Contes populaires de la Gascogne, tome 3/Texte entier

Contes populaires de la Gascogne, tome 3
Contes populaires de la GascogneMaisonneuve3 (p. np-TdM).
◄  Tome 2
LES
LITTÉRATURES
POPULAIRES
de
TOUTES LES NATIONS

traditions, légendes
contes, chansons, proverbes, devinettes
superstitions

TOME XXI

PARIS
MAISONNEUVE FRÈRES et CH. LECLERC
25, quai voltaire, 25
1886

Tous droits réservés


CONTES POPULAIRES

DE LA GASCOGNE



TOME III










CONTES POPULAIRES
DE
LA GASCOGNE
par
M. Jean-François BLADÉ
correspondant de l’institut

TOME III
CONTES FAMILIERS ET RÉCITS
PARIS
MAISONNEUVE FRÈRES et CH. LECLERC
25, QUAI VOLTAIRE, 25

1886
Tous droits réservés

CONTES FAMILIERS

I

Les gens avisés

I

jean le paresseux



Il y avait, une fois, un maître fort avare, et fort glorieux, qui prit un jour à son service un métayer si fainéant, si fainéant, qu’on l’appelait Jean le Paresseux. Quelques temps après, le maître voulut aller voir ce qui se passait à la métairie. Il monta donc à cheval, arriva jusqu’à la porte du chauffoir[1], et trouva Jean le Paresseux couché en travers du foyer.

— « Bonjour, maître.

— Bonjour, Jean le Paresseux. Es-tu seul à la métairie ?

— Non, maître. J’y vois la moitié de deux bêtes à quatre pieds.

— Insolent ! Et que fais-tu là, couché comme un chien, quand tu devrais être à travailler ?

— Maître, je fais cuire ceux qui vont et qui s’en reviennent.

— Que veux-tu dire, bête ? Où est ton frère ?

— Maître, mon frère est allé à une chasse où il jette tout le gibier qu’il prend, et emporte celui qu’il ne peut atteindre.

— Tu es en train de dire des sottises. Où est ta mère ?

— Maître, ce matin, ma mère tranchait la tête à ceux qui se portaient bien, pour guérir les malades. Maintenant, elle donne des coups de bâton aux affamés, et fait manger ceux qui n’ont pas faim.

— Que dis-tu là, tête de porc ? Est-ce là tout ce que ta mère a fait aujourd’hui ?

— Non, maître. Elle s’est aussi levée avant le jour, pour faire cuire le pain que nous avons mangé la semaine passée.

— Ah ! l’animal ! Je n’en tirerai rien. Où est ton père ?

— Maître, mon père est à la vigne, et il y fait le bien et le mal.

— Eh bien ! puisqu’il est à la vigne, je vais l’y trouver. Je lui conterai toutes tes mauvaises réponses. »

Le maître s’en alla donc à la vigne, et trouva le père de Jean le Paresseux, qui taillait les sarments.

— « Il faut dire, mon ami, que ton fils est un grand imbécile, un grand insolent. Tout-à-l’heure, je n’en ai tiré que de mauvaises réponses.

— Oh ! maître, je ne l’en aurais pas cru capable. Et que vous a-t-il dit ?

— Je lui ai demandé s’il était seul à la métairie. Il m’a répondu : « J’y vois la moitié d’une bête à quatre pieds. »

— Maître, il a dit la vérité. Vous n’avez que deux jambes ; et votre cheval avançait les deux pieds de devant dans le chauffoir. Vous faisiez donc, ensemble, la moitié d’une bête à quatre pieds.

— Cela se peut. Mais quand je lui ai demandé ce qu’il faisait, il m’a répondu : « Je fais cuire ceux qui vont et qui s’en retournent. »

— Maître, il a dit encore la vérité. Mon fils, faisait cuire des haricots. Les haricots montent et descendent dans la marmite. Ils vont, et s’en reviennent.

— Mais quand je lui ai demandé : « Où est ton frère ? » il m’a répondu : « Mon frère est allé à une chasse où il jette tout le gibier qu’il prend, et emporte celui qu’il ne peut atteindre. »

— Maître, il a dit encore la vérité. Son frère se peignait, et jetait les poux qu’il avait pris. Pourtant, il a été forcé d’emporter sur sa tête ceux qui ont échappé au peigne.

— Mais quand je lui ai demandé : « Où est ta mère ? » il m’a répondu : « Ce matin, ma mère tranchait la tête à ceux qui se portaient bien, pour guérir les malades. Maintenant, elle donne des coups de bâton aux affamés, et fait manger par force ceux qui n’ont pas faim. »

— Maître, il a dit encore la vérité. Sa mère a tué, ce matin, deux poulets, pour faire du bouillon à un malade. Ensuite, elle a chassé, avec un bâton, les poules qui venaient manger le millet, pendant qu’elle gorgeait les oies.

— Mais il m’a dit aussi : « Ma mère s’est levée avant le jour, pour faire cuire le pain que nous avons mangé la semaine passée. »

— Maître, il a dit encore la vérité. Ma femme a fait au four, avant l’aube, pour rendre aux voisins le pain qu’il nous ont prêté la semaine dernière.

— Mais quand je lui ai demandé : « Où est ton père ? » il m’a répondu : « Il est à la vigne, et il y fait le bien et le mal. »

— Maître, il a dit encore la vérité. Je suis venu tailler la vigne. Je fais le bien quand je taille bien, et le mal quand je taille mal.

— C’est égal. Jean le Paresseux est un insolent. Je vous chasse tous de la métairie, s’il ne fait pas trois choses que je vais lui commander. D’abord, il mangera plus de bouillie de mais que le plus grand mangeur du pays. Ensuite, il jettera, avec sa fronde, une pierre plus loin que ne le ferait l’homme le plus habile. Enfin, il tirera du sang d’un chêne.

— Eh bien ! maître, mon fils tâchera de vous contenter. »

Le père s’en alla trouver Jean le Paresseux, et lui conta ce qui en était.

— « Soyez tranquille, père. Je ferai tout ce qui m’est commandé. »

Le maître manda donc le plus grand mangeur du pays ; et il fit remplir bien également deux grandes terrines de bouillie de maïs, avec une cuiller dans chacune. Mais, pendant que le grand mangeur se bourrait tant qu’il pouvait, Jean le Paresseux jetait adroitement la bouillie de maïs sous la table, de façon qu’il accula son compagnon.

— « Et maintenant, dit le maître, tu vas jeter, avec ta fronde, une pierre plus loin que ne le ferait l’homme le plus habile. »

Le maître manda donc un tireur de fronde fort habile, qui jeta sa pierre presque à perte de vue. Mais Jean le Paresseux avait mis un pigeon dans sa fronde. Quand il lança son coup, le pigeon vola plus loin que les yeux ne purent le suivre.

— « Et maintenant, dit le maître, tu vas tirer du sang d’un chêne. »

Jean le Paresseux fit semblant de ramasser une pierre, pour la jeter contre un chêne. Mais il avait dans sa poche un œuf couvi ; et il le jeta contre l’arbre, de façon qu’on aurait cru que le sang était sorti sur le coup.

— « Maître, dit alors Jean le Paresseux, j’ai fait ce que vous m’avez commandé. Pourtant j’abandonne la métairie, car j’ai pris un autre métier. »

En effet, Jean le Paresseux partit avec les siens, Quelques jours après, son maître le rencontra vêtu comme un prince.

— « Quel métier fais-tu donc à présent, Jean le Paresseux, pour être si bien vêtu ?

— Maître, je me suis mis marchand de choses qui ne coûtent rien.

— Que veux-tu dire ?

— Je veux dire que je me suis mis voleur. Ce que je vends ne me coûte rien. Votre cheval vaut cinquante pistoles. Dans trois jours, je vous l’aurai volé, et je vous le rendrai pour vingt-cinq.

— Nous verrons cela, Jean le Paresseux. Je vais faire bonne garde dans l’écurie, avec mon fusil et mon épée ; et je te promets que, si je t’y prends, je te tuerai comme un chien. »

Le maître prit donc son fusil et son épée, et s’en alla guetter à l’écurie. Mais au bout de deux jours, il finit par s’endormir. Alors, Jean le Paresseux entra doucement, doucement, amena le cheval sellé et bridé, et le rendit au maître le

lendemain, pour vingt-cinq pistoles[2].

II

le navire marchant sur terre



Il y avait, une fois, un roi bien malheureux. Pourtant, il était aussi riche que la mer. Sa fille était belle comme le jour, et sage comme une sainte.

Nuit et jour, le roi pensait :

— « Il me faut un navire, un Navire marchant sur terre. »

Par malheur, nul au monde n’était en état de lui donner contentement.

Enfin, le roi fit tambouriner dans toutes les villes et villages de son pays :

— « Ran plan plan ran plan plan ran plan plan. Vous êtes tous avertis que le roi donnera sa fille en mariage, avec sept cents métairies en dot, à l’homme qui lui fera présent d’un Navire marchant sur terre. »

En ce temps-là vivait, avec ses trois fils, une pauvre vieille veuve.

— « Mère, dit l’aîné des trois fils, vous avez entendu. Demain, je veux partir à la recherche du navire, du Navire marchant sur terre. »

Le lendemain, dès la pointe de l’aube, l’aîné partait, le bâton à la main, une petite miche de pain noir dans sa besace.

Sur les dix heures du matin, il s’assit, pour déjeuner, au bord d’une fontaine. En ce moment, un pauvre vint à passer.

— « Jeune homme, j’ai faim. Pour l’amour de Dieu et de la sainte Vierge Marie, donne-moi un morceau de ta petite miche de pain noir.

— Pauvre, passe ton chemin. Je n’ai pas trop à manger pour moi.

— Jeune homme, où vas-tu ? »

Le garçon haussa les épaules, en signe de mépris.

— « Je suis mon nez. Mon cul le pourchasse[3].

— Jeune homme, je te parle honnêtement. Fais comme moi.

— Eh bien, pauvre, je vais chercher des aiguillons[4].

— Des aiguillons tu trouveras. »

Le jeune homme acheva sa petite miche de pain noir, et repartit. Au coucher du soleil, il s’arrêta, crevant de faim, sur le seuil d’une métairie.

— « Un morceau de pain, métayer, s’il vous plaît, pour l’amour de Dieu et de la sainte Vierge Marie. Pater noster

— Décampe, fainéant. »

Et il lui lança son aiguillon.

Le jeune homme le ramassa.

— « C’est toujours autant de gagné. »

Et il repartit.

Pendant cent jours, le malheureux courut le monde, buvant aux fontaines, mangeant des herbes et des fruits sauvages. Quand il s’arrêtait, crevant de faim, sur le seuil de quelque métairie, pour y demander l’aumône, aussitôt le métayer lui criait :

— « Décampe, fainéant. »

Et il lui lançait son aiguillon.

Le jeune homme le ramassait.

— « C’est toujours autant de gagné. »

Au centième jour, le garçon avait ramassé cent aiguillons. Mais il n’avait pas trouvé ce qu’il cherchait.

Enfin, le malheureux retourna chez sa mère.

— « Eh bien ! mon fils, as-tu trouvé le navire, le Navire marchant sur terre ?

— Mère, je n’ai trouvé que ces cent aiguillons. Maintenant, j’ai fini de voyager. »

Alors, le cadet des trois fils parla.

— « Mère, demain je veux partir à la recherche du navire, du Navire marchant sur terre. »

Le lendemain, dès la pointe de l’aube, le cadet partait, le bâton à la main, une petite miche de pain noir dans sa besace.

Sur les dix heures du matin, il s’assit, pour déjeuner, au bord d’une fontaine. Un pauvre vint à passer.

— « Jeune homme, j’ai faim. Pour l’amour de Dieu et de la sainte Vierge Marie, donne-moi un morceau de ta petite miche de pain noir.

— Pauvre, passe ton chemin. Je n’ai pas trop à manger pour moi.

— Jeune homme, où vas-tu ? »

Le garçon haussa les épaules, en signe de mépris.

— « Je suis mon nez. Mon cul le pourchasse.

— Jeune homme, je te parle honnêtement. Fais comme moi.

— Eh bien, pauvre, je vais chercher des quenouilles.

— Des quenouilles tu trouveras. »

Le jeune homme acheva sa petite miche de pain noir, et repartit. Au coucher du soleil, il s’arrêta, crevant de faim, sur le seuil d’une métairie.

— « Un morceau de pain, métayère, s’il vous plaît, pour l’amour de Dieu et de la sainte Vierge Marie. Pater noster

— Décampe, fainéant. »

Et elle lui lança sa quenouille.

Le jeune homme la ramassa.

— « C’est toujours autant de gagné. »

Et il repartit.

Pendant cent jours, le malheureux courut le monde, buvant aux fontaines, mangeant des herbes et des fruits sauvages. Quand il s’arrêtait, crevant de faim, sur le seuil de quelque métairie, pour y demander l’aumône, aussitôt la métayère lui criait :

— « Décampe, fainéant. »

Et elle lui lançait sa quenouille dans les jambes.

Le jeune homme la ramassait.

— « C’est toujours autant de gagné. »

Au centième jour, le garçon avait ramassé cent quenouilles. Mais il n’avait pas trouvé ce qu’il cherchait.

Enfin, le malheureux retourna chez sa mère.

— « Eh bien ! mon fils, as-tu trouvé le navire, le Navire marchant sur terre ?

— Mère, je n’ai trouvé que ces cent quenouilles. Maintenant, j’ai fini de voyager. »

Alors, le dernier des trois fils parla.

— « Mère, demain je veux partir à la recherche du navire, du Navire marchant sur terre. »

Le lendemain, dès la pointe de l’aube, le dernier des trois fils partait, le bâton à la main, une petite miche de pain noir dans sa besace.

Sur les dix heures du matin, il s’assit, pour déjeuner, au bord d’une fontaine. Un pauvre vint à passer.

— « Jeune homme, j’ai faim. Pour l’amour de Dieu et de la sainte Vierge Marie, donne-moi un morceau de ta petite miche de pain noir.

— Avec plaisir, pauvre. Tiens, mange-la tout entière.

— Merci, mon ami. Toi, mange toute celle-ci. »

Et le pauvre tira de sa besace une grosse miche de pain, blanche comme la neige, tendre comme la rosée.

— « Jeune homme, où vas-tu ?

— Pauvre, je vais à la recherche du Navire marchant sur terre.

— Jeune homme, couche-toi là, et dors. Quand je te réveillerai, tu auras contentement. »

Le garçon obéit. Une heure après, son compagnon le réveilla.

— « Assez dormi, jeune homme. Regarde. »

Le navire, le Navire marchant sur terre était là, peint de toutes couleurs, avec des mâts d’argent, des cordages d’or, et des voiles de soie rouge.

— « Jeune homme, commande. Le navire, le Navire marchant sur terre t’obéira. »

Ce qui fut dit fut fait.

— « Navire, avance. »

Le navire, le Navire marchant sur terre avança.

— « Navire, recule. »

Le navire, le Navire marchant sur terre recula.

— « Navire, tourne. »

Le navire, le Navire marchant sur terre tourna.

— « Jeune homme, écoute. Je suis le Bon Dieu. Tu m’as fait la charité. Moi, je te donne ce navire, ce Navire marchant sur terre. Monte dedans, et pars. Surtout, n’oublie pas de prendre avec toi tous ceux que tu rencontreras. »

Le jeune homme salua le Bon Dieu, et monta dans le navire, qui partit aussi vite que le vent.

Au bout de cent lieues, il vit un homme qui rongeait un cep de vigne.

— « Navire, arrête. »

Le navire, le Navire marchant sur terre s’arrêta.

— « Mon ami, que fais-tu là ?

— Jeune homme, tu le vois. Cette année, le vin est cher. Je suis pauvre. Faute de mieux, je ronge ce cep de vigne. Cela me rappelle le goût du vin.

— Mon ami, viens avec moi. »

L’homme obéit, et monta dans le navire, qui repartit aussi vite que le vent.

Cent lieues plus loin, tous deux virent un homme qui rongeait un os de vache, blanc comme neige.

— « Navire, arrête. »

Le navire, le Navire marchant sur terre s’arrêta.

— « Mon ami, que fais-tu là ?

— Jeune homme, tu le vois. Cette année la viande est chère. Je suis pauvre. Faute de mieux, je ronge cet os de vache. Cela me rappelle le goût de la viande.

— Mon ami, viens avec moi. »

L’homme obéit, et monta dans le navire qui repartit aussi vite que le vent.

Au bout de cent lieues, tous trois virent un bûcheron portant sur son dos la moitié de la coupe d’une forêt.

— « Navire, arrête. »

Le navire, le Navire marchant sur terre s’arrêta.

— « Mon ami, que fais-tu là ?

— Jeune homme, tu le vois. Ma marâtre me crie toujours : « Tu ne me rapportes jamais assez de bois. » Alors, j’ai chargé sur mon dos la moitié de la coupe d’une forêt.

— Mon ami, viens avec nous. »

Le bûcheron obéit, et monta dans le navire, qui repartit aussi vite que le vent.

Cent lieues plus loin, tous quatre virent un homme qui tenait un soufflet grand comme une église, et soufflait ferme vers les nuages.

— « Navire, arrête. »

Le navire, le Navire marchant sur terre s’arrêta.

— « Mon ami, que fais-tu là ?

— Jeune homme, tu le vois. Je souffle, pour chasser le mauvais temps et la grêle, qui emporteraient nos récoltes.

— Mon ami, viens avec moi. »

L’homme obéit, et monta dans le navire, qui repartit aussi vite que le vent.

Cent lieues plus loin, tous cinq débarquaient au château du roi.

— « Bonjour, roi. Voici le navire, le Navire marchant sur terre. Et maintenant, il me faut votre fille en mariage, avec sept cents métairies en dot.

— Jeune homme, je te donnerai ma fille, avec sept cents métairies en dot, quand tu m’auras fait voir un homme capable de lamper, dans une heure, sept bordelaises de vin[5].

— Roi, vous aurez contentement. Valets, vite, apportez ici sept bordelaises de vin, et défoncez-les par le haut. »

Les valets obéirent.

Alors, le garçon appela l’homme qu’il avait trouvé rongeant un cep de vigne.

— « Hardi ! mon ami. »

Dans une heure, l’homme avait lampé les sept bordelaises de vin.

— « Roi, voilà qui est fait. Et maintenant, il me faut votre fille en mariage, avec sept cent métairies en dot.

— Jeune homme, je te donnerai ma fille, avec sept cents métairies en dot, quand tu m’auras fait voir un homme capable d’avaler, dans une heure, la viande de sept bœufs.

— Roi, vous aurez contentement. Cuisiniers, vite, apportez ici la viande de sept bœufs. »

Les cuisiniers obéirent.

Alors, le garçon appela l’homme qu’il avait trouvé rongeant un os de vache blanc comme neige.

— « Hardi ! mon ami. »

Dans une heure, l’homme avait avalé la viande de sept bœufs.

— « Roi, voilà qui est fait. Et maintenant, il me faut votre fille en mariage, avec sept cents métairies en dot.

— Jeune homme, ma fille ne veut pas de toi.

— Roi, vous en avez menti. Faisons bataille. »

Alors, le roi manda ses soldats, et partit en guerre. Mais le jeune homme appela le bûcheron, et l’homme au soufflet grand comme une église.

— « Hardi ! mes amis. »

À grands coups de hache, le bûcheron couchait morts les soldats du roi par centaines. Avec le soufflet grand comme une église, son compagnon faisait voler à sept lieues les balles, les pierres, et les boulets de fer.

Le roi vit qu’il n’était pas le plus fort.

— « Jeune homme, faisons la paix. Renvoie vite ces gens-là. Je te donne ma fille en mariage, avec sept cents métairies en dot. »

Ce qui fut dit fut fait. Le jeune homme renvoya ses quatre amis chargés de présents. Il épousa la fille du roi. Tous deux vécurent longtemps riches

et heureux[6].

III

le forgeron de fumel



Il y avait, autrefois, à Nérac[7], un roi qui s’appelait Henri IV. Ce roi était riche comme la mer, aumônier comme un prêtre, hardi comme un lion, juste comme l’or. Pourtant, Henri IV n’était pas heureux. Nuit et jour, il se disait :

— « Les galériens ne souffrent pas autant que moi. Je n’ai qu’une fille, plus belle que le jour, et plus sage qu’une sainte. Mais elle est si triste, si triste, que nul galant ne peut se vanter de l’avoir fait rire une seule fois. Aussi, l’a-t-on surnommée la Princesse Triste-Mine. J’ai sept cents chevaux superbes, tous noirs comme l’âtre. Pourtant, je n’aime que mon grand cheval blanc. Mais il est si méchant, si méchant, que le plus habile forgeron[8] de la terre est hors d’état de le ferrer des quatre pieds. Aussi l’a-t-on surnommé Brise-Fer. Non, les galériens ne souffrent pas autant que moi. »

Enfin, Henri IV n’y put plus tenir, et manda dans son château le tambour de ville.

— « Tambour, voici mille pistoles. Va-t-en courir le monde, et crier partout : « L’homme capable de faire rire une seule fois la Princesse Triste-Mine, et de ferrer des quatre pieds le grand cheval blanc Brise-Fer, sera le gendre et l’héritier de Henri IV. »

— Roi, vous serez obéi. »

Ce qui fut dit fut fait. Force galants se présentèrent, pour tenter les deux épreuves. Tous s’en retournèrent comme ils étaient venus. En ce temps-là, vivait à Fumel[9], avec sa vieille mère, un jeune et hardi forgeron.

— « Mère, dit-il un soir à souper, demain, je pars pour Nérac. C’est moi qui ferai rire, au moins une fois, la Princesse Triste-Mine, et qui ferrerai des quatre pieds le grand cheval blanc, Brise-Fer. Ainsi, je serai le serai le gendre et l’héritier de Henri IV.

— Pars, mon fils, et que le Bon Dieu te conduise. »

La brave femme alla se coucher. Alors, le Forgeron tira de son coffre toute sa petite fortune, cent écus de six livres, et cinquante louis d’or. Avec les cent écus de six livres, il forgea quatre fers d’argent. Avec les cinquante louis, il forgea vingt-huit clous d’or, sept pour chaque fer.

À la pointe de l’aube tout était prêt. Le Forgeron partait pour Nérac, sa besace de cuir en bandoulière. Dans cette besace, il y avait un pain, une gourde pleine de vin, un marteau, les quatre fers d’argent, et les vingt-huit clous d’or.

Trois heures plus tard, le Forgeron mangeait et buvait, assis au bord du chemin. Dans un champ de blé voisin, chantait un grillon noir comme la suie.

— « Cri cri cri. Bonjour, Forgeron.

— Bonjour, grillon. Qu’y a-t-il pour ton service ?

— Cri cri cri. Forgeron, je veux savoir où tu vas.

— Grillon, je vais à Nérac, faire rire la Princesse Triste-Mine, et ferrer le grand cheval blanc Brise-Fer. Ainsi, je serai le gendre et l’héritier de Henri IV.

— Cri cri cri. Forgeron, emporte-moi. Je te rendrai peut-être service.

— Grillon, avec plaisir. Allons ! Hop ! Ancre-toi fort et ferme sur mon menton. »

Ce qui fut dit fut fait. Le Forgeron repartit, emportant le grillon ancré sur son menton.

Trois heures plus tard, il buvait et mangeait encore, assis au bord du chemin. Dans un champ voisin, un petit rat grignottait une feuille de tabac.

— « Couic couic couic. Bonjour, Forgeron.

— Bonjour, rat. Qu’y a-t-il pour ton service ?

— Couic couic couic. Forgeron, je veux savoir où tu vas.

— Rat, je vais à Nérac, faire rire la Princesse Triste-Mine, et ferrer le grand cheval blanc Brise-Fer. Ainsi, je serai le gendre et l’héritier de Henri IV.

— « Couic couic couic. Forgeron, emporte-moi. Je te rendrai peut-être service.

— Rat, avec plaisir. Allons ! Hop ! Ancre-toi fort et ferme sur mon béret. »

Ce qui fut dit fut fait. Le Forgeron repartit, emportant le grillon ancré sur son menton, et le rat ancré sur son béret.

Le même soir, il ronflait comme un bienheureux entre deux draps, dans une auberge d’Agen. À la pointe de l’aube, il s’éveilla brusquement, piqué sur le bout du nez.

— « Forgeron, debout, debout. Assez dormi, fainéant.

— Qui es-tu ? Je t’entends, mais je ne te vois pas.

— Forgeron, je suis la Mère des Puces, et je suis ancrée sur le bout de ton nez. Forgeron, je veux savoir où tu vas.

— Mère des Puces, je vais à Nérac, faire rire la Princesse Triste-Mine, et ferrer le grand cheval blanc, Brise-Fer. Ainsi, je serai le gendre et l’héritier de Henri IV.

— Forgeron, emporte-moi. Je te rendrai peut-être service.

— Mère des Puces, demeure ancrée fort et ferme sur le bout de mon nez. »

Ce qui fut dit fut fait. Le Forgeron repartit, le grillon ancré sur son menton, le rat ancré sur son béret, et la Mère des Puces ancrée sur le bout de son nez.

Trois heures après le lever du soleil, il était à Nérac, assis sur un banc de pierre, tout à côté de la maîtresse-porte du château du roi.

Valets et servantes le regardaient en riant.

— « Forgeron, qu’es-tu venu faire ici ?

— Braves gens, je suis venu parler à Henri IV, et à la Princesse Triste-Mine.

— Forgeron, les voici justement, qui reviennent de la messe. »

Le Forgeron se présenta sans peur ni crainte.

— « Bonjour, Princesse Triste-Mine. Je suis venu pour vous faire rire. Bonjour, Henri IV. Je suis venu pour ferrer le grand cheval blanc Brise-Fer. Ainsi, je serai votre gendre et votre héritier. »

En voyant ainsi son prétendu, avec un grillon ancré sur le menton, un rat ancré sur le béret, et la Mère des Puces ancrée sur le bout de son nez, la Princesse Triste-Mine éclata de rire.

— « Henri IV, la première moitié de mon travail est faite. La princesse Triste-Mine vient de rire, pour la première fois de sa vie.

— Forgeron, c’est juste. Et maintenant, il s’agit de descendre à l’écurie, et de ferrer mon grand cheval blanc, Brise-Fer.

— Henri IV, je suis à votre commandement. »

Tous trois descendirent à l’écurie. Là, le Forgeron tira de sa besace son marteau, les quatre fers d’argent, et les vingt-huit clous d’or. Henri IV et la Princesse Triste-Mine ouvraient de grands yeux.

— « Forgeron, voilà des fers et des clous qui n’ont pas leurs pareils au monde.

— Princesse Triste-Mine, je ne suis pas un forgeron comme les autres. L’or et l’argent ne me manquent pas. Henri IV, je ne suis pas un forgeron comme les autres. Vous allez voir ce que je sais faire. »

Mais le grand cheval blanc, Brise-Fer, se méfiait. Il se cabrait, il ruait, il hennissait à se faire entendre à plus de sept lieues. Le Forgeron ne faisait qu’en rire.

— « Grillon, fais ton métier. »

Aussitôt, le grillon sauta dans l’oreille du grand cheval blanc Brise-Fer, et se mit à chanter tant qu’il put :

— « Cri cri cri. Cri cri cri. Cri cri cri. »

Assourdi par ce tapage, le cheval eut bientôt fini de se cabrer, de ruer, et de hennir. Doux comme un mouton, il baissait le nez à terre.

— « Rat, fais ton métier. »

Aussitôt, le rat sauta sous le nez du grand cheval blanc, Brise-Fer, et se mit à péter et à vesser tant qu’il put.

— « Pau ! pan ! pan ! Ft ! ft ! ft ! »

Pets et vesses empestaient le tabac, dont le rat avait coutume de se nourrir. À cette odeur, le cheval s’endormit.

Alors, le Forgeron le ferra des quatre pieds, lui mit la bride et la selle, et sauta dessus, sans peur ni crainte.

— « Hue ! Hue donc ! »

Le grand cheval blanc Brise-Fer se leva. Maintenant, il obéissait à la main et à la voix.

Alors, le Forgeron dit au roi :

— « Henri IV, la seconde moitié de mon travail est faite. Le grand cheval blanc, Brise-Fer, est ferré des quatre pieds. Ainsi, je dois être votre gendre et votre héritier.

— Forgeron, c’est juste. J’entends que tu épouses ma fille ce matin même. Intendant, cours avertir le curé. Et vous, servantes et valets, préparez vite une belle noce. »

Ce qui fut dit fut fait. Jamais on n’avait vu, jamais on ne verra noce pareille. Pourtant, le Forgeron n’était pas content, et ne mangeait pas de bon appétit. Il pensait :

— « Voici venir l’heure des embarras. Ce matin, j’ai dit devant la Princesse Triste-Mine et Henri IV : « L’or et l’argent ne me manquent pas. » Pourtant, je suis plus pauvre que les pierres. Mon petit avoir est passé, passé tout entier à ferrer des quatre pieds le grand cheval blanc, Brise-Fer. Que faire, mon Dieu ? Que faire ? »

Au sortir de table, un jeune homme s’approcha du marié.

— « Forgeron, je veux te parler en secret.

— Mon ami, je suis à ton commandement.

— Forgeron, j’aime de tout mon cœur la Princesse Triste-Mine, qui n’a pas voulu de moi. Forgeron, je suis riche comme la mer. Écoute. L’heure approche où tu dois aller te coucher avec ta femme. Jure-moi, par ton âme, de n’y pas toucher de toute la nuit, et demain matin je te donne un grand sac, plein de quadruples d’Espagne.

— Mon ami, c’est convenu. »

Ce qui fut dit fut fait. Au lieu de souffler la lumière, et de se coucher près de sa femme, le Forgeron passa toute la nuit à se promener dans la chambre. D’heure en heure, il demandait à la Princesse Triste-Mine :

— « Femme, sais-tu combien de quadruples d’Espagne peut contenir un grand sac ? »

Au lever du soleil, il s’en alla trouver le jeune homme.

— « Mon ami, j’ai gagné ce que tu m’as promis hier soir. »

Tandis que le Forgeron cachait son or, Henri IV entra dans la chambre de la Princesse Triste-Mine.

— « Eh bien ! ma fille, comment as-tu passé ta première nuit de noces ?

— Mon père, ne m’en parlez pas. J’ai couché seule. Toute la nuit, mon mari s’est promené dans la chambre. D’heure en heure, il me demandait : « Femme, sais-tu combien de quadruples d’Espagne peut contenir un grand sac ? »

— Ma fille, ton mari t’a fait un grand affront. Je compte bien que, la nuit prochaine, il ne recommencera pas. »

Mais le Forgeron avait un autre grand sac de quadruples d’Espagne à gagner comme le premier. Au lieu de souffler la lumière, et de se coucher près de sa femme, il passa toute la nuit à se promener dans la chambre. D’heure en heure, il demandait à la Princesse Triste-Mine :

— « Femme, sais-tu combien de quadruples d’Espagne peut contenir un grand sac ? »

Au lever du soleil, il s’en alla trouver le jeune homme.

— « Mon ami, j’ai gagné ce que tu m’as promis hier soir. »

Tandis que le Forgeron cachait son or, Henri IV entra dans la chambre de la Princesse Triste-Mine.

— « Eh bien ! ma fille, comment as-tu passé ta seconde nuit de noces ?

— Mon père, ne m’en parlez pas. J’ai couché seule. Toute la nuit, mon mari s’est promené dans la chambre. D’heure en heure, il me demandait : « Femme, sais-tu combien de quadruples d’Espagne peut contenir un grand sac ? »

— Ma fille, ton mari t’a fait un autre grand affront. Je compte bien que, la nuit prochaine, il ne recommencera pas. »

Mais le Forgeron avait un autre grand sac de quadruples d’Espagne à gagner, comme les deux premiers. Au lieu de souffler la lumière, et de se coucher près de sa femme, il passa toute la nuit à se promener dans la chambre. D’heure en heure, il demandait à la Princesse Triste-Mine :

— « Femme, sais-tu combien de quadruples d’Espagne peut contenir un grand sac ? »

Au lever du soleil, il s’en alla trouver le jeune homme.

— « Mon ami, j’ai gagné ce que tu m’as promis hier soir. Et maintenant, je suis assez riche. Ce soir, ma femme aura de mes nouvelles. »

Tandis que le Forgeron cachait son or, Henri IV entra dans la chambre de la Princesse Triste-Mine.

— « Eh bien ! ma fille, comment as-tu passé ta troisième nuit de noces ?

— Mon père, ne m’en parlez pas. J’ai couché seule. Toute la nuit, mon mari s’est promené dans ma chambre. D’heure en heure, il me demandait : « Femme, sais-tu combien de quadruples d’Espagne peut contenir un grand sac ? »

— Ma fille, ton mari a fini de te faire de grands affronts. Je ne veux pas d’un chapon pour gendre, et tu n’en veux pas pour mari. Ton mariage, je le romps. Ce matin même, tu épouseras le riche galant dont tu ne voulais pas. »

Ce qui fut dit fut fait. Alors, le Forgeron devint bien triste, car il aimait sa femme de tout son cœur.

Le grillon, le rat, et la Mère des Puces le consolaient.

— « Bon courage. Forgeron. Nous ne t’abandonnerons pas. »

En effet, une heure avant le coucher, les trois bestioles attendaient, cachées sous le coussin du lit de la Princesse Triste-Mine.

Les mariés se mirent au lit.

Aussitôt, le grillon et la Mère des Puces sautèrent sur le mari, pour le tourmenter et le mordre jusqu’au sang. Il criait et sautait, comme un possédé du Diable. À force de se démener, le pauvre homme épuisé finit par retomber comme une masse. Alors, le rat sauta sous son nez, et se mit à péter et à vesser tant qu’il put.

— « Pan ! pan ! pan ! Ft ! ft ! ft ! »

Pets et vesses empestaient le tabac dont le rat avait coutume de se nourrir. À cette odeur, le mari s’endormit comme une souche.

Le lendemain, comme il ronflait toujours, Henri IV entra dans la chambre de la Princesse Triste-Mine.

— « Eh bien ! ma fille, comment as-tu passé la première nuit de tes noces ?

— Mon père, ne m’en parlez pas. Regardez plutôt ce rien qui vaille. Je préfère encore le Forgeron.

— Ma fille, tu auras contentement. Ton second mariage, je le romps. Ce matin même, tu épouseras de nouveau ton premier mari. »

Ce qui fut dit fut fait. La nuit venue, le Forgeron

prouva qu’il n’était pas un chapon[10].

IV

étienne l’habile



Il y avait, une fois, un roi qui avait une fille belle comme le jour. Un dimanche, en allant à l’église, elle trouva une punaise sur son cou. Elle la prit, et l’enferma dans un coffre. Matin et soir, elle la nourrissait de son sang. Aussi la punaise grossit, grossit, et devint aussi forte qu’un petit chien. Mais elle finit par mourir. Que fit alors la princesse ? Elle écorcha la bête, et donna la peau à un tanneur, afin qu’il la préparât, pour en recouvrir le coffre. Cela fait, le roi fit trompeter partout qu’il donnerait sa fille en mariage au garçon qui connaîtrait de quelle bête était la peau qui recouvrait le coffre.

Trois ans se passèrent à attendre. Force gens se présentèrent, et s’en revinrent sans pouvoir deviner. On parlait de cela dans tout le pays, si bien qu’un jour, un garçon, nommé Étienne l’Habile, dit à ses voisins assemblés :

— « Écoutez. Je vais partir pour le château du roi, et je me charge de deviner de quelle peau est recouvert le coffre de la princesse. »

Étienne l’Habile partit seul, avec cinq chevaux sellés et bridés. Au bout de sept lieues, il trouva un homme qui écoutait, l’oreille posée contre terre.

— « Que fais-tu là, mon ami ?

— Monsieur, je suis Jean Fine-Oreille. J’écoute ce que disent les gens de l’autre monde.

— Jean Fine-Oreille, viens avec moi. Bientôt, j’aurai besoin de toi, et tu seras bien récompensé. »

Jean Fine-Oreille monta donc à cheval, et ils repartirent. Au bout de sept lieues, ils trouvèrent, derrière une haie, un homme qui tirait des coups de fusil.

— « Que fais-tu là, mon ami ?

— Monsieur, je suis Pierre le Bon-Viseur. Je tire aux roitelets, qui sont là-bas, là-bas, sur la montagne.

— Pierre le Bon-Viseur, viens avec moi. Bientôt, j’aurai besoin de toi, et tu seras bien récompensé. »

Pierre le Bon-Viseur monta donc à cheval, et ils repartirent. Au bout de sept lieues, ils trouvèrent un homme qui s’entravait avec des cordes.

— Que fais-tu là, mon ami ?

— Monsieur, je suis le Chien-Lévrier. Je m’entrave avec des cordes, pour chasser les lièvres. Si je ne m’entravais pas, je courrais trop vite, et je leur passerais devant.

— Chien-Lévrier, viens avec moi. Bientôt, j’aurai besoin de toi, et tu seras bien récompensé. »

Le Chien-Lévrier monta donc à cheval, et ils repartirent. Au bout de sept lieues, ils trouvèrent un homme qui tordait un chêne de cent ans.

— « Que fais-tu là, mon ami ?

— Monsieur, je suis Samson le Fort. Je tords ce chêne de cent ans, pour en faire un lien, afin de lier un fagot.

— Samson le Fort, viens avec moi. Bientôt, j’aurai besoin de toi, et tu seras bien récompensé. »

Samson le Fort monta donc à cheval, et ils repartirent. Au bout de sept lieues, ils arrivèrent au château du roi. Mais Étienne l’Habile ne put deviner de quelle peau était recouvert le coffre de la princesse.

Il leur fallut s’en revenir comme ils étaient venus. Au bout de sept lieues, Jean Fine-Oreille dit à Étienne l’Habile :

— « Monsieur, j’entends le roi deviser avec la princesse. Ils disent : « Celui-ci non plus, n’a pu deviner que le coffre est recouvert d’une peau de punaise engraissée. »

Aussitôt, ils repartirent tous cinq, et arrivèrent au château du roi.

— « Roi, dit Étienne l’Habile, le coffre de votre fille est recouvert d’une peau de punaise engraissée. Maintenant, il faut me donner la princesse en mariage.

— Étienne l’Habile, répondit le roi, moi et toi nous sommes parents. Tu ne te marieras pas avec ma fille, que tu ne sois allé à Rome, chercher des dispenses du pape. »

Aussitôt, tous cinq partirent pour Rome. Mais le roi manda en secret un messager, avec une lettre, pour prier le pape de ne pas donner les dispenses. Au bout de sept lieues, Jean Fine-Oreille dit à Étienne-l’Habile :

— « Monsieur, j’entends le roi dire : « Étienne l’Habile n’aura pas ma fille en mariage. J’ai mandé un messager à Rome avec une lettre, pour prier le pape de ne pas donner les dispenses. Dès qu’il aura la réponse, il l’attachera au cou d’un pigeon, pour qu’elle m’arrive plus vite. »

Étienne l’Habile fit vite, vite une lettre au pape. Aussitôt le Chien-Lévrier partit pour Rome. Quand le messager du roi arriva, les dispenses étaient données. Que fit alors le pape ? Il écrivit au roi une lettre, pour retirer les dispenses. Cette lettre partit, attachée au cou d’un pigeon. Mais Pierre le Bon-Viseur tua le pigeon à la volée, d’un coup de fusil, et le Chien-Lévrier arriva avec les dispenses.

Tous cinq revinrent au château du roi.

— « Roi, dit Étienne l’Habile, voici les dispenses du pape. Maintenant, il faut me donner la princesse en mariage.

— Étienne l’Habile, tu ne l’auras pas. Mais je te donne autant d’or qu’un homme en pourra porter. »

Étienne l’Habile appela Samson le Fort, et le chargea de cent quintaux d’or, qui ne lui pesaient pas plus qu’un coussin de plume. Alors le roi dit :

— « Étienne l’Habile, rends-moi mon or. Je te donne ma fille en mariage. »

Étienne l’Habile et la princesse se marièrent ensemble. Jean Fine-Oreille, Pierre le Bon-Viseur, le Chien-Lévrier et Samson le Fort furent invités à la noce. Ils s’en revinrent le lendemain,

chacun avec son cheval chargé d’écus[11].

V

les deux filles



Il y avait, une fois, un homme et une femme qui avaient une fille jolie, jolie comme le jour. La femme mourut, et l’homme se remaria avec une femme qui accoucha d’une fille laide, laide comme le péché.

Quand les deux filles furent grandelettes, la marâtre, qui ne pouvait pas sentir la jolie fille, et qui la rossait vingt fois par jour, dit à son homme :

— « Prends ta fille, et va la faire perdre. »

L’homme avait pitié de la jolie fille. Mais il avait peur de sa femme, et il répondit :

— « Femme, je ferai ce que tu veux. »

Mais la jolie fille, qui était cachée derrière la porte, avait tout entendu. Aussitôt, elle courut le conter à sa marraine.

— « Filleule, dit la marraine, remplis tes poches de cendres, que tu sèmeras sur ton chemin. Par ce moyen, tu rentreras à la maison. »

La jolie fille revint au galop chez son père, et remplit ses poches de cendres. À peine avait-elle fini, que son père lui dit :

— « Pauvrette, allons chercher des champignons dans le bois.»

Tous deux partirent donc pour le bois. Mais le père n’avait pas le cœur à chercher des champignons. Tout en marchant, la jolie fille semait sur son chemin les cendres qu’elle avait dans ses poches, comme sa marraine le lui avait dit. Enfin, le père se jeta dans un fourré, sans être vu, laissa la jolie fille seulette, et revint dans sa maison à l’entrée de la nuit.

— « Eh bien, mon homme, as-tu fait perdre ta fille ?

— C’est fait.

— Eh bien, mon homme, pour ta peine, tu vas manger avec nous une assiettée de bouillie de maïs[12]. »

Tout en mangeant la bouillie, l’homme pensait à la jolie fille, qu’il avait abandonnée toute seulette dans le bois, et disait :

— « Ah ! si la pauvrette était ici, elle mangerait aussi sa portion de bouillie.

— Je suis ici, père, » répondit la jolie fille, qui avait retrouvé son chemin au moyen des cendres, et qui écoutait derrière la porte.

Le père fut bien content de voir la jolie fille revenue, et mangeant sa portion de bouillie de bon appétit. Mais quand elle fut allée se coucher avec sa sœur, la marâtre dit à son mari :

— « Tu es une bête. Tu n’as pas conduit ta fille assez loin. Ramène-la demain dans le bois, et tâche qu’elle ne revienne plus. »

L’homme avait pitié de la jolie fille. Mais il avait peur de sa femme, et il répondit :

— « Femme, je ferai ce que tu veux. »

Mais la jolie fille, qui s’était levée de son lit, et qui écoutait, cachée derrière la porte, avait tout entendu. Aussitôt, elle courut le conter à sa marraine.

— « Filleule, dit la marraine, remplis tes poches de graines de lin que tu sèmeras sur ton chemin. Par ce moyen, tu rentreras à la maison. »

La jolie fille revint au galop chez son père, remplit ses poches de graines de lin, et se remit au lit.

Le lendemain matin, son père entra dans la chambre et dit :

— « Pauvrette, allons chercher des champignons dans le bois. »

Tous deux partirent donc pour le bols. Mais le père n’avait pas le cœur à chercher des champignons. Tout en marchant, la jolie fille semait les graines de lin qu’elle avait dans ses poches, comme sa marraine le lui avait dit. Enfin, le père se jeta dans un fourré, sans être vu, laissa la jolie fille seulette, et revint dans sa maison à l’entrée de la nuit.

— « Eh bien, mon homme, as-tu fait perdre ta fille ?

— C’est fait.

— Eh bien, mon homme, pour ta peine, tu vas manger avec nous une assiettée de bouillie de maïs. »

Tout en mangeant la bouillie, l’homme pensait à la jolie fille, qu’il avait abandonnée toute seulette dans le bois, et disait :

— « Ah ! si la pauvrette était ici, elle mangerait aussi sa portion de bouillie.

— Je suis ici, père, répondit la jolie fille, qui avait retrouvé son chemin au moyen des graines de lin, et qui écoutait à la porte. »

Le père fut bien content de voir la jolie fille revenue, et mangeant sa portion de bouillie de bon appétit. Mais quand elle fut allée se coucher avec sa sœur, la marâtre lui dit :

— « Tu es une bête. Tu n’as pas conduit ta fille encore assez loin. Ramène-la demain dans le bois, et tâche qu’elle ne revienne pas. »

L’homme avait pitié de la jolie fille. Mais il avait peur de sa femme, et il répondit :

— « Femme, je ferai ce que tu veux. »

Mais la jolie fille, qui s’était levée de son lit, et qui écoutait cachée derrière la porte, avait tout entendu. Aussitôt, elle courut le conter à sa marraine.

— « Filleule, dit la marraine, remplis tes poches de grains de mil, que tu sèmeras sur ton chemin. Par ce moyen, tu rentreras à la maison. »

La jolie fille revint au galop chez son père, remplit ses poches de graines de mil, et se remit au lit.

Le lendemain matin, son père entra dans la chambre et dit :

— « Pauvrette, allons chercher des champignons dans le bois. »

Tous deux partirent donc pour le bois. Mais le père n’avait pas le cœur à chercher des champignons. Tout en marchant, la jolie fille semait les grains de mil qu’elle avait dans ses poches, comme sa marraine le lui avait dit. Enfin, le père se jeta dans un fourré, sans être vu, laissa la jolie fille seulette, et revint dans sa maison à l’entrée de la nuit.

