L’Encyclopédie/1re édition/PRINCIPE

Principe, s. m. (Phys.) on appelle principe d’un corps naturel, ce qui contribue à l’essence d’un corps, ou ce qui le constitue primitivement. Voyez Corps.

Pour avoir une idée d’un principe naturel, il faut considérer un corps dans ses différens états ; un charbon, par exemple, étoit une petite piece de bois ; par conséquent le morceau de bois contient le principe du charbon, &c. Chambers.

Principes, (Chimie.) la maniere dont les Chimistes conçoivent & considerent la composition des sujets chimiques, est exposée dans plusieurs articles de ce Dictionnaire, & principalement dans l’article Chimie, & dans l’article Mixtion. Les divers matériaux dont ces corps sont composés, sont leurs principes chimiques : c’est ainsi que le savon étant formé par l’union chimique de l’huile & de l’alkali fixe, l’huile & l’alkali fixe sont les principes du savon.

Mais comme l’huile & l’alkali fixe sont eux-mêmes des corps composés ; que l’huile grasse employée à la préparation du savon vulgaire, par exemple, est formée par l’union de l’huile primitive, (voyez Huile.) & d’une substance mucilagineuse ; que chacune de ces nouvelles substances est composée encore ; l’huile primitive, par exemple, d’acide, de phlogistique, & d’eau, & que cet acide l’est à son tour de terre & d’eau : on peut absolument diviser sous cet aspect les principes des mixtes en principes immédiats ou prochains, & en principes éloignés. Cette maniere d’envisager cet objet n’est pourtant point exacte : car les principes dont les matériaux immédiats d’un certain corps sont formés, n’appartiennent pas proprement à ce corps ; les matériaux de ce corps, soit après, soit avant leur séparation, sont des substances distinctes, dont la connoissance ultérieure peut bien importer à la connoissance très-intime du premier corps, mais n’entre point dans l’idée de sa composition. Au reste, si cette observation est utile pour fixer la meilleure maniere de concevoir la composition des corps chimiques ; elle est bien plus essentielle encore lorsqu’on l’applique à la pratique, qu’on l’emploie à éclairer la marche réguliere de l’analyse : car une analyse ne peut être exacte qu’autant qu’elle attaque successivement les divers ordres de composition, qu’elle sépare le savon premierement en huile, & en alkali fixe ; qu’elle prend ensuite l’huile d’un côté, & l’alkali de l’autre ; qu’elle procede sur chacun de ces principes séparément, jusqu’à ce qu’elle soit parvenue à des corps inaltérables, ou qui sont suffisamment connus : car une analyse est complette dès qu’on est parvenu aux principes suffisamment connus, soit absolument, soit relativement au dessein actuel de l’analyste. Ainsi l’analyse du savon seroit achevée dès qu’il seroit résout en huile & en alkali fixe, pour quiconque connoîtroit d’ailleurs l’huile & l’alkali fixe ; on n’auroit pas besoin, relativement à sa recherche présente, d’en déterminer la nature chimique, la composition intérieure. Au contraire, le vice capital de l’analyse chimique, c’est de procéder tumultueusement, d’attaquer pêle-mêle, & tout-d’un-coup, les ordres de principes les plus éloignés ; de décomposer en même tems, dans l’exemple proposé, & l’acide de l’huile, & les principes du même ordre de l’alkali fixe, &c. Cette doctrine est exposée à propos de l’analyse des végétaux à l’article Végétal, (Chimie.) Voyez cet article.

Lorsqu’on a admis une fois cette meilleure maniere d’envisager les composés chimiques, & de procéder à leur décomposition, toutes les discussions qui ont divisé les Chimistes sur la doctrine des principes, & dans lesquelles les Physiciens ont aussi balbutié ; toutes ces discussions, dis-je, tombent d’elles-mêmes ; car elles sont toutes nées de la maniere vicieuse de concevoir & d’opérer, qui lui est opposée.

