L’Encyclopédie/1re édition/FORÊT

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FORÊT, s. f. (Botan. & Econom.) On entend en général par ce mot, un bois qui embrasse une fort grande étendue de terrein : cependant cette dénomination n’est pas toûjours déterminée par la plus grande étendue. On appelle forêt dans un lieu, un bois moins considérable que celui qui ne porteroit ailleurs que le nom de buisson. Voyez Bois.

Une grande forêt est presque toûjours composée de bois de toute espece & de tout âge.

On les nomme taillis depuis la premiere pousse jusqu’à vingt-cinq ans ; & gaulis, depuis vingt-cinq jusqu’à cinquante ou soixante : alors ils prennent le nom de jeune-futaye ou de demi-futaye, & vers quatre-vingts-dix ans celui de haute-futaye. Ce dernier terme est celui par lequel on désigne tous les vieux bois.

Il paroît que de tout tems on a senti l’importance de la conservation des forêts ; elles ont toûjours été regardées comme le bien propre de l’état, & administrées en son nom : la religion même avoit consacré les bois, sans doute pour défendre, par la vénération, ce qui devoit être conservé pour l’utilité publique. Nos chênes ne rendent plus d’oracles, & nous ne leur demandons plus le gui sacré ; il faut remplacer ce culte par l’attention ; & quelque avantage qu’on ait autrefois trouvé dans le respect qu’on avoit pour les forêts, on doit attendre encore plus de succès de la vigilance & de l’économie.

L’importance de cet objet a été sentie de tout tems ; cela est prouvé par le grand nombre de lois forestieres que nous avons : mais leur nombre prouve aussi leur insuffisance ; & tel sera le sort de tous les réglemens économiques. Les lois sont fixes de leur nature, & l’économie doit continuellement se prêter à des circonstances qui changent. Une ordonnance ne peut que prévenir les délits, les abus, les déprédations ; elle établira des peines contre la mauvaise foi, mais elle ne portera point d’instructions pour l’ignorance.

Ce n’est donc pas sans raison que, malgré nos lois, on se plaint que nos forêts sont généralement dégradées ; le bois à brûler est très-cher ; le bois de charpente & celui de construction deviennent rares à l’excès. M. de Reaumur en 1721, & M. de Buffon en 1739, ont consigné, dans les mémoires de l’académie, des réclamations contre ce dépérissement qui étoit déjà marqué. En fait de bois, & sur-tout de grands bois, lorsqu’on s’apperçoit de la disette, elle est bien-tôt extrème. Les réparations sont très-longues ; il faut cent cinquante ans pour former une poutre : d’ailleurs celui qui porte les charges de ces réparations n’étant pas destiné à en joüir, elles se font toûjours avec langueur. Cette partie de l’économie rustique est aussi la moins connue ; les bois s’appauvrissent & se réparent par degrés presque insensibles. On n’y voit point de ces prompts changemens de scene, qui excitent la curiosité & animent l’intérêt. On ne pourroit être instruit que par des expériences traditionnelles bien suivies, & on n’en a point, ou par des observations faites dans beaucoup de bois & de terreins différens ; & le tems, le courage ou les moyens manquent au plus grand nombre.

Si les bois doivent être regardés comme le bien de l’état, à cause de leur utilité générale, une forêt n’est souvent aussi qu’un assemblage de bois dont plusieurs particuliers sont propriétaires. De ces deux points de vûe naissent des intérêts différens, qu’une bonne administration doit concilier. L’état a besoin de bois de toute espece, & dans tous les tems ; il doit sur-tout se ménager de grands bois. Si l’on en use pour les besoins présens, il faut en conserver & en préparer de loin pour les générations suivantes. D’un autre côté, les propriétaires sont pressés de joüir, & quelquefois leur empressement est raisonnable. Des motifs tirés de la nature de leurs bois & de celle du terrein, peuvent les exclure du cercle d’une loi générale ; il faut donc que ceux qui sont chargés de veiller pour l’état à la manutention des forêts, ayent beaucoup vû & beaucoup observé ; qu’ils en sachent assez pour ne pas outrer les principes, & qu’ils connoissent la marche de la nature, afin de faire exécuter l’esprit plus que la lettre de l’ordonnance.

