L’Encyclopédie/1re édition/RHUMATISME
RHUMATISME, s. m. (Médecine.) ce terme se prend dans une signification fort étendue, de même que celui de rhume & de fluxion. Mais dans un sens stricte & propre, le terme de rhumatisme signifie une affection composée de la goutte & du catarre ; & dans ce sens, en voici la vraie définition.
Le rhumatisme est une douleur vague, erratique ou fixe des muscles, de leur membrane, des ligamens, des articulations & du périoste, avec une fievre plus ou moins marquée, une pesanteur & un tiraillement dans la partie affligée, & une impuissance ou difficulté de la mouvoir ; sa premiere origine est une humeur âcre, saline & épaisse qui picote ou distend les membranes ; ses suites sont souvent la perte du mouvement, la maigreur, l’atrophie de la partie, & la consomption générale de tout le corps.
On divise le rhumatisme en trois classes. La premiere est celle qui se soudivise en erratique qui roule dans différentes parties, & en fixe qui n’attaque qu’une seule partie & y reste fixé. Le premier est ordinaire, le second se rencontre rarement dans la pratique, quoiqu’il se trouve quelquefois.
La seconde classe se sous-divise en rhumatisme général ou universel qui attaque toutes les parties du corps, du-moins, à l’exception seule d’un petit nombre, cette espece n’est pas rare, & en rhumatisme particulier qui n’affecte qu’un membre, comme une cuisse, un bras, une jambe, une épaule, une hanche.
La troisieme classe se soudivise en chaud & en froid, en inflammatoire & en œdémateux, en celui qui est avec fievre, & en celui qui est sans fievre. Le rhumatisme chaud est accompagné de chaleur, de prurit, de rougeur, de douleur lancinante & aiguë : le froid est accompagné de froid, de pesanteur, d’une douleur gravative, & la chaleur y est d’un grand soulagement, ce qui n’arrive pas dans le rhumatisme chaud.
L’inflammatoire est à proprement le chaud, & il a souvent tous les caracteres de l’inflammation. Voyez Inflammation.
L’œdemateux est plus approchant de l’œdeme, la partie est pâle, pesante ; on y sent une certaine mollesse, quoiqu’il y ait douleur. Voyez Œdeme.
Le rhumatisme chaud & inflammatoire, de même que l’universel, n’est pas sans fievre, & cette fievre est des plus aiguës, que l’on ne guérit que comme toutes les maladies aiguës.
Le rhumatisme froid est pour l’ordinaire sans fievre bien marquée ou aiguë ; cependant le pouls est changé notablement, & on trouve le soir une fievre assez distincte & facile à reconnoître.
Le siege du rhumatisme en général est dans la membrane propre & commune des muscles, la peau n’y a point de part, il attaque aussi les ligamens, les aponévroses des articulations. Enfin son siege approche fort de la goutte, l’humeur qui produit l’un & l’autre est assez analogue ; car les membranes des muscles & des ligamens des articles sont nourries & lubrefiées par la même lymphe. Aussi les auteurs modernes mettent-ils peu de différence entre la goutte & le rhumatisme, quoiqu’on les traite assez différemment, & que l’on respecte plus la goutte que le rhumatisme.
Causes. Les causes du rhumatise chaud & inflammatoire, & qui se trouve joint avec une fievre aiguë, ne sont pas différentes de celles qui occasionnent les différentes especes d’inflammation. Il faut seulement remarquer que les exercices violens, les fatigues trop continues, la course, l’action de porter des fardeaux trop pesans, d’autres mouvemens qui déterminent trop de sang sur le siege ci-dessus décrit, propre au rhumatisme, le produisent efficacement, surtout s’il se trouve dans les solides une disposition prochaine, soit par le relâchement, l’habitude, la délicatesse, ou même le trop de rigidité & de resserrement dans les vaisseaux, ou une disposition vitieuse de la part des fluides, telle que la pléthore vraie ou fausse, la cachexie, l’acrimonie ou l’alkalescence du sang, un levain vérolique, scorbutique ou écrouelleux. Voyez tous ces articles.
Toutes ces causes seront déterminées par une indigestion, par un froid pris subitement lorsqu’on aura trop chaud, par un excès dans la boisson, dans l’usage des plaisirs de l’amour, & autres abus des choses non-naturelles.
Les causes du rhumatisme froid seront un épaississement du sang, de la lymphe, quelque virus particulier, le froid habituel appliqué sur certaines parties, l’habitude ou l’accident de coucher dans un lieu froid & humide, sur un matelas mouillé, sur la terre, comme il arrive dans les camps, sur le bord des rivieres, comme il arrive aux pêcheurs.
Diagnostic. Les signes ou symptomes des différentes especes de rhumatisme se reconnoissent par tout ce qui a été dit.
La chaleur, la douleur aiguë & lancinante, la fievre aiguë & continue qui redouble le soir, sont les signes du rhumatisme chaud & inflammatoire.
