L’Encyclopédie/1re édition/MÉLANCOLIE
MÉLANCOLIE, s. f. (Economie animale.) c’est la plus grossiere, la moins active, & la plus susceptible d’acidité de toutes nos humeurs. Voyez Humeur.
La mélancolie étoit, selon les anciens, froide & seche ; elle formoit le tempérament froid & sec. Voyez Tempérament.
Mélancolie, s. f. c’est le sentiment habituel de notre imperfection. Elle est opposée à la gaieté qui naît du contentement de nous-mêmes : elle est le plus souvent l’effet de la foiblesse de l’ame & des organes : elle l’est aussi des idées d’une certaine perfection, qu’on ne trouve ni en soi, ni dans les autres, ni dans les objets de ses plaisirs, ni dans la nature : elle se plaît dans la méditation qui exerce assez les facultés de l’ame pour lui donner un sentiment doux de son existence, & qui en même tems la dérobe au trouble des passions, aux sensations vives qui la plongeroient dans l’épuisement. La mélancolie n’est point l’ennemie de la volupté, elle se prête aux illusions de l’amour, & laisse savourer les plaisirs délicats de l’ame & des sens. L’amitié lui est nécessaire, elle s’attache à ce qu’elle aime, comme le lierre à l’ormeau. Le Féti la représente comme une femme qui a de la jeunesse & de l’embonpoint sans fraîcheur. Elle est entourée de livres épars, elle a sur la table des globes renversés & des instrumens de mathématique jettés confusément : un chien est attaché aux piés de sa table, elle médite profondément sur une tête de mort qu’elle tient entre ses mains. M. Vien l’a représentée sous l’emblème d’une femme très-jeune, mais maigre & abattue : elle est assise dans un fauteuil, dont le dos est opposé au jour ; on voit quelques livres & des instrumens de musique dispersés dans sa chambre, des parfums brûlent à côté d’elle ; elle a sa tête appuyée d’une main, de l’autre elle tient une fleur, à laquelle elle ne fait pas attention ; ses yeux sont fixés à terre, & son ame toute en elle-même ne reçoit des objets qui l’environnent aucune impression.
Melancholie religieuse, (Théol.) tristesse née de la fausse idée que la religion proscrit les plaisirs innocens, & qu’elle n’ordonne aux hommes pour les sauver, que le jeûne, les larmes & la contrition du cœur.
Cette tristesse est tout ensemble une maladie du corps & de l’esprit, qui procéde du dérangement de la machine, de craintes chimériques & superstitieuses, de scrupules mal fondés & de fausses idées qu’on se fait de la religion.
Ceux qui sont attaqués de cette cruelle maladie regardent la gaieté comme le partage des réprouvés, les plaisirs innocens comme des outrages faits à la Divinité, & les douceurs de la vie les plus légitimes, comme une pompe mondaine, diamétralement opposée au salut éternel.
L’on voit néanmoins tant de personnes d’un mérite éminent, pénétrées de ces erreurs, qu’elles sont dignes de la plus grande compassion, & du soin charitable que doivent prendre les gens également vertueux & éclairés, pour les guérir d’opinions contraires à la vérité, à la raison, à l’état de l’homme, à sa nature, & au bonheur de son existence.
La santé même qui nous est si chere, consiste à éxécuter les fonctions pour lesquelles nous sommes faits avec facilité, avec constance & avec plaisir ; c’est détruire cette facilité, cette constance, cette alacrité, que d’exténuer son corps par une conduite qui le mine. La vertu ne doit pas être employée à extirper les affections, mais à les regler. La contemplation de l’Etre suprême & la pratique des devoirs dont nous sommes capables, conduisent si peu à bannir la joie de notre ame, qu’elles sont des sources intarissables de contentement & de sérenité. En un mot, ceux qui se forment de la religion une idée différente, ressemblent aux espions que Moïse envoya pour découvrir la terre promise, & qui par leurs faux rapports, découragerent le peuple d’y entrer. Ceux au contraire, qui nous font voir la joie & la tranquillité qui naissent de la vertu, ressemblent aux espions qui rapporterent des fruits délicieux, pour engager le peuple à venir habiter le pays charmant qui les produisoit. (D. J.)