Cela est d’autant plus essentiel, que la conservation proprement dite tient précisément à cette partie de l’administration publique, qui prescrit le tems de la coupe des bois. On sait que la coupe est un moyen de les rajeunir ; mais pour recueillir de ce rajeunissement tout le fruit qu’on en peut attendre, il faut faire plusieurs observations.

Les bois nouvellement coupés croissent de plus en plus chaque année jusqu’à un certain point : ainsi à ne considérer que le revenu, on doit les laisser sur pié tant que dure cette progression.

Mais l’avantage devient plus considérable, si l’on regarde la conservation du fonds même. Le rajeunissement trop souvent répété altere la souche, épuise la terre, & abrege la durée du bois. M. de Buffon a observé en faisant receper de jeunes plants, que la seve se trouvant arrêtée par la suppression de la tige dans laquelle elle devoit monter, agit fortement sur les racines, & les enfonce dans la terre, où elles trouvent une nourriture nouvelle qui fait pousser des rejettons plus vigoureux. La même chose arrive toutes les fois qu’on coupe un bois qui n’est pas trop vieux : mais cette ressource de la nature est nécessairement bornée. Chaque terrein n’a qu’une certaine profondeur, au-delà de laquelle les racines ne pénétreront point : ainsi couper trop souvent un taillis, c’est hâter le moment auquel il doit commencer à dépérir ; c’est consumer en efforts toutes les forces de la nature. La vigilance publique est donc obligée de s’opposer à l’avidité mal entendue des particuliers qui voudroient sacrifier la durée de leurs bois à la joüissance du moment ; elle est dépositaire des droits de la postérité ; elle doit s’occuper de ses besoins & ménager de loin ses intérêts : mais il seroit dangereux d’outrer ce principe, & il faut bien distinguer ici entre l’usage des taillis & la réserve des futaies. Les taillis étant un objet actuel de revenu, on ne doit en prolonger la coupe qu’autant que dure, d’une maniere bien marquée, la progression annuelle dont nous avons parlé : par-là on rend également ce qui est dû à la génération présente & à celle qui doit suivre. Le propriétaire est dédommagé de l’attente qu’on a exigée de lui, & le fonds des bois est conservé autant qu’il peut l’être.

On a déjà fait sentir dans ce Dictionnaire combien il seroit important de fixer le point auquel on n’a plus rien à gagner en reculant la coupe des bois. Voyez Bois.

On pourroit appliquer aux taillis la méthode qu’a suivie M. de Buffon en examinant les futaies, & déterminer par la profondeur du terrein le dernier degré du plus grand accroissement, comme il a fixé celui où le dépérissement pourroit être à craindre. En conséquence de ces regles, nous pourrions n’avoir de taillis que dans les terreins pierreux, secs, & peu profonds ; nous aurions des gaulis vigoureux dans les terres moyennes, & de belles futaies dans celles qui sont bonnes. Mais le chêne n’est pas le seul bois dont nos forêts soient composées. Pour completer cette théorie de la coupe des bois, il y auroit encore bien des expériences à faire & des problèmes à resoudre ; il faudroit déterminer la progression de chaque espece de bois utile à chaque degré de profondeur. Il y en a pour qui la profondeur n’est presque rien ; parce que leurs racines s’étendent, au lieu de s’enfoncer : tel est l’orme, & tels sont en général tous les bois blancs. Il y en a qui n’étant encore qu’à la moitié de leur accroissement, ne sont point rajeunis par la coupe : tel est le hêtre, & souvent le charme ; leur souche ne repousse point, ou ne peut repousser que foiblement. Quelque bien faites que fussent ces observations, il y auroit encore beaucoup d’exceptions aux regles, & il sera toûjours difficile de se dispenser de la connoissance de coup-d’œil qui trompe rarement les gens exercés.