Mais quand la jolie fille voulut retrouver son chemin, au moyen des grains de mil, il se trouva qu’ils avaient été mangés par les pies.

La pauvrette marcha, longtemps, longtemps, longtemps à travers le bois, jusqu’à un château grand comme la ville d’Agen.

— « Pan ! pan !

— Qui frappe ?

— C’est une pauvre fille, qui a perdu son chemin, et qui demande à souper et à loger. »

La dame du château envoya la jolie fille souper à la cuisine, avec les valets et les servantes, et commanda qu’on lui donnât un bon lit. Le lendemain matin, elle la fit venir dans sa chambre, et ouvrit la porte d’un cabinet qui était tout plein de robes.

— « Jolie fille, quitte tes hardes, et choisis les habits que tu voudras. »

La jolie fille choisit la robe la plus laide. Alors, la dame du château la força de prendre la plus belle, et de la mettre sur-le-champ. Ensuite, elle ouvrit un grand coffre, plein de pièces d’or, d’argent et de cuivre, plein de bijouterie de toute espèce.

— « Jolie fille, prends dans ce coffre tout ce que tu voudras. »

La jolie fille ne prit que deux liards, et une bague de cuivre. Alors, la dame du château la chargea de quadruples, de bagues, de chaînes, de pendeloques d’or, et la mena à l’écurie.

— « Jolie fille, prends la bête que tu voudras, avec la bride et la selle. »

Mais la jolie fille ne prit qu’un âne, un licou de corde, et une mauvaise couverture. Alors, la dame du château la força de prendre le plus beau cheval, la plus belle bride, et la plus belle selle.

— « Et maintenant, lui dit-elle, monte à cheval, et reviens dans ton pays. Ne te retourne pas du côté du château, que tu ne sois là-bas, là-bas, en-haut de cette côte. Alors, lève la tête, et attends. »

La jolie fille remercia bien la dame du château, monta à cheval, et partit pour son pays, sans jamais se retourner. Quand elle fut en-haut de la côte, elle leva la tête et attendit. Alors, trois étoiles descendirent du ciel. Deux se posèrent sur sa tête, et une sur son menton.

Comme elle se remettait en route, un jeune homme s’en revenait de la chasse, monté sur son grand cheval, avec neuf chiens lévriers à sa suite : trois noirs comme des charbons, trois rouges comme le feu, trois blancs comme la plus fine toile. Quand il vit une si belle cavalière, il mit son chapeau à la main.

— « Demoiselle, je suis le fils du roi d’Angleterre. J’ai roulé le monde pendant sept ans, et je n’ai trouvé jamais aucun homme aussi fort, aussi hardi que moi. Si vous le voulez, je serai votre compagnon, pour vous défendre contre les méchantes gens.

— Merci, fils du roi d’Angleterre. Je saurai bien retrouver seulette le chemin de mon pays. Mais je n’ose pas retourner à la maison, par crainte de ma marâtre, qui ne peut pas me voir, à cause de sa fille laide, laide comme le péché. Par trois fois, elle a forcé mon père d’aller me perdre dans un bois. »

Alors, le fils du roi d’Angleterre entra dans une colère terrible. Il tira son épée, et siffla ses chiens lévriers.

— « Demoiselle, montrez-moi le chemin de votre maison. Je veux aller faire manger par ma meute votre père, votre marâtre, et votre sœur.

— Fils du roi d’Angleterre, votre meute est à votre commandement. Mais vous ne ferez pas cela. S’il plaît à Dieu, il ne sera pas dit que mon père, ma marâtre, et ma sœur, auront souffert le moindre mal à cause de moi. »

Mais le fils du roi d’Angleterre ne voulait rien entendre, et criait comme un aigle :

— « Eh bien, je dirai à mon juge rouge : « Juge-les à mort. » Je le paie. Il faut qu’il gagne son argent.

— Fils du roi d’Angleterre, votre juge rouge est à votre commandement. Mais vous ne ferez pas cela. S’il plaît à Dieu, il ne sera pas dit que mon père, ma marâtre et ma sœur, auront souffert le moindre mal à cause de moi.

— Eh bien, si vous voulez que je leur pardonne, il faut que vous soyez ma femme.

— Fils du roi d’Angleterre, je serai votre femme, si vous voulez leur pardonner. »

Le fils du roi d’Angleterre épousa donc la jolie fille, qui fut bien heureuse avec lui, et devint la plus grande dame du pays.

Peu de temps après la noce, la sœur laide, laide comme le péché, apprit ce qui s’était passé, et dit :

— « J’irai au bois, moi aussi ; et il m’en arrivera autant. »

Elle partit donc pour le bois, et marcha longtemps, longtemps, longtemps. Enfin, elle arriva sur la porte du château grand comme la ville d’Agen.

— « Pan ! pan !

— Qui frappe ?

— C’est une fille qui a perdu son chemin, et qui demande à souper et à loger. »

La dame du château envoya la fille laide, laide comme le péché, souper à la cuisine, avec les valets et les servantes, et commanda qu’on lui donnât un bon lit. Le lendemain, elle la fit venir dans sa chambre, et ouvrit la porte du cabinet qui était tout plein de robes.

— « Mie, quitte tes hardes, et choisis les habits que tu voudras. »

La fille laide, laide comme le péché, choisit la plus jolie robe. Alors, la dame du château la força de prendre la plus déchirée, la plus sale, la lui fit mettre sur-le-champ. Ensuite, elle ouvrit le coffre plein de pièces d’or, d’argent et de cuivre, et de bijouterie de toute espèce.

— « Mie, prends dans ce coffre ce que tu voudras. »

La fille laide, laide comme le péché, choisit cent quadruples d’Espagne et cent bagues d’or. Alors, la dame du château ne lui laissa prendre que deux liards et une bague de cuivre. Ensuite, elle la mena à l’écurie.

— « Mie, choisis la bête que tu voudras, avec la bride et la selle. « 

La fille laide, laide comme le péché, choisit le plus beau cheval, la plus belle bride, et la plus belle selle. Alors, la dame du château ne lui laissa prendre qu’un âne, un licou de corde, et une mauvaise couverture.

— « Et maintenant, lui dit-elle, monte sur ton âne, et reviens dans ton pays. Ne te retourne pas vers le château, que tu ne sois là-bas, là-bas, en-haut de la côte. Alors, lève la tête, et attends. »

La fille laide, laide comme le péché, ne remercia pas la dame du château. Elle monta sur son âne, et partit pour son pays. Mais elle se retourna vers le château, avant d’arriver en-haut de la côte, leva la tête, et attendit. Alors, trois bouses de vache tombèrent sur elle, deux sur la tête, et une sur le menton.

Comme elle se remettait en route, elle rencontra un vieil homme, sale comme un peigne, et ivrogne comme une barrique.

— « Mie, lui dit-il, je te trouve faite à ma fantaisie. Il faut que tu sois ma femme. Sinon, tu ne mourras que de mes mains. »

Par force, la fille laide, laide comme le péché, dut suivre l’ivrogne dans sa maison, et consentir au mariage. Depuis lors, le mari continue de boire comme un trou, et rosse sa femme vingt

fois par jour[13].

VI

le marchand de peignes de bois



Il y avait, une fois, un Marchand de peignes de bois.

Avec sa petite charrette, attelée d’un âne de six francs, il courait les foires, les marchés, les fêtes patronales, pour y vendre ses peignes de bois, ses aiguillons (à bœufs), ses haches, et ses bonnets de coton.

— « Marchand de peignes de bois ! Marchand de peignes de bois ! »

Un jour qu’il s’en allait à la foire de Mirande[14], le Marchand de peignes de bois trouva Compère Renard, au bas d’un poulailler.

Compère Renard crevait de faim.

— « Hô ! Marchand de peignes de bois, toi qui passes pour habile homme, fais-moi donc la courte-échelle, jusqu’au poulailler, pour attraper quelques volailles.

— Avec plaisir, Compère Renard. Mais auparavant, jure-moi, par ton âme, que lorsque tu seras là-haut, tu me jetteras, pour ma peine, une paire de poules grasses.

— Marchand de peignes de bois, je te le jure par mon âme. »

Le Marchand de peignes de bois prit Compère Renard sur ses épaules.

— « Allons ! Hardi ! Hô !

— Marchand de peignes de bois, le poulailler est encore trop haut d’une toise. Pousse-moi donc par le cul. »

Le Marchand de peignes de bois prit un aiguillon sur sa petite charrette, et poussa. Mais la pointe de l’aiguillon entrait d’un pouce dans le cul de la male bête, et Compère Renard criait, à rendre sourd :

— « Aïe ! aïe ! aïe ! Pas si fort. Marchand de peignes de bois. Pas si fort.

— Compère Renard, tu m’as dit : «Pousse-moi par le cul. » Je te pousse. »

Enfin, Compère Renard se haussa jusqu’au poulailler.

— « Compère Renard, n’oublie pas ce que tu m’as juré. Tu m’as juré, par ton âme, que lorsque tu serais là-haut, tu me jetterais, pour ma peine, une paire de poules grasses.

— Tiens, Marchand de peignes de bois, voici tes deux poules grasses. Mais tu ne les mérites guère. J’ai le cul tout ensanglanté.

— Merci, Compère Renard. Et maintenant, je te souhaite bien le bonjour. Redescends de là comme tu pourras. Moi, j’ai des affaires pressées à la foire de Mirande. »

Le Marchand de peignes de bois repartit. En traversant une forêt, il trouva le Loup, qui tâchait de fendre un gros tronc de chêne.

— « Bonjour, Marchand de peignes de bois.

— Bonjour, Loup. Que fais-tu là ?

— Marchand de peignes de bois, je voudrais fendre ce gros tronc de chêne ; mais je ne puis pas. Dis-moi, toi qui es si adroit, ne pourrais-tu pas m’aider ?

— Avec plaisir, Loup. »

Le Marchand de peignes de bois prit une hache sur sa petite charrette. Du premier coup, il fendit à moitié le gros tronc de chêne.

— « Et maintenant, Loup, mets ta patte dans la fente, pour la maintenir ouverte. »

Le Loup obéit. Alors, le Marchand de peignes de bois retira sa hache, et le Loup se trouva pris par la patte.

— « Aïe ! aïe ! aïe ! Tire-moi d’ici, Marchand de peignes de bois. Tire-moi d’ici.

— Loup, je te souhaite bien le bonjour. Tire-toi d’ici comme tu pourras. Moi, j’ai des affaires pressées à la foire de Mirande. »

Le Marchand de peignes de bois repartit. Arrivé dans la ville de Mirande, il aperçut force gens, attroupés autour d’un cavalier vêtu de rouge, galonné d’or et d’argent.

— « Gens de Mirande, criait le cavalier, vous êtes avertis que le roi de France est venu prendre les eaux à Bagnères-de-Bigorre[15]. Il est venu prendre les eaux avec sa fille, une princesse belle comme le jour, et riche comme la mer. Le roi de France la donnera pour femme à l’homme qui se rendra maître de son Grand Lion. »

Aussitôt, le Marchand de peignes de bois repartit. Le lendemain, à la pointe de l’aube, il entrait dans la grande auberge où logeait le roi de France.

— « Bonjour, roi de France.

— Bonjour, Marchand de peignes de bois. Que me veux-tu ?

— Roi de France, je veux me rendre maître de votre Grand Lion. Je veux que votre fille soit ma femme.

— Valets, conduisez le Marchand de peignes de bois à l’écurie où est enfermé mon Grand Lion. »

Les valets obéirent. Dans l’écurie, le Grand Lion bondissait, les yeux hors de la tête, tirant trois pieds de langue rouge, et criant comme cinq cents Diables.

Le Marchand de peignes de bois entra, sans peur ni crainte.

— « Eh bien, Grand Lion, pourquoi tout ce tapage ? Ne me reconnais tu pas ?

— Si fait. Tu es le Marchand de peignes de bois.

— Grand Lion, je suis venu t’inviter à dîner. Compte que je te régalerai, comme ton roi lui-même n’est pas en état de le faire.

— À la bonne heure. Marchand de peignes de bois. Nous dînerons à midi sonnant. Va-t-en faire la cuisine. Mais, si tu ne me régales pas comme tu l’as dit, compte que je t’avalerai tout vif. »

Le Marchand de peignes de bois sortit, et s’en alla chez un boucher, où il acheta tout un veau. Après, il s’en alla chez un pâtissier, où il acheta un quintal de grosses dragées. Ensuite, il s’en alla chez un arquebusier, où il acheta un quintal de balles de plomb. Enfin, il s’en alla chez un forgeron, et se fit forger une pelle de fer du poids de septante livres.

Cela fait, le Marchand de peignes de bois revint à l’écurie du Grand Lion, et mit le couvert.

— « Allons, Grand Lion. Midi sonne. À table ! Tâte un peu de ce fricot. »

Le Grand Lion dévora le veau jusqu’aux os.

— « Et maintenant. Grand Lion, tâte un peu de ces grosses dragées. »

En cinq minutes, le Grand Lion avait avalé un demi quintal de grosses dragées. Alors, le Marchand de peignes de bois vida les autres à terre, mêlées au quintal de grosses balles de plomb. Le Grand Lion avala tout, sans y rien comprendre.

— « Eh bien, Grand Lion, es-tu content ?

— Marchand de peignes de bois, tu m’as régalé comme mon roi lui-même n’est pas en état de le faire. Aussi, je ne te mangerai pas tout vif. Pourtant, ces grosses dragées m’ont un peu empâté la bouche, et chargé le ventre.

— Grand Lion, ceci n’est rien. Amusons-nous. Veux-tu que je t’enseigne le jeu de tape-cul ?

— Avec plaisir. Marchand de peignes de bois. »

Alors, le Marchand de peignes de bois monta sur la table, et attacha une corde terminée par un nœud coulant, à la maîtresse-poutre de l’écurie.

— « Et maintenant. Grand Lion, monte aussi sur la table, et passe ta patte dans ce nœud coulant. Tu vas voir comme nous allons rire. »

Le Grand Lion obéit. Aussitôt, le Marchand de peignes de bois sauta par terre, et renversa la table d’un coup de pied, si bien que le Grand Lion se trouva pendu par la patte.

— « Au secours, Marchand de peignes de bois ! Au secours ! »

Mais le Marchand de peignes de bois était déjà loin. Il était dans la chambre du roi de France et de sa fille.

— « Vite, roi de France. Vite, princesse. Vite, descendez à l’écurie de votre Grand Lion. Cinq minutes ne se passeront pas, que je ne m’en sois rendu maître. »

Tandis que le roi de France et sa fille descendaient vite, vite, le Marchand de peignes de bois courait au grand galop à la cuisine de l’auberge, où, depuis deux heures, la pelle de fer du poids de septante livres, rougissait à blanc dans le foyer. En trois sauts et un pet, il était à l’écurie.

— « Grand Lion, mon ami, c’est avec ça que je vais t’enseigner le jeu de tape-cul.

— Aïe ! aïe ! aïe ! Aïe ! aïe ! aïe ! Assez ! Assez ! Tu me rôtis le cul. Marchand de peignes de bois, je te reconnais pour mon maître. »

Mais le Marchand de peignes de bois frappait toujours, avec sa pelle rougie à blanc, et toujours le Grand Lion criait :

— « Aïe ! aïe ! aïe ! Aïe ! aïe ! aie ! Assez ! Assez ! Tu me rôtis le cul. Marchand de peignes de bois, je te reconnais pour mon maître. »

Mais le Marchand de peignes de bois frappait toujours, avec sa pelle rougie à blanc, et toujours le Grand Lion criait :

— « Aïe ! aïe I aïe ! Aïe ! aïe ! aïe ! Assez ! Assez ! Tu me rôtis le cul. Marchand de peignes de bois, je te reconnais pour mon maître. »

Enfin, le Marchand de peignes de bois coupa la corde où le Grand Lion pendait par la patte. La male bête retomba par terre, à moitié morte, et le cul rôti. Alors, le Marchand de peignes de bois se retourna vers le roi de France et vers sa fille.

— « Roi de France, je me suis rendu maître de votre Grand Lion. Maintenant, il faut me donner votre fille en mariage.

— C’est juste, Marchand de peignes de bois. »

Le mariage se fit le lendemain, et la noce dura sept jours. Le huitième, dès la pointe de l’aube, le Marchand de peignes de bois attela son âne de six francs à sa petite charrette, et dit à sa femme :

— « Mie, monte ici. Surtout, prends garde à ne pas gâter mes marchandises. Et maintenant, adieu, roi de France. Je m’en reviens courir le monde.

— Adieu, ma fille. Adieu, Marchand de peignes de bois. Tenez, voici un grand sac, plein de doubles louis d’or et de quadruples d’Espagne. C’est pour vous aider à vivre. Tous les ans, à pareil jour, venez en chercher autant. »

L’âne de six francs partit au grand galop. À midi, le Marchand de peignes de bois et sa femme étaient au milieu d’une forêt.

— « Femme, arrêtons-nous sous ce grand chêne. J’ai grand faim, et je suis las.

— Avec plaisir, Marchand de peignes de bois. »

Tous deux dételèrent l’âne de six francs.

— « Va quêter ta vie, pauvre bête. »

Tandis que l’âne de six francs se flanquait une forte ventrée de chardons, le Marchand de peignes de bois et la princesse dînèrent de bon appétit, sous le grand chêne, et s’endormirent côte à côte, le mari coiffé d’un de ses bonnets de coton.

Dormez, braves gens. Dormez, tandis que je parle de Compère Renard, du Loup, et du Grand Lion.

Au risque de se rompre le cou, Compère Renard affamé avait enfin sauté du poulailler. Alors, il se mit à penser :

— « Gueux de Marchand de peignes de bois. Avec ton aiguillon, tu m’as ensanglanté tout le cul. Mais patience. Nous nous retrouverons, et je te mangerai les tripes. »

Ceci pensé. Compère Renard partit à la recherche du Marchand de peignes de bois. En traversant une forêt, il trouva le Loup, toujours la patte prise dans la fente du gros tronc de chêne.

— « Au secours, Compère Renard ! Au secours. »

Compère Renard aida le Loup à sortir d’affaire.

— Dis-moi, Loup. Qui t’avait mis dans l’état d’où je t’ai tiré ?

— Ne m’en parle pas. Compère Renard. C’est ce brigand de Marchand de peignes de bois.

— Ah ! la canaille. Regarde mon cul, Loup ; et vois comme ce gueux me l’a tout ensanglanté. Mais patience. Nous nous retrouverons, et je lui mangerai les tripes.

— Ah ! le scélérat. Regarde ma patte. Compère Renard, et vois l’état où il l’a mise. Mais patience. Nous nous retrouverons, et je lui mangerai le cœur et le foie. »

Ceci dit, tous deux partirent à la recherche du Marchand de peignes de bois. En arrivant proche de Bagnères-de-Bigorre, ils trouvèrent le Grand Lion, plongé jusqu’au cou dans l’Adour.

— « Bonjour, Grand Lion. Que fais-tu là ?

— Ce que je fais. Compère Renard ? Ce que je fais, Loup ? Je souffre mort et passion. Voilà neuf jours et neuf nuits que je baigne mon cul, rôti par ce rien qui vaille de Marchand de peignes de bois. Regarde.

— Ah ! le gueux. Regarde aussi mon cul, Grand Lion. C’est le Marchand de peignes de bois, avec son aiguillon, qui me l’a tout ensanglanté. Mais patience. Nous nous retrouverons, et je lui mangerai les tripes.

— Ah ! le scélérat, dit le Loup. Regarde ma patte, Grand Lion, et vois l’état où il l’a mise. Mais patience. Nous nous retrouverons, et je lui mangerai le cœur et le foie.

— Oui, Compère Renard. Oui, Loup. Nous nous retrouverons, et je lui mangerai la tête. »

Ceci dit, tous trois partirent à la recherche du Marchand de peignes de bois. Ils l’aperçurent, enfin, sous le grand chêne, dormant toujours, côte à côte avec la princesse.

— « Voici le Marchand de peignes de bois. Il dort. Hardi ! Compère Renard. Mange-lui les tripes. »

Compère Renard ne semblait pas fort pressé.

— « Mes amis, je me souviens de l’aiguillon.

— Voici le Marchand de peignes de bois. Hardi ! Loup. Mange-lui le cœur et le foie. »

Le Loup ne semblait pas trop pressé.

— « Mes amis, je me souviens de la hache, et du gros tronc de chêne fendu.

— Voici le Marchand de peignes de bois. Il dort. Hardi ! Grand Lion. Mange-lui la tête. »

Le Grand Lion ne semblait pas fort pressé.

— « Mes amis, je me souviens de la pelle rougie à blanc. »

Et tous trois, la queue entre les jambes, décampèrent au grand galop.

Enfin, le Marchand de peignes de bois rouvrit les yeux, toujours coiffé de son bonnet de coton.

— « Ah ! Mille Dieux ! Milliard de Dieux ! Ah ! Mille Dieux ! Milliard de Dieux ! »

À ces jurements de païen, la princesse se réveilla toute tremblante.

— « Qu’as-tu, Marchand de peignes de bois ? Qu’as-tu ?

— Ce que j’ai, milliard de Dieux ? J’ai que je suis un homme perdu. J’ai que suis un homme ruiné. Regarde, là-haut, dans les arbres, cette bande de singes, avec des bonnets de coton. Regarde. Ce sont les miens. Tout ce qu’elles voient faire aux hommes, ces males bêtes le répètent. Elles ont pillé ma marchandise, pour se coiffer comme moi. Ah ! Mille Dieux ! Milliard de Dieux ! »

Bleu de colère, le Marchand de peignes de bois arracha son bonnet de coton, et le jeta par terre. Aussitôt, tous les singes en firent autant.

— « Hi ! hi ! hi ! Ha ! ha ! ha ! Vite, ma femme. Vite, ramassons tous ces bonnets de coton. »

Un quart d’heure après, tous les bonnets de coton étaient ramassés, et le Marchand de peignes de bois repartait avec la princesse, pour aller faire son commerce. Mais bientôt il se trouva trop riche, pour travailler tant et gagner si peu. Avec ses doubles louis d’or et ses quadruples d’Espagne, il acheta cent métairies, et un beau château, où il vécut longtemps heureux, avec sa femme et ses

enfants[16].

VII

tiens bon



Il y avait, une fois, un jeune valet de meunier, plus malheureux que les pierres. Son maître le rouait de coups, le nourrissait mal, et ne lui comptait pas un sou de gages. Enfin, le valet perdit patience.

— « Adieu, maître. Je vais m’établir pour mon compte. »

En effet, le jeune homme afferma un moulin à vent ; mais il n’y fit pas ses affaires. Cette année-là, le vent ne souffla guère, et il plut à grands déluges ; si bien que le malheureux meunier, ne fut pas même en état de donner un à-compte sur le fermage.

— « Écoute, meunier, lui dit le maître du moulin. Si tu ne me paies pas demain matin, je te fais mettre en prison. »

Alors, le maître partit ; et le meunier s’assit, en pleurant, devant la porte du moulin.

— « Que faire, mon Dieu ! Que faire ? »

Au coucher du soleil, une femme passa, noire comme l’âtre, et vieille, vieille comme un chemin.

— « Meunier, pourquoi pleures-tu ?

— Certes, j’ai bien raison de pleurer. Je n’ai pas un liard en bourse. Si je ne paie pas mon fermage demain matin, le maître de ce moulin me fera mettre en prison.

— Meunier, ne pleure plus. Voici de quoi payer ton fermage pendant un an.

— Merci, brave femme. »

Le lendemain matin, le meunier paya son fermage, et demeura dans le moulin. Mais, l’année suivante, le vent ne souffla guère, et il plut encore à grands déluges, si bien que le malheureux meunier, ne fut pas même en état de donner un à-compte sur le fermage.

— « Écoute meunier, lui dit le maître du moulin, si tu ne me paies pas demain matin, je te fais mettre en prison. »

Alors, le maître partit ; et le meunier s’assit, en pleurant, devant la porte du moulin.

— « Que faire, mon Dieu ! Que faire ? »

Au coucher du soleil, repassa la femme noire comme l’âtre, et vieille, vieille comme un chemin.

— « Meunier, pourquoi pleures-tu ?

— Certes, j’ai bien raison de pleurer. Je n’ai pas un liard en bourse. Si je ne paie pas mon fermage demain matin, le maître de ce moulin me fera mettre en prison.

— Meunier, ne pleure plus. Voici de quoi payer ton fermage pendant deux ans.

— Merci, brave femme. »

Le lendemain matin, le meunier paya son fermage pour deux ans. Mais, la troisième et la quatrième année, le vent ne souffla guère, il plut encore à grand déluge, si bien que le malheureux meunier ne fut pas même en état de donner un à-compte sur le fermage.

— « Écoute, meunier, lui dit le maître du moulin. Si tu ne me paies pas demain matin, je te fais mettre en prison. »

Alors, le maître partit ; et le meunier s’assit, en pleurant, sur la porte du moulin.

Au coucher du soleil, repassa la femme noire comme l’âtre, et vieille, vieille comme un chemin.

— « Meunier, pourquoi pleures-tu ?

— Certes, j’ai bien raison de pleurer. Je n’ai pas un liard en bourse. Si je ne paie pas mon fermage demain matin, le maître de ce moulin me fera mettre en prison.

— Meunier, ne pleure plus, et va-t-en. Tiens. Voici une branche de sureau. Tâche de t’en bien servir. Chaque fois que tu voudras que deux personnes ou deux choses soient unies, crie : « Tiens bon ! », et touche-les de ta baguette. Jusqu’à ce que tu cries : « Lâche ! » ni Dieu ni Diable n’auront le pouvoir de les séparer.

— Merci, brave femme. »

Le lendemain matin, le meunier était sur la place du village, avec sa branche de sureau. En ce moment, la servante du curé rinçait le pot de chambre de son maître. Le meunier toucha la servante et le pot de chambre de sa branche de sureau.

— « Tiens bon ! »

Aussitôt, la servante du curé et le pot de chambre firent corps, si bien que ni Dieu ni Diable n’auraient eu le pouvoir de les séparer.

— « Au secours ! criait la servante. »

Alors, accourut un meunier, tenant par la bride son mulet chargé d’avoine.

— « Tiens bon ! »

Aussitôt, la servante du curé, le pot de chambre, le meunier, et le mulet chargé d’avoine, firent corps, si bien que ni Dieu ni Diable n’auraient eu le pouvoir de les séparer.

— « Au secours ! criaient la servante du curé, et le meunier. »

Alors, arriva sur la place un roulier, conduisant une grande charrette, chargée de foin, et attelée de sept chevaux. Le cheval de devant sentit l’avoine, et s’approcha du mulet.

— « Tiens bon ! »

Aussitôt, la servante du curé, le pot de chambre, le meunier, le mulet chargé d’avoine, la grande charrette chargée de foin, les sept chevaux, et le roulier, firent corps, si bien que ni Dieu ni Diable n’auraient eu le pouvoir de les séparer.

— « Au secours ! criaient la servante du curé, le meunier, et le roulier. »

Alors, le maître du moulin arriva sur la place, dans sa voiture à quatre chevaux, conduite par un cocher tout galonné d’or. Les quatre chevaux virent le foin de la grande charrette, et s’approchèrent pour en manger.

— « Tiens bon ! »

Aussitôt, la servante du curé, le pot de chambre, le meunier, le mulet chargé d’avoine, la grande charrette chargée de foin, les sept chevaux, le roulier, le maître du moulin, la voiture à quatre chevaux, le cocher tout galonné d’or, firent corps, si bien que ni Dieu ni Diable n’auraient eu le pouvoir de les séparer.

— « Au secours ! Au secours ! »

Mais les gens du village s’étaient enfuis épouvantés. Jusqu’au coucher du soleil, le meunier à la branche de sureau se fit du bon sang, à regarder son ouvrage. Enfin, il prit pitié de ces gens et de ces bêtes.

— « Maître, dit-il au propriétaire du moulin, vous allez payer pour tous. Que me donnez-vous si je vous délivre ?

— Meunier, je te donne mon moulin à vent réparé à neuf, et trois beaux mulets.

— C’est dit. « Lâche ! »

Aussitôt, le maître du moulin, dans sa voiture à quatre chevaux, conduite par un cocher tout galonné d’or, lâche la grande charrette chargée de foin, les sept chevaux, et le roulier.

La grande charrette chargée de foin, les sept chevaux, et le roulier, lâchent le meunier, et le mulet chargé d’avoine.

Le meunier, et le mulet chargé d’avoine, lâchent la servante du curé, et le pot de chambre.

La servante du curé lâche le pot de chambre[17].

VIII

jeannille



Il y avait, une fois, un jeune tisserand, appelé Jeannille, fin et avisé comme pas un. Jeannille vivait seul, avec sa mère, une vieille veuve, qui avait aussi bonne tête que son fils. Lui, n’était pas glorieux d’en savoir plus que ses voisins. Pourtant, il se mettait en colère, quand il leur voyait faire quelque sottise ; et il aurait voulu que chacun fût en état de raisonner aussi bien que lui.

Sa mère lui disait souvent :

— « Jeannille, prends garde. Ce monde-ci est un grand monde. Il y a longtemps que les sots y sont les maîtres ; et je ne pense pas que ceci finisse demain. Jamais tu ne compteras toutes les herbes qui croissent dans les prés. Jamais tu ne boiras toute l’eau de la rivière de Baïse[18]. Tâche de vivre avec les vivants ; et ne t’expose pas à demeurer seul. »

Jeannille ne répondait rien ; mais il ne se corrigeait pas de ses colères. Il ne voulait pas comprendre que le plus méchant sera toujours le grand maître, ni que les sots seront toujours les plus nombreux.

Un jour, la veuve mourut. Alors, Jeannille pensa :

— « Je n’ai plus ma mère. C’est un grand malheur pour moi. Pourtant, je ne peux pas vivre tout seul. Il faut que je me marie. »

Le temps de son deuil fini, Jeannille se maria, et fit une belle noce. Le lendemain, il dit à sa femme :

— « Femme, j’ai soif. Il n’y a plus une goutte de vin à la maison. Va puiser de l’eau à la fontaine. »

La femme prit sa cruche, et partit. Une heure après, elle n’était pas encore revenue.

— « Belle-mère, dit Jeannille, allez donc voir ce que peut faire votre fille. Il faut que je demeure ici. Pourtant, je crève de soif. »

La belle-mère partit, et trouva sa fille au bord de la fontaine, avec sa cruche vide à côté.

— « Mère, vous arrivez bien à propos. Maintenant que je suis mariée, le Bon Dieu me doit un enfant. Par malheur, il n’y a pas de berceau chez nous. Ceci me donne à penser.

— Nous avions le tien, ma fille ; mais il est pourri depuis longtemps. Ce berceau était un présent de ta pauvre tante ma sœur. Jamais on n’a vu le pareil. Pourtant, il avait coûté bien bon marché. »

La mère s’assit à côté de sa fille ; et toutes deux se mirent à bavarder, comme des pies, à propos du berceau. Une heure après, elles n’étaient pas encore revenues.

— « Beau-père, dit Jeannille, allez donc voir ce que peuvent faire ma femme et la vôtre. Il faut que je demeure ici. Pourtant, je crève de soif. »

Le beau-père partit, et trouva sa fille et sa femme, qui devisaient au bord de la fontaine, avec la cruche vide à côté.

— « Père, vous arrivez bien à propos. Il me faut un berceau, pour le fils que le Bon Dieu me doit. Nous devisions de cela, moi et ma mère.

— Je vois, dit le père, que vous êtes en dispute ; mais j’ai le moyen de vous accorder. Il n’est pas vrai que le berceau que nous avions fût un présent de la pauvre sœur de ma femme. Ce fut moi qui le tressai. Quand notre fille fut grande, je voulais le troquer contre un dindon.

— Mon homme, tu ne sais pas ce que tu dis.

— Femme, je le sais mieux que toi. Je vais t’en donner la preuve. »

L’homme s’assit entre sa femme et sa fille, et ils continuèrent à bavarder comme des pies, à propos du berceau. Une heure après, ils n’étaient pas encore revenus. Alors, Jeannille pensa :

— « Mon travail est ici ; mais je crève de soif. Il faut aussi que je sache ce que sont devenus ma femme, ma belle-mère, et mon beau-père. »

Un moment après, il était au bord de la fontaine, où les trois imbéciles bavardaient toujours comme des pies, à propos du berceau. Alors, Jeannille entra dans une colère bleue.

— « Voici trois imbéciles, qui se chamaillent à propos d’un berceau, et l’enfant qui doit y dormir est encore à naître. En attendant, je crève de soif, et je travaille comme un galérien. Jamais je ne pourrai vivre avec de pareilles gens. Mieux vaut quitter le pays. »

Jeannille partit aussitôt. Une heure après, en traversant un grand bois, il vit une femme qui rossait son porc, à coups de gaule.

— « Porc ! Méchant porc ! Imbécile de porc ! Je t’enseignerai ton métier. »

Et toujours elle rossait la pauvre bête, à coups de gaule.

— « Femme, pourquoi rossez-vous ainsi votre porc ?

— Pourquoi je le rosse ? Pourquoi je le rosse ? Figurez-vous que cet animal a si peu de sens, qu’il se couche sous les chênes, pour attendre que les glands tombent, au lieu de monter les cueillir parmi les branches. Allons ! méchant porc, monte vite. Pan ! pan !

— Femme, les porcs ne sont pas nés pour monter aux chênes. Prêtez-moi votre gaule, et vous allez voir. »

En quelques coups de gaule, Jeannille fit tomber un quartaut de glands, que le porc avala jusqu’au dernier.

— « Adieu, femme. Profitez de la leçon.

— Merci, mon ami. »

Jeannille repartit. Une heure après, le ciel se couvrit de nuages noirs. L’orage n’était pas loin. Sur la porte de sa maison, une femme, tenant une fourche, tâchait de jeter dedans une grande pile de noix vertes.

— « Femme, que faites-vous là ?

— Ce que je fais ? Vous le voyez bien. J’avais mis ces noix vertes à sécher au soleil ; et je tâche de les jeter dans la maison, par crainte de l’orage. Mais ma gueuse fourche ne veut pas faire de bon travail.

— Femme, laissez là votre fourche. Apportez-moi une pelle. »

La femme apporta une pelle. Un quart-d’heure après, Jeannille avait mis toutes les noix vertes à l’abri. Il attendit la fin de l’orage.

— « Adieu, femme. Profitez de la leçon.

— Merci, mon ami. »

Jeannille repartit. Une heure après, il arriva devant une maison, où un garçon criait comme un aigle à son vieux père paralysé :

— « Imbécile ! Vous ne saurez donc jamais enfiler votre culotte. Voilà plus de cent fois que vous manquez la manœuvre. Recommencez. Remontez sur la table. Vous le voyez, je tiens la culotte. Allons ! Hardi ! Sautez dedans, et enfilez les deux jambes à la fois. »

Le pauvre vieux paralysé roula par terre, sans enfiler sa culotte. Alors, Jeannille entra dans la maison.

— « Jeune homme, tu ne sais pas t’y prendre. Tiens, voici comment on enfile une culotte. Une jambe d’abord, et l’autre après. C’est fait. Adieu. Profite de la leçon.

— Merci, mon ami. »

Jeannille repartit. Mais, au bout de cent pas, il s’assit au pied d’un arbre, et se mit à penser :

— « Voici juste quatre heures que je chemine ; et j’ai déjà vu trois personnes encore plus bêtes que ma femme, ma belle-mère, et mon beau-père. J’ai vu une femme qui voulait faire monter son porc à un chêne. J’en ai vu une autre qui tâchait, avec une fourche, de jeter dans sa maison une grande pile de noix vertes. J’ai vu un jeune homme qui voulait faire sauter dans sa culotte son vieux père paralysé. En vérité, ma pauvre mère avait bien raison de dire : « Ce monde-ci est un grand monde. Il y a longtemps que les sots y sont les maîtres ; et je ne pense pas que ceci finisse demain. Jamais tu ne compteras toutes les herbes qui croissent dans les prés. Jamais tu ne boiras toute l’eau de la rivière de la Baïse. Tâche de vivre avec les vivants, et ne t’expose pas à demeurer seul. »

Cela pensé, Jeannille retourna dans sa maison[19].

IX

grain-de-millet



Il y avait, une fois, à Lacouture[20], un métayer et une métayère, mariés depuis sept ans. Pourtant, ils n’avaient pas encore d’enfant.

Un jour, la métayère songeait, en pétrissant dans le fournil :

— « Ah ! quand donc aurai-je un fils ?

— Mère, vous en avez un.

— Où es-tu, mon fils ? Je t’entends ; mais je ne te vois pas.

— Mère, je suis trop petit pour être vu. C’est pourquoi vous m’appellerez Grain-de-Millet.

— Grain-de-Millet, veux-tu téter ?

— Merci, mère. Je suis né tout formé, tout vêtu, tout armé. J’en sais plus que les hommes de quarante ans. Commandez, mère. Tout ce que vous direz sera fait.

— Grain-de-Millet, chasse les poules du fournil. »

Grain-de-Millet chassa les poules du fournil. Sa mère l’entendait crier : « Psch ! psch ! psch[21] ! » Mais elle ne le voyait pas.

— « Mère, maintenant que les poules sont chassées, je veux aller trouver mon père.

— Grain-de-Millet, sais-tu où il est ?

— Oui, mère. Il laboure, là-bas, là-bas, avec notre paire de bœufs. Je veux lui porter son goûter.

— Grain-de-Millet, tu ne pourras pas.

— Mère, remplissez le panier. Le reste me regarde. »

Grain-de-Millet partit, emportant le panier.

— « Père, tenez. Voici votre goûter.

— Qui est là ? J’entends parler ; mais je ne vois personne.

— Père, je suis Grain-de-Millet. Je suis votre fils, né depuis une heure. Père, je suis trop petit pour être vu. C’est pourquoi vous m’appellerez Grain-de-Millet. Tenez, voici votre goûter. Où faut-il que je le pose ?

— Grain-de-Millet, pose-le sous cet arbre.

— Père, c’est fait. Goûtez, Je labourerai pour vous.

— Grain-de-Millet, tu ne pourras pas.

— Père, fiez-vous à moi. »

Tandis que son père goûtait, Grain-de-Millet se hissa jusqu’à la pointe de la corne droite du bœuf Caubet[22]. Et le voilà parti.

— « Ha ! Lauret. Ha ! Caubet[23]. »

Jamais bouvier n’avait labouré de telle façon.

En ce moment, l’évêque de Lectoure passait, revenant de Fleurance[24], dans une superbe voiture. Il s’étonna fort de voir une paire de bœufs labourer seule, et d’entendre des cris de bouvier, sans voir celui qui criait.

— « Métayer, dit-il à l’homme qui goûtait, métayer, qu’est donc ceci ?

— Monseigneur, c’est mon fils Grain-de-Millet, qui laboure à ma place.

— Métayer, je l’entends ; mais je ne le vois pas.

— Monseigneur, mon fils est trop petit pour être vu. C’est pourquoi il s’appelle Grain-de-Millet.

— Métayer, je veux ton fils pour cocher. Vends-le-moi. Je t’en donne mille pistoles.

— Monseigneur, excusez-moi. Grain-de-Millet n’est pas à vendre. »

La voiture de l’évêque de Lectoure repartit. Quand elle fut loin, Grain-de-Millet dit à son père :

— « Père, pourquoi ne m’avez-vous pas vendu, pour mille pistoles, à l’évêque de Lectoure ?

— Grain-de-Millet, je tiens à toi.

— Père, vendez-moi. Je saurai bien m’en retourner à la maison.

— Grain-de-Millet, ce que je n’ai pas fait aujourd’hui peut se faire une autre fois.

— Père, retournez à la maison. Bientôt, le champ sera labouré. Fiez-vous à moi, pour ramener les bœufs à l’étable, et pour les panser. »

Ce qui fut dit fut fait. Le champ labouré, Grain-de-Millet ramena ses bœufs à l’étable. Mais, en pansant son bétail, il tomba dans le fourrage, et fut avalé par Caubet.

Inquiets de ne plus entendre leur fils, le métayer et la métayère entrèrent dans l’étable, en criant :

— « Grain-de-Millet ! Grain-de-Millet !

— Je suis dans le ventre de Caubet[25].

— Grain-de-Millet ! Grain-de-Millet !

— Je suis dans le ventre de Caubet.

— Grain-de-Millet ! Grain-de-Millet !

— Je suis dans le ventre de Caubet ! »

Alors, le père alla chercher un grand coutelas, saigna Caubet, l’éventra, et jeta les tripes dehors.

— « Grain-de-Millet ! Grain-de-Millet ! »

Pas de réponse.

— « Grain-de-Millet ! Grain-de-Millet ! »

Pas de réponse.

— « Grain-de-Millet ! Grain-de-Millet ! »

Pas de réponse.

— « Quel malheur ! Grain-de-Millet est mort. »

Le métayer et la métayère allèrent se coucher bien tristement.

Mais Grain-de-Millet n’était pas mort. Il était évanoui dans les tripes de Caubet, et empêtré à ne pouvoir répondre. Quand il revint à lui, les étoiles marquaient minuit. En ce moment, les loups, attirés par l’odeur des tripes, accouraient du bois du Ramier. Le temps de dire Amen, Grain-de-Millet était passé, avec les tripes de Caubet, dans le ventre d’un loup, et partait, emporté vers le Rieutort[26].

Depuis qu’il avait ce petit homme dans son ventre, le loup souffrait terriblement de la colique.

Au Rieutort, la maie bête avala tant et tant d’eau, qu’elle se débonda tout à coup. Cela fait, elle repartit, comme si le Diable l’emportait.

À force de se démener, Grain-de-Millet finit par se tirer d’affaire, et courut se débarbouiller au Rieutort. Certes, ce n’était pas sans besoin.

Tout en se débarbouillant, il aperçut un homme haut de six pieds, noir et barbu. L’homme semblait impatient, et regardait les étoiles. Quand elles marquèrent une heure de la nuit, il imita le cri du hibou :

— « Tchot ! tchot ! tchot ! »

D’autres cris lui répondirent :

— « Tchot ! tchot ! tchot ! »

C’étaient des voleurs de bétail, qui revenaient de faire leurs mauvais coups chez les moines de Bouillas[27], chez le comte de Lamothe-Goas[28], chez l’évêque de Lectoure[29], et à la métairie de Lacouture. Ces gueux ramenaient à leur capitaine je ne sais combien de juments, de poulains, de veaux, de bœufs, et de vaches.

— « Allons, camarades, vous n’avez pas perdu votre nuit. Vite, partons pour la foire. Avec l’argent de ce bétail à vendre, nous aurons de quoi faire longtemps bonne chère, et jouer aux cartes. »

Ce qui fut dit fut fait. Mais le capitaine des voleurs ne se doutait pas qu’il emportait à la foire Grain-de-Millet, qui s’était hissé jusque dans sa poche.

Le bétail vendu, le capitaine dit :

— « Camarades, allons riboter à l’auberge. »

À force de riboter, tous finirent par tomber ivres-morts sous la table. Alors, Grain-de-Millet fouilla le capitaine des voleurs, et partit au grand galop pour la métairie de Lacouture.

— « Bonjour, père. Bonjour, mère. Tenez. Voici cent fois plus qu’il ne faut, pour remplacer notre Caubet éventré, et pour renouveler le reste de notre bétail, volé la nuit passée. »

C’était vrai. La bourse du capitaine des voleurs contenait je ne sais combien de doubles louis d’or, et de quadruples d’Espagne.

— « Et maintenant, père, apportez une fiole. »

Ce qui fut dit fut fait. Grain-de-Millet entra dans la fiole.

— « Et maintenant, père, prenez cette fiole, et allez me vendre trois mille pistoles à l’évêque de Lectoure. »

Le père prit la fiole, et s’en alla trouver l’évêque de Lectoure.

— « Bonjour, Monseigneur. J’ai changé d’avis. Si vous voulez toujours Grain-de-Millet pour cocher, comptez-moi mille pistoles. »

Sans marchander, l’évêque de Lectoure paya comptant, et le père s’en revint à Lacouture.

Pendant toute une semaine, Grain-de-Millet montra ce dont il était capable. Jamais les chevaux de l’évêque de Lectoure n’avaient été si bien pansés, étrillés, harnachés. Jamais sa voiture n’avait été si propre, si bien attelée. Jamais, au grand jamais, cocher n’avait conduit comme Grain-de-Millet.

L’évêque de Lectoure était bien content. Mais il y a une fin à tout.

Le matin du huitième jour, Grain-de-Millet criait, dans l’écurie, comme un homme écorché vif :

— « Aie ! aie ! aie ! Je suis mort. Aie ! aie ! aie ! Je suis mort.

— Qu’as-tu, Grain-de-Millet ? Qu’as-tu ?

— Aie ! aie ! aie ! Je suis mort. Un cheval m’a broyé sous son pied. Aie ! aie ! aie ! Je suis mort.

— Montre-toi, Grain-de-Millet. Montre-toi, tandis qu’on va chercher le chirurgien. »

Mais Grain-de-Millet ne se montrait pas, et ne criait plus. Alors, l’évêque de Lectoure pensa :

— « Grain-de-Millet est mort. J’ai payé cher ses bons services d’une semaine. »

Mais Grain-de-Millet n’était pas mort. Il arrivait au seuil de la métairie de Lacouture.

