourritures que la domesticité met dans le cas de leur donner. L’eau ne vaut rien non plus pour les lapins. Les prés humides, ceux où l’herbe se charge d’une grande quantité de rosée, leur donnent une constitution mal-saine & un goût déplaisant. Il faut donc pour asseoir une garenne, choisir un lieu élevé. L’exposition que nous avons indiquée n’est pas moins nécessaire pour avancer la chaleur des bouquins & la fécondation des hazes.

Une garenne n’étant bonne qu’autant qu’elle est hâtive, il s’ensuit que tous les soins du propriétaire ou du fermier doivent concourir à la rendre telle. Pour cela, il faut qu’elle ne contienne qu’une quantité de lapins proportionnée à son étendue, qu’ils y soient bien nourris pendant l’hyver, & qu’il n’y reste que le nombre de bouquins nécessaire. Il ne faut pas moins que de deux à trois arpens pour une centaine de lapins de fond : ainsi dans une garenne de cent arpens, il n’en faudra jamais laisser pendant l’hyver plus de quatre mille. Malgré cet espace il faudra les nourrir un peu pendant les gelées, & beaucoup lorsque l’herbe sera couverte de neige ou de givre. Si les lapins manquent de nourriture pendant trois ou quatre jours, ils maigriront à l’excès ; & la premiere portée, qui est à tous égards la plus avantageuse, en sera considérablement retardée. Le meilleur fourrage qu’on puisse leur donner, c’est le regain de luserne, ou celui de trefle : on peut aussi leur jetter des branches de saule & de tremble, dont l’écorce leur plaît & les nourrit bien.

Pour ne rien perdre du fourrage, qui souvent est assez cher, on peut le leur donner sur de petits rateliers faits en forme de berceau comme ceux des bergeries, & élevés d’un demi pié. On les place à portée des terriers. On peut les couvrir aussi d’un petit toît de planches, pour garantir l’herbe de la pluie & de la neige. La faim y accoûtume les lapins en peu de jours. Il ne faut d’abord que les affriander ; & lorsqu’il ne reste rien aux rateliers, on augmente peu-à-peu.

Pour joüir des lapins ou en ôter le superflu, il y a trois moyens ; le fusil, les panneaux, & les furets. Le premier est infidele & dangereux ; on tue quelquefois des hazes ; & d’ailleurs pour peu qu’un lapin qui a été tiré ait encore de vie, il rentre au terrier, y meurt & l’infecte. Les garenniers intelligens ne laissent tirer dans leurs garennes qu’avec beaucoup de précautions : cependant depuis les premiers lapreaux jusqu’à la fin de Juillet, il est difficile de s’en dispenser : mais dès qu’on le peut, il vaut mieux recourir aux panneaux & aux furets. Depuis le mois d’Août jusqu’au mois de Novembre, le panneau est à préférer, parce que c’est un moyen plus facile & plus prompt. Pour s’en servir on a une petite route couverte, si l’on peut, d’un côteau ou d’un revers de fossé, & tracée entre les terriers & l’espace dans lequel les lapins s’écartent pour aller au gagnage pendant la nuit ; on file un panneau le long de cette route ; on l’attache à des fiches ou piquets de deux piés de haut ; on a soin d’enfoncer ces fiches assez pour qu’un lapin ne les renverse pas, & elles sont placées à six toises les unes des autres. Un homme reste à ce panneau ; deux autres parcourent l’espace dans lequel les lapins sont répandus ; l’effroi les faisant revenir aux terriers, ils sont arrêtés par le filet, & saisis par celui qui le garde : c’est-là ce qu’on appelle faire le rabat. Dans une garenne un peu étendue, on en peut faire jusqu’à trois dans une nuit en commençant deux heures après la nuit fermée. Lorsqu’on a le vent faux, ou qu’il fait clair de lune, les rabats ne réussissent guere. On voit que de cette maniere les lapins étant pris vivans, il est aisé de ne tuer que les bouquins, & de laisser aller les hazes : cela est d’autant plus avantageux, qu’il ne doit pas rester dans la garenne plus d’un bouquin pour quatre ou cinq hazes. On a le même avantage pendant l’hyver, en faisant sortir les lapins du terrier avec des furets emmuselés, & les prenant avec des bourses, qu’on adapte aux gueules. Voyez Fureter.

Si le terrein d’une garenne est sablonneux, il faut que les murs qui l’entourent ayent des fondemens très-profonds, afin que les lapins ne percent point au-dessous. Ces murs doivent avoir sept à huit piés de haut, & être garnis au-dessous du chaperon d’une tablette saillante, qui rompe le saut des renards. Si on est forcé de laisser des trous pour l’écoulement des eaux, il faut les griller de maniere que les belettes même ne puissent y passer.

Il est presque nécessaire que dans une garenne les lapins trouvent de-tems-en-tems du couvert. On ne peut pas espérer d’y élever du bois ; il faut donc y entretenir des bruyeres, des genêts, des genievres qui font ombre, & que les lapins ne dévorent pas comme le reste. Lorsque rien n’y peut croître, on est contraint de former un couvert artificiel. On assemble plusieurs branches d’arbres, des genêts, &c. on les couche, & elles servent de retraite aux lapreaux, que les vieux lapins tourmentent dans les terriers pendant l’été.

On devra à ces soins réunis, tout l’avantage qu’on peut retirer d’une garenne, si l’on y joint une attention continuelle à écarter & à détruire toutes les bêtes carnassieres qui sont ennemies des lapins. Les murs peuvent garantir des renards, des blairaux, des putois, & même des chats ; mais il faut des précautions journalieres pour se défendre des foüines, que les murs n’arrêtent pas ; des belettes, auxquelles le plus petit trou donne passage, &c. Voyez Piége. Il est donc inutile d’avoir une garenne, si l’on n’en confie pas le soin à un garennier très-intelligent & très-exercé. Cet article est de M. Le Roy, lieutenant des chasses du parc de Versailles.