Au reste ce terme qu’il est important de saisir pour la coupe des bois, n’est pas le point mathématique entre le dernier degré du plus grand accroissement, & le premier de l’inaction ; il y a toûjours plusieurs années. Cet intervalle, qu’on peut regarder comme presque indifférent, est plus ou moins long pour chaque espece de bois, en proportion de sa durée naturelle : mais il vaut mieux prendre un peu sur ce qu’on pourroit encore espérer, que de trop attendre. C’est ainsi que doivent être conduits les taillis, & en général tous les bois qu’on regarde comme en coupe ordinaire. A l’égard de ceux qui sont en réserve, l’économie publique peut se régler sur d’autres principes, parce qu’elle a d’autres intérêts ; quoique passé un certain point le bois n’augmente plus chaque année que de moins en moins, cependant il augmente, & l’état a besoin de tout l’accroissement qu’il peut prendre. Il faut des bois de charpente & de construction ; & c’est en conséquence de ces besoins que la coupe des reserves doit être prolongée : il faut seulement une égale attention à laisser le bois sur pié tant qu’il peut croître, & à le couper avant que le dépérissement commence ; si l’on attendoit plûtard, le bois seroit moins bon pour l’usage, sa souche ne repousseroit plus, & le propriétaire seroit contraint à la dépense rebutante d’une plantation nouvelle.

On a voulu sans doute concilier l’intérêt de l’état avec celui des particuliers, lorsqu’on a imaginé la réserve des baliveaux ; l’avarice des propriétaires a dû en être moins effrayée qu’elle n’auroit été de la réserve entiere d’une partie de leurs bois.

Malheureusement il est prouvé que ce ménagement ne produit aucun des effets qu’on a pû s’en promettre. M. de Reaumur & M. de Buffon ont montré que le bois des baliveaux est moins bon qu’aucun autre ; que leurs graines ne resement point les bois d’une maniere utile ; que les taillis qui en sont couverts sont plus sensibles à la gelée (V. Baliveau & Bois) : à cela on peut ajoûter que le fonds même de nos forêts est étrangement altéré par cette réserve, contre laquelle on ne sauroit trop reclamer. Lorsqu’on coupe un taillis, les baliveaux qui restent à découvert poussent des branches qui emportent la seve destinée à faire croître & grossir la tige. Ces branches étouffent le taillis renaissant, ou lorsqu’il est vigoureux, elles sont étouffées par lui. La même chose se répete à chaque coupe, jusqu’à ce que les baliveaux épuisés par cette production latérale meurent en cime sans avoir pû s’accroître : alors on les coupe inutilement ; leur souche altérée ne pousse que de foibles rejettons ; les placés qu’ils occupoient restent vuides ; le jeune bois des environs languit ; en un mot on ne peut se promettre de la réserve des baliveaux, que des taillis dépérissant par la gelée, l’ombre, ou le défaut d’air, & de petits chênes contrefaits, mourant d’une vieillesse prématurée.

Ce qui n’arrive que par succession & à différentes reprises dans les bois qu’on coupe jeunes, on en est frappé tout-d’un-coup dans ceux de moyen âge. M. de Reaumur a pensé le contraire, & son opinion est vraissemblable ; mais elle est desavoüée par l’expérience. J’ai vû couper des bois de soixante & dix ans, dont l’essence étoit de charmes mêlés d’un assez grand nombre de chênes très-vivaces. On réserva les plus beaux de ces chênes qui, vû le terrein, devoient profiter encore pendant cinquante ans : mais leur tige exposée à l’air s’étant couverte de branches des la premiere année, ils étoient morts en cime à la quatrieme, & presqu’aucun n’a pû résister à cette sorte d’épuisement. La réserve des baliveaux est donc un très-grand obstacle à la conservation des forêts : mais cette réserve prescrite par les lois, ne peut être abrogée que par elles. On aura, comme l’a remarque M. de Reaumur, du bois de service de toute espece, en obligeant les particuliers à laisser croître en futaie une partie de leurs taillis, & en augmentant les réserves des gens de main morte. On ne croit plus que les futaies doivent être composées d’arbres de brins ; l’expérience nous a même appris que les bois ne s’élevent d’une maniere bien décidée, qu’après avoir été recépés ou coupés en taillis deux ou trois fois : au lieu de baliveaux laissés pour la plûpart dans des terreins dont l’ingratitude ne permet aucune espérance, nous aurions des réserves pleines, choisies dans les meilleurs terreins, & par-là bien plus propres à fournir à tous nos besoins.

On pourroit accélérer l’accroissement des brins les plus vigoureux, des maîtres-brins, en coupant de dix ans en dix ans ceux qui plus foibles sont destinés à mourir. Leur suppression, en éclaircissant un peu les futaies, mettroit les principaux arbres dans le cas de devenir plus gros, plus hauts, & plus utiles.

Les fonds qui ne sont point humides, sont à préférer à tous les autres lieux pour les réserves. Où la nature n’offre que des terreins médiocres, on ne peut que choisir les moins mauvais, & regler en conséquence le tems de la coupe.

Cette attention est, comme nous l’avons dit, de la plus grande importance. Ici le bois ne repoussera plus, si vous ne le coupez pas à cinquante ans : là si vous le coupez à cent, vous perdez ce qu’il auroit acquis encore pendant cinquante. C’est en ce point seul que réside toute la partie de l’économie forestiere qui concerne la conservation. Nous disons la conservation prise dans le sens le plus étroit, car il est certain que les bois vieillissent, quelle que soit leur durée. Un chêne en bon fonds subsiste environ trois cents ans : une souche de chêne, rajeunie de tems en tems par la coupe, va plus loin ; mais enfin elle s’épuise & meurt. Si l’on veut donc avoir toûjours des taillis pleins & garnis, il faut réparer par degrés ces pertes successives, & remédier aux ravages du tems par une attention continuelle.

Pour y parvenir facilement & sûrement, observons la maniere dont la nature agit, & suivons la route qu’elle même nous aura tracées. Si l’on regarde bien les bois très-anciens, on verra qu’à mesure que la premiere essence dépérit, de nouvelles especes s’emparent peu-à-peu du terrein, & qu’après un certain nombre de coupes elles deviennent les especes dominantes ; souvent le progrès en est très-rapide, & c’est lorsque l’espece subjuguée est très-vieille. Cette tendance au changement qui paroît être une disposition assez générale dans la nature, est moins remarquée dans les bois qu’ailleurs, parce qu’il faut toûjours un grand nombre d’années pour qu’il y ait. une altération sensible : mais on supplée à cette lente expérience en voyant beaucoup de bois différens, & en comparant les degrés de facilité qu’ont les especes nouvelles à s’y introduire. Dans les anciens bois de chêne on verra des bouleaux, des coudres & d’autres bois blancs remplir peu-à-peu les vuides, & même étouffer les rejettons de chêne qui y languissent encore. Dans un terrein long-tems occupé par des bois blancs, de jeunes chênes vaincront l’ascendant ordinaire que donne à ceux-ci la promptitude avec laquelle ils croissent ; loin d’en être étouffés, on les verra s’élever à leur ombre & s’emparer enfin de la place. Il est visible que l’ancienne production manque de nourriture, ou la nouvelle en trouve une abondante.

Je connois des coudraies assez étendues, dans lesquelles on trouve quelques chênes anciens & des cepées de châtaigners, dont la souche décele la vieillesse, & qui sont-là comme témoins de l’ancienne essence.

On ne peut pas soupçonner nos peres d’avoir planté des coudres : vraissemblablement ce bois méprisable par son peu d’utilité & sa lenteur à croître, s’est introduit à mesure que les chênes & les châtaigners ont dépéri, parce qu’on a négligé d’introduire une espece plus utile. Ces observations sont confirmées par l’expérience. Tous les gens qui ont beaucoup planté, savent combien il est difficile d’élever quelque sorte de bois que ce soit, dans un terrein qui en a été long-tems fatigué ; la résistance qu’on y trouve est marquée & rebutante.