— « Bonjour, père. Bonjour, mère. Maintenant, quittons le pays. Nous avons de quoi faire travailler les autres pour nous. Allons, comme les

nobles, vivre heureux et riches dans un château[30]. »

X

la flûte de courtebotte



Il y avait, une fois, un homme et une femme, mariés depuis quinze ans. Pourtant, ils n’avaient pas encore d’enfant. Vingt fois par jour, l’homme et la femme répétaient :

— « Bon Dieu, donnez-nous un fils, rien qu’un fils, ne fût-il pas plus haut qu’une botte. »

Le Bon Dieu finit par leur donner ce qu’ils demandaient. Après quinze ans et neuf mois, la femme accoucha d’un enfant, long de deux empans, et qui ne devait plus grandir d’une ligne. C’est pourquoi ses parents l’appelèrent Courtebotte.

À l’âge d’entrer en condition, Courtebotte était fin et avisé plus que personne. Mais pas un maître ne voulait s’embarrasser de ce nain. Enfin, Courtebotte trouva une place de vacher, chez un métayer, méchant comme le Diable, et avare comme un juif. Mauvais pain, mauvaise soupe, lit de paille, force coups, et pas de gages, tel était le sort du pauvre valet.

Mais le nain avait bon espoir, et pensait :

— « Patience ! Après la pluie, le soleil. »

Un jour, Courtebotte gardait ses vaches, dans un pré, couché sous un saule, au bord du Gers. De l’autre côté de la rivière, il aperçut une femme haute à peine d’un empan, noire comme l’âtre, et vieille, vieille comme un chemin.

— « Vacher, cria la petite vieille, viens me passer de l’autre côté du Gers.

— Brave femme, avec plaisir. »

Courtebotte ôta ses habits. Par bonheur, c’était après la moisson. Les eaux étaient si basses, si basses, que le nain n’en avait pas jusqu’à la ceinture.

— « Brave femme, vous voilà passée.

— Merci, vacher. Ton service te sera payé. Prends cette flûte, et ne t’en sépare ni nuit ni jour. Chaque fois que tu l’emboucheras, les bêtes et les gens qui l’entendront seront forcés d’entrer en danse, jusqu’à ce qu’il te plaise de ne plus souffler.

— Brave femme, merci. »

La petite vieille partit.

Alors, Courtebotte emboucha sa flûte. Aussitôt, les bœufs, les vaches, les veaux, furent forcés d’entrer en danse, jusqu’à ce qu’il plût au nain de ne plus souffler.

Un moment après, passa, proche d’un hallier de ronces et d’épines noires, le juge de paix, un homme colère et méchant comme cent Diables de l’enfer. Courtebotte ôta son béret.

— « Bonjour, Monsieur le juge de paix. »

Le juge de paix passait sans répondre, ni même toucher son chapeau.

— « Monsieur le juge de paix, je vous salue honnêtement. Vous pourriez faire de même. »

Le juge de paix leva son bâton.

Alors, Courtebotte emboucha sa flûte. Aussitôt, le juge de paix se trouva forcé d’entrer en danse. Il dansa, dansa, dans le plus fourré du hallier de ronces et d’épines noires, qui lui déchiraient les habits et la chair. Il dansa, dansa, jusqu’à ce qu’il plût au nain de ne plus souffler.

Courtebotte et son bétail retournèrent à la métairie. Ce jour-là, le maître et sa famille faisaient ripaille : garbure, cuisses d’oies[31], dindon rôti, fromage, et bon vin.

— « Maître, un peu de ces bonnes choses, s’il vous plaît.

— Au large ! gourmand. Les croûtons moisis sont trop bons pour toi. Au large, ou gare les coups. »

Alors, Courtebotte emboucha sa flûte. Aussitôt, le métayer et les siens se trouvèrent forcés d’entrer en danse. Ils dansaient, dansaient, parmi les bancs et les chaises renversés, parmi les plats, les assiettes, et les bouteilles brisées, qui leur mettaient les pieds en sang. Ils dansèrent, dansèrent, jusqu’à ce qu’il plût au nain de ne plus souffler.

Cela fait, Courtebotte retourna chez ses parents, tandis que le juge de paix et le métayer allaient le dénoncer à la justice.

Trois jours après, le vacher était condamné à être pendu ; car on pendait de l’ancien temps, au lieu de guillotiner, comme à présent.

Tandis que les juges rouges, le prêtre, le bourreau, et ses valets, le menaient à la potence, Courtebotte crevait de rire, en regardant, parmi le peuple, le juge de paix et le métayer.

Le bourreau passa la corde au cou du condamné.

Alors, Courtebotte emboucha sa flûte. Aussitôt, juges rouges, prêtre, bourreau, valets, se trouvèrent forcés d’entrer en danse. Ils dansaient, dansaient, aussi haut que la potence, au risque de se rompre bras et jambes, chaque fois qu’ils retombaient à terre. Ils dansèrent, dansèrent, jusqu’à ce qu’il plût au nain de ne plus souffler.

— « Eh bien, braves gens, voulez-vous toujours me pendre ?

— Non, Courtebotte. Pars tranquille. Il ne te sera rien fait.

— Braves gens, ce n’est pas assez. J’entends que le juge de paix et mon maître soient pendus sans rémission.

— Courtebotte, la chose passe notre pouvoir. »

Alors, Courtebotte emboucha sa flûte. Aussitôt, juges rouges, prêtre, bourreau, valets, se trouvèrent forcés d’entrer en danse. Ils dansaient, dansaient, aussi haut que la potence, au risque de se rompre bras et jambes, chaque fois qu’ils retombaient à terre. Ils dansèrent, dansèrent, jusqu’à ce qu’il plût au nain de ne plus souffler.

— « Braves gens, j’entends que le juge de paix et mon maître soient pendus sans rémission. La chose passe-t-elle toujours votre pouvoir ?

— Non, Courtebotte. — Bourreau, fais ton métier. »

Le bourreau et ses valets pendirent le juge de paix et le métayer.

— « Et maintenant, braves gens, vous allez me compter chacun mille pistoles, pour le tort que vous m’avez fait.

— Courtebotte, la chose passe nos moyens. »

Alors, Courtebotte emboucha sa flûte. Aussitôt, juges rouges, prêtre, bourreau, valets, se trouvèrent forcés d’entrer en danse. Ils dansaient, dansaient, aussi haut que la potence, au risque de se rompre bras et jambes, chaque fois qu’ils retombaient à terre. Ils dansèrent, dansèrent, jusqu’à ce qu’il plût au nain de ne plus souffler.

— « Braves gens, vous allez me compter chacun cent pistoles, pour le tort que vous m’avez fait. La chose passe-t-elle toujours vos moyens ?

— Non, Courtebotte. Mais nous n’avons pas l’argent chez nous.

— Mandez-le quérir. Sinon, gare la flûte ! »

Ce qui fut dit fut fait. Courtebotte, chargé d’or, retourna chez ses parents, et vécut longtemps

heureux[32].

XI

la besace



Il y avait, une fois, une veuve et son fils, qui travaillaient jour et nuit, pour mal gagner leur pauvre vie.

— « Mère, dit un jour le garçon, tout ceci ne peut plus durer. Vous êtes vieille. Gardez la maisonnette. Moi, j’ai vingt-et-un ans sonnés. Je veux aller courir le monde, et chercher fortune. Si jamais je suis riche, comptez que rien ne vous manquera.

— Mon fils, fais à ta volonté. Tiens, voici un bon bâton d’épine noire, en cas de mauvaises rencontres. Voilà une besace, où tu trouveras trois petits pains, et une gourde pleine de vin. Pars, pauvret, et que le Bon Dieu t’accompagne. »

Le garçon salua sa mère, et partit.

Pendant trois heures, il marcha droit, toujours tout droit devant soi. Alors, il rencontra un pauvre vieux estropié.

— « La charité, mon ami, pour l’amour de Dieu. »

Le jeune homme fouilla dans sa besace.

— « Tiens, pauvre. Mange ce petit pain. Bois un coup à ma gourde.

— Merci, mon ami. »

Le jeune homme salua, et repartit.

Pendant trois heures, il marcha droit, toujours tout droit devant soi. Alors, il rencontra un autre pauvre vieux estropié.

— « La charité, mon ami, pour l’amour de la sainte Vierge Marie. »

Le jeune homme fouilla dans sa besace.

— « Tiens, pauvre. Mange ce petit pain. Bois un coup à ma gourde.

— Merci, mon ami. »

Le jeune homme salua, et repartit.

Pendant trois heures, il marcha droit, toujours tout droit devant soi. Alors, il rencontra un autre pauvre vieux estropié.

— « La charité, mon ami, pour l’amour de l’apôtre saint Pierre. »

Le jeune homme fouilla dans sa besace.

— « Tiens, pauvre. Mange ce petit pain. Bois un coup à ma gourde.

— Merci, mon ami. »

Le jeune homme saluait pour repartir, quand le pauvre vieux estropié parla.

— « Mon ami, tu m’as assisté trois fois en un jour. Tu m’as assisté pour l’amour de Dieu. Tu m’as assisté pour l’amour de la sainte Vierge Marie. Tu m’as assisté pour l’amour de l’apôtre saint Pierre. Mon ami, tes trois charités te seront payées. Écoute. C’est moi qui suis l’apôtre saint Pierre, le portier du paradis. J’ai grand pouvoir au ciel et sur terre, et je vais t’en donner la preuve. Donne-moi ta besace à bénir. »

Le jeune homme obéit.

— « Voilà qui est fait. Et maintenant, mon ami, quoi que tu souhaites, tu l’auras. Dis seulement : « Saute dans ma besace. » Aussitôt, la personne ou chose souhaitées y sauteront, pour n’en sortir qu’à ta volonté. Adieu, mon ami. Je t’ai payé. Tâche de faire bon usage de mon présent. »

Le jeune homme salua saint Pierre, et repartit.

Pendant trois heures, il marcha droit, toujours tout droit devant soi.

Au coucher du soleil, il arriva dans une grande ville, sur le seuil d’une bonne auberge. Dans la salle commune, les servantes mettaient le couvert, et chargeaient la table d’assiettes, de pain, de bouteilles. Sur les fourneaux de la cuisine, les casseroles marchaient bon train. Au foyer rôtissait un gros dindon, gras comme un moine. Enfin, une bonne odeur de fricot, à ressusciter un mort.

Le jeune homme crevait de faim.

— « Un morceau de pain, aubergiste, pour l’amour de Dieu, de la sainte Vierge Marie, et de l’apôtre saint Pierre.

— Passe ton chemin, pauvre. Passe vite, ou gare aux chiens ! »

Le jeune homme se mit à rire.

— « Bon dîner, saute dans ma besace. »

Le pain, les bouteilles, la viande, sautèrent dans la besace, au premier commandement.

Alors, le jeune homme alla s’asseoir au bord de l’eau, sous l’arche d’un pont. Là, il mangea à sa faim, et but à sa soif. Cela fait, il donna le reste de son souper à de pauvres lavandières, s’allongea par terre, et ronfla comme un bienheureux.

Le lendemain, il repartait, à la pointe de l’aube.

Pendant trois heures, il marcha droit, toujours tout droit devant soi. Alors, il s’arrêta devant la boutique d’un forgeron, qui battait le fer sur son enclume, avec un marteau du poids de cent quintaux.

— « Un morceau de pain, forgeron, pour l’amour de Dieu, de la sainte Vierge Marie, et de l’apôtre saint Pierre.

— Avec plaisir, pauvre. Attends un peu. Ma femme va tremper la soupe. Nous la mangerons ensemble. »

Tandis que la femme trempait la soupe, le jeune homme et le forgeron devisaient.

— « Forgeron, quel est ce beau château, là-bas, là-bas, sur cette haute montagne ?

— Pauvre, c’est le château de la Mère du Diable. La Mère est encore pire que le fils. Force gens sont entrés dans son beau château ; nul n’en est jamais revenu. Pauvre, pour le bien que je te souhaite, tâche de ne pas faire comme eux. »

La soupe avalée, le jeune homme salua le forgeron et sa femme, et repartit.

Pendant trois heures, il marcha droit, toujours tout droit devant lui. Alors, il frappa, sans peur ni crainte, à la porte du beau château de la Mère du Diable.

— « Pan ! pan ! »

La Mère du Diable parut, haute de sept toises, vieille comme un chemin, laide, laide comme le péché.

— « Un morceau de pain, Mère du Diable, pour l’amour de Dieu, de la sainte Vierge Marie, et de l’apôtre saint Pierre. »

La Mère du Diable avançait, la gueule ouverte.

Le jeune homme se mit à rire.

— « Mère du Diable, saute dans ma besace. »

La Mère du Diable sauta dans la besace, au premier commandement. Alors, le jeune homme retourna chez le forgeron, et posa la besace sur l’enclume.

— « Forgeron, passe-moi ton marteau du poids de cent quintaux. Prends le pareil, et frappons fort et ferme là-dessus.

— Pauvre, je n’ai rien à te refuser. Hardi ! Hô ! »

La Mère du Diable criait, à se faire entendre de cent lieues :

— « Aie ! aie ! aie ! Vous me brisez les os. Aie ! aie ! aie ! »

Les deux hommes frappaient toujours fort et ferme.

— « Hardi ! Hô ! »

Mais il est dit que la Mère du Diable ne mourra jamais. Pourtant, elle est née pour souffrir, comme les chrétiens. Sous les deux marteaux du poids de cent quintaux, elle criait toujours, à se faire entendre de cent lieues :

— « Aie ! aie ! aie ! Vous me brisez les os. Aie ! aie ! aie ! »

Quand la gueuse eut assez souffert, le jeune homme ouvrit la besace. La Mère du Diable décampa, pour ne revenir jamais, jamais.

Alors, le fils de la veuve se rendit seigneur et maître dans le beau château de la Mère du Diable. Cela fait, il retourna chez le forgeron.

— « Forgeron, tu m’as fait service. Voici pour toi mille pistoles. Voilà de plus mille quadruples, que tu vas porter à ma mère. Souhaite-lui bien le bonjour de ma part. Surtout, recommande-lui de ne se laisser manquer de rien. Moi, j’ai des affaires ailleurs. Je suis riche comme la mer. Il s’en va temps de me marier. »

Le forgeron partit, et le jeune homme retourna, pour y vivre en seigneur, dans le beau château de la Mère du Diable. Maintenant qu’il était riche comme la mer, il ne songeait qu’à se marier. Il courait les foires et les fêtes patronales, vêtu d’habits superbes, mais ne quittant sa besace ni nuit, ni jour. À force de courir, il rencontra la fille d’un comte, une demoiselle belle comme le jour, et honnête comme l’or. Aussitôt, le jeune homme en devint amoureux fou.

— « Bonjour, belle demoiselle. Je suis jeune, fort et hardi. Je suis riche comme la mer. Voulez-vous être ma femme ?

— Mon ami, je t’épouserais de bon cœur, si tu n’allais pas, comme les pauvres, la besace sur le dos.

— Belle demoiselle, tout par amitié, rien par force. Mais ne vous moquez pas de ma besace. Par sa vertu, si le cœur m’en disait, je pourrais vous forcer à faire en tout ma volonté. »

La belle demoiselle se mit à rire.

— « Mon ami, prouve-moi que tu dis vrai.

— Belle demoiselle, saute dans ma besace. »

La belle demoiselle sauta dans la besace, au premier commandement.

— « Mon ami, tu as dit vrai. Délivre-moi, je t’en prie.

— Belle demoiselle, je vous délivrerai, quand vous m’aurez juré d’être ma femme.

— Mon ami, je te le jure. Mais mon père n’y consentira jamais, jamais.

— Belle demoiselle, ceci me regarde. »

Le jeune homme délivra donc la belle demoiselle, et s’en alla trouver son père.

— « Bonjour, comte. Votre fille m’a promis d’être ma femme. Voulez-vous me la donner ?

— Insolent, ma fille n’est pas pour toi, qui t’en vas, comme un pauvre, la besace sur le dos.

— Comte, saute dans ma besace. »

Le comte sauta dans la besace, au premier commandement.

— « Grâce, mon ami ! Grâce ! Délivre-moi vite. Je te donne ma fille pour femme. »

Le jeune homme délivra le comte. Trois jours après, il épousait la belle demoiselle. Tous deux et leurs douze enfants vécurent longtemps, heureux et riches, dans le beau château de la Mère du Diable. La femme faisait de larges aumônes ; et le mari payait au grand prix tout ce dont il avait besoin. Mais, quand on ne voulait lui vendre une chose ni pour argent, ni pour or, le marché était bientôt fait.

— « Saute dans ma besace. »

La chose souhaitée sautait, au premier commandement, dans la besace, dont le maître payait la chose au grand prix, et tout était dit.

Vraiment, cela n’était pas bien.

Le seigneur du beau château de la Mère du Diable allait souvent à la pêche. Pour faire de grandes prises, il n’avait qu’à dire :

— « Poissons, sautez dans ma besace. »

Les poissons sautaient dans la besace, au premier commandement.

Mais, un jour, le pécheur tomba dans la rivière, et s’y noya. Aussitôt, il s’en alla frapper, sans peur ni crainte, à la grande porte du paradis.

— « Pan ! pan !

— Qui est là ? cria saint Pierre.

— Ami. L’homme à la besace. Vite, saint Pierre, ouvrez-moi la porte.

— Ah ! c’est toi, canaille. Au large ! Je t’avais commandé de faire bon usage de mon présent. Tu t’en es servi pour forcer des gens à te laisser, au grand prix, des choses qu’ils ne voulaient te vendre ni pour argent, ni pour or. Au large, bandit ! Tu n’entreras pas en paradis. »

Ainsi parlait saint Pierre. Mais le mort ne faisait qu’en rire.

— « Ta ta ta ta. Saint Pierre, ouvrez-moi vite la porte. »

Saint Pierre ne prit même plus la peine de lui répondre.

Alors, le mort appliqua l’ouverture de sa besace sur le trou de la serrure de la grande porte du paradis.

— « Saint Pierre, saute dans ma besace. »

Saint Pierre passa par le trou de la serrure, et sauta dans la besace, au premier commandement.

— « Là. Bien. Et maintenant, saint Pierre, si je n’entre pas en paradis, vous avez fini d’y retourner. »

Mais saint Pierre ne voulait pas se soumettre, et criait comme un aigle, dans la besace :

— « Ah ! gueux. Ah ! bandit. »

À ce tapage, le Bon Dieu vint jusqu’à la porte.

— « Tais-toi, criard. Tu m’assourdis.

— Bon Dieu, c’est moi. C’est moi, saint Pierre. Bon Dieu, le gueux que voici me tient prisonnier dans sa besace, et je n’en sortirai pas contre sa volonté. Mais c’est égal. Je ne veux pas me soumettre, car ce rien-qui-vaille ne mérite pas d’entrer en paradis.

— Saint Pierre, une fois n’est pas coutume. D’ailleurs, j’ai besoin de mon portier. Vite, vite, entrez

tous deux, et que tout ce tapage soit fini[33]. »

XII

petiton



Il y avait, une fois, une veuve, qui vivait fort à son aise avec Petiton, son fils unique. Petiton dépassait déjà les vingt ans. On a vu souvent des garçons plus bêtes que lui. Mais il était si confiant, si confiant, qu’on l’avait dupé plus de cent fois, sans qu’il se fût corrigé.

— « Mon ami, lui dit un jour sa mère, c’est aujourd’hui la foire à Layrac[34]. Dans une heure, tu partiras, pour aller y vendre notre plus belle paire de bœufs. Méfie-toi de ces canailles de maquignons ; et ne lâche nos bêtes que contre de bons écus.

— Mère, vous serez obéie. Et combien demanderai-je de nos bœufs ?

— Mon ami, tu verras bien quel est leur prix sur le champ de foire. Rends-toi compte du cours. Demande le juste, la raison.

— Oui, mère, le juste, la raison. Comptez sur moi, pour faire à votre volonté. »

Petiton déjeuna donc comme un homme qui doit aller loin, étrilla ses bœufs, les lia au joug, s’habilla de neuf, prit son aiguillon, et partit. À midi juste, il arrivait sur le champ de foire de Layrac.

Deux canailles de maquignons s’approchèrent.

— « Bonjour, Petiton. Combien demandes-tu de tes bœufs ?

— Mes amis, j’en demande le juste, la raison.

— Petiton, tu n’en demandes pas peu de chose.

— Mes amis, j’en demande le juste, la raison. Vous ne les aurez pas à deux liards de moins.

— Eh bien, Petiton, les bœufs sont vendus. Tope là, et attends-nous. Le temps d’aller te chercher en ville le juste, la raison. »

Les deux canailles de maquignons partirent, et revinrent bientôt, portant chacun un cornet de papier.

— « Tiens, Petiton. Voici le juste. Prends garde de le perdre.

— Tiens, Petiton. Voilà la raison. Prends garde de la perdre.

— Mes amis, soyez tranquilles. Et maintenant, les bœufs sont à vous. Je souhaite que vous les revendiez à grand bénéfice. »

Les deux canailles de maquignons partirent, avec les bœufs, et Petiton revint chez sa mère.

— « Bonsoir, mère. Les bœufs sont vendus.

— Combien, mon ami ?

— Mère, j’ai fait comme vous m’aviez commandé. Je les ai vendus le juste, la raison.

— Montre un peu. »

Petiton présenta les deux cornets de papier. L’un était rempli de puces ; l’autre était rempli de poux.

— « L’imbécile ! Tu ne t’es donc pas méfié de ces canailles de maquignons ? Je t’avais pourtant bien recommandé de ne lâcher nos bêtes que contre de bons écus.

— Mère, vous m’aviez dit d’en demander le juste, la raison. J’ai cru les rapporter, dans ces deux cornets de papier.

— Soupe, imbécile, et va te coucher. Ce n’est pas toi qui prendras jamais le loup par la queue[35]. »

Petiton obéit, sans mot dire. Mais, dans son lit, il se mit à penser :

— « J’ai fini d’être confiant. Ceux qui me duperont désormais pourront se vanter d’être avisés. Ah ! ma mère m’a dit : « Ce n’est pas toi qui prendras jamais le loup par la queue. » Nous allons voir. »

Ceci pensé, Petiton se leva, s’habilla doucement, doucement, dans l’obscurité, prit un bon bâton de chêne, une corde grosse comme le doigt, et partit.

À minuit, il était dans un grand bois, où les loups ne manquaient pas. Là, il arrangea sa corde en nœud coulant, sur le passage battu par les males bêtes, et se cacha, son bon bâton de chêne à la main.

Petiton n’attendit pas longtemps. Un quart d’heure après, un grand loup venait se prendre au nœud coulant.

Aussitôt, le garçon l’empoigna par la queue, tapant, à grand tour de bras, avec son bon bâton de chêne.

— « Pan ! pan ! pan ! »

Le grand loup avait trouvé son maître. Petiton l’emmena comme il voulut, la corde au cou. Au lever du soleil, il était de retour à la maison.

— « Bonjour, mère. Hier soir, vous m’avez dit : « Ce n’est pas toi qui prendras jamais le loup par la queue. » Regardez, mère, et pardonnez-moi de vous avoir fait mentir. Maintenant, j’ai fini d’être confiant. Ceux qui me duperont désormais pourront se vanter d’être avisés. »

Ceci dit, Petiton alla prendre un superbe bélier dans l’étable, le saigna et l’écorcha, en ayant soin de laisser tenir les cornes à la peau. Puis il en revêtit si bien le grand loup, que la male bête avait l’air d’un véritable bélier.

— « Adieu, mère. Je pars pour la foire de Dunes[36]. Comptez que mes deux canailles de maquignons auront bientôt de mes nouvelles.

— Adieu, mon ami. Que le Bon Dieu te conduise ! »

À midi juste, Petiton arrivait, avec son grand loup, vêtu en bélier, sur le champ de foire de Dunes.

Les deux canailles de maquignons s’approchèrent.

— « Bonjour, Petiton.

— Bonjour, mes amis. Eh bien, êtes-vous contents de mes bœufs ?

— Fort contents, Petiton. Mais tu nous les as fait payer cher. Enfin, nous t’avons donné le juste, la raison. Tu n’as rien à nous reprocher.

— Mes amis, vous avez fait en braves gens. Le Bon Dieu veuille que tout le monde vous ressemble.

— Petiton, combien demandes-tu de ce bélier ?

— Mes amis, j’en demande cher, car il n’a pas son pareil au monde. Chaque nuit, il est en état de couvrir un cent de brebis. Trois mois après, chacune d’elles met bas deux agneaux, pour recommencer trois fois par an.

— Petiton, voilà un mâle fort vaillant. Et combien en demandes-tu ?

— Mes amis, j’en demande autant que des bœufs. J’en demande le juste, la raison.

— Petiton, tu n’en demandes pas peu de chose.

— Mes amis, j’en demande le juste, la raison. Vous ne l’aurez pas à deux liards de moins.

— Eh bien, Petiton, le bélier est vendu. Tope là, et attends-nous. Le temps d’aller chercher en ville le juste, la raison. »

Les deux canailles de maquignons partirent, et revinrent bientôt, portant chacun un cornet de papier.

— « Tiens, Petiton. Voici le juste. Prends garde de le perdre.

— Tiens, Petiton. Voilà la raison. Prends garde de la perdre.

— Mes amis, soyez tranquilles. Et maintenant, le bélier est à vous. Je souhaite que vous le revendiez à grand bénéfice. »

Les deux canailles de maquignons partirent, avec le bélier, et Petiton revint chez sa mère. Chemin faisant, il se frottait les mains, et pensait :

— « Allez, braves gens, allez renfermer ce grand loup dans une étable de cent brebis. »

Les deux canailles de maquignons n’y manquèrent pas. Une fois seul, le grand loup fut vite sorti de sa peau de bélier. Aussitôt, il tomba sur les cent brebis. Les pauvres bêtes sautaient épouvantées. Sur la porte de l’étable, les deux canailles de maquignons écoutaient.

— « Petiton n’a pas menti. Voici un mâle fort vaillant. Comme il se démène ! »

Mais, le lendemain matin, ce fut une autre affaire. Les deux canailles de maquignons ouvrirent la porte de l’étable. Aussitôt, le grand loup détala au galop.

— « Milliard de Dieux ! Un loup ! Un grand loup ! Milliard de Dieux ! Nos cent brebis sont étranglées. Petiton s’est vengé de nous. Milliard de Dieux ! Ceci ne se passera pas comme ça. »

Les deux canailles de maquignons prirent leurs bâtons, et partirent. Mais Petiton se méfiait. Dès la pointe de l’aube, il siffla son chien Mouret[37], un brave animal, fort, sage, bien dressé comme pas un. Tout ce que son maître lui commandait, il le comprenait, et le faisait du premier coup. Enfin, il ne manquait à Mouret que la parole.

— « Ici, Mouret. Viens, que j’attache dans les poils de ton poitrail cette vessie, pleine de sang de poule. Écoute. J’attends deux canailles de maquignons. Quand ils seront là, tu feras semblant d’être enragé. Je t’empoignerai par la peau du cou, et je ferai semblant de te saigner, en crevant, avec ce couteau, la vessie, pleine de sang de poule. Aussitôt, tu feras le mort, pour te relever dès que j’aurai dit :

« Couteau à manche noir, couteau à manche blanc.
Relève mon chien promptement[38]. »

Mouret fit signe qu’il avait compris.

À midi juste, les deux canailles de maquignons étaient devant la maison de Petiton. Le jeune homme les attendait, son bon bâton de chêne à portée de la main. Ceci refroidit un peu les visiteurs.

— « Bonjour, mes amis. Eh bien ! Êtes-vous contents de votre bélier ?

— Ah ! brigand ! Ah ! canaille !

— Calmez-vous, braves gens. Sinon, gare à mon bon bâton de chêne. Écoutez. Vous m’avez dupé. Je vous l’ai rendu. « À qui te le fait, fais-le-lui[39]. » Nous voilà quittes. Je ne crains personne. Battons-nous, si vous voulez. Soyons bons amis, si cela vous plaît. »

Les deux canailles de maquignons n’avaient pas mot à dire.

— « Eh bien, Petiton, soyons bons amis.

— C’est dit. Allons à l’auberge, riboter, et trinquer ensemble. »

Alors, Petiton fit signe à Mouret.

Aussitôt, le brave chien hérissa son poil, roula les yeux, tira la langue, et bava, comme s’il était véritablement enragé. Les deux canailles de maquignons étaient blancs de peur. Mais Petiton tira son couteau, empoigna Mouret par la peau du cou, et creva la vessie pleine de sang de poule, cachée dans les poils du poitrail.

Le chien tomba comme mort.

— « Et maintenant, mes amis, allons à l’auberge, riboter, et trinquer ensemble. »

Tous trois allèrent à l’auberge, s’attabler, et deviser en trinquant.

— « Petiton, tu es un bougre fort et adroit. Empoigner un chien enragé par la peau du cou, le saigner avec un couteau, voilà ce que bien peu d’hommes sont capables de faire, sans se laisser mordre.

— Mes amis, vous vous trompez. À faire ce que vous avez vu, je n’ai pas le moindre mérite. Regardez ce couteau, qui n’a l’air de rien. Par sa vertu, je saigne, sans danger, au poitrail, toutes les méchantes bêtes. Avec leur sang s’échappe leur méchanceté. Quand je veux les ressusciter, je n’ai qu’à leur montrer mon couteau et à dire :

 
« Couteau à manche noir, couteau à manche blanc.
Relève mes bêtes promptement. »

Aussitôt, mes bêtes se relèvent guéries, et douces, tranquilles, comme des agneaux nés depuis un mois.

— Petiton, tu veux rire.

— Mes amis, venez dehors, et vous verrez si je mens. »

Tous trois sortirent. Mouret faisait toujours le mort.

Petiton s’approcha de la bête, lui montra le couteau et dit :

« Couteau à manche noir, couteau à manche blanc.
Relève mes bêtes promptement. »

Aussitôt, Mouret sauta de trois pieds en l’air, et vint lécher la main de son maître.

— « Petiton, tu n’as pas menti. Veux-tu nous vendre ce couteau ?

— Mes amis, qu’en feriez-vous ?

— Petiton, si nous avions ce couteau, notre fortune serait bientôt faite. Sur les champs de foire, nous irions acheter tous les bœufs et vaches méchants, tous les chevaux et mulets vicieux. Nous les saignerions, ainsi que tu as fait de ton chien, pour les ressusciter guéris, et doux, tranquilles, comme des agneaux nés depuis un mois.

— Mes amis, vous avez raison. Mais, à votre propre compte, mon couteau vaut cher. Vous ne l’aurez pas à moins de mille pistoles.

— Non, Petiton. C’est trop cher.

— Mes amis, je n’en rabattrai pas deux liards. Si vous dites encore non, pas plus tard que demain matin, je vais courir les champs de foire, et gagner pour moi-même la fortune que vous lâchez.

— Petiton, voici tes mille pistoles.

— Mes amis, voici mon couteau. Je souhaite qu’il vous serve à faire fortune. »

Les deux canailles de maquignons repartirent, contents comme des merles.

Le lendemain, jour de la Saint-Martin[40], ils dépensaient jusqu’à leur dernier sou à payer, sur le champ de foire de Lectoure, tous les bœufs et vaches méchants, tous les chevaux et mulets vicieux dont personne ne voulait.

— « Notre fortune est faite. Notre fortune est faite. »

Le soir même, ils touchèrent tous ces animaux dans un grand pré, au bord de la rivière du Gers. Là, avec le couteau, ils les saignèrent au poitrail jusqu’au dernier. C’était pitié de voir les pauvres bêtes couchées mortes, sur l’herbe rouge de sang.

Alors, les deux canailles de maquignons leur présentèrent le couteau.

« Couteau à manche noir, couteau à manche blanc.
Relève mes bêtes promptement. »

Les bêtes ne bougèrent pas.

« Couteau à manche noir, couteau à manche blanc.
Relève mes bêtes promptement. »

Les bêtes ne bougèrent pas.

« Couteau à manche noir, couteau à manche blanc.
Relève mes bêtes promptement. »

Les bêtes ne bougèrent pas.

— « Milliard de Dieux ! Toutes nos bêtes sont mortes. Milliard de Dieux ! Nous sommes ruinés. Petiton s’est encore vengé de nous. Milliard de Dieux ! Ceci ne se passera pas comme ça. »

Les deux canailles de maquignons firent comme ils avaient dit. À force de guetter Petiton, sans être vus, ils finirent par le surprendre, dormant dans son lit. Alors, ils lui lièrent les pieds et les mains, l’enfermèrent dans un sac, et le chargèrent sur leurs épaules, pour aller le noyer dans la Garonne.

Mais la charge était lourde, et la Garonne était loin. À mi-chemin, les porteurs n’en pouvaient plus. Ils posèrent donc leur sac au milieu d’un bois, et entrèrent dans une auberge, pour s’y reposer, en buvant bouteille.

Jusque-là, Petiton n’avait pas soufflé mot. Mais alors, il se mit à crier comme un aigle :

— « Au secours ! Au secours ! »

En ce moment, passait dans le bois un jeune homme, touchant un troupeau de mille porcs.

— « Au secours ! Au secours ! »

Le porcher s’approcha.

— « Mon ami, quels sont les gueux qui t’ont enfermé dans ce sac ?

— Brave homme, ce sont deux valets du roi, qui me portent à leur maître. Par force, le roi veut me faire épouser sa fille, une princesse belle comme le jour, et riche comme le Pérou. Mais j’ai promis au Bon Dieu de me faire prêtre ; et jamais je n’épouserai la fille du roi. »

Alors, le porcher ouvrit le sac.

— « Merci, porcher.

— Mon ami, il n’y a pas de quoi. Mais ce dont tu ne veux pas, moi, je m’en accommoderais de bon cœur. Écoute. Faisons un échange. Prends mon troupeau de mille porcs, et enferme-moi dans ton sac. Ainsi, j’épouserai la fille du roi, la princesse belle comme le jour, et riche comme le Pérou.

— Porcher, avec plaisir. Mais dépêchons-nous. Les deux valets du roi peuvent revenir d’un moment à l’autre. »

Deux minutes plus tard, le porcher gisait à terre, enfermé dans le sac, et Petiton partait, avec son troupeau de mille porcs.

Il n’était pas à cent pas, que les deux canailles de maquignons revinrent, pour leur mauvaise œuvre. Sans faire semblant de rien, Petiton les surveillait. Arrivés au bord de la Garonne, ils ouvrirent le sac, y jetèrent une grosse pierre, le lancèrent dans l’eau, et se sauvèrent, comme si le Diable les emportait.

Mais Petiton nageait comme un barbeau. Il sauta dans la Garonne, repêcha le sac, et délivra le porcher.

— « Merci, mon ami. Tu m’avais pourtant promis mieux que cela.

— Porcher, je t’ai promis selon ce que je croyais.

— Mon ami, je ne te reproche rien. Tu m’as sauvé la vie. Prends la moitié de mon troupeau de mille porcs.

— Porcher, avec plaisir. »

Le partage fait, chacun tira de son côté. Tout en longeant la Garonne, avec ses bêtes, Petiton rencontra, trois lieues plus loin, les deux canailles de maquignons. Alors, il renfonça son béret sur les yeux, pour n’être pas reconnu.

— « Bonjour, mes amis.

— Bonjour, porcher. Ces beaux porcs sont-ils à toi ?

— Oui, mes amis. Il y en a cinq cents.

— Porcher, où les as-tu achetés ?

— Mes amis, je les ai achetés à la foire de Valence-d’Agen[41].

— Porcher, combien les as-tu payés ? »

Petiton releva son béret de sur les yeux.

— « Mes amis, je les ai payés le juste, la raison. »

Les deux canailles de maquignons reculèrent épouvantés.

— « Mes amis, n’ayez pas peur. Je ne vous tuerai pas. Je ne vous dénoncerai pas à la justice. En tâchant de me noyer dans la Garonne, vous avez fait ma fortune, sans le vouloir. Au fond de l’eau, les porcs vivent par millions, et par milliasses. J’en ramène cinq cents, et je ne me contenterai pas de si peu.

— Petiton, dis-tu vrai ?

— Mes amis, croyez-moi si vous voulez. Moi, je vais vendre mes cinq cents porcs à Agen. Aussitôt fait, je replonge, pour en aller chercher d’autres. »

Petiton parlait avec un tel air de vérité, que les deux canailles de maquignons ne se méfiaient plus.

— « Petiton, nous allons faire comme toi.

— Bonne chance, mes amis. Plongez. Je nage comme un barbeau. Plongez. Je suis là pour un coup, s’il vous arrive malheur. »

Les deux canailles de maquignons sautèrent dans la Garonne.

— « Au secours ! Petiton ! Au secours ! »

Petiton crevait de rire.

— « Buvez, gueusards ! Buvez, brigands ! »

Les deux canailles de maquignons se noyèrent, et on n’en entendit plus parler jamais, jamais. Petiton retourna chez sa mère, et ne tarda pas à se marier, avec une fille belle comme le jour. Il vécut longtemps, heureux et riche, avec sa femme et

ses enfants[42].

II

LES NIAIS

I

jean l’imbécile



Il y avait, une fois, une femme qui avait un garçon si simple d’esprit, qu’on l’avait surnommé Jean-l’Imbécile. Un jour que la mère s’en allait laver la lessive, elle dit, en partant :

— « Jean-l’Imbécile, garde la maison, et fais bouillir la marmite. Quand elle bouillira, tu graisseras les choux.

— Oui, mère. »

La mère s’en alla donc laver la lessive. Quand la marmite se mit à bouillir. Jean-l’Imbécile prit toute la graisse qui était dans les pots, et s’en alla graisser les choux du jardin.

Un autre jour, la mère lui dit :

— « Jean-l’Imbécile, je m’en vais à la foire. Garde la maison, et ne trouble pas l’oie, qui couve au coin du chauffoir[43].

— Non, mère. »

La mère partit donc pour la foire. Mais Jean-l’Imbécile voulut aller voir l’oie qui couvait, et cassa un œuf.

— « Oie, dit-il à la couveuse, ne le dis pas à ma mère.

— Couac ! faisait l’oie.

— Ah ! tu veux le lui dire. Si tu le lui dis, je te tue.

— Couac ! faisait toujours l’oie.

— Ah ! c’est ainsi. Attends, attends. »

Jean-l’Imbécile tordit le cou à l’oie ; mais, quand il l’eut fait, il pensa :

— « Maintenant, il me faut bien couver les œufs. »

Il se posa donc sur les œufs, et sa mère l’y trouva, quand elle revint de la foire.

— « Que fais-tu là, Jean-l’Imbécile ?

— Mère, l’oie est morte, et moi je couve les œufs. »

La mère le fit lever, et trouva les œufs tous cassés.

Un autre jour, la mère lui dit :

— « Jean-l’Imbécile, maintenant tu es en âge de te marier. Il te faut devenir dégourdi, et t’en aller au village, jeter quelques coups-d’œil aux filles, le dimanche, à la sortie de la messe.

— Oui, mère. »

En effet, le dimanche suivant, Jean-l’Imbécile se leva, dès la pointe de l’aube, s’en alla à l’étable, arracha les yeux à toutes les brebis, les mit dans ses poches, et partit pour la messe. Après le dernier évangile, il alla se planter sur la porte de l’église, et à mesure que les filles sortaient, il les accablait de coups d’yeux.

Un autre jour, la mère lui dit :

— « Jean-l’Imbécile, il faut vendre les bœufs. Mène-les à la foire, et demande-s-en la raison.

— Oui, mère. J’en demanderai la raison. »

Jean-l’Imbécile partit donc, avec sa paire de bœufs, et les mena à la foire.

— « Combien demandes-tu de tes bœufs, Jean-l’Imbécile ?

— Ma mère m’a dit d’en demander la raison.

— Quelle raison ?

— La raison. »

Alors, un affronteur lui donna un cornet de papier, plein de poux et de puces.

— « Tiens, Jean-l’Imbécile, voici la raison. »

L’affronteur emmena la paire de bœufs, et Jean-l’Imbécile s’en revint chez lui.

— « Tenez, mère. J’ai vendu les bœufs, et j’en ai tiré la raison. Je vous l’apporte dans ce cornet de papier. »

Un autre jour, la mère lui dit :

— « Jean-l’Imbécile, j’ai filé tout cet hiver, et j’ai fait tisser une pièce de toile. Il te faut aller la vendre à la ville.

— Oui, mère. »

Jean-l’Imbécile partit donc pour la ville, avec sa pièce de toile et un bâton. Il entra dans une église, et y vit une statue, toute peinte et dorée.

— « Monsieur, voulez-vous m’acheter ma toile ? »

Le vent entrait dans l’église, et faisait hausser et baisser la tête de la statue, de façon que Jean-l’Imbécile crut qu’elle lui faisait signe que oui.

— J’en veux trente écus. »

La statue haussait et baissait toujours la tête.

— « Vous me les paierez ? »

La statue haussait et baissait toujours la tête.

Alors, Jean-l’Imbécile crut le marché fini, laissa la pièce de toile au pied de la statue, et s’en revint chez lui.

— « Eh bien, mère. J’ai vendu la toile.

— Où est l’argent, Jean-l’Imbécile ?

— Mère, je l’ai vendue à crédit à un monsieur muet. Mais il m’a fait signe qu’il me paierait.

— Bête ! Tu n’en auras jamais un liard.

— Que si, mère. Je vous promets que je me ferai payer. »

Au bout de quinze jours, Jean-l’Imbécile repartit pour la ville, avec son bâton, et s’en alla à l’église. Mais le vent avait changé, et la statue, au lieu de hausser et baisser la tête, comme la première fois, la secouait sur ses épaules, comme qui dit non.

— « Eh bien, Monsieur, êtes-vous content de la toile ? »

La statue secouait la tête.

— « Non. Eh bien, il faut me la rendre. »

La statue secouait toujours la tête.

— « Non. Eh bien, il faut me la payer. »

La statue secouait toujours la tête.

— « Non. Ah ça ! tout ceci, c’est des bêtises. Rendez-moi ma toile, ou comptez-moi mon argent. »

La statue secouait toujours la tête.

Alors, Jean-l’Imbécile tomba sur la statue, à grands coups de bâton. Tout en frappant, il brisa un tronc, placé au bas, pour recevoir les aumônes. Il ramassa l’argent tombé à terre, et rentra chez lui.

— « Eh bien, mère. Je vous l’avais bien dit, que je saurais me faire payer. »

Un autre jour, Jean-l’Imbécile était sur un arbre, et il coupait, avec sa hachette, la branche même sur laquelle il était posé.

— « Jean-l’Imbécile, lui dit un homme qui passait, si tu continues de couper ainsi la branche même sur laquelle tu es posé, tu ne tarderas pas à tomber par terre. »

L’homme passa son chemin, et Jean-l’Imbécile continua de couper la branche, jusqu’au moment où il tomba par terre.

— « Cet homme, pensa-t-il, doit être un grand savant. Puisqu’il m’a prédit que j’allais tomber par terre, il peut bien me prédire quand je mourrai. »

Aussitôt, il courut après l’homme.

— « Homme, homme, dites-moi quand je mourrai.

— Jean-l’Imbécile, tu mourras au troisième pet de ton âne. »

Jean-l’Imbécile s’en revint chez lui, et trouva son âne, qui broutait sur le pâtus, devant la porte de la maison. Au bout d’un moment, l’âne péta.

— « Maintenant, dit Jean-l’Imbécile, je suis perdu au bout de deux pets. »

Au bout d’un moment, l’âne péta une fois de plus.

— « Je suis perdu s’il pète encore, dit Jean-l’Imbécile. À toute force, il faut l’en empêcher. »

Aussitôt, il courut chercher un pieu bien pointu, et l’enfonça, à coups de marteau, dans le cul de l’âne. Mais l’âne s’enfla tellement, et fit si grand effort, que le pieu sortit comme une balle, et traversa le pauvre Jean-l’Imbécile de part en

part[44].

II

les gens de sainte-dode



Les gens de Sainte-Dode[45] ont toujours passé pour être simples d’esprit. On met sur leur compte force bêtises. Voici celles que j’ai retenues.

Un jour, les gens de Sainte-Dode s’avisèrent qu’ils ne gagnaient pas assez, à travailler leurs champs et leurs vignes, et à élever des chevaux. Le cas valait la peine qu’on en parlât. Les hommes, les femmes, et les enfants, s’assemblèrent donc devant la porte de l’église.

— « Gens de Sainte-Dode, dit le plus bavard de la troupe, voulez-vous faire fortune, en travaillant moitié moins que par le passé ?

— Oui, oui.

— Eh bien, voici comment il faut s’y prendre. On m’a dit qu’un marchand de Toulouse, qui loge près de la Daurade[46], vend de la graine de cheval. Par malheur, chaque graine coûte cher. Il faut en acheter une, pour nous mettre en semence. Faisons une quête entre nous, et envoyons quatre hommes avisés à Toulouse, y chercher ce qui nous manque.

— Oui, oui. Nous voulons de la graine de cheval. »

La quête finie, les quatre hommes avisés partirent aussitôt pour Toulouse, et s’en allèrent à la boutique du marchand, qui logeait près de la Daurade.

— « Bonjour, marchand.

— Bonjour, mes amis. Qu’y a-t-il pour votre service ?

— Marchand, on nous a dit que vous vendiez de la graine de cheval.

— Mes amis, on vous a dit la vérité. Mais chaque graine vous coûtera cent pistoles.

— Eh bien, marchand, nous en prendrons une. Voici l’argent. »

Le marchand alla chercher, dans l’arrière-boutique, une citrouille grosse comme un baril.

— « Tenez, mes amis, voici ma plus belle graine de cheval. Je vous la vends de confiance. Rapportez-la chez vous, en la secouant le moins possible. Surtout, prenez garde de la casser. Le petit poulain, qui est dedans, partirait au grand galop, et vous auriez dépensé vos cent pistoles sans profit.

