L’Encyclopédie/1re édition/CHAUX

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CHAUX, s. f. (Chimie.) on a donné en Chimie le nom de chaux à plusieurs matieres très-différentes ; comme nous l’avons déjà remarqué au commencement de l’article calcination. Voyez Calcination. Nous avons observé dans le même endroit qu’une partie de ces matieres ne pouvoient être appellées que très-improprement du nom de chaux, que nous avons restraint aux seuls produits des calcinations proprement dites.

Ces produits sont les cendres vraies, voyez Cendre ; le plâtre, voyez Platre ; les chaux communes, & les chaux métalliques, voyez Chaux communes & Chaux métallique.

On appelle chaux commune, chaux vive, chaux, &c. le produit de la calcination des pierres & des terres calcaires ; des parties dures des animaux, comme os, arrêtes, cornes, coquilles, lithophytes, &c. avec lesquelles les fossiles calcaires non métalliques, ont en général l’analogie la plus intime, & desquelles elles paroissent évidemment tirer leur origine. Voyez Calcination, Calcaire, & Terre. (b)

* Chaux commune. Sa définition qui précede est très-exacte ; cependant on n’y employe guere que les pierres calcaires & les coquilles, lorsqu’on est à portée d’en faire de grands amas, comme dans le ressort de l’amirauté de Brest, où, même pendant le tems des chaleurs, lorsque la pêche des huîtres cesse par-tout ailleurs, on ne laisse pas de la continuer, non pour le poisson qui ne vaut plus rien, mais pour les écailles dont on fait une chaux, qu’on employe à blanchir le fil & les toiles qui s’embarquent à Landernau pour le commerce d’Espagne. Cette chaux peut être très-bonne à cet usage ; on peut aussi l’employer aux gros ouvrages de maçonnerie : mais il est d’expérience qu’elle ne vaut rien à blanchir la surface des murs, & qu’elle s’écaille.

Lorsqu’on se sera assûré de la présence des pierres calcaires dans une contrée (voy. à l’article Calcaire les caracteres distinctifs de ces pierres) ; alors on songera à y construire des fours à chaux. Pour cet effet, on commencera par jetter des fondemens solides, qui embrasseront un espace de 12 piés en quarré : on se servira pour cette maçonnerie, qui doit être ferme & solide, des pierres mêmes de la carriere, si elles y sont propres ; on élevera ensuite sur ces fondemens la partie de l’édifice, qu’on nomme proprement le four ou la tourelle. A l’extérieur, la tourelle est quarrée, ce n’est qu’une continuation des murs dont on a jetté les fondemens ; ces murs doivent avoir une épaisseur capable de résister à l’action du feu qui se doit allumer en-dedans. A l’intérieur, la tourelle a la figure d’un sphéroïde allongé, tronqué par ses deux extrémités. Voyez parmi les Planches de l’Œconomie rustique, celle du four à chaux. La figure premiere montre un four à chaux, au-dehors ; & la fig. 5. le même four, coupé verticalement par sa gueule en deux parties égales ; 1, 2, 3, 4, est le sphéroïde dont on vient de parler, ou la capacité du four. Il a douze piés de hauteur, quatre piés & demi de diametre au débouchement qui est sur la plate-forme, c’est-à-dire à la distance de 1 à 2 ; neuf piés au milieu, & six piés au fond, c’est-à-dire à la distance de 3 à 4. On unit la maçonnerie des quatre piés droits avec celle de la tourelle, en faisant le remplissage convenable. Au centre du plancher de la tourelle 5, on pratiquera un trou d’un pié de diametre, qui répondra au milieu d’une petite voûte 6, de quatre piés environ de hauteur sur deux piés de largeur, ouverte des deux côtés du nord au sud, traversant toute la masse du bâtiment, & descendant au-dessous du niveau du terrein de 6 à 7 piés ; on appelle cette voûte l’ébraisoir. Pour avoir accès dans l’ébraisoir, on déblaiera des deux côtés, à son entrée, selon une pente douce & une largeur convenable, toute la terre qu’on élevera en glacis, afin de monter au haut de la plate-forme. Voyez cette terre élevée en glacis, fig. prem. depuis le rez-de-chaussée jusqu’au haut de la plate-forme, a, a, a, b. A l’est, on pratiquera une petite porte cintrée de cinq piés de hauteur sur deux piés de largeur, pour entrer dans la tourelle.

Le four ainsi construit, il s’agit d’y arranger les pierres qu’on se propose de convertir en chaux. On aura de ces pierres amassées en tas autour du four, on choisira les plus grosses & les plus dures, & l’on en formera au centre de la tourelle une espece de voûte sphérique de six piés de hauteur, laissant entre chaque pierre un petit intervalle de deux ou trois pouces, ensorte qu’elles représentent grossierement les boulins ou pots d’un colombier ; autour de cet édifice, on placera d’autres pierres, & l’on continuera de remplir la tourelle : observant de placer toûjours les plus grosses & les plus dures le plus proche du centre, & les plus petites & les moins dures sur des circonférences plus éloignées, & ainsi de suite ; ensorte que les plus tendres & les plus petites touchent la surface concave de la tourelle. On achevera le comblement de la tourelle avec des petites pierres de la grosseur du poing ou environ, qui seront provenues des éclats qui se sont faits en tirant la pierre de la carriere, ou qu’on aura brisées exprès avec la masse. On maçonnera ensuite en-dehors, grossierement la porte de la tourelle, à hauteur d’appui, ensorte qu’il ne reste plus que le passage d’une botte de bruyere qui a ordinairement dix-huit pouces en tout sens. On finira ce travail par élever autour d’une partie de la circonférence du débouchement, une espece de mur en pierres seches du côté opposé au vent.

Les choses ainsi disposées, on brûlera un quarteron ou deux de bruyeres, pour ressuyer la pierre. Cinq ou six heures après, on commencera à chauffer en regle : pour cet effet, le chauffournier dispose avec sa fourche, sur l’atre de la tourelle, une douzaine de bottes de bruyere ; ce qu’il fait fig. 5. il y met le feu ; & lorsqu’elles sont bien enflammées, il en prend une treizieme qu’il place à la bouche du four, & qui la remplit exactement. Le feu poussé par l’action de l’air extérieur qui entre par les portes de l’ébraisoir, & se porte dans la tourelle par la lunette pratiquée au centre de son atre, saisit la bourée placée sur la bouche du four, coupe son lien, & l’enflamme : alors le chauffeur la pousse dans l’atre avec son fourgon, l’éparpille, & en remet une autre sans interruption de mouvement, à l’embouchure du four qu’elle ferme, comme la précédente. Le feu atteint pareillement celle-ci, & la délie ; & le chauffeur avec son fourgon, la pousse pareillement dans la tourelle, & l’éparpille sur son atre : il continue cette manœuvre, avec un de ses camarades qui le relaye, pendant douze heures ou environ, jusqu’à ce qu’ils ayent consumé douze à quinze cents bottes de bruyeres. On connoît que la chaux est faite, quand il s’éleve au-dessus du débouchement de la plate-forme, un cone de feu de dix à douze piés de haut, vif, & sans presque aucun mêlange de fumée ; & qu’en examinant les pierres, on leur remarque une blancheur éclatante.

Alors on laisse refroidir le four : pour cet effet, on monte sur la plate-forme, on étend des gaules sur le débouchement, & on répand sur ces gaules quelques bourées. Lorsque le four est froid, on tire la chaux du four ; on la met dans des tonneaux sous une voûte contiguë au four, de peur d’incendie, & on la transporte par charrois aux lieux de sa destination.

Observations. 1°. Que quand il fait un peu de vent, que l’air est un peu humide, la chaux se fait mieux que dans les grands vents & par les pluies ; apparemment la chaleur se conserve mieux alors, la flamme se répand par-tout plus uniformément, ne s’éleve point au débouchement avec tant de violence, ou peut-être même par quelqu’autre cause plus secrette.

2°. Que les bourées trop vertes, nuisent & à la cuisson & à la qualité de la chaux.