Il faut donc, lorsqu’un taillis commence à dépérir, y favoriser quelque espece nouvelle, & l’on peut dire qu’ordinairement la nature en offre un moyen facile. Il est rare que l’essence des bois soit entierement pure : ici c’est un frêne dont la tige s’éleve au milieu d’une foule de chênes qu’il surmonte, là c’est un hêtre, un orme, &c. ils y prennent un accroissement d’autant plus prompt, qu’ils ne sont point incommodés par des voisins de leur espece. Il faut choisir quelques-uns de ces arbres, & les laisser sur pié lorsqu’on coupe le taillis dépérissant. Leurs fruits portés çà & là par les oiseaux, ou leurs graines dispersées par les vents germeront bientôt, & l’on verra une espece nouvelle & vigoureuse succéder à celle qui languissoit : ainsi la terre réparera ses forces sans l’inconvénient d’une inaction totale ; & dans la suite cette essence subrogée venant à dépérir, elle sera peu-à-peu remplacée par des chênes.

Il est aisé de sentir que le choix de l’espece qu’on favorise n’est pas indifférent ; ordinairement on doit préférer celle qui sera d’une utilité plus grande, eu égard aux besoins du pays : mais si on veut que l’essence dépérissante renaisse plûtôt, il faut lui substituer celle qui par sa nature doit occuper le terrein moins long-tems qu’aucun autre.

Un taillis subsiste plus long-tems, à proportion que le bois dont il est composé enfonce plus avant ses racines : par cette raison, le bouleau, le tremble, &c. ne devant pas occuper long-tems le même terrein, sont propres à devenir especes intermédiaires.

Au moyen de cette succession de bois différens, on n’appercevra jamais dans les taillis un dépérissement marqué par des vuides ; les pertes qui n’arrivent que par degrés, se répareront de même : mais si le terrein n’offroit point d’arbres propres à resemer, il faudroit avoit recours à la plantation ; il faudroit aller chercher dans les bois voisins quelque espece propre à remplir cet objet, & en regarnir les places vuides. Cette maniere de réparer demande plus de soins que de dépense.

Dans les futaies qu’on aura abattues, il faudra se régler par les mêmes principes ; replanter, s’il n’y a pas assez d’arbres d’une autre espece pour attendre de la nature toute seule un prompt rétablissement. Il faut cependant distinguer ici entre les vieilles futaies celles qui le sont à l’excès, & qui depuis long-tems ne font que dépérir : dans celles-là le changement d’espece devient beaucoup moins nécessaire, & cette remarque de fait est une nouvelle conséquence de notre principe. Dans une futaie qui dépérit, les arbres sont dans le cas d’une végétation si languissante, qu’ils n’ont presque rien à demander à la terre ; ce qu’elle leur fournit tous les ans pour entretenir leur foible existence, ils le lui rendent par la chûte de leurs feuilles ; ce tems est pour elle un véritable repos qui rétablit ses forces. Lors donc qu’on abat une telle futaie, on doit trouver & on trouve en effet moins de résistance à y réhabiliter la même espece de bois. Voilà pourquoi on ne remarque point de changement dans les grandes forêts éloignées des lieux où le bois se consomme ; les bois y vieillissent jusqu’au dernier degré, la terre se répare pendant leur long dépérissement, & devient à la fin en état de reproduire la même espece.

Quelque simple que soit le moyen que nous avons proposé pour rétablir continuellement les bois, il réussira surement lorsque la nature sera laissée à elle-même, ou du-moins lorsque ses dispositions seront secondées. Il n’en sera pas ainsi lorsqu’on voudra multiplier à un certain point le gibier, bêtes fauves, lapins, &c. Ces ennemis des bois qu’ils habitent, dévorent les germes tendres destinés au rétablissement des forêts. Chaque fois qu’on coupe un taillis, il est dans un danger évident, si on ne le préserve pas pendant deux ans de la dent des lapins, & pendant quatre de celle du fauve. Quelques especes même, comme sont le charme, le frêne, le hêtre, sont en danger du côté des lapins pendant six ou sept ans. Si l’on veut donc avoir en même tems & des bois & du gibier, il faut une attention plus grande, & plus que de l’attention, des précautions & des dépenses. Il faut enfermer les taillis jusqu’à ce qu’ils soient hors d’insulte ; il faut arracher les futaies pour les replanter, & préserver le plant de la même maniere pendant un tems beaucoup plus long. On ne peut plus s’en fier à la nature, lorsqu’on a une fois rompu l’ordre de proportion qu’elle a établi entre ses différentes productions. En extirpant les beletes, on croit ne détruire qu’un animal malfaisant : mais outre que les beletes empêchent la trop grande multiplication des lapins, elle sont ennemies des mulots, & les mulots multipliés dévorent le gland, la châtaigne, la faine, qui repeupleroient nos forêts. Au reste si les dépenses & les soins sont nécessaires, il est sûr aussi qu’en n’épargnant ni les uns ni les autres, on peut conserver en même tems & des bois & du gibier : mais il faut sur-tout les redoubler, pour faire réussir les plantations nouvelles.

Par-tout où la quantité de gibier ne sera pas trop grande, les plantations, que les écrivains économiques rendent si effrayantes, deviennent très-faciles, & se font à peu de frais. La méthode conforme à la nature qu’a suivie M. de Buffon, & dont il a rendu compte dans un mémoire à l’académie, réussira presque toûjours ; elle se borne à enterrer legerement le gland après un assez profond labour, & à ne donner de soin au plant que celui de le récéper lorsqu’il languit. Voyez Bois. Cette méthode est par sa simplicité préférable à toute autre, par-tout où le bois ne sera pas fort cher, & où la terre un peu legere ne poussera pas une grande quantité d’herbe. Dans une terre où l’herbe croîtra avec abondance, il sera difficile de se passer de quelque leger binage au pié des jeunes plants. Il leur est aussi desavantageux d’être pressés par l’herbe, qu’utiles d’en être protégés contre la trop grande ardeur du soleil. Il arrivera peut-être aussi que dans un terrein très-ferme, le gland étant semé, comme le dit M. de Buffon, les jeunes chênes ne croîtront que lentement, malgré les effets du recépage. C’est ce qu’il faut éviter dans les lieux où le bois est cher. Une joüissance beaucoup plus prompte y dédommage d’une dépense un peu plus grande : je conseillerois alors de se servir de plant élevé en pépiniere ; mais le défoncement entier du terrein dont parlent les écrivains, n’est qu’une inutilité dispendieuse.

Faites des trous de quinze pouces en quarré & de la même profondeur ; mettez le gason au fond, & la terre meuble par-dessus ; plantez quand la terre est saine ; mettez deux brins de plant dans chaque trou, pour être moins dans le cas de regarnir ; binez legerement une fois chaque année pendant deux ans, ou deux fois si l’herbe croît avec trop d’abondance ; choisissez pour biner un tems sec, après une petite pluie ; recépez votre plant au bout de quatre ans : vous aurez alors un bois vigoureux & déjà en valeur.

A l’égard de la distance qu’il faut mettre entre les trous, elle doit être décidée par l’objet qu’on se propose en plantant. Si on veut un taillis à couper tous les quinze ans, il faut planter à quatre piés : on mettra cinq piés de distance, si l’on se propose de couper les bois à trente ou quarante ans, & plus encore si on le destine à devenir une futaie. Nous traiterons ailleurs cette matiere avec plus d’étendue. Voy. Pépiniere & Plantation.

