Contes populaires de la Gascogne, tome 2/Texte entier

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TOME XX

PARIS
MAISONNEUVE FRÈRES et CH. LECLERC
25, quai voltaire, 25
1886

Tous droits réservés


CONTES POPULAIRES

DE LA GASCOGNE



TOME II










CONTES POPULAIRES

DE
LA GASCOGNE
par
M. Jean-François BLADÉ
correspondant de l’institut

TOME II
CONTES MYSTIQUES ET SUPERSTITIONS
PARIS
MAISONNEUVE FRÈRES et CH. LECLERC
25, quai voltaire, 25

1886
Tous droits réservés

CONTES MYSTIQUES

I

Fées, ogres, nains

Fées, ogres, nains

I

les deux jumeaux et les deux fées



Il y avait, une fois, deux frères jumeaux, beaux comme le jour, forts et hardis comme des Césars. Un soir que ces deux jumeaux revenaient de la foire de Mirande[1], il leur fallut traverser un grand bois. C’était au mois de juillet, vers les neuf heures du soir. La lune brillait dans tout son plein. Tout-à-coup, ils entendirent des rires sortir d’un épais fourré d’épines.

— « Hi ! hi ! hi !

— Hi ! hi ! hi ! »

Les deux jumeaux tirèrent sur la bride de leurs chevaux.

— « Entends-tu, frère, dit l’aîné ?

— Oui, frère. Ce sont des rires de jeunes filles. »

En ce moment, sortirent de l’épais fourré d’épines deux jeunes filles, vêtues d’or et de soie, et belles comme des anges.

— « Bonsoir, jeunes gens.

— Bonsoir, demoiselles.

— Demoiselles nous ne sommes pas. Vous êtes deux frères jumeaux. Nous sommes deux Fées jumelles. Si vous voulez nous épouser, nous vous ferons riches comme la mer, et nous vous donnerons des fils beaux, forts, et hardis comme vous.

— Marions-nous, dit l’aîné. Je prends l’aînée.

— Marions-nous. Je prends la cadette.

— Eh bien, dirent les Fées jumelles, nous nous marierons demain matin. Rentrez chez vous. Mais, à la pointe de l’aube, soyez à la porte de l’église qui se trouve à l’entrée du grand bois. En attendant, gardez-vous de rien manger ni de rien boire. Autrement, il arriverait un grand malheur.

— Fées, vous serez obéies. »

Les deux jumeaux saluèrent les deux Fées, rentrèrent chez leurs parents, et ne leur parlèrent de rien. Ils allèrent se coucher, sans manger ni boire. Mais, à deux heures de la nuit, ils se levèrent doucement, doucement, et sortirent de la maison.

— « Allons, vite. Nous avons juste le temps d’arriver, avant la pointe de l’aube, à l’église qui est à l’entrée du grand bois. »

Tout en cheminant, les deux jumeaux traversèrent un champ de blé presque bon à moissonner. Sans y prendre garde, le cadet cueillit un épi, en détacha un grain, et l’écrasa sous la dent, pour voir s’il était sec.

Avant la pointe de l’aube, ils étaient devant l’église, à l’entrée du grand bois. La porte était ouverte, l’autel préparé, et les cierges allumés.

Les deux Fées attendaient, vêtues en mariées, avec la robe et le voile blancs, la couronne sur la tête, et le bouquet à la ceinture.

— « Mon ami, dit la cadette des Fées jumelles au cadet des jumeaux, tu as oublié ta promesse de ne rien manger ni boire. Ainsi, tu es cause d’un grand malheur. En t’épousant, je devenais une jeune fille comme les autres. Maintenant, voilà que je suis Fée pour toujours. »

La cadette des Fées jumelles partit, et son galant ne la revit jamais, jamais.

Alors, le prêtre et son clerc dirent la messe du mariage, à l’intention des deux autres fiancés. Cela fait, le cadet dit aux mariés :

— « Adieu. Je m’en vais loin, bien loin, me rendre moine dans un couvent. Dites à mon père et à ma mère qu’ils ne me reverront jamais, jamais. »

Le cadet partit aussitôt, et l’aîné amena sa femme chez ses parents. Le soir, avant de se mettre au lit, elle dit à son mari :

— « Écoute. Si tu tiens à moi, prends bien garde de ne m’appeller ni fée, ni folle. Autrement, il arriverait un grand malheur.

— Femme, sois tranquille. Jamais je ne t’appellerai ni fée, ni folle. »

Pendant sept ans, l’homme et la femme vécurent en contentement. Ils étaient riches comme la mer, avec sept garçons au château.

Un jour que le mari était parti pour la foire, la femme commandait à la place du maître. C’était vers la mi-juillet. Il faisait un temps superbe, et les blés étaient presque mûrs.

La maîtresse du château regardait le ciel.

— « Allons, valets. Allons, métayers. Vite, vite. Coupez le blé. Serrez les gerbes. Vite, vite. La grêle et la tempête sont proches.

— Madame, vous n’y pensez pas. Il fait un temps superbe, et le blé ne sera mûr que dans huit jours.

— Faites ce que je vous commande. »

Les valets et les métayers obéirent. Ils travaillaient encore, quand le maître rentra de la foire.

— « Femme, que font ces gens-là ?

— Mon ami, ils font ce que je leur ai commandé.

— Femme, le blé coupé n’est pas encore mûr. Il faut que tu sois folle. »

Aussitôt, la femme partit. Le soir même, la tempête et la grêle ruinèrent tout le pays.

Pourtant, la Fée revenait au château tous les matins, à la pointe de l’aube. Elle entrait dans la chambre de ses sept enfants, et les peignait, en pleurant, avec un beau peigne d’or.

— « Pauvres enfants, ne dites jamais à votre père que, chaque matin, à la pointe de l’aube, je viens dans votre chambre, vous peigner avec un beau peigne d’or. Autrement, il arriverait un grand malheur.

— Mère, nous ne le lui dirons pas. »

Mais le père s’étonnait de voir ses fils toujours si bien peignés. Il leur disait chaque matin :

— « Petits, qui donc vous tient si bien peignés ?

— Père, c’est notre servante. »

Mais le père se méfiait. Un soir, il fit semblant de s’aller coucher, et se cacha dans la chambre des sept enfants. À la pointe de l’aube, leur mère entra pour les peigner, en pleurant, avec un beau peigne d’or.

Alors, l’homme n’y put plus tenir.

— « Ma pauvre femme, viens, viens. »

Mais la Fée partit comme un éclair. Ni son mari, ni ses sept enfants, ne la revirent jamais, jamais

[2].

II

LES TROIS POMMES D’ORANGE



Il y avait, une fois, un roi et une reine qui avaient une fille, belle comme le jour, et sage comme une sainte. À dix-huit ans, cette fille tomba si malade, si malade, que le roi manda le plus savant de tous les médecins de Montpellier.

— « Médecin, voici mille louis d’or. Tu en auras le double, quand ma fille sera guérie.

— Roi, votre fille guérira. Mais son remède n’est pas ici. Il est à l’étranger, loin, bien loin, dans le pays des pommes d’orange. Dans ce pays, il y a un beau jardin, où jamais il ne neige ni ne glace. Dans ce beau jardin il y a un pommier d’orange, tout blanc de fleurs, où sept cents rossignolets sauvages chantent, nuit et jour. Sur ce pommier d’orange, il y a neuf pommes rousses comme l’or. Roi, mandez un jeune garçon qui en cueille, et qui en rapporte trois. Quand votre fille aura mangé la première, elle se lèvera de son lit. Quand votre fille aura mangé la seconde, elle sera plus belle et mieux portante que jamais. Quand votre fille aura mangé la troisième, elle dira : « Je n’aurai ni paix ni repos, que je ne sois mariée au garçon qui m’a rapporté les trois pommes d’orange. »

Alors, le roi commanda de tambouriner trois fois par jour dans tous le pays :

— « Ran plan plan, ran plan plan, ran plan plan. La fille du roi est bien malade. Pour la guérir, il faut qu’elle mange trois pommes d’orange. Mais les trois pommes d’orange sont en pays étranger. Au garçon qui les rapportera le roi promet sa fille en mariage. »

En ce temps-là, vivaient, dans leur maisonnette, une pauvre veuve et ses trois garçons. Les deux aînés étaient fainéants, ivrognes, joueurs. Enfin, ils ne valaient pas la corde pour les pendre. Mais le dernier faisait service à tout le monde. Il était sage, laborieux, avisé, fort et hardi comme pas un.

— « Mère, dit l’aîné, vous avez entendu ce que le tambour de ville a crié. Donnez-moi un panier. Je pars pour le pays des pommes d’orange. À mon retour, j’épouserai la fille du roi. »

L’aîné partit. Pendant sept semaines, il marcha de l’aube à minuit. Enfin, il arriva dans le pays des pommes d’orange. Dans ce pays, il y a un beau jardin, où jamais il ne neige ni ne glace. Dans ce beau jardin, il y a un pommier d’orange tout blanc de fleurs, où sept cents rossignolets sauvages chantent, où sept cents rossignolets sauvages chantent nuit et jour. Sur ce pommier d’orange, il y avait neuf pommes rousses comme l’or.

L’aîné cueillit trois pommes d’orange, rousses comme l’or, les mit dans son panier, et repartit. Sur la fin de son voyage, il se reposa sous un grand arbre, près d’une claire fontaine. Au bord de la claire fontaine était assise une femme, noire comme l’âtre, et vieille comme un chemin.

— « Mon ami, que portes-tu dans ton panier ?

— Vieille, je porte trois crapauds.

— Trois crapauds, soit. »

Avant le coucher du soleil, l’aîné arrivait au château du roi.

— « Roi, voici les trois pommes d’orange. Maintenant, donnez-moi votre fille en mariage. »

Vite, le roi ouvrit le panier.

— « Insolent, ce sont trois crapauds. Bourreau, prends ce rien qui vaille, et va le pendre. »

Le bourreau obéit.

Le lendemain, le cadet dit à sa mère :

— « Mère, vous savez ce qu’a crié le tambour de ville. Donnez-moi un panier. Je pars pour le pays des pommes d’orange. À mon retour, j’épouserai la fille du roi. »

Le cadet partit. Pendant sept semaines, il marcha de l’aube à minuit. Enfin, il arriva dans le pays des pommes d’orange. Dans ce pays, il y a un beau jardin, où jamais il ne neige ni ne glace. Dans ce beau jardin il y a un pommier d’orange tout blanc de fleurs, où sept cents rossignolets chantent, où sept cents rossignolets sauvages chantent nuit et jour. Sur ce pommier d’orange, il y avait six pommes rousses comme l’or.

Le cadet cueillit trois pommes d’orange, rousses comme l’or, les mit dans son panier, et repartit. Sur la fin de son voyage, il se reposa sous un grand arbre, près d’une claire fontaine. Au bord de la claire fontaine, était assise une femme, noire comme l’âtre, et vieille comme un chemin.

— « Mon ami, que portes-tu dans ton panier ?

— Trois serpents.

— Trois serpents, soit. »

Avant le coucher du soleil, le cadet arrivait au château du roi.

— « Roi, voici les trois pommes d’orange. Maintenant, donnez-moi votre fille en mariage. »

Vite, le roi ouvrit le panier.

— « Insolent, ce sont trois serpents. Bourreau, prends ce rien qui vaille, et va le pendre. »

Le bourreau obéit.

Le lendemain, le plus jeune des trois garçons dit à sa mère :

— « Mère, vous savez ce qu’a crié le tambour de ville. Donnez-moi un panier. Je pars pour le pays des pommes d’orange. À mon retour, vous aurez un peu d’argent. »

Le plus jeune des trois garçons partit. Pendant sept semaines, il marcha de l’aube à minuit. Enfin, il arriva dans le pays des pommes d’orange. Dans ce pays, il y a un beau jardin, où jamais il ne neige ni ne glace. Dans ce beau jardin, il y a un pommier d’orange tout blanc de fleurs, où sept cents rossignolets sauvages chantent, où sept cents rossignolets sauvages chantent nuit et jour. Sur ce pommier d’orange, il y avait trois pommes rousses comme l’or.

Le garçon cueillit les trois pommes rousses comme l’or, les mit dans son panier, et repartit. Sur la fin de son voyage, il se reposa sous un grand arbre, près d’une claire fontaine. Au bord de la claire fontaine, était assise une femme, noire comme l’âtre, et vieille comme un chemin.

— « Mon ami, que portes-tu dans ton panier.

— Brave femme, je porte trois pommes d’orange.

— Trois pommes d’orange, soit. Mon ami, remplis ma cruche à la claire fontaine.

— Avec plaisir, brave femme.

— Merci, mon ami. Dis-moi. Que veux-tu faire de ces trois pommes d’orange ?

— Brave femme, je veux les porter au roi, pour guérir sa fille. Le roi l’a promise en mariage à celui qui lui ferait ce présent. Mais je suis trop pauvre pour épouser la princesse. Peut-être le roi me donnera-t-il un peu d’argent pour ma vieille mère, qui ne peut plus travailler.