3°. Que le chauffeur doit avoir la plus grande attention à élancer de la bouche du four au milieu de l’atre sa bourée enflammée, & de l’éparpiller avec un grand fourgon, qu’on lui voit à la main fig. 5. de dix piés de tige de fer, ajustée à un manche de bois de dix-huit pouces de longueur. Si plusieurs bourées s’arrêtoient d’un même côté, il pourroit arriver que toute une partie de la fournée se brûleroit, qu’une autre partie ne seroit qu’à demi-cuite, & qu’il en résulteroit un grand dommage pour le maître.

4°. Que le feu qu’on entretient dans le four est très-violent ; que le soin qu’on a de boucher la bouche du four avec une bourée, le concentre & le porte en-haut ; qu’il blanchit le fer du fourgon en quatre à cinq secondes ; & qu’il écarteroit avec fracas les murs du fourneau, s’ils étoient trop légers.

5°. Qu’il faut que ce feu soit poussé sans intermission, sans quoi la fournée entiere seroit perdue, du moins au témoignage de Palissi, qui raconte que passant dans les Ardennes il trouva sur son chemin un four à chaux, dont l’ouvrier s’étoit endormi au milieu de la calcination ; & que, comme il travailloit à son reveil à le rallumer, Palissi lui dit qu’il brûleroit toute la forêt d’Ardennes, avant que de remettre en chaux la pierre à demi-calcinée.

6°. Que la chaux sera bien cuite, si la pierre est devenue d’un tiers plus légere après la calcination qu’auparavant, si elle est sonore quand on la frappe, & si elle bouillonne immédiatement après avoir été arrosée ; & qu’on l’aura d’autant meilleure, que les pierres qu’on aura calcinées seront dures : les anciens calcinoient les fragmens de marbre, & prenoient, quand il étoit question de la mêler au ciment & de l’éteindre, toutes les précautions imaginables. Voyez Ciment.

7°. Que la maniere de faire la chaux, que nous venons de décrire, n’est pas la seule en usage. Au lieu de fourneaux, il y a des endroits où l’on se contente de pratiquer des trous en terre, où l’on arrange les pierres à calciner, les unes à côté des autres ; on y pratique une bouche & une cheminée ; on recouvre les trous & les pierres avec de la terre glaise ; on allume au centre un feu qu’on entretient sept à huit jours, & lorsqu’il ne sort plus ni fumée ni vapeurs, on présume que la pierre est cuite.

8°. Qu’il faut creuser un puits aux environs du four à chaux, 1° pour le besoin des ouvriers : 2° pour la petite maçonnerie qu’on fait à l’entrée de la tourelle : 3° en cas d’incendie ; car il peut arriver qu’un grand vent rabatte le cone de feu sur les bourées, & les enflamme.

9°. Que pour transporter la chaux dans des voitures, il faut avoir grand soin de les bien couvrir de bannes tendues sur des cerceaux ; que les chaufourniers allument du feu avec la chaux assez commodément : ils en prennent une pierre grosse comme le poing, la trempent dans l’eau, & quand elle commence à fumer, ils la couvrent légerement de poussiere de bruyere, & soufflent sur la fumée jusqu’à ce que le feu paroisse ; & qu’on ne fait guere de chaux pendant l’hyver.

Quant à l’emploi de la chaux dans la maçonnerie, voici la méthode que Philibert de Lorme prescrit. Amassez dans une fosse la quantité de chaux que vous croyez devoir employer ; couvrez-la également partout d’un pié ou deux de bon sable ; jettez de l’eau sur ce sable, autant qu’il en faut pour qu’il soit suffisamment abreuvé, & que la chaux qui est dessous puisse fuser sans se brûler ; si le sable se fend, & donne passage à la fumée, recouvrez aussi-tôt les crevasses ; cela fait, laissez reposer deux ou trois ans ; au bout de ce tems vous aurez une matiere blanche, douce, grasse, & d’un usage admirable tant pour la maçonnerie que pour le stuc.

Les particuliers ne pouvant prendre tant de précautions, il seroit à souhaiter que ceux qui veulent bâtir trouvassent de la chaux toute préparée, & vieille, & que quelqu’un se chargeât de ce commerce. Quand on veut avoir du mortier incontinent, on pratique un petit bassin en terre ; on en creuse au-dessous dans le voisinage un plus grand ; on met dans le petit la chaux qu’on veut employer ; on l’arrose d’eau sans crainte de la noyer ; s’il y avoit à craindre, ce seroit de la brûler, en ne l’humectant pas assez ; on la fait boire à force de bras avec le rabot ; quand elle est liquide & bien délayée, on la fait couler dans le grand bassin par une rigole ; on la tire de-là pour la mêler au sable, & la mettre en mortier. On met ou de sable sur un tiers ou de chaux mesurée vive. Voyez Mortier. Vitruve prescrit l’épreuve suivante, pour s’assûrer si la chaux est bien éteinte. Si on y rencontre des grumeaux ou parties solides, elle n’est pas encore bonne, elle n’est pas bien éteinte ; si elle en sort nette, elle n’est pas assez abreuvée. Nous venons d’exposer ce qu’il y a de méchanique à savoir sur la cuisson de la chaux commune, c’est maintenant au Chimiste à examiner les caracteres, les propriétés générales & particulieres de cette substance ; c’est ce que M. Venel va exécuter dans la suite de cet article.


Qualités extérieures de la chaux. Les qualités extérieures & sensibles de la chaux vive, par lesquelles on peut définir cette substance à la façon des naturalistes, sont celles-ci : la chaux vive est friable, blanche, ou grisâtre, légere, seche, d’un goût acre & caustique, & d’une odeur qu’on pourroit appeller de feu, empyreumatique, ou phlogistique.

Propriétés physiques de la chaux. Les propriétés physiques générales de la chaux sont, 1° toutes les propriétés communes des alkalis fixes, soit salins, soit terreux ; 2° quelques-unes des qualités particulieres aux alkalis terreux ; 3° quelques-unes de celles qui ne se rencontrent que dans les alkalis fixes salins ; 4° enfin quelques propriétés spéciales & caractéristiques.

Les propriétés communes aux alkalis fixes que possede la chaux, sont ; la fixité, voyez Fixité ; la solubilité par les acides, voyez Menstrue ; la faculté de changer en verd la couleur bleue des violettes, & celle de précipiter les substances métalliques unies aux acides. On découvriroit peut-être que cette derniere propriété seroit au moins réciproque entre certaines terres calcaires, & quelques substances métalliques, comme elle l’est entre la terre de l’alun & le fer, si on examinoit dans cette vûe tous les sels à base calcaire, & tous les sels métalliques ; mais ces expériences nous manquent encore. Voyez Rapport.

Les propriétés des alkalis terreux qui se rencontrent dans la chaux, sont : l’infusibilité, ou ce degré de difficile fusibilité, par le secours des fondans, que les Chimistes prennent pour l’infusibilité absolue, voyez Fusible & Vitrifiable : l’opacité & la couleur laiteuse qu’elle porte dans les verres, lorsqu’on l’a mêlée dans les frites en une certaine quantité, voyez Verre : la difficile solubilité par l’eau ; (les alkalis terreux ne sont pas parfaitement insolubles dans ce menstrue, V. Eau & Terre) la précipitabilité par les alkalis salins, tant fixes que volatils : l’utilité dans la fonte des mines de fer, dans les cementations de ce métal, faites dans la vûe de le rendre plus doux, ou de le convertir en acier, voyez Fer, Acier, & Castine : la qualité singuliere découverte par M. Pott, par laquelle elle dispose le régule d’antimoine, préparé par son moyen, à former avec le mercure un amalgame solide, voyez Mercure : la faculté de fixer, d’améliorer, & même d’augmenter les métaux, que beaucoup d’habiles Chimistes prétendent lui avoir reconnue par des faits, voyez substances métalliques, au mot Métallique : & enfin la propriété remarquable de précipiter les alkalis volatils, & d’être réciproquement précipitée par ces sels. Cette réciprocité d’action dérange l’ordre de rapport des substances alkalines avec les acides, établi dans la premiere colonne de la table des rapports de M. Geoffroi ; elle a fourni matiere à une des premieres objections faites contre cette table, auxquelles son célebre auteur a répondu dans un mémoire imprimé dans les mém. de l’acad. royale des Sciences, an 1720. M. Geoffroi répond à celle dont il s’agit ici, que la chaux doit moins être regardée comme une simple terre que comme un sel, & il prouve cette assertion par l’énumération de toutes les qualités communes à la chaux & aux alkalis fixes, parmi lesquelles il compte celle qui est en question.