Quant au choix de l’espece de bois, on peut être déterminé raisonnablement par différens motifs. Le chêne méritera toûjours une sorte de préférence par sa durée & la diversité des usages importans auxquels il est propre : cependant plusieurs autres especes, quoique inférieures en elles-mêmes, peuvent être à préférer au chêne, en raison de la consommation & des besoins du pays. Depuis que les vignes se sont multipliées, & que le luxe a introduit dans nos jardins une immense quantité de treillages, le châtaigner est devenu celui de tous les bois dont le taillis produit le revenu le plus considérable. Nous voyons par d’anciennes charpentes, qu’on en pourroit tirer beaucoup d’utilité en le laissant croître en futaie ; mais l’hyver de 1709 ayant gelé une partie des vieux châtaigners, a dû rallentir les propriétaires sur le dessein d’en faire cet usage. En général, le bois qui croît le plus vîte est celui qui produit le plus, par-tout où la consommation est considérable. Les blancs-bois les plus décriés n’y sont pas à négliger : le bouleau, par exemple, devient précieux par cette raison, & parce qu’il croît dans les plus mauvaises terres, dans celles qui se refusent à toutes les autres especes.

Le hêtre, le frêne, l’orme, ont des avantages qui leur sont propres, & qui dans bien des cas peuvent les faire préférer au chêne. Voyez tous ces différens arbres, chacun à son article : vous y trouverez en détail leurs usages, leur culture, le terrein où ils se plaisent particulierement. Les terres moyennes conviennent au plus grand nombre ; on y voit souvent plusieurs especes mêlées, & ce mélange est favorable à l’accroissement du bois & à sa vente.

Finissons par quelques observations particulieres.

Les terres crétacées sont de toutes les moins favorables au bois, les terres glaiseuses ensuite ; & par degré, les composées de celles-là.

Il est beaucoup plus difficile de faire venir du bois dans les terres en train de labour, que dans celles qui sont en friche. La difficulté double encore, si ces terres ont été marnées, même anciennement.

Si un taillis est mangé par les lapins à la premiere pousse, il ne faut point le recéper. Les rejettons dépouillés meurent ; mais il en revient un petit nombre d’autres qui sont plus vigoureux que ceux qui repousseroient sur les jeunes tiges. Si le taillis a deux ans lorsqu’il est mangé, & qu’il soit entierement dépouillé, il faut le recéper. Article de M. Le Roy, Lieutenant des Chasses du parc de Versailles.

Forêt, (Jurisprud.) ce terme pris dans sa signification propre ne s’entend que de bois d’une vaste étendue : mais en matiere de Jurisprudence, quand on parle de forêts, on entend tous les bois grands & petits.

Anciennement, le terme de forêt comprenoit les eaux aussi-bien que les bois. On voit en effet dans de vieux titres, forêt d’eau pour vivier où l’on garde du poisson, & singulierement parmi ceux de l’abbaye de Saint-Germain-des Prés, on trouve une donation faite à ce monastere de la forêt d’eau, depuis le pont de Paris jusqu’au rû de Sevre, & de la forêt des poissons de la riviere : ainsi la concession de forêt étoit également la permission de pêcher, & d’abattre du bois. C’est sans doute de-là qu’on n’a établi qu’une même jurisdiction pour les eaux & forêts.

On appelloit aussi droit de forêt le droit qu’avoit le seigneur d’empêcher qu’on ne coupât du bois dans sa futaie, & qu’on ne pêchât dans sa riviere.

Les coûtumes d’Anjou, Maine, & Poitou, mettent la forêt au nombre des marques de droite baronie : ces coûtumes entendent par forêt un grand bois où le seigneur a le droit de chasse défensable aux grosses bêtes. Selon ces coûtumes, il faut être au moins châtelain pour avoir droit de forêt, ou en avoir joüi par une longue possession.

Les forêts, aussi-bien que les eaux, ont mérité l’attention des lois & des ordonnances ; & nos rois ont établi différens tribunaux pour la conservation tant de leurs forêts que de celles des particuliers ; tels que des tables de marbre des maîtrises particulieres, des gruries. Il y a aussi des officiers particuliers pour les eaux & forêts ; savoir les grands-maîtres, qui ont succédé au grand forestier, les maîtres particuliers, des gruyers, verdiers, des forestiers, & autres.