— Mon ami, tu épouseras la fille du roi. Mais tu n’es pas au bout de tes épreuves. Écoute. Le roi te commandera d’abord de chasser toutes les mouches du pays. Tiens, prends ce fouet. Rien qu’à l’entendre claquer, toutes les mouches partiront à sept lieues à la ronde, pour ne revenir jamais, jamais. Ensuite, le roi te commandera de garder, toute une semaine, trois cents lièvres dans la campagne, et de les ramener chaque soir à l’étable, au coucher du soleil. Tiens, prends ce sifflet d’argent. Tu n’auras qu’à siffler. Aussitôt, les trois cents lièvres accourront de tous côtés, et te suivront comme des chiens. Alors, le roi te demandera un de ces lièvres. Donne-le lui, mais sous condition. Tiens. Voici un anneau d’or. Dis au roi : « Choisissez votre lièvre. En paiement, je demande à passer cet anneau d’or au doigt de votre fille. » Sitôt passé, l’anneau d’or fera corps avec la chair, et serrera le doigt si fort, si fort, que la fille du roi criera : « Père, je meurs, si vous ne me mariez pas au garçon qui m’a rapporté les trois pommes d’orange. »

— Brave femme, vous serez obéie. »

Le garçon salua la vieille femme, et partit.

Avant le coucher du soleil, il arrivait au château du roi.

— « Bonsoir, roi. Voici les trois pommes d’orange. »

Vite, le roi ouvrit le panier.

— « Merci, mon ami. Ce sont bien trois pommes d’orange. »

Aussitôt, sa fille mangea la première, et elle se leva de son lit. Elle mangea la seconde, et elle se leva, plus belle et mieux portante que jamais. Elle mangea la troisième, et dit :

— « Je n’aurai ni paix ni repos que je ne sois mariée au garçon qui m’a rapporté les trois pommes d’orange. »

Le roi regarda le garçon de travers.

— « Garçon, tu n’épouseras ma fille, que si tu chasses toutes les mouches du pays.

— Roi, vous serez obéi. »

Le garçon empoigna son fouet. Rien qu’à l’entendre claquer, les mouches partaient à sept lieues à la ronde, pour ne revenir jamais, jamais. Au coucher du soleil, il n’en restait pas une seule dans le pays.

— « Roi, j’ai fait ce que vous m’aviez commandé. »

Le roi regarda le garçon de travers.

— « Garçon, tu n’épouseras ma fille, que si tu gardes, toute une semaine, trois cents lièvres dans la campagne, et si tu les ramènes, chaque soir, à l’étable, au coucher du soleil.

— Roi, vous serez obéi. »

Le garçon prit son sifflet d’argent, et s’en alla garder, toute une semaine, trois cents lièvres dans la campagne. Chaque soir, au coucher du soleil, il sifflait. Aussitôt les trois cents lièvres accouraient de tous côtés, et le suivaient comme des chiens jusqu’à l’étable.

— « Roi, j’ai fait ce que vous m’aviez commandé. »

Le roi regarda le garçon de travers.

— « Garçon, donne-moi un de tes lièvres.

— Roi, choisissez votre lièvre. En paiement, je demande à passer cet anneau d’or au doigt de votre fille.

— Garçon, fais ce que tu voudras. »

Le garçon passa l’anneau d’or au doigt de la fille du roi. Sitôt passé, l’anneau d’or fit corps avec la chair, et serra le doigt si fort, si fort, que la fille du roi cria :

— « Père, je meurs, si vous ne me mariez pas au garçon qui m’a rapporté les trois pommes d’orange.

— Ma fille, tu l’épouseras demain. »

Aussitôt, l’anneau d’or ne serra plus, et la fille du roi se tint tranquille.

La noce se fit le lendemain, et les mariés vécurent

longtemps heureux[3].

III

La nuit des Quatre-Temps



Il y avait, une fois, une demoiselle, noire comme l’âtre, et vieille, vieille comme un chemin. Plus elle vieillissait, plus elle se croyait jeune et jolie. Cette demoiselle n’avait qu’un valet, appelé Bourtoumieu[4]. Tous deux vivaient au milieu des bois, dans un grand château, plein de chauves-souris et de hiboux. Pourtant, la vieille avait en cave sept tonneaux, pleins de quadruples d’Espagne. Chaque matin, elle faisait sécher son or aux rayons du soleil levant.

Un matin qu’elle travaillait comme de coutume, vint à passer un beau seigneur sur son cheval noir.

— « Bonjour, demoiselle. Que faites-vous là ?

— Beau seigneur, je fais sécher mon douaire aux rayons du soleil levant.

— Demoiselle, le douaire est beau. Mais la fille est plus belle encore. Voulez-vous de moi pour mari ?

— Beau seigneur, file ton chemin. File ton chemin, et reviens me chercher dans la nuit des Quatre-Temps. »

Un an plus tard, à minuit, le beau seigneur frappait à la porte du château.

— « Ho ! Demoiselle, levez-vous. Il est temps de nous marier.

— Beau seigneur, quel temps fait-il ?

— Demoiselle, il pleut à grand déluge.

— Beau seigneur, file ton chemin. Je ne me marie pas encore. »

Un an plus tard, à minuit, le beau seigneur frappait encore à la porte du château.

— « Ho ! Demoiselle, levez-vous. Il est temps de nous marier.

— Beau seigneur, quel temps fait-il ?

— Demoiselle, il pleut à grand déluge. L’orage gronde à rendre sourd.

— Beau seigneur, file ton chemin. Je ne me marie pas encore. »

Un an plus tard, à minuit, le beau seigneur frappait encore à la porte du château.

— « Ho ! Demoiselle, levez-vous. Il est temps de vous marier.

— Beau seigneur, quel temps fait-il ?

— Demoiselle, il pleut à grand déluge. L’orage gronde à rendre sourd. Il vente à décorner les taureaux.

— Beau seigneur, file ton chemin. Je ne me marie pas encore. »

Un an plus tard, à minuit, le beau seigneur frappait encore à la porte du château.

— « Ho ! Demoiselle, levez-vous. Il est temps de nous marier.

— Beau seigneur, quel temps fait-il ?

— Demoiselle, il pleut à grand déluge. L’orage gronde à rendre sourd. Il vente à décorner les taureaux. La grêle tombe, épaisse, et grosse comme le poing.

— Beau seigneur, c’est la nuit des Quatre-Temps. Vite, il faut nous marier. — Ho ! Bourtoumieu, debout. Selle et bride ta jument blanche.

Ho ! Bourtoumieu, selle, selle,
Selle, selle ma bourriquette[5]. »

Une heure après, la vieille, vêtue en mariée, Bourtoumieu, et le beau seigneur, galopaient à travers le bois. Il pleuvait à grand déluge. L’orage grondait à rendre sourd. Il ventait à décorner les taureaux. La grêle tombait, épaisse et grosse comme le poing.

— « Ho ! Bourtoumieu, fouette, fouette,
Fouette, fouette ma bourriquette[6].

— Oui, demoiselle.

— « Ho I Bourtoumieu, fouette, fouette,
Fouette, fouette ma bourriquette.

Bourtoumieu, quel beau temps !

— Oui, demoiselle.

— « Ho I Bourtoumieu, fouette, fouette,
Fouette, fouette ma bourriquette.

Bourtoumieu, vois-tu ces lumières dans le bois ?

— Oui, demoiselle. Ce sont les loups qui nous poursuivent. Leurs yeux brillent dans la nuit noire.

— « Ho I Bourtoumieu, fouette, fouette,
Fouette, fouette ma bourriquette.

Non, Bourtoumieu. C’est le beau seigneur qui fait illuminer pour moi. Comme il est riche ! Comme il m’aime !

— Oui, demoiselle.

— Ho ! Bourtoumieu, fouette, fouette,
Fouette, fouette ma bourriquette.

Bourtoumieu, entends-tu ces cris dans le bois ?

— Oui, demoiselle. Ce sont les loups qui hurlent de faim. Gare à nous.

— Ho ! Bourtoumieu, fouette, fouette,
Fouette, fouette ma bourriquette.

Non, Bourtoumieu. C’est le beau seigneur qui fait chanter pour moi. Comme il est riche ! Comme il m’aime !

— Ho ! Bourtoumieu, fouette, fouette,
Fouette, fouette ma bourriquette.

Alors, les loups tombèrent sur la vieille et sa bourriquette. Bourtoumieu tira son épée ; mais le beau seigneur l’arrêta.

— « Bourtoumieu, laisse ces bêtes manger à leur faim. Tu n’auras pas à t’en plaindre. »

Les loups repus et partis, le beau seigneur dit :

— « Bourtoumieu, mets pied à terre, et regarde ce qu’il reste de la vieille et de sa bourriquette.

— Beau seigneur, de la vieille, il reste une jambe d’or. De la bourriquette, il reste quatre fers d’or, avec les clous de diamant.

— Bourtoumieu, tout est pour toi. Ramasse vite, et partons. »

Tous deux rentrèrent au château de la vieille

demoiselle, et ils y vécurent riches et heureux[7].

IV

La belle Jeanneton



Il y avait, une fois, un roi et une reine de France, qui avaient un fils beau comme le jour. Chaque matin, à la pointe de l’aube, ce jeune homme partait pour la chasse, avec ses cent piqueurs et ses sept cents chiens. Jamais il ne manquait de rentrer avant le coucher du soleil.

Mais, un soir, le cheval du fils du roi de France rentra seul. Le maître était perdu loin de ses gens, perdu tout au milieu d’un bois. La nuit était noire, et les loups hurlaient.

Alors, le fils du roi grimpa jusqu’à la cime d’un grand chêne, et regarda vers les quatre vents du ciel. Rien.

Le fils du roi de France descendit de la cime du grand chêne, se coucha par terre, et s’endormit, son épée nue dans la main. Quand il se réveilla, le soleil se levait, et les oisillons chantaient.

Tout le long du jour, le fils du roi de France marcha, perdu tout au milieu du bois, buvant aux sources, mangeant des herbes et des fruits sauvages. Puis, vint la nuit noire. Les loups hurlaient.

Alors, le fils du roi de France grimpa jusqu’à la cime d’un grand chêne, et regarda vers les quatre vents du ciel. Rien.

Le fils du roi de France descendit de la cime du grand chêne, se coucha par terre, et s’endormit, son épée nue dans la main. Quand il se réveilla, le soleil se levait, et les oisillons chantaient.

Tout le long du jour, le fils du roi de France marcha, perdu tout au milieu du bois, buvant aux sources, mangeant des herbes et des fruits sauvages. Puis, vint la nuit noire. Les loups hurlaient.

Alors, le fils du roi de France grimpa jusqu’à la cime d’un grand chêne, et regarda vers les quatre vents du ciel. Enfin, du côté du nord, il aperçut loin, bien loin, une petite lumière.

Le fils du roi de France descendit de la cime du grand chêne, et marcha longtemps, longtemps du côté du nord. Une heure avant minuit, il frappait à la porte d’un château perdu tout au milieu du bois.

— « Pan ! pan ! » Une demoiselle belle comme le jour vint ouvrir la porte.

— « Bonsoir, demoiselle. Je suis le fils du roi de France. Depuis trois jours et trois nuits, je marche, perdu dans ce bois. Je crève de soif et de faim. Je ne puis plus mettre un pied devant l’autre. Demoiselle, faites-moi souper, et logez-moi jusqu’à demain.

— Fils du roi de France, entre, soupe vite et va-t’en. C’est ici le château de mon père et de ma mère, le château de l’Ogre et de l’Ogresse. Tous deux sont gourmands de chair baptisée. Tous deux achèvent de faire leur ronde dans le bois. Mais ils rentreront sur le premier coup de minuit. Je ne veux pas qu’ils te mangent tout vif. Fils du roi de France, entre, soupe vite, et va-t’en.

— Demoiselle, je ne puis plus mettre un pied devant l’autre.

— Eh bien, fils du roi de France, entre, soupe vite, et cache-toi sous ce cuvier. »

Ce qui fut dit fut fait.

L’Ogre et l’Ogresse rentrèrent sur le premier coup de minuit. C’étaient des géants hauts de deux toises, et noirs comme l’âtre. Les Ogres et les Ogresses ne sont pas de la race des chrétiens.

— « Hou ! hou ! hou ! Belle Jeanneton, ça sent ici la chair baptisée.

— Non, père. Non, mère. Il n’y a pas ici de chair baptisée. Cherchez. Vous verrez que je ne mens pas. »

L’Ogre et l’Ogresse cherchèrent sans rien trouver.

— « Hou ! hou ! hou ! Belle Jeanneton, ça sent ici la chair baptisée. Va te coucher. Demain, nous chercherons mieux. Si tu as menti, nous te mangerons toute vive. »

L’Ogre et l’Ogresse se couchèrent. Mais la Belle Jeanneton n’était pas si pressée. Avec une pelletée de cendres et un verre de son sang, elle pétrissait un gâteau, un gâteau qui avait le pouvoir de répondre pour elle jusqu’à la pointe de jour.

Le gâteau pétri, la Belle Jeanneton prit le bâton et les bottes de cinquante lieues de l’Ogre et de l’Ogresse. Cela fait, elle souleva le cuvier, doucement, bien doucement.