Melancholie, s. f. (Médecine) μελανχολια est un nom composé de μελαινα, noire, & χολη, bile, dont Hippocrate s’est servi pour désigner une maladie qu’il a cru produite par la bile noire dont le caractere générique & distinctif est un délire particulier, roulant sur un ou deux objets déterminément, sans fievre ni fureur, en quoi elle differe de la manie & de la phrénesie. Ce délire est joint le plus souvent à une tristesse insurmontable, à une humeur sombre, à la misanthropie, à un penchant décidé pour la solitude, on peut en compter autant de sortes qu’il y a des personnes qui en sont attaquées ; les uns s’imaginent être des rois, des seigneurs, des dieux ; les autres croient être méthamorphosés en bêtes, en loups, en chiens, en chats, en lapins : on appelle le délire de ceux-ci lycanthropie, cynanthropie, gallantropie, &c. voyez ces mots, & en conséquence de cette idée, ils imitent ces animaux & suivent leur genre de vie ; ils courent dans les bois, se brûlent, se battent avec les animaux, &c. on a vû des mélancholiques qui s’abstenoient d’uriner dans la crainte d’inonder l’univers & de produire un nouveau déluge. Trallian raconte qu’une femme tenoit toujours le doigt levé dans la ferme persuasion qu’elle soutenoit le monde ; quelques uns ont cru n’avoir point de tête, d’autres avoir le corps ou les jambes de verre, d’argille, de cire, &c. il y en a beaucoup qui ressentant de la gêne dans quelque partie, s’imaginent y avoir des animaux vivans renfermés.
Il y a une espece de mélancholie que les arabes ont appellé kutabuk, du nom d’un animal qui court toujours de côté & d’autre sur la surface de l’eau, ceux qui en sont attaqués sont sans cesse errans & vagabons : le délire qui est diamétralement opposé à celui-là est extrèmement rare. Sennert dit lui-même ne l’avoir pas pû observer dans le cours de sa pratique. Un médecin de l’électeur de Saxe nommé Janus, raconte qu’un pasteur tomba dans cette espece de mélancholie ; il restoit dans l’état & la situation où il s’étoit mis jusqu’à ce que ses amis l’en tirassent ; lorsqu’il étoit une fois assis, il ne se seroit jamais relevé ; il ne parloit pas, ne faisoit que soupirer, étoit triste, abattu, ne mangeoit que lorsqu’on lui mettoit le morceau dans la bouche, &c. on peut rapporter à la mélancholie, la nostralgie ou maladie du pays, le fanatisme & les prétendus possessions du démon. Les mélancholiques sont ordinairement tristes, pensifs, rêveurs, inquiets, constans dans l’étude & la méditation, patiens du froid & de la faim ; ils ont le visage austere, le sourcil froncé, le teint basané, brun, le ventre constipé. Forestus fait mention d’un mélancholique, qui resta trois mois sans aller du ventre, lib. II. observ. 43. & on lit dans les memoires de Petersbourg, tom. I. pag. 368. l’histoire d’une fille aussi mélancholique, qui n’alla pas à la selle de plusieurs mois. Ils se comportent & raisonnent sensément sur tous les objets qui ne sont pas relatifs au sujet de leur délire.
