Bladé - Contes populaires de la Gascogne, t. 3, 1886.djvu/Le Diable au cimetière

XII

le diable au cimetière



Autrefois, dans le cimetière de l’église des Carmes de Lectoure, il y avait un beau noyer ; et le sonneur de cloches, qui s’appelait Barraquet, entendait profiter des noix. Mais souvent, il arrivait que, lorsque Barraquet allait pour les cueillir, d’autres s’étaient levés plus matin que lui, et qu’il ne trouvait plus rien sur le noyer.

Un matin, le sonneur de cloches se leva bien avant le jour, et partit pour le cimetière, avec un sac, pour aller faire sa récolte. Arrivé sur la porte, il entendit un bruit de choses qu’on croque. Aussitôt, Barraquet épouvanté détale, et court au couvent des Carmes, trouver le Père Benoît.

— « Père Benoît, père Benoît, les Diables sont au cimetière. Ils croquent les os des morts.

— Ah ! les gueusards. Comme j’irais les relancer, sans la goutte, qui m’est revenue depuis hier.

— Père Benoît, si vous voulez, je vous porterai sur mon dos.

— Tu as raison, Barraquet. Va-t’en à l’église, et rapporte-moi mon surplis, mon bonnet carré et le goupillon. »

Quand Barraquet fut de retour, il aida le Père Benoît à se vêtir en prêtre, le chargea sur son dos, et partit pour le cimetière.

Ceux qui faisaient le bruit étaient quatre ou cinq voleurs, qui croquaient des noix, en attendant deux de leurs camarades, qu’ils avaient envoyés voler les cochons du meunier de Repassac[1].

— « Entendez-vous, Père Benoît, comme les Diables croquent les os des morts ?

— N’aie pas peur, Barraquet, et ne me laisse pas tomber. Avec ma prière, je vais les chasser comme il faut. — Fuyez, esprits immondes. Vade retro, Satanas. Ab insidiis Diaboli, libera nos, Domine[2]. »

Les voleurs, qui entendaient parler, et qui voyaient, dans la nuit, arriver un homme portant quelque chose sur l’échine, croyaient que c’était leur camarade revenant avec le cochon.

— « Sont-ils gras ? disaient-ils. Sont-ils gras ? »

Le pauvre Barraquet était à moitié mort de peur. Il croyait que les Diables demandaient s’ils étaient gras, pour les manger, lui et le Père Benoît.

— « Sont-ils gras ? Sont-ils gras ? »

Enfin Barraquet n’y put plus tenir. Il jeta le Père Benoît à terre.

— « Gras ou maigre, voici. »

Et il partit au galop, s’enfermer dans sa maison[3].

  1. Moulin sur le Gers, proche de Lectoure.
  2. La partie imprimée en italique se dit en latin et en français dans le conte gascon.
  3. Dicté par mon oncle, l’abbé Bladé, curé du Pergain-Taillac (Gers).