— « Fils du roi de France, décampons vite. Il ne fait pas bon ici pour nous. »

Tous deux partirent comme le vent.

Mais l’Ogre et l’Ogresse se méfiaient, et ne dormaient que d’un œil.

— « Hou ! hou ! hou ! Belle Jeanneton, va te coucher. »

Le gâteau pétri de cendres et de sang répondit :

— « J’y vais. Le temps d’ôter ma coiffe. »

L’Ogre et l’Ogresse se rendormirent un moment.

— « Hou ! hou ! hou ! Belle Jeanneton, va te coucher. »

Le gâteau pétri de cendres et de sang répondit :

— « J’y vais. Le temps d’ôter mon justaucorps. »

L’Ogre et l’Ogresse se rendormirent un moment.

— « Hou ! hou ! hou ! Belle Jeanneton, va te coucher. »

Le gâteau pétri de cendres et de sang répondit :

— « J’y vais. Le temps d’ôter mon cotillon. »

L’Ogre et l’Ogresse se rendormirent un moment.

— « Hou ! hou ! hou ! Belle Jeanneton, va te coucher. »

Le gâteau pétri de cendres et de sang répondit :

— « J’y vais. Le temps de me coiffer de nuit. »

L’Ogre et l’Ogresse se rendormirent un moment.

— « Hou ! hou ! hou ! Belle Jeanneton, va te coucher. »

Le gâteau pétri de cendres et de sang répondit :

— « J’y vais. Le temps d’ôter mes souliers. »

L’Ogre et l’Ogresse se rendormirent un moment.

— « Belle Jeanneton, va te coucher. »

La pointe du jour était venue. Le gâteau pétri de cendres et de sang n’avait plus le pouvoir de répondre pour la Belle Jeanneton.

Alors, l’Ogresse sauta du lit.

— « Hou ! hou ! hou ! Mille Dieux ! Milliard de Dieux ! La Belle Jeanneton et la chair baptisée ont décampé, avec le bâton et les bottes de cinquante lieues. Pars vite, mon homme. J’entends que tu les rattrapes dans une heure. Nous les mangerons tout vifs. »

L’Ogre prit son bâton et ses bottes de cent lieues. Il partit comme l’éclair, de sorte que la Belle Jeanneton et le fils du roi de France eurent bientôt perdu leur avance.

— « Hou ! hou ! hou ! criait l’Ogre. Attendez, brigands. Attendez, canailles. »

Mais la Belle Jeanneton avait remède à bien des choses. Par son pouvoir, elle et le fils du roi de France furent aussitôt changés en un oiselet et une oiselette chantant sur un buisson, au bord du chemin :

— « Riou chiou chiou. Riou chiou chiou. Riou chiou chiou. »

L’Ogre s’arrêta pour les questionner.

— « Hou ! hou ! hou !

Oiselet, oiselette,
Avez-vous vu un garçon et une fillette[8] ?

— Riou chiou chiou. Riou chiou chiou. Riou chiou chiou. »

L’Ogre n’en tira pas davantage, et retourna dans son château, tandis que la Belle Jeanneton et le fils du roi de France repartaient comme le vent.

— « Hou ! hou ! hou ! Eh bien, mon homme, dit l’Ogresse, as-tu rattrapé la Belle Jeanneton et la chair baptisée ?

— Hou ! hou ! hou ! Je n’ai trouvé qu’un oiselet et une oiselette chantant sur un buisson, au bord du chemin. Je les ai questionnés. Ils m’ont répondu : « Riou chiou chiou. Riou chiou chiou. Riou chiou chiou. » Je n’en ai pas tiré davantage.

— Hou ! hou ! hou ! Imbécile, c’étaient eux. Repars vite, mon homme. J’entends que tu les rattrapes dans une heure. Nous les mangerons tout vifs. »

L’Ogre repartit comme l’éclair, de sorte que la Belle Jeanneton et le fils du roi de France eurent bientôt perdu leur avance.

— « Hou ! hou ! hou ! criait l’Ogre. Attendez brigands. Attendez, canailles. »

Mais la Belle Jeanneton avait remède à bien des choses. Par son pouvoir, elle et le fils du roi de France furent aussitôt changés en un caneton et une canette, barbottant et criant dans un fossé, au bord du chemin.

— « Couac ! couac ! couac ! »

L’Ogre s’arrêta pour les questionner.

— « Hou ! hou ! hou !

Caneton, canette,
Avez-vous vu un garçon et une fillette[9] ?

— Couac ! couac ! couac ! »

L’Ogre n’en tira pas davantage, et retourna dans son château, tandis que la Belle Jeanneton et le fils du roi de France repartaient comme le vent.

— « Hou ! hou ! hou ! Eh bien, mon homme, dit l’Ogresse, as-tu rattrapé la Belle Jeanneton et la chair baptisée ?

— Hou ! hou ! hou ! Je n’ai trouvé qu’un caneton et une canette, barbottant et criant dans un fossé, au bord du chemin. Je les ai questionnés. Ils m’ont répondu : « Couac ! couac ! couac ! » Je n’ai pu en tirer davantage.

— Hou ! hou ! hou ! Imbécile, c’étaient eux. Repars vite, mon homme. J’entends que tu les rattrapes dans une heure. Nous les mangerons tout vifs. »

L’Ogre repartit comme l’éclair, de sorte que la Belle Jeanneton et le fils du roi de France eurent bientôt perdu leur avance.

— « Hou ! hou ! hou ! criait l’Ogre. Attendez, brigands. Attendez, canailles. »

Mais la Belle Jeanneton avait remède à bien des choses. Par son pouvoir, elle et le fils du roi de France furent aussitôt changés en une bergerette belle comme le soleil, la bergerette Bernadette, gardant ses brebis au bord du chemin.

— « Bêê ! bêê ! bêê ! »

L’Ogre s’arrêta pour les questionner.

— « Hou ! hou ! hou !

Bernadette,
Bergerette,
Soleillette,
Brebiettes,
Avez-vous vu un garçon et une fillette[10] ?

— Bêê ! bêê ! bêê ! »

L’Ogre n’en tira pas davantage, et retourna dans son château, tandis que la Belle Jeanneton et le fils du roi de France repartaient comme le vent.

— « Hou ! hou ! hou ! Eh bien, mon homme, dit l’Ogresse, as-tu rattrapé la Belle Jeanneton et la chair baptisée ?

— Hou ! hou ! hou ! Je n’ai trouvé qu’une bergerette, belle comme le soleil, la bergerette Bernadette gardant ses brebis au bord du chemin. Je les ai questionnés. Ils m’ont répondu : « Bêê ! bêê ! bêê ! » Je n’ai pu en tirer davantage.

— Hou ! hou ! hou ! Imbécile, c’étaient eux. Repars vite, mon homme. J’entends que tu les rattrapes dans une heure. Nous les mangerons tout vifs. »

L’Ogre repartit comme un éclair. Mais cette fois, la Belle Jeanneton et le fils du roi de France avaient pris tant d’avance, que l’Ogre ne put les atteindre.

Sept jours après, tous deux arrivaient au Louvre du roi de France.

— « Bonjour, bonjour, chers parents.

— Bonjour, pauvre ami. Nous te pleurions comme mort.

— Chers parents, j’avais affaire à un Ogre et à une Ogresse, gourmands de chair baptisée. J’étais perdu sans cette demoiselle, sans la Belle Jeanneton. Chers parents, j’en suis amoureux plus que je ne puis dire. Donnez-la-moi pour femme. Sinon, je pars pour les Îles, et je n’en reviendrai jamais, jamais.

— Pauvre ami, tu ne partiras pas pour les Îles. Épouse la Belle Jeanneton. »

Ce qui fut dit fut fait. Longtemps, bien longtemps, le fils du roi de France et la Belle Jeanneton

vécurent riches et heureux[11].

V

Le Fils du roi d’Espagne



Il y avait, une fois, un vieux roi qui avait perdu sa femme. Ce roi vivait dans son Louvre avec sa fille, une princesse belle comme le jour, et sage comme une sainte.

Quand la princesse eut dix-huit ans, le roi devint triste, bien triste. Nuit et jour, il se disait :

— « Ma fille est bonne à marier. Les galants ne vont pas manquer. Je suis vieux. Si ma fille m’abandonne, que vais-je devenir, tout seul dans mon Louvre ? Il ne faut pas que cela soit. À tous les galants qui viendront, j’imposerai trois épreuves si terribles, si terribles, qu’elles leur coûteront la vie. »

Le lendemain, un beau jeune homme, monté sur un cheval blanc, arrivait au grand galop dans la cour du Louvre.

— « Valets, je veux parler au roi. Vite, menez-moi dans sa chambre. »

Les valets obéirent. Mais la princesse avait tout vu, et elle s’arrangea de façon à écouter derrière la porte sans paraître.

Le beau jeune homme entra sans peur ni crainte.

— « Bonjour, roi. Je suis le Fils du roi d’Espagne. Mon père est plus riche que la mer. Moi, je suis fort et hardi comme pas un. Roi, j’ai vu ta fille. Elle est belle comme le jour. On la dit sage comme une sainte. J’en suis amoureux à perdre la tête, et je vous la demande en mariage.

— Fils du roi d’Espagne, je vais t’imposer trois épreuves terribles. Si elles ne te coûtent pas la vie, tu auras ma fille en mariage. Va me chercher le vin qui rend la jeunesse. Va couper la tête à l’Ogre, haut de deux toises, qui fait le malheur de mon pays. Va me chercher la cuirasse à l’épreuve de l’épée, de la balle et du boulet.

— Roi, vous serez obéi. »

Le Fils du roi d’Espagne salua le roi et sortit. Derrière la porte de la chambre, il rencontra la princesse.

— « Fils du roi d’Espagne, j’ai tout entendu. Tu es beau. Je t’aime. Si tu fais ce que t’a commandé mon père, tu auras prouvé que tu es fort, adroit, et hardi. Pars. Je prierai pour toi le Bon Dieu, et la sainte Vierge Marie.

— Princesse, vous serez obéie. »

Le Fils du roi d’Espagne salua la princesse, sauta sur son cheval blanc, et partit au grand galop.

Au bout de trois lieues, il s’arrêta dans un grand bois, sous un vieux chêne, pour laisser souffler sa bête. Tout en-haut du vieux chêne, un hibou se débattait, la tête prise entre deux branches.

Que fit le fils du roi d’Espagne ? Il grimpa comme un chat tout en-haut du vieux chêne, cassa les deux branches, et délivra le hibou.

— « Fils du roi d’Espagne, merci. Ton service te sera payé. Fils du roi d’Espagne, je suis le Roi des Hiboux. Je sais qui tu es, et ce que tu veux. Tu veux le vin qui rend la jeunesse.

— Roi des Hiboux, tu as dit la vérité.

— Fils du roi d’Espagne, du vin qui rend la jeunesse, il ne reste plus qu’une bouteille, une bouteille conservée depuis les noces de Cana, où fut invité Notre-Seigneur Jésus-Christ. Cette bouteille est là-bas, là-bas, au plus fourré de ce grand bois, gardée par une terrible Bête sauvage, qui ne dort ni nuit ni jour. Fils du roi d’Espagne, je t’aiderai quand il te faudra faire bataille. Partons. »

Le Fils du roi d’Espagne sauta sur son cheval blanc, et le Roi des Hiboux s’accrocha sur le pommeau de la selle.

— « Au galop ! »

Le cheval blanc partit aussi vite que le vent, jusqu’au plus fourré du grand bois.

— « Hardi ! Fils du roi d’Espagne. Voici la terrible Bête sauvage. »

Pendant une grosse heure d’horloge, le Fils du roi d’Espagne fit bataille, à grands coups d’épée, contre la terrible Bête sauvage, sans jamais pouvoir la frapper au bon endroit. Il commençait à se lasser. Alors, le Roi des Hiboux partit plus vite qu’un éclair. En deux coups de bec, il creva les yeux de la terrible Bête sauvage.

— « Hardi ! Fils du roi d’Espagne. Frappe au bon endroit. »

Le Fils du roi d’Espagne obéit.

— « Fils du roi d’Espagne, la terrible Bête sauvage a fini de mal faire. Prends le vin qui rend la jeunesse, le vin dont il ne reste plus qu’une bouteille, le vin conservé depuis les noces de Cana, où fut invité Notre-Seigneur Jésus-Christ. Fils du roi d’Espagne, je t’ai payé ton service. Adieu. »

Et le Roi des Hiboux s’envola dans le grand bois. On ne l’a revu jamais, jamais.

Alors, le Fils du roi d’Espagne sauta sur son cheval blanc, et repartit au grand galop. Au bout de trois lieues, il s’arrêta près d’un ruisseau, pour laisser souffler sa bête. Au bord du ruisseau, un grand loup se débattait, la tête prise dans un traquenard.

Que fit le Fils du roi d’Espagne ? Il écarta les mâchoires du traquenard, et délivra le grand loup.

— « Fils du roi d’Espagne, merci. Ton service te sera payé. Fils du roi d’Espagne, je suis le Roi des Loups. Je sais qui tu es, et ce que tu veux. Tu veux couper la tête à l’Ogre, haut de deux toises, qui fait le malheur de ce pays. Tu veux la cuirasse à l’épreuve de l’épée, de la balle et du boulet.

