Bladé - Contes populaires de la Gascogne, t. 3, 1886.djvu/Le Cochon volé

XIV

le cochon volé



Il y avait, une fois, un curé qui se trouvait bien embarrassé. Le brave homme prit à part le sonneur de cloches de son église.

— « Mon ami, lui dit-il, tu sais que, tous ces jours passés, on a saigné force cochons dans le pays. Mes braves paroissiens m’ont comblé de cadeaux, oreilles, saucisses, boudins, morceaux de filet, et autres choses pareilles. Maintenant, le jour arrive de saigner mon porc. Il ne m’en restera pas un morceau, si je rends seulement le quart des présents que j’ai reçus. »

Le sonneur de cloches se mit à rire.

— « Monsieur le curé, dit-il, vous vous embarrassez de bien peu de chose. Aujourd’hui même, je vais saigner votre cochon. En attendant que je le découpe demain, je compte le laisser suspendu, toute la nuit, devant la porte du presbytère. Nul n’y touchera. Il n’y a que de braves gens dans la paroisse. À minuit passé, vous vous lèverez doucement, doucement, et vous emporterez le porc, que je me charge de découper et de le préparer en secret. Demain matin, vous crierez qu’on vous a volé la bête. Tout le monde vous plaindra, et vous n’aurez rien à rendre, pour tous les présents qu’on vous a faits.

— Mon ami, tu as raison. »

Ce qui fut dit fut fait. Le sonneur de cloches saigna le cochon, le racla, le vida, et le suspendit devant la porte du presbytère. Tout le monde s’arrêtait, pour voir un si bel animal.

— « Ah ! le beau porc, Monsieur le curé. Le beau porc !

— C’est vrai, braves gens. Il n’est pas laid. Comptez que chacun de vous en aura sa part.

— Merci d’avance, Monsieur le curé. Mais vous auriez tort de laisser votre cochon suspendu, toute la nuit, devant la porte du presbytère. Quelque mauvais sujet pourrait bien vous le voler.

— Mes amis, nul n’y touchera. Il n’y a que de braves gens dans la paroisse.

— C’est égal. Monsieur le curé. Méfiez-vous. »

Le soir, après souper, le curé se coucha, pour se relever doucement, doucement, à minuit passé.

Mais le sonneur de cloches s’était hâté davantage, et avait secrètement emporté le porc.

Le curé se désolait.

— « Oh ! les gueux. Je suis volé. Je suis volé. Mon porc ! Mon pauvre porc ! »

Jusqu’au lever du soleil, le curé pleura comme un veau. Après l’Angelus du matin, arriva le sonneur de cloches.

— « Mon ami, je suis volé. Je suis volé. Mon porc ! Mon pauvre porc ! »

Le sonneur de cloches riait.

— « Fort bien, fort bien, Monsieur le curé. C’est bien ainsi qu’il faut dire. Vous n’aurez rien à rendre, pour tous les présents qu’on vous a faits.

— Va-t-en au Diable. Je suis véritablement volé. Je suis volé. Mon porc ! Mon pauvre porc ! »

Le sonneur de cloches riait toujours.

— « Fort bien, Monsieur le curé. Fort bien. C’est ainsi qu’il faut dire. Vous n’aurez rien à rendre, pour tous les présents qu’on vous à faits[1]. »

  1. Dicté par feu l’abbé Estibal, mort curé de Terraube (Gers).