Les causes de la mélancholie sont à-peu-près les mêmes que celles de la manie ; voyez ce mot : les chagrins, les peines d’esprit, les passions, & sur-tout l’amour & l’appétit vénerien non satisfait, sont le plus souvent suivis de délire mélancholique ; les craintes vives & continuelles manquent rarement de la produire : les impressions trop fortes que font certains prédicateurs trop outrés, les craintes excessives qu’ils donnent des peines dont notre religion menace les infracteurs de sa loi, font dans des esprits foibles des révolutions étonnantes. On a vû à l’hôpital de Montelimart plusieurs femmes attaquées de manie & de mélancholie à la suite d’une mission qu’il y avoit eu dans cette ville ; elles étoient sans cesse frappées des peintures horribles qu’on leur avoit inconsidérement présentées ; elles ne parloient que désespoir, vengeance, punition, &c. & une entr’autres ne vouloit absolument prendre aucun remede, s’imaginant qu’elle étoit en enfer, & que rien ne pouvoit éteindre le feu dont elle prétendoit être dévorée. Et ce ne fut qu’avec une extrème difficulté que l’on vint à bout de l’en retirer, & d’éteindre ces prétendues flammes. Les dérangemens qui arrivent dans le foie, la rate, la matrice, les voies hemorroïdales donnent souvent lieu à la mélancholie. Le long usage d’alimens austeres, endurcis par le sel & la fumée, les débauches, le commerce immodéré avec les femmes dispose le corps à cette maladie, quelques poisons lents produisent aussi cet effet ; il y en a qui excitent aussi-tôt le délire mélancholique : Plutarque (dans la vie d’Antoine) rapporte que les soldats d’Antoine passant par un désert, furent obligés de manger d’une herbe qui les jetta tous dans un délire qui étoit tel, qu’ils se mirent tous à remuer, à tourner, à porter les pierres du camp ; vous les eussiez vû couchés par terre, occupés à défricher & transporter ces rochers, & peu de tems après mourir en vomissant de la bile ; le vin fut, au rapport de cet auteur, le seul antidote salutaire.
Quelques médecins, très-mauvais philosophes, ont ajouté à ces causes l’opération du démon ; ils n’ont pas hésité à lui attribuer des mélancholies dont ils ignoroient la cause, ou qui leur ont paru avoir quelque chose de surnaturel ; ils ont fait comme ces auteurs tragiques, qui ne sachant comment amener le dénouement de leur piece, ont recours à quelque divinité qu’ils font descendre à propos pour les terminer.
Les ouvertures des cadavres des personnes mortes de cette maladie, ne présentent aucun vice sensible dans le cerveau auquel on puisse l’attribuer ; tout le dérangement s’observe presque toujours dans le bas-ventre, & sur-tout dans les hypocondres, dans la région épigastrique ; le foie, la rate, l’uterus paroissent principalement affectés & semblent être le principe de tous les symptômes de la manie ; parcourons pour nous en convaincre, les différentes observations anatomiques qu’on a faites dans le cas présent. 1°. Bartholin a trouvé la rate extrèmement petite & les capsules atrabilaires considerablement augmentées, centur. 1. hist. 38. Riviere a vu l’épiploon rempli de tumeurs skirrheuses, noirâtres, dans un chanoine de Montpellier, mélancholique, lib. XIII. cap. jx. Mercatus écrit, que souvent les vaisseaux mésaraïques sont variqueux, carcinomateux, engorgés, distendus par un sang noirâtre. Wolfrigel a fait la même observation, miscella 2. curios. ann. 1670. Antoine de Pozzis raconte, qu’on trouva dans le cadavre d’un prince mort mélancholique, le mésentere engorgé, parsemé de varices noirâtres, le pancreas obstrué, la rate fort grosse, le foie petit, noir & skirrheux, les reins contenans plus de cent petits calculs, &c. ibid. ann. 4. observ. 29. Enfin, nous remarquerons en géneral, que très-souvent les cadavres des mélancholiques examinés, nous font voir un dérangement considerable dans le bas-ventre ; dans les uns les viscères ont paru grossis, monstrueux, dans d’autres extrèmement petits, flétris ou manquans absolument ; dans ceux-ci, durs, skirrheux ; dans ceux-là, au contraire, ramollis, tombant en dissolution : dans la plûpart on les a vûs de même que l’estomac, le cœur & le cerveau, inondés d’un sang noirâtre ou d’une humeur noire, épaisse, gluante comme de la poix, que les anciens appelloient atrabile ou mélancholie ; on peut consulter à ce sujet Bartholin, Dodonée, Lorichius, Hoechstetter, Blazius, Hoffman, &c. Considerant toutes ces observations, & les causes les plus ordinaires de cette maladie, l’on ne seroit pas éloigné de croire que tous les symptômes qui la constituent sont le plus souvent excités par quelque vice dans le bas-ventre, & sur-tout dans la region épigastrique. Il y a tout lieu de présumer que c’est-là que reside ordinairement la cause immediate de la mélancholie, & que le cerveau n’est que sympathiquement affecté ; pour s’assurer qu’un dérangement dans ces parties peut exciter le délire mélancholique, il ne faut que faire attention aux lois les plus simples de l’économie animale, se rappeller que ces parties sont parsemées d’une grande quantité de nerfs extrèmement sensibles, considérer que leur lesion jette le trouble & le désordre dans toute la machine, & quelquefois est suivie d’une mort prochaine ; que l’inflammation du diaphragme determine un délire phrénétique, connu sous le nom de paraphrénesie ; & enfin, il ne faut que savoir que l’empire & l’influence de la region épigastrique sur tout le reste du corps, principalement sur la tête, est très-considerable ; ce n’est pas sans fondement que Van-Helmont y avoit placé un archée, qui de là gouvernoit tout le corps, les nerfs qui y sont répandus lui servoient de rènes pour en diriger les actions.