— Roi des Loups, tu as dit la vérité.

— Fils du roi d’Espagne, l’Ogre, haut de deux toises, qui fait le malheur de ce pays, est là-bas, là-bas, au plus fourré de ce grand bois. La cuirasse à l’épreuve de l’épée, de la balle et du boulet, l’Ogre l’a sur le dos et sur la poitrine. À la place du cœur, il y a dans la cuirasse un trou gros comme le poing. C’est là le bon endroit pour frapper. Fils du roi d’Espagne, je t’aiderai quand il faudra faire bataille. Partons. »

Le Fils du roi d’Espagne sauta sur son cheval blanc, et prit en croupe le Roi des Loups.

— « Au galop ! »

Le cheval blanc partit aussi vite que le vent jusqu’au plus fourré du grand bois.

— « Hardi, Fils du roi d’Espagne. Voici l’Ogre, haut de deux toises, qui fait le malheur de ce pays. »

Pendant une grosse heure d’horloge, le Fils du roi d’Espagne fit bataille, à grands coups d’épée, contre l’Ogre armé d’un marteau de fer, du poids de sept quintaux. Mais l’Ogre avait sur le dos et sur la poitrine la cuirasse à l’épreuve de l’épée, de la balle et du boulet. Le gueux s’arrangeait toujours de façon à ne présenter jamais le trou gros comme le poing, percé à la place du cœur, le bon endroit pour frapper. Le Fils du roi d’Espagne commençait à se lasser. Alors, le Roi des Loups partit plus vite qu’un éclair, et sauta aux jambes de l’Ogre.

— « Hardi ! Fils du roi d’Espagne. Frappe au bon endroit. »

Le Fils du roi d’Espagne obéit.

— « Fils du roi d’Espagne, l’Ogre, haut de deux toises, a fini de faire le malheur de ce pays. Coupe la tête, prends la cuirasse de ce gueux, et charge-la sur ta bête. Fils du roi d’Espagne, je t’ai payé ton service. Adieu. »

Et le Roi des Loups se perdit dans le grand bois. On ne l’a revu jamais, jamais.

Alors, le Fils du roi d’Espagne chargea, sur son cheval blanc, la cuirasse de l’Ogre, et repartit au grand galop pour le Louvre du roi.

— « Bonjour, roi. Buvez. Voici le vin qui rend la jeunesse. »

Le roi vida la bouteille. Aussitôt, il redevint jeune comme à dix-huit ans.

— « Roi, voici la tête de l’Ogre, haut de deux toises, qui faisait le malheur de ce pays. Roi, voici la cuirasse à l’épreuve de l’épée, de la balle et du boulet. Et maintenant, il me faut votre fille en mariage.

— Fils du roi d’Espagne, la cuirasse n’est pas à ma taille. À la place du cœur, il y a un trou gros comme le poing. Et puis, qui me prouve que la cuirasse est à l’épreuve de l’épée, de la balle et du boulet ?

— Roi, c’est juste. Demain, l’épreuve sera faite au lever du soleil. En attendant, préparez tout ce qu’il faut pour la noce. »

Le Fils du roi d’Espagne sauta sur son cheval blanc, et partit au grand galop.

Au bout de trois lieues, il s’arrêta devant la boutique d’un forgeron, qui frappait le fer avec ses sept apprentis.

— « Forgeron, regarde cette cuirasse. Y a-t-il assez de fer et d’acier pour en forger deux ?

— Oui, monsieur.

— Forgeron, je te paierai bien, et tes sept apprentis seront contents de mon étrenne. À l’ouvrage. J’entends avoir les deux cuirasses demain, trois heures avant le lever du soleil.

— Monsieur, vous serez obéi. »

Le lendemain, les deux cuirasses étaient forgées trois heures avant le lever du soleil.

— « Forgeron, voici mille pistoles. Apprentis, partagez-vous ces mille autres. »

Alors, le Fils du roi d’Espagne s’ajusta la plus belle des deux cuirasses, chargea l’autre sur son cheval blanc, et repartit au grand galop pour le Louvre du roi.

— « Bonjour roi. Voici deux cuirasses, une pour moi, l’autre pour vous. Choisissez.

— Fils du roi d’Espagne, je choisis la plus belle. Je choisis celle que tu t’es ajustée.

— Eh bien, roi, faisons-en l’épreuve. Tirez votre épée, et frappez fort. »

Le roi tira son épée, et frappa fort. La cuirasse était à l’épreuve de l’épée.

— « Roi, déchargez sur moi vos deux pistolets à bout portant. »

Le roi déchargea ses deux pistolets à bout portant. La cuirasse était à l’épreuve de la balle.

— « Roi, commandez à vos canonniers de me tirer un coup de canon.

— Canonniers, tirez. Tirez juste. »

Sur le coup de canon, le Fils du roi d’Espagne tomba. Mais aussitôt il se releva leste et gaillard.

— « Roi, la force du boulet m’a couché. Mais je n’ai aucun mal. Regardez. »

La cuirasse était à l’épreuve du boulet.

— « Et maintenant roi, prenez ma cuirasse, et donnez-moi votre fille en mariage.

— Fils du roi d’Espagne, tu l’as bien gagnée. »

La noce se fit le matin même. Jamais on n’a vu ni ne verra la pareille. Le lendemain, le Fils du roi d’Espagne prit sa femme en croupe, et l’emmena dans son pays, où ils vécurent longtemps

riches et heureux[12].

VI

l’homme de toutes couleurs



Il y avait, une fois, un vieux bûcheron qui était veuf, et qui demeurait, avec ses sept fils, dans une cabane, au milieu d’un grand bois.

Un jour, le vieux bûcheron appela ses sept fils et leur dit :

— « Garçons, j’ai sué jusqu’à présent pour vous gagner du pain. Maintenant que vous êtes grands, allez travailler pour vivre. Moi, j’ai encore assez de force pour ne pas aller à l’aumône. Quand je n’en pourrai plus, je prendrai une besace, et je m’en irai quêter mon pain de porte en porte, comme faisait autrefois Notre-Seigneur Jésus-Christ.

— Père, nous sommes prêts à partir. Quand nous aurons de l’argent, nous vous en apporterons, et vous n’irez pas à l’aumône.

— Partez-donc, et que le Bon Dieu vous garde. Mais avant, je veux faire un présent à chacun de vous. »

Alors, le vieux bûcheron ouvrit son coffre, où se trouvaient un vêtement rapiécé de toutes couleurs, et une bourse contenant six pistoles. Il donna une pistole à chacun, en commençant par l’aîné des fils, de sorte qu’il n’y eut rien pour le plus jeune.

Ceux qui avaient reçu chacun leur pistole saluèrent leur père, et partirent. Alors, le vieux bûcheron dit au jeune homme qui attendait :

— « Garçon, prends ce vêtement rapiécé, et ne sois pas jaloux de tes frères. Tu seras l'Homme de toutes couleurs. »

Ce qui fut dit fut fait. L’Homme de toutes couleurs salua son père, et partit.

Au coucher du soleil, il arriva sur la lisière d’un grand bois, et s’assit au pied d’un chêne, pour y passer la nuit. L’Homme de toutes couleurs commençait à s’endormir, quand il entendit des cris et du bruit dans les branches. C’était une grive qui se désolait, auprès de son nid, parce qu’un serpent montait pour manger ses petits. Aussitôt, l’Homme de toutes couleurs prit son bâton, et coupa le serpent en deux.

Ce serpent était de l’espèce de ceux qui gardent l’or caché sous terre. Il avait dans le ventre douze doubles louis d’or, et autant de quadruples espagnoles.

— « Bon ! dit l’Homme de toutes couleurs, les doubles louis d’or seront pour moi, et les quadruples espagnoles pour mon père. »

Il se recoucha sous le chêne, dormit toute la nuit, et repartit au lever du soleil. Après trois heures de marche, il s’arrêta dans une auberge bâtie au bord de la route. Quand il eut mangé la soupe et bu bouteille, il paya la bourgeoise, et lui demanda son chemin.

— « Homme de toutes couleurs, si tu vas tout droit devant toi, dans trois jours tu seras à Paris. Si tu prends à droite, à midi juste, tu entreras dans le Pays de la Faim et de la Soif, et tu iras je ne sais où. »

L’Homme de toutes couleurs prit à droite. À midi juste, il arriva dans le Pays de la Faim et de la Soif. Là, il n’y a ni rivière, ni ruisseau, ni puits, ni fontaine. La terre y est sèche comme le pavé d’un four. Les hommes, les animaux, grands et petits, les herbes et les arbres, tout y meurt, cuit et rôti par le soleil.

Pendant trois jours et trois nuits, l’Homme de toutes couleurs marcha, sans manger ni boire. Alors, il trouva, couché par terre, un mort, qui tenait encore dans sa main droite une barre de fer forgé, du poids de neuf quintaux. L’Homme de toutes couleurs enterra le mort, pria Dieu pour lui, prit la barre de fer forgé du poids de neuf quintaux, et se remit en marche jusqu’au lendemain matin.

Au lever du soleil, il était sorti du Pays de la Faim et de la Soif. Mais il avait devant lui une montagne droite comme un mur, qui montait à plus de cent toises. Au pied de cette montagne, il aperçut une maison, dont les portes et les fenêtres étaient toutes grandes ouvertes. C’était la maison du Corps sans âme, qui était sorti pour aller faire sa ronde.

L’Homme de toutes couleurs entra. Il prit une miche de pain sur la planche, descendit à la cave pour y tirer du vin, et se mit à manger et à boire. Cela fait, il monta au lit, avec la barre de fer forgé, du poids de neuf quintaux, à la portée de sa main, et s’endormit jusqu’à minuit. Alors, il fut réveillé par un grand tapage. C’était le Corps sans âme, qui revenait de faire sa ronde.

— « Ho ! ho ! ho ! Qui donc s’est rendu maître chez moi ? Attends, voleur, attends. Je vais te faire passer le goût du pain. »

Mais l’Homme de toutes couleurs avait déjà sauté à bas du lit, et empoigné la barre de fer forgé du poids de neuf quintaux. Alors, il y eut un grand combat, qui dura trois heures d’horloge. Enfin, le Corps sans âme fut porté par terre, d’un grand coup de barre sur la tête.

— « Homme de toutes couleurs, ne me fais pas souffrir davantage. Jamais tu ne pourras me tuer. Il est dit que je ne dois mourir qu’à la fin du monde, pour ne pas ressusciter. Ne me fais pas souffrir davantage, et je ferai tout ce que tu me commanderas.

— Eh bien, Corps sans âme, montre-moi par où l’on gravit la montagne. Mais marche droit, ou gare à la barre de fer forgé du poids de neuf quintaux. »

Alors, le Corps sans âme montra la bonne route à l’Homme de toutes couleurs, qui grimpa comme une chèvre, à travers les roches hautes et noires. Tout-à-coup, il aperçut un loup grand comme un taureau, qui arrivait vers lui au grand galop, et la gueule ouverte.

Que fit alors l’Homme de toutes couleurs ? Il brandit sa barre de fer forgé du poids de neuf quintaux, et, de toute sa force, il en déchargea un grand coup sur la tête de l’animal, qui tomba blessé à mort.

— « Homme de toutes couleurs, dit le loup, tu n’es pas le premier qui ait traversé, sans mourir, le Pays de la Faim et de la Soif, et qui ait fait la loi au Corps sans âme. De ceux qui sont arrivés jusqu’ici, j’en ai mangé beaucoup. Mais il y en a qui sont passés, et qui sont dans un endroit où tu arriveras bientôt. Maintenant, puisque je meurs de ta main, mange ma chair et bois mon sang ; car tu as besoin de courage, et tu n’as pas fini de souffrir. »

L’Homme de toutes couleurs attendit que le loup fût mort. Alors, il mangea sa chair et but son sang, et se sentit aussitôt pris d’une grande force. Une heure après, il était en-haut de la montagne, qui plongeait droit, à plus de cent toises de profondeur, sur une rivière large d’une demi-lieue. L’eau de cette rivière faisait un bruit terrible, et s’échappait aussi vite que le vent. De l’autre côté de l’eau, on voyait un pays si plaisant, si plaisant, que l’on aurait dit le paradis du Bon Dieu.

Sur le haut de la montagne, l’Homme de toutes couleurs trouva force gens, qui avaient dépensé tout leur courage pour arriver jusque-là. Il y en avait qui pleuraient, en s’agenouillant, les mains jointes, et qui criaient :

— « Mon Dieu ! mon Dieu ! Faites que nous passions. »

Alors, l’Homme de toutes couleurs pensa :

— « Le Bon Dieu n’assiste pas ceux qui lui laissent tout à faire. Ces gens-là ne passeront pas. »

Il y en avait qui tenaient toujours conseil, sans jamais se décider, et qui disaient :

— « Le tout est de bien partir. Ne nous pressons pas. Nous avons le temps. »

Alors, l’Homme de toutes couleurs pensa :

— « En voici qui parleront, sans jamais rien faire, jusqu’au jour du jugement. Il y a temps pour parler, et temps pour faire. Qui ne hasarde rien n’a rien. Ces gens-là ne passeront pas. »

Il y en avait qui disaient aux autres :

— « Plongeons tous à la fois. Aidons-nous les uns les autres. Nageons ensemble, tous ensemble. »

Alors, l’Homme de toutes couleurs pensa :

— « À ce contrat, il y a tout à donner et rien à prendre. Ces gens-là ne passeront pas. »

Il y en eut aussi deux ou trois, qui sautèrent en gens hardis. Mais au lieu de tirer tout droit devant eux, ils se retournaient vers ceux qui regardaient du haut de la montagne, et qui criaient :

— « À droite ! À gauche ! Pas comme ça. Vous êtes perdus. »

Ces gens-là ne passèrent pas, et l’eau les couvrit pour toujours.