« La chaux, dit M. Geoffroi, de même que les alkalis fixes, absorbe l’acide dans le sel ammoniac, & détache le sel volatil urineux, ce que ne font point les terres absorbantes ». Mais il n’est pas possible d’admettre le dernier membre de la proposition ; car des expériences sans doute peu répandues du tems de M. Geoffroi, nous ont appris que non-seulement les terres absorbantes, telles que la craie, &c. mais même des chaux métalliques, telles que le minium, décomposent le sel ammoniac. On ne sauroit soûtenir non plus que l’affinité des alkalis volatils avec les acides soit un peu plus grande que celle des terres absorbantes, sur ce qu’on prétendroit que les alkalis volatils décomposent les sels à base terreuse sans le secours du feu ; au lieu que les terres absorbantes ne précipitent les sels ammoniacaux qu’à l’aide d’un certain degré de chaleur car tous les artistes savent que la chaux décompose le sel ammoniac à froid : les petits flacons pleins d’un mêlange de sel ammoniac & de chaux, qu’on vend au peuple pour du sel d’Angleterre, exhalent pendant assez long-tems, sans être échauffés, un alkali volatil très-vif ; ce qui détruit évidemment la prétention que nous combattons. L’objection subsiste donc dans son entier, & cela ne doit pas nous faire juger que l’affinité de ces matieres avec l’acide est à-peu-près la même ; car cette proposition, au lieu d’exprimer que les alkalis volatils & la chaux se précipitent réciproquement, porteroit à croire au contraire que l’une de ces substances ne devroit point séparer l’autre d’avec un acide. Nous devons donc nous en tenir encore à la seule exposition du phénomene, dont l’explication présente aux Chimistes un objet curieux & intéressant, quoiqu’il ne soit pas unique. Voyez Rapport & Précipitation.

Au reste, il y a apparence que c’est à cette propriété de précipiter les sels ammoniacaux dont jouit la chaux, qu’est dûe l’élevation des alkalis volatils, dès le commencement de la distillation des substances animales exécutées avec cet intermede, qu’il ne faut regarder par conséquent que comme la suite d’un simple dégagement, contre l’opinion de plusieurs Chimistes, qui pensent que ce produit de l’analyse animale est réellement formé, qu’il est une créature du feu. Voyez Substance animale.

Les propriétés communes à la chaux & aux alkalis fixes salins sont : la saveur vive & brûlante, l’attraction de l’eau de l’atmosphere, la vertu caustique, ou la propriété d’attaquer les matieres animales, voyez Caustique ; l’action sur les matieres sulphureuses, huileuses, graisseuses, résineuses, bitumineuses ; la précipitation en jaune du sublimé corrosif, &c. C’est précisément cette analogie avec les sels alkalis qui a donné naissance au problème chimique sur l’existence du sel de la chaux, dont nous parlerons dans la suite de cet article ; problème qui a exercé tant de Chimistes.

Les qualités spéciales de la chaux, sont son effervescence avec l’eau ; la propriété d’animer les alkalis salins, dont jouissent aussi quelques chaux métalliques, ce qu’il est bon d’observer en passant, voyez Chaux métallique ; celle de fournir cette matiere assez peu connue que nous appellons creme de chaux ; l’espece d’union qu’elle contracte avec l’eau & le sable dans la formation du mortier ; l’endurcissement du blanc-d’œuf, des laitages, & des corps muqueux procurés par son mêlange à ces matieres ; & enfin cette odeur que nous avons appellée phlogistique.

Ce sont sur-tout ces propriétés spéciales qui méritent une considération particuliere, & sur lesquelles nous allons entrer dans quelque détail.

Extinction de la chaux. 1°. La chaux fait avec l’eau une effervescence violente, accompagnée d’un sifflement considérable, d’une fumée épaisse, de l’éruption d’un principe actif & volatil, sensible par une odeur piquante, & par l’impression vive qu’il fait sur les yeux, & d’une chaleur si grande qu’elle est capable de mettre le feu à des corps combustibles, comme cela est arrivé à des bateaux chargés de chaux.

La chaux se réduit avec l’eau, lorsqu’on n’en a employée que ce qu’il faut pour la saturer, en un état pulvérulent, parfaitement friable, ou sans la moindre liaison de parties. Elle attire de l’air paisiblement & sans effervescence la quantité d’eau suffisante pour la réduire précisément dans le même état. La chaux ainsi unie à l’eau est connue sous le nom de chaux éteinte.

Si l’on employe à l’extinction de la chaux une quantité d’eau plus que suffisante pour opérer cette extinction, ou qu’on verse une certaine quantité de nouvelle eau sur de la chaux simplement éteinte, cette eau surabondante réduit la chaux en une consistance pultacée, ou en une espece de boue que quelques Chimistes appellent chaux fondue.

Lait de chaux. Une quantité d’eau plus considérable encore est capable de dissoudre les parties les plus tenues de la chaux, d’en tenir quelques autres suspendues, mais sans dissolution, & de former avec ces parties une liqueur blanche & opaque, appellée lait de chaux.

Eau de chaux. Le lait de chaux débarrassé par la résidence ou par le filtre des parties grossieres & non dissoutes qui causoient son opacité, & chargé seulement de celles qui sont réellement dissoutes, est connu dans les laboratoires des Chimistes & dans les boutiques des Apoticaires, sous le nom d’eau de chaux ; & la résidence du lait de chaux, sous le nom de chaux lavée.

L’union que les parties les plus subtiles de la chaux ont subi avec l’eau, dans la formation de l’eau de chaux, doit être regardée comme une mixtion vraiment saline ; cette union est si intime qu’elle ne se dérange pas par l’évaporation, & que le mixte entier est volatil. L’eau de chaux a d’ailleurs tous les caracteres d’une dissolution saline ; cette dissolution est transparente, elle découvre plus particulierement son caractere salin par son action corrosive sur le soufre, les graisses, les huiles, &c. & même par son goût. Sthal, spec. becher. part. I. sect. 11. memb. 11. thes. 11. 8.

Ce mixte terro-aqueux, dont M. Stahl a reconnu la volatilité, peut pourtant être concentré selon lui sous la forme de crystaux salins. Si ces crystaux étoient formés par le mixte salin essentiel à l’eau de chaux, ils seroient évidemment le véritable sel de chaux, sur l’existence & la nature duquel les Chimistes ont tant disputé ; mais on va voir que M. Stahl s’en est laissé imposer par ce résidu crystallisé de l’eau de chaux.

Le fond du problème sur le fameux sel de chaux, exactement déterminé, a roulé sur ce point ; savoir, si la chaux produisoit ses effets d’alkali par un sel, par conséquent alkali, ou par sa substance terreuse. Les expériences de M. du Fay sont celles qui ont été le plus directement dirigées à la solution du problème ; elles lui ont découvert un sel dont il n’a pas déterminé la nature, & que nous savons à présent, par des expériences de M. Duhamel, n’avoir dû être autre chose qu’un peu de sel marin à base terreuse, qui se trouve dans la plûpart des chaux, ou un peu de ce sel nitreux proposé par M. Naudot. Acad. royale des Scien. mem. des sav. étrang. t. II. Ce sont sans doute ces sels qui ont fourni à M. Stahl son résidu crystallisé de l’eau de chaux ; mais il est clair que cette matiere saline est absolument étrangere à la chaux, ou purement accidentelle, ensorte qu’aucune autre expérience n’étant favorable à l’opinion qui suppose un alkali fixe dans la chaux, il est clair que le sel de chaux n’existe point, ou qu’il n’est autre chose que ce mixte terre-aqueux suspendu dans l’eau de chaux, que nous avons admis avec Stahl.

Quant aux sels acides admis dans la chaux par plusieurs Chimistes, & tout récemment même par M. Pott, cont. de sa Lithogeognosie, p. 215. ne peut-on pas très-raisonnablement soupçonner que c’est une portion de l’acide de ces sels neutres dont nous avons parlé, que ces auteurs ont dégagé par quelque manœuvre particuliere ; & qu’ainsi leurs découvertes concourent exactement à établir le sentiment que nous venons d’embrasser sur le sel de chaux.