Le froid, la pesanteur, la douleur gravative & la difficulté de mouvoir la partie avec un tiraillement sourd, comme si l’on portoit un poids énorme, sont les signes du rhumatisme froid ; si, en pinçant la peau légerement, le membre restant dans sa place & sa figure, on y sent douleur & difficulté de le mouvoir, c’est un rhumatisme, l’affection des nerfs est différente & a ses symptomes propres qui servent à la distinguer.
Pronostic. Le rhumatisme en général n’est pas dangereux, il peut se guérir, s’il n’est pas mortel ; il est ennuyeux par sa longueur ; le chaud est plus cruel, mais moins long, & plus aisé à guérir en brusquant les remedes ; quant au froid & œdemateux, il est long, il attire souvent l’impotence & la paralysie, l’hydropisie dans les membres. Le rhumatisme est une espece de barometre ou hygrometre, & sur-tout celui qui attaque avec froid & pesanteur ; il attaque les vieillards, les gens bouffis, les filles qui ont les pâles couleurs. Les jeunes gens sont plus sujets au rhumatisme chaud, parce qu’ils ont le sang bouillant ; mais il arrive assez souvent que le rhumatisme froid se complique avec la goutte, la paralysie, le scorbut, le rachitis ; & alors c’est le diable à confesser.
Curation. Le rhumatisme inflammatoire demande pour les remedes internes les mêmes que la pleurésie & l’inflammation ; ainsi les saignées répétées, les tisanes délayantes, adoucissantes & antiphlogistiques, comme celle de chiendent, de guimauve & de nitre ; le petit-lait adouci, ensuite les purgatifs & l’émétique, seront les remedes généraux ; les narcotiques seront aussi donnés, selon l’occasion & l’exigence des cas, mais après avoir beaucoup saigné & évacué ; les lavemens adoucissans & évacuans conviennent aussi, d’autant qu’ils entraînent par bas les matieres âcres.
Quant aux topiques dans cette espece, ils doivent être émolliens, relâchans & anodins ; ainsi les cataplasmes de mie de pain, les cataplasmes des herbes émollientes, les fomentations émollientes, avec l’eau de fleur de sureau, le lait tiede, l’eau de tripe seront les premiers mis en usage, après quoi on passera aux résolutifs, comme la mie de pain cuite dans le vin, la graisse humaine, le baume tranquille mêlé avec quelques gouttes d’huile d’œuf, l’huile d’œuf, la bouse de vache, la fiente humaine.
Après les résolutifs, les frictions chaudes avec des linges chargés de fumigation, de succin & d’oliban, ou d’autres pareilles, feront des effets merveilleux.
Le rhumatisme froid, l’œdemateux, & celui qui est avec infiltration, se guérissent par des remedes plus actifs. Dans le froid simple, on saigne, mais peu ; dans l’œdémateux, on ne saigne point, ou rarement ; on passe tout de suite, après avoir purgé vivement avec les résines, le jalap, le méchoacan, le diagrede, le turbith gommeux ; on passe, dis-je, aux forts résolutifs, tels que l’eau-de-vie chargée de savon, l’eau de boule, l’eau ou la décoction de sarmens, les lessives alkalines, l’huile volatile de corne de cerf, l’esprit-de-vin camphré mêlé avec le baume tranquille, le baume de fioraventi.
Si ces remedes sont indiqués, on en fait des embrocations sur la partie devant un grand feu ; on la frotte long-tems auparavant avec des serviettes chaudes, ensuite on continue même après l’application, on recouvre le tout avec le papier gris & des serviettes chaudes ; après quoi on met le malade dans son lit bien bassiné.
Si cela ne suffit pas, on emploie les ventouses scarifiées sur la partie, on applique aussi les vésicatoires, le cautere actuel & potentiel, voyez les articles. Enfin on emploie tous les remedes externes capables de résoudre, discuter & fortifier. Et comme ce mal est long, ennuyeux & souvent incurable, il faut avoir les égards suivans. 1° On doit éviter d’employer des remedes violens dans le premier instant ; il faut aller par degré, & commencer par les adoucissans & anodins les plus énergiques, & passer ensuite aux plus doux résolutifs, & de-là à de plus forts. 2° Comme le mal est long, il faut éviter d’ennuyer par le même remede, & savoir changer pour augmenter l’espoir du malade & ne pas le rebuter. 3° Il faut employer les remedes internes avec les externes, les purgatifs doivent être souvent réïtérés ; & enfin on doit humecter, délayer & adoucir les humeurs avec le lait coupé, le petit-lait, les tisanes sudorifiques, antiscorbutiques & céphaliques.
Nota, 1° que souvent le rhumatisme se complique avec la goutte, & que quelquefois il disparoît & se jette sur des parties internes ; ce qui est un coup de mort : il faut alors traiter la maladie secondaire. Voyez Goutte.
Nota, 2° que le rhumatisme demande un régime égal, exact & suivi, & que si on ne le guérit pas, c’est que les malades trop gourmands & le medecin trop complaisant laissent empirer le mal, & le rendent incurable.