Alors, l’Homme de toutes couleurs pensa :

— « Maintenant, je sais ce que je dois faire. » Il se cacha derrière un rocher, roula ses habits qu’il attacha sur son dos, fit le signe de la croix, et dit :

— « Hardi ! mon ami.

Guiraude,
La galette chaude,
Le piché plein,
Saute d’un plain[13]. »

Il sauta, sans peur ni crainte. Quand il fut revenu sur l’eau, il tira tout droit devant lui, nageant fort et ferme, comme un poisson, sans regarder derrière lui, sans écouter les cris des gens de la montagne. Une heure après, il s’habillait sur l’autre bord de la rivière.

Alors, l’Homme de toutes couleurs salua honnêtement les gens qui étaient de l’autre côté de l’eau. Mais ceux-ci se courroucèrent de voir qu’il était passé. Ils lui montraient le poing, et ils accablaient d’insultes. Mais lui ne faisait qu’en rire. Il se remit en chemin. Quand il eut marché pendant une heure, il rencontra un Nain barbu, qui n’avait pas deux empans de haut.

— « Homme de toutes couleurs, il faut me suivre.

— Avec plaisir, Nain. »

Tous deux marchèrent côte à côte, jusqu’à un grand trou noir, qui s’enfonçait bien loin sous terre. Ils descendirent longtemps, longtemps dans ce trou. Mais le Nain, qui marchait derrière, arrangeait les choses de manière à ce qu’après nul homme ne pût repasser par là, soit pour descendre, soit pour monter.

Enfin, l’Homme de toutes couleurs et le Nain arrivèrent en-bas, et virent une petite lumière. Aussitôt, ils marchèrent de ce côté. Pendant qu’ils marchaient, la lumière devenait toujours plus grande. Enfin, ils se trouvèrent sur le pas d’une grande porte, qui s’ouvrait sur un beau pays, où il y avait un grand château, et cent métairies à l’entour.

— « Homme de toutes couleurs, je te donne ce grand château et ces cent métairies à l’entour. Désormais, tâche de vivre content sous terre, car tu ne verras plus ni homme ni femme. »

Le Nain partit, et l’Homme de toutes couleurs s’en alla frapper à la porte du grand château. Aussitôt, une Main vint ouvrir la porte. Une autre Main le conduisit dans une grande salle où le couvert était mis, et le repas fut servi par une douzaine de Mains. Mais il n’y avait ni homme ni femme. Après dîner, l’Homme de toutes couleurs visita le grand château de la cave au grenier. Partout il vit d’autres Mains, qui travaillaient à la cuisine, qui prenaient soin des chambres, et autres choses pareilles. Dans la cour, il y avait une grande cage de fer, où était enfermé un aigle, attaché par la patte avec une chaîne. Des Mains lui apportaient deux fois par jour de la viande crue. Trois juments étaient à l’écurie, l’une blanche comme la neige, l’autre noire comme un corbeau, la dernière rouge comme le sang. Ces trois bêtes étaient aussi servies par des Mains, qui les étrillaient, leur faisaient la litière, et ne les laissaient manquer ni de foin, ni de paille, ni d’avoine. Mais il n’y avait ni homme ni femme.

L’Homme de toutes couleurs vécut ainsi bien longtemps dans le grand château, toujours seul, et bien las d’une vie pareille. Pour passer son temps, il descendait matin et soir à l’écurie ; et quand il avait soigné les trois juments, il allait porter de la chair crue à l’aigle enfermé dans la cage de fer. Ces quatres bêtes prirent tellement leur maître en amitié, qu’elles ne voulurent plus être servies par les Mains.

Un jour, l’aigle se mit à parler :

— « Homme de toutes couleurs, tu t’ennuies, toujours seul dans ce grand château. Penses-tu que je me divertisse, moi, toujours enchaîné par la patte, et enfermé dans cette cage de fer ? Délivre-moi. Je m’envolerai sur la terre, par le trou d’où tu es descendu. Chaque jour, je viendrai te donner des nouvelles de là-haut. »

L’Homme de toutes couleurs délivra l’aigle prisonnier, et lui dit :

— « Aigle, va dans mon pays chercher des nouvelles de mon père. Dis-lui que je suis prisonnier sous terre, et qu’il ne me reverra jamais, jamais. »

L’aigle partit, et rentra le même soir.

— « Homme de toutes couleurs, j’ai vu ton père. Il est bien vieux, et ne peut plus travailler. Trois de tes frères l’assistent autant qu’ils le peuvent. Mais ils ne gagnent pas assez pour le nourrir à rien faire. Aussi, le pauvre ancien prenait-il souvent la besace, et s’en allait-il quêter sa pauvre vie de porte en porte, comme faisait autrefois Notre Seigneur Jésus-Christ. Maintenant, j’ai mis bon ordre à tout, et cela n’arrivera plus. Je sais où me fournir, et ton père aura chaque jour sa provende.

— Merci, aigle. »

Depuis ce jour, l’Homme de toutes couleurs et l’aigle furent grands amis. Chaque matin, l’aigle partait pour ses affaires, et chaque soir il rapportait des nouvelles d’en haut. Un soir, il dit à son ami :

— « Homme de toutes couleurs, il se passe là-haut une chose qui mérite qu’on en parle. Il y a un roi qui a quatre filles, belles comme le jour. Un Nain lui a volé les trois aînées, et les a cachées je ne sais où. Mais la dernière est demeurée avec son père. Maintenant, écoute l’avis que le roi a fait tambouriner ce matin, dans toutes les paroisses de son pays. — « Ran plan plan, ran plan plan. Tous les hommes hardis et bons cavaliers, sont prévenus, de la part du roi, que pendant le mois prochain il y aura, dans la ville de Babylone, trois grandes courses de chevaux, une chaque dimanche. Celui qui gagnera trois fois la victoire épousera la fille du roi le dimanche après. »

Alors, l’Homme de toutes couleurs devint triste. Nuit et jour, il songeait à ce que l’aigle lui avait dit. Un matin, la jument rouge comme le sang s’aperçut que son maître pleurait.

— « Homme de toutes couleurs, je sais pourquoi tu pleures ; mais je puis te tirer de peine. Avec moi, tu gagneras la première course, car je sais un chemin particulier pour aller sous terre. Mais je n’y puis passer qu’une fois, aller et retour ; et il faut que tu me jures de revenir avec moi.

— Jument rouge comme le sang, je te le jure par mon âme.

— Eh bien ! partons. »

La jument rouge comme le sang partit plus vite que le vent, et elle arriva, une heure après, dans la ville de Babylone. C’était un dimanche soir. Les vêpres étaient finies, les courses commençaient, et il ne manquait pas de cavaliers pour disputer la victoire. Mais la jument rouge comme le sang volait toujours plus vite que le vent ; et elle était arrivée que les autres bêtes n’avaient pas fait encore cent pas. Alors, le peuple cria :

— « Vive l’Homme de toutes couleurs ! »

Mais la jument rouge comme le sang repartit plus vite que jamais. Une heure après, l’Homme de toutes couleurs était rentré sous terre, dans son grand château.

L’Homme de toutes couleurs redevint bien triste. Nuit et jour, il songeait à ce que l’aigle lui avait dit. Le dimanche après, la jument noire comme un corbeau s’aperçut que son maître pleurait.

— « Homme de toutes couleurs, je sais pourquoi tu pleures ; mais je puis te tirer de peine. Avec moi, tu gagneras la seconde course, car je sais un chemin particulier pour aller sous terre. Mais je n’y puis passer qu’une fois, aller et retour ; et il faut que tu me jures de revenir ici avec moi.

— Jument noire comme un corbeau, je te le jure par mon âme.

— Eh bien ! partons. »

La jument noire comme un corbeau partit plus vite que le vent. Pourtant, elle n’arriva que deux heures après dans la ville de Babylone. C’était le dimanche soir, et les vêpres étaient chantées. Les courses avaient commencé depuis une heure, et il ne manquait pas de cavaliers pour disputer la victoire. Mais la jument noire comme un corbeau partit plus vite encore que la jument rouge comme le sang ; et elle était arrivée que les autres étaient encore à moitié chemin. Alors, le peuple cria :

— « Vive l’Homme de toutes couleurs ! »

Mais la jument noire comme un corbeau repartit plus vite que jamais. Une heure après, l’Homme de toutes couleurs était rentré sous terre, dans son grand château.

L’Homme de toutes couleurs redevint bien triste. Nuit et jour, il songeait à ce que l’aigle lui avait dit. Le dimanche suivant, la jument blanche comme la neige s’aperçut que son maître pleurait.

— « Homme de toutes couleurs, je sais pourquoi tu pleures, et je pourrais te tirer de peine. Avec moi, tu gagnerais la troisième course, car je sais un chemin particulier pour aller sous terre ; et j’y puis passer une fois, aller et retour.

— Eh bien ! tire-moi de peine.

— Je ne veux pas.

— Je t’en prie. »

L’Homme de toutes couleurs pria tant et tant la jument blanche comme la neige, qu’elle finit par répondre :

— « Eh bien ! jure-moi de revenir ici avec moi.

— Jument blanche comme la neige, je te le jure par mon âme. »

La jument blanche comme la neige partit plus vite que le vent. Pourtant elle n’arriva que trois heures après, et en boitant, dans la ville de Babylone. C’était le dimanche soir, et vêpres étaient chantées. Les courses étaient presque finies, et il ne manquait pas de cavaliers pour disputer la victoire. La jument blanche comme la neige partit au petit pas, et en boitant. Alors, le peuple cria :

— « C’est dommage. L’Homme de toutes couleurs n’arrivera pas. »

Et l’Homme de toutes couleurs se désespérait, et criait :

— « Marche donc, jument blanche comme neige.

— Je ne puis pas, je suis boiteuse. »

Et l’Homme de toutes couleurs se désespérait toujours, car trois cavaliers n’avaient que cent pas à faire pour gagner la victoire. Alors, la jument blanche comme la neige hennit, et partit si vite, si vite, qu’on ne pouvait la suivre de l’œil. Le temps de dire Amen, et elle était arrivée avant toutes les autres bêtes. Alors, le peuple cria :

— « Vive l’Homme de toutes couleurs ! »

Mais la jument blanche comme la neige repartit plus vite que jamais. Une heure après, l’Homme de toutes couleurs était rentré sous terre dans son grand château.

L’Homme de toutes couleurs redevint bien triste. Nuit et jour il songeait à ce que l’aigle lui avait dit. Le dimanche après, l’aigle s’aperçut que son maître pleurait.

— « Homme de toutes couleurs, je sais pourquoi tu pleures, et je voudrais te tirer de peine. Par malheur, les chemins où les trois juments ont passé sont maintenant fermés pour toujours. Il ne reste que le trou par où tu es descendu avec le Nain. Tu vas monter à cheval sur mon dos, et je t’emporterai en volant. Mais ce n’est pas là un petit travail. Pour aller jusqu’au bout, j’aurai besoin d’être bien nourri durant le voyage. Emporte force viande crue, pour me panser en chemin. »

L’Homme de toutes couleurs alla chercher force viande crue, et monta sur le dos de l’aigle qui prit sa volée.

— « Hardi, mon aigle ! »

Et l’aigle volait droit et fort. À tout moment il criait : — « De la viande crue ! De la viande crue ! »

Et l’Homme de toutes couleurs le pansait, en criant toujours :

— « Hardi, mon aigle ! »

Cent toises au-dessous de terre, la pâture vint à manquer.

— « De la viande crue ! De la viande crue ! »

Alors, l’Homme de toutes couleurs tira son couteau, coupa un morceau de sa cuisse, pansa l’aigle, et lui fit boire son sang tout chaud. Cinq minutes après, tous deux arrivaient dans la ville de Babylone.

Il était huit heures du matin. Tout le monde avait ses habits des dimanches. Dans toutes les églises, les cloches sonnaient à grande volée, pour le mariage de la fille du roi.

— « Homme de toutes couleurs, dit le roi de Babylone, tu n’auras ma fille que lorsque tu m’auras rendu ses trois sœurs. »

Alors, l’aigle dit :

— « Attendez-moi là. »

L’aigle prit sa volée, et revint, une heure après, apportant par les cheveux le Nain barbu qui n’avait pas deux empans de haut. Le Nain frappa la terre du talon. Aussitôt parurent les trois juments : l’une blanche comme la neige, l’autre noire comme un corbeau, la troisième rouge comme le sang. Ces trois juments étaient les trois filles aînées du roi de Babylone, que le Nain avait changées en bêtes, pour les mieux cacher. Sur-le-champ elles reprirent leur première forme.