Nous n’entrerons point ici dans la discussion des prétentions d’un grand nombre de Chimistes, qui, comme Vanhelmont & Kunckel, n’ont supposé divers sels dans la chaux que pour en déduire plus commodément la théorie de ses principaux phénomenes : ces suppositions, qui ne doivent leur naissance qu’au besoin que ces auteurs croyent en avoir, sont comptées pour si peu dans la méthode moderne, qu’elles ne sont pas même censées mériter le moindre examen, & qu’elles tombent de plein droit, par la seule circonstance d’avoir devancé les faits.

Lorsqu’on laisse le lait de chaux s’éclaircir par le repos, il se forme après un certain tems à la surface de la liqueur une pellicule crystalline, blanche, & demi-opaque, qui se reproduit un grand nombre de fois, si après l’avoir enlevée on a soin de mêler de nouveau la liqueur éclaircie avec sa résidence ; car sans cette manœuvre, l’eau de chaux est bientôt épuisée, par la formation successive de quelques pellicules, de la matiere propre à en produire de nouvelles ; ces pellicules portent le nom de creme de chaux.

Creme de chaux. La vraie composition de la creme de chaux étoit fort peu connue des Chimistes, lorsque M. Malouin curieux de connoître la nature du sel de chaux, s’est attaché à l’examen de la creme dont il s’agit, qu’il a crû être le vrai sel de chaux, cet être qui se refusoit depuis si long-tems aux recherches de tant d’habiles Chimistes. M. Malouin a apperçu dans la creme de chaux quelques indices d’acide vitriolique ; il a fait du tartre vitriolé & du sel de Glauber en précipitant la creme de chaux par l’un & l’autre sel alkali fixe, & du soufre artificiel en traitant cette creme avec des substances phlogistiques ; il a donc pû conclure légitimement de ces moyens qui sont très chimiques, que la creme de chaux étoit un vrai sel neutre de la nature de la sélénite.

Il nous resteroit pourtant à savoir, pour avoir une connoissance complete sur cette matiere, en quelle proportion les deux ingrédiens de la creme de chaux concourent à sa formation, ou du moins sont annoncés par les expériences ; car l’absolu ne suffit pas ici, & il est telle quantité de tartre vitriolé, de sel de Glauber, ou de soufre artificiel, qui ne prouveroit rien en faveur de l’acide vitriolique soupçonné dans la creme de chaux.

Mais cet acide vitriolique, s’il existe dans la creme de chaux, d’où tire-t-il son origine ? préexistoit-il dans la pierre-à-chaux ? est-il dû au bois ou au charbon employés à la préparation de la chaux, comme l’a soupçonné M. Geoffroi, ou cet acide s’est-il formé dans l’eau de chaux même ? est-il dû à la mixtion saline réellement subie par les parties terreuses les plus subtiles de la terre calcaire, & peut-être d’une terre plus simple mêlée en très-petite quantité parmi celle-ci, comme de fortes analogies en établissent au moins la possibilité ? C’est un probleme bien digne de la sagacité des vrais Chimistes. Au reste ce sel sélénitique ne pourroit jamais être regardé comme le sel de chaux sur lequel les Chimistes ont tant disputé : ce sont les propriétés salines de la chaux qui les ont portés à soupçonner un vrai sel dans cette matiere, comme nous l’avons déjà remarqué : or la sélénite peut à peine être regardée comme un sel, & elle n’a assûrément aucune des propriétés salines de la chaux.

Effervescence avec chaleur de la chaux & de l’eau. L’effervescence qui s’excite par l’action réciproque de la chaux & de l’eau, & plus encore la chaleur dont cette effervescence est accompagnée, exercent depuis long-tems la sagacité des Chimistes. La théorie générale de l’effervescence, prise simplement pour le gonflement & le bouillonnement de la masse qui la subit, s’applique cependant d’une façon assez naturelle à ce phénomene considéré dans la chaux, voyez Effervescence ; mais il s’en faut bien que la production de la chaleur qui l’accompagne puisse être expliquée d’une maniere aussi simple.

La théorie chimique de la chaleur des effervescences nous manque absolument, depuis que notre maniere de philosopher ne nous permet pas de nous contenter des explications purement ingénieuses, telles que celles de Sylvius de Leboë, de Willis, & de toute l’école chimique du dernier siecle, que M. Lemery le pere a répandue chez nous, & qui est encore parmi les Physiciens l’hypothese dominante. Ces Chimistes prétendoient rendre raison de ce phénomene singulier par le dégagement des particules du feu enfermées dans les pores de l’un des deux corps, qui s’unissent avec effervescence comme dans autant de petites prisons. Cette théorie convenoit à l’effervescence de la chaux d’une façon toute particuliere ; & l’on pourroit croire même que c’est de l’explication de ce phénomene particulier, déduite depuis long-tems de ce méchanisme (Voy. Vitruve, liv. II. c. v.), que les Chimistes ont emprunté leur théorie générale de la chaleur des effervescences. Rien ne paroît si simple en effet que de concevoir comment la calcination a pû former dans la chaux ces pores nombreux dont on la suppose criblée, & les remplir de particules de feu ; & comment l’eau entrant avec rapidité dans cette terre seche, ouverte, & avide de la recevoir, dégage ces particules de feu de leur prison, &c. Quelques Chimistes, comme M. Homberg, ont ensuite appellé au secours de ce méchanisme le frottement causé dans toutes les parties de la chaux, par le mouvement impétueux avec lequel l’eau se porte dans ses pores, &c. mais cette cause, peut-être très-réelle, & qui est la seule que la Chimie raisonnée moderne ait retenu, n’est pas plus évidente ou plus prouvée que la premiere, entierement abandonnée aujourd’hui. Voyez Effervescence.

Chaux éteinte. La chaux perd par son union à l’eau quelques-unes de ses propriétés chimiques, ou du moins elle ne les possede dans cet état qu’en un moindre degré d’efficacité ; c’est-à-dire proprement, que la chaux a plus d’affinité avec l’eau, qu’avec quelques-unes des autres substances auxquelles elle est miscible ; ou du moins que son union à l’eau châtre beaucoup son activité.

Ce principe vif & pénétrant qui s’éleve de la chaux pendant son effervescence avec l’eau, paroît n’être absolument autre chose que le mixte salin volatil de l’eau de chaux formé pendant l’effervescence ou par l’effervescence même, sub actu ipso effervescentia, lequel s’évapore par la chaleur plus que suffisante qui est un autre effet de la même effervescence. Ce soupçon qui est presqu’un fait, pourroit être changé en certitude complete, en comparant l’eau de chaux distillée à la vapeur qui s’éleve de la chaux pendant l’effervescence. Au reste la chaux éteinte à l’air differe de la chaux éteinte avec effervescence, en ce que la premiere retient entierement ce mixte volatil, que la derniere laisse échapper en partie ; partie sans doute la plus considérable, apparemment la plus subtile : ou peut-être au contraire en ce que le mouvement de l’effervescence, apparemment nécessaire pour porter l’atténuation des parties de la chaux au point de subir la mixtion saline ; en ce que ce mouvement, dis-je, a manqué à la chaux éteinte à l’air : deux nouveaux soupçons moins près de la connoissance positive que le premier, mais dont l’alternative examinée par des expériences, doit établir évidemment l’un ou l’autre fait soupçonné. C’est aussi sans doute de l’une ou de l’autre de ces différences qu’il faut déduire l’inaptitude à former du mortier observée dans la chaux éteinte à l’air.

Résurrection de la chaux. La chaux éteinte peut être ressuscitée ou rétablie dans son état de chaux vive ; il n’y a pour cela qu’à l’exposer à un feu violent, & à chasser par ce moyen l’eau dont elle s’étoit chargée en s’éteignant. La tenacité de l’eau avec la chaux est telle, qu’un feu médiocre ne suffit pas pour la ressusciter, comme il est prouvé par les expériences de M. Duhamel (Mém. de l’Acad. royale des Sc. ann. 1747.), qui mit dans une étuve de la chaux éteinte, où elle ne perdit que très-peu de son poids ; qui l’exposa ensuite dans un creuset à l’action d’un grand feu de bois, qui ne lui fit perdre qu’environ le quart de l’eau qui avoit servi à l’éteindre ; & qui enfin ne réussit pas même à l’en priver entierement en l’exposant dans un fourneau de fusion excité par le vent d’un fort soufflet.