Des faits que nous avons cités plus haut, on pourroit aussi déduire que la bile noire ou atrabile que les anciens croyoient embarrassée dans les hypocondres, n’est pas aussi ridicule & imaginaire que la plûpart des modernes l’ont pensé : outre ces observations, il est constant que des mélancholiques ont rendu par les sels & le vomissement des matieres noirâtres, épaisses comme de la poix, & que souvent ces évacuations ont été salutaires ; on lit dans les mélanges des curieux de la nature, decad. 1. ann. 6. pag. lxxxxij. une observation rapportée par Dolée, d’un homme qui fut guéri de la mélancholie par une sueur bleuâtre qui sortit en abondance de l’hypocondre droit. Schmid ibid. raconte aussi que dans la même maladie, un homme fut beaucoup soulagé d’une excrétion abondante d’urine noire ; mais comment & par quel méchanisme, un pareil embarras dans le bas-ventre peut-il exciter ce délire, symptôme principal de mélancholie, c’est ce que l’on ignore ? Il nous suffit d’avoir le fait constaté, une recherche ulterieure est très-difficile purement théorique & de nulle importance ; il seroit ridicule de dire avec quelques auteurs, que les esprits animaux étant infectés de cette humeur noire, ils en sont troublés, perdent leur nitidité & leur transparence, & en consequence l’ame ne voit plus les objets que confusement, comme dans un miroir terni ou à travers d’une eau bourbeuse.
Cette maladie est trop bien caracterisée par l’espece de délire qui lui est propre, pour qu’on puisse la méconnoître, on peut même la prévoir lorsqu’elle est prête à se décider ; les symptômes qui la précedent sont à-peu-près les mêmes que nous avons rapportés à l’article Manie, voyez ce mot. Si la tristesse & la crainte durent long-tems, c’est un signe de mélancholie prochaine, dit Hippocrate : le même auteur remarque, que si quelque partie est engourdie & que la langue devienne incontinente, cela annonce la mélancholie ; aphor. 23. lib. VI. &c.
La mélancholie est rarement une maladie dangereuse, elle peut être incommode, desagréable, ou au contraire plaisante, suivant l’espece de délire ; ceux qui se croient rois, empereurs, qui s’imaginent goûter quelque plaisir, ne peuvent qu’être fâchés de voir guérir leur maladie ; c’est ainsi qu’un homme qui s’imaginoit que tous les vaisseaux qui arrivoient à un port lui appartenoient, fut très-fâché ayant ratrappé son bon sens, d’être désabusé d’une erreur aussi agréable. Tel étoit aussi le mélancholique dont Horace nous a transmis l’histoire, qui étant seul au theâtre, croyoit entendre chanter de beaux vers & voir jouer des tragédies superbes ; il étoit fâché contre ceux qui lui avoient remis l’esprit dans son assiete naturelle, & qui le privoient par-là de ce plaisir.