— « Homme de toutes couleurs, dit le roi de Babylone, je n’ai plus rien à te refuser. »

Alors, le mariage se fit. Jamais on n’a vu, jamais on ne verra le pareil. L’Homme de toutes couleurs envoya chercher son père. Il fit aussi venir ses trois frères, qui avaient assisté le pauvre homme, et chacun d’eux épousa une princesse. À la fin de la noce, qui dura tout un mois, l’aigle dit :

— « Homme de toutes couleurs, voilà longtemps que je te sers. Pourtant, tu ne m’as pas encore payé.

— Aigle, demande ce que tu voudras.

— Homme de toutes couleurs, donne-moi, pour bâtir mon nid, la plus haute tour de Babylone. Donne-moi aussi le Nain barbu, qui n’a pas deux empans de haut.

— Aigle, c’est juste. Prends ce qu’il te faut. »

Alors, l’aigle emporta le Nain barbu, qui n’avait pas deux empans de haut, sur la plus haute tour de Babylone. Là, il lui creva les yeux,

et le rongea jusqu’aux os[14].

II

LES MORTS

I

jean de calais



Il y avait, une fois, un homme riche de cent mille pistoles, et aumônier autant que riche. Cet homme avait perdu sa femme, et vivait avec son enfant, appelé Jean de Calais.

À vingt ans, Jean de Calais était un jeune homme fort et hardi, aumônier comme son père, mais grand batteur de pavé, ribotteur et coureur de gueuses. Cela vint au point que son père lui dit un jour :

— « Jean de Calais, tu empruntes à Dieu et au Diable. Tu jettes l’argent par les fenêtres. Je n’entends pas que tu me ruines, pour des maquereaux et des putains. Tiens. Voici sept mille pistoles. Paie ce que tu dois, et tâche de mener meilleure vie.

— Père, vous serez obéi. »

Mais Jean de Calais oublia sa promesse. Au lieu de payer ce qu’il devait, il se remit à battre le pavé, à ribotter, à courir les gueuses. Cela revint au point que son père lui dit un jour :

— « Jean de Calais, tu ne m’as pas obéi. Mes sept mille pistoles sont fricassées. Toujours tu empruntes à Dieu et au Diable. Toujours tu jettes l’argent par les fenêtres. Tes dettes seront payées. Mais je n’entends pas que tu me ruines, pour des maquereaux et des putains. Tiens. Voici sept mille autres pistoles. Va courir le monde, et tâche de faire fortune.

— Père, vous serez obéi. »

Jean de Calais salua son père, sauta sur son cheval, et partit par la route de Bordeaux.

Trois jours après, il cheminait plus loin que Marmande[15]. Il traversait un village, tout proche de la Garonne. Au bord de l’eau, gisait, nu comme un ver, un pauvre mort, rongé des chiens. Alors, Jean de Calais devint tout bleu de colère.

— « Mille Dieux ! Suis-je donc dans un pays de païens et de juifs ? N’avez-vous pas honte, canailles, de laisser ainsi ce pauvre mort, nu comme un ver, et rongé des chiens ?

— Passant , tâche de mieux parler. Sinon, gare à toi. »

Jean de Calais tira son épée.

— « Je parle comme il me plaît, ivrognes. Avancez. Tous, tant que vous êtes, je vous emmerde, à pied et à cheval. Voyons, bandits, avancez un peu. »

Alors, les gens du village baissèrent la voix, et répondirent honnêtement :

— « Passant, ne te fâche pas. Cet homme n’a que ce qu’il mérite. Il est mort sans payer ses dettes. En pareil cas, la coutume de ce pays veut que le corps soit jeté tout nu sur le bord de l’eau. Les chiens le rongent, en attendant que la Garonne monte et l’emporte. Le reste profite aux poissons.

— Cochons ! Vous n’êtes donc pas chrétiens ? Combien devait le pauvre mort, salauds ?

— Passant, le mort devait six mille pistoles.

— En voilà sept, valets de bourreau. Payez-vous. Le reste est pour faire dire des messes. Maintenant, racaille, courez chercher le curé, et en route pour le cimetière.

— Passant, tu seras obéi. »

Le pauvre mort enterré, Jean de Calais retourna chez son père.

— « Bonjour, père.

— Bonjour, Jean de Calais. Te voilà bientôt revenu. As-tu déjà fait fortune ? Conte-moi ça. »

Jean de Calais obéit. Jusqu’à la fin, le père écouta sans mot dire.

— « Jean de Calais, tu as bien fait. Je te pardonne. Tâche de mener meilleure vie.

— Père, vous serez obéi. »

Mais Jean de Calais oublia sa promesse. Il se remit à battre le pavé, à ribotter, à courir les gueuses. Cela revint au point que son père lui dit un jour :

— « Jean de Calais, tu ne m’as pas obéi. Toujours tu empruntes à Dieu et au Diable. Tu jettes l’argent par les fenêtres. Tes dettes seront payées. Mais je n’entends pas que tu me ruines, pour des maquereaux et des putains. Tiens, voici sept mille autres pistoles. Va courir le monde, tâche de faire fortune, et ne reviens pas de sitôt.

— Père, vous serez obéi. »

Jean de Calais salua son père, sauta sur son cheval, et partit par la route de Bordeaux.

Trois jours après, il cheminait plus loin que Marmande. C’était au temps du mois mort[16], au temps de la grande froidure.

Tout en cheminant, Jean de Calais pensait :

— « Je ne suis pas loin du village où j’ai payé sept mille pistoles, pour faire enterrer le pauvre mort. Certes, j’ai souvent plus mal employé l’argent de mon père. »

Quand il traversa le village, tout le monde dormait. La lune montait dans le ciel, et les étoiles marquaient minuit.

En passant devant le cimetière, Jean de Calais tira sur la bride, et mit pied à terre.

— « Attends-moi là, mon bon cheval. Le temps de réciter un Pater pour le pauvre mort. »

Jean de Calais entra, sans peur ni crainte. Il s’agenouilla sur la fosse, et récita son Pater. Comme il se relevait, un grand Oiseau Blanc vint se poser tout en-haut de la grande croix du cimetière.

Le grand Oiseau Blanc se mit à parler.

— « Jean de Calais, je suis l’âme du pauvre mort. Jean de Calais, tu m’as fait service. Compte que je ne l’oublierai pas. »

Et le grand Oiseau Blanc s’envola je ne sais où.

Jean de Calais remonta sur sa bête, et repartit.

Trois heures après le lever du soleil, il descendait, mort de froid et de faim, sur le seuil d’une bonne auberge, en face de la rade de Bordeaux.

— « Hô ! Valets ! Ici, fainéants. Vite, ce cheval à l’écurie. Servantes, vite, un fagot dans la cheminée. Vite, un bon déjeuner sur table. »

Une fois repu et dégelé, Jean de Calais monta dans sa chambre, se mit au lit, et dormit comme une souche, jusqu’à l’heure du souper. Alors, il redescendit, frais et gaillard dans la salle commune. À côté de lui vint s’attabler un capitaine de navire.

— « Eh bonjour, Jean de Calais.

— Eh bonjour, capitaine.

— Jean de Calais, je suis bien heureux de te retrouver ici. Que de fois, tous deux, nous avons battu le pavé, ribotté, couru les gueuses.

— Capitaine, il y a temps pour tout. J’ai fini de mal faire. Je veux courir le monde, et tâcher de faire fortune.

— Jean de Calais, je veux t’en donner le moyen. Écoute. Demain matin, viens me voir sur mon navire, au beau milieu de la Garonne. Là, je te dirai des choses qui valent la peine d’être écoutées.

— Capitaine, compte sur moi. »

Le lendemain matin, Jean de Calais était sur le navire, au beau milieu de la Garonne.

— « Bonjour, capitaine. Donne-moi le moyen de foire fortune. Dis-moi les choses qui valent la peine d’être écoutées.

— Jean de Calais, je parlerai, si tu me jures par ton âme que tu n’en rediras pas un mot.

— Capitaine, je te le jure par mon âme.

— Jean de Calais, tu veux faire fortune. Viens avec moi. Ici, je commande à cent pirates forts et hardis. Les pirates sont des mariniers qui courent le monde, pour piller partout où ils peuvent. Viens avec moi. Dans un an, tu gagneras ton pesant d’or.

— Capitaine, ce serait de l’or mal gagné.

— Jean de Calais, quand tu paies, les gens ne te demandent pas d’où vient ton or. Ils regardent s’il n’est pas faux. Viens avec moi. Si tu mets la main sur quelque belle fille, nous la garderons ici prisonnière. Tu en feras à ta volonté, si mieux tu n’aimes la vendre cher. Tiens, pas plus tard que le mois passé, moi, j’ai volé les deux filles du roi de Lisbonne, en Portugal. Suis-moi. Je veux te les montrer. »

Jean de Calais suivit le capitaine des pirates. Dans une chambrette du navire, deux filles, plus belles que le jour, priaient Dieu, et pleuraient comme des Madeleines.

— « Jean de Calais, regarde. L’aînée marche vers ses dix-huit ans. La cadette n’en a pas sept.

Si bientôt je n’ai pas trouvé marchand à trois mille pistoles par fille, je les jette à l’eau. Autant de gagné pour les poissons.

— Capitaine, ces deux filles sont à moi. Menons-les à mon auberge. Là, je te compterai six mille pistoles.

— Jean de Calais, j’en veux douze.

— Capitaine, ce qui est dit est dit. Obéis, ou faisons bataille. »

Le capitaine des pirates eut peur. Il mena les deux filles à l’auberge, où Jean de Calais lui compta les six mille pistoles.

— « Capitaine, voilà plus d’argent que tu n’en vaux. File, et tâche de ne plus te trouver sur mon chemin. »

Alors, Jean de Calais se retourna vers la fille aînée :

— « Demoiselle, je suis amoureux de vous. Parlez. À votre volonté, je vous ramène avec votre sœur à Lisbonne en Portugal, ou je vous conduis dans la maison de mon père.

— Jean de Calais, conduis-nous dans la maison de ton père.

— Demoiselle, nous partirons dans trois jours. »

Aussitôt, Jean de Calais manda les couturières et les modistes.

— « Demoiselle, commandez vite tout ce qu’il faut pour vous et pour votre sœur. J’ai encore mille pistoles en bourse. »

Trois jours après, Jean de Calais et les deux filles quittaient Bordeaux. Trois jours plus tard, ils étaient au bout de leur voyage.

— « Bonjour, père.

— Bonjour, Jean de Calais. Te voilà bientôt revenu. As-tu déjà fait fortune ? Raconte-moi ça. »

Jean de Calais obéit. Jusqu’à la fin, le père écouta sans mot dire.

— « Jean de Calais, tu as bien fait. Et maintenant, qu’entends-tu faire de ces deux filles ?

— Père, écoutez-moi. J’entends épouser l’aînée. J’entends reconnaître la cadette pour mon enfant. Si vous dites non, je repars, et vous avez fini de me voir.

— Jean de Calais, fais à ta volonté. Je consens à tout.

— Père, merci. Que le Bon Dieu vous récompense. »

Jean de Calais épousa donc l’aînée des filles, et reconnut la cadette pour son enfant. Au bout de neuf mois, sa femme accouchait d’un beau garçon. Un an plus tard, le père de Jean de Calais était mort.

Le temps du deuil fini, Jean de Calais manda un peintre fameux.

— « Peintre, voilà de l’or et de l’argent. Tire le portrait de ma femme. Tire le portrait de sa sœur. Tire le portrait de mon enfant. »

Un mois après, Jean de Calais était obéi. Alors, il se fit apporter trois coffres, le premier pour le linge et les habits, le second pour l’or et l’argent, le troisième pour les portraits.

— « Valets, attelez ma voiture, et chargez-y ces trois coffres. »

Cela fait, Jean de Calais embrassa toute sa famille.

— « Adieu, femme. Adieu, mes enfants. Je pars pour un grand voyage. Quand je serai de retour, vous en saurez davantage. Pensez à moi. Si je puis, je vous manderai de mes nouvelles. »

Jean de Calais partit. Trois jours après il s’embarquait à Bordeaux. Un mois plus tard il arrivait, avec ses trois coffres, à Lisbonne, en Portugal. Là, il loua un beau logement, sur la plus grande place de la ville, juste à mi-chemin entre le Louvre du roi de Lisbonne, en Portugal, et la cathédrale. Il loua aussi une belle voiture, attelée de quatre chevaux blancs, avec un cocher et deux laquais galonnés d’or.

Jean de Calais avait son plan. Le dimanche suivant, il cacha sous ses habits deux pistolets chargés à poudre, et cloua les trois portraits sur le côté droit de la voiture. Cela fait, il dit au cocher :

— « Touche du côté de la cathédrale. Le roi et la reine vont revenir de la grand’messe. Tâche de passer ras de leur voiture, en leur montrant le côté droit de la mienne.

— Maître, vous serez obéi. »

En passant près de la voiture du roi, Jean de Calais déchargea ses deux pistolets en l’air. Alors, le peuple s’ameuta.