Un petit morceau de la chaux qui avoit essuyé cette derniere calcination mis dans un verre avec de l’eau, présenta tous les phénomenes d’une chaux vive assez comparable à la chaux de craie, & qui auroit été apparemment encore plus vive, si la calcination avoit été assez long-tems continuée pour dissiper toute l’eau qui avoit servi pour l’éteindre la premiere fois. Ibid.

Le changement que la chaux opere sur les alkalis salins, est un des faits chimiques les moins expliqués : elle augmente considérablement leur activité ; elle rend l’alkali fixe plus avide d’eau ; & l’alkali volatil dégagé par son moyen est constamment fluide, & incapable de faire effervescence avec les acides : phénomene unique, & dont la cause n’est pas même soupçonnée. Plusieurs Chimistes regardent ces effets de la chaux sur l’un & l’autre alkali comme les mêmes, & ils les déduisent de l’union que ces sels ont contractée avec un certain principe actif & très-subtil fourni par la chaux. Hoffman qui a adopté ce système, appelle ce principe non salinum, sed quasi terreo-igneum volatile ; ce qui n’est pas clair assûrément. D’autres croyent trouver une cause suffisante de la plus grande causticité de l’alkali fixe, dans une certaine quantité de terre calcaire dont il se charge manifestement lorsqu’on le traite convenablement avec la chaux, & regardent au contraire la fluidité invincible de l’alkali volatil, comme la suite d’une atténuation opérée par simplification, par soustraction. C’est comme augmentant la force dissolvante de l’alkali fixe, que la chaux est employée dans la préparation de la pierre à cautere, & dans celle de la lessive ou eau mere des Savonniers. Voyez Pierre à cautere, Savon,&

Mortier. La théorie de la formation du mortier, de l’espece d’union que contractent les trois matériaux qui le composent, savoir, la chaux, le sable, & l’eau, & de leur action mutuelle, est peu connue des Chimistes. Stahl lui-même, qui a appuyé sa théorie de la mixtion des substances soûterraines, subterraneorum ; sur les phénomenes du mortier, n’a pas assez déterminé la forme de la mixtion de ce corps singulier, dont l’examen chimique est encore tout neuf : ce que nous en savons se réduit à un petit nombre d’observations, entre lesquelles celles-ci sont plus particulieres à la chaux : la chaux éteinte à l’air ne se lie pas avec le sable, ou ne fait point de mortier, de quelque façon qu’on la traite : la chaux éteinte à l’eau, plus elle est ancienne, plus elle est propre à fournir un bon mortier. Voyez Mortier.

Union de la chaux au blanc-d’œuf, &c. La combinaison de la chaux avec le blanc-d’œuf & les laitages, & la dureté considérable à laquelle parviennent ces mêlanges, fournissent encore un de ces phénomenes chimiques qu’il faut ranger dans la classe des faits purement observés.

Cette observation, qui n’est pas équivoque, doit nous empêcher de compter sur un prétendu assaisonnement du lait que quelques Medecins croyent obtenir en le mêlant avec de l’eau de chaux, qui est évidemment bien plus capable de l’altérer que de le conserver. Au reste le reproche ne doit tomber que sur la licence d’expliquer si commune dans un certain ordre de Medecins, & ordinairement-à-peu-près proportionnelle à leur ignorance ; car pour l’effet medicinal, nous nous garderons bien de l’évaluer au poids des analogies physiques.

Becher prétend avoir porté si loin, par une manœuvre particuliere, l’endurcissement d’un mêlange de chaux vive & de fromage, que la dureté de ce composé artificiel étoit peu inférieure à celle du diamant. La composition des marbres artificiels, la préparation de plusieurs luts très-utiles dans le manuel chimique, & celle de certains mastics propres à recoller les porcelaines cassées, &c. sont fondées sur cette propriété de la chaux ou du plâtre, qui en ceci est analogue à la chaux. Voyez Lut, Marbre, & Platre.

La chaux coagule aussi les corps muqueux (Voyez Muqueux), & leur procure une certaine dureté. Ce phénomene est proprement le même que le précédent : c’est à ce dernier titre principalement que la chaux est employée dans les raffineries de sucre ; elle sert à lui donner du corps. Voyez Sucre.

Dissolution de la chaux par les acides. La chaux est soluble par tous les acides, comme nous l’avons déjà observé ; elle s’y unit avec effervescence & chaleur. Voici les principales circonstances de sa combinaison avec chacun de ces acides.

L’acide vitriolique attaque la chaux très-rapidement, & s’y unit avec effervescence & chaleur ; il s’éleve pendant l’effervescence des vapeurs blanches qui ont l’odeur de l’acide de sel marin : il résulte de l’union de l’acide vitriolique & de la chaux, un sel neutre, très-peu soluble dans l’eau, qui se crystallise à mesure qu’il se forme, excepté qu’on employe un acide vitriolique très-affoibli, & qu’on ne l’applique qu’à une très-petite quantité de chaux : ce sel est connu parmi les Chimistes modernes sous le nom de sélénite, de sel séléniteux, ou sel sélénitique. Voyez Sélénite. La matiere calcaire suspendue dans l’eau de chaux, forme avec l’acide vitriolique un sel exactement semblable à celui dont nous venons de parler ; ce qui semble indiquer que l’eau qui constituoit sa solubilité est précipitée par l’union de la partie terreuse à l’acide vitriolique, qui paroît par-là avoir plus d’affinité avec la terre calcaire, que celle-ci n’en a avec l’eau ; & l’on peut tirer de cette considération la raison de l’insolubilité de la sélénite, qu’il faut considérer comme un sel terreux qui ne contient peut-être d’autre eau que celle qui est essentielle à la mixtion de l’acide.

L’acide nitreux versé sur la chaux, produit une violente effervescence, beaucoup de chaleur, quantité de vapeurs blanches, & une odeur pénétrante qui paroît être dûe à un peu d’esprit de sel dégagé par l’acide nitreux, & à l’acide nitreux lui-même volatilisé par le mouvement de l’effervescence & par la chaleur. Une bonne quantité de chaux étant dissoute dans un acide nitreux médiocrement concentré, la dissolution ne se trouble point ; elle reste au contraire aussi transparente que l’esprit de nitre qu’on a employé l’étoit auparavant. Cette dissolution évaporée a une douce chaleur, donne une résidence comme gommeuse, dans laquelle on apperçoit de petits crystaux informes, qui étant aussi solubles que la masse saline non crystallisée, ne peuvent en être séparés par aucun moyen. Cette masse saline desséchée attire l’humidité de l’air, & se résout en liqueur ; elle est analogue au sel de nitre à base terreuse, qui constitue une partie de l’eau mere du salpetre. M. Duhamel, mém. de l’acad. 1747, a découvert une propriété singuliere dans ce sel : en ayant poussé au feu une certaine quantité dans une cornue, il passa presque tout dans le récipient, & il ne restoit dans la cornue qu’un peu de terre qui étoit soluble par l’acide nitreux, & formoit avec lui un sel qui apparemment auroit été volatilisé tout entier par des cohobations réitérées : cette volatilité le fait différer essentiellement du sel formé par l’union du même acide & de la craie ; car ce dernier supporta un feu assez fort auquel on l’exposa dans un creuset pour la préparation du phosphore de Baudouin, Balduinus (Voyez Phosphore de Balduinus, au mot Phosphore), à moins que la circonstance d’être traité dans les vaisseaux fermés ne fût essentielle à la volatilité du premier ; ce qu’on ne peut guere présumer. L’acide vitriolique précipite ce sel avec effervescence, & forme une sélénite avec sa base terreuse.

