L’Encyclopédie/1re édition/TOPIQUE

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TOPIQUE, adj. terme de Rhétorique ; c’est un argument probable qui se tire de plusieurs lieux & circonstances d’un fait, &c. Voyez Lieu, &c.

Topique se dit aussi de l’art ou de la maniere d’inventer & de tourner toutes sortes d’argumentations probables. Voyez Invention.

Ce mot est formé du grec topicos, de τόπος, lieu, comme ayant pour objet les lieux communs qu’Aristote appelle les sieges des argumens.

Aristote a traité des topiques, & Cicéron les a commentés pour les envoyer à son ami Trebatius, qui apparemment ne les entendoit point.

Mais les critiques observent que les topiques de Cicéron quadrent si mal avec les huit livres des topiques qui passent sous le nom d’Aristote, qu’il s’ensuit nécessairement, ou que Cicéron ne s’est point entendu lui-même, ce qui n’est guere probable, ou que les livres des topiques attribués à Aristote, ne sont point tous de ce dernier.

Cicéron définit le topique, l’art d’inventer des argumens : Disciplina inveniendorum argumentorum.

La Rhétorique se divise aussi quelquefois en deux parties, qui sont le jugement, appellé dialectique, & l’invention, appellée topique. Voyez Rhétorique.

Voici ce qu’en dit pour & contre le pere Lami de l’oratoire, dans sa rhétorique, liv. V. ch. v. pag. 3. & suivantes.

« On ne peut douter que les avis que donne cette méthode, n’aient quelqu’utilité. Ils font prendre garde à plusieurs choses, dont on peut tourner un sujet de tous côtés, & l’envisager par toutes ses faces. Ainsi, ceux qui entendent bien la topique, peuvent trouver beaucoup de matiere pour grossir leur discours. Il n’y a donc rien de stérile pour eux : ils peuvent parler sur ce qui se présente, autant de tems qu’ils le voudront.

» Ceux qui méprisent la topique, ne contestent point sa fécondité. Ils demeurent d’accord qu’elle fournit une infinité de choses : mais ils soutiennent que cette fécondité est mauvaise, que ces choses sont triviales, & par conséquent que la topique ne fournit que ce qu’il ne faudroit pas dire. Si un orateur, disent-ils, connoît à fond le sujet qu’il traite… il ne sera pas nécessaire qu’il consulte la topique, qu’il aille de porte en porte frapper à chacun des lieux communs, où il ne pourroit trouver les connoissances nécessaires pour décider la question dont il s’agit. Si un orateur ignore le fond de la matiere qu’il traite, il ne peut atteindre que la surface des choses, il ne touchera point le nœud de l’affaire ; ensorte qu’après avoir parlé long-tems son adversaire aura sujet de lui dire ce que S. Augustin disoit à celui contre qui il écrivoit : laissez ces lieux communs qui ne disent rien, dites quelque chose, opposez des raisons à mes raisons, & venant au point de la difficulté établissez votre cause, & tâchez de renverser les fondemens sur lesquels je m’appuie. Separatis locorum communium magis, res cum re, ratio cum ratione, causa cum causâ confligat.

» Si l’on veut dire en faveur des lieux communs, qu’à la vérité ils n’enseignent pas tout ce qu’il faut dire, mais qu’ils aident à trouver une infinité de raisons qui se fortifient les unes les autres ; ceux qui prétendent qu’ils sont inutiles, répondent, que pour persuader il n’est besoin que d’une seule preuve qui soit forte & solide, & que l’éloquence consiste à étendre cette preuve, & à la mettre dans son jour, afin qu’elle soit apperçue. Car les preuves qui sont communes aux accusés & à ceux qui accusent, dont on peut se servir pour détruire & pour établir, sont foibles. Or celles qui se tirent des lieux communs sont de cette nature ».

D’où il conclut que la topique approche fort de cet art de Raymond Lulle, dont l’auteur de la logique de Port-Royal a dit, que c’étoit un art qui apprend à discourir sans jugement des choses qu’on ne sait point. Or il est bien préférable, dit Cicéron, d’être sage & ne pouvoir parler, que d’être parleur & être impertinent. Mallem indisertam sapientiam quam stultitiam loquacem.

La topique est reléguée dans les écoles, & les grands orateurs ne suivent pas cette route pour arriver à la belle éloquence.

Topique, (Médecine.) on appelle topiques, les remedes qu’on applique extérieurement sur diverses parties du corps pour la guérison des maladies ; ce mot vient de τόπος, lieu.

Les Médecins ont établi pour maxime, que les remedes peuvent devenir utiles ou pernicieux, suivant l’usage & l’application qu’on en fait ; & cette maxime est non-seulement vraie par rapport aux remedes internes, mais encore par rapport aux topiques ou applications externes, comme nous allons le voir.

On prescrit souvent les bains mêlés d’herbes céphaliques pour les maladies de la tête, sans songer qu’ils nuisent dans plusieurs cas, comme dans les foiblesses des nerfs, les achores, les catarrhes, &c.

Les emplâtres céphaliques dans les hémorrhagies, les apopléxies, les maux qui procedent de causes externes, sont plus nuisibles qu’utiles, parce qu’ils empêchent la transpiration de la partie, & qu’ils obstruent les pores de la tête. On croit aussi que les oignemens de baumes odoriférans sont fort efficaces contre les maux de tête, accompagnés d’un sentiment de pesanteur ; au contraire, ces sortes de topiques disposent à l’assoupissement par leur qualité sédative, anodine ; mais les linimens balsamiques préparés avec de l’esprit-de-vin rectifié, & des huiles de marjolaine, de lavande, &c. peuvent être à propos, parce qu’ils discutent & ouvrent les pores.

On commet beaucoup d’erreurs en fait de topiques pour les maladies des yeux. Dans leur inflammation les collyres incrassans, épaississans ne conviennent pas certainement ; il faut employer des substances, qui, sans acrimonie sont discussives ; tel est, par exemple, le camphre. Si l’inflammation est accompagnée d’une lymphe âcre & saline, il faut user d’un mucilage de graines de coings, mêlées avec du safran & du camphre. Quand l’inflammation est violente & dangereuse, l’esprit-de-vin camphré, appliqué tiede avec une addition de baume du Pérou, produit quelquefois d’excellens effets pour rétablir le ton des fibres.

Le vitriol à cause des parties de cuivre qu’il contient, passe chez plusieurs praticiens pour excellent dans les maux des yeux ; mais cela n’est que rarement vrai ; ce collyre, par exemple, est contraire dans toutes les inflammations, & dans toutes les fluxions chaudes & âcres ; il ne convient que quand les humeurs sont épaisses, sales & sordides, sans âcreté. Tout usage des collyres est déplacé dans la discrase de la lymphe & du sang, car il faut commencer par corriger les fluides viciés.

Dans les maladies d’oreilles, les topiques qu’on met intérieurement, ne conviennent que pour la dureté d’ouie qui vient de l’endurcissement de la cire. Les abscès dans l’oreille interne demandent un traitement particulier ; c’est de tâcher de les empêcher de dégénérer en ulceres par des injections balsamiques tiedes, tels que les essences de myrrhe.

Les topiques pour les hémorrhagies du nez sont rarement utiles, à-moins qu’on ne commence par des saignées, des frictions, l’immersion des piés dans l’eau tiéde, & quelquefois en employant le secours des doux diaphorétiques.

La plûpart des topiques recommandés pour les maux de dents, font plus de mal que de bien, outre que le mal de dents vient souvent de rhumatisme ou d’une fluxion âcre qui se jette sur une dent cariée, & conséquemment c’est la fluxion qu’il faut guérir.

Tous les topiques externes dans les maladies cutanées du visage & de la tête, doivent être administrés avec prudence, en y joignant les remedes internes pour corriger & dériver les humeurs peccantes. C’est une malheureuse pratique, que d’user pour les boutons ou les pustules au visage, du mercure sublimé ou d’une solution foible de mercure précipité, parce que de telles substances reçûes dans les pores produisent de grands maux de tête, & la perte des dents.

Dans le décharnement des gencives, on prescrit presque toujours l’usage des astringens ; mais si ce désordre procede du défaut de suc nourricier, ou de l’obstruction des fines arteres des gencives, elles perdront de plus en plus leur suc nourricier par les remedes astringens ; en ce cas, il faut laver la bouche & les gencives avec des décoctions de vin, imprégnées de sauge & d’une petite quantité de sel ammoniac.

On emploie souvent les topiques dans les maladies du thorax, c’est-à-dire pleurésie ou péripneumonie ; mais le meilleur dans ces sortes de cas, est de s’abstenir de tout topique ; que si on en juge quelques-uns nécessaires, il faut les composer d’esprit-de-vin camphré, mitigé, & rendu anodin par une addition de safran.

Dans les douleurs d’estomac, les topiques ne sont bienfaisans qu’appliqués convenablement ; ce n’est point alors sur le creux de l’estomac qu’il faut les porter, comme on fait ordinairement dans la cardialgie ; mais il faut les appliquer sur le dos, vers la huitieme ou la neuvieme vertebre. Si c’est l’orifice droit qui est affecté, on appliquera les remedes sur l’estomac vers le côté droit.

Si la douleur violente, causée par une pierre arrêtée dans les ureteres, demande l’usage des topiques, c’est du-moins dans la direction des ureteres qui est depuis les reins jusqu’aux aînes ; & c’est avec bien de la prudence qu’ils doivent être administrés ; car si la douleur est accompagnée de spasmes, & qu’on applique des substances chaudes & spiritueuses, on augmente la douleur, & l’on occasionne de terribles symptomes ; il faut au contraire baigner le malade pour relâcher les parties irritées.

Dans le flux excessif des regles, la plus sûre méthode est de s’abstenir des topiques, sur-tout des topiques narcotiques, & de leur substituer l’usage d’autres remedes.

Les Médecins & les Chirurgiens ont imaginé une infinité de topiques dans les tumeurs des veines hémorrhoïdales ; mais l’art consiste à appliquer ces différens remedes suivant les circonstances ; par exemple, si la douleur est excessive, les substances anodines & émollientes seront les plus salutaires ; si la tumeur incommode par son volume, les fomentations de vin préparées avec les balaustes & les fleurs de rose, peuvent être bonnes.

Quant au désordre des articulations, les topiques sont toujours mal employés dans les douleurs arthritiques & dans la goutte ; c’est ce dont tous les habiles médecins conviennent ; si cependant la douleur est accompagnée d’une certaine insensibilité, comme il arrive souvent aux vieillards, alors on peut fortifier les nerfs par des linimens balsamiques, & tâcher d’attirer le fluide nerveux sur les parties affoiblies.

La plûpart des topiques nuisent dans l’érésipele ; il faut traiter cette maladie par des remedes internes, laisser libre la transpiration dans les parties affectées, en appliquant seulement quelquefois sur la partie des sachets pleins d’herbes parégoriques, qui par leur douce influence, tiennent les pores ouverts, & les relâchent s’ils sont resserrés.

Dans les bubons malins & critiques, les topiques sont d’une pratique dangereuse : mais si le bubon tend à suppuration ; on doit appliquer l’emplâtre de diachylon avec les gommes.

Pendant l’éruption & la suppuration de la petite vérole, il faut s’abstenir de tous linimens topiques ; ce n’est que dans le déclin & vers le tems du desséchement des pustules, qu’il est permis d’user d’huile d’amandes-douces, mêlée avec le camphre & le blanc de baleine, pour tempérer l’acrimonie des boutons.

La cure de toutes les maladies cutanées doit commencer & finir par les remedes internes, capables de corriger la matiere peccante, de la disposer à l’excrétion, & en même-tems de la chasser. A cette classe de remedes appartiennent les diaphorétiques émolliens, les infusions laxatives, les préparations de mercure & d’antimoine.

Les topiques qui conviennent le mieux sur les parties paralytiques, sont des onguens faits de graisse d’animaux & d’huiles distillées, telles que celles de riz, de romarin, de lavande, de marjolaine, de genievre, &c. car il est question de rétablir le ton des parties nerveuses dans leur état naturel ; ensorte qu’il n’y ait ni trop de relâchement, ni trop de constriction, ni trop d’humidité, ni trop de sécheresse.

Dans les tumeurs édémateuses des piés, la plûpart des topiques sont contraires ; le meilleur est de faire le soir autour du pié un bandage convenable pour renforcer les fibres ; il est bon d’user en même-tems des fomentations de vinaigre fort, mêlé avec de l’essence d’ambre, & versé sur des briques rougies au feu.

Ces détails suffisent sur l’utilité ou le mal que peuvent faire les topiques dans leur usage & leur application. (Le chevalier de Jaucourt.)