— « À mort, l’étranger ! À mort, l’assassin ! Il a tiré sur le roi et sur la reine. À mort ! À mort !

— Étranger, dit le roi, que t’avons-nous fait ? Pourquoi as-tu voulu nous tuer, moi et la reine ?

— Roi, ces deux pistolets n’étaient chargés qu’à poudre. J’ai voulu vous forcer à regarder ces trois portraits. »

Alors, le roi et la reine regardèrent ces trois portraits, et se mirent à pleurer.

— « Étranger, parle. Parle vite. Parle-nous de ces trois portraits.

— Roi, voici ma femme. Roi, voici notre fils. Roi, voici la sœur cadette de ma femme, que j’ai reconnue pour mon enfant.

— Étranger, ces deux filles sont les miennes.

— Roi, je les ai payées six mille pistoles au capitaine de pirates qui vous les avait volées.

— Étranger, comment t’appelles-tu ?

— Roi, je m’appelle Jean de Calais.

— Jean de Calais, monte dans ma voiture, et viens dîner avec nous. »

Jean de Calais obéit. Le roi le fit attabler à sa droite, avant les plus grands nobles du pays.

— « Mes amis, voici mon gendre. Voici l’homme qui vous commandera quand je serai mort. Jean de Calais, ce soir même, tu vas partir pour un grand voyage. Ainsi, bois, mange, ne te laisse manquer de rien. Ce soir même, tu vas retourner dans ton pays, et ramener ici mes deux filles et mon petit-fils. »

Ce qui fut dit fut fait. Le soir même, Jean de Calais s’embarquait sur un beau navire, plein de beaux messieurs et de belles dames, qui s’en allaient à Bordeaux. Parmi ces passagers, se trouvait un jeune homme, honnête et serviable comme pas un. Jean de Calais en fit vite son grand ami, et lui confia tous ses secrets.

Une nuit, tous deux devisaient, à l’accoutumé, penchés sur le bordage du navire. Le temps était superbe, et la lune montait claire et brillante dans le ciel.

— « Quel bonheur ! mon grand ami, disait Jean de Calais. Chaque jour me rapproche de Bordeaux. Bientôt, je reverrai ma femme et mes enfants. Bientôt, nous repartirons tous quatre, pour vivre heureux à Lisbonne, en Portugal. Mon grand ami, je n’oublierai jamais tes services. Ne nous quittons plus. J’ai de quoi te faire riche.

— Jean de Calais, je le veux bien. »

Mais cet homme était un traître, qui depuis longtemps guettait l’occasion de faire un mauvais coup. Il fit semblant de ramasser quelque chose à terre, empoigna vite Jean de Calais par les jambes, et le lança dans la mer grande. Le malheureux nageait, en criant au secours. Nul ne vint. Déjà le navire filait à perte de vue.

Jean de Calais nageait toujours. Mais il sentait que cela ne pouvait durer.

— « Sainte Vierge, ayez pitié de moi. »

En ce moment, un grand Oiseau Blanc volait dans la nuit, en rasant la mer grande.

— « Jean de Calais, je suis l’âme du pauvre mort. Jean de Calais tu m’as fait service. Je ne l’ai pas oublié. Mon secours ne te manquera pas. »

Et le grand Oiseau Blanc s’envola je ne sais où.

Jean de Calais nageait toujours. Mais il sentait que cela ne pouvait durer.

— « Le grand Oiseau Blanc a menti. Sainte Vierge, ayez pitié de moi. »

En ce moment, une poutre passa flottant sur la mer. Vite, Jean de Calais la saisit, et monta dessus.

— « Merci, sainte Vierge. Vous avez eu pitié de moi. Le grand Oiseau Blanc n’a pas menti. »

Pendant trois jours et trois nuits, Jean de Calais flotta, sans manger ni boire, sans rien voir que le ciel et l’eau. Enfin, il aborda presque mort sur un rocher, sur un rocher sans arbres ni verdure, au milieu de la mer grande.

— « Sainte Vierge, ayez pitié de moi. Sur ce rocher, je mourrai de soif et de faim. »

En ce moment, un grand Oiseau Blanc volait, en rasant le rocher.

— « Jean de Calais, je suis l’âme du pauvre mort. Jean de Calais, tu m’as fait service. Je ne l’ai pas oublié. Mon secours ne te manquera pas. Tiens, voici une miche de pain et une jarre de vin. Compte qu’une fois par semaine je t’en apporterai autant. »

Et le grand Oiseau Blanc s’envola je ne sais où.

Mais il revint une fois chaque semaine, avec une miche de pain et une jarre de vin. Cela dura longtemps, bien longtemps.

Pendant que Jean de Calais vivait ainsi, le traître qui avait surpris tous ses secrets, et qui l’avait jeté dans la mer grande, s’était rendu petit à petit maître et seigneur dans son château. D’abord, il s’était présenté vêtu de deuil.

— « Bonjour, Madame. Je vous apporte de tristes nouvelles. Jean de Calais est mort. »

Alors, tous les gens du château se prirent à crier et à pleurer.

— « Oui, Jean de Calais est mort. J’étais son grand ami. Il m’a dit tous ses secrets. Interrogez-moi. Je suis en état de vous répondre sur tout. Oui, Jean de Calais est mort, noyé dans la mer grande. Gardez-moi chez vous. Je serai votre intendant ; mais je ne veux pas de gages. Chaque matin et chaque soir, nous prierons Dieu de mettre en paix l’âme de mon grand ami. »

Ce qui fut dit fut fait. Au bout de quatre ans, l’intendant commandait en maître et seigneur dans la maison. Devant lui, maîtresses et valets tremblaient comme la feuille, et n’osaient pas souffler mot.

Un jour, l’intendant dit à sa maîtresse :

— « Madame, Jean de Calais est mort, et bien mort, noyé dans la mer grande. Il faut nous marier. »

La maîtresse se méfiait, mais elle avait peur de dire non.

— « Intendant, je te demande un an pour y penser.

— Madame, je vous donne un an. »

Au bout d’un an, l’intendant dit à sa maîtresse :

— « Madame, il est temps de nous marier. »

La maîtresse se méfiait ; mais elle avait peur de dire non.

— « Intendant, je te demande encore un an, pour filer mon trousseau, avec ma sœur et mes servantes.

— Madame, je vous donne encore un an. »

Au bout d’un an, l’intendant dit à sa maîtresse :

— « Madame, il est temps de nous marier. »

La maîtresse se méfiait ; mais elle avait peur de dire non.

— « Intendant, je te demande encore un an, pour coudre mon trousseau, avec ma sœur et mes servantes.

— Madame, je vous donne encore un an, mais pas plus. »

Pendant que ces tristes choses se passaient dans sa maison, Jean de Calais vivait toujours sur son rocher, sur son rocher sans arbres ni verdure, au milieu de la mer grande. Chaque semaine, le grand Oiseau Blanc lui apportait une miche de pain et une jarre de vin.

Un matin, à la pointe de l’aube, le grand Oiseau Blanc parla.

— « Jean de Calais, il se passe chez toi de tristes choses. Aujourd’hui même, ta femme sera forcée d’épouser son intendant, d’épouser le traître qui t’a jeté dans la mer grande. Jean de Calais, promets-moi la moitié de ce que tu aimes le mieux, et dans une heure je te porte sur le seuil de ton château.

— Grand Oiseau Blanc, je te promets la moitié de ce que j’aime le mieux. »

Alors, le grand Oiseau Blanc planta son bec et ses serres dans les cheveux de Jean de Calais, et partit comme un éclair au-dessus de la mer grande. Une heure après, il le déposait sur le seuil de sa maison.

— « Jean de Calais, j’ai tenu ma promesse. Le temps est proche, où je te demanderai de tenir la tienne. »

Et le grand Oiseau Blanc s’envola je ne sais où.

Depuis sept ans que Jean de Calais vivait sur son rocher, sur son rocher sans arbres ni verdure, jamais il n’avait fait couper ses cheveux, ni raser sa barbe. Ses habits tombaient en lambeaux. Le pauvre homme s’en alla, comme un mendiant, jusqu’à la porte de la cuisine, où les servantes avaient fort à faire pour préparer le dîner de noces.

— « Une petite aumône, s’il vous plaît, servantes, pour l’amour de Dieu et de la sainte Vierge Marie. Pater noster, qui es in cœlis

— Au large, pouilleux. Garde pour toi ta vermine. Tiens, prends cette écuelle de soupe, ce morceau de pain, cette bouteille, et va te rassasier à l’écurie. »

Jean de Calais obéit. Pendant qu’il buvait et mangeait, la sœur de sa femme entra dans l’écurie, portant une assiette pleine de fricot.

— « Pauvre, nos servantes sont des rien qui vaille. Elles t’ont chassé de la cuisine, sans te donner tout ce qu’il faut. Je t’en demande pardon. Tiens, voici pour toi ; mais prie Dieu pour nous. »

Jean de Calais pria Dieu, et tomba sur le fricot. Depuis sept ans passés, il n’avait rien mangé de pareil.

— « Merci, mie. Que le Bon Dieu te récompense. Tu ne me reconnais pas. Mais moi, je te reconnais. Tu es la fille cadette du fils du roi de Lisbonne en Portugal. Moi, je suis Jean de Calais, le mari de ta sœur.

— C’est vrai, Jean de Calais. Je te reconnais maintenant.

— Mie, méfions-nous. Va dire à ma femme que je reviens de loin, et qu’elle vienne ici me parler en grand secret. »

La demoiselle obéit ; mais sa sœur ne voulait pas croire ce qu’elle entendait.

— « Ma sœur, ce pauvre ment. Pour mon malheur, Jean de Calais est mort. Il ne reviendra jamais, jamais. Pourtant va regarder ce pauvre, et lui parler encore une fois. »

La demoiselle obéit, et revint presque aussitôt.

— « Ma sœur, tu peux m’en croire. Jean de Calais est revenu. »

Alors, les deux sœurs descendirent secrètement à l’écurie, et l’aînée reconnut Jean de Calais.

— « Tu es mon mari ! Tu es mon mari !

— Tais-toi, pauvre femme. Nous deviserons plus tard. Maintenant, montons vite dans ta chambre. »

Ce qui fut dit fut fait. Une fois dans la chambre, Jean de Calais poussa les verrous, et ferma la porte à double tour.

— « Femme, vite une épée. Bien. Et maintenant, vite, des ciseaux. Vite, un rasoir et du savon. Vite, du linge blanc, et de beaux habits. Bien. Et maintenant, hâte-toi de t’habiller en mariée. »

La femme obéit. Pendant qu’elle s’habillait en mariée, Jean de Calais coupait ses cheveux, rasait sa barbe, mettait du linge blanc, passait ses beaux habits, et ceignait son épée.

— « Eh bien, femme, ai-je toujours l’air d’un pauvre mendiant ? »

En ce moment, un grand bruit de tambours et de trompettes se fit entendre. Devant le château, trente mille hommes vinrent se ranger en bataille, trente mille hommes commandés par deux rois couronnés d’or, et montés sur des chevaux blancs.

— « Femme, regarde. Regarde ton père, le roi de Lisbonne en Portugal. Depuis sept ans, le vieux brave homme s’est lassé de nous attendre. Le voici qui vient nous chercher, en compagnie du roi de France. Écoute, femme, cours vite les trouver. Fais comme si tu voulais épouser l’intendant. Fais comme si je n’étais pas là, et compte sur moi pour arriver au bon moment. »

La femme obéit.

— « Bonjour, roi de France. Bonjour, père. Tenez, voici ma sœur cadette. Toutes deux nous sommes heureuses, bien heureuses de vous revoir.

— Embrassons-nous, mes filles, et remercions le roi de France. Sans lui, je vous chercherais encore. Et maintenant, préparez-vous à me suivre. Dans trois jours, nous serons à Bordeaux. Dans quatre, nous serons embarqués pour Lisbonne en Portugal. »

Alors, l’intendant parla.

— « Roi de Lisbonne en Portugal, écoutez. Voilà trois ans, jour pour jour, que votre fille aînée m’a promis mariage. J’entends qu’elle acquitte sa promesse.

— Ma fille, réponds. Cet homme dit-il la vérité ?

— Père, cet homme dit la vérité. Mais je lui ai promis mariage, parce qu’il me faisait peur, et parce qu’il m’a juré par son âme que mon mari, Jean de Calais, était mort noyé dans la mer grande.

— Madame, je le jure encore par mon âme. Jean de Calais est mort noyé dans la mer grande. Vous m’avez promis mariage. J’entends que vous acquittiez votre promesse. — Roi de France, jugez-nous. »

Alors, Jean de Calais parut.

— « Roi de France, jugez-nous. Cet homme en a menti comme un chien qu’il est. Je suis Jean de Calais. Soyez témoins, maîtresses et valets de ce château.

— Oui, oui, cet homme est Jean de Calais.