Premierement, c’est parce que la distillation analytique qu’on employa seule pendant long-tems à la décomposition des corps très-composés, savoir les végétaux & les animaux, fournit un petit nombre de principes toujours les mêmes, & dont on ne pouvoit ou ne savoit point reconnoître l’origine, qu’on agita ces problèmes si mal discutés des deux parts ; savoir, si ces produits étoient des principes hypostatiques, ou prééxistans dans le mixte, ou bien des créatures du feu ; savoir, s’ils étoient des principes principians ou principiés, c’est-à-dire des corps simples, les vrais élémens, ou des substances composées ; savoir, s’il y avoit trois principes seulement, ou bien cinq, ou bien un seul, savoir, si tous les mixtes contenoient tous les principes, &c. Encore un coup, toutes ces questions sont oiseuses, dès qu’elles sont fournies par une méthode qu’il faut abandonner. Il faut savoir pourtant sur toute cette fameuse doctrine des trois & des cinq principes, que Paracelse répandit principalement, le dogme, que tous les corps naturels sont formés de trois principes, sel, soufre, & mercure, dogme qu’il avoit pris de Basile Valentin, ou de Hollandus, & qui n’avoit été appliqué d’abord qu’aux substances métalliques ; comme le dogme des trois terres de Becher, qui ne sont proprement que ces trois principes sous d’autres noms (Voyez Terres de Becher.), que Paracelse, & les Paracelsistes varierent, retournerent, forcerent, détournerent singulierement l’application de ces différens noms aux divers produits de l’analyse des végétaux, & des animaux ; qu’enfin, Willis rendit cette doctrine plus simple, plus soutenable, en ajoutant aux trois principes, au ternaire paracelsique, deux nouveaux principes, le phlegme, ou eau, & la terre, qui s’appella quelquefois damnée, ou caput mortuum, (Voyez Caput mortuum) ; que la plus grande puérilité dans laquelle soient tombés les demi-chimistes, ou les physiciens, qui ont combattu cette doctrine véritablement misérable en soi, c’est d’avoir appliqué bonnement ce nom de mercure ou de soufre, au mercure commun, & au soufre commun ; car quoique la substance désignée par ces expressions, & sur-tout par ce mot mercure, (voyez Mercure principe.) soit très-indéfinie chez les Paracelsistes, il est clair au moins qu’il ne s’agit point du mercure commun, & beaucoup moins encore du soufre commun. Il est même très-connu, que le soufre retiré par l’analyse à la violence du feu, des végétaux & des animaux, est de l’huile. Ainsi Boyle auroit dû au-moins produire de l’huile, & non pas du soufre vulgaire, pour objecter légitimement aux Chimistes la producibilité de ce principe chimique. Enfin, il est reconnu généralement aujourd’hui que la plûpart de ces produits de l’analyse à la violence du feu, ne sont pas les principes hypostatiques, ou formellement préexistans des végétaux & des animaux d’où on les retire ; mais que les Chimistes très-versés dans la connoissance des principes réels, & préexistans dans ces corps, que l’analyse menstruelle découvre très-évidemment, & dans celle de l’action réciproque de tous ces principes ; ces Chimistes, dis-je, connoissent très-bien l’origine de tous ces divers produits ; ils savent quels d’entre eux proviennent du premier ordre de composition, où étoient principes véritablement immédiats, hypostatiques, constituans ; quels autres sont des débris de tel ou de tel principe immédiat ; quels autres sont dûs à des combinaisons nouvelles, &c. & que cette théorie très-transcendante, & qui jusqu’à présent n’a pas été publiée, est une de ces subtilités de pure spéculation, & de l’ordre des problèmes très-compliqués sur les objets scientifiques de tous les genres, qui n’ont d’autre mérite que celui de la difficulté vaincue. J’ai cité dans un mémoire sur l’analyse des végétaux, (Mémoires présentés à l’académie royale des Sciences, par divers savans, &c. vol. II.) comme un exemple de ces théories chimiques très-compliquées, celle de la préparation du sublimé corrosif à la maniere d’Hollande, & celle que Mender a donnée de la préparation du régule d’antimoine par les sels. La théorie dont il s’agit ici, est encore d’un ordre bien supérieur. Au reste, j’observerai sur ces trois théories si merveilleuses, qui demandent beaucoup de connoissances & de sagacité, qu’elles ont toutes les trois pour objet des opérations vicieuses, ou du-moins imparfaites & mal entendues ; d’où on est porté à inférer qu’en chimie, vraissemblablement comme par-tout ailleurs, les manœuvres les plus compliquées sont toujours les plus mauvaises, & cela tout aussi-bien quand on entend leur théorie, que quand on ne l’entend pas.

Mais il y a une question plus importante sur les principes chimiques : nous avons dit plus haut que l’analyse ou décomposition des corps parvenoit enfin quelquefois jusqu’à des principes inaltérables, du moins que l’art ne savoit point simplifier ultérieurement, & dont on n’observoit aucune altération dans la nature. Les Chimistes appellent ces corps premiers principes ou élémens : ces élémens de chimistes sont donc des substances indestructibles, incommutables, persistant constamment dans leur essence quelques mixtions qu’elles subissent, & par quelque moyen qu’on les dégage de ces mixtions.

Cette question importante roule sur ces premiers principes, savoir s’il y a plusieurs corps qui soient véritablement & essentiellement élémentaires, ou s’il n’y a qu’une matiere unique ou homogene qui constitue par ses diverses modifications tous les corps, même réputés les plus simples.