— Merci, marchand. »

Les quatre hommes avisés repartirent pour Sainte-Dode, en prenant bien garde de casser la graine de cheval, qu’ils portaient chacun son tour sur la tête. Jusqu’à Aubiet[47], tout alla bien. Là, les voyageurs s’arrêtèrent un moment, tout en haut d’une côte fort raide. Pendant qu’ils soufflaient, en buvant un coup à leurs gourdes, la graine de cheval, qu’ils n’avaient pas posée d’à-plomb, roula jusqu’au bas de la côte, et se brisa contre une pierre. Un lièvre, qui dormait à deux pas de là, partit au galop, tout épouvanté.

— « Ah ! mon Dieu ! Quel malheur ! Notre graine de cheval est perdue. Regardez, regardez le petit poulain, qui s’enfuit au grand galop. »

Les voyageurs rentrèrent fort confus à Sainte-Dode, où on ne leur épargna pas les coups de bâton. Pourtant, les habitants du village ne renoncèrent pas à devenir riches par des semailles extraordinaires ; et ils s’assemblèrent de nouveau devant la porte de l’église.

— « Gens de Sainte-Dode, dit le bavard qui avait parlé la première fois, ne pensons plus à la graine de cheval. Voulez-vous toujours faire fortune, en travaillant moitié moins que par le passé ?

— Oui, oui.

— Eh bien, voici comment il faut s’y prendre. Achetons autant d’aiguilles qu’on voudra nous en vendre, et semons-les. Ce mois de juillet prochain, la récolte sera superbe. Nous vendrons nos aiguilles quatre pour un sou, et nous serons riches pour longtemps.

— Oui, oui. Semons des aiguilles. Semons des aiguilles. »

Ce qui fut dit fut fait. Les gens de Sainte-Dode semèrent donc tous leurs champs d’aiguilles. Huit jours après, ils ôtèrent leurs sabots, et entrèrent dans les champs, pour voir si la semence commençait à lever. Naturellement, les aiguilles leur piquaient le dessous des pieds.

— « Bon, criaient-ils. Les aiguilles naissent. Les aiguilles naissent. Elles nous piquent déjà le dessous des pieds[48]. »

Les aiguilles ne naquirent pas ; et les gens de Sainte-Dode renoncèrent à faire fortune en semant de la graine de cheval et des aiguilles. Mais ils étaient devenus la risée de tout le pays ; et, nuit et jour, ils songeaient aux moyens de rétablir leur réputation.

L’église de Sainte-Dode n’est pas laide, et son clocher est en forme de morue[49]. Les gens du village aperçurent, un jour, un beau chardon, qui avait poussé sur la pointe du clocher. Aussitôt, ils tinrent conseil devant la porte de l’église.

— « Ce chardon est un affront pour la paroisse. Tirons-le de là le plus tôt possible.

— Oui, oui. Mais comment faire ?

— Comment faire ? dit le bavard qui parlait toujours en ces occasions. Comment faire ? Écoutez. Sept à huit hommes des plus forts vont grimper au haut du clocher. Ils emporteront le bout d’une corde. À l’autre bout, nous ferons un nœud coulant, et nous y attacherons un âne par le cou. Les hommes tireront fort ferme, jusqu’à ce que l’âne soit assez haut monté pour brouter le chardon. Voilà comment il faut faire.

— Oui, oui. Tu as raison. »

Ce qui fut dit fut fait. Pendant que, du haut du clocher, les hommes tiraient la corde fort ferme, le pauvre âne, étranglé par le nœud coulant, ouvrait une bouche grande comme un four.

— « Ah ! gourmand, lui criait-on de tous côtés. Tu ris. Tu es bien aise de brouter le beau chardon. »

Mais le pauvre âne était mort.

Cette histoire n’était pas faite pour remettre les gens de Sainte-Dode en bonne réputation. Ils s’assemblèrent donc de nouveau, devant la porte de l’église.

— « Gens de Sainte-Dode, dit le bavard qui parlait toujours en ces occasions, gens de Sainte-Dode, voulez-vous un bon conseil ?

— Oui, oui.

— Écoutez. Nous avons une belle église, et un beau clocher. Par malheur, ils sont bâtis en plaine. S’ils étaient sur la colline tout proche, on les verrait de fort loin, et ce serait un grand honneur pour la paroisse. Eh bien ! charroyons notre église et notre clocher sur la colline. Entourons-les de cordes de laine. Tirons ensemble, tous ensemble ; et ce beau travail sera fini avant le coucher du soleil.

— Oui, oui. Tu as raison. »

Aussitôt, hommes, femmes, enfants, se mirent à tordre des cordes de laine, et ils en entourèrent l’église et le clocher.

— « Attention ! Tirons ensemble, tous ensemble. Hô ! Hardi ! »

À ce grand effort, les cordes de laine commencèrent à céder.

— « Hô ! Hardi ! Voici l’église et le clocher qui partent. Tirons ensemble, tous ensemble. Hô ! Hardi ! »

Tout-à-coup, les cordes de laine se rompirent, et les gens de Sainte-Dode tombèrent les uns sur les autres. Mais aucun d’eux ne pouvait reconnaître ses membres. Au lieu de se relever aussitôt, ils passaient leur temps à se disputer et à s’insulter.

— « Voici mon bras.

— Non. C’est le mien.

— Voici ma jambe.

— Non, voleur. Elle est à moi. »

Cela dura bien longtemps. Enfin, un meunier vint à passer, avec son grand fouet.

— « Meunier, tire-nous de peine. Aucun de nous n’est en état de reconnaître ses membres. Aide-nous à les retrouver. »

Aussitôt, le meunier fit claquer son fouet, et se mit à frapper, à grand tour de bras, sur ce troupeau d’imbéciles, qui sautèrent sur leurs jambes,

et rentrèrent tout confus dans leurs maisons[50].

III

le voyage de jeannot



Il y avait, une fois, une femme qui n’avait qu’un fils, appelé Jeannot. Ce Jeannot était bête comme un seuil (de porte). Un jour, sa mère lui commanda d’aller faire moudre un sac de blé.

— « Prends garde, lui dit-elle, que le meunier, pour ses peines, ne prenne pas plus d’une poignée par boisseau. Pour ne pas l’oublier, tu répéteras, tout le long du chemin : « Une poignée par boisseau. »

— Oui, mère. « Une poignée par boisseau. »

Jeannot partit donc sur sa jument poulinière, avec le sac de blé en croupe. Pour ne pas oublier la recommandation de sa mère, il répétait, tout en cheminant :

— « Une poignée par boisseau. Une poignée par boisseau. »

Au bout d’un moment, il trouva trois bouviers qui semaient.

— « Une poignée par boisseau. Une poignée par boisseau.

— Gueusard ! crièrent les bouviers. C’est ainsi que tu veux que nous soyons payés de nos semailles. »

Ils tombèrent tous trois, à coups d’aiguillon, sur le pauvre Jeannot, et l’assommèrent.

— « Comment donc dois-je dire ? demanda le pauvre garçon.

— Il faut dire : « Dieu la bénisse[51] ! »

Jeannot repartit.

— « Dieu la bénisse ! Dieu la bénisse ! »

Au bout d’un moment, il trouva trois hommes qui allaient noyer une chienne.

— « Dieu la bénisse ! Dieu la bénisse !

— Mauvais gueux, crièrent les hommes, tu veux que Dieu bénisse une chienne qui voulait mordre les gens. »

Ils tombèrent tous trois, à grands coups de bâton, sur le pauvre Jeannot, et l’assommèrent.

— « Comment donc dois-je dire ? demanda le pauvre garçon.

— Ah ! La laide chienne qu’on va noyer ! »

Jeannot repartit.

— « Ah ! La laide chienne qu’on va noyer ! Ah ! La laide chienne qu’on va noyer ! »

Au bout d’un moment, il rencontra une noce à cheval, qui menait la mariée à l’église.

— « Ah ! La laide chienne qu’on va noyer ! Ah ! La laide chienne qu’on va noyer !

— Insolent ! crièrent les garçons d’honneur. Es-tu venu ici pour insulter la mariée ? »

Ils tombèrent tous sur Jeannot, et le chargèrent de coups de fouet.

— « Comment donc dois-je dire ? demanda le pauvre garçon.

— Il faut dire : « Ainsi soient-elles toutes ! »

Jeannot repartit.

— « Ainsi soient-elles toutes ! Ainsi soient-elles toutes ! »

Au bout d’un moment, il arriva devant une maison qui brûlait.

— « Ainsi soient-elles toutes ! Ainsi soient-elles toutes !

— Huguenot ! crièrent ceux qui éteignaient le feu. Tu veux donc que nos maisons brûlent comme celle-ci. »

Ils tombèrent tous sur Jeannot, et l’assommèrent à coups de pierre.

— « Comment donc dois-je dire ? demanda le pauvre garçon.

— Il faut dire : « Dieu l’amortisse ! »

Jeannot repartit.

— « Dieu l’amortisse ! Dieu l’amortisse ! »

Au bout d’un moment, il trouva un homme qui ne pouvait pas allumer son four.

— « Dieu l’amortisse ! Dieu l’amortisse !

— Patelin ! Voilà comment tu veux que j’allume mon four ! »

Il tomba sur Jeannot, à coups de fourche, et le mit tout sanglant.

— « Comment donc dois-je dire ? demanda le pauvre garçon.

— Il faut dire : « Que beau feu s’allume ! »

Jeannot repartit.

— « Que beau feu s’allume ! Que beau feu s’allume ! »

Au bout d’un moment, il trouva une femme qui avait mis le feu à sa quenouille, en s’approchant trop de la lampe, et qui risquait de brûler sa coiffe.

— « Que beau feu s’allume ! Que beau feu s’allume !

— Sorcier ! Tu veux donc que je me brûle toute vive ! »

Elle tomba sur Jeannot, à coups de quenouille, et lui en donna plus de cent coups.

— « Comment donc dois-je dire ? demanda le pauvre garçon.

— Tais-toi, imbécile. À mal parler, on attrape

toujours des coups[52]. »

IV

l’âne de montastruc



Au nord de l’église de Montastruc[53], il y a une mare commune. C’est là que les bouviers abreuvent leur bétail, et que les femmes lavent leurs lessives.

Un soir, vers les six heures, et par le temps du mois mort[54], la lune se reflétait dans l’eau de la mare, comme elle eût fait dans un grand miroir. En ce moment, un homme arriva, pour faire boire son âne. Pendant que la bête buvait, le vent changea tout à coup, et couvrit le ciel de nuages pour toute la nuit. Alors l’homme, épouvanté, partit en criant :

— « Ah ! Mon Dieu ! Ah ! Mon Dieu ! Mon âne a bu la lune ! Mon âne a bu la lune ! »

À ces cris, tous les gens de Montastruc accoururent épouvantés.

— « Que dis-tu, malheureux ?

— Mon âne a bu la lune ! Mon âne a bu la lune ! »

Les gens de Montastruc regardaient dans le ciel, dans la mare, et ils braillaient, en pleurant :

— « Son âne a bu la lune ! Son âne a bu la lune ! »

Aussitôt, les consuls[55] s’assemblèrent, pour aviser, devant la porte de l’église.

— « Amenez-nous l’âne qui a bu la lune. »

On leur amena l’âne par le licou.

— « Âne ! C’est donc toi qui as bu la lune. »

L’âne leva la queue, et se mit à braire.

— « Tu as beau dire, c’est toi qui as bu la lune.

Comment ferons-nous, dorénavant, pour y voir pendant la nuit ? »

L’âne releva la queue, et se remit à braire.

— « Ah ! Voilà le cas que tu fais de la justice. Eh bien ! Nous te condamnons à mort. Tu vas être pendu. »

Dix minutes plus tard, l’âne était pendu à un arbre.

Alors, un des consuls se ravisa.

— « Mes amis, dit-il, nous avons dépassé nos pouvoirs de juges. Certes, il nous est permis de condamner à mort ; mais nous n’avons pas le droit de faire mourir. Ce droit n’appartient qu’au juge-mage de Lectoure. À sa place, je prendrais fort mal tout ce qui vient de se passer. Pour nous remettre en paix avec lui, envoyons-lui force volailles. Faisons-lui porter aussi l’âne mort. Le juge-mage choisira un chirurgien, pour délivrer la lune prisonnière dans le ventre de la bête. Il ne manque pas, à Lectoure, de grandes échelles doubles. En en dressant une sur le clocher de Saint-Gervais[56], un serrurier fort et hardi trouvera, je pense, le moyen de reclouer la lune à sa place dans le ciel. »

Ce qui fut dit fut fait. Douze jeunes gens de Montastruc partirent aussitôt, chargés de poulardes, de chapons, d’oies, et de dindons, pour le juge-mage. Douze autres prirent sur leurs épaules une longue barre de chêne, où l’âne mort pendait, lié par les quatre pieds. Jusqu’après Fleurance[57], tout alla bien. Mais là, les loups du Ramier[58] sentirent l’odeur de l’âne mort, et arrivèrent par bandes, en criant comme des possédés du Diable. Les jeunes gens, épouvantés, jetèrent leurs volailles, ainsi que l’âne, et s’enfuirent au galop vers Montastruc. En un moment, les volailles étaient avalées, et l’âne rongé jusqu’aux os.

Le lendemain, la lune brillait au ciel comme de coutume. Alors, les consuls de Montastruc éprouvèrent un grand soulagement.

— « Les loups du Ramier, dirent-ils, nous ont rendu un fameux service. Maintenant que l’âne est mangé, le juge-mage de Lectoure ne saura pas que nous l’avons fait pendre. Quant à la lune qu’il avait bue, vous voyez qu’elle est plus fine que les loups. Elle leur a échappé ; et, d’elle-même, elle est remontée à sa place dans le

ciel[59]. »

III

LE LOUP

I

le loup malade



Il y avait, une fois, au bois du Gajan[60], un loup qui se rendait malade, à force de trop manger. Ce Loup s’en alla un jour à Miradoux[61], trouver un grand médecin.

— « Bonjour, monsieur le médecin.

— Bonjour, Loup.

— Monsieur le médecin, je suis bien malade. Je voudrais une consultation, en payant, comme de juste. »

Le médecin fit tirer la langue au Loup, et le fit pisser dans un verre, pour regarder la couleur du pissat.

— « Loup, dit-il, tu te rends malade, à force de trop manger. À partir d’aujourd’hui, il faut te taxer à sept livres de viande par jour. »

Le Loup remercia bien le médecin, et lui donna, pour ses peines, quatre sols moins un denier. En s’en retournant au Gajan, il passa à la boutique du forgeron de Castet-Arrouy[62], et lui commanda une romaine pour peser, chaque jour, les sept livres de viande, ainsi qu’il avait été taxé.

Quand la romaine fut forgée, le Loup alla la chercher. Chaque jour, il l’emportait à la chasse, pour ne pas dépasser l’ordre du médecin. Aussi, au bout de huit jours, il redevint gaillard, bien portant ; et il ne regrettait pas les quatre sols moins un denier qu’il avait donnés au grand médecin de Miradoux.

Au bout de quelque temps, arriva la Sainte-Blandine, jour de la fête patronale de Castet-Arrouy. Le Loup connaissait son métier comme pas un. Il savait qu’après la messe, les gens iraient s’attabler, jusqu’au moment où le sonneur de cloche sonnerait le dernier coup de vêpres. Alors, les juments poulinières et les jeunes mules qu’on élève pour les vendre aux Espagnols, à Lectoure, le jour de la foire de Saint-Martin, demeuraient seules dans les prés de la rivière de l’Auroue[63].

Les gens de Castet-Arrouy ne s’étaient pas encore servi la soupe, que mon Loup s’élance du côté de la rivière, et aperçoit, au beau milieu d’un pré, une jument avec sa mule. Par malheur, il avait oublié sa romaine.

— « Bah ! dit-il, je pèserai à vue d’œil. Quatre livres la jument, et trois livres la mule. »

Aussitôt, il les étrangla, et les rongea jusqu’aux os.

Le soir même, le Loup creva[64].

II

le loup pendu



Un jour, un homme traversait un bois. Il trouva un loup pendu par le pied au haut d’un chêne.

— « Homme, dit le Loup, tire-moi d’ici pour l’amour de Dieu. J’étais monté, sur ce chêne, pour y prendre un nid de pie. En descendant, j’ai pris mon pied dans une branche fendue. Je suis perdu, si tu n’as pitié de moi.

— Je te tirerais de là avec plaisir, Loup, répondit l’homme ; mais j’ai peur que tu ne me manges, quand tu seras dépendu.

— Homme, je te jure de ne faire aucun mal, ni à toi, ni aux tiens, ni à tes bêtes. »

L’homme dépendit donc le Loup. Mais à peine celui-ci fut-il à terre, qu’il commença à le regarder de travers.

— « Homme, je suis affamé. J’ai grande envie de te manger.

— Loup, tu sais ce que tu m’as juré.

— Je le sais. Mais, à présent, je suis dépendu. Je ne veux pas mourir de faim.

— On a bien raison de dire, Loup : « De bien faire, le mal arrive. » Si tu veux, nous allons consulter, sur notre cas, cette chienne qui vient vers nous.

— Je veux bien, homme.

— Chienne, dit l’homme, le Loup était pendu par le pied au haut d’un chêne. Il y serait mort, si je ne l’avais dépendu. À présent, pour ma peine, il veut me manger. Cela est-il juste ?

— Homme, répondit la chienne, je ne suis pas en état de vous juger. J’ai bien servi mon maître jusqu’à présent. Mais, quand il m’a vue vieille, il m’a jetée dehors, pour n’avoir plus à me nourrir, et m’a chassée dans le bois. On a bien raison de dire : « De bien faire, le mal arrive. »

— Alors, Loup, dit l’homme, nous allons consulter, sur notre cas, cette vieille jument.

— Je veux bien, homme.

— Jument, dit l’homme, le Loup était pendu par le pied au haut d’un chêne. Il y serait mort, si je ne l’avais dépendu. Maintenant, pour ma peine, il veut me manger. Cela est-il juste ?

— Homme, répondit la jument, je ne suis pas en état de vous juger. J’ai bien servi mon maître jusqu’à présent. Mais, quand il m’a vue vieille, il m’a jetée dehors, pour n’avoir plus à me nourrir, et m’a chassée dans le bois. On a bien raison de dire : « De bien faire, le mal arrive. »

— Alors, Loup, dit l’homme, nous allons consulter le Renard, sur notre cas.

— Je veux bien, homme.

— Renard, dit l’homme, le Loup était pendu par le pied au haut d’un chêne. Il y serait mort, si je ne l’avais dépendu. Maintenant, pour ma peine, il veut me manger. Cela est-il juste ?

— Homme, dit le Renard, je ne suis pas en état de vous juger avant d’avoir vu l’endroit. »

Ils partirent tous trois, et arrivèrent au pied du chêne.

— « Comment étais-tu pendu, Loup, demanda le Renard ? »

Le Loup monta sur le chêne, et se remit comme il était, avant d’être dépendu par l’homme.

— « J’étais ainsi pendu, Renard.

— Eh bien, Loup, demeure-le. »

Le Renard et l’homme s’en allèrent. Quand il fallut se séparer, l’homme remercia le Renard, et lui promit de lui porter, pour ses peines, le lendemain matin, une paire de poules grasses.

En effet, le lendemain matin, l’homme arriva portant un sac.

— « Voici les poules, Renard. »

Aussitôt, il ouvrit le sac, d’où sortirent deux chiens, qui étranglèrent le pauvre Renard. On a

bien raison de dire : « De bien faire, le mal arrive[65]. »

III

le loup, le limaçon, et les guêpes



Un jour, le Loup marcha sur le Limaçon. En ce temps-là, les bêtes parlaient[66].

— « Tu es bien méchant, Loup, dit le Limaçon, de fouler ainsi aux pieds le pauvre monde. Si je voulais, je courrais plus que toi. Parions que je t’essouffle, toi et tes compagnons.

— Toi, pauvre Limaçon ?

— Moi, Loup. Sois ici, avec les tiens, demain, au lever du soleil, et nous verrons qui de nous arrivera le premier au bord de la Garonne.

— Nous y serons, pauvre Limaçon. »

Le Loup reprit son chemin. Vingt pas plus loin, il marcha sur un nid de guêpes.

— « Tu es bien méchant, Loup, de fouler ainsi aux pieds le pauvre monde. Nous sommes petites ; mais nous n’avons pas peur de toi. Parions que nous te ferons noyer, toi et tes compagnons.

— Vous, pauvres Guêpes ?

— Nous, Loup. Sois ici, avec les tiens, demain, au lever du soleil, et nous verrons si vous tarderez à être noyés dans la Garonne.

— Nous y serons, pauvres Guêpes. »

Le Loup repartit aussitôt, pour aller avertir son monde. Alors, le Limaçon dit aux Guêpes :

— « Mes amies, mandez tout votre monde. Le mien ne manquera pas à l’appel. Cachez-vous dans les saules, qui sont au bord de la Garonne. Moi et les miens, nous vous amènerons les Loups. Tombez sur eux au bon moment, et piquez-les jusqu’à ce qu’ils se jettent tous à l’eau.

— Limaçon, c’est une affaire convenue. »

Les Guêpes partirent donc, pour faire ce qui leur était commandé. De son côté, le Limaçon espaça les siens de cinq en cinq pas, jusqu’à la Garonne.

Le lendemain, au lever du soleil, les Loups et le Limaçon étaient à l’endroit marqué pour le départ.

— « Y es-tu, Limaçon ?

— J’y suis, Loups. Partons. »

Les Loups partirent au grand galop. Tout en courant, ils criaient :

— « Où es-tu, Limaçon ?

— Je suis ici, Loups, » criaient les Limaçons, espacés de cinq en cinq pas.

Quand ils furent au bord de la Garonne, les Guêpes sortirent des saules comme un nuage, et tombèrent sur les Loups à grands coups d’aiguillon, en criant :

— « Au poil ! Au poil ! »

Les pauvres Loups plongèrent dans l’eau, d’où ils n’osaient sortir que le bout du museau.

— « Au nez ! Au nez ! crièrent les Guêpes, » en tombant sur le nez des Loups à grands coups d’aiguillon.

Tous les Loups furent noyés, et les Limaçons

et les Guêpes revinrent chez eux bien contents[67].

IV

la chèvre et le loup



La Chèvre et le Loup voulurent devenir riches, et s’associèrent, pour faire valoir une métairie.

— « Loup, dit la Chèvre, les bons comptes font les bons amis. Avant de nous mettre au travail, il faut bien faire nos accords, et convenir de la part que chacun doit prendre dans les récoltes. L’un de nous aura ce qui poussera sous la terre, et l’autre ce qui poussera dessus. Choisis. Je me contente de ce que tu ne voudras pas.

— Loup, je choisis ce qui poussera dessus. »

La Chèvre sema toute la métairie en aulx, oignons, et raves, de sorte qu’elle eut toutes les têtes, et que son pauvre associé n’eut que les queues.

— « Je me suis trompé l’année dernière, dit le Loup. Je choisis, pour celle-ci, tout ce qui poussera sous la terre. »

La Chèvre sema toute la métairie en blé et en seigle, de sorte qu’elle eut tout le grain, toute la paille, et que son pauvre associé n’eut que les racines.

Alors, le Loup se promit de punir la Chèvre de ses mauvais tours, et de profiter de la première occasion où il serait seul avec elle pour la manger. Mais celle-ci devina la pensée du Loup, et se tint sur ses gardes, en attendant le moment de se débarrasser de son ennemi.

Un jour, le Loup s’en alla trouver la Chèvre.

— « Bonjour, Chèvre.

— Bonjour, Loup.

— Chèvre, j’ai de bien mauvaise soupe à la maison, et je viens goûter la tienne.

— Avec plaisir, Loup. »

La Chèvre donc servit au Loup une grande assiettée de soupe. Ensuite, ils allèrent se promener jusqu’à une église, dont la porte était trouée.

— « Chèvre, dit le Loup, entrons dans cette église, pour y prier Dieu.

— Avec plaisir, Loup.

— À présent que nous sommes entrés. Chèvre, il faut que je te mange.

— Imbécile ! je suis vieille et maigre. Tu ferais un triste repas. Mange plutôt cette miche de pain de quinze livres, que quelqu’un a mise, pour le curé, sur une marche de l’autel.

— Tu as raison. Chèvre. »

Le Loup se jeta donc sur la miche, et la Chèvre profita de ce moment pour sortir par le trou de la porte. Mais quand le Loup voulut en faire autant, il se trouva que tout le pain qu’il avait avalé lui avait tellement, tellement enflé le ventre, qu’il ne pouvait plus passer.

— « À mon secours, Chèvre. Le trou de la porte s’est rapetissé.

— Non, Loup. C’est ton ventre qui s’est enflé. Tâche de sortir de l’église, en grimpant le long de la corde de la cloche. »

Le Loup se pendit donc à la corde, et mit la cloche à la volée, de sorte que les gens de la paroisse accoururent à ce tapage. Quand ils virent à qui ils avaient affaire, ils s’armèrent de fourches et de bâtons. La vilaine bête faillit y laisser le cuir, et s’échappa tout en sang.

La Chèvre, qui regardait de loin, riait comme une folle.

— « Ah ! Chèvre, les gens de cette paroisse sont de bien mauvais chrétiens. Vois l’état dans lequel il m’ont mis, devant l’autel même du Bon Dieu. Je n’en puis plus. Je donnerais dix ans de ma vie contre un peu d’eau, pour laver mes plaies, et pour me guérir de la soif que me donne tout le pain que j’ai mangé.

— Eh bien, Loup, saute dans ce puits. Quand tu y auras lavé tes plaies, et bu à ta soif, je t’aiderai à remonter. »

Le Loup sauta donc dans le puits, y lava ses plaies, et y but à sa soif.

— « Maintenant, Chèvre, aide-moi à remonter.

— Loup, tu es dans le puits. Demeure-s-y[68]. »

V

le charbonnier



Il y avait, une fois, au bois du Gajan[69], un charbonnier qui venait d’allumer du feu dans sa cabane. Le Loup vint à passer par là. Il entra sans façon.

— « Charbonnier, dit le Loup, il fait bien froid. Fais bon feu.

— Loup, chauffe-toi. »

Le Charbonnier jeta une brassée de fagots dans le feu, et le Loup fut bientôt réchauffé.

En ce moment, le Renard vint à passer par là. Il entra sans façon.

— « Charbonnier, dit le Renard, il fait bien froid. Fais bon feu.

— Renard, chauffe-toi. »

Le Charbonnier jeta une brassée de fagots dans le feu ; et le Renard fut bientôt réchauffé.

En ce moment, le Lièvre vint à passer par là. Il entra sans façon.

— « Charbonnier, dit le Lièvre, il fait bien froid. Fais bon feu.

— Lièvre, chauffe-toi. »

Le Charbonnier jeta une brassée de fagots dans le feu ; et le Lièvre fut bientôt réchauffé.

Alors, le charbonnier dit aux trois bêtes :

— « Je vous ai bien fait chauffer. Maintenant, vous devriez aller chercher de quoi faire ensemble un bon repas.

— Moi, dit le Loup, je sais un troupeau de moutons. Je vais chercher le plus beau.

— Pars, Loup, et reviens vite.

— Moi, dit le Renard, je sais de beaux chapons dans un poulailler. Je vais chercher le plus gras.

— Pars, Renard, et reviens vite.

— Moi, dit le Lièvre, je sais un jardin où il y a des choux superbes. Je vais chercher le plus gros.

— Pars, Lièvre, et reviens vite. Nous verrons qui de vous trois sera le premier rentré. »

Les trois bêtes partirent au grand galop. Une heure après, le Lièvre arrivait le premier, avec un chou superbe.

— « Lièvre, dit le Charbonnier, tu arrives le premier. Je n’ai jamais vu de chou beau comme le tien. Viens le déposer dans ma cabane. Tu as froid. Je vais bien te faire chauffer. »

Le Lièvre entra donc dans la cabane. Tandis qu’il se chauffait, sans se méfier, le Charbonnier l’assomma d’un coup de bâton, et le couvrit de branches, pour qu’il ne fût pas vu du Loup et du Renard.

Une heure après, le Loup arriva avec un beau mouton.

— « Loup, dit le Charbonnier, tu arrives le premier. Je n’ai jamais vu de mouton beau comme le tien. Viens le déposer dans ma cabane. Tu as froid. Je vais bien te faire chauffer. »

Le Loup entra donc dans la cabane. Tandis qu’il se chauffait, sans se méfier, le Charbonnier le poussa au beau milieu du feu. La bête pensa n’en pas sortir, et s’enfuit à travers le bois, avec le poil tout brûlé.

Une heure après, le Renard arriva avec un beau chapon bien gras.

— « Renard, dit le Charbonnier, tu arrives le premier. Je n’ai jamais vu de chapon beau et gras comme le tien. Viens le déposer dans ma cabane. Tu as froid. Je vais bien te faire chauffer. »

Le Renard entra donc dans la cabane. Tandis qu’il se chauffait, sans se méfier, et tournait le derrière à la flamme, la queue en l’air, le Charbonnier lui planta au beau milieu du cul la broche rougie à blanc. La bête en pensa mourir, et s’enfuit à travers le bois, avec la chair toute brûlée.

Voilà comment, par sa finesse, le Charbonnier gagna un chou, un lièvre, un mouton, et un chapon.

Le lendemain, le Loup et le Renard se rencontrèrent dans le bois du Gajan.

— « Eh bien ! mon pauvre Loup.

— Eh bien ! mon pauvre Renard.

— Renard, le Charbonnier est une canaille. Je lui avais apporté un beau mouton, et je me chauffais sans me méfier. Alors, il m’a poussé au beau milieu du feu. J’ai pensé n’en pas sortir, et j’ai pris la fuite à travers le bois, avec le poil tout brûlé.

— Loup, le Charbonnier est une canaille. Je lui avais apporté un beau chapon bien gras, et je me chauffais sans me méfier, tournant le derrière à la flamme, la queue en l’air. Alors, il m’a planté au beau milieu du cul la broche rougie à blanc. J’ai pensé en mourir, et j’ai pris la fuite à travers le bois, avec la chair toute brûlée.

— Renard, que pourrions-nous faire au charbonnier ?

— Loup, je ne reviens pas chez lui.

— Ni moi non plus, Renard[70]. »

VI

le château des trois loups



Il y avait, une fois, un homme et une femme qui avaient un chat, un coq, une oie et un bélier.

Un jour, l’homme dit à la femme :

— « Femme, c’est demain carnaval. Il faut tuer le Coq. »

Le Chat écoutait, accroupi près du foyer. Aussitôt, il alla trouver le Coq.

— « Compère Coq, va vite te cacher dehors, derrière la meule de paille. Je viens d’entendre l’homme dire à la femme : « Femme, c’est demain carnaval. Il faut tuer le Coq. »

Le Coq s’en alla donc vite dehors, se cacher derrière la meule de paille. La femme le chercha longtemps, longtemps.

— « Homme, je ne trouve pas le Coq.

— Eh bien, femme, il faut tuer l’Oie. »

Le Chat écoutait, accroupi près du foyer. Aussitôt, il alla trouver l’Oie.

— « Commère Oie, va vite te cacher dehors, avec le Coq, derrière la meule de paille. Je viens d’entendre la femme dire à l’homme : « Homme, je ne trouve pas le Coq. » Alors, l’homme a répondu : « Eh bien, femme, il faut tuer l’Oie. »

L’Oie s’en alla donc vite dehors, se cacher avec le Coq, derrière la meule de paille. La femme chercha longtemps, longtemps.

— « Homme, je ne trouve pas l’Oie.

— Eh bien, femme, il faut tuer le Bélier. »

Le Chat écoutait, accroupi près du foyer. Aussitôt, il alla trouver le bélier.

— « Compère Bélier, va vite te cacher dehors, derrière la meule de paille. Je viens d’entendre la femme dire à l’homme : « Homme, je ne trouve pas l’Oie. » Alors, l’homme a répondu : « Eh bien, femme, il faut tuer le Bélier. »

Le Bélier s’en alla donc vite dehors, se cacher avec le Coq et l’Oie, derrière la meule de paille. La femme chercha longtemps, longtemps.

— « Homme, je ne trouve pas le Bélier.

— Eh bien, femme, il faut tuer le Chat. »

Le Chat écoutait, accroupi près du foyer. Aussitôt, il s’en alla dehors, trouver le Coq, l’Oie, et le Bélier, derrière la meule de paille.

— « Mes amis, dit-il, je viens d’entendre la femme dire à l’homme : « Homme, je ne trouve pas le Bélier. » Alors, l’homme a répondu : « Eh bien, femme, il faut tuer le Chat. » Mes amis, il ne fait pas bon ici pour nous. Décampons, et allons voir du pays.

— Tu as raison, compère Chat. »

Tous les quatre décampèrent aussitôt. Ils s’en allèrent loin, loin, loin. Enfin, la nuit les surprit au milieu du Ramier[71]. Le Coq, l’Oie, le Bélier et le Chat, marchèrent encore longtemps, longtemps, longtemps, sans jamais pouvoir retrouver leur chemin.

Alors, le Coq monta sur un grand chêne, pour tâcher de regarder au loin. Jamais il ne put atteindre jusqu’à la cime. En quatre sauts, le Chat fit mieux que le Coq.

— « Mes amis, j’aperçois là-bas, là-bas, là-bas, une lumière à travers le bois. »

Le Chat descendit du grand chêne, et tous quatre repartirent.

Ils marchèrent longtemps, longtemps, longtemps. Enfin, ils arrivèrent au château des Trois Loups.

Toutes les portes, tous les contrevents, étaient ouverts, toutes les chambres éclairées. Pourtant, il n’y avait personne au château. Les Trois Loups s’en étaient allés au bal, dans le bois de Réjaumont[72].

Que firent alors les quatre amis ? Ils s’attablèrent, et ne se laissèrent manquer de rien. Cela fait, ils éteignirent les lumières, et fermèrent tous les contrevents et toutes les portes, sauf la grande. Puis, le Coq alla se jucher sur la plus haute cheminée du château. L’Oie se cacha dans l’évier de la cuisine, le Bélier dans le lit de l’aîné des Trois Loups. Le Chat s’accroupit près du foyer.

Une heure avant la pointe de l’aube, les quatre amis entendirent un grand tapage. C’étaient les Trois Loups qui rentraient du bal du bois de Réjaumont.

Devant la grande porte ouverte du château, les Trois Loups s’assirent pour tenir conseil.

— « Tous les contrevents, disaient-ils, toutes les portes du château, sauf la grande, sont fermés. Toutes les lumières sont éteintes. Il y a là de quoi nous méfier. »

Alors, l’aîné des Trois Loups dit au plus jeune :

— « Frère, c’est à toi de marcher devant. Pars, et reviens vite nous conter ce qui se passe. »

Le plus jeune des Trois Loups obéit. En tâtonnant, il arriva, dans l’obscurité, jusqu’à la cuisine. Là, comme il s’était fort échauffé, à danser au bal du bois de Réjaumont, il voulut d’abord aller boire à la cruche.

Alors, l’Oie, cachée dans l’évier, lui allongea trois grands coups de bec sur la tête.

— « Cââc ! cââc ! cââc ! »

Le plus jeune des Trois Loups s’enfuit épouvanté.

— « Frères, frères, à mon secours. Je n’en puis plus. Figurez-vous qu’en tâtonnant, j’étais arrivé, dans l’obscurité, jusqu’à la cuisine. Là, j’ai voulu d’abord aller boire à la cruche. Mais, dans l’évier, se cache un menuisier, qui m’a allongé trois grands coups de maillet sur la tête.

— Imbécile, il fallait d’abord allumer la chandelle.

— Vous avez raison. Mais je n’en puis plus. Fouille le château qui voudra. »

Alors, l’aîné des Trois Loups dit à son cadet :

— « Frère, c’est à toi de marcher devant. Pars, et reviens vite nous conter ce qui se passe. Gare-toi du menuisier caché dans l’évier, et allume d’abord la chandelle au foyer. »

Le cadet des Trois Loups obéit. En tâtonnant, il arriva, dans l’obscurité, jusqu’à la cuisine. Là, il chercha la cheminée, pour avoir du feu, et allumer d’abord la chandelle.

Alors, le Chat, accroupi près du foyer, lui campa trois coups de griffe, qui lui mirent le museau tout en sang.

— « Miaoû ! miaoû ! miaoû ! »

Le cadet des Trois Loups s’enfuit épouvanté.

— « Frères, frères, à mon secours. Je n’en puis plus. Figurez-vous qu’en tâtonnant j’étais arrivé, dans l’obscurité, jusqu’à la cuisine. Là, j’ai cherché d’abord la cheminée, pour avoir du feu, et allumer la chandelle. Mais un cardeur, accroupi près du foyer, m’a lancé trois coups de peigne de fer, qui m’ont mis le museau tout en sang.

— Imbécile, il fallait tenir bon, et souffler sur les cendres chaudes.

— Vous avez raison. Mais je n’en puis plus. Fouille le château qui voudra. »

Alors, les deux Loups cadets dirent à leur frère aîné :

— « Frère, c’est à toi de marcher devant. Pars, et reviens ensuite nous conter ce qui se passe. Gare-toi du menuisier caché dans l’évier, et du cardeur accroupi près du foyer. »

L’aîné des Trois Loups obéit. En tâtonnant, il arriva, dans l’obscurité, jusqu’à son lit.

Alors, le Bélier bondit, et lui porta, dans le ventre, trois grands coups de tête, à lui faire vomir les tripes.

— « Bêê ! bêê ! bêê ! »

L’aîné des Trois Loups s’enfuit épouvanté.

— « Frères, frères, à mon secours. Je n’en puis plus. Figurez-vous qu’en tâtonnant, j’étais arrivé, dans l’obscurité, jusqu’à mon lit. Mais un forgeron couché dedans a bondi, et m’a porté, dans le ventre, trois coups de têtu[73], à me faire vomir les tripes.

— Imbécile, il fallait lui prendre son têtu.

— Vous avez raison. Mais je n’en puis plus. Fouille le château qui voudra. »

En ce moment, le Coq, juché sur la plus haute cheminée du château, chanta trois fois.

— « Coucouroucou ! coucouroucou ! coucouroucou ! »

À ce bruit, les Trois Loups décampèrent pour toujours. Le Coq, l’Oie, le Bélier, et le Chat, demeurèrent

maîtres au château, et ils y vécurent longtemps heureux[74].

VII

le conte de jeanne



Il y avait, une fois, un homme et une femme qui vivaient pauvres, bien pauvres, dans leur maisonnette, avec leur fille de dix-huit ans. Cette fille s’appelait Jeanne.

Un soir, l’homme dit à sa femme :

— « Femme, vois comme nous sommes pauvres. Nous n’avons plus qu’une ressource. Il nous faut marier Jeanne.

— Mon homme, tu n’y penses pas. Marier Jeanne ? Et avec quoi ferons-nous la noce ?

— Femme, pour faire la noce, nous tuerons le chat, la petite oie, et la poulette.

— Mon homme, tu as raison. »

Mais le Chat écoutait, caché sous la table. Aussitôt, il s’en alla trouver la Petite Oie.

— « Écoute, Petite Oie. Nos maîtres vont marier Jeanne. Pour faire la noce, on nous tuera, moi, toi, et la Poulette. Si tu veux me croire, nous avertirons la Poulette, et, tous trois, nous partirons à minuit.

— Chat, tu as raison. »

Le Chat et la Petite Oie s’en allèrent donc avertir la Poulette, et tous trois partirent avant minuit.

Ils s’en allèrent loin, loin, loin.

— « Comme la jambe de Guillem[75]. »

Quand ils furent loin, loin, loin, la Petite Oie s’arrêta, rendue de fatigue.

— « Chat, je n’en puis plus.

— Eh bien. Petite Oie, demeure ici. Je vais t’y bâtir une étable. »

Le Chat bâtit donc une étable pour la Petite Oie, et repartit avec la Poulette.

Ils s’en allèrent loin, loin, loin.

Quand ils furent loin, loin, loin, la Poulette s’arrêta, rendue de fatigue.

— « Chat, je n’en puis plus.

— Eh bien, Poulette, demeure ici. Je vais t’y bâtir une étable. »

Le Chat bâtit donc une étable pour la Poulette, et repartit.

Il s’en alla loin, loin, loin.

Quand il fut si loin, le Chat était rendu de fatigue.

Alors, il s’arrêta, et se bâtit une étable.

Tandis que le Chat vivait tranquille dans son étable, le Loup alla frapper chez la Petite Oie.

— « Pan ! pan !

— Qui est là ?

— Ami. Vite, ouvre-moi la porte, Petite Oie. »

Mais la Petite Oie avait reconnu la voix du Loup.

— « Non, Loup, je ne t’ouvrirai pas la porte. Tu me mangerais.

— Petite Oie, je te dis que non.

— Loup, je te dis que si.

— Petite Oie, si tu ne m’ouvres pas vite la porte, je démolis ton étable. »

La Petite Oie ne répondit plus.

Alors, le Loup brisa la porte, d’un grand coup de cul.

Mais la Petite Oie prit aussitôt la volée, et s’en alla trouver la Poulette.

— « Pan ! pan !

— Qui est là ?

— Ami. Vite, ouvre-moi la porte, Poulette. »

La Poulette ouvrit donc vite la porte. Elle avait reconnu la voix de la Petite Oie.

— « Poulette, referme vite, de peur du Loup. Tout à l’heure, il est venu chez moi, et il a brisé la porte de mon étable, d’un grand coup de cul. »

La Poulette n’eut que le temps de refermer.

— « Pan ! pan !

— Qui est là ?

— Ami. Vite, ouvre-moi la porte, Poulette. »

Mais la Poulette avait reconnu la voix du Loup.

— « Non, Loup, je ne t’ouvrirai pas la porte. Tu me mangerais.

— Poulette, je te dis que non.

— Loup, je te dis que si.

— Poulette, si tu ne m’ouvres pas vite la porte, je démolis ton étable. »

La Poulette ne répondit plus.

Alors, le Loup brisa la porte, d’un grand coup de cul.

Mais la Petite Oie et la Poulette prirent aussitôt leur volée, et s’en allèrent trouver le Chat.

— « Pan ! pan !

— Qui est là ?

— Amis. Vite, ouvre-nous la porte, Chat. »

Le Chat ouvrit donc vite la porte. Il avait reconnu les voix de la Petite Oie et de la Poulette.

— « Chat, referme vite, de peur du Loup. Tout à l’heure, il est venu chez nous, et il a brisé les portes de nos étables, de deux grands coups de cul. »

Le Chat n’eut que le temps de refermer.

— « Pan ! pan !

— Qui est là ?

— Ami. Vite, ouvre-moi la porte. Chat. »

Mais le Chat avait reconnu la voix du Loup.

— « Loup, je ne t’ouvrirai pas la porte. Tu me mangerais.

— Chat, je te dis que non.

— Loup, je te dis que si.

— Chat, ouvre-moi la porte. Nous vivrons en bons amis, moi, toi, la Poulette, et la Petite Oie. Je vous fournirai des choux pour faire la soupe, des poules pour mettre à la broche. Demain, nous irons tous quatre ensemble à la foire de Fleurance[76].

— Oui, Loup. Nous irons tous quatre ensemble. Mais, cette nuit, je n’ouvre pas ma porte. Reviens nous chercher au lever du soleil. »

Le Loup partit donc, et revint au lever du soleil. Mais le Chat, la Poulette et la Petite Oie étaient partis, dès la pointe de l’aube. À la foire de Fleurance, tous trois se méfiaient, et faisaient courir l’œil.

Tout à coup, la Poulette et la Petite Oie crièrent épouvantés :

— « Chat, regarde là-bas, là-bas. Le Loup arrive pour nous manger.

— N’ayez pas peur. Je suis plus fin que lui. Allez à vos affaires, et fiez-vous à moi. »

La Poulette et la Petite Oie obéirent.

Alors, le Chat acheta vite, vite, un crible, et un sou de chandelles de résine. Dans chaque trou du crible, il planta un marquet[77] avec un morceau de chandelle allumée, et marcha au-devant du Loup, en portant le crible devant lui.

Il faisait déjà nuit noire. En voyant toutes les lumières, le loup eut peur, et s’en retourna.

La Poulette et la Petite Oie avaient fini leurs affaires. Elles revinrent à l’étable du Chat.

Mais lui n’avait pas encore ce qu’il lui fallait. Avant de rentrer chez lui, il acheta un plein sac de lames de couteau, de pointes de fer, et de culs de bouteilles. Cela fait, il alla rejoindre la Poulette et la Petite Oie.

À minuit, le Loup revint frapper à la porte de l’étable.

— « Pan ! pan !

— Qui est là ?

— Ami. Vite, ouvre-moi la porte, Chat. »

Mais le Chat avait reconnu le Loup à la voix.

— « Non, Loup. Je ne t’ouvrirai pas la porte. Tu me mangerais.

— Chat, tu es un rien-qui-vaille. Hier, tu m’avais promis que nous irions tous quatre à la foire de Fleurance, moi, toi, la Poulette, et la Petite Oie. Vous ne m’avez pas attendu.

— Loup, nous étions pressés. Mais nous sommes allés à la foire, et nous ne t’y avons pas vu.

— Chat, j’ai rencontré sur mon chemin un grand feu marchant. Alors, j’ai eu peur, et je m’en suis retourné. »

Sans être vu du Loup, le Chat crevait de rire.