— Merci, braves gens. Roi de France, je reprends ma femme. Mais vous n’avez pas fini de juger. Roi de France, j’avais fait de cet homme mon grand ami. Par trahison, il me jeta dans la mer grande. Mais je ne m’y noyai pas. Un grand Oiseau Blanc me secourut. Sur une poutre, je flottai trois jours, sans manger ni boire, sans rien voir que le ciel et l’eau. Enfin, j’abordai sur un rocher, sur un rocher sans arbres ni verdure. Là, pendant sept ans, le grand Oiseau Blanc m’a nourri. Chaque semaine, il m’apportait une miche de pain, et une jarre de vin. Ce matin, à la pointe de l’aube, le grand Oiseau Blanc m’a dit : « Jean de Calais, il se passe chez toi de tristes choses. Aujourd’hui même, ta femme sera forcée d’épouser son intendant, le traître qui t’a jeté dans la mer grande. Jean de Calais, promets-moi la moitié de ce que tu aimes le mieux, et dans une heure tu seras sur le seuil de ton château. » J’ai promis, et le grand Oiseau Blanc m’a tenu parole. Roi de France, jugez-nous.

— Roi de France, répondit l’intendant, cet homme en a menti. Je le jure par mon âme.

— J’en ai menti, traître. Il y a un Bon Dieu au ciel. Le Bon Dieu est juste. Tire ton épée, et faisons bataille. »

En ce moment, un grand Oiseau Blanc vint se percher sur la plus haute tour du château.

Du haut de la tour du château, le grand Oiseau Blanc parla.

— « Roi de France, écoute. Je suis bon témoin. Ceux qui sont en paradis n’en reviennent pas pour mentir. Roi de France, je suis l’âme d’un pauvre mort. Plus loin que Marmande, mon corps gisait au bord de la Garonne, nu comme un ver, et rongé des chiens. Ainsi le veut la coutume de ce pays, quand un homme meurt sans payer ses dettes. Jean de Calais a payé pour moi. Il m’a fait porter au cimetière. Il m’a fait dire des messes. Il est venu, à minuit, prier Dieu sur ma fosse. Voilà comment Jean de Calais m’a fait service. Je ne l’ai pas oublié. Voilà pourquoi je l’ai secouru sur la mer grande, et nourri sept ans sur un rocher, sur un rocher sans arbres ni verdure. Voilà pourquoi je l’ai porté, dans une heure, sur le seuil de ton château. Roi de France, Jean de Calais a bon droit. Je ne veux pas qu’il fasse bataille contre le traître qui l’a lancé dans la mer grande. »

Le grand Oiseau Blanc se tut. Alors, le roi de France manda le bourreau et ses valets.

— « Bourreau, voici cent pistoles. Prends ce rien qui vaille, et fais-le périr écartelé. »

Le bourreau et ses valets attachèrent un cheval à chaque bras et à chaque jambe de l’intendant, et tombèrent sur les quatre bêtes à grands coups de fouet.

— « Hue ! hue ! rosses ! Hue ! carcans ! Hue, donc. »

Voilà comment l’intendant périt écartelé.

Alors, du haut de la tour, le grand Oiseau Blanc parla.

— « Roi de France, tu as commandé selon la justice. Pourtant, tu n’as pas fini de juger. Devant toi, Jean de Calais a confessé qu’il m’avait promis la moitié de ce qu’il aime le mieux. J’entends qu’il acquitte sa promesse. Ce qu’il aime le mieux, c’est son enfant. J’entends qu’il le coupe en deux, et qu’il m’en donne la moitié.

— Jean de Calais, dit le roi de France, tu as promis. Il faut payer. Tire ton épée, et fais deux portions de ton enfant.

— Roi de France, je veux payer double. Tiens, grand Oiseau Blanc, prends mon enfant tout entier.

— Jean de Calais, tu m’en a promis la moitié. Je n’en veux que la moitié. Obéis au roi de France. Tire ton épée, et fais deux portions de ton enfant. »

Jean de Calais tira son épée. Il était pâle comme un mort.

— « Jean de Calais, arrête, cria le grand Oiseau Blanc. Ce que tu m’avais promis, je te le donne. Garde ton enfant tout entier. Jean de Calais, tu m’as fait service. Je t’ai payé. Nous sommes quittes. Adieu. Je m’en retourne en paradis. »

Et le grand Oiseau Blanc s’envola. On ne l’a revu jamais, jamais.

Le lendemain, Jean de Calais et tous les siens s’embarquaient à Bordeaux. Un mois après, ils étaient à Lisbonne en Portugal. Alors, le roi dit à son gendre :

— « Jean de Calais, je suis vieux. Désormais, j’entends que tu commandes à ma place. »

Ce qui fut dit fut fait. Jean de Calais commanda selon le droit et la justice, et vécut longtemps

heureux parmi les siens[17].

II

le souper des morts



Il ne faut jamais se moquer des morts. Vous allez en avoir la preuve.

Un monsieur, qui traversait un cimetière, trébucha contre une tête de mort. Alors, il se mit en colère, et donna un grand coup de pied à la tête. Cela fait, il dit en riant :

— « Tête de mort, je t’ai maltraitée. Si tu es sans rancune, tu viendras souper avec moi, ce soir à huit heures. »

La tête de mort ne répondit rien, et le monsieur s’en revint dans son château. Le soir, sur le premier coup de huit heures, il allait se mettre à table, quand on entendit frapper un grand coup à la maîtresse-porte. Aussitôt, un valet descendit ; mais il remonta vite, vite, pâle comme un linge, et tremblant comme la feuille.

— « Monsieur, monsieur, voici un squelette, enveloppé d’un grand linceul. »

Le valet parlait encore, quand le mort entra dans la chambre.

— « Je viens souper avec toi. Tu vois que je n’oublie rien.

— Mort, tu es un homme de parole. — Allons, valet. Vite une chaise. Vite, un couvert. Vite, fais porter le souper, et monte-nous du vin vieux. »

Le mort s’attabla donc en face du monsieur, qui ne le laissait manquer de rien.

— « Allons, mort, buvons un coup.

— Merci. Les morts ne boivent pas.

— Mange, alors.

— Je mangerai tant que tu voudras. »

Le maître du château avait fort à faire, pour tenir toujours pleine l’assiette de son invité. Mais le mort ne faisait que semblant de manger, et jetait sous la table tout ce qu’il avait l’air de porter à sa bouche. Le souper fini, le mort dit à son compagnon :

— « Ton souper était bon. Maintenant, c’est à moi de t’inviter. Je t’attends demain, à minuit, dans l’église qui est au milieu de mon cimetière. Si tu ne viens pas, il t’arrivera de grands malheurs.

— Mort, fais mettre mon couvert. »

Le mort repartit pour son cimetière. Sur-le-champ, le maître du château s’en alla tout conter à un vieux curé fort savant.

— « Mon ami, dit le curé, il faut tenir parole. Mais fais semblant de boire et de manger, et n’avale rien de ce que le mort mettra dans ton verre et dans ton assiette. Je t’accompagnerai, pour te garder de tout malheur. Viens me prendre ici demain, une heure avant minuit. »

Le lendemain, une heure avant minuit, le curé et son compagnon partirent. La nuit était noire, les fenêtres de l’église brillaient, et l’on sentait une bonne odeur de cuisine.

— « Laisse-moi faire, dit le curé. »

Sur le premier coup de minuit, le curé frappa à la porte ; mais elle ne s’ouvrit pas. Alors, l’invité frappa lui-même. Aussitôt, la porte s’ouvrit et se referma, laissant dehors le curé, qui s’agenouilla pour prier Dieu.

Tous les cierges de l’église étaient allumés. La table était mise dans le sanctuaire, devant le maître-autel et je ne sais combien de morts, vêtus de linceuls, achevaient de faire la cuisine.

— « Allons, mon ami, tu es homme de parole. Asseyons-nous, et ne laissons pas refroidir la soupe. »

Tous les morts s’attablèrent, et le monsieur se mit en face de celui qui l’avait invité. Mais il se souvenait des recommandations du curé. Il faisait semblant de boire et de manger, et jetait adroitement sous la table tout ce qu’il avait l’air de porter à sa bouche.

Le souper fini, le mort dit :

— « Homme, tu as été bien conseillé. Si tu n’étais pas venu cette nuit, il te serait arrivé de grands malheurs. Si tu avais mangé une miette de pain, si tu avais bu une goutte de vin, tu étais mort sur-le-champ. Fais dire pour nous cent messes

par le curé qui t’attend, et n’insulte plus les morts[18]. »

III

le cœur mangé



Un soir de carnaval, un galant dit à sa belle :

— « Belle, quand m’aimerez-vous ?

— Je t’aimerai quand tu m’auras donné la Fleur Dorée, la fleur qui chante au soleil levant.

— Adieu, belle. Attendez-moi le soir de la Saint-Philippe[19], sur le seuil de votre maison.»

Le soir de la Saint-Philippe, la belle attendait son galant sur le seuil de sa maison.

— « Bonjour, belle. Voici la Fleur Dorée, la fleur qui chante au soleil levant. Belle, dites-moi que vous m’aimez.

— Galant, je t’aime. Mon Dieu ! comme tu es pâle.

— Pâle, j’ai bien raison d’être pâle. Cent loups noirs gardaient la Fleur Dorée, la fleur qui chante au soleil levant. Ils m’ont tant et tant mordu, que j’ai perdu la moitié de mon sang. Belle, dites-moi quand nous fiancerons.

— Galant, nous fiancerons quand tu m’auras donné l’Oiseau Bleu, l’oiseau qui parle et qui raisonne comme un chrétien.

— Adieu, belle. Attendez-moi, le soir de la Saint-Roch[20], sur le seuil de votre maison. »

Le soir de la Saint-Roch, la belle attendait son galant sur le seuil de sa maison.

— « Bonsoir, belle. Voici l’Oiseau Bleu, l’oiseau qui parle et qui raisonne comme un chrétien. Dites-moi quand nous épouserons.

— Galant, nous épouserons, quand tu m’auras donné le Roi des Aigles, le Roi des Aigles prisonnier dans une cage de fer. Mon Dieu, galant, comme tu es triste.

— Triste, j’ai bien raison d’être triste. L’Oiseau Bleu, l’oiseau qui parle et qui raisonne comme un chrétien, dit que vous ne m’aimez pas.

— Oiseau Bleu, tu en as menti. Tout-à-l’heure je te plumerai, je te ferai cuire tout vif.

— Adieu, belle. Attendez-moi, le soir de la Saint-Luc[21], sur le seuil de votre maison. »

Le soir de la Saint-Luc, la belle attendait sur le seuil de sa maison.

— « Mère, mère, mon galant ne revient pas.

— À table, ma fille. Ton galant arrivera pendant le souper. »

Après souper, la belle attendait sur le seuil de sa maison.

— « Mère, mère, mon galant ne revient pas.

— Au lit, ma fille. Ton galant arrivera demain matin. »

La belle alla se coucher. Mais à minuit, elle se leva doucement, bien doucement, et attendit sur le seuil de sa maison.

— « Bonsoir, belle. Le Roi des Aigles est plus fort que moi. Cherchez qui vous le donne, prisonnier dans une cage de fer.

— Galant, quel est ce trou rouge à ta poitrine ?

— Belle, c’est la place de mon cœur. Le Roi des Aigles l’a mangé. Nous n’épouserons jamais, jamais. »

Et le galant s’en alla dans la nuit noire. Le lendemain, la belle se rendit religieuse dans un couvent de Carmélites, et porta le voile noir

jusqu’à la mort[22].

IV

la flûte



Il y avait, une fois, un roi qui avait deux garçons. Un matin, à la pointe de l’aube, il les manda dans sa chambre et leur dit :

— « Je suis vieux, et je ne veux plus être roi. J’ai caché dans un bois un petit rameau d’or et une pomme d’orange. Celui de vous qui les trouvera sera mon héritier. »

Les deux frères partirent loin, loin, loin, à travers le bois, chercher le petit rameau d’or et la pomme d’orange. Ils cherchèrent longtemps, longtemps, longtemps, et ne trouvèrent jamais rien.

Quand le soleil vint à baisser, les deux frères dirent :

— « La nuit va venir. Nous ne pourrons plus chercher. Il faut nous en retourner au château de notre père. Mais que fera-t-il, quand nous lui dirons que nous n’avons rien trouvé ? »

Ils s’en retournèrent tous deux vers le château. Mais, tout en s’en retournant, le plus jeune des deux frères trouva, dans le creux d’un chêne, le petit rameau d’or et la pomme d’orange.

Que fit alors l’aîné ? Il tua son frère d’un coup d’épée, le cacha dans le creux du chêne, et s’en alla présenter au roi le petit rameau d’or et la pomme d’orange.

— « Fils, dit le roi, où as-tu laissé ton frère cadet ?

— Père, les bêtes sauvages l’ont mangé. »

Alors, le roi fit l’aîné son héritier, le mit roi à sa place, et le maria avec une princesse belle comme le jour.

Cette princesse accoucha d’une fille. Quand cette fille fut grandelette, à l’âge de sept ans, elle alla se promener dans le bois où son grand-père avait autrefois caché le petit rameau d’or et la pomme d’orange. Dans le creux d’un chêne, elle trouva un os blanc comme neige. Elle s’en fit une flûte, et la flûte se mit à chanter :

— « Touchez-moi, petite demoiselle. Certes, vous pouvez bien me toucher. Au bois je m’en étais allