Bladé - Contes populaires de la Gascogne, t. 3, 1886.djvu/Les Deux Moines

XIII

les deux moines



Autrefois, il y avait, à Rouillac[1], un seigneur fort gai, et qui n’aimait guère les gens d’église.


Un soir, deux moines blancs arrivèrent à cheval à la porte du château, et demandèrent à souper et à loger pour la nuit. Tandis qu’ils soupaient, le seigneur leur demanda où ils allaient.

— « Monsieur, nous allons aux eaux de Bagnères, par ordre des médecins, pour retrouver l’appétit que nous avons perdu. »

Le repas fini, le seigneur souhaita une bonne nuit aux deux moines, et les fit conduire tous deux dans la même chambre, en haut de la tour du château. Quand ils se réveillèrent, pour se remettre en route, la porte de la chambre était fermée à clef. Ils appelèrent, ils frappèrent : personne ne vint.

Leur journée se passa ainsi, sans manger ni boire. Les deux pauvres moines croyaient que le seigneur les avait fait enfermer là, pour les y faire mourir de male faim et de male soif. Pourtant, ils finirent par s’endormir. Mais le lendemain, ils se réveillèrent, le ventre vide, les dents longues ; et ils se regardaient l’un l’autre, comme s’ils avaient voulu se dévorer. Enfin, ils avisèrent deux ou trois cordes d’oignons, attachées à la poutre de leur chambre, à plus de vingt pieds de hauteur. Aussitôt, ils se mirent à tirer aux oignons à grands coups de souliers ; et quand ils en faisaient tomber un, ils l’avalaient, presque sans mâcher. Cela dura jusqu’au soir. Alors, le seigneur vint ouvrir la porte.

— « Je vois avec plaisir, mes Pères, que l’appétit vous est revenu. Vous n’avez plus besoin d’aller aux eaux, et vous pouvez rentrer dans votre couvent[2]. »

  1. Ancien marquisat, formant aujourd’hui une section de la commune de Gimbrède (Gers).
  2. Dicté par un cantonnier de Gimbrède (Gers), dont j’ai oublié le nom.