Post me occidistis, amici,
Non servastis, ait ; cui sic extorta voluptas,
Et demptus per vim mentis gratissimus error.
Il n’en est pas de même de ceux qui pensent être transformés en bêtes, qui ont des délires tristes, inquiets ; celui, par exemple, qui s’abstenoit de pisser crainte d’inonder le monde, risquoit beaucoup pour sa santé & pour sa vie, en retenant un excrément dont le séjour dans la vessie ou la suppression peut occasionner des maladies très-fâcheuses. Le délire, dit Hippocrate, qui roule sur les choses nécessaires, est très-mauvais en géneral : il est à craindre que les vices du bas-ventre n’empirent, que la bile noire ne se forme & n’engorge ces vaisseaux & même se mêle avec le sang ; l’épilepsie succedant aussi quelquefois à la mélancholie. Les transports ou metastases des maladies mélancholiques, dit Hippocrate, sont dangereuses au printems & à l’automne ; elles sont suivies de même, de convulsion, de mortification ou d’aveuglement, aphor. 56. lib. II. il y a beaucoup à esperer que la mélancholie sera dissipée si le flux hemorroïdal, les varices surviennent ; les déjections noires, la galle, les différentes éruptions cutanées, l’élephantiasis sont aussi, suivant Hippocrate, d’un très-heureux augure.
Il faut dans la curation de la mélancholie, pour que le succès en soit plus assuré, commencer par guérir l’esprit & ensuite attaquer les vices du corps, lorsqu’on les connoît ; pour cela il faut qu’un médecin prudent sache s’attirer la confiance du malade, qu’il entre dans son idée, qu’il s’accommode à son délire, qu’il paroisse persuadé que les choses sont telles que le mélancholique les imagine, & qu’il lui promette ensuite une guérison radicale, & pour l’operer, il est souvent obligé d’en venir à des remedes singuliers ; ainsi lorsqu’un malade croira avoir renfermé quelque animal vivant dans le corps, il faut faire semblant de l’en retirer ; si c’est dans le ventre, on peut par un purgatif qui secoue un peu vivement produire cet effet, en jettant adroitement cet animal dans le bassin, sans que le malade s’en apperçoive ; c’est ainsi que certains charlatans par des tours de souplesse semblables abusent de la crédulité du peuple, & passent pour habiles à faire sortir des viperes ou autres animaux du corps. Si le mélancholique croit l’animal dans sa tête, il ne faut pas balancer à faire une incision sur les tégumens, le malade comptera pour rien les douleurs les plus vives, pourvû qu’on lui montre l’animal dont la présence l’incommodoit si fort ; cette incision a cet autre avantage, que souvent elle fait cesser les douleurs de tête qui en imposoient au malade pour un animal & sert de cautere toujours très-avantageux.
On voit dans les différens recueils d’observations, des guérisons aussi singulieres. Un peintre, au rapport de Tulpius, croyoit avoir tous les os du corps ramollis comme de la cire, il n’osoit en conséquence faire un seul pas ; ce médecin lui parut pleinement persuadé de la vérité de son accident ; il lui promit des remedes infaillibles, mais lui défendit de marcher pendant six jours, après lesquels il lui donnoit la permission de le faire. Le mélancholique pensant qu’il falloit tout ce tems aux remedes pour agir & pour lui fortifier & endurcir les os, obéit exactement, après quoi il se promena sans crainte & avec facilité.