— « Écoute, Chat. Ouvre-moi la porte. Nous vivrons en bons amis, moi, toi, la Poulette, et la Petite Oie. Je vous fournirai des choux pour faire la soupe, des poules pour mettre à la broche. Demain, nous irons tous quatre ensemble à la foire de Saint-Clar[78].

— Oui, Loup. Nous irons tous quatre ensemble. Mais, cette nuit, je n’ouvre pas ma porte. Reviens nous chercher au lever du soleil. »

Le Loup partit donc, et revint au lever du soleil. Mais le Chat, la Poulette, et la Petite Oie, s’étaient cachés hors de l’étable, et guettaient.

— « Pan ! pan ! »

Personne ne répondit.

— « Canailles ! Ils sont partis sans moi pour la foire de Saint-Clar. Patience ! Je reviendrai cette nuit. »

Le Loup n’avait pas tourné les talons, que le Chat, la Poulette, et la Petite Oie, travaillaient à garnir la porte de l’étable des lames de couteau, des pointes de fer, et des culs de bouteilles, achetés à la foire de Fleurance.

À minuit, le Loup revint.

— « Pan ! pan !

— Qui est là ?

— Ami. Vite, ouvre-moi la porte, Chat. »

Mais le Chat avait reconnu le Loup à la voix.

— « Non, Loup. Je ne t’ouvrirai pas la porte. Tu me mangerais.

— Chat, tu es un rien-qui-vaille. Hier, tu m’avais promis que nous irions tous quatre ensemble à la foire de Saint-Clar, moi, toi, la Poulette, et la Petite Oie, vous ne m’avez pas attendu.

— Loup, nous étions pressés.

— Chat, ouvre-moi vite la porte. Tu ne veux pas ? Une, deux, trois. »

Alors, le Loup s’élança contre la porte, pour la briser, d’un grand coup de cul. Mais il retomba tout en sang, blessé par les lames de couteau, les pointes de fer, et les culs de bouteilles.

— « Aie ! aie ! aie ! Au secours ! Aie ! aie ! aie ! »

Sur le toit de l’étable, le Chat, la Poulette, et la Petite Oie, s’esclaffaient de rire.

— « Aie ! aie ! aie ! Au secours ! Aie ! aie ! aie !

— Qu’as-tu, pauvre Loup ? Qu’as-tu ?

— Au secours ! mes amis. Au secours ! »

Et la male bête creva[79].

VIII

la petite oie




Il y avait, une fois, une petite oie, qui se bâtit un beau château avec des crottettes et des bûchettes.

Le beau château fini, le Loup vint frapper à la porte.

— « Pan ! pan !

— Qui est là ?

— Ami. Ouvre, Petite Oie. »

Mais la Petite Oie avait reconnu le Loup à la voix.

— « Loup, je n’ouvre pas. Tu me mangerais.

— Petite Oie, je ne te mangerai pas. Ouvre, ou j’enfonce la porte.

— Loup, la porte est solide. Je ne l’ouvrirai que si tu m’enseignes où je ferai bonne chère.

— Petite Oie, suis-moi là-bas, là-bas, jusqu’à ce ruisseau. Je te montrerai un poirier, chargé de belles poires mûres. »

Mais la Petite Oie n’ouvrit pas la porte. Du toit de son beau château, elle s’envola sur le poirier, et se rassasia de belles poires mûres.

Tout en bas, le Loup faisait le câlin.

— « Descends, Petite Oie, descends.

— Tout à l’heure, Loup. Tout à l’heure. En attendant, régale-toi de ces belles poires mûres. »

En effet, la Petite Oie jeta quelques poires dans le ruisseau. Le Loup voulut aller les prendre ; mais il pensa se noyer.

La Petite Oie, rassasiée, s’envola dans son château.

Quelques jours après, le Loup revint frapper à la porte,

— « Pan ! pan !

— Qui est là ?

— Ami. Ouvre, Petite Oie. »

Mais la Petite Oie avait reconnu le Loup à la voix.

— « Loup, je n’ouvre pas. Tu me mangerais.

— Petite Oie, je ne te mangerai pas. Ouvre, ou j’enfonce la porte.

— Loup, la porte est solide. Je ne l’ouvrirai que si tu m’enseignes où je ferai bonne chère.

— Petite oie, suis-moi là-bas, là-bas, tout près de ce bois. Je te montrerai un pommier, chargé de belles pommes mûres. »

Mais la Petite Oie n’ouvrit pas la porte. Du toit de son beau château, elle s’envola sur le pommier, et se rassasia de belles pommes mûres.

Tout en bas, le Loup faisait le câlin.

— « Descends, Petite Oie, descends.

— Tout à l’heure, Loup. Tout à l’heure. En attendant, attrape cette belle pomme mûre. »

Le Loup leva la tête. Alors, la Petite Oie lui chia dans les yeux, dont il souffrit mort et passion toute une semaine.

Un mois plus tard, la Petite Oie partit, en volant, pour la foire, suivie d’un poulet de ses amis.

À la foire, la Petite Oie acheta un âne. Elle marchanda deux grands chaudrons, un pour elle, l’autre pour son ami le Poulet. Mais l’argent lui manqua pour payer.

Le soir même de la foire, tous deux soupaient à l’auberge, attablés avec un grand fantôme, qui avait trouvé une masse d’or rouge.

— « Poulet, dit le fantôme, ne pourrais-tu pas m’indiquer un chaudronnier, à qui je pourrai vendre cette masse de cuivre ?

— Fantôme, je sais l’homme qu’il te faut. Mais il est tard. Allons nous coucher. Compte sur moi pour te réveiller de bon matin, et pour te mener chez le chaudronnier. »

Tous trois allèrent se coucher. Mais, sur le conseil de la Petite Oie, le Poulet se garda bien de réveiller le fantôme. Tandis que celui-ci ronflait encore, la Petite Oie et son ami le Poulet, chargeaient la masse d’or rouge sur leur âne, et partaient pour la boutique du chaudronnier.

— « Bonjour, chaudronnier. Combien veux-tu nous donner de grands chaudrons, pour cette masse d’or rouge ?

— Mes amis, je vous en donne trois.

— Chaudronnier, nous n’en voulons que deux. »

La Petite Oie et son ami le Poulet chargèrent donc les deux chaudrons sur leur âne, l’un à droite, l’autre à gauche, et partirent au galop.

Le soir même, ils étaient rentrés au château.

— « Poulet, mon ami, étrennons nos deux grands chaudrons. Faisons des armotes[80]. »

Tandis que les armotes cuisaient, le Loup revint frapper à la porte.

— « Pan ! pan !

— Qui est là ?

— Ami. Ouvre, Petite Oie. »

Mais la Petite Oie avait reconnu le Loup à la voix. Pourtant, elle ouvrit la porte, sans peur ni crainte.

— Entre, Loup. Veux-tu manger des armotes ? En voici deux grands chaudrons. Mange. Elles sont refroidies à point. »

Sans se méfier de rien, le Loup sauta dans l’un des grands chaudrons pleins d’armotes bouillantes.

— « Aie ! aie ! aie ! »

Que firent alors la Petite Oie et son ami le Poulet ? Ils renversèrent l’autre grand chaudron sur celui où avait sauté le Loup, et partirent, laissant ainsi la male bête cuire à l’étouffée.

À minuit, il pleuvait à déluge. La Petite Oie et son ami le Poulet ne savaient où s’abriter. Ils frappèrent à la porte de Porc Pingou[81].

— « Pan ! pan !

— Qui est là ?

— Ami. Ouvre, Porc Pingou.

— Passez votre chemin. Je n’ouvre pas.

— Écoute, Porc Pingou, gare à ta porte.

Tant je tournerai[82],
Tant je tournoierai,
Je foutrai un coup de cul, et je te l’abattrai.

— Passez votre chemin. Je n’ouvre pas.

— Ouvre, Porc Pingou, ou gare à ta porte.

Tant je tournerai,
Tant je tournoierai,
Je foutrai un coup de cul, et je te l’abattrai.

— Passez votre chemin. Je n’ouvre pas. »

Alors, la Petite Oie donna un grand coup de cul contre la porte.

Mais la porte était solide, et garnie en dehors de longues pointes de fer. Aussi, la Petite Oie perdit-elle toute envie de recommencer.

— « Ami Poulet, retournons à mon château. Maintenant, le Loup doit être tout à fait cuit à

l’étouffée[83]. »

IX

le loup et l’enfant



Il y avait, une fois, un homme et une femme, qui n’avaient qu’un enfant de cinq ans. Un jour, cet enfant dit à sa mère :

— « Mère, laissez-moi aller tout seulet chez ma tante.

— Non, mon ami. Tu es encore trop petit, pour y aller tout seulet. Il faut traverser un grand bois, et le Loup te mangerait. »

Alors, l’enfant se mit à pleurer.

— « Mère, je vous dis que je veux y aller. Je connais tous les chemins du grand bois, et le Loup ne me mangera pas.

— Eh bien ! mon ami, puisque tu le veux, pars, et que le Bon Dieu te garde de tout mal. »

L’enfant partit donc tout seulet. Arrivé au milieu du grand bois, il trouva le Loup, qui s’était vêtu en curé, et qui faisait semblant de lire son bréviaire.

— « Bonjour, monsieur le Curé.

— Bonjour, mon ami. Où vas-tu ainsi ?

— Monsieur le Curé, je vais voir ma tante.

— Et où demeure ta tante, mon ami ?

— Monsieur le Curé, elle demeure là-bas, là-bas, dans une petite métairie, qu’on trouve après avoir passé le grand bois.

— Oh ! la brave femme. Je la connais bien. C’est une de mes paroissiennes. Deux fois par an, elle m’apporte en présent une paire de chapons gras. Souhaite-lui bien le bonjour de ma part.

— Je n’y manquerai pas, monsieur le Curé. »

L’enfant suivit son chemin, et le Loup se remit à faire semblant de lire son bréviaire.

— « Bon ! pensa-t-il. Je vais manger la tante et le neveu. »

Aussitôt, il jeta ses habits de curé, et partit au grand galop pour la petite métairie.

— « Pan ! pan !

— Qui frappe ?

— C’est votre neveu, ma tante.

— Tire la cordelette, et le loquet se lèvera. »

Le Loup tira donc la cordelette, sauta sur la pauvre vieille, et la dévora, sans en rien réserver qu’un verre de sang. Cela fait, il prit la coiffe de la morte, et se mit au lit. À peine était-il couché, que l’enfant frappait à la porte.

— « Pan ! pan !

— Qui frappe ?

— C’est votre neveu, ma tante.

— Tire la cordelette, et le loquet se lèvera. »

L’enfant entra dans la chambre.

— « Bonjour, ma tante.

— Bonjour, mon ami. Tu dois être las. Bois ce verre de vin qui est sur la table. C’est du vin nouveau. Je l’ai tiré tout à l’heure. Maintenant, viens te mettre au lit avec moi. »

L’enfant se déshabilla donc, et se mit au lit.

— « Ah ! mon Dieu ! Que vos jambes sont velues, ma tante !

— La vieillesse, mon ami.

— Ah ! mon Dieu ! Que vos yeux brillent, ma tante !

— C’est pour mieux te voir, mon ami.

— Ah ! mon Dieu ! Que vous avez de grandes dents, ma tante !

— C’est pour mieux te briser, mon ami. »

Alors, le Loup étrangla l’enfant, et le mangea[84].

IV

Le Renard

I

le renard et le loup



Un jour, le Renard et le Loup voyageaient de compagnie. Sur leur chemin, ils trouvèrent un pot de miel.

— « Bonne affaire, Loup, dit le Renard. Si tu veux me croire, nous enterrerons ici ce pot de miel, et nous le partagerons en revenant.

— Renard, je le veux bien. »

Le Renard et le Loup enterrèrent donc le pot ce miel, et repartirent. Cinq cents pas plus loin, le Renard s’arrêta court.

— « Jésus, mon Dieu ! Oublieux que je suis ! Je ne songeais plus qu’on m’attend, pour un baptême. C’est pourtant moi qui suis parrain. Loup, marche devant. Je ne tarderai guère à te rejoindre. »

Tandis que le Loup marchait devant, le Renard courut entamer le pot de miel. Cinq minutes plus tard, il avait rejoint le Loup.

— « Renard, voilà un baptême bientôt fait.

— C’est vrai, Loup.

— Dis-moi, Renard, quel nom as-tu donné à ton filleul ?

— Loup, je lui ai donné
Le nom d’Entamé[85]. »

Cinq cents pas plus loin, le Renard s’arrêta court.

— « Jésus, mon Dieu ! Oublieux que je suis ! Je ne songeais plus qu’on m’attend, pour un autre baptême. C’est pourtant moi qui suis le parrain. Loup, marche devant. Je ne tarderai guère à te rejoindre. »

Tandis que le Loup marchait devant, le Renard courut manger à moitié le pot de miel. Cinq minutes plus tard, il avait rejoint le Loup.

— « Renard, voilà un autre baptême bientôt fait.

— C’est vrai, Loup.

— Dis-moi, Renard, quel nom as-tu donné à ton filleul.

— Loup, je lui ai donné
Le nom d’À-moitié[86]. »

Cinq cents pas plus loin, le Renard s’arrêta court.

— « Jésus, mon Dieu ! oublieux que je suis ! Je ne songeais plus qu’on m’attend encore, pour un autre baptême. C’est pourtant moi qui suis le parrain. Loup, marche devant. Je ne tarderai guère à te rejoindre. »

Tandis que le Loup marchait devant, le Renard courut achever le pot de miel. Cinq minutes plus tard, il avait rejoint le Loup.

— « Renard, voilà un autre baptême bientôt fait.

— C’est vrai, Loup.

— Dis-moi, Renard, quel nom as-tu donné à ton filleul ?

— Loup, je lui ai donné
Le nom d’Achevé[87]. »

Adieu, Loup. J’ai des affaires ailleurs. Quand tu t’en retourneras, ne manque pas au moins

de déterrer le pot de miel, et de m’en garder ma part[88]. »

II

le renard et le coq



Un jour, les gens d’un village criaient :

— « Le Renard emporte le coq de Jean de Lartigue. »

— « Renard, dit le Coq, réponds-leur : « Canailles, qu’est-ce que cela vous fout ? »

— Canailles, qu’est-ce que cela vous fout ? »

Tandis que la male bête ouvrait la bouche, le Coq s’envola chez Jean de Lartigue.

— « Ah ! dit le Renard, tout confus d’un pareil affront, j’aimerais mieux avoir perdu la queue. »

Juste en ce moment, un homme du village lança un grand coup de volant au Renard, et lui coupa la queue ras du cul.

— « Quel est donc ce pays ? criait le Renard, en décampant. Il n’y a pas moyen d’y parler pour

rire[89]. »

III

la chèvre et le renard



La Chèvre et le Renard s’étaient associés pour travailler une métairie. Quand le blé fut moissonné, battu, et vanné, le Renard fit deux tas séparés, le blé à droite, la paille à gauche, et dit à la Chèvre :

— « Chèvre, partageons. Je prends le blé ; prends la paille.

— Renard, cela n’est pas juste. Partageons par la moitié le blé et la paille.

— Le blé, Chèvre, tu n’en auras pas un grain.

— Renard, ceci n’est pas juste. Choisis de deux choses l’une. Moi, je vais chercher mon juge. Fais venir le tien, et ils diront droit sur notre procès. Sinon, amène tes compagnons. Moi, j’amènerai les miens. Nous ferons bataille.

— Bataille, soit. »

La Chèvre partit aussitôt pour Lectoure, et trouva trois gros chiens de boucher assis devant la halle.

— « Chiens de boucher, si vous faites bataille pour moi contre le Renard, je vous ferai téter tant que vous voudrez.

— Chèvre, c’est convenu. »

Les trois chiens de boucher tétèrent la chèvre tant qu’ils voulurent, et la suivirent à la métairie.

— « Chiens de boucher, enfermez-vous dans cette cabane, entre la paille et le blé, et ne sortez qu’au bon moment. »

Pendant ce temps-là, le Renard s’en était allé trouver le Loup, au bois du Gajan.

— « Loup, si tu fais bataille pour moi, contre la chèvre et ses compagnons, tu me rendras un grand service. »

Le Loup suivit le Renard sans rien dire.

Arrivé devant la cabane, entre la paille et le blé, le Renard commença ses explications.

— « Regarde, Loup, disait-il. Regarde si la paille que je donne toute à la Chèvre ne vaut pas, et même plus, le blé que je garde tout pour moi. »

Le Loup regardait toujours, sans parler. Il ne voyait pas les trois chiens de boucher, cachés dans la cabane. Mais il les entendait bâiller de chaud, et grincer des dents, quand les mouches leur piquaient les lèvres.

— « Renard, dit enfin le Loup,

Ni pour ton blé, ni pour ta paille,
Je ne me mets en bataille[90]. »

Et il partit au galop.

— « Hardi ! mes chiens, cria la Chèvre. »

Les trois chiens de boucher sautèrent sur le Renard et l’étranglèrent, de sorte que la Chèvre se trouva maîtresse du blé et de la paille[91].

IV

le renard et la pie



Un jour, le Renard tomba sur la Pie, qui n’était pas sur ses gardes.

— « Renard, dit la Pie, vois comme je suis dure et maigre. Certes, je ferais un triste régal. Laisse-moi vivre, et je te conduis aussitôt dans une métairie, où tu ne manqueras pas de poules tendres et grasses. »

Le Renard laissa donc vivre la Pie, qui le mena dans une métairie. Là, il se bourra de poules tendres et grasses, au point de se mettre hors d’état de marcher.

Alors, la Pie s’en alla trouver le chien de la métairie.

— « Chien, suis-moi. Tu ne t’en repentiras pas. »

Le chien suivit la Pie, et étrangla le Renard[92].

V

la merlesse et le renard



Il y avait, une fois, dans le vallon de Cruzos[93], une Merlesse[94] qui avait bâti son nid au bord d’un ruisseau, dans le plus fourré d’un hallier. Là, grandissaient quatre merluchons, sains et gaillards. Nuit et jour, la Merlesse pensait :

— « Encore quelques jours, et mes merluchons auront déniché. »

Par malheur, le Renard vint à passer.

— « Bonjour, Renard.

— Bonjour, Merlesse. On m’a dit que tu avais quatre merluchons beaux comme le jour. Je serais curieux de les voir. Montre-les-moi.

— Non, Renard. Tu les mangerais.

— Merlesse, montre-les-moi. Par mon âme, je ne les mangerai pas.

— Renard, tu n’as pas bonne réputation. Je ne te crois pas ; et pourtant, tu as juré par ton âme.

— C’est vrai, Merlesse, j’ai mené longtemps mauvaise vie. Mais hier, je me suis confessé à un moine de Bouillas[95]. Maintenant, je suis converti. Pour ma pénitence, il m’est défendu de manger de la viande pendant un an. Tu vois bien, Merlesse, que tu peux me montrer tes merluchons. »

Le Renard parla tant et si bien de sa conversion, que la Merlesse finit par y croire.

— « Eh bien, Renard, voici mes quatre merluchons. Regarde, comme ils sont sains et gaillards.

— Merlesse, tu te moques de moi, de me montrer ainsi quatre tanches au lieu de quatre merluchons.

— Renard, ce sont bien des merluchons.

— Non, Merlesse, ce sont des tanches. La preuve, c’est que je vais les manger comme telles. »

Tandis que le Renard mangeait les quatre merluchons, la Merlesse chantait à la cime d’un frêne :

— « Mange, Renard. Mange, mon ami. Tanches ou merluchons, je souhaite que ce repas te profite. Mange, Renard. Mange, mon ami. »

Voilà ce que la Merlesse chantait. Mais on ne chante pas toujours comme on pense.

La Merlesse pensait :

— « Pauvres, pauvres petits merluchons ! Gueux de Renard ! Je ne suis pas née pour faire bataille contre toi. Mais, patience. Je saurai bien trouver ton maître. »

Le Renard parti, la Merlesse prit sa volée jusqu’au pâtus communal de Marsolan[96]. Là, dormait, à l’ombre d’un pailler, un grand chien fort, leste, et hardi comme pas un. La Merlesse se posa près de lui, sans peur ni crainte.

— « Compère Riouet ! Compère Riouet[97] !

— Merlesse, tu m’ennuies. Je veux dormir.

— Compère Riouet, écoute, écoute, par pitié.

— Merlesse, je te dis que tu m’ennuies. Tu parleras quand j’aurai dormi. En attendant, chasse les mouches. »

Le chien s’endormit, et la Merlesse chassa les mouches jusqu’à son réveil.

— « Compère Riouet, venge-moi. Le Renard m’a mangé mes quatre merluchons.

— Merlesse, ça m’est égal.

— Compère Riouet, venge-moi. Quoi que tu demandes, je te promets de te donner contentement.

— Merlesse, je veux d’abord manger tout mon soûl.

— Compère Riouet, suis-moi. »

Tous deux prirent par la route de Marsolan à Lectoure, où il y avait grande foire ce jour-là. Deux marchandes cheminaient, portant chacune sur sa tête une grande corbeille recouverte d’une belle serviette blanche. De ces corbeilles s’échappait une bonne odeur de tortillons[98] chauds.

— « Compère Riouet, que dis-tu de ces deux corbeilles de tortillons ?

— Merlesse, je dis que j’aimerais autant les bâfrer, que de les voir filer pour la foire de Lectoure.

— Compère Riouet, attention. »

Alors, la Merlesse se mit à voler, en retombant tous les dix pas, comme font les oiseaux qui ont du plomb dans l’aile. Pour mieux courir après elle, les deux marchandes posèrent sur le chemin leurs corbeilles de tortillons, que le chien bâfra vite, vite, jusqu’à la dernière miette.

— « Eh bien, compère Riouet, es-tu content ?

— Non, Merlesse. Je veux maintenant boire tout mon soûl. »

En ce moment, passait sur la route un bouvier, conduisant une charrette chargée d’une barrique de bon vin blanc.

— « Compère Riouet, attention. »

Alors, la Merlesse se remit à voler, en retombant tous les dix pas, comme font les oiseaux qui ont du plomb dans l’aile. Ainsi volant, elle s’alla percher sur le fosset de la barrique de bon vin blanc.

Aussitôt, le bouvier lui lança un coup d’aiguillon, et courut à sa poursuite, sans prendre garde que, par le fosset brisé du coup d’aiguillon, sa barrique se vidait. Le chien lampa vite, vite, le bon vin blanc jusqu’à la dernière goutte.

— « Eh bien, compère Riouet, es-tu content ?

— Non, Merlesse. Je veux maintenant rire tout mon soûl. »

En ce moment, passaient, leurs bâtons à la main, le curé de Marsolan et deux de ses paroissiens, qui s’en allaient ensemble à la foire de Lectoure.

Alors, la Merlesse alla se percher sur le chapeau à trois cornes du curé.

Aussitôt, ses deux paroissiens lui lancèrent chacun bon coup de bâton.

— « Ah ! gueux, criait le curé, vous m’avez cassé la tête. Attendez, canailles. Attendez. »

Le chien riait tout son soûl, tandis que le curé de Marsolan et ses deux paroissiens s’assommaient à coups de bâton.

— « Eh bien, compère Riouet, es-tu content !

— Oui, Merlesse. J’ai mangé, j’ai bu, j’ai ri tout mon soûl.

— Eh bien, compère Riouet, venge-moi.

— Merlesse, c’est impossible. Le Renard a trop peur de moi. Dès qu’il me sent venir, il se cache, au plus profond de son terrier.

— Compère Riouet, tu n’auras pas à le poursuivre jusque-là. Je me charge de conduire le Renard à ta portée.

— Toi, Merlesse ?

— Moi, compère Riouet. Sais-tu ce que le Renard a dit de toi ?

— Non, Merlesse.

— Eh bien, compère Riouet, le Renard a dit de toi que tu es un lâche. Il s’est vanté de t’avoir pissé et chié dans la bouche.

— Ah ! Merlesse, le gueux s’est vanté de ça ?

— Oui, compère Riouet. Venge-moi donc, et venge-toi. Écoute. Va te coucher, le ventre en l’air, la bouche ouverte, les jambes raides, sur le pâtus communal de Marsolan. Fais comme si tu étais mort, et attends. »

Le chien obéit. Alors, la Merlesse prit sa volée, et s’en alla trouver le Renard.

— « Bonjour, Renard.

— Bonjour, Merlesse. Quoi de nouveau ?

— Renard, sois content. Ton ennemi, compère Riouet, est mort. Depuis trois jours, il gît, le ventre en l’air, la bouche ouverte, les jambes raides, sur le pâtus communal de Marsolan. C’est une véritable infection.

— Merlesse, tu me fais plaisir. Ah ! compère Riouet est mort. Le gueux m’a fait passer plus d’un mauvais quart d’heure.

— Renard, je le sais. Mais compère Riouet a fini de mal faire. À ta place, j’irais lui pisser et lui chier dans la bouche.

— Merlesse, tu as raison. »

Une heure après, la Merlesse et le Renard arrivaient au plateau de Marsolan. Le chien attendait, faisant le mort, couché le ventre en l’air, la bouche ouverte, les jambes raides.

— « Regarde, Renard. T’ai-je menti ? »

Sans se méfier, le Renard s’approcha, et leva la jambe.

— « Ouah ! »

Le chien sauta sur le Renard, et l’étrangla[99].

V

ANIMAUX DIVERS

I

l’aigle et le renard



Un jour, l’Aigle planait dans le ciel. Le Renard, qui le regardait d’en-bas, lui tira la langue.

Mais l’Aigle a de bons yeux. Comme un éclair, il plongea sur le Renard, l’emporta plus haut que les nuages, et le lâcha.

Tout en tombant, le Renard criait :

— « Portez de la paille ! Portez de la

paille[100] ! »

II

le partage



Un jour, l’Aigle dit à l’Épervier et à la Pie :

— « Associons-nous, pour chasser ensemble.

— Aigle, comme tu voudras. »

Aussitôt, l’Aigle, l’Épervier, et la Pie, partirent pour la chasse. Au coucher du soleil, ils avaient pris trois cents têtes de gibier de toute espèce.

— « Maintenant, dit l’Aigle, il s’agit de partager. Pie, fais trois parts bien égales de tout ceci.

— Excuse-moi, Aigle. Fais-les toi-même. Sinon, l’Épervier s’en chargera.

— Avec plaisir, Pie, dit l’Épervier. »

Alors, l’Épervier fit du gibier trois parts si bien égales, qu’il ne valait pas la peine d’être le premier ou le second à choisir.

— « Épervier, dit l’Aigle, où est ma part ?

— Aigle, prends celle que tu voudras.

— Épervier, tu es un imbécile. Je vais t’apprendre à partager. »

Alors, l’Aigle tua l’Épervier d’un grand coup de bec. Cela fait, il dit à la Pie :

— « Maintenant, partageons en deux. Pie, fais deux parts bien égales de tout ceci.

— Non, Aigle. Partageons en trois. Une portion pour ton bec, les deux autres pour tes deux serres.

— Pie, nul mieux que toi ne s’entend à partager. Pour ta peine, voici une méchante petite

mésange, maigre, maigre comme un clou[101]. »

III

l’aigle et le roitelet



Un jour, l’Aigle dit au Roitelet :

— « Pauvre petit Roitelet, je suis grand, fort et hardi. Quand il me plaît, je monte dans le ciel plus haut que les nuages. C’est pourquoi je suis le roi des bêtes volantes. Toi, pauvre petit Roitelet, tu n’es pas plus gros qu’une fève. Tu t’essouffles, sans t’élever de dix toises. Je te plains, pauvre petit Roitelet.

— Aigle, garde ta compassion pour d’autres que moi. Si petit, si faible que je sois, je te parie de monter dans le ciel plus haut que toi. »

L’Aigle se mit à rire.

— « Pauvre petit Roitelet, parions. Que me donneras-tu si je gagne ?

— Aigle, si tu gagnes, je te donne mon corps à manger. Si tu perds, jure-moi de ne jamais mal faire, ni contre moi, ni contre les miens.

— Pauvre petit Roitelet, c’est juré. Partons. Y es-tu ? »

Le Roitelet était déjà perché sur la tête de l’Aigle.

— « Aigle, j’y suis. Partons. Hardi ! Ho ! »

L’Aigle partit à toute volée, sans se méfier qu’il emportait le Roitelet perché sur sa tête. Vingt fois par heure, il criait, à rendre sourd :

— « Où es-tu, pauvre petit Roitelet ?

— Aigle, je monte dans le ciel plus haut que toi. »

Longtemps, bien longtemps, l’Aigle monta droit, toujours tout droit dans le ciel. Vingt fois par heure, il criait, à rendre sourd :

— « Où es-tu, pauvre petit Roitelet ?

— Aigle, je monte dans le ciel plus haut que toi. »

Enfin, l’Aigle se lassa. Une dernière fois, il cria, à rendre sourd :

— « Où es-tu, pauvre petit Roitelet ?

— Aigle, je monte dans le ciel plus haut que toi. »

Tout confus, l’Aigle redescendit, sans se méfier qu’il emportait le Roitelet, toujours perché sur sa tête.

— « Aigle, nous sommes à terre. Ai-je monté dans le ciel plus haut que toi ?

— C’est vrai, pauvre petit Roitelet. Tu as monté dans le ciel plus haut que moi. Ne crains rien. Ce qui est juré est juré. Jamais je ne ferai

mal ni contre toi, ni contre les tiens[102]. »

IV

le voyage du coq



Il y avait, une fois, un coq, qui trouva une bourse pleine de louis d’or.

— « Coucouroucou ! Ma fortune est faite. Allons riboter à la foire. »

Le Coq partit. Au bout d’une lieue, il trouva un vol de mouches.

— « Bonjour, Coq. Où vas-tu ?

— Mouches, je vais riboter à la foire.

— Coq, tu serais bien honnête de nous inviter.

— Mouches, je vous invite avec plaisir. Mais pourrez-vous me suivre ?

— Coq, nous te suivrons. »

Le Coq repartit. Les mouches le suivaient, en bourdonnant.

Une lieue plus loin, les mouches n’en pouvaient plus.

— « Coq, nous sommes lasses.

— Mouches, entrez dans mon cul. Je vous porterai. »

Les mouches entrèrent dans le cul du Coq, et il repartit.

Une lieue plus loin, il trouva un essaim de frelons.

— « Bonjour, Coq. Où vas-tu ?

— Frelons, je vais riboter à la foire.

— Coq, tu serais bien honnête de nous inviter.

— Frelons, je vous invite avec plaisir. Mais pourrez-vous me suivre ?

— Coq, nous te suivrons. »

Le Coq repartit. Les frelons le suivaient, en faisant leur bruit.

Une lieue plus loin, les frelons n’en pouvaient plus.

— « Coq, nous sommes las.

— Frelons, entrez dans mon cul. Je vous porterai. »

Les frelons entrèrent dans le cul du Coq, et il repartit.

Une lieue plus loin, il trouva un troupeau d’ânes.

— « Bonjour, Coq. Où vas-tu ?

— Ânes, je vais riboter à la foire.

— Coq, tu serais bien honnête de nous inviter.

— Ânes, je vous invite avec plaisir. Mais pourrez-vous me suivre ?

— Coq, nous te suivrons. »

Le Coq repartit. Les ânes le suivaient, en brayant.

Une lieue plus loin, les ânes n’en pouvaient plus.

— « Coq, nous sommes las.

— Ânes, entrez dans mon cul. Je vous porterai. »

Une lieue plus loin, il rencontra un troupeau de bœufs.

— « Bonjour, Coq. Où vas-tu ?

— Bœufs, je vais riboter à la foire.

— Coq, tu serais bien honnête de nous inviter.

— Bœufs, je vous invite avec plaisir. Mais pourrez-vous me suivre ?

— Coq, nous te suivrons. »

Le Coq repartit. Les bœufs le suivaient, en beuglant.

Une lieue plus loin, les bœufs n’en pouvaient plus.

— « Coq, nous sommes las.

— Bœufs, entrez dans mon cul. Je vous porterai. »

Les bœufs entrèrent dans le cul du Coq, et il repartit.

Une lieue plus loin, il arriva, la bourse au bec, dans un grand château.

— « Bonsoir, Monsieur. Bonsoir, Madame. Je crève de soif et de faim, et je suis las de porter tout ce que j’ai dans le cul. Donnez-moi le souper et la couchée, s’il vous plait.

— Coq, passe ton chemin. Il n’y a rien ici pour toi.

— Monsieur, Madame, j’ai de quoi vous payer. Voyez plutôt cette bourse pleine de louis d’or.

— Ah ! gueux. Ah ! brigand. Cette bourse est à nous. Tu viens de nous la voler.

— Non, certes.

— Attends ! voleur. Attends ! »

Maîtres et valets couraient après le Coq, pour lui prendre sa bourse.

Que fit alors le brave animal ? Il chia tout ce qu’il avait dans le cul.

Les mouches faisaient : « Rrr rrr rrr. »

Les frelons faisaient : « Brr brr brr. »

Les ânes faisaient : « Hiha ! Hiha ! Hiha ! »

Les bœufs faisaient : « Moûû ! Moûû ! Moûû ! »

À ce tapage, les maîtres et les valets, épouvantés, détalèrent au grand galop, comme s’ils avaient eu tous les Diables d’enfer à leurs trousses. Ainsi, le Coq et ses amis demeurèrent maîtres du château,

où ils vécurent longtemps, riches et heureux[103].

V

le coq et ses amis



Il y avait, une fois, un coq qui grappillait sur un fumier. Tout en grappillant, il trouva une bourse de cent écus.

En ce moment, un homme passait.

— « Bonjour, Coq.

— Bonjour, homme.

— Coq, qu’as-tu dans cette bourse ?

— Homme, j’ai cent écus.

— Coq, prête-les-moi.

— Homme, avec plaisir. Mais auparavant, je voudrais savoir où tu demeures.

— Coq, je demeure là-bas, là-bas, dans cette maison. Dans un mois, je te rapporterai tes cent écus. Si je l’oublie, viens me les réclamer chez moi. »

L’homme prit les cent écus et partit ; mais il ne rapporta pas la somme au jour promis. Alors, le Coq partit, pour réclamer son argent.

Chemin faisant, il rencontra le Renard.

— « Bonjour, Renard.

— Bonjour, Coq. Où vas-tu ?

— Renard, je vais réclamer cent écus. Veux-tu venir avec moi ?

— Oui, Coq.

— Eh bien, Renard, entre dans mon cul. Je te porterai. »

Le Renard entra dans le cul du Coq, qui repartit.

Chemin faisant, il rencontra le Loup.

— « Bonjour, Loup.

— Bonjour, Coq. Où vas-tu ?

— Loup, je vais réclamer cent écus. Veux-tu venir avec moi ?

— Oui, Coq.

— Eh bien, Loup, entre dans mon cul. Je te porterai. »

Le Loup entra dans le cul du Coq, qui repartit. Chemin faisant, il passa devant une Flaque, pleine d’eau jusqu’au bord.

— « Bonjour, Flaque.

— Bonjour, Coq. Où vas-tu ?

— Flaque, je vais réclamer cent écus. Veux-tu venir avec moi ?

— Oui, Coq.

— Eh bien, Flaque, entre dans mon cul. Je te porterai. »

La Flaque entra dans le cul du Coq, qui repartit.

Enfin, le Coq arriva à la maison de l’homme, et vola tout en haut de la cheminée.

— « Coucouroucou ! »

L’homme avait du monde à dîner.

— « Mes amis, dit-il, prenons ce coq étranger, et mettons-le dans ma basse-cour. »

Ce qui fut dit fut fait.

Alors, le Coq lâcha le Renard, qui étrangla toute la volaille.

— « Mes amis, dit l’homme, mettons ce coq dans mon étable. »

Ce qui fut dit fut fait.

Alors, le Coq lâcha le Loup, qui étrangla tout le bétail.

— « Mes amis, dit l’homme, mettons ce coq dans mon four allumé. »

Ce qui fut dit fut fait.

Alors, le Coq lâcha la Flaque, qui éteignit le four allumé.

En vérité, le Coq avait remède à tout.

— « Homme, dit-il enfin, si tu ne veux pas être :

Par le Renard tué[104],
Par le Loup mangé,
Par la Flaque noyé,
Rends-moi les cents écus que je t’ai prêtés.

L’homme rendit les cent écus[105].

VI

le lévrier et la merlesse[106]



Il fut un temps où les bêtes parlaient. En ce temps-là, vivait, au Brana[107], un métayer nommé Bertrand. Ce Bertrand avait un lévrier, qui dit un soir à son maître :

— « Maître, je veux aller demain à la foire de Lamontjoie[108].

— Lévrier, n’y va pas. Tu y attraperais quelque coup de bâton.

— Maître, j’y attraperai plutôt quelques os, sous les tables des auberges.

— Lévrier, fais donc à ta volonté. »

Le lendemain matin, le Lévrier partit de bonne heure. Près de Garcin[109], il aperçut un nid de merle dans un buisson.

— « Lévrier, dit la Merlesse, ne mange pas mes petits.

— Merlesse, j’en ai pourtant bien envie.

— Lévrier, si tu ne les manges pas, je t’accompagne à la foire de Lamontjoie. Là, je me charge de te faire boire et manger pour rien, tant que tu voudras.

— Merlesse, c’est convenu. Partons. »

En face du château d’Escalup[110], le Lévrier et la Merlesse aperçurent une marchande de gâteaux d’Astaffort[111], portant sur sa tête, à la foire, une corbeille de tortillons[112]. Aussitôt, la Merlesse partit, en volant bas et court, comme font les oiseaux blessés.

Que fit alors la marchande ? Elle posa sa corbeille, pour courir après la Merlesse. Le Lévrier profita vite, vite de l’occasion, et bâfra les tortillons jusqu’au dernier.

Quand la marchande revint, il n’était plus temps. Toute confuse, la pauvre femme ramassa sa corbeille vide, et reprit le chemin d’Astaffort. Mais le Lévrier avait trop mangé sans boire.

— « Merlesse, dit-il, je crève de soif. »

En ce moment, un bouvier arrivait tout proche des communs du château d’Empelle[113], conduisant une charrette chargée d’une barrique de vin blanc. Aussitôt, la Merlesse s’envola sur le fosset.

Que fit alors le bouvier ? Il lança un grand coup d’aiguillon à la Merlesse. Mais la rusée commère se gara de tout mal, et partit, en volant bas et court, comme font les oiseaux blessés.

Le bouvier courut après, sans prendre garde que son coup d’aiguillon avait enlevé le fosset. Le Lévrier profita vite, vite de l’occasion, et avala le vin blanc à la régalade, jusqu’à la dernière goutte.

Quand le bouvier revint, il n’était plus temps. Tout confus, le pauvre homme repartit, avec sa barrique vide. Mais le Lévrier était ivre comme une soupe.

— « Merlesse, j’ai la bouche sèche. Où trouverai-je à boire un peu d’eau ?

— Lévrier, voici le puits des communs du château d’Empelle[114]. Je vais te tenir fort et ferme par la queue, tandis que tu boiras tout ton soûl, pendu la tête en bas.

— Merlesse, c’est dit. Quand je crierai : « Happe ! » ne manque pas de me relever.

— Lévrier, compte sur moi. »

Le Lévrier se hasarda donc dans le puits, pendu la tête en bas. Quand il eut bu de l’eau tout son soûl, il cria :

— « Happe[115] !

— La queue m’échappe. »

Pour répondre, la Merlesse était bien forcée d’ouvrir le bec. C’est pourquoi le Lévrier tomba dans le puits, et s’y noya[116].

VI

Randonnées, Attrapes, Etc.

I

le rat et la rate[117]



Il y avait, une fois, un rat et une rate. Un jour, le Rat dit à la Rate :

— « Rate, fais de la bouillie de maïs. Je m’en vais dehors. Quand la bouillie sera cuite, tu m’appelleras. »

Le Rat s’en va dehors. Il attend longtemps, bien longtemps. Mais la Rate ne l’appelle pas.

— « Mon Dieu ! Que fait donc la Rate ? La Rate achève-t-elle de faire la bouillie ? La Rate est-elle tombée dans le chaudron ? Allons voir. »

Le Rat rentre à la maison. Il cherche, il cherche partout.

— « Mon Dieu ! Où est la Rate ? »

La Rate n’est nulle part.

Il cherche, il cherche partout. Enfin, il trouve la Rate dans le chaudron, où elle était tombée en faisant la bouillie.

Alors, le Rat se met à pleurer.

— « Qu’as-tu, Rat ? dit la quenouille.

— Je pleure parce que la Rate est morte.

— Rat, puisque la rate est morte, je peux bien quenouiller[118].

— Qu’as-tu, Rat ? dit la crémaillère.

— Je pleure parce que la Rate est morte.

— Rat, puisque la rate est morte, je peux bien crémaillèrer.

— Qu’as-tu, Rat ? dit la marmite.

— Je pleure parce que la Rate est morte.

— Rat, puisque la rate est morte, je peux bien marmiter.

— Qu’as-tu, Rat ? dit le banc.

— Je pleure parce que la rate est morte.

— Rat, puisque la Rate est morte, je peux bien banquer.

— Qu’as-tu, Rat ? dit la porte.

— Je pleure parce que la Rate est morte.

— Rat, Puisque la rate est morte, je peux bien porter.

— Qu’as-tu, Rat ? dit la fenêtre.

— Je pleure parce que la Rate est morte.

— Rat, puisque la Rate est morte, je peux bien fenêtrer.

— Qu’as-tu, Rat ? dit le chat.

— Je pleure parce que la rate est morte.

— Rat, puisque la Rate est morte, je peux bien miauler. »

Quand le chat miaula, la Rate, qui n’était pas morte, sauta hors du chaudron.

— « Si la Rate n’est pas morte, je ne puis plus miauler, dit le chat.

— Ni moi fenêtrer, dit la fenêtre.

— Ni moi porter, dit la porte.

— Ni moi banquer, dit le banc.

— Ni moi marmiter, dit la marmite.

— Ni moi crémaillèrer, dit la crémaillère.

— Ni moi quenouiller, dit la quenouille. »

Le Rat et la Rate mangèrent la bouillie de bon

appétit[119].


II

le lait de madame



Madame demande du lait.
Je vais trouver la vache.
La vache me dit :

— « Je te donnerai du lait. Donne-moi du foin. »

Je vais trouver le pré.

Le pré me dit :

— « Je te donnerai du foin. Donne-moi une faux. »

Je vais trouver le forgeron.

Le forgeron me dit :

— « Je te donnerai une faux. Donne-moi du lard. »

Je vais trouver le porc.

Le porc me dit :

— « Je te donnerai du lard. Donne-moi du gland. »

Je vais trouver le chêne.

Le chêne me dit :

— « Je te donnerai du gland. Donne-moi du vent. »

Je vais trouver la mer pour avoir du vent.

La mer m’évente.

J’évente le chêne.

Le chêne m’englande[120].

J’englande le porc.

Le porc m’enlarde[121].

J’enlarde le forgeron.

Le forgeron m’endaille[122].

Je daille[123] le pré.

Le pré m’enfoine[124].

J’enfoine la vache.

La vache m’enlaite[125].

J’enlaite madame[126].</poem>

III

tricote



Tricote
J’avais une brebiette.
Elle s’en alla dans le blé de Tricote[127].

Tricote ne veut pas me rendre ma brebiette, que je ne lui aie donné du gâteau.

Je m’en vais chez ma marâtre, chercher du gâteau.

Ma marâtre ne veut pas me donner du gâteau, que je ne lui aie donné du fil.

Je m’en vais chez la buse, chercher du fil.

La buse ne veut pas me donner du fil, que je ne lui aie donné de la peau.

Je m’en vais chez le veau, chercher de la peau.

Le veau ne veut pas me donner de la peau, que je ne lui aie donné du lait.

Je m’en vais chez la vache, chercher du lait.

La vache ne veut pas me donner du lait, que je ne lui aie donné du foin.

Je m’en vais au pré, chercher du foin.

Le pré ne veut pas me donner du foin, que je ne lui aie donné une faux.

Je m’en vais chez le forgeron, chercher une faux.

La faux ne veut pas me donner du foin, que je ne lui aie donné du saindoux.

Je m’en vais chez le porcher, chercher du saindoux.

Le porcher ne veut pas me donner de saindoux, que je ne lui aie donné du gland.

Je m’en vais chez le chêne, chercher du gland.

Le chêne ne veut pas me donner du gland, que je ne lui aie donné vent ou pluie.

Je m’en vais à Toulouse, chercher vent ou pluie[128].

Vent ou pluie, au chêne.

Le chêne, gland à moi.

Moi, gland au porcher.

Le porcher, saindoux à moi.

Moi, saindoux au forgeron.

Le forgeron, faux à moi.

Moi, faux au pré.

Le pré, foin à moi.

Moi, foin à la vache.

La vache, lait à moi.

Moi, lait au veau.

Le veau, peau à moi.

Moi, peau à la buse.

La buse, fil à moi.

Moi, fil à ma marâtre.

Ma marâtre, gâteau à moi.

Moi, gâteau à Tricote.

Tricote m’a rendu ma brebiette[129].

IV

le père et la fille



Il y avait, une fois, un père et sa fille, qui s’en étaient allés à leur vigne manger des raisins. La fille ne les prenait que grain par grain. Mais le père les avalait à pleine bouche, de sorte qu’il fut le premier repu.

— « Fille, il est heure de retourner à la maison.

— Père, encore un moment. Je n’ai pas mangé deux raisins.

— Fille, je te dis qu’il est heure de retourner à la maison.

— Père, partez, si cela vous plaît. Moi, je reste.

— Insolente. Tu vas avoir de mes nouvelles. »

Alors, le père rentra chez lui, et dit au chien :

— « Chien, va-t’en mordre ma fille.

— Je ne veux pas. »

Alors, le père dit au bâton :

— « Bâton, bats le chien.

— Je ne veux pas. »

Alors, le père dit au feu :

— « Feu, brûle le bâton.

— Je ne veux pas. »

Alors, le père dit à l’eau :

— « Eau, éteins le feu.

— Je ne veux pas. »

Alors, le père dit aux bœufs :

— « Bœufs, buvez l’eau.

— Nous ne voulons pas. »

Alors, le père dit au boucher ;

— « Boucher, tue les bœufs.

— Je ne veux pas. »

Alors, le père dit aux courroies :

— « Courroies, liez les bœufs au joug.

— Nous ne voulons pas lier les bœufs au joug. »

Alors, le père dit au rat :

— « Rat, ronge les courroies.

— Je ne veux pas. »

Alors, le père dit au chat :

— « Chat, mange le rat. »

Le chat, veut manger le rat.

Le rat, veut ronger les courroies.

Les courroies, veulent lier les bœufs au joug.

Les bœufs, veulent boire l’eau.

L’eau, veut éteindre le feu.

Le feu, veut brûler le bâton.

Le bâton, veut battre le chien.

Le chien, veut aller mordre la fille.

La fille, veut retourner à la maison[130].

V

le père, la mère, et la fille



Il y avait, une fois, un homme qui dit à sa femme et à sa fille :


— « Allons à notre vigne manger des raisins. »

Quand ils furent à la vigne, l’homme avala les raisins à pleine bouche. Mais sa femme et sa fille ne les mangeaient que grain par grain.

Une fois repu, l’homme cria :

— « Vite, vite. Retournons à la maison.

— Non. Nous voulons encore manger des raisins.

— Vite, vite. Retournons à la maison.

— Non. Nous voulons encore manger des raisins. »

Alors, l’homme partit seul, et s’en alla dire à son chien :

— « Chien, va mordre ma femme et ma fille.

— Homme, je ne veux pas mordre ta femme et ta fille. »

Alors, l’homme prit un bâton, pour frapper le chien.

Mais le bâton dit :

— « Homme, je ne veux pas frapper le chien. »

Alors, l’homme jeta le bâton au feu.

Mais le feu dit :

— « Homme, je ne veux pas brûler le bâton. » Alors, l’homme dit à l’eau :

— « Eau, éteins le feu.

Mais l’eau dit :

— Homme, je ne veux pas éteindre le feu. « 

Alors, l’homme dit à ses bœufs :

— « Bœufs, buvez l’eau.

Mais les bœufs dirent :

— Homme, nous ne voulons pas boire l’eau. »

Alors, l’homme dit au boucher :

— « Boucher, tue mes bœufs.

Mais le boucher dit :

— Homme, je ne veux pas tuer tes bœufs. »

Alors, l’homme prit des liens, pour lier ses bœufs au joug.

Mais les liens dirent :

— « Homme, nous ne voulons pas lier tes bœufs au joug. »

Alors, l’homme dit au rat :

— « Rat, ronge les liens.

Mais le rat dit :

— Homme, je ne veux pas ronger les liens. »

Alors, l’homme dit au chat :

— « Chat, mange le rat. »

Le chat, veut manger le rat.

Le rat, veut ronger les liens.

Les liens, veulent lier les bœufs au joug.

Le boucher, veut tuer les bœufs.

Les bœufs, veulent boire l’eau.

L’eau, veut éteindre le feu.

Le feu, veut brûler le bâton.

Le bâton, veut battre le chien.

Le chien, veut mordre la mère et la fille.

La mère et la fille, veulent retourner vite, vite, à la maison[131].

VI

brisquet


Ah ! Brisquet, Brisquet, Brisquet,
Ne veut pas garder les choux.

— Va-t’en dire à Brisquet de venir garder les choux.

— Brisquet ne veut pas garder les choux.

Ah ! Brisquet, Brisquet, Brisquet,
Ne veut pas garder les choux.

— Va-t’en dire au chien de venir mordre Brisquet.

— Le chien, ne veut pas mordre Brisquet.

Brisquet, ne veut pas garder les choux.</poem>

Ah ! Brisquet, Brisquet, Brisquet,
Ne veut pas garder les choux.

— Va-t’en dire au bâton de venir battre le chien.

Le bâton, ne veut pas battre le chien.

Le chien, ne veut pas mordre Brisquet.

Brisquet, ne veut pas garder les choux.

Ah ! Brisquet, Brisquet, Brisquet,
Ne veut pas garder les choux.

— Va-t’en dire au feu de venir brûler le bâton.

Le feu, ne veut pas brûler le bâton.

Le bâton, ne veut pas battre le chien.

Le chien, ne veut pas mordre Brisquet.

Brisquet, ne veut pas garder les choux.</poem>

Ah ! Brisquet, Brisquet, Brisquet,
Ne veut pas garder les choux.

— Va-t’en dire à l’eau de venir éteindre le feu.

L’eau, ne veut pas éteindre le feu.

Le feu, ne veut pas brûler le bâton.

Le bâton, ne veut pas battre le chien.

Le chien, ne veut pas mordre Brisquet.

Brisquet, ne veut pas garder les choux.</poem>

Ah ! Brisquet, Brisquet, Brisquet,
Ne veut pas garder les choux.

— Va-t’en dire au bœuf de venir boire l’eau.

Le bœuf, ne veut pas boire l’eau.

L’eau, ne veut pas éteindre le feu.

Le feu, ne veut pas brûler le bâton.

Le bâton, ne veut pas battre le chien.

Le chien, ne veut pas mordre Brisquet.

Brisquet, ne veut pas garder les choux.

Ah ! Brisquet, Brisquet, Brisquet,
Ne veut pas garder les choux.

— Va-t’en dire au boucher de venir tuer le bœuf.

Le boucher, ne veut pas tuer le bœuf.

Le bœuf, ne veut pas boire l’eau.

L’eau, ne veut pas éteindre le feu.

Le feu, ne veut pas brûler le bâton.

Le bâton, ne veut pas battre le chien.

Le chien, ne veut pas mordre Brisquet.

Brisquet, ne veut pas garder les choux.

Ah ! Brisquet, Brisquet, Brisquet,
Ne veut pas garder les choux.

— Va-t’en dire à la mort de venir chercher le boucher.

La mort, veut venir chercher le boucher.

Le boucher, veut bien tuer le bœuf.

Le bœuf, veut bien boire l’eau.

L’eau, veut bien éteindre le feu.

Le feu, veut bien brûler le bâton.

Le bâton, veut bien battre le chien.

Le chien, veut bien mordre Brisquet.

Brisquet, veut bien garder les choux.

Ah ! Brisquet, Brisquet, Brisquet,
Veut bien garder les choux[132].

VII

dans la ville de rome



Dans la ville de Rome, il y a une rue.


Dans cette rue, il y a une maison.

Dans cette maison, il y a une cage.

Dans cette cage, il y a un oiseau.

Dans cet oiseau, il y a un cœur.

Dans ce cœur, il y a une lettre.

Dans cette lettre, il y a : « J’aime N.[133]. »

« J’aime N. » est dans la lettre.

La lettre est dans le cœur.

Le cœur est dans l’oiseau.

L’oiseau est dans la cage.

La cage est dans la chambre.

La chambre est dans la maison.

La maison est dans la rue.

La rue est dans la ville de Rome[134].

VIII

les trois chasseurs



Il y avait, une fois, trois chasseurs.


Deux étaient nus. L’autre n’était pas vêtu.

Ils avaient trois fusils.

Deux n’étaient pas chargés. L’autre n’avait rien dedans.

Ils partirent avant le jour, et s’en allèrent loin, loin, loin, encore plus loin.

Proche d’un bois, ils tirèrent trois lièvres, et en manquèrent deux.

Le troisième leur échappa. Ils le mirent dans la poche du chasseur qui n’était pas vêtu.

— « Mon Dieu, disaient-ils, comment donc ferons-nous cuire le lièvre qui nous a échappé ? »

Alors, les trois chasseurs repartirent.

Ils s’en allèrent loin, loin, loin, encore plus loin.

Enfin, ils arrivèrent à une maison, où il n’y avait ni murs, ni toiture, ni portes, ni fenêtres, ni rien.

Les trois chasseurs frappèrent trois grands coups à la porte.

— « Pan ! pan ! pan ! »

Celui qui n’y était pas répondit :

— « Plaît-il ? Que voulez-vous ?

— Ne nous rendriez-vous pas un service ? Ne nous prêteriez-vous pas une marmite, pour faire cuire le lièvre qui nous a échappé ?

— Mon Dieu, Messieurs, nous n’avons que trois marmites. Deux sont défoncées, et l’autre ne vaut rien[135]. »

IX

la pâte qui chante



Il y avait, une fois, un homme et une femme, qui s’établirent boulangers.


— « Mon homme, dit un jour la femme, il faut aller au moulin.

— À quel moulin, ma femme ?

— Au moulin dont le tric-trac fait riou chiou chiou.

— Je ne sais pas où c’est.

— Eh bien, va dans la grange de Jean. Prends son âne. Il t’y portera. »

Ce qui fut dit fut fait. L’âne porta le boulanger si loin, si loin, qu’il ne savait plus s’en revenir. Aussi pendant trois jours et trois nuits, sa femme ne cessa de crier :

— « Riou chiou chiou[136],
Riou chiou chiou.
Quand me rends-tu mon homme ? »

Enfin, la femme finit par tant et tant s’ennuyer, qu’elle monta sur un chien, pour s’en aller au moulin.

À mi-chemin, elle trouva son homme, assis au pied d’un chêne.

— « Que fais-tu là, mon homme ?

— Ma femme, je me suis perdu. »

L’homme remonta sur son âne, la femme resta sur son chien, et tous deux poursuivirent leur chemin.

Enfin, ils arrivèrent au moulin, et s’en revinrent chargés de farine.

Rentrés à la maison, l’homme et la femme se mirent à même de faire au four.

Dans le pétrin, ils vidèrent toute leur farine. Puis, l’homme y jeta de grands chaudrons d’eau bouillante.

La pâte faisait :

— « Riou chiou chiou. »

— « Imbécile, dit la femme, il ne fallait pas jeter d’eau bouillante. Écoute la pâte qui fait : « Riou chiou chiou. »

Le pauvre homme fut si chagrin de ce reproche qu’il en mourut sur-le-champ. Alors, sa femme se mit à pétrir la pâte. Tout en pétrissant, elle disait :

— « Marâtre[137],
Pique-pâte,
Autant elle en pique, autant elle en gâte. »

Et l’homme mort répondait :

— « Riou chiou chiou[138].
J’étais mort, et je suis redevenu vivant. »

Alors, la femme se mit à rire, et continua de pétrir avec son homme.

Mais toujours la pâte faisait :

— « Riou chiou chiou. »

Pourtant, la pâte fut bonne, et donna vingt-huit miches de vingt livres.

L’homme mort et la femme crevèrent, pour en avoir mangé la moitié.

En échange du restant de la fournée, le curé fit leur sépulture.

Tout le monde était jaloux de lui ; car, alors, riches et pauvres n’avaient pas de pain à manger. Il fallait aller faire moudre si loin, si loin, que ceux qui partaient se perdaient en chemin. Cela vint au point que tout le monde mourut de faim. Mais le curé vécut plus longtemps que les autres,

avec le restant de la fournée[139].

X

les deniers



Il y avait, une fois, un homme et une femme qui curaient une étable. En curant l’étable, ils y trouvèrent un denier.

— « Que ferons-nous de ce denier ? — Nous irons à la foire : nous y achèterons une poule. »

Ils s’en allèrent à la foire, et achetèrent une poule.

Cette poule pondit beaucoup d’œufs, qui se vendirent fort bien, en temps de carême.

L’homme et la femme curèrent encore l’étable. Ils y trouvèrent un autre denier.

— « Que ferons-nous de ce denier ? — Nous irons à la foire : nous y achèterons un coq. »

Ils s’en allèrent à la foire, et achetèrent un coq.

Avec le coq et la poule, ils eurent force poulets, qui se vendirent fort bien, en temps de carnaval.

L’homme et la femme curèrent encore l’étable. Ils y trouvèrent un autre denier.

— « Que ferons-nous de ce denier ? — Nous irons à la foire : nous y achèterons une chèvre. »

Ils s’en allèrent à la foire, et achetèrent une chèvre.

Cette chèvre fut bonne laitière ; et son lait se vendit fort bien à la ville.

L’homme et la femme curèrent encore l’étable. Ils y trouvèrent un autre denier.

— « Que ferons-nous de ce denier ? — Nous irons à la foire : nous y achèterons un bouc. »

Ils s’en allèrent à la foire, et achetèrent un bouc.

Le bouc et la chèvre eurent force chevreaux, qui se vendirent fort bien aux bouchers.

L’homme et la femme curèrent encore l’étable. Ils y trouvèrent un autre denier.

— « Que ferons-nous de ce denier ? — Nous irons à la foire : nous y achèterons une vache. »

Ils s’en allèrent à la foire, et y achetèrent une vache.

Cette vache donna force lait, comme la chèvre. Ils le vendirent fort bien à la ville.

L’homme et la femme curèrent encore l’étable. Ils y trouvèrent un autre denier.

— « Que ferons-nous de ce denier ? — Nous irons à la foire : nous y achèterons un taureau. »

Ils s’en allèrent à la foire, et y achetèrent un taureau.

Le taureau et la vache firent force veaux, qui se vendirent fort bien à la ville.

L’homme et la femme curèrent encore l’étable. Ils y trouvèrent un autre denier.

— « Que ferons-nous de ce denier ? — Nous irons à la foire : nous y achèterons un chat. »

Ils s’en allèrent à la foire, et achetèrent un chat.

Ce chat fut grand chasseur, et il mangea tous les rats, les belettes, les souris et les taupes du pays.

L’homme et la femme curèrent encore l’étable. Ils y trouvèrent un autre denier.

— « Que ferons-nous de ce denier ? — Maintenant, nous sommes assez riches. Il faut bâtir un pont de verre. »

Ils bâtirent le pont de verre, et quand il fut bâti, ils dirent :

— « Maintenant, il faut l’éprouver. »

Ils y firent passer la poule.

Elle ne le cassa pas.

Ils y firent passer le coq.

Il ne le cassa pas.

Ils y firent passer la chèvre.

Elle ne le cassa pas.

Ils y firent passer le bouc.

Il ne le cassa pas.

Ils y firent passer la vache.

Elle ne le cassa pas.

Ils y firent passer le taureau.

Il ne le cassa pas.

Ils y firent passer le chat.

Il le cassa.

— « Quel était le plus fort ?

— Le chat[140].

— Lève-lui la queue. Souffles-y dessous[141]. »


RÉCITS

I

Moralités

I

le lièvre



Un jour, le petit garçon du métayer de Cruzos[142], qu’on avait envoyé garder les brebis, rentra tout essoufflé chez ses parents.

— « Père, père, prenez vite votre fusil. J’ai vu là-bas, là-bas, au fond du chaume, un lièvre au moins gros comme notre Caubet[143].

— Petit, au moins gros comme notre Caubet, c’est beaucoup.

— Je vous dis, père, qu’il est au moins gros comme notre jument poulinière.

— Petit, au moins gros comme notre jument poulinière, c’est beaucoup.

— Je vous dis, père, qu’il est au moins gros comme un veau d’un an.

— Petit, au moins gros comme un veau d’un an, c’est beaucoup.

— Je vous dis, père, qu’il est au moins gros comme une brebis.

— Petit, au moins gros comme une brebis, c’est beaucoup.

— Je vous dis, père, qu’il est au moins gros comme un agneau.

— Petit, au moins gros comme un agneau, c’est beaucoup.

— Je vous dis, père, qu’il est au moins gros comme un chat.

— Petit, au moins gros comme un chat, à la bonne heure. Je te crois. Pourtant, on a vu des lièvres encore plus petits.

— Je vous dis, père, qu’il est au moins gros comme un lapin.

— Petit, au moins gros comme un lapin, à la bonne heure. Je te crois. Pourtant, on a vu des lièvres plus petits.

— Je vous dis, père, qu’il est au moins gros comme un rat.

— Petit, au moins gros comme un rat, à la bonne heure. Je te crois. Pourtant, on a vu des lièvres encore plus petits.

— Je vous dis, père, qu’il est au moins gros comme une mouche.

— Et moi, petit, je te dis que tu mens, et que

tu n’as rien vu du tout[144]. »

II

les deux présents



Henri IV était un roi[145] haut d’une toise, gros à proportion, fort comme un bœuf, et hardi comme un César. Il faisait beaucoup d’aumônes, et n’aimait pas les intrigants. Avant d’aller s’établir à Paris, ce roi demeurait à Nérac ; et il avait toujours près de lui Roquelaure, qui était l’homme le plus farceur de France.

Un jour, Henri IV et Roquelaure jouaient aux cartes, après dîner, quand ils virent entrer dans la chambre un paysan, qui portait sur sa tête une citrouille si grosse, si grosse, qu’on n’a jamais vu, ni qu’on ne verra jamais la pareille.

— « Bonjour, mon prince, et la compagnie.

— Bonjour, mon ami. Que viens-tu faire ici, avec ta citrouille ?

— Mon prince, je viens vous porter ce présent. La soupe de citrouille et de haricots frais est une fort bonne chose. Ne manquez pas de recommander à votre cuisinière de conserver les graines. Vous en donnerez à tous vos amis et connaissances ; et je viendrai moi-même en chercher, pour l’année prochaine.

— Merci, mon ami. Va-t’en manger un morceau à la cuisine.

— Avec plaisir, mon prince. »

Le paysan descendit donc à la cuisine, où on ne le laissa pas manquer de pain, de vin, et de viande. Pendant qu’il buvait et mangeait, Henri IV dit à Roquelaure :

— « Roquelaure, ce paysan m’a l’air d’un brave homme. Je crois qu’il m’a apporté sa citrouille de bon cœur. Que pourrais-je bien lui donner ?

— Mon prince, mettez-le à l’épreuve. S’il ne vous a pas donné un œuf pour avoir un bœuf, faites-lui présent d’un beau cheval.

— Roquelaure, tu as raison. »

Quand le paysan eut mangé à sa faim, et bu à sa soif, il revint dans la chambre du roi, pour le saluer avant de partir.

— « Mon ami, dit Henri IV, que demandes-tu pour ta récompense ?

— Mon prince, je vous demande de ne pas oublier de me faire garder des graines de citrouille, pour me maintenir en belle semence. »

Alors, Henri IV commanda qu’on donnât un beau cheval au paysan, qui rentra chez lui fort content.

Ce paysan était le métayer de M. de Cachopouil[146], un noble, glorieux comme un paon, et avare comme un juif. Quand M. de Cachopouil vit que son métayer avait été si bien récompensé, pour une citrouille, il pensa :

— « Demain, j’irai trouver Henri IV, et je lui ferai présent d’un beau cheval. Pour le moins, il me fera marquis, et me donnera un baril plein de doubles louis d’or. »

En effet, le lendemain matin, M. de Cachopouil descendit à l’écurie, choisit son plus beau cheval, partit pour la ville de Nérac, et trouva Henri IV et Roquelaure, qui jouaient aux cartes après dîner.

— « Bonjour, mon prince, et la compagnie.

— Bonjour, mon ami. Qu’y a-t-il pour ton service ?

— Mon prince, je suis M. de Cachopouil ; et j’ai appris que vous aviez donné un beau cheval à mon métayer, qui vous avait fait présent d’une citrouille. Je vous amène une autre bête, pour remplacer celle que vous n’avez plus.

— Merci, mon ami. Et où est cette bête ?

— Mon prince, je l’ai laissée là-bas, à l’écurie.

— Eh bien, mon ami, je veux aller la voir. Passe devant. Moi et Roquelaure, nous te rattrapons dans cinq minutes. »

M. de Cachopouil descendit donc à l’écurie. Alors, Henri IV dit :

— « Roquelaure, ce Cachopouil m’a l’air d’un bien brave homme. Je crois qu’il m’a amené son cheval de bon cœur. Que pourrais-je bien lui donner ?

— Mon prince, mettez-le à l’épreuve. S’il ne vous a pas donné un œuf pour avoir un bœuf, donnez-lui sept métairies, avec un grand pouvoir dans tout le pays.

— Roquelaure, tu as raison. »

Henri IV et Roquelaure descendirent à l’écurie.

— « Mon prince, dit M. de Cachopouil, voici le cheval.

— Mon ami, je n’en ai jamais vu aucun d’aussi beau. Que demandes-tu pour ta récompense ?

— Mon prince, je vous demande, pour le moins, de me faire marquis, et de me donner un baril plein de doubles louis d’or.

— Mon ami, je veux te donner mieux que ça. Viens avec moi à la cuisine. »

Roquelaure et M. de Cachopouil suivirent donc Henri IV à la cuisine.

— « Cuisinière, dit Henri IV, as-tu gardé les graines de la grosse citrouille qu’un paysan m’a apportée hier ?

— Oui, mon prince.

— Eh bien, remplis-en deux cornets de papier.

L’un sera pour Cachopouil, l’autre pour son métayer[147]. »

III

l’aveugle



Il y avait, une fois, un aveugle fort riche, et qui avait une fille à marier. Cet aveugle était un homme fort avisé. Quand un galant se présentait, pour lui demander sa fille, pour femme, l’aveugle répondait :

— « Galant, donne l’avoine à mon bidet, et mets-lui la bride et la selle. Je veux aller voir si tes champs sont bons.

— Mais, pauvre homme, répondait le galant, vous êtes aveugle. Comment le verrez-vous ?

— Je le verrai bien. »

Arrivé dans les champs du galant, l’aveugle descendait de cheval, et disait :

— « Galant, attache ma bête à un pied d’hièble.

— « Pauvre homme, il n’y a pas d’hièbles dans ces champs. Il n’y a que de la fougère. »

Alors, l’aveugle remontait sur son bidet, et disait :

— « Galant, je ne veux pas encore marier ma fille. »

Pendant trois ans, il parla de même. Mais, un jour, un galant lui répondit :

— « Voilà qui est fait. Votre bidet est attaché à un hièble.

— Galant, fais-moi toucher l’hièble et la bride. Je veux savoir si mon bidet est bien attaché. »

L’aveugle toucha donc la bride et la plante, et comprit, à l’odeur des feuilles, que son bidet était bien réellement attaché à un hièble.

— « Galant, dit-il, tu auras ma fille. Nous ferons la noce quand tu voudras. »

L’aveugle avait raison. Le brave homme voulait marier sa fille richement. Il avait vu, autrefois, que la fougère pousse dans les mauvaises

terres, et l’hièble dans les bonnes[148].

IV

les mains blanches



Il y avait, une fois, un homme qui avait une fille belle comme le jour. Cette fille avait trois galants : un boulanger, un perruquier, et un marinier. Tous trois vinrent, un jour, trouver le père de leur maîtresse, et lui dirent :

— « Brave homme, il faut choisir, entre nous trois, celui que vous voulez pour gendre.

— Mes amis, vous me mettez dans l’embarras.

— Il faut choisir. Il faut choisir.

— Eh bien, puisqu’il le faut, je choisirai celui de vous trois qui aura les mains les plus blanches. Retirez-vous. Je vous donne trois semaines pour vous préparer. »

Les trois galants se retirèrent. Trois semaines après, ils revinrent, avec les mains dans leurs poches.

— « Eh bien, dirent-ils au père de la jeune fille, le moment de choisir entre nous trois est venu.

— Mes amis, je n’ai qu’une parole. Montrez-moi vos mains, l’un après l’autre. »

Le boulanger montra d’abord ses mains, blanches et bien savonnées.

— « Boulanger, voici des mains bien blanches. Mais il faut voir celles du perruquier, et du marinier. »

Le perruquier montra ses mains, encore plus blanches et mieux savonnées que celles du boulanger.

— « Perruquier, voici des mains encore plus blanches que celles du boulanger. Mais il faut voir celles du marinier. »

Le marinier montra ses mains rudes, et noires de goudron. Mais, dans chacune, il tenait une grosse poignée d’écus.

— « Marinier, tu seras mon gendre. C’est toi

qui as les mains les plus blanches[149]. »

V

le méchant homme



On ne sait pas de qui on aura besoin, ni à quelle fontaine on boira.


Il y avait, une fois, dans la ville d’Agen, un homme, pauvre comme un furet, fainéant comme un chien, et insolent comme le valet du bourreau. Au contraire, le frère de cet homme avait acheté, près de Nérac, pour plus de trente mille francs de terre. Il travaillait comme un galérien ; et nul ne lui avait entendu dire contre personne une méchante parole. La canaille mériterait de mourir, et les braves gens de vivre. C’est pourtant le contraire qui arrive. Le brave frère mourut, sans s’être marié ; et le curé de la paroisse envoya dire au méchant homme d’Agen de venir à l’enterrement.

Le méchant homme partit donc, et marcha trois heures, sans s’arrêter, jusqu’au sommet d’une côte, où il y avait une fontaine au bord du chemin. Là, il but à sa soif. Cela fait, il pissa et chia dans la fontaine.

— « Mauvais sujet ! lui dit un homme qui travaillait son champ, tout proche. N’as-tu pas honte, de souiller ainsi la fontaine dont l’eau sert à tout le monde ?

— Tais-toi, imbécile. Mon frère vient de mourir ; et j’hérite de plus de trente mille francs en terres. Maintenant, j’ai de quoi, pendant toute ma vie, boire du vin, et manger du pain blanc, avec un chapon rôti à dîner, et deux pans de saucisse à souper. Je ne boirai plus à cette fontaine. »

Le méchant homme reprit son chemin, et arriva au village, où on allait enterrer son frère.

— « Notaire, c’est moi qui suis l’héritier.

— Non, ce n’est pas toi. Voici le testament du pauvre mort. Il laisse tout son bien aux pauvres de la paroisse.

— Mon frère était une canaille.

— C’est toi qui es une canaille, crièrent les gens venus pour l’enterrement. Tu es arrivé ici pour faire du scandale, et insulter le pauvre mort. File aussitôt pour ton pays, ou nous sifflons les chiens, qui te feront un brin de conduite. »

Aussitôt, le méchant homme repartit au grand galop, sans manger ni boire. Quand il arriva près de la fontaine, il était rendu de fatigue, et tirait un pan de langue.

— « Mon ami, dit-il à l’homme qui travaillait toujours son champ, tout proche, cette fontaine est souillée. Enseigne-m’en une autre. Je crève de soif.

— Mauvais sujet, c’est toi qui as souillé la fontaine. Je ne t’en enseignerai pas d’autre. Bois à celle-ci, ou crève. »

Le méchant homme fut forcé de boire de l’eau qu’il avait souillée.

On ne sait pas de qui on aura besoin, ni à

quelle fontaine on boira[150].

VI

la femme méchante



Celui qui cherche à se marier, court la chance de grands malheurs. Il y a des filles méchantes. Il y en a de débauchées : y en a qui aiment la bouteille. Le galant peut faire ce qu’il voudra, prendre des renseignements, tâcher de voir par lui-même. Cela ne lui sert jamais de rien. Tant que le curé n’a pas parlé, les filles cachent leurs vices ; mais, après, c’est une autre affaire. — Dieu vous préserve de ce danger ! Dieu vous préserve surtout d’épouser une femme méchante ! Il ne vous servirait à rien de la sermonner, ni de la battre. La carogne serait peut-être capable de vous empoisonner. Si vous tombez mal en mariage, mieux vaudrait pour vous vivre dans la compagnie de Lucifer, et de ses Diables.

Un homme avait eu le triste sort de tomber sur une de ces méchantes filles. Le soir même de la noce, elle fit un sabbat d’enfer. Pendant dix ans, cela recommença vingt fois par jour. L’homme était fort comme Samson, patient comme un ange, et il se disait souvent en lui-même :

— « Si je bats cette malheureuse, je suis capable de l’estropier, peut-être même de la tuer, sans le vouloir. Jamais les juges ne pourraient croire ce que j’ai souffert par elle. Ils commanderaient de me faire mourir. Cela serait un grand affront pour la famille. Mieux vaut faire comme auparavant, et offrir mes peines au Bon Dieu. »

La femme, voyant que son homme ne répondait jamais à ses insultes, et qu’il n’avait pas l’air de prendre garde à ses malices, devint encore plus méchante.

— « Ah ! c’est ainsi, pensa-t-elle. Eh bien ! nous verrons ce soir. »

Le soir, l’homme revint de son champ, las et affamé.

— « As-tu trempé la soupe, ma femme ?

— Non, ivrogne, voleur, mauvais sujet. Je suis lasse de servir un rien-qui-vaille comme toi. Fais ta cuisine, si tu veux. »

Le pauvre homme ne répondit rien. Il alla couper des choux au jardin, alluma le feu, et fît la soupe. Mais, comme il s’apprêtait à la tremper, la femme cassa la marmite d’un coup de pelle à feu.

— « Ma femme, pourquoi as-tu cassé la marmite ?

— Cela m’a plu, pouilleux.

— Je te défends de m’appeler pouilleux.

— Pouilleux ! Pouilleux !

— Si tu le redis, je te noie dans la mare.

— Pouilleux ! Pouilleux ! Pouilleux ! »

L’homme prit sa femme, la porta dans la mare, et l’y fit entrer, jusqu’à mi-jambe.

— « Pouilleux ! »

L’homme plongea sa femme dans la mare, jusqu’à la ceinture.

— « Pouilleux ! Pouilleux ! »

L’homme plongea sa femme dans la mare, jusqu’au menton.

— « Pouilleux ! Pouilleux ! Pouilleux ! »

L’homme plongea dans la mare toute la tête de sa femme. Mais celle-ci élevait ses mains en l’air, et frottait ses pouces l’un contre l’autre, comme qui écrase des poux. Alors, l’homme comprit que cela ne servait de rien, et il ramena sa femme au bord de la mare.

— « Cette leçon est perdue, dit-il. Je dépenserais mal mon temps à recommencer. Ma femme

est née méchante, et méchante elle mourra[151]. »

VII

la dame corrigée



Il y avait, une fois, une dame si méchante, si méchante, qu’elle avait, en trois ans, fait mourir trois maris de chagrin.


Cette dame se remaria encore une fois. Après la messe, les mariés montèrent à cheval, et partirent pour leur château.

Le mari, qui avait entendu parler de la méchanceté de sa femme, profita du voyage pour lui donner une leçon.

Il avait amené un petit chien ; mais cet animal ne voulait pas suivre son maître. Que fait alors celui-ci ? Il arme un pistolet, et casse la tête au petit chien.

— « Tenez, Madame. Portez en croupe la charogne de ce petit chien, qui n’a pas voulu m’obéir. »

La dame, épouvantée, prit en croupe la charogne du petit chien, et ils se remirent en chemin.

Au bout de trois lieues, ils arrivèrent au bord de la rivière du Gers, qu’il leur fallait traverser à gué. Mais le cheval de la dame ne voulait pas. Il ruait, et hennissait de tout son pouvoir. Que fait alors le mari ? Il arme un autre pistolet, et casse la tête au cheval.

— « Tenez, Madame. Prenez sur votre dos, la selle de ce cheval, qui n’a pas voulu m’obéir. »

La dame, épouvantée, prit la selle sur son dos ; et ils se remirent en chemin. À l’entrée de la nuit, ils étaient dans leur château.

— « Valet, dit le mari, apporte-moi un bassin d’eau chaude. »

Le valet obéit.

— « Madame, ôtez-moi mes bottes, et lavez-moi les pieds. »

La dame, épouvantée, ôta les bottes et lava les pieds de son mari.

— « Maintenant, Madame, c’est à mon tour de vous servir. N’oubliez jamais que je serai pour vous ce que vous serez pour moi. »

La dame comprit la leçon ; et, depuis, elle fut

toujours soumise à son mari[152].

VIII

les deux gourmandes



Il y avait, une fois, un métayer qui revint de la chasse avec deux perdrix.


— « Femme, dit-il, qu’allons-nous faire de ces deux perdrix ?

— Mon homme, invitons le curé à dîner ici, demain.

— Femme, c’est dit. Je vais l’inviter. »

Le lendemain, la femme mit les deux perdrix à la broche. Elles étaient cuites à point, et rousses comme l’or, quand une voisine entra.

— « Jésus, ma mie, quelle bonne odeur ! Si nous mangions ces deux perdrix ?

— Et que dira le curé ?

— Le curé, nous le contenterons, avec des couennes grillées. »

Ce qui fut dit fut fait. Les deux femmes avalèrent les deux perdrix, et mirent sur le gril quelques couennes, qui se recroquevillaient en cuisant. En ce moment, le curé entra.

— « Bonjour, métayère. Je viens dîner. Où est votre mari ?

— Monsieur le curé, mon mari n’est pas encore rentré ; et j’en suis bien aise pour vous. À tous ceux qui entrent ici, il coupe les oreilles, et les mange. Regardez cuire, sur le gril, toutes celles qu’il a coupées depuis hier. »

Les couennes recroquevillées ressemblaient à des oreilles. Épouvanté, le curé partit au galop. Juste en ce moment, le métayer rentrait à la maison.

— « Mon homme ! mon homme ! cours vite après le curé. Il emporte nos deux perdrix. »

Le curé filait toujours comme un lièvre ; et le métayer le poursuivait en criant :

— « Monsieur le curé ! Monsieur le curé ! De

deux laissez-m’en au moins une[153]. »

IX

les âmes du purgatoire



Il y avait, une fois, un fossoyeur qui, à force de bêcher au cimetière, avait épargné de quoi acheter une barrique de bon vin vieux. Quand la barrique fut sur les tins, le fossoyeur revint à son ouvrage. Aussitôt, sa femme courut chez une voisine.

— « Écoute, mie. Mon homme vient d’acheter une barrique de bon vin vieux.

— Eh bien ! mie, allons le goûter. »

Ce qui fut dit fut fait. Matin et soir, les deux commères recommençaient leurs visites à la cave, si bien qu’au bout d’un mois la barrique se trouva sèche, et sonna creux.

— « Ah ! mon Dieu ! mie, nous avons bu tout le bon vin vieux. Que dira ton homme, quand il voudra percer la barrique ?

— Mie, sois tranquille. Je me charge de tout arranger. Prenons chacune un drap de lit, et partons pour le cimetière. Là, fais et dis comme moi. »

En effet, à neuf heures du soir, les deux commères entraient, enveloppées dans leurs linceuls, au cimetière, où le fossoyeur travaillait encore au clair de la lune.

— « Fossoyeur ! Fossoyeur ! Les âmes du purgatoire ont bu ton bon vin vieux.

— Tout ?

— Tout. Oui, certes, tout. »

Les deux commères repartirent au galop. Une heure après, le fossoyeur rentrait dans sa maison.

— « Femme, je viens du cimetière. Là, j’ai vu deux fantômes qui me criaient : « Fossoyeur ! Fossoyeur ! Les âmes du purgatoire ont bu tout ton bon vin vieux, — Tout ? — Tout. Oui, certes, tout. » Allons voir si les deux fantômes ont dit vrai. »

Le fossoyeur et sa femme allèrent à la barrique. Elle était sèche, et sonnait creux.

— « Femme, les deux fantômes n’ont pas menti. Les âmes du purgatoire ont bu tout mon bon vin vieux. Je souhaite qu’il leur profite. Demain, j’en achèterai de meilleur encore ; mais, dorénavant, je garderai la clef de la cave, et tu ne toucheras plus à ma bouteille.

— Et que boirai-je donc, mon Dieu ?

— Tu boiras de l’eau[154]. »

II

Les gens d’Église

I

l’évêque et le meunier



Il y avait, autrefois, au Castéra[155], un curé qui vivait fort mal avec l’évêque de Lectoure[156]. Le pauvre prêtre faisait son possible pour ne pas être pris en faute. Mais qui peut se vanter d’avoir raison contre son maître ?

Un jour, l’évêque manda le curé.

— « Curé du Castéra, je suis mécontent de toi. Dans huit jours, je te chasse de ta paroisse, si tu n’as pas fait, de point en point, tout ce que je vais te commander.

« Tu reviendras ici, mais ni à pied, ni à cheval.

« Tu ne seras ni nu, ni vêtu.

« Tu me diras ce que je pense.

« Tu me diras combien pèse la lune. »

Le pauvre curé repartit bien tristement.

Pendant six jours et six nuits, il s’enferma dans son presbytère, songeant à ce que l’évêque de Lectoure avait dit, mais sans trouver moyen de sortir d’embarras.

Le soir du septième jour, le pauvre homme songeait toujours, en se promenant dans la campagne. Sans y prendre garde, il arriva chez son ami, le meunier de La Hillère[157].

— « Bonsoir, meunier.

— Bonsoir, Monsieur le curé. Qu’avez-vous donc ? Vous êtes tout songeur.

— Meunier, j’ai bien raison d’être tout songeur. Demain, je serai chassé de ma paroisse, si je n’ai pas fait, de point en point, tout ce que l’évêque de Lectoure m’a commandé. Meunier, l’évêque de Lectoure m’a dit :

« Tu reviendras ici, mais ni à pied, ni à cheval.

« Tu ne seras ni nu, ni vêtu.

« Tu me diras ce que je pense.

« Tu me diras combien pèse la lune. »

Le meunier se mit à rire.

— « Monsieur le curé, retournez-vous-en tranquillement au presbytère. Ne vous mêlez de rien. À moi seul, je me charge de vous tirer d’embarras. »

Le curé retourna donc tranquillement à son presbytère, et ne se mêla plus de rien.

Le lendemain matin, le meunier se leva de bonne heure, descendit à l’écurie, bâta et brida son plus beau mulet. Cela fait, il se mit nu comme un ver, s’enveloppa d’un grand filet, sauta sur sa bête, et partit au grand galop pour Lectoure.

Il entra sans peur ni crainte dans la cour de l’évêché.

— « Bonjour, Monseigneur.

« Je suis sur un mulet. Je ne suis donc revenu ni à pied, ni à cheval.

« Je suis enveloppé d’un grand filet. Je ne suis donc ni nu, ni vêtu.

« Vous voulez que je vous dise ce que vous pensez. Vous pensez voir le curé de Castéra ; mais vous ne voyez que le meunier de La Hillère.

« Vous voulez que je vous dise combien pèse la lune. La lune a quatre quarts[158]. Elle pèse donc une livre. Si j’ai menti, prouvez-moi le contraire,

— Meunier, tu es un homme de sens. Va dire au curé de Castéra que je n’ai plus de rancune contre lui, et qu’au premier poste vacant, je le

ferai chanoine de Saint-Gervais[159]. »

II

le curé avisé



Les gens ne se mettront jamais tous d’accord sur une même chose.


Il y avait, une fois, un curé si fin, si avisé, que nul n’avait jamais pu le surprendre ni à mal dire, ni à mal faire. Les marguilliers de la paroisse vinrent le trouver, un dimanche matin, à la sacristie.

— « Bonjour, Monsieur le curé.

— Bonjour, mes amis. Qu’y a-t-il pour votre service ?

— Monsieur le curé, la sécheresse ruine nos récoltes. Nous venons vous prier de faire pleuvoir.

— Mes amis, rien de plus facile. Je sais une prière, qui fait pleuvoir, le jour même, si tout le monde est d’accord à me la demander. Tout à l’heure, à la fin du prône, je consulterai le peuple.

— Merci, Monsieur le curé.

— À votre service, mes amis. »

Les marguilliers rentrèrent dans l’église, et le curé commença la messe. Le moment du prône venu, il monta en chaire et dit :

— « Mes frères, les marguilliers de la paroisse sont venus me trouver tout à l’heure, à la sacristie, et se sont plaints de la sécheresse, qui ruine vos récoltes. Ils m’ont prié de faire pleuvoir. Je sais une prière qui fait pleuvoir, le jour même, si tout le monde est d’accord à me la demander. Voulez-vous que je fasse pleuvoir aujourd’hui ?

— Non, Monsieur le curé, dirent les garçons. Nous voulons aller nous promener, ce soir, après vêpres.

— Voulez-vous que je fasse pleuvoir demain ?

— Non, Monsieur le curé, répondirent trois ou quatre femmes. Nous avons fait nos lessives ; et nous ne voulons la pluie que lorsque notre linge sera sec.

— Voulez-vous que je fasse pleuvoir mardi ?

— Non, Monsieur le curé, dirent les jeunes filles. Nous voulons aller à la foire ce jour-là.

— Voulez-vous que je fasse pleuvoir mercredi ?

— Non, Monsieur le curé, répondit une troupe de faucheurs. Nous avons à faucher du trèfle ce jour-là.

— Voulez-vous que je fasse pleuvoir jeudi ?

— Non, Monsieur le curé, répondirent les petits garçons. Ce jour-là il n’y a pas école ; et nous voulons être libres d’aller courir.

— Voulez-vous que je fasse pleuvoir vendredi ?

— Non, Monsieur le curé, répondit le tuilier. Mes tuiles sont encore dehors ; et je ne puis les enfourner que samedi.

— Voulez-vous que je fasse pleuvoir samedi ?

— Non, Monsieur le curé, répondit le maire. J’ai besoin d’aller en campagne ce jour-là.

— Mes frères, je vous l’ai dit, ma prière n’a de vertu que si tout le monde est d’accord à me la demander. En attendant que vous soyez tous du

même avis, laissez faire le Bon Dieu[160]. »

III

le prédicateur muet



Il y avait, autrefois, à Castet-Arrouy[161], un curé savant comme un livre, et honnête comme l’or. Chaque fois qu’il avait à composer un beau prône, ou un grand sermon, le brave homme s’en allait promener seul, au bois du Gajan[162].

Un soir qu’il se promenait ainsi tout soucieux, le curé rencontra un tisserand de la commune, qui faisait paître, au bois, une paire de cochons.

— « Bonsoir, tisserand.

— Bonsoir, Monsieur le curé. Qu’avez-vous donc ? Vous avez l’air tout soucieux.

— Tisserand, c’est vrai. Je suis soucieux, et j’ai bien raison de l’être.

— Vous, Monsieur le curé ? Allons donc. Vous êtes l’homme le plus heureux de la terre. Pour un tout petit travail, vous êtes largement payé. Bons écus, bon vin, bons chapons. Vous venez ici, vous promener presque tous les soirs. Parlez-moi de ça. Sans me fouler la rate, je me sens capable d’en faire autant que vous. Mais, à vrai dire, je me sentirais un peu gêné pour prêcher.

— Pour prêcher, tisserand ? Rien n’est pourtant plus facile.

— Vous croyez, Monsieur le curé ?

— Tisserand, j’en suis sûr. Pour prêcher, il n’y a qu’à monter en chaire, à faire le signe de la croix, et à parler de n’importe quoi, pendant une heure d’horloge.

— Vous croyez. Monsieur le curé ?

— Tisserand, j’en suis sûr. Tiens, veux-tu en faire l’épreuve ! Demain, c’est le dimanche des Rameaux, en attendant celui de Pâques. Tu sais que, ce jour-là, j’ai coutume de prêcher, à vêpres, un grand sermon. Veux-tu parler à ma place ? Je te prête une soutane, un surplis et un bonnet carré. Ainsi vêtu, nul ne te reconnaîtra. Allons, tisserand, décide-toi. Ce n’est ni la mer à boire, ni la lune à manger. Si l’épreuve réussit, compte sur moi, pour te faire nommer curé dans une bonne paroisse.

— Mais mes enfants, Monsieur le curé ? Mais ma femme ? Mais ma femme ?

— Tisserand, je me fais fort d’arranger cette affaire avec l’évêque.

— Eh bien, Monsieur le curé, c’est dit. Je prêcherai à vêpres, le jour de Pâques.

— Tisserand, c’est dit. Compte que force gens viendront de loin, pour t’écouter. »

Le lendemain, à la fin du prône de la messe de paroisse, le curé dit aux gens de Castet-Arrouy :

— « Mes frères, soyez contents. J’ai une bonne nouvelle à vous annoncer. Voici une lettre où le pape de Rome me mande qu’ici-même, et pas plus tard qu’aux vêpres de Pâques prochaines, prêchera le plus fameux prédicateur de la terre. Venez tous, et ne manquez pas d’inviter, dans toutes les communes voisines, vos parents et vos amis. »

Le soir de Pâques, l’église de Castet-Arrouy était vingt fois trop petite pour contenir les gens de la paroisse, et ceux qui étaient venus de Lectoure, de Saint-Avit, de Miradoux, de Peyrecave, de Flamarens, de Saint-Antoine, et d’Auvillars[163].

— « Quel bonheur ! Nous allons donc entendre le plus fameux prédicateur de la terre. »

Enfin, le prédicateur parut. Il se moucha, toussa, cracha, et renifla lentement une prise de tabac. Assis, tout en haut de l’escalier de la chaire, le curé de Castet-Arrouy se frottait les mains, et regardait.

Enfin, le tisserand commença :

« In nomine Patris, et Filii, et Spiritus Sancti. Amen.

— Fort bien, tisserand, souffla le curé.

Et Spiritus Sancti. Amen. — Fort bien, tisserand.

Et Spiritus Sancti. Amen. Mes frères…

— Fort bien, tisserand.

— Mes frères… Mes frères… mn mn mn… Mes bien chers frères…

— Fort bien, tisserand. — Mes bien chers frères… mn mn mn… mn… mn…

— Fort bien, tisserand. »

Le malheureux tisserand suait à grosses gouttes.

« Fort bien, tisserand. Courage !