L’acide du sel marin excite avec la chaux une très-violente effervescence, accompagnée d’une chaleur considérable & de vapeurs blanches & épaisses, qui ne sont autre chose qu’un esprit de sel foible ; cette solution évaporée selon l’art, donne une masse saline qui a la consistance du beurre, dans laquelle on distingue quelques petits crystaux qu’il est très-difficile d’en séparer par la lotion à l’eau froide, parce qu’ils sont presque aussi solubles que la masse saline qui les entoure : cette masse séchée est très-déliquescente ; elle est précipitée par l’acide vitriolique qui fait avec la chaux une sélénite ; elle est soluble par l’acide nitreux, qui ne paroît produire sur elle aucun dérangement sensible, mais concourir avec l’acide du sel marin à la dissolution de sa base.

Ce sel est fixe au feu, ensorte que si on le pousse dans les vaisseaux fermés à un feu très-violent, on n’en sépare qu’un flegme très-légerement acide. Duhamel, Mém. acad. 1747. Le sel qu’on retire du résidu du sel ammoniac distillé par la chaux (& qui est connu dans l’art sous le nom de sel fixe ammoniac lorsqu’on l’a sous forme seche, & sous celui d’huile de chaux lorsqu’il est tombé en deliquium) ce sel, dis-je, est le même que celui dont nous venons de parler ; il peut cependant en différer (selon la prétention de plusieurs illustres chimistes) par quelque matiere phlogistique prise dans le sel ammoniac. Voyez Sel ammoniac.

Le vinaigre distillé dissout la chaux avec effervescence & chaleur. Le sel qui résulte de cette union est très-soluble dans l’eau ; il crystallise pourtant assez bien, lorsque sa dissolution est très-rapprochée ; il se forme en petites aiguilles soyeuses & flexibles. Ce sel est très-analogue au sel de corail, & à tous ceux qui sont formés par l’union de l’acide du vinaigre aux terres absorbantes quelconques. M. Hales a observé que l’effervescence de la chaux avec tous ces acides, étoit accompagnée de fixation d’air. Voyez Clissus & Effervescence.

On trouve dans un mémoire de M. Geoffroi le cadet imprimé parmi ceux de l’académie R. D. S. ann. 1746, une expérience curieuse faite sur la chaux de Melun éteinte avec le vinaigre distillé. C’est ainsi que s’exprime l’auteur : « J’ai mis, dit M. Geoffroi, dans une terrine de grès une livre de chaux de Melun ; je l’ai éteinte en versant dessus, peu-à-peu, deux livres de vinaigre distillé ; il s’est fait une légere fermentation : après quoi, à mesure que la liqueur s’est évaporée, il s’est formé à la superficie de la masse une croûte saline d’un goût amer & un peu acre. La masse s’est refendue en se séchant ; & au bout de quelques mois j’ai trouvé sous la croûte saline, dont je viens de parler, des morceaux d’une matiere compacte pénétrée de la partie acide & huileuse de vinaigre. Ces morceaux ressemblent à des morceaux rompus de pierre-à-fusil ; leurs faces cassées sont polies & luisantes ; leur couleur est blonde ou cendrée ; les bords tranchans des parties minces sont transparents comme ceux du silex, de même couleur ; & il est difficile à la simple vûe de distinguer cette matiere factice, de la vraie pierre-à-fusil ; car il ne manque à ce caillou artificiel que le poids & la dureté nécessaires pour faire du feu. Pendant les premieres années on en enlevoit des parties avec l’ongle ; il y faut maintenant employer le fer ; & peut-être que si l’on suivoit avec soin le progrès du vrai silex dans les lits de craie où il se forme, aux environs de Rouen, d’Evreux, & autres endroits, on lui trouveroit différens degrés de dureté relatifs aux époques de sa formation ».

La creme de tartre s’unit aussi à la chaux, & forme avec elle un sel parfaitement semblable par toutes les qualités extérieures au sel végétal. Voy. Sel végétal.

Tous ces acides forment avec l’eau de chaux, les mêmes sels que chacun forme avec la chaux vive ou la chaux éteinte ; d’où il faut nécessairement conclure que si la creme de chaux étoit un sel sélénitique, elle différeroit essentiellement de la matiere suspendue dans l’eau de chaux : car on ne sauroit retrouver l’acide vitriolique dans les sels formés par l’union de l’acide nitreux ; de l’acide marin, du vinaigre distillé, & de la creme de tartre, avec la substance calcaire dissoute dans l’eau de chaux. L’on divise chacun de ces sels neutres exactement en deux parties ; savoir leur acide respectif, & une terre calcaire pure : l’acide vitriolique, s’il s’en trouve dans la creme de chaux, a donc été réellement engendré.

C’est par cette qualité absorbante, que la chaux peut être employée, quoique peut-être avec danger pour la santé, à prévenir ou à corriger l’acidité de certains vins. Voyez Vin.

Action de la chaux sur le soufre, les huiles, &c. La chaux vive agit sur toutes les matieres sulphureuses & huileuses ; elle dissout le soufre, soit par la voie humide, soit par la voie seche, & forme avec ce corps un composé concret, & qui subsiste sous forme seche ; en cela différent de celui qui résulte de l’union du soufre & de l’alkali fixe. Voyez foie de soufre au mot Soufre. C’est par cette qualité qu’elle dissout l’orpiment, & qu’elle forme avec ce minéral un foie d’arsenic, qui est un des réactifs de l’encre de sympathie. Voyez Encre de sympathie. C’est par cette action sur le soufre, & par une plus grande affinité avec ce mixte que les substances métalliques, que la chaux agit dans la décomposition des mines cinnabarines de mercure, & dans sa révivification en petit ; qu’elle peut servir à la préparation du régule d’antimoine, & à fixer dans le grillage ou la fonte de certaines mines, une matiere principalement sulphureuse, capable d’entraîner une partie du métal, que les Métallurgistes Allemands appellent rauberisch, en Latin rapax. Voyez Mercure, Antimoine, Mine, Fonte, Fixer, Grillage. La chaux dissout toutes les substances huileuses, qu’elle décompose même en partie ; elle détruit, par exemple, la mixtion huileuse dans les rectifications des huiles tirées des trois regnes, auxquelles on l’employe quelquefois. Voy. Huile, Rectification, Intermede. Elle ne l’épargne pas même dans l’esprit-de-vin, où le principe huileux paroît être contenu cependant dans sa plus grande simplicité. C’est par cette propriété que la chaux est très-propre à manifester les sels neutres contenus dans les sucs ou les décoctions des plantes, selon l’utile méthode que M. Boulduc a proposée dans les Mémoires de l’académie des Sciences, ann. 1734. Ce n’est apparemment qu’au même titre, qu’elle est utile dans la fabrique du salpetre, quoique les plus savans Chimistes, & entr’autres feu M. Neuman, assurent expressément qu’elle concourt à la composition même de ce sel neutre, comme ingrédient essentiel. Voyez Nitre. C’est exactement par la même vertu qu’elle est propre à blanchir le fil, les toiles neuves, & le linge sale ; mais elle est trop active pour ces derniers usages, elle n’épargne pas assez le corps même du fil. On a proposé dans le journal œconomique, une préparation des marrons d’inde, qui les rend utiles à la nourriture de la volaille & des bestiaux, qui consiste à leur enlever par l’action de la chaux vive dont il est ici question, une matiere qui les rend desagréables & même dangereux.

Causticité de la chaux. La causticité proprement dite de la chaux vive, qualité très-analogue à la précédente, la rend propre à enlever les sucs animaux dans la préparation des cuirs, dont elle est en état même de consumer les parties solides ou fibreuses ; elle réduit en bouillie les poils, les cornes, &c. elle consume assez promptement les cadavres. Voyez Caustique, Tannerie, Mumie, Substances animales, Menstrue.