Les ordonnances anciennes & nouvelles, & singulierement celle de 1669, contiennent plusieurs réglemens pour la police des forêts du roi par rapport à la compétence des juges en matiere d’eaux & forêts, pour l’assiette, balivage, martelage, & vente des bois, les recollemens, vente des chablis & menus marchés ; les ventes & adjudications des panages, glandées, & paissons ; les droits de pâturage & panage ; les chauffages, & autres usages du bois, tant à bâtir qu’à réparer ; pour les bois à bâtir pour les maisons royales & bâtimens de mer ; pour les forêts, bois & garennes tenus à titre de doüaire, concession, engagement & usufruit ; les bois en grurie, grairie, tiers, & danger, ceux appartenans aux ecclésiastiques & gens de main-moite, communautés d’habitans, & aux particuliers ; pour les routes & chemins royaux ès forêts ; la chasse dans les bois & forêts ; enfin pour les peines, amendes, restitutions, dommages, intérêts, & confiscations. Voyez Eaux et Forêts, Bois, Chasse, &c.

En Angleterre, lorsque le roi établit quelque nouvelle forêt, on ordonne que quelques terres seront comprises dans une forêt déjà subsistante : on appelle cela enforester ces terres. Voyez Desenforester & Enforester. (A)

Forêt-Hercynie, (Géog.) en latin hercinia sylva, vaste forêt de la Germanie, dont les anciens parlent beaucoup, & qu’ils imaginoient traverser toute la Celtique. Plusieurs auteurs frappés de ce préjugé, prétendent que les forêts nombreuses que l’on voit aujourd’hui en Allemagne, sont des restes dispersés de la vaste forêt Hercynienne : mais il faut remarquer ici que les anciens se sont trompés, quand ils ont cru que le mot hartz étoit le nom particulier d’une forêt ; au lieu que ce terme ne désignoit que ce que désigne celui de forêt en général. Le mot arden, d’où s’est formé celui d’Ardennes, & qui n’est qu’une corruption de hartz, est pareillement un terme générique qui signifie toute forêt sans distinction. Aussi Pomponius Mela, Pline, & César se sont abusés dans leurs descriptions de la forêt Hercynienne. Elle a, dit César, 12 journées de largeur ; & personne, ajoûte-t-il, n’en a trouvé le bout, quoiqu’il ait marché 60 jours. A l’égard des montagnes d’Hercynie, répandues dans toute la Germanie, c’est pareillement une chimere des anciens, qui a la même erreur pour fondement. Diodore de Sicile, par exemple, liv. V. ch. xxj. regarde les montagnes d’Hercynie comme les plus hautes de toute l’Europe ; les avance jusqu’à l’Océan ; & les borne de plusieurs iles, dont la plus considérable est, selon lui, la Bretagne. (D. J.)

Forêt-Noire, (Géog.) grande forêt ou grand pays d’Allemagne, appellé par les Romains sylva Martiana. Elle est dans le cercle de Soüabe, entre le comté de Furstemberg & le duché de Wirtemberg ; elle a vers l’orient, le Brisgaw ; & l’Ortnaw, vers le couchant : on lui a donné en allemand le nom de Schwartz-Wald, c’est-à-dire forêt noire, à cause de l’épaisseur de ses bois. Elle s’étendoit autrefois jusqu’au Rhin ; & les villes de Rinfeld, de Seckingen, de Lauffembourg, & de Valdshut, ne se nomment les quatre villes forestieres, que parce qu’elles étoient renfermées dans la forêt-noire. Cette forêt faisoit anciennement portion de la forêt Hercynie, comme on le juge par le nom du village de Hercingen, proche du bourg de Waldsée. Peucer & autres croyent que c’est le pays que Ptolomée appelle le desert des Helvétiens. Quoi qu’il en soit, ce pays est plein de montagnes, qui s’avancent jusqu’au Brisgaw. Ces montagnes sont couvertes de grands arbres, sur-tout de pins ; & les vallées sont seulement fertiles en pâturages. On prétend que le terroir gâte les semences ; à-moins qu’on n’ait soin de le brûler auparavant. Voyez le liv. III. de Rhénanus, rer. germ. nov. antiq. (D. J.)