— Mes bien chers frères… mn mn mn… »

Le prédicateur n’en pouvait plus, et toujours le curé soufflait :

« Fort bien, tisserand. Courage ! »

Enfin, le pauvre tisserand ne tint plus. Il jeta bas son surplis, son bonnet carré, sa soutane, et parut en bras de chemise. Tout le monde crevait de rire.

— « Le tisserand ! Le tisserand ! »

Le pauvre homme était tout bleu de colère.

— « Que le Diable vous emporte, Monsieur le curé ! Vous m’aviez dit : « Prêcher ! Rien de plus facile. « Vous en avez menti, gueusard. Prêcher ! J’aime encore mieux pousser ma navette, et garder mes porcs au Gajan.

— Tu as raison, tisserand. Chacun son métier,

et l’ouvrage sera bien fait[164]. »

IV

le curé et les paroissiens



Il y avait, une fois, une petite paroisse, où le peuple faisait la guerre à son curé. Mais le brave homme n’était pas plus bête qu’un autre ; et il s’était arrangé de façon à se garer contre les dénonciations à l’archevêque d’Auch.

Chaque dimanche matin, ce curé, montait en chaire, et disait :

— « Messe, vêpres, et catéchisme quelquefois. »

Cela dit, il finissait sa messe, quittait l’église, et passait le reste de la semaine à se divertir.

À la fin, les paroissiens perdirent patience.

— « Ceci ne peut plus durer. Allons nous plaindre à l’archevêque d’Auch. Aussi sûr qu’il y a un Dieu, il nous changera de curé. »

Le lendemain, le maire, l’adjoint, le régent, et les marguilliers, partaient donc pour la ville d’Auch, montés sur tous les chevaux et juments poulinières de la commune.

— « Bonjour, Monseigneur. Nous avons un triste curé. Quand il a dit : « Messe, vêpres, et catéchisme quelquefois, » il passe le reste de la semaine à se divertir.

— Mes amis, votre dire vous condamne. « Messe, vêpres, catéchisme quelquefois, » c’est bien assez, pour une petite paroisse comme la vôtre. »

Le maire, l’adjoint, le régent, et les marguilliers, s’en retournèrent tout confus. Chemin faisant, ils se disaient :

— « Ah ! l’archevêque d’Auch nous a donné tort. Patience ! Nous nous vengerons de lui. »

Quelques mois après, l’archevêque d’Auch faisait la tournée de confirmation dans son diocèse. Quand il arriva dans la petite paroisse, les maisons étaient enguirlandées ; le peuple attendait à la porte du village, en habits de fêtes. Mais le maire, l’adjoint, le régent, et les marguilliers, avaient mis à sec le bénitier, et s’étaient arrangés de façon à y verser, au bon moment, un grand chaudron d’eau bouillante, pour échauder la main de l’archevêque d’Auch, quand il voudrait prendre de l’eau bénite.

Mitre en tête, et crosse en main, l’archevêque d’Auch entra dans l’église. Sans se méfier de rien, il approcha sa main du bénitier. Alors, un marguillier le poussa, comme par hasard, et lui enfonça le bras jusqu’au coude dans l’eau bouillante.

— « Aie ! aie ! »

Le curé ne perdit pas cette bonne occasion.

— « Vous le voyez, Monseigneur, voici les gens avec qui je dois vivre, pour vous obéir.

— Mon ami, ton martyre va finir. Je te fais curé de l’Isle-Jourdain[165]. Et vous, méchants paroissiens, vous n’aurez pas de si tôt un autre curé[166]. »

V

le signe de la croix



Il y avait, une fois, un brave paysan, qui vivait heureux dans sa maisonnette, avec sa femme et son petit garçon. Mais le bonheur ne dure pas. Un jour, la femme tomba malade, et se mit au lit.

— « Mon homme, dit-elle, je vais mourir. Quand je ne serai plus là, comment feras-tu pour tenir notre maisonnette en ordre, et pour élever notre petit garçon ?

— Pauvre femme ! Je devine ta pensée secrète. Tu crains que je ne me remarie. Meurs tranquille. Je ne me remarierai pas. Nuit et jour, je travaillerai, pour tenir notre maisonnette en ordre, et pour élever notre petit garçon.

— Mon homme, merci. »

La pauvre femme mourut, et le brave paysan n’oublia pas sa promesse. Il ne se remaria pas. Nuit et jour, il travailla, pour tenir la maisonnette en ordre, pour élever son petit garçon.

L’enfant n’était pas bête. À l’école, il apprit vite et bien, tout ce que le régent était en état de lui enseigner. Alors, l’enfant dit à son père :

— « Père, envoyez-moi au séminaire d’Agen. Je veux étudier pour devenir prêtre.

— Mon ami, fais à ta volonté. »

Le garçon partit donc pour le séminaire d’Agen. À vingt-quatre ans, il en avait appris autant que ses maîtres ; si bien que l’évêque nomma le petit abbé curé de la paroisse, où son père vivait toujours.

Mais le petit abbé était devenu glorieux comme un paon. Il avait honte d’être le fils d’un paysan, et de loger dans une maisonnette sans premier étage. Le jour même de son arrivée, il manda les maçons, pour bâtir ce qui manquait ; si bien que, trois mois plus tard, il logeait en haut, dans une belle chambre à deux lits, un pour lui, l’autre pour les gens riches et haut placés qui venaient lui faire visite. Comme autrefois, le père couchait toujours en bas, dans la cuisine. Certes, le pauvre homme était triste de voir son fils si glorieux ; mais il ne faisait aucune plainte.

Un beau soir, l’évêque d’Agen arriva dans la paroisse, pour y confirmer les enfants le lendemain. C’était un brave homme, dévot et aumônier comme un saint, juste comme l’or, et peu gêné pour châtier publiquement les gens qui le méritaient.

Après souper, le petit abbé fit monter l’évêque dans la belle chambre.

— « Monseigneur, voici votre lit, et voilà le mien. Bonne nuit.

— Merci, petit abbé ! Mais où couche donc ton brave père ?

— Monseigneur, il couche en bas, dans la cuisine. C’est bien assez pour lui.

— Tu crois, petit abbé ? Nous verrons. En attendant, bonne nuit. »

Tous deux montèrent au lit. Le lendemain, l’église regorgeait de monde. Après la confirmation, l’évêque d’Agen monta en chaire.

— « Petit abbé, dit-il, tu passes pour le plus savant de mes prêtres. »

Le petit abbé faisait la roue, comme un dindon.

— « Petit abbé, puisque tu en sais si long, je veux te faire briller devant tous ces braves gens.

Monte à l’autel, et tourne-toi vers moi. Que tout le monde te voie. Bien, Et maintenant, petit abbé, fais le signe de la croix.

— Au nom du Père, du Fils…

— Assez, petit abbé. Je te fais grâce du reste. Explique-moi seulement ce que tu fais. Que signifie ta main droite que tu montes au front, en disant : « Au nom du Père, » et que tu descends à la poitrine, en disant : « du Fils ? »

— Monseigneur, cela signifie… Cela signifie…

— Petit abbé, je t’écoute, et tous ces braves gens avec moi.

— Monseigneur, cela signifie… Cela signifie… »

L’évêque commençait à rire, et le peuple faisait comme lui.

— « Oui, petit abbé. Qu’est-ce que cela signifie ?

— Monseigneur, cela signifie… Cela signifie…

— Allons, petit abbé.

— Cela signifie… Cela signifie… »

Le peuple crevait de rire.

— « Monseigneur, cela signifie… Cela signifie…

— Petit abbé, tu n’es qu’un âne. Puisque tu n’es pas en état de me répondre, c’est moi qui parlerai pour toi. Quand tu montes ta main droite au front, en disant : « Au nom du Père, » cela signifie que ton père, qui couche en bas, dans la cuisine, doit coucher en haut, dans la belle chambre. Quand tu descends ta main droite à la poitrine, en disant : « du Fils, » cela signifie que toi, le fils, qui couches en haut, dans la belle chambre, tu dois coucher en bas, dans la cuisine. As-tu compris, petit abbé ?

— Oui, Monseigneur. »

Le petit abbé profita de la leçon. Il cessa d’être glorieux comme un paon, et n’eut plus honte d’être le fils d’un paysan. Désormais, il fit coucher son brave père dans la belle chambre d’en

haut, et coucha lui-même à la cuisine[167].

VI

histoires du curé de lagarde



Il y avait, autrefois, à Lagarde[168], un curé sur le compte duquel on a fini par mettre à peu près toutes les histoires, vraies ou fausses qui courent encore dans toutes les paroisses du diocèse[169]. Voici celles dont je me souviens.

I. — Le curé de Lagarde n’avait pas son pareil pour conjurer l’orage.

Un jour, le mauvais temps menaçait d’emporter toutes les récoltes. Par malheur, le curé n’était pas chez lui. Alors, les gens de la paroisse dirent au sonneur de cloches :

— « Sonneur de cloches, conjure l’orage. »

Tout glorieux de cette confiance, le sonneur de cloches prit une statuette de la sainte Vierge, fit ranger les gens en procession, et entonna :

— « Exsurge Domine… Prêchi prêcha… »

En ce moment, arriva le curé de Lagarde.

— « Imbécile, que fais-tu là ?

— Vous le voyez. Monsieur le curé. Je conjure l’orage.

— Animal ! Tu conjures l’orage avec la statuette de la sainte Vierge. Ceci n’est pas affaire de femmes. Va me chercher le Bon Dieu[170]. »

II. — Un autre jour, le curé de Lagarde voulait empêcher un jeune homme d’assister à une noce, où on l’avait prié comme donzellon[171].

— « Mon ami n’y va pas. Les noces sont des assemblées de perdition.

— Mais pourtant, Monsieur le curé, Notre-Seigneur Jésus-Christ assista bien aux noces de Cana.

— Crois-tu, peut-être, que ce soit la plus belle action de sa vie ? »

III. — Un autre jour, le curé de Lagarde, son clerc, et deux marguilliers, portaient le Bon Dieu[172] à un malade. Comme ils traversaient l’Ochie[173], sur un petit pont de bois, le pont se rompit. Clerc et marguilliers furent bientôt hors de danger. Tandis que le curé se débattait encore dans l’eau, ils lui criaient, du haut de la berge :

— « Monsieur le curé ! Monsieur le curé ! Au secours ! Au secours ! L’eau emporte le Bon Dieu.

— Bon ! bon ! bramait le bon homme. Le Bon Dieu nage comme un canard. Mais moi, je me noie. »

Cela ne l’empêcha pas de repêcher le Bon Dieu.

IV. — Le curé de Lagarde était parfois fort distrait.

Un jour qu’il lui fallait donner la communion à une vieille femme, il se fouilla, pour prendre la clef du tabernacle. Par malheur, il en avait une autre dans sa poche ce jour-là. Pendant un gros quart d’heure, le curé de Lagarde farfouilla dans la serrure. Il finit par perdre patience.

— « Pauvre femme, dit-il, aujourd’hui, le Bon

Dieu s’est levé du mauvais côté. Il s’est verrouillé en dedans. Revenez demain. Sa mauvaise humeur sera sans doute passée. »

V. — Malgré ses farces, le curé de Lagarde était un bon prêtre, plein de foi, grand aumônier, et prêt à faire service à chacun. Mais le maire de la commune était un homme avare, méchant, et glorieux comme un pou. Ce maire s’était mis dans la tête de se faire asperger en particulier, à son banc, tous les dimanches, pendant la bénédiction qui se fait avant la messe de paroisse.

— « Monsieur le maire, lui dit enfin le curé de Lagarde, ce n’est pas assez de vous asperger une fois. Vous méritez le triple. Dimanche prochain, vous aurez contentement. »

Le curé de Lagarde avait secrètement commandé, à un ferblantier de Lectoure, un goupillon dont la tête contenait au moins une pinte d’eau bénite. Ce goupillon fut apporté secrètement au presbytère le samedi soir.

Le lendemain, dimanche, le curé commença son aspersion avec le goupillon ordinaire.

« Asperges me, Domine, hysopo et mundahor. »

Arrivé devant le banc du maire, ce fut autre chose.

« Lavabis me… »

Vlan ! vlan ! vlan ! En trois coups de goupillon, le pauvre maire reçut, en pleine figure, trois pintes d’eau bénite.

Depuis lors, il ne songea plus à se faire asperger en particulier.

VI. — Le curé de Lagarde était royaliste. Après la Révolution de 1830, il se trouva forcé de chanter, chaque année, le jour de la fête du roi[174], « Domine, salvum fac regem nostrum Ludovicum Philippum, etc. » Voici comment le curé s’y prenait :

— « Domine, salvum fac regem nostrum… — Broum broum broum. Atchoum ! atchoum !… — et exaudi nos in die, etc. »

À l’oraison de la fin, c’était un mélange de latin et de patois.

— « Qæsumus, ut famulus tuus Ludovicus Philippus, rex noster, — o be, plan[175], — qui tua miseratione suscepit regni gubernacula, — qu’es pas lou soun[176], — virtutum etiam omnium percipiat incrementa, — n’a plan besoun[177], — quibus decenter ornatus, etc. »

Le maire, chargé de surveiller le curé, ne se méfiait de rien, et prenait tout cela pour du latin.

VII. — Un dimanche, le curé de Lagarde prêchait sur la tentation de Jésus-Christ.

— « Alors, mes bien chers frères, le Démon transporta Notre-Seigneur sur une haute montagne, et mit à ses pieds tous les royaumes de la terre.

— « Prends l’Europe, lui disait-il. Prends l’Asie. Prends l’Afrique et l’Amérique. Prends Toulouse et Bordeaux. Prends Lectoure et Condom[178]. Prends Larroumieu, Laroque et Marsolan[179]. Mais Lagarde, tu ne l’auras pas. Je me la réserve. C’est mon paradis. »

VIII. — Un autre jour, le curé de Lagarde prêchait sur le Jugement dernier.

— « Alors, mes bien chers frères, nous serons tous jugés dans la vallée de Josaphat. Écoutez bien. Nous serons tous jugés. Mauvaise affaire, mes bien chers frères. Mauvaise affaire. Moi qui vous parle, je serai jugé comme les autres. Le Bon Dieu m’appellera.

— Hô ! curé de Lagarde ! Hô ! hô ! hô !

— Mais je ne répondrai pas, et je me cacherai dans un trou. »

Et le curé de Lagarde disparaissait derrière l’appui de la chaire.

— « Hô ! curé de Lagarde ! Hô ! hô ! hô ! »

Et le curé de Lagarde se taisait, toujours caché derrière l’appui de la chaire.

— « Hô ! curé de Lagarde ! Hô ! hô ! hô ! Je te vois. Attends ! attends ! »

Et le curé de Lagarde s’empoignait des deux mains par les cheveux, comme pour se ramener à la vue du peuple.

— « Par force, il me faudra comparaître. Alors, le Bon Dieu me dira :

— Curé de Lagarde ! Curé de Lagarde ! Qu’as-tu fait de tes ouailles ?

— Et moi je répondrai :

— Bon Dieu, bêtes vous me les avez données. Bêtes je vous les rends. »

IX. — Un autre jour, le curé de Lagarde prêchait sur le mystère de la Sainte-Trinité.

— « Comment, disait-il, comment, mes bien chers frères, ne comprenez-vous pas que trois personnes, ou que trois choses n’en fassent qu’une ? Écoutez-moi bien.

— « Pieds nus comme un loup, barbu comme un bouc, sanglé comme un âne.

— « Qu’est cela ? Répondez, mes bien chers frères. Vous ne devinez pas ? Écoutez.

— « Qui va pieds nus comme un loup ? — Un capucin.

— Qui porte la barbe comme un bouc ? — Un capucin.

— Qui va sanglé comme un âne ? — Un capucin.

— Pieds nus comme un loup, barbu comme un bouc, sanglé comme un âne, ne font pourtant qu’un capucin.

« Autre exemple :

« Prenez un morceau de jambon.

« Il y a du maigre.

« Il y a du gras.

« Il y a de la couenne.

« Maigre, gras, couenne, ne font pourtant qu’un morceau de jambon. »

X. — Un jour de clôture de mission, à Marsolan[180], le curé de Lagarde se rendait utile. En attendant de prêcher en plein air, le soir, après la procession, dans un cuvier, proprement arrangé pour cette occasion, le brave homme confessait, à l’église, depuis le lever du soleil, les hommes convertis par les sermons des missionnaires[181]. Bon travail, car les hommes sont bien plus difficiles à ramener que les femmes.

Tandis que le curé confessait, confessait, arrivèrent douze ou quinze dévotes, vêtues de blanc. Elles venaient répéter, encore une fois, un beau cantique, pour la procession du soir. Voici le refrain :

— « Dans la Terre promise,
De loin je vois Moïse[182]. »

Ce cantique troublait le confesseur et ses pénitents. Le curé de Lagarde parut, en surplis, sur la porte du confessionnal, et fit signe aux dévotes de se taire.

— « Chût ! chût ! »

Les dévotes se mirent à chanter plus fort :

— « Dans la Terre promise,
De loin je vois Moïse. »

Le curé de Lagarde reparut.

— « Chût ! chût ! »

Mais les dévotes ne voulaient pas en avoir le démenti.

— « Dans la Terre promise,
De loin je vois Moïse. »

Cette fois, le curé de Lagarde n’y tint plus. Il s’élança du confessionnal, et tira sa révérence aux

dévotes en chantant :

« Faites-lui bien mes compliments.
Faites-lui bien mes compliments[183].  »

Cette fois, les dévotes se turent, et s’en allèrent répéter ailleurs leur beau cantique.

XI. — Le même soir, le curé de Lagarde prêcha, en plein air, sur le Jugement dernier.

— « Alors, disait-il, mes bien chers frères, le Bon Dieu séparera les brebis des boucs, les bons des méchants. Moi, je serai parmi les justes, et vous parmi les damnés. Quand les Diables arriveront pour vous emporter en enfer, vous me crierez trop tard :

— « Curé de Lagarde ! Curé de Lagarde ! »

— Et moi, je me frotterai les mains, à la droite du Bon Dieu. Je vous crierai : « Tant mieux. C’est bien fait. Il fallait m’écouter, quand je prêchais dans le cuvier, qui me servait de chaire, à Marsolan. »

XII. — Chaque fois qu’il mourait un de ses paroissiens, le curé de Lagarde ne manquait pas, le dimanche suivant, d’en faire l’éloge public en chaire.

Un dimanche, il fit l’éloge du pauvre Rapet.

Assise au pied de la chaire, la Rapete[184] en deuil lui répondait.

— « Mes bien chers frères, disait le curé, le pauvre Rapet est mort.

— Quel malheur ! Monsieur le curé. Quel malheur !

— Dans son jeune temps, le pauvre Rapet fut un beau garçon.

— Roux comme une poire, Monsieur le curé. Gras comme un melon.

— Le pauvre Rapet marchait droit, en vrai chrétien. Il maintenait les siens dans le bon chemin.

— À grands coups de trique, Monsieur le curé. À grands coups de trique.

— Le pauvre Rapet était charitable.

— Oh ! oui, Monsieur le curé. Tout le pain moisi, j’avais ordre de le donner aux pauvres.

— Le pauvre Rapet était laborieux.

— Oh ! oui. Monsieur le curé. Nuit et jour, il me faisait travailler.

— Le pauvre Rapet était bon laboureur, bon jardinier.

— Oh ! oui. Monsieur le curé. Gare à moi, si je n’arrosais pas les choux.

— Le pauvre Rapet aimait sa femme.

— Oh ! oui. Monsieur le curé. Un soir, nous mangions un œuf à la coque ensemble. Toujours, il me disait : « Trempe, mie. Trempe[185]. »

XIII. — Un jour, le curé de Lagarde apprit que cinq à six mauvais garnements de la paroisse étaient allés le dénoncer à l’archevêque, et qu’il les avait renvoyés tout confus.

Le dimanche suivant, le curé ne manqua pas d’en parler en chaire.

— « Mes bien chers frères, nul ne peut être au goût de tout le monde. Il paraît que je ne plais pas à quelques-uns de mes paroissiens. Ces braves gens sont allés trouver l’archevêque. Ils lui ont dit que j’étais un imbécile.

« L’archevêque le savait, mes bien chers frères. Voilà pourquoi il m’a fait curé de Lagarde. Si j’avais été homme d’esprit, il m’aurait nommé curé de Lectoure.

« Mais, imbécile ou homme d’esprit, je suis ici par la volonté de l’archevêque ; et quand je serais

le Diable, je vous représente le Bon Dieu[186]. »

VII

les deux abbés



Un jour, l’archevêque d’Auch interrogeait les jeunes abbés du grand séminaire qui voulaient être reçus prêtres. Parmi ces abbés, il y en avait un fort savant, et un autre bête comme une oie.

— « Que vais-je répondre à Monseigneur ? pensa l’imbécile. Quelque sottise, assurément. Ce que j’ai de mieux à faire, c’est de laisser répondre avant moi mon camarade le savant, et de répéter ce qu’il aura dit. »

En effet, le savant passa le premier. L’archevêque d’Auch, qui le connaissait, et qui voulait le faire briller, lui demanda :

— « Que feriez-vous, abbé, si une araignée venait à tomber dans le calice[187] ?

— Monseigneur, je prendrais délicatement l’insecte des deux doigts. Si je ne me sentais pas trop de dégoût, je l’avalerais. Sinon, je le brûlerais à la flamme d’un cierge, et je jetterais ses cendres dans la piscine.

— Abbé, il est impossible de mieux répondre.

— Maintenant, pensa l’imbécile, je suis sûr de mon affaire. »

Quand son tour fut venu de répondre, l’archevêque d’Auch, qui le tenait pour une bête, et qui aimait à rire, lui demanda :

— « Que feriez-vous, abbé, si un âne venait à boire dans le bénitier ?

— Monseigneur, je prendrais délicatement l’insecte des deux doigts. Si je ne me sentais pas trop de dégoût, je l’avalerais. Sinon, je le brûlerais à la flamme d’un cierge, et je jetterais ses cendres

dans la piscine[188]. »

VIII

le sermon du cochon de lait



Autrefois, il y avait, à Sainte-Radegonde[189], un curé qui aimait mieux la viande que les choux, et le bon vin vieux que la piquette. Ce curé avait son presbytère attenant à l’église ; de sorte qu’en disant sa messe, il pouvait voir, de l’autel, ce qui se passait à sa cuisine.

Un dimanche, le curé, qui attendait du monde à dîner, avait commandé pour rôti un superbe cochon de lait. Mais, au beau milieu de la dernière messe, il aperçoit la servante, qui s’était endormie, en tournant la broche, et qui laissait brûler le cochon de lait. Aussitôt, le curé monte en chaire, et fait ce sermon :

— « Mes bien chers frères, vous êtes tous de braves gens ; et je crois bien qu’aucun de vous n’est capable de porter directement la main sur le bien des autres. Mais il y a plus d’une façon de prendre les choses du prochain. Tenez, mes bien chers frères, lundi dernier, un homme de cette paroisse avait laissé son cochon pâturer dans le champ de fèves d’un voisin. Ce voisin s’indignait, et criait : « Hô ! hô ! Le cochon ! Le cochon ! »

À ce cri, la servante endormie se réveilla, et

se remit à tourner la broche[190].

IX

dieu a dit…



Il y avait, une fois, au grand séminaire d’Auch, un petit abbé, glorieux comme un pou, et bête comme une souche. Pourtant, il se croyait né pour devenir le plus grand prédicateur de la terre.

Quand il eut reçu la messe, le petit abbé vint faire visite à sa famille.

— « Chers parents, dit-il à souper, c’est demain dimanche. Votre curé m’a permis de prêcher à vêpres. Ne manquez pas d’y venir. Vous verrez si je ne suis pas né pour devenir le plus grand prédicateur de la terre. »

Mais le père se méfiait.

— « Mon ami, lui dit-il, de ce que tu ne sais pas, on pourrait faire un grand livre. Crois-moi, laisse prêcher notre curé.

— Père, n’ayez pas peur. Patience, et vous verrez si vous n’avez pas lieu d’être fier de moi.

— Mon ami, le Bon Dieu le veuille ! »

Le lendemain, l’église était bondée de curieux, et le petit abbé montait en chaire.

— « Mes frères, Dieu a dit… Dieu a dit… »

Le petit abbé se troubla.

— « Mes frères. Dieu a dit… Dieu a dit… »

Les assistants s’esclaffaient de rire.

— « Mes frères, Dieu a dit… Dieu a dit… »

Enfin, le père du petit abbé perdit patience.

— « Dieu a dit que tu es une foutue bête. Descends de chaire, animal. Tu me fais honte. »

Le petit abbé obéit. Mais la leçon lui profita. Il se corrigea de son orgueil, étudia longtemps, et

finit par devenir bon prédicateur[191].

X

le sermon de la culotte




Il y avait, une fois, un jeune vicaire qui voulait devenir un grand prédicateur. Mais il avait si mauvaise mémoire, qu’il ne pouvait retenir par cœur les sermons à réciter. Aussi les écrivait-il sur de petits morceaux de papier, qu’il gardait dans une poche de sa culotte, pour les tirer au bon moment.

Le jour de la fête patronale du village approchait ; et le jeune vicaire préparait, en conséquence, un magnifique sermon. À plus de trois lieues à la ronde, tout le monde était prévenu.

Enfin, le grand jour vint. Le jeune vicaire mit sa culotte neuve, sa plus belle soutane, son plus beau rabat, se frotta les mains, et pensa :

— « Ha ! ha ! Ce soir, après vêpres, ma réputation de grand prédicateur sera faite. »

À vêpres, plus d’un millier de personnes attendaient.

— « Mes frères… Mes frères… »

Le prédicateur se fouilla. Malheur ! Les petits morceaux de papier étaient restés dans la poche de la vieille culotte.

— « Mes frères… Mes frères… »

Les assistants commençaient à perdre leur sérieux.

— « Mes frères… Mes frères… »

Enfin, le jeune vicaire prit un grand parti :

— « Mes frères, ce que je n’ai pas dans ma culotte neuve, je l’ai dans ma vieille. »

Tout le monde éclata de rire, et le jeune vicaire

fit comme les autres[192].

superbe



Il y avait, une fois, une femme qui s’appelait Superbe, la bien nommée. Elle était glorieuse comme un cent de poux, et s’était logé dans la tête de se faire mettre dans les litanies. Un dimanche, après la messe, elle s’en alla trouver son curé dans la sacristie.

— « Bonjour, Monsieur le curé.

— Bonjour, Superbe.

— Monsieur le curé, je viens vous demander de me faire un grand plaisir.

— Parlez, Superbe. Je vous écoute.

— Monsieur le curé, je voudrais me faire mettre dans les litanies. « Sainte Superbe ! » Il me semble que cela serait fort beau à chanter. Je vous paierai ce qu’il faudra.

— Superbe, ceci est un grand honneur. Il vous en coûtera le pré que vous avez sur la rivière.

— Eh bien, Monsieur le curé, c’est convenu. Dès à présent, le pré est à vous. Dimanche prochain, vous commencerez à me mettre dans les litanies.

— Je le ferai, Superbe. Vous pouvez me croire. »

Superbe s’en revint chez elle. Mais le clerc, qui était derrière la porte, avait tout entendu. Aussi, le dimanche suivant, quand le curé, en chantant les litanies, arriva à sainte Superbe, le clerc, au lieu de répondre : Ora pro nobis, resta muet. Le curé, étonné, chanta encore :

— « Sainte Superbe.

— À cause de l’herbe[193]. »

XII

le diable au cimetière



Autrefois, dans le cimetière de l’église des Carmes de Lectoure, il y avait un beau noyer ; et le sonneur de cloches, qui s’appelait Barraquet, entendait profiter des noix. Mais souvent, il arrivait que, lorsque Barraquet allait pour les cueillir, d’autres s’étaient levés plus matin que lui, et qu’il ne trouvait plus rien sur le noyer.

Un matin, le sonneur de cloches se leva bien avant le jour, et partit pour le cimetière, avec un sac, pour aller faire sa récolte. Arrivé sur la porte, il entendit un bruit de choses qu’on croque. Aussitôt, Barraquet épouvanté détale, et court au couvent des Carmes, trouver le Père Benoît.

— « Père Benoît, père Benoît, les Diables sont au cimetière. Ils croquent les os des morts.

— Ah ! les gueusards. Comme j’irais les relancer, sans la goutte, qui m’est revenue depuis hier.

— Père Benoît, si vous voulez, je vous porterai sur mon dos.

— Tu as raison, Barraquet. Va-t’en à l’église, et rapporte-moi mon surplis, mon bonnet carré et le goupillon. »

Quand Barraquet fut de retour, il aida le Père Benoît à se vêtir en prêtre, le chargea sur son dos, et partit pour le cimetière.

Ceux qui faisaient le bruit étaient quatre ou cinq voleurs, qui croquaient des noix, en attendant deux de leurs camarades, qu’ils avaient envoyés voler les cochons du meunier de Repassac[194].

— « Entendez-vous, Père Benoît, comme les Diables croquent les os des morts ?

— N’aie pas peur, Barraquet, et ne me laisse pas tomber. Avec ma prière, je vais les chasser comme il faut. — Fuyez, esprits immondes. Vade retro, Satanas. Ab insidiis Diaboli, libera nos, Domine[195]. »

Les voleurs, qui entendaient parler, et qui voyaient, dans la nuit, arriver un homme portant quelque chose sur l’échine, croyaient que c’était leur camarade revenant avec le cochon.

— « Sont-ils gras ? disaient-ils. Sont-ils gras ? »

Le pauvre Barraquet était à moitié mort de peur. Il croyait que les Diables demandaient s’ils étaient gras, pour les manger, lui et le Père Benoît.

— « Sont-ils gras ? Sont-ils gras ? »

Enfin Barraquet n’y put plus tenir. Il jeta le Père Benoît à terre.

— « Gras ou maigre, voici. »

Et il partit au galop, s’enfermer dans sa maison[196].

XIII

les deux moines



Autrefois, il y avait, à Rouillac[197], un seigneur fort gai, et qui n’aimait guère les gens d’église.


Un soir, deux moines blancs arrivèrent à cheval à la porte du château, et demandèrent à souper et à loger pour la nuit. Tandis qu’ils soupaient, le seigneur leur demanda où ils allaient.

— « Monsieur, nous allons aux eaux de Bagnères, par ordre des médecins, pour retrouver l’appétit que nous avons perdu. »

Le repas fini, le seigneur souhaita une bonne nuit aux deux moines, et les fit conduire tous deux dans la même chambre, en haut de la tour du château. Quand ils se réveillèrent, pour se remettre en route, la porte de la chambre était fermée à clef. Ils appelèrent, ils frappèrent : personne ne vint.

Leur journée se passa ainsi, sans manger ni boire. Les deux pauvres moines croyaient que le seigneur les avait fait enfermer là, pour les y faire mourir de male faim et de male soif. Pourtant, ils finirent par s’endormir. Mais le lendemain, ils se réveillèrent, le ventre vide, les dents longues ; et ils se regardaient l’un l’autre, comme s’ils avaient voulu se dévorer. Enfin, ils avisèrent deux ou trois cordes d’oignons, attachées à la poutre de leur chambre, à plus de vingt pieds de hauteur. Aussitôt, ils se mirent à tirer aux oignons à grands coups de souliers ; et quand ils en faisaient tomber un, ils l’avalaient, presque sans mâcher. Cela dura jusqu’au soir. Alors, le seigneur vint ouvrir la porte.

— « Je vois avec plaisir, mes Pères, que l’appétit vous est revenu. Vous n’avez plus besoin d’aller aux eaux, et vous pouvez rentrer dans

votre couvent[198]. »

XIV

le cochon volé



Il y avait, une fois, un curé qui se trouvait bien embarrassé. Le brave homme prit à part le sonneur de cloches de son église.

— « Mon ami, lui dit-il, tu sais que, tous ces jours passés, on a saigné force cochons dans le pays. Mes braves paroissiens m’ont comblé de cadeaux, oreilles, saucisses, boudins, morceaux de filet, et autres choses pareilles. Maintenant, le jour arrive de saigner mon porc. Il ne m’en restera pas un morceau, si je rends seulement le quart des présents que j’ai reçus. »

Le sonneur de cloches se mit à rire.

— « Monsieur le curé, dit-il, vous vous embarrassez de bien peu de chose. Aujourd’hui même, je vais saigner votre cochon. En attendant que je le découpe demain, je compte le laisser suspendu, toute la nuit, devant la porte du presbytère. Nul n’y touchera. Il n’y a que de braves gens dans la paroisse. À minuit passé, vous vous lèverez doucement, doucement, et vous emporterez le porc, que je me charge de découper et de le préparer en secret. Demain matin, vous crierez qu’on vous a volé la bête. Tout le monde vous plaindra, et vous n’aurez rien à rendre, pour tous les présents qu’on vous a faits.

— Mon ami, tu as raison. »

Ce qui fut dit fut fait. Le sonneur de cloches saigna le cochon, le racla, le vida, et le suspendit devant la porte du presbytère. Tout le monde s’arrêtait, pour voir un si bel animal.

— « Ah ! le beau porc, Monsieur le curé. Le beau porc !

— C’est vrai, braves gens. Il n’est pas laid. Comptez que chacun de vous en aura sa part.

— Merci d’avance, Monsieur le curé. Mais vous auriez tort de laisser votre cochon suspendu, toute la nuit, devant la porte du presbytère. Quelque mauvais sujet pourrait bien vous le voler.

— Mes amis, nul n’y touchera. Il n’y a que de braves gens dans la paroisse.

— C’est égal. Monsieur le curé. Méfiez-vous. »

Le soir, après souper, le curé se coucha, pour se relever doucement, doucement, à minuit passé.

Mais le sonneur de cloches s’était hâté davantage, et avait secrètement emporté le porc.

Le curé se désolait.

— « Oh ! les gueux. Je suis volé. Je suis volé. Mon porc ! Mon pauvre porc ! »

Jusqu’au lever du soleil, le curé pleura comme un veau. Après l’Angelus du matin, arriva le sonneur de cloches.

— « Mon ami, je suis volé. Je suis volé. Mon porc ! Mon pauvre porc ! »

Le sonneur de cloches riait.

— « Fort bien, fort bien, Monsieur le curé. C’est bien ainsi qu’il faut dire. Vous n’aurez rien à rendre, pour tous les présents qu’on vous a faits.

— Va-t-en au Diable. Je suis véritablement volé. Je suis volé. Mon porc ! Mon pauvre porc ! »

Le sonneur de cloches riait toujours.

— « Fort bien, Monsieur le curé. Fort bien. C’est ainsi qu’il faut dire. Vous n’aurez rien à rendre, pour tous les présents qu’on vous à

faits[199]. »

XV

les cinq dieux



Un jour, le curé des Carmes[200] faisait le catéchisme aux enfants qui se préparaient à la première communion.


— « Mon ami, dit-il à l’un d’eux, combien y a-t-il de Bons Dieux ?

— Cinq, Monsieur le curé.

— Nomme-les.

— Le Bon Dieu de Saint-Gervais[201], un. Le Bon Dieu des Carmes, deux. Le Bon Dieu de l’Hôpital[202], trois. Le Bon Dieu des Carmélites[203], quatre. Le Bon Dieu de Sainte-Claire[204], cinq.

— Tu oublies le Bon Dieu de Saint-Giny[205].

— Monsieur le curé, Saint-Giny n’est pas dans la ville. Ce Bon Dieu-là n’a de pouvoir que sur

les jardiniers de Pradoulin[206]. »

XVI

le cordonnier saint



Il y avait, une fois, un curé qui avait, dans une niche de son église, la statue du saint patron de la paroisse. Cette statue représentait un évêque en habits dorés, mitre en tête, crosse en main. On en parlait à dix lieues à la ronde. Force gens venaient de loin pour la voir, le jour de la fête patronale ; et pas un ne s’en retournait sans laisser une offrande, qui profitait au curé. Aussi, le brave homme veillait-il à ce que la statue fût alors propre, et brillante comme un écu neuf.

Un jour, le curé manda ses marguillières dans la sacristie.

— « Braves femmes, vous savez que dans trois jours tombe la fête patronale. Je vous en prie, faites que tout soit en ordre dans mon église. Faites surtout que la statue de mon saint soit propre, et brillante comme un écu neuf.

— Monsieur le curé, fiez-vous à nous. »

Jusqu’à la nuit, les marguillières enlevèrent les toiles d’araignées, balayèrent le pavé de l’église, époussetèrent les autels, les tableaux, la chaire, les chaises, et les bancs.

— « En voilà assez pour aujourd’hui. Mais le plus fort de notre travail reste à faire. Demain, il s’agit de nettoyer, et comme il faut, la statue du saint. »

Le lendemain matin, les marguillières arrivaient à l’église, sur les premiers coups de l’Angelus.

— « À l’ouvrage ! À l’ouvrage ! »

Mais le saint n’était pas léger, car il était fait de pierre peinte et dorée. Pourtant, les marguillières finirent par l’enlever de sa niche, et par le descendre sans le casser. Jusqu’au soir, elles lavèrent, elles frottèrent, si bien que la statue était propre, et brillante comme un écu neuf.

— « Et maintenant, il s’agit de replacer le saint dans sa niche. Pas de presse. Doucement. Faisons bien ensemble, toutes ensemble. Hardi ! Hô ! »

Mais le saint n’était pas léger, car il était fait de pierre peinte et dorée. Les marguillières suaient à grosses gouttes.

— « Pas de presse. Doucement. Faisons bien ensemble, toutes ensemble. Hardi ! Hô ! »

Le sonneur de cloches et son fils les regardaient faire en riant. Cela mit les marguillières hors d’elles-mêmes.

— « Finirez-vous de rire, bandits ? Finirez-vous de rire devant le Saint-Sacrement ?

— Marguillières, ce travail passe la force des femmes. Laissez-nous faire.

— Au large, mauvais sujets. Ce que font les hommes, les femmes peuvent le faire. — Allons ! Pas de presse. Doucement. Faisons bien ensemble, toutes ensemble. Hardi ! Hô ! »

Déjà, la statue touchait au bord de la niche.

— « Hardi ! Hô ! »

Patatra ! Le saint retomba sur le pavé, brisé en mille morceaux.

— « Jésus, Maria ! Quel malheur ! Quel malheur ! »

Le sonneur de cloches et son fils crevaient de rire.

— « Finirez-vous de rire, bandits ? Finirez-vous de rire devant le Saint-Sacrement ? Si vous dites la chose au curé, comptez que nous vous étripons, comme deux poulets. « 

Le sonneur de cloches et son fils jurèrent, par leurs âmes, d’être muets comme des poissons.

Alors, les marguillières recommencèrent à gémir.

— « Jésus, Maria ! Quel malheur ! Quel malheur ! Que faire, mon Dieu ? Que faire ? »

Enfin, la plus jeune prit un grand parti.

— « Mes amies, écoutez. Ce qui est fait est fait. À gémir jusqu’à demain, nous en serons pour nos cris. Cachons vite les mille morceaux de ce pauvre saint, et balayons le pavé. J’ai mon plan. »

Les marguillières obéirent.

— « Et maintenant, mes amies, il s’agit de réparer ce grand malheur. Avec le premier bâton venu, nous aurons bientôt fait une crosse. Avec de vieux ornements d’église, nous aurons bientôt cousu des habits et une mitre d’évêque. Cela fini, nous chercherons un brave garçon, bien discret, pour monter demain dans la niche, et faire le saint, de la pointe de l’aube au coucher du soleil. Allons, vite ! À l’ouvrage ! »

En deux heures, tout fut prêt.

— « Et maintenant, dit la plus jeune des marguillières, il s’agit de nous procurer le brave garçon bien discret. Ne trouvez-vous pas que mon galant, le cordonnier, a un faux air du pauvre saint ?

— C’est vrai. C’est vrai.

— Eh bien, allons trouver le cordonnier. Il ne nous refusera pas. »

Les marguillières allèrent donc trouver le cordonnier, et lui contèrent leur peine.

— « Marguillières, dit-il, je ne travaille pas pour rien. Si vous voulez que, demain, je fasse le saint, vous allez me donner un beau louis d’or. C’est à prendre, ou à laisser.

— Cordonnier, voici ton beau louis d’or.

— Marguillières, ce n’est pas tout. Demain, sans manger ni boire, je serai forcé de faire le saint, dans la niche, de la pointe de l’aube au coucher du soleil. Faites-moi vite un bon dîner, garbure, cuisse d’oie, tranche de veau en aillade[207], chapon rôti, salade, fromage d’Auvergne, bon vin vieux, sans compter le café, le pousse-café, et la prune à l’eau-de-vie.

— Cordonnier, tout ce que tu voudras. Suis-nous. »

Aussitôt, les marguillières allèrent se mettre en cuisine. Quand tout fut prêt, le cordonnier mangea comme un loup, et but comme un trou. Avant la pointe de l’aube, il était debout dans sa niche, vêtu d’habits dorés, mitre en tête, crosse en main. Déjà, quelques étrangers arrivaient, avec leurs offrandes. Au lever du soleil, l’église regorgeait déjà de monde.

— « Quel beau saint, mon Dieu ! Quel beau saint ! »

Avec des épingles, les bons chrétiens piquaient des images, des scapulaires, des chapelets, sur le cordonnier.

— « Prenez-garde, criaient les marguillières. Prenez-garde de piquer le saint. »

Sans le vouloir, le cordonnier piqué remua.

— « Au miracle ! Au miracle ! Le saint a remué. »

Sans le vouloir, le cordonnier éternua.

— « Au miracle ! Au miracle ! Le saint a éternué. »

Parmi les assistants, un garçon récitait son chapelet à genoux. C’était un ennemi du cordonnier, qui lui allongea un grand coup de crosse.

— « Au miracle ! Au miracle ! Le saint a châtié le plus grand mauvais sujet du pays. Dehors, canaille. Ici, le saint ne veut pas de toi. »

Jusqu’après vêpres, les miracles continuèrent. Les offrandes pleuvaient, et le curé se frottait les mains.

Par malheur, au Magnificat, le cordonnier, travaillé par le bon dîner de la nuit, se mit tout à coup à frotter son ventre, et à se tordre comme un possédé.

— « Diable ! Diable ! pensait-il, je donnerais bien deux sous, pour être seul un moment, accroupi, bien à mon aise, derrière une haie. »

Enfin, le cordonnier n’y tint plus. Il sauta de sa niche, et partit au grand galop.

— « Au miracle ! Au miracle ! Le saint part. Courons après lui. »

Mais le cordonnier filait si vite, si vite, qu’on l’eut bientôt perdu de vue. Tandis qu’il contentait son envie, accroupi, bien à son aise, derrière une haie, les braves gens se disaient :

— « Le saint s’ennuyait à vivre toujours seul,

dans sa niche. Il est retourné en paradis[208]. »

III

DIVERS

I

la truie pendue



Les gens de Marsolan[209] ont toujours été glorieux comme des poux sur une chemise blanche. Autrefois, les consuls[210] du village avaient droit de justice haute et basse, et pouvaient juger à mort ; mais l’occasion ne se présentait jamais.

Un jour, une truie nourricière blessa un enfant, d’un coup de museau. Que firent alors les consuls de Marsolan ? Ils s’assemblèrent, sous le porche de l’église, firent amener la truie, et la condamnèrent à mort.

Le bourreau de Condom, fut mandé, avec sa potence, pour pendre la truie le lendemain ; et les consuls firent publier que ceux qui auraient des bêtes porcines, les amenassent au pied de la potence, quand la truie serait pendue.

Il fut fait comme les consuls avaient dit. Quand le bourreau passa la corde au cou de la truie, tous les gens de Marsolan tombèrent sur leurs porcs, à grands coups de bâton, en criant :

— « Exemple, exemple, cochonnaille[211] ! »

II

recommandations d’un auvergnat



Un jour, deux frères Auvergnats tuèrent un homme de Seissan[212]. Les juges d’Auch condamnèrent l’aîné à être pendu. Mais ils eurent pitié du cadet, et ils ne le condamnèrent qu’à être fouetté par le bourreau, au pied de la potence, où l’autre allait être étranglé.

Le cadet criait comme un aigle, tandis que le bourreau le fouettait à tour de bras. Mais l’aîné, qui attendait, la corde au cou, lui faisait ses dernières recommandations.

— « Frère, disait-il, quand tu reviendras chez nous, en Auvergne, ne dis pas que j’ai été pendu. Dis que je me suis marié, et que tu as bien

dansé à ma noce[213]. »

III

les trois étameurs



Un jour, trois étameurs Auvergnats, chargés de chaudrons, de poêles, et de casseroles, montaient, au galop, la grande Pousterle[214] d’Auch. Quand ils furent tout en haut, ils étaient rouges comme le sang, et soufflaient comme des blaireaux. Ils s’étonnaient de voir d’autres gens arrivés en haut de la grande Pousterle, dispos, et pas du tout essoufflés.

— « Comment donc avez-vous fait ? leur demandaient les trois Auvergnats.

— Nous sommes montés doucement. »

Les trois Auvergnats descendirent la grande

Pousterle, pour la remonter doucement[215].

IV

l’enfant bègue



Une femme, qui avait un enfant bègue, l’envoya, un jour, tirer du vin à la cave. Tandis que le vin coulait, le fosset tombe dans le pichet. Aussitôt, le garçon laisse la barrique ouverte, et arrive au grand galop dans la chambre où était sa mère.

— « M… mè… m… mère, le f… le fos… le foss… le foss… le fosset de… de… de la b… de la b… de la bar… rique est… est… tomb… tom… tombé… »

Et ainsi pendant trois quarts d’heure, sans jamais pouvoir finir.