Variétés des chaux. Les chaux provenues de différentes matieres calcaires possedent la plûpart les qualités absolues que nous venons d’exposer, en degrés spécifiques qui les distinguent presque toutes entre elles : en cela bien différentes des sels alkalis purs qui sont exactement semblables entre eux de quelque corps qu’ils soient tirés ; c’est-à-dire que l’art n’est pas encore parvenu à faire de la chaux pure. Voy. Cendre & Terre. Ainsi, selon l’observation de M. Pott, la corne de cerf calcinée & la pierre à chaux ordinaire calcinée, sont beaucoup plus rebelles ou plus difficiles à fondre dans les mêmes circonstances, que la chaux de marbre & la marne calcinée ; les mêlanges dans lesquels entrent les deux premieres matieres, sont aussi plus difficilement portés à la transparence par le secours du feu, que ceux dans lesquels on employe les dernieres. La chaux de craie est très-inférieure pour l’emploi dans les ouvrages de maçonnerie, à la chaux faite avec les pierres calcaires dures, connue des ouvriers dans quelques provinces sous le nom très-impropre de chaux de caillou ; & plus encore à celle qu’on prépare avec le marbre, qui fournit la plus excellente pour cet usage.

Rapport & différences de la chaux & du plâtre. Tout ce qui a été rapporté jusqu’ici des principales propriétés de la chaux, suffit sans doute pour la faire distinguer des substances auxquelles elle est la plus analogue ; savoir les alkalis-salins & les terres absorbantes, parmi lesquelles nous rangeons la terre des cendres des végétaux. Voyez Cendre. Il nous reste encore à exposer celles par lesquelles elle a quelque rapport avec le plâtre, que la plûpart des Naturalistes ont trop confondu avec elle ; & les caracteres qui l’en font essentiellement différer : ces deux substances ont de commun leur origine, ou la qualité de produits de la calcination, leur consistance rare & friable, leur miscibilité réelle avec l’eau, & leur qualité dissolvante du soufre : leurs caracteres distinctifs sont, que la plûpart des pierres gypseuses sont réduites en plâtre par un feu fort leger, & très-inférieur à celui qu’exige la calcination des matieres calcaires ; que la chaux est soluble dans tous les acides, & que le plâtre ne se dissout dans aucun d’eux ; que le plâtre avec de l’eau pure se durcit, mais que la chaux ne le fait point à moins qu’on n’y mêle du sable : le plâtre se durcit plus promptement que la chaux ; & si on ajoûte au plâtre des matieres limonneuses, il devient plus dur que la chaux. La chaux ne se détruit pas par un feu violent ; & quand elle est éteinte à l’air, elle reprend sa premiere qualité, si on la fait rougir au feu : le plâtre au contraire, est tellement détruit par un feu violent, qu’il perd son gluten ; ensorte qu’il ne se lie plus avec de l’eau, il ne reprend pas non plus sa premiere qualité par une seconde calcination ; le plâtre détrempé avec de l’eau, a une odeur d’œufs pourris ; la chaux n’a pas cette odeur. La décoction du plâtre ne dissout pas si bien le soufre que la décoction de la chaux ; le platre ne se soûtient pas tant à l’air que la chaux. Pott, examen des pierres, &c. ch. ij.

Rapport & différences de la chaux vive & de la chaux métallique. La chaux vive a encore quelques rapports généraux & extérieurs avec la chaux métallique. Ces matieres sont l’ouvrage d’un feu ouvert comme la chaux & le plâtre ; elles sont dans un état de desunion de parties comme ces dernieres substances : mais elles en different par la plûpart de leurs propriétés essentielles & intérieures. Voyez Chaux métallique.

Nous avons indiqué déjà les principaux usages de la chaux, & nous les avons rapportés autant qu’il nous a été possible chacun à celle de ses propriétés dont il dépendoit, afin que l’exposition d’un certain nombre de faits ainsi rapprochés de leur principe physique, servît à constater & à lier les connoissances que nous avons sur notre sujet. Mais outre ces usages déjà exposés, la chaux en a encore plusieurs autres qu’il auroit été inutile, impossible, ou du moins trop peu exact, de ramener à quelqu’une des propriétés que nous avons observées. On les trouvera répandus dans les differens articles d’Arts méchaniques de ce Dictionnaire. (b)

Vertus médicinales de la chaux. La chaux vive fournit plusieurs bons remedes à la Medecine. Les plus anciens medecins l’ont employée extérieurement. Hippocrate lui-même la recommande contre différentes especes de lepre ; Dioscoride, Pline, Galien, Paul d’Ægine, &c. la rangent au nombre des remedes acres & caustiques, qu’on doit employer contre les ulceres putrides & malins. Celse la regarde comme un secours efficace pour faire séparer les parties sphacelées, soit en les saupoudrant de chaux vive très-fine, ou en employant une lessive préparée par le deliquium avec une partie de chaux vive, & trois parties de cendres gravelées.

Fuller donne pour un remede éprouvé contre les douleurs scorbutiques & rhûmatismales, un liniment fait avec la chaux vive & le miel.

On trouve dans différens auteurs un grand nombre d’onguens contre les brûlures, dans lesquelles on fait entrer la chaux vive avec les émolliens & & les adoucissans.

La chaux est très-communément employée dans les dépilatoires, voyez Dépilatoire : les Indiens en composent des masticatoires avec l’areque, & les Américains avec le tabac. Voyez Masticatoire.

L’eau de chaux ordinaire doit être regardée comme un très-bon détersif, qu’on employe avec succès extérieurement dans le traitement des vieilles plaies dont les bords sont mollasses & trop abreuvés, & dans celui des ulceres putrides & sanieux : on peut s’en servir encore comme d’un bon discussif fortifiant & antiseptique, contre certaines maladies cutanées, comme la gratelle, les dartres, les tumeurs œdémateuses, & principalement celle des piés avec menace de gangrene. Riviere la recommande en fomentation contre les tumeurs œdémateuses.

Cette eau de chaux battue avec une huile par expression, prend la consistance d’un onguent qui est fort recommandé contre les brûlures ; mais on se sert sur-tout parmi nous de l’eau de chaux à la préparation d’une lotion contre la galle, qui consiste à faire bouillir cette eau avec une certaine quantité de fleurs de soufre qui sont dissoutes en partie, & combinées sous la forme d’un foie de soufre. Voyez Soufre & Galle.

L’eau de chaux est le principal ingrédient de l’eau phagedenique. Voyez eau phagedenique au mot Phagedenique.

On prépare aussi avec l’eau de chaux un assez bon collyre, connu dans les boutiques sous le nom d’eau saphirine ou eau céleste. Voyez eau saphirine sous le mot Saphirine.

La chaux ayant toûjours été regardée comme un mixte rempli de parties de feu qui détruit & consume les corps sur lesquels elle peut agir, on auroit cru jadis donner un poison, en donnant par la bouche un remede tiré de la chaux, jusqu’à ce qu’enfin dans ces derniers tems-ci l’eau de chaux prise intérieurement, a passé pour un excellent remede, & que plusieurs auteurs célebres l’ont mise en usage pour un grand nombre de maladies. Burlet, Mém. de l’ac. roy. des Sc. an. 1700.

Le préjugé si contraire à l’usage intérieur de la chaux, n’étoit pas seulement fondé sur une terreur rationnelle ; sa qualité de poison étoit établie sur plusieurs observations. M. Burlet rapporte, que peu de tems avant qu’il écrivît le mémoire que nous venons de citer, il s’étoit répandu dans le public que des bœufs altérés ayant bû dans une fosse à chaux de l’eau qui la surnageoit, en moururent en peu de tems. Les auteurs de Medecine nous ont transmis plusieurs observations qui concourent à prouver que la chaux prise intérieurement est dangereuse. La vapeur même élevée de la chaux pendant son effervescence avec l’eau, a quelquefois été funeste. Les accidens auxquels s’exposent ceux qui habitent des maisons neuves bâties avec le mortier ou trop récemment blanchies, doivent être rapportés à ce genre d’effets. Hippocrate (de morb. pop. lib. III. agr. 2.) a observé une paralysie due à cette cause. Les observations semblables ne sont pas rares. On trouve dans les éphem. des cur. de la nature, que la poussiere de la chaux respirée fréquemment par un manœuvre employé dans un four à chaux, engendra des concrétions pierreuses dans ses poumons. On peut ajoûter à ces considérations, que la chaux en poudre est un poison sur pour les rats, & qu’elle fournit un très-bon préservatif contre les insectes, qu’elle tue ou qu’elle chasse. M. Anderson rapporte dans son hist. nat. d’Islande, un fait qui a du rapport avec cette derniere propriété : on m’a assuré, dit cet auteur, qu’un vaisseau chargé de chaux, ou qui en est enduit en-dehors, chassoit absolument toute sorte de poisson ; ce que cet auteur attribue plûtôt à l’odeur qu’au goût de la chaux.