L’observation bien résumée, ou le système de tous les faits chimiques démontre qu’une pareille matiere est un pur concept, un être abstrait, que non-seulement on admet gratuitement & inutilement, mais même dont la supposition a jetté dans des erreurs manifestes tous les philosophes qui l’ont défendue, parce qu’ils ont attribué aux corps dépouillés de leurs qualités réelles par cette abstraction, des propriétés qu’ils ne peuvent avoir qu’à raison de ces qualités. C’est de cette source, par exemple, qu’a coulé l’erreur des Physiciens sur les prétendues lois de la cohésion observée entre les différens corps, c’est-à-dire, entre diverses portions de matiere déja spécifiée, les corps ou la matiere, ont-ils dit, sont cohérens en raison de la proximité de leurs parties : mais nul corps de la nature n’est de la matiere proprement dite, & par conséquent nul exercice des lois de la cohésion entre diverses portions de matiere ; les sujets soumis à ces lois sont toujours ou de l’eau ou de l’air, ou un métal, ou de l’huile, &c. Or la façon de l’être qui spécifie chacun de ces corps, diversifiant essentiellement & manifestement leur cohésibilité réciproque, il est clair que la contemplation des lois d’adhésion, qui devroient être absolument uniformes entre les portions d’une matiere homogene, ne peut être qu’abstraite, & que lorsque l’esprit l’applique à des sujets qui existent réellement & hors de lui, prend nécessairement sa chimere pour la réalité. Cette considération est vraiment essentielle & fondamentale dans la doctrine chimique, qui ne connoît d’abstractions que les vérités composées ou générales, & qui dans l’estimation des faits singuliers, n’établit jamais ses dogmes que d’après l’observation.

Les chimistes modernes ont admis assez généralement pour leurs principes premiers & inaltérables, les quatre élémens des Péripatéticiens ; le feu qu’ils appellent phlogistique avec les Stahlliens, l’air, l’eau, & la terre. Mais cette énumération est incomplette & inexacte, en ce qu’il y a plusieurs especes de terre véritablement inaltérables & incommutables, & qui seront par conséquent pour eux autant de premiers principes, tant qu’ils n’auront pas su simplifier ces especes de terre jusqu’au point de parvenir à un principe terreux, unique & commun.

Il est très-vraissemblable pourtant que cette vraie terre primitive réellement simple existe, & que l’une des quatre terres connues, savoir, la vitrifiable, l’argileuse, la calcaire, & la gypseuse ; que l’une de ces quatre terres, dis-je, est la terre primitive, mais sans qu’on sache laquelle, & quoiqu’il puisse bien être aussi que pas une des quatre ne soit simple.

Si les deux métaux parfaits, l’or & l’argent, sont véritablement indestructibles, on n’est en droit de leur refuser la simplicité, que parce qu’il est très probable qu’ils sont formés des mêmes principes que les autres substances métalliques, dont ils ne different que par l’union plus intime de ces principes.

Bien loin que l’esprit se prête difficilement à concevoir plusieurs principes primitifs essentiellement divers & incommutables, ou, ce qui est la même chose, plusieurs matieres primitivement & essentiellement diverses ; il me semble au contraire qu’il s’accommode mieux de cette pluralité de matieres, & que la magnificence de la nature que cette opinion suppose, vaut bien la noble simplicité qui peut faire pencher vers le sentiment opposé. Je trouve même très-probable que les corps composés des autres mondes, & même des autres planetes de celui-ci, aient non-seulement des formes diverses, mais même qu’ils soient composés d’élémens divers ; qu’il n’y ait, par exemple, dans la lune ni terre argilleuse, ni terre vitrifiable, ni peut-être aucune matiere douée des propriétés très-communes de nos terres ; qu’il y ait au lieu de cela un élément qu’on peut appeller si l’on veut, lune, &c. ce n’est que le feu qui me paroît être très-vraissemblablement un élément universel.

Parmi les systèmes philosophiques, tant anciens que modernes, qui ont admis un principe unique & primitif de tous les êtres, le plus ancien & celui qui mérite le plus d’attention, est celui que Thalès a publié ou plûtôt renouvellé, que Vanhelmont a soutenu & prétendu prouver par des expériences, & qui admet l’eau pour ce principe premier & commun. Mais, malgré les expériences postérieures de Boyle & de M. Duhamel, rapportées au commencement de l’article Eau, Chimie, (voyez cet article.) les chimistes modernes ont appris à ne plus conclure de ces expériences, que l’eau se change en terre, en air, & autres principes éloignés des végétaux. (b)