Il fallut user d’une ruse pour engager celui dont nous avons parlé plus haut à pisser : on vint tout effarouché lui dire que toute la ville étoit en feu, qu’on n’avoit plus espérance qu’en lui pour empêcher la ville d’être réduite en cendres ; il fut ému de cette raison & urina, croyant fortement par-là d’arrêter l’incendie. Il est aussi quelquefois à-propos de contrarier ouvertement leurs sentimens, d’exciter en eux des passions qui leur fassent oublier le sujet de leur délire : c’est au medecin ingénieux & instruit à bien saisir les occasions. Un homme croyoit avoir des jambes de verre ; & de peur de les casser, il ne faisoit aucun mouvement : il souffroit avec peine qu’on l’approchât ; une servante avisée lui jetta exprès contre les jambes du bois : le mélancholique se met dans une colere violente, au point qu’il se leve & court après la servante pour la frapper. Lorsqu’il fut revenu à lui, il fut tout surpris de pouvoir se soutenir sur ses jambes, & de se trouver guéri. Trallian raconte qu’un medecin dissipa le délire mélancholique d’un homme qui s’imaginoit n’avoir point de tête, en lui mettant dessus une balle de plomb dont le poids douloureux lui fit appercevoir qu’il en avoit une. On doit avoir vis à-vis des mélancholiques l’attention de ne rien dire qui soit relatif au sujet de leur délire : par ce moyen ils l’oublient souvent eux-mêmes ; ils raisonnent alors, & agissent très-sensément sur tout le reste ; mais dès qu’on vient à toucher à cette corde, ils donnent des nouveaux signes de folie. On doit aussi écarter de leur vûe les objets qui peuvent les reveiller. Un de ces mélancholiques qui s’étoit figuré qu’il étoit lapin, raisonnoit cependant en homme très-sensé dans un cercle ; lorsque malheureusement un chien entroit dans la chambre, alors il se mettoit à fuir & alloit se cacher promptement sous un lit pour éviter les poursuites du chien. On peut dans ce cas-là occuper l’esprit de ces personnes ailleurs, l’amuser, le distraire par des bals, des spectacles, & sur-tout par la musique, dont les effets sont merveilleux.
Pour ce qui regarde le corps, les secours dont l’efficacité est la mieux constatée, sont ceux qu’on tire de la diete ; ils sont préférables à ceux que la pharmacie nous offre, & encore plus à ceux qui viennent de la Chirurgie. Je prens ici le mot diete dans toute son étendue, pour l’usage des six choses non naturelles ; & on doit interdire aux mélancholiques des viandes endurcies par le sel & la fumée, les liqueurs ardentes, mais non pas le vin, qui est un des grands anti-mélancholiques, qui fortifie & réjouit l’estomac ; les viandes les plus legeres, les plus faciles à digérer, sont les plus convenables ; les fruits d’été bien mûrs sont très-salutaires. On doit beaucoup attendre dans cette maladie du changement d’air, du retour du printems, des voyages, de l’équitation, des frictions sur le bas-ventre, des exercices vénériens, sur-tout quand leur privation a occasionné la maladie, & encore plus de la jouissance d’un objet aimé, &c. la maladie du pays exige le retour dans la patrie ; il est dangereux de différer trop tard ce remede spécifique : on est quelquefois obligé d’en venir, malgré ces secours, à quelques remedes ; on doit bien se garder d’aller recourir à ces bisarres compositions qui portent ces noms fastueux d’exhilarans, anti-mélancholiques, &c. ces remedes semblent n’être faits que pour en imposer, ad fucum & pompam, comme on dit. Les seuls remedes vraiment indiqués, sont ceux qui peuvent procurer le flux hémorrhoïdal ou le rappeller, les apéritifs salins, le nître, le sel de Glauber, le sel de seignette, le tartre vitriolé, &c. les martiaux, les fondans aloétiques, hémorrhoïdaux, hépatiques, les savonneux sur-tout : ces médicamens variés suivant les indications, les circonstances, les cas, & prudemment administrés, sont très-efficaces dans cette maladie, & la guérissent radicalement. Il est quelquefois aussi à-propos de purger ; il faut, suivant l’avis d’Hippocrate, aphor. 9. liv. IV. insister davantage sur les purgatifs catharctiques, même un peu forts, & parmi ceux-là il faut choisir ceux que les observateurs anciens ont regardés comme spécialement affectés à la bile noire, & qui sont connus sous le nom de mélanagogues, tels sont, parmi les doux ou médiocres, les mirobolans indiens, le polypode, l’épithime, le séné ; parmi les forts, on compte la pierre d’Arménie, lazuli, la coloquinte, l’hellébore noir, &c.