— « Pauvret, lui dit enfin la mère impatientée, si tu ne peux pas le dire, chante-le.

— Le fosset de la barrique est tombé dans le pichet[216].

— Jésus ! Il est bien temps que tu le dises ! La barrique doit être vide. »

En effet, la barrique était vide, et la cave inondée de vin[217].

V

la leçon de jeannet



Il y avait, une fois, au Génébra[218], un métayer fort simple d’esprit, qui s’appelait Jeannet. Ce métayer avait vendu une paire de bœufs, à la foire de Fleurance ; et il allait partir, pour partager l’argent avec son maître, un dimanche, après la messe de paroisse. Mais la femme de Jeannet, qui était fort avisée, lui fit la leçon de la manière que voici.

— « Tu te présenteras honnêtement à la maison du maître, tu ôteras ton chapeau, et tu salueras jusqu’à terre.

— Bonjour, Monsieur, diras-tu.

— Adieu, Jeannet, dira-t-il.

— Êtes-vous bien portant, Monsieur ? diras-tu.

— Beaucoup, Jeannet, dira-t-il.

— J’ai vendu les bœufs, Monsieur, diras-tu.

— Combien, Jeannet ? dira-t-il.

— Cent écus, Monsieur, diras-tu.

— Fort bien, Jeannet, dira-t-il.

— En voilà cinquante, Monsieur, diras-tu.

— C’est mon compte, Jeannet, dira-t-il.

— Il faut boire un coup, Jeannet, dira-t-il.

— Merci, Monsieur, diras-tu.

— Si, Jeannet, dira-t-il.

— À votre santé, Monsieur, diras-tu[219]. »

VI

le normand et le gascon



Il y avait, une fois, un Normand et un Gascon, si fameux par leurs mensonges, que le roi de France les manda tous deux dans son Louvre.

— « Mes amis, leur dit-il, luttez à qui fera le plus gros mensonge. Le prix de la lutte est une pension de cent écus. À toi, Normand.

— Roi, j’ai vu, sur une montagne, une fourmi longue de sept toises. Elle avait cinquante jambes, cinquante pieds, cent yeux, et cent oreilles.

— À toi. Gascon.

— Roi, j’ai vu un âne dont les pieds plongeaient au fond de la mer, et dont les oreilles touchaient au ciel. Avec sa queue, cet âne faisait trois fois le tour du monde.

— Gascon, dit le roi de France, tu as gagné le prix de la lutte. Tu as gagné la pension de cent

écus[220]. »

VI

plaideurs et gens de robe


I. — Deux paysans comparaissent devant le juge de paix.

— « Monsieur le juge de paix, dit Pierre, j’ai prêté cent francs à Jean, sur sa simple parole. Maintenant, il le nie. Commandez-lui de me rembourser.

— Réponds, Jean.

— Monsieur le juge de paix, Pierre ment. Les cent francs qu’il m’a prêtés, je les lui ai rendus. Je suis prêt à lever la main, pour faire serment. »

Mais avant de lever la main, Jean fait semblant d’être embarrassé d’un panier qu’il porte, et le passe à Pierre.

— « Monsieur le juge de paix, je jure que j’ai rendu à Pierre les cent francs que je lui devais.

— Pierre, dit le juge de paix, fouille au fond de ce panier. Tes cent francs y sont. »

Pierre obéit. Les cent francs se trouvent, en

effet, au fond du panier.

II. — Une grande et forte fille traîne devant le juge de paix un pauvre garçon, qui n’a pas plus de quatre pieds de haut.

— « Monsieur le juge de paix, dit-elle, ce brigand vient de m’embrasser par force.

— Tu mens, Jeanne, répond le juge. Jamais un si petit homme n’a pu atteindre jusqu’à ta joue.

— Monsieur le juge de paix, je l’ai fait monter sur mes sabots.

— Dehors, Jeanne. J’ai des affaires plus pressantes à régler. »

III. — Un témoin fait le sourd, pour se dispenser de répondre.

— « Je n’ai rien entendu. Je suis sourd. Monsieur le juge de paix. Je suis sourd comme une pierre.

— Eh bien, mon ami, répond le juge de paix à voix très basse, si tu es sourd, prends ton béret et va-t’en. »

Vite, le témoin prend le chemin de la porte.

— « Retourne ici, gueux. Tu n’es pas plus sourd que moi. Parle vite, et ne mens pas. Sinon, gare la prison. »

IV. — Un juge de paix interroge une fille de mauvaise vie.

— « Votre nom ?

— Jeanne.

— Votre âge ?

— Vingt ans.

— Votre profession ?

— Putain, Monsieur le juge de paix, à votre service. »

Le juge de paix, indigné :

— « Greffier, écrivez couturière. »

V. — Un juge de paix dicte un inventaire à son greffier.

— « Item, dans une étable, trois cochons, dont un grand, un petit, et le troisième raisonnable.

— Item, une chaise et un banc, sur lequel nous sommes assis, mon greffier et moi, le tout ne valant pas grand’chose. »

VI. — Sentence attribuée au juge de paix de Miradoux (Gers).

— « Attendu qu’un pet ne saurait constituer une injure verbale, surtout quand il n’est pas certain que ledit pet a été proféré au mépris de M. le maire de la commune de Saint-Antoine[221], agissant dans l’exercice de ses fonctions :

« Par ces motifs, le Tribunal se déclare incompétent, et relaxe le prévenu, sans dépens. »

VIL — Un juge de paix, dont la raison déménageait, condamne un pauvre homme à la peine des parricides, pour n’avoir pas fait ramoner sa cheminée.

VIII. — En cour d’assises, présidées par un conseiller beau parleur :

Le président à un paysan, qui n’entend pas un mot de français :

— « Témoin, l’extrémité de l’instrument contondant, dont s’est servi l’accusé pour frapper Monsieur le maire d’Ornézan[222], agissant dans l’exercice de ses fonctions, était-elle enduite de matière fécale ? »

Le témoin, ahuri :

— « Hé ?

— Témoin, je vous demande si l’extrémité de l’instrument contondant dont s’est servi l’accusé pour frapper Monsieur le maire d’Ornézan, agissant dans l’exercice de ses fonctions, était enduite de matière fécale ? »

Le témoin, encore plus ahuri :

— « Hé ?

— Huissier, traduisez ma question au témoin, en langage vulgaire.

I auèuo merdo, au cap dou barrot ?

O ! Moussu, n’i auèuo rede[223]. »

IX. — Un vieux juge a dormi toute l’audience. On le réveille pour opiner.

— « À mort ! À mort !

— Mais il s’agit d’un pré.

— Qu’on le fauche ! »

X, — Un avocat plaide une question d’adultère. Les inculpés ne sont restés seuls que peu de temps.

— « Messieurs, un grand philosophe, Sénèque[224], a dit : « Pour consommer un adultère, il faut le temps de faire cuire un œuf à la coque, et de le manger. »

« J’en conviens, Messieurs, les inculpés sont demeurés seuls durant le temps nécessaire pour faire cuire un œuf à la coque, pour l’assaisonner de sel et de poivre, pour découper en mouillettes une tranche de pain. Mais ont-ils eu le temps de manger l’œuf, comme l’exige impérieusement le grand philosophe Sénèque ? Voilà, Messieurs, voilà le grave problème qui s’impose à vos méditations. »

XI. — Il y avait autrefois, à Lectoure, un avocat, voleur comme une pie, gourmand comme une lèchefrite. Cet avocat avait en main le procès du plus grand braconnier du pays. C’est dire qu’il mangeait souvent des lièvres et des perdreaux qui ne lui coûtaient pas cher.

Enfin, à force de chicaner, l’avocat gagna son procès. Aussitôt, il écrivit au client :

— « Mon ami, viens vite. J’ai une bonne nouvelle à t’annoncer. »

À lettre vue, le braconnier alla prendre dans son garde-manger, quatre beaux perdreaux, tués de la veille, les lia par les pattes avec une cordelette, et les mit dans un panier, sous une bonne couche de foin. Deux heures après, il entrait à Lectoure, par le faubourg, et s’arrêtait chez un cordonnier de ses amis. En ville, tout le monde savait déjà que le braconnier avait gagné son procès. Pour mieux l’en complimenter, le cordonnier mena son ami boire un coup, à la cuisine.

Tandis que tous deux choquaient le verre, les apprentis du cordonnier fouillaient vite, vite, dans le panier.

— « Quatre perdreaux ! Bonne affaire ! »

En un tour de main, les perdreaux étaient remplacés, au bout de la cordelette, par une paire de vieilles formes en chêne, dures comme des cailloux, puantes comme des charognes,

— « Gueusard ! Voilà pour t’apprendre à trinquer sans nous avec le bourgeois. »

Sans se méfier de rien, le braconnier, gai comme un merle, reprit son panier, et courut chez l’avocat.

— « Ah ! Té voilà, mon ami[225], lui cria le chicaneur.

Qu’est-cé qué tu diriais,
Si jé té disiais
Que tu as gagné toun procès ?
— Et bous, moussu l’aboucat,
Qu’est-cé qué bous diriais.
Si je vous foutiais…
Une paire de perdreaux à la figure.
— Fais, mon ami, fais. Tu en as lé drroit. »

Croyant toujours porter ses perdreaux, le braconnier saisit sa cordelette, lança de toute sa force les deux vieilles formes à la figure de l’avocat, et lui cassa la mâchoire.

XII. — Ce même avocat avait gagné le procès du meunier de Repassac[226], qui n’avait pas son pareil comme pêcheur. Aussitôt, il écrivit au client :

— « Mon ami, viens vite. J’ai une bonne nouvelle à t’annoncer. »

À lettre vue, le meunier alla prendre une paire de superbes anguilles, qu’il tenait en réserve dans une auge, les enferma dans un panier rempli d’herbe, et ficela le couvercle. Cela fait, il s’habilla de neuf, et partit pour Lectoure, en prenant par le hameau de La Côte[227]. Là, il s’arrêta un bon moment chez un tisserand, pour avoir des nouvelles d’une pièce de toile que la meunière attendait. Tandis que les deux hommes devisaient, la femme du tisserand déficela le panier, enleva les deux superbes anguilles, et rétablit vite le couvercle comme auparavant.

Le meunier repartit, et entra, fier comme un paon, dans le cabinet de l’avocat. À la vue du panier, le chicaneur se mit à rire.

— « Bonjour, mon ami.

— Bonjour, Monsieur l’avocat. Je vous apporte… Je vous apporte… Vous allez voir ça. »

Le meunier tira son couteau, et coupa la ficelle qui retenait le couvercle.

— « Monsieur l’avocat, je vous apporte… je vous apporte… »

Le meunier cherchait les deux superbes anguilles, à travers l’herbe du panier.

— « Monsieur l’avocat, je vous apporte… je vous apporte… »

Le meunier cherchait toujours les deux superbes anguilles à travers l’herbe du panier.

— « Monsieur l’avocat, je vous apporte… je vous apporte… Je ne vous apporte rien. »

XIII. — Voici comment s’y prenait le même avocat, pour duper les paysans qui venaient le consulter.

— « Bonjour, Monsieur l’avocat, disait un pauvre paysan, je viens pour vous demander un avis.

— Mon ami, ne parle pas. Si tu parles, c’est quarante sous.

— Mais…

— Tu as parlé. Crache-moi quarante sous. Et maintenant, mon ami, conte-moi ton affaire. »

Jusqu’au bout, l’avocat écoutait, sans souffler mot.

— « Mon ami, je vois ce que c’est. Tu veux une consultation. J’en ai à trois prix, selon les livres dont je me sers. Consultation avec le petit livre, un écu[228] Consultation avec le moyen livre, deux écus. Consultation avec le grand livre, un louis d’or[229] et une paire de chapons gras. Mon ami, te voilà prévenu. Tu es libre. Choisis.

— Monsieur l’avocat, si vous preniez le petit livre ?

— Oui, mon ami. Le petit livre ne tient pas plus pour l’un que pour l’autre. Peut-être y trouverai-je ce qu’il te faut. Crache-moi l’écu. »

L’écu craché, l’avocat prenait le petit livre, y cherchait un moment, et fronçait le sourcil.

— « Mon ami, ton affaire n’est pas de celles où l’on voit clair au premier coup. Nous n’aurions pas dû commencer par le petit livre. Il fallait le moyen, ou le grand. Maintenant, te voilà prévenu. Choisis.

— Monsieur l’avocat, si vous preniez le moyen livre ?

— Oui, mon ami. Le moyen livre ne tient ni pour l’un ni pour l’autre. Peut-être y trouverai-je ce qu’il te faut. Crache-moi les deux écus. »

Les deux écus crachés, l’avocat prenait le moyen livre, y cherchait un moment, et fronçait le sourcil.

— « Mon ami, ton affaire n’est pas de celles où l’on voit clair au premier ou au second coup. Nous n’aurions pas dû commencer par le petit livre et continuer par le moyen. Il fallait le grand livre. Maintenant, te voilà prévenu. Avec le grand livre, je me fais fort de t’expliquer ton affaire.

— Eh bien, Monsieur l’avocat, prenez le grand livre.

— Oui, mon ami. Crache-moi le louis d’or, en attendant que tu m’apportes la paire de chapons gras. »

Alors, l’avocat essayait ses lunettes, prenait le grand livre, et y cherchait longtemps, longtemps.

— « Mon ami, le grand livre te donne droit. Il faut plaider, et plaider bientôt. Mais je ne plaide pas pour rien. Retourne ici dans huit jours, et viens me compter cent francs d’avance. »

XIV. — Un paysan disait un jour à son avocat :

— « Ah ! Monsieur l’avocat, mon affaire est bien merdeuse. J’ai bien besoin que vous m’y

foutiez un coup de langue[230]. »

VIII

historiettes scatologiques


I. — Un soir, veille de la foire de la Saint-Martin[231], un marchand arrive dans une auberge de Lectoure.

— « Bonsoir, aubergiste. Vite, un lit. Je tombe de sommeil.

— Marchand, mon auberge est pleine, pleine à ce point qu’il m’a fallu mettre deux voyageurs dans chaque lit. Voici le plus large. Couche-toi là, et tâche de bien dormir, entre tes deux camarades. »

Les deux camarades n’étaient pas contents. Pourtant, ils firent place au nouvel arrivé. Mais le marchand avait son plan, et voulait le lit pour lui tout seul.

Il se tourna donc sur le côté, et se mit à pisser contre son camarade de face.

— « Salop ! Tu me pisses dessus.

— Ne dis rien. Je chie contre l’autre. »

Les deux camarades décampèrent, et le marchand eut le lit pour lui tout seul.

II. — Il y avait, une fois, à Notre-Dame-de-Bonencontre[232], un homme bête comme une oie, et glorieux comme un pou. Cet homme s’appelait Taupe. Vingt fois par jour, il disait à ses voisins :

— « Mes amis, comptez qu’un jour je ferai parler de moi. »

Un samedi soir. Taupe se cacha dans l’église, chia dans le bénitier, et retourna chez lui, sans être vu.

Le lendemain dimanche, les gens arrivaient en foule à l’église, et trempaient leurs doigts dans l’eau bénite.

— « Mon Dieu, que ça pue ! Mon Dieu, que ça pue ! Quel est le cochon qui a chié dans le bénitier ?

— C’est moi. C’est moi, répondait Taupe tout glorieux. »

Huit jours après, tout le monde répétait dans le pays :

— « Taupe est un cochon. Il a chié dans le bénitier de Notre-Dame-de-Bonencontre. »

Et Taupe riait, se frottant les mains, et disait à ses voisins :

— « Mes amis, vous le voyez, je fais parler de moi. »

— III. Il y avait, autrefois, à Lectoure, un homme avare comme un Juif. Il s’appelait Monmayran.

Pour épargner son bois, en hiver, Monmayran avait imaginé d’aller se chauffer, chaque matin, dans une maison voisine. Jusqu’à l’heure de la soupe, il demeurait dans la cuisine, au coin du feu, et décampait au premier coup de l’Angelus[233]. Les femmes de la maison n’étaient pas contentes ; mais elles n’osaient prendre sur elles de chasser Monmayran de chez elles.

Depuis la première visite de l’avare, il se passait, dans la cuisine, des choses véritablement étonnantes. Jusqu’à la venue de Monmayran, la marmite, pendue à la crémaillère, marchait son train. Les choux, le quartier d’oie, le farci[234], cuisaient dans un long bouillon. Mais, une fois Monmayran parti, plus de bouillon pour tremper la soupe. Rien que les choux, le quartier d’oie, et le farci.

Alors, la maîtresse de la maison souffletait ses filles et sa servante à tour de bras.

— « Carognes ! C’est chaque jour la même chose. Voyez. La marmite a trop bouilli. Rien que les choux, le quartier d’oie, et le farci. Pas une goutte de bouillon. »

À force d’être souffletées, les filles et la servante finirent par se méfier, et surveillèrent Monmayran. Que virent-elles ?

Cinq minutes avant l’Angelus de midi, l’avare fit courir l’œil. Puis, il tira de sous sa veste une grosse seringue, en plongea la canule dans la marmite, tira vite le bâton, et enleva le bouillon. Les filles sautèrent sur les pincettes, la servante sauta sur sa pelle à feu.

— « Mère ! maîtresse ! Courez, courez vite. Nous tenons enfin notre voleur de bouillon. »

La maîtresse empoigna le balai, et toutes ces femmes firent à Monmayran une telle conduite, que le gueux décampa, pour ne revenir jamais.

IV. — Il y avait autrefois, à Condom[235], un apothicaire, qui n’avait pas son pareil pour les lavements bons à rafraîchir les paysans de l’Armagnac, échauffés, en été, par les travaux de la campagne. Chaque samedi, jour de marché[236], chaque dimanche, jour de repos, les visiteurs arrivaient par bandes.

Mais chacun son tour, comme au confessionnal. Un à un, les paysans entraient, déculottés dans l’arrière-boutique. Aussitôt, l’apothicaire chargeait sa seringue dans un grand chaudron, et poussait ferme.

— « Voilà. C’est deux sous. À un autre. »

Et les visiteurs filaient par la porte de l’arrière-boutique, s’ouvrant sur un grand jardin, où les plus pressés pouvaient rendre à leur aise ce qu’ils venaient de recevoir.

Un jour, l’apothicaire travaillait à l’accoutumé. Déjà, le paysan avait reçu les trois quarts du lavement.

— « Ah ! Mon Dieu ! Monsieur l’apothicaire, j’ai oublié mes deux sous. »

Sans ôter la seringue du bon endroit, l’apothicaire retira vite le bâton, et reprit son lavement.

— « File, mauvais gueux. — À un autre[237]. »


TABLE


Séparateur
CONTES FAMILIERS
I
les gens avisés
 41
VII. 
 65
VIII. 
 71
 78
XI. 
 93
XII. 
 104
II
les niais
III
le loup
 149
 152
 163
 174
VIII. 
 183
IV
le renard
V
animaux divers
II. 
 216
 221
VI
randonnées, attrapes, etc.
 238
III. 
 240
VI. 
 249
 254
 260
RÉCITS
I
moralités
 269
 272
III. 
 277
 279
 284
 287
 289
II
les gens d’église
 301
 329
IX. 
 333
XI. 
 337
 342
 344
 347
 349
III
divers
 359
 362
 363
  
Additions et corrections 
 385
  1. En gascon lou cauhadè, pièce principale des habitations rustiques.
  2. Raconté par Isidore Escarnot, de Bivès (Gers).
  3. En gascon : Siègui lou nas. Lou cu l’acasso.
  4. Des aiguillons à bœufs, en gascon toucaderos.
  5. La barrique bordelaise jauge un quart de tonneau maritime, soit 225 litres.
  6. Dicté par Pauline Lacaze, de Panassac (Gers). Ce conte est encore assez répandu dans la Gascogne. M. Lacroix, receveur de l’enregistrement à Agen, en a recueilli, dans le département de l’Ariège, et de la bouche d’un meunier, une leçon dont le fond est à peu près identique à celle de Pauline Lacaze.
  7. Chef-lieu d’arrondissement du département de Lot-et-Garonne. On sait que Henri IV, alors qu’il n’était encore que roi de Navarre, tenait généralement sa petite cour à Nérac.
  8. En Gascogne, beaucoup de forgerons travaillent en même temps comme maréchaux-ferrants.
  9. Chef-lieu de canton du département de Lot-et-Garonne.
  10. Dicté par feu Aristide Tessier, de Sainte-Bazeille, qui avait recueilli à Tombebeuf (Lot-et-Garonne) ce conte, dont le fond est encore très populaire dans la Gascogne et l’Agenais.
  11. Dicté par Françoise Lalanne, de Lectoure (Gers).
  12. En gascon armotos.
  13. Dicté par Catherine Sustrac, de Sainte-Eulalie, commune de Cauzac (Lot-et-Garonne). Le récit de Catherine a été contrôlé par ma belle-mére, Mme Lacroix, née Pinèdre, de Bon-Encontre (Lot-et-Garonne).
  14. Chef-lieu d’arrondissement (Gers).
  15. Station thermale du département des Hautes-Pyrénées.
  16. Dicté par Pauline Lacaze, de Panassac (Gers). Une leçon, identique pour le fond, m’a été fournie par M. Garine, d’Agen, qui l’avait écrite sous la dictée de feu Jacques Testas, agenais illettré, âgé de soixante-quinze ans.
  17. Fourni par M. l’abbé Magenties, de Lectoure, qui le tenait de sa grand’mère, Catherine Dubuc, veuve Langlade, morte en 1855. Notre ancienne servante, feu Bernarde Dubarry, de Bajonnette (Gers), m’a souvent récité le même conte.
  18. Affluent de la Garonne, rive gauche.
  19. Dicté par Pauline Lacaze, de Panassac (Gers).
  20. Métairie de la commune de Lectoure, autrefois voisine de la forêt du Ramier, dont plus de la moitié est maintenant défrichée.
  21. Pour chasser les poules.
  22. Le bœuf de gauche.
  23. Cris de bouvier. Lauret est un nom de bœuf.
  24. Chef-lieu de canton du département du Gers, à 11 kilomètres de Lectoure.
  25. En gascon :

    « Grun-de-Millet ! Grun-de-Millet !
    Soui dens lou bente dou Caubet. »

  26. Ruisseau qui traverse le Ramier.
  27. Abbaye de Bernardins, située dans la forêt du Ramier.
  28. Le château de Lamothe-Goas, compris dans l’ancienne vicomté de Lomagne, et aujourd’hui dans le canton de Fleurance (Gers), est peu distant de la forêt du Ramier.
  29. Avant la Révolution, les évêques de Lectoure avaient leur maison des champs à Tulle, dans la vallée du Gers, à médiocre distance de la forêt primitive du Ramier.
  30. Dicté par feu Cazaux, de Lectoure. Auparavant, ce conte m’avait été récité, d’une façon identique pour le fond, par ma grand’mére paternelle, Marie de Lacaze, de Sainte-Radegonde (Gers), par M. de Boubée-Lacouture, mort juge au tribunal de Lectoure, et par un cultivateur, Blaise Sans, au Bourdieu, commune de Lectoure. Une de mes parentes, morte à Marsolan (Gers), Marthe Le Blant, née Duvergé, localisait l’action dans la commune de sa résidence, supprimant la vente de Grain-de-Millet à l’évêque de Lectoure, et faisant voler les bestiaux à Marsolan, et dans les communes limitrophes. Le conte, ainsi réduit, est encore populaire au Pergain-Taillac (Gers), où il m’a été récité, notamment, par deux jeunes gens, Joseph Lafitte et Hippolyte Néchut, qui tous localisent l’action dans leur commune.
  31. Confites à la graisse. On les met à cuire dans la garbure, ou soupe aux choux.
  32. Dicté par Pauline Lacaze, de Panassac (Gers).
  33. Dicté par Pauline Lacaze, de Panassac (Gers).
  34. Petite ville du canton d’Astaffort (Lot-et-Garonne).
  35. Se dit en parlant des imbéciles.
  36. Bourg du canton d’Auvillars (Tarn-et-Garonne). Les foires de bestiaux de Dunes sont renommées à six lieues à la ronde.
  37. Mouret, en gascon petit Maure. Nos paysans donnent volontiers ce nom à leurs chiens noirs.
  38. Ces deux lignes, qui riment par assonance, sont en français dans le conte agenais.
  39. Qui te fai, fai-li. Rends la pareille. Proverbe agenais.
  40. Le 11 novembre. Il y a, ce jour-là, à Lectoure, une grande foire, où l’on amène force bestiaux, surtout de jeunes mulets et mules.
  41. Chef-lieu de canton du Tarn-et-Garonne.
  42. Dicté par Anna Dumas, du Passage-d’Agen (Lot-et-Garonne).
  43. Lou cauhadè. Principale chambre des habitations rustiques en Gascogne.
  44. Dicté par Françoise Lalanne, de Lectoure.
  45. Sainte-Dode, commune du canton de Miélan (Gers).
  46. Église de Toulouse.
  47. Village du canton de Gimont, sur la route de Toulouse à Auch.
  48. L’épisode des aiguilles est mis aussi sur le compte des gens de Fleurance par les habitants de Lectoure (Gers).
  49. Les vieux clochers des petites églises de Gascogne sont généralement constitués par un simple mur triangulaire, percé de baies pour placer les cloches.
  50. Dicté par mon oncle, l’abbé Bladé, curé du Pergain-Taillac (Gers).
  51. La semence.
  52. Dicté par feu Bernarde Dubarry, de Bajonette, canton de Fleurance (Gers).
  53. Commune du canton de Fleurance (Gers).
  54. Les Gascons nomment ainsi le mois de décembre.
  55. Dans la portion de la Gascogne comprise dans le ressort du Parlement de Toulouse, les officiers municipaux avaient le titre de consuls. Ils portaient celui de jurats dans le reste de la province, inégalement divisé entre les Parlements de Bordeaux et de Pau.
  56. Cathédrale de Lectoure.
  57. Ville située sur la route d’Auch à Lectoure.
  58. Forêt entre Fleurance et Lectoure.
  59. Raconté par mon oncle, l’abbé Bladé, curé du Pergain-Taillac, canton de Lectoure (Gers).
  60. Le Gajan, forêt située entre Lectoure et Miradoux. Elle a été récemment défrichée en grande partie.
  61. Miradoux, chef-lieu de canton du département du Gers.
  62. Commune du canton de Miradoux (Gers), comprenant une grande partie de la forêt du Gajan.
  63. L’Auroue est un petit affluent de la Garonne, qui traverse la commune de Castet-Arrouy.
  64. Dicté par feu Jacques Bonnet, vieillard illettré, natif de Castet-Arrouy.
  65. Dicté par Pauline Lacaze, de Panassac (Gers).
  66. Cette formulette revient parfois, dans les contes populaires de la Gascogne.
  67. Dicté par Marie Dupin, veuve Lagarde, femme illettrée, native de Gimbrède, canton de Miradoux (Gers).
  68. Dicté par Catherine Sustrac, de Sainte-Eulalie, commune de Cauzac, canton de Beauville (Lot-et-Garonne).
  69. Forêt entre Lectoure et Miradoux (Gers).
  70. Dicté par Marie Dupin, veuve Lagarde, de Gimbrède (Gers).
  71. Forêt aujourd’hui fort restreinte, et sise entre Lectoure et Fleurance.
  72. Forêt médiocrement distante du Ramier. Réjaumont est une commune du canton de Fleurance (Gers).
  73. Marteau à frapper devant.
  74. Dicté par Émile Rizon, du Pergain-Taillac (Gers).
  75. En gascon :

    S’en angoun loèn, loèn, loên.
    — Coumo la camso dou Guillem.

    On dit aussi comme la chatte (coumo la gato), ou comme la queue (coumo la cùo) de Guillem, ou Guillaume. Cette interruption des auditeurs revient à peu près toutes les fois que le conteur dit : « Loin, loin, loin (loèn, loèn, loèn). » J’ai cru devoir me borner à une seule indication.
  76. Chef-lieu de canton du département du Gers. Selon le lieu où ils résident, les conteurs changent le nom de la localité où le Chat promet au Loup d’aller à la foire.
  77. Les Gascons appellent marquet un morceau de bois fendu, qu’on plante dans un trou de la cheminée pour soutenir la chandelle de résine placée dans la fente.
  78. Chef-lieu de canton (Gers).
  79. Dicté par Françoise Lalanne. Mon ami Faugère-Dubourg, de Nérac (Lot-et-Garonne), a recueilli pour moi, dans son pays, une leçon identique, pour le fond, à celle de Françoise Lalanne.
  80. Bouillie de maïs, dont nos paysans gascons se nourrissent volontiers durant l’hiver.
  81. Je n’ai pu recueillir aucun renseignement sur ce Porc Pingou.
  82. Cela rime en gascon :

    Tant tournejerèi,
    Tant biroulerèi,
    Fouterèi un cop de cul, e te l’amourrerèi.

  83. Dicté par Anna Dumas, du Passage-d’Agen (Lot-et-Garonne).
  84. Ce conte est fort répandu en Gascogne et en Agenais. La présente leçon m’a été fournie par Louis Lacoste, du Pergain-Taillac (Gers).
  85. En gascon :

    — « Loup, l’èi baillat
    Lou nom d’Entaumat. »

  86. En gascon :

    — « Loup, l’èi baillat
    Lou nom d’A-mitat. »

  87. En gascon :

    — « Loup, l’èi baillat
    Lou nom d’Acabat. »

  88. Dicté par Pauline Lacaze, de Panassac (Gers). M. Lacroix, receveur de l’enregistrement à Agen, a recueilli un conte identique pour le fond à Boé (Lot-et-Garonne).
  89. Dicté par Pauline Lacaze, de Picassac (Gers).
  90. En gascon :

    Ni per toun blat, ni per ta paillo
    Non me bouti pas en bataillo.

  91. Dicté par Marie Dupin, veuve Lagarde, de Gimbrède (Gers).
  92. Dicté par M. l’abbé Sant, de Sarrant (Gers).
  93. Métairie de la commune de Lectoure (Gers).
  94. La femelle du merle. Pour la rapidité de ma traduction, j’ai forgé ce mot d’après le terme gascon (merlesso). Il en est de même pour « merluchon » ou petit merle (merlatoun).
  95. Autrefois abbaye de Bernardins, dans la forêt du Ramier, commune de Pauillac (Gers).
  96. Commune du canton de Lectoure (Gers).
  97. Le nom de compère Riouet (coumpai Riouet), appliqué au chien, revient assez souvent dans les contes populaires de la Gascogne.
  98. Pâtisserie locale, faite en forme de tortil. Les tortillons de Marsolan, sont renommés à cinq lieues à la ronde.
  99. Dicté par ma vieille cousine, feu Marthe Duvergé, veuve Le Blant, morte à Marsolan (Gers), âgée de plus de soixante-dix ans. Ce conte, diversement localisé par les narrateurs, est encore fort répandu en Gascogne.
  100. Pour amortir la chute. — Dicté par Pauline Lacaze, de Panassac (Gers).
  101. Dicté par Françoise Lalanne, de Lectoure (Gers).
  102. Ce conte, très populaire en Gascogne, m’a été dicté par feu Cadette Saint-Avit, de Cazeneuve, commune du Castéra-Lectourois (Gers).
  103. Dicté par Anna Dumas, du Passage-d'Agen (Lot-et-Garonne).
  104. En gascon, ceci forme quatre vers :

    Pou Renard tuat,
    Pou Loup minjat,
    Per la hlaco negat,
    Tourno-me lous cent escutz que t’èi prestat.

  105. Dicté par Pauline Lacaze, de Panassac (Gers).
  106. Femelle du merle.
  107. Métairie de la commune du Pergain-Taillac (Gers).
  108. Commune du Lot-et-Garonne, contiguë à celle du Pergain-Taillac.
  109. Métairie de la commune de Lamontjoie.
  110. Situé dans la commune de Lamontjoie (Lot-et-Garonne).
  111. Chef-lieu de canton du département de Lot-et-Garonne.
  112. J’ai déjà parlé plus haut de cette pâtisserie locale.
  113. Château de la commune de Pergain-Taillac (Gers).
  114. Ce puits a plus de vingt mètres de profondeur.
  115. En gascon :

    Happo !
    La cùo m’escapo.

  116. Dicté par Émile Rizon, du Pergain-Taillac (Gers).
  117. Femelle du rat.
  118. Je suis forcé de forger les verbes, imprimés en italique, pour traduire leurs correspondants en gascon.
  119. Dicté par Catherine Sustrac, de Sainte-Eulalie, commune de Cauzac (Lot-et-Garonne).
  120. Me donne du gland. En gascon, m’englando.
  121. Me donne du lard. En gascon, m’enlardo.
  122. Me donne une faux. En gascon, daillo.
  123. Je fauche. En gascon, dailli.
  124. Me donne du foin. En gascon, m’enheno.
  125. Me donne du lait. En gascon, m’enlèito.
  126. Dicté par Annette Hugonis, de Puymirol (Lot-et-Garonne).
  127. Les trois premières lignes riment, en gascon :

    Tricoto.
    Auèui uo aoeilloto.
    S’en angouc au blat de la Tricoto.

    Tricote est un nom de femme.

  128. En gascon, ceci forme deux vers par assonnance :

    M’en bau à Toulouso,
    Cerca bent ou ploujo.

  129. Dicté par Antoinette Cousturian, femme Sant, de Sarrant (Gers).
  130. Dicté par Catherine Sustrac, de Sainte-Eulalie, commune de Cauzac (Lot-et-Garonne).
  131. Dicté par Catherine Sustrac, de Sainte-Eulalie, commune de Cauzac (Lot-et-Garonne).
  132. Je sais, depuis mon enfance, cette randonnée, dont les deux premières lignes, qui reviennent comme un refrain, riment en gascon :

    Ah ! Brisquet, Brisquet, Brisquet,
    Bo pas goarda lous cauletz.

    En gascon, la pièce se termine ainsi :

    Ah ! Brisquet, Brisquet, Brisquet,
    Bo bien goarda lous cauletz.

    Mademoiselle Victorine Sant, de Sarrant (Gers), m’a récité la même pièce en français, sous forme de ronde enfantine, où rien ne rime, sauf le refrain :

    Ah ! Briscou, Briscou, Briscou,
    Ne veut pas garder les choux.

    Dans cette ronde, il n’y a pas « va dire au chien…, au bâton…, au feu… », etc., mais « va dire à chien…, à bâton…, à feu… », etc.

  133. Ici, le nom de la personne.
  134. La première partie de cette pièce est encore fort populaire en Gascogne ; mais la seconde n’est récitée que rarement.
  135. Fourni par Jean Testas, d’Agen, alors âgé de soixante-quinze ans.
  136. En gascon :

    Riu chiu chiu,
    Riu chiu chiu,
    Quant me tournos-tu moun ome ?

  137. En gascon :

    Mairastro,
    Piquo-pasto,
    Astant ne pico, astant ne goasto.

  138. En gascon :

    Riu chiu chiu.
    Èri mort, e soui tournat biu.

  139. Dicté par Anna Dumas, du Passage-d’Agen (Lot-et-Garonne).
  140. Réponse des auditeurs.
  141. Réplique du conteur. Avec la réponse des auditeurs, cela forme deux vers gascons :

    — « Lou gat.
    — Lèuo-li la cûo. Bouho-li debat. »

    Dicté par mon fils, Étienne Bladé, alors âgé d’environ dix ans.

  142. Métairie de la commune de Lectoure, près de la route de Condom.
  143. Les bouviers gascons, nomment ainsi le bœuf de gauche d’un attelage.
  144. Dicté par Jeanne Descamps, de Lectoure, alors âgée de plus de soixante ans. J’ai retrouvé le même récit en Agenais.
  145. Le nom de Henri IV est encore fort populaire en Gascogne. On débite sur son compte, et surtout dans l’arrondissement de Nérac (Lot-et-Garonne), des anecdotes dont plusieurs ont été imprimées dans divers ouvrages.
  146. En gascon Cachopouil, en agenais Cachopeu, c’est-à-dire : « écrase-pou. » Est-il besoin d’ajouter que ce nom a été forgé par la malice populaire, et qu’il n’y a jamais eu, dans le sud-ouest de la France, ni famille noble, ni terre seigneuriale de ce nom ?
  147. Dicté à la gare de Fumel (Lot-et-Garonne), par un vieux chasseur d’alouettes dont j’eus le tort de ne pas prendre le nom. Son langage dénotait un homme natif du Haut-Agenais. Dans mon enfance, une jeune fille nommée Claire, servante à Marmande (Lot-et-Garonne), chez ma grand’mère maternelle, Mme Liaubon, me fit un récit à peu près semblable. Cependant, Henri IV y était remplacé par un roi quelconque, et Roquelaure par un personnage anonyme.
  148. Dicté par ma belle-mère, Mme Lacroix, née Pinèdre, de Bonencontre (Lot-et-Garonne).
  149. Dicté par Pauline Lacaze, de Panassac (Gers).
  150. Dicté par Marianne Bense, du Passage-d’Agen (Lot-et-Garonne).
  151. Dicté par Marianne Bense, du Passage-d’Agen (Lot-et-Garonne).
  152. Dicté par Élie Rizon, du Pergain-Taillac (Gers).
  153. Dicté par Anna Dumas, du Passage-d’Agen (Lot-et-Garonne).
  154. Dicté par Anna Dumas, du Passage-d’Agen (Lot-et-Garonne).
  155. Le Castéra-Lectourois, commune du canton de Lectoure (Gers).
  156. Avant la Révolution, la paroisse du Castéra-Lectourois dépendait de l’évêché de Lectoure.
  157. Moulin sur le Gers, non loin du Castéra-Lectourois.
  158. Quatre quartiers.
  159. Cathédrale de Lectoure. — J’ai écrit ce conte, encore très populaire en Gascogne, sous la dictée de mon oncle, l’abbé Prosper Bladé, curé du Pergain-Taillac. Dans une variante fournie par ma tante, feu Thérèse Liaubon, veuve Tessier, de Gontaud (Lot-et-Garonne), un meunier répond à l’évêque d’Agen, réitérant les questions par lui posées huit jours avant au curé de Birac (Lot-et-Garonne) :
    — « Dis-moi quelle est ma valeur.
    — Jésus-Christ fut vendu trente deniers. Vous en valez quinze.
    — Dis-moi quelle est ma pensée.
    — Vous pensez à votre intérêt plutôt qu’au mien.
    — Dis-moi quelle est ma croyance.
    — Vous croyez parler à un curé, et vous parlez à un meunier. »
  160. Dicté par feu Justine Dutilh, femme Duplan, née à Marmande (Lot-et-Garonue).
  161. Commune du canton de Miradoux (Gers).
  162. Forêt entre Lectoure et Miradoux, aujourd’hui défrichée presque en entier.
  163. Communes limitrophes ou voisines de Castet-Arrouy.
  164. Dicté par feu Cluzet, garde-forestier du Gajan, alors âgé de près de soixante ans.
  165. Chef-lieu de canton du département du Gers.
  166. Dicté par l’abbé Estibal, mort curé de Terraube, canton de Lectoure (Gers), et natif de l’Isle-Jourdain. Cette historiette est encore assez répandue dans le département du Gers.
  167. Dicté par Marianne Bense, du Passage-d’Agen (Lot-et-Garonne).
  168. Lagarde-Fimarcon, commune du canton de Lectoure (Gers).
  169. Le diocèse actuel d’Auch.
  170. Va me chercher la croix.
  171. Garçon d’honneur.
  172. Le viatique.
  173. Petit affluent du Gers, rive gauche.
  174. Le 1er mai, jour de la Saint-Philippe.
  175. Oui, bien.
  176. Le royaume n’est pas à lui.
  177. Il en a bien besoin.
  178. Chefs-lieux d’arrondissement, dans le département du Gers.
  179. Trois communes voisines de Lagarde.
  180. Commune du canton de Lectoure (Gers), voisine de Lagarde.
  181. Les missionnaires diocésains.
  182. Ces deux vers en français, dans le récit traduit du gascon.
  183. Ceci en français.
  184. La veuve de Rapet.
  185. Trempe la mouillette.
  186. Dicté par divers curés du département du Gers, et notamment par mon oncle, l’abbé Bladé, curé de Pergain-Taillac. On met aussi ces anecdotes sur le compte du curé de Ruquepine, du curé de Saint-Giny, près Lectoure, etc. L’historiette n° III m’a été confirmée par M. Faugére-Dubourg, de Nérac.
  187. Les questions de l’archevêque d’Auch, et les réponses des deux abbés, sont en français dans le récit gascon que je traduis.
  188. Dicté par feu l’abbé Estibal, natif de l’Isle-Jourdain, et mort curé de Terraube (Gers).
  189. Commune du canton de Fleurance (Gers). On met aussi cette historiette sur le compte du curé de Saint-Giny, près Lectoure.
  190. Ma grand’mère paternelle, Marie de Lacaze, native de Sainte-Radegonde (Gers), m’a souvent conté cette facétie.
  191. Je sais, depuis mon enfance, cette historiette, encore populaire dans le département du Gers.
  192. Je sais, depuis mon enfance, cette historiette, encore populaire dans le département du Gers.
  193. En gascon :

    — Sento Superbo.
    — Pramo de l’erbo.


    Dicté par M. Félix Guilhon, de Lectoure (Gers).

  194. Moulin sur le Gers, proche de Lectoure.
  195. La partie imprimée en italique se dit en latin et en français dans le conte gascon.
  196. Dicté par mon oncle, l’abbé Bladé, curé du Pergain-Taillac (Gers).
  197. Ancien marquisat, formant aujourd’hui une section de la commune de Gimbrède (Gers).
  198. Dicté par un cantonnier de Gimbrède (Gers), dont j’ai oublié le nom.
  199. Dicté par feu l’abbé Estibal, mort curé de Terraube (Gers).
  200. Église de Lectoure, ainsi nommée parce qu’elle dépendait autrefois d’un couvent de Carmes. Elle est placée sous l’invocation du Saint-Esprit.
  201. Ancienne cathédrale du diocèse de Lectoure.
  202. Il s’agit de la chapelle de l’hôpital de Lectoure.
  203. Lectoure possède un couvent de Carmélites.
  204. Il y avait à Lectoure, avant la Révolution, un couvent, avec chapelle, de Clairistes de la réforme d’Urbain II. Il est maintenant occupé par les Dames de Nevers.
  205. Église bâtie voisine de Lectoure, tout proche du Gers, et fréquentée par les jardiniers d’un hameau voisin, appelé Pradoulin.
  206. Dicté par mon oncle, l’abbé Bladé, curé du Pergain-Taillac (Gers),
  207. Cuit dans une sauce à l’ail.
  208. Dicté par Françoise Lalanne, de Lectoure (Gers). Mlle Victorine Sant, de Sarrant (Gers), m’a fait un récit peu dissemblable pour le fond.
  209. Commune du canton de Lectoure (Gers).
  210. Avant la Révolution, on nommait ainsi, officiellement, les magistrats municipaux dans une partie de la Gascogne. L’usage maintient encore cette appellation.
  211. Dicté par M. Boubée-Lacouture, mort juge au tribunal de Lectoure.
  212. Commune du canton d'Auch (Gers).
  213. Dicté par mon oncle l’abbé Bladé, curé du Pergain-Taillac (Gers).
  214. Il existe à Auch plusieurs rues en escaliers, appelées pousterlos en gascon.
  215. Dicté par mon oncle l’abbé Bladé, curé du Pergain-Taillac (Gers).
  216. Cette phrase se chante.
  217. Dicté par Françoise Lalanne, de Lectoure (Gers).
  218. Métairie de la commune de Lectoure (Gers).
  219. Dicté par Pauline Lacaze, de Panassac (Gers).
  220. Dicté par Pauline Lacaze, de Panassac (Gers).
  221. Commune du canton de Miradoux (Gers).
  222. Commune du canton d'Auch (Gers).
  223. — Y avait-il de la merde, au bout du bâton ? — Oh ! Monsieur, il y en avait beaucoup.
  224. Est-il besoin de noter que Sénèque n’a jamais rien dit de pareil ?
  225. Ici le narrateur imite le français, avec un accent plus particulièrement remarquable chez les vieux Gascons. Naturellement, l’avocat parle le français. Son client veut en faire autant. Sa dernière phrase, que j’ai dû traduire, se dit en gascon : « Un pareil de perdigails pous potz, une paire de perdreaux à la figure. » Par un mouvement ce familiarité reconnaissante, encore usité dans mon pays, le braconnier voulait chatouiller, avec son gibier, le visage de l’avocat.
  226. Moulin sur le Gers, dans la commune de Lectoure.
  227. Hameau à mi-chemin entre Lectoure et le Gers.
  228. De trois livres.
  229. De vingt-quatre livres.
  230. Les quatorze anecdotes ci-dessus m’ont été fournies par M. de Boubée-Lacouture, mort juge au tribunal de Lectoure, et M. Lodéran, mort greffier de la justice de paix de la même ville.
  231. Le 11 novembre. Il y a ce jour-là, à Lectoure, une foire de mules renommée dans toute la Gascogne.
  232. Commune du canton d’Agen (Lot-et-Garonne).
  233. L’Angelus de midi.
  234. La garbure, ou soupe aux choux, de la Gascogne, comporte l’addition d’un quartier d’oie confite à la graisse. On y ajoute volontiers un farci, gâteau fait de mie de pain, d’œufs, et de lard haché.
  235. Chef-lieu d’arrondissement du département du Gers.
  236. Les marchés de Condom se tiennent en effet tous les samedis.
  237. Je sais, depuis longtemps, ces historiettes, d’ailleurs populaires dans la Basse-Gascogne.