Si l’explication des effets veneneux de la chaux peut être pour quelque medecin un nouveau motif de ne l’employer intérieurement qu’avec circonspection, il en trouvera une dans Boerhaave, qui lui apprendra (Institut. med. 1143.) que la chaux, soit vive, soit éteinte, doit être rapportée, peut-être, à la classe des poisons, qui procurent une mort prompte ou lente en resserrant, constringendo, en incrassant, en obstruant, en desséchant.

Quelques medecins ont cependant osé donner intérieurement la chaux, même en substance. M. Duhamel rapporte, dans son histoire de l’académie, une observation de M. Homberg, qui avoit guéri un hypocondriaque, avec un mêlange d’une partie de sel ammoniac, & de deux parties de chaux éteinte à l’air, donné à la dose de 20 grains.

La chaux éteinte a été recommandée, employée en clistere contre certaines dyssenteries.

Hippocrate, épidem. v. 2. a donné des lavemens d’eau de chaux dans des anciens flux de ventre.

Mais c’est l’eau de chaux, qui est le remede tiré de cette substance, qui a été le plus généralement employé. Sylvius Delebæ & Willis passent pour les premiers qui ayent mis en vogue l’usage intérieur de l’eau de chaux ; le premier en Hollande, & le second en Angleterre. Morton, Bennet, Spon medecin François, Bateus, & plusieurs autres, ont aussi célebré ce remede, qui aujourd’hui a perdu beaucoup de son crédit parmi nous, quoique nous ne le regardions plus comme poison ; & que quelques habiles medecins l’employent encore avec succès dans quelques-uns des cas que nous allons indiquer, & sur-tout dans les maladies des reins.

M. Burlet rapporte, dans son mém. déjà cité, qu’il avoit vû en Hollande un medecin qui en employoit trente pintes par jour, mais presque toûjours mêlée avec d’autres drogues ; ensorte que les guérisons que ce medecin opéroit ne peuvent pas être mises assez exactement sur le compte de l’eau de chaux.

Les maladies contre lesquelles on a célebré principalement l’efficacité de l’eau de chaux, sont la phthisie, & tous les ulceres internes, l’asthme, l’empieme, l’hæmopthisie, les écroüelles, la dyssenterie & la diarrhée, les tumeurs œdémateuses du scrotum, les fleurs-blanches, & les pâles couleurs ; la goutte, les dartres, la gangrene, l’œdeme, l’enflure des genoux & des jambes, les ulceres humides ; le diabete, le calcul, & le sable des reins & de la vessie, &c.

Outre l’action occulte ou altérante de l’eau de chaux, on a observé qu’elle poussoit quelquefois par les urines, & assez souvent par les sueurs. Willis la regarde comme un bon diurétique, donnée à la dose de quatre à six onces, avec un gros, ou un gros & demi de teinture de sel de tartre. La vertu lithontriptique de l’eau de chaux a été bien plus célebrée encore, soit prise intérieurement, soit employée en injection. Nous examinerons les prétentions qui lui sont favorables à ce titre, au mot lithontriptique. Voyez Lithontriptique.

M. Burlet observe fort judicieusement, ce semble, que l’eau de chaux est plus utile & moins dangereuse dans les pays froids & humides, que dans les contrées plus tempérées.

Ce medecin préparoit l’eau de chaux qu’il nous apporta de Hollande, en versant six livres d’eau bouillante sur une livre de chaux vive, laissant reposer, filtrant, &c. & c’étoit-là ce qu’on a appellé depuis eau de chaux premiere. Celle qui est connue dans les boutiques sous le nom d’eau de chaux seconde, se prépare en versant une nouvelle quantité d’eau bouillante sur le marc ou le résidu de la premiere ; l’eau de chaux seconde est plus foible que celle-ci.

Le codex de la faculté de Paris demande dix livres d’eau sur une livre de chaux, pour la préparation de l’eau premiere ; Batcus en employe huit. Cette eau porte dans la pharmacopée de ce dernier auteur, & dans quelques pharmacopées Allemandes, le titre d’eau benite ; contre lequel le sage Juncker, qui croit très-peu à ses vertus merveilleuses, se fâche très-sérieusement.

On trouve dans les dispensaires plusieurs de ces eaux de chaux, ou benites composées, dont nous ne faisons absolument aucun usage.

On a donné l’eau de chaux, principalement mêlée avec le lait, & on a observé que certains estomacs, qui ne pouvoient pas le supporter sans mêlange, s’en accommodoient fort bien lorsqu’on avoit ajouté à une écuellée de lait une ou deux onces d’eau de chaux.

De quelque façon qu’on donne ce remede, il doit être continué long-tems, comme tous les altérans. Bateus qui l’a recommandé dans presque tous les cas que nous avons mentionnés déjà, veut que les malades en prennent trois ou quatre onces, trois fois par jour, ou même pour boisson ordinaire pendant un mois.

M. Burlet observa dans les expériences qu’il repeta sur l’usage interne de l’eau de chaux, qu’elle donnoit souvent du dégoût, qu’elle altéroit, qu’elle maigrissoit, & qu’elle resserroit quelquefois le ventre ; & qu’elle ne convenoit point par conséquent dans les cas de maigreur & de constipation.

La chaux vive est employée dans la pharmacie chimique à la préparation de l’esprit (de sel marin) fumant de Viganus, voyez Sel marin & à celles de plusieurs autres remedes chimiques très-célebrés par leurs inventeurs, mais trop justement oubliés pour qu’il puisse être utile de les faire connoître. (b)

Chaux métallique, (Chimie.) c’est ainsi qu’on appelle communément en Chimie toute matiere métallique qui a perdu son éclat & la liaison de ses parties, soit par la calcination proprement dite, voyez Calcination, soit par l’action de différens menstrues, voyez Menstrue. Mais le nom de chaux métallique ne convient véritablement qu’aux substances métalliques privées absolument de leur phlogistique, ou dépouillées d’une partie de ce principe. Voyez Calcination.

Ces chaux, soit qu’elles soient imparfaites, soit qu’elles soient absolues, conservent encore leur caractere spécifique, de façon qu’une chaux de plomb fournira toûjours du plomb par la réduction, & une chaux de cuivre fournira constamment du cuivre, &c. Voyez Réduction.

Ce qui est donc exactement spécial dans le métal, est un principe fixe, ou du moins qui n’en est pas entierement séparable par la calcination ordinaire.

Il est vrai qu’une portion des chaux métalliques est absolument irréductible, c’est-à-dire que dans toute chaux métallique, il se trouve toûjours une portion de matiere qu’on ne réussira jamais à rétablir dans sa premiere forme de métal, de quelque maniere qu’on la traite avec les matieres phlogistiques : ce sont les chaux de plomb sur-tout qui sont les plus sujettes à cette espece de déchet, voyez Litarge & Plomb. Cet état d’irréductibilité dépend sans doute d’un dépouillement ultérieur, ou de ce que les parties métalliques ont perdu un autre principe que leur phlogistique ; car une chaux absolue n’est pas irréductible.

Mais cette matiere irréductible même est-elle exactement dépouillée de tout caractere spécial ? est-elle un principe exactement simple de la mixtion métallique ? c’est ce qui n’est pas décidé dans la chimie ordinaire. La destruction absolue des métaux même parfaits, ou la séparation parfaite des principes de leur mixtion, est une prétention alchimique, ou du moins un problème de la Chimie transcendante, dont la solution, si elle existe, n’a pas encore été publiée. Un autre objet de curiosité physique, pour le moins aussi intéressant par la profonde obscurité dans laquelle il est encore enveloppé aujourd’hui, c’est de déterminer si le troisieme principe, ou la terre mercurielle de Becher, dont l’existence quoique contestée avec assez de fondement, est pourtant indiquée par plusieurs phénomenes très-bien déduits de la théorie qui la suppose ; & cette terre mercurielle, dis-je, reste unie aux chaux métalliques réductibles, & si c’est par son dégagement que la terre métallique irréductible est portée dans cet état de plus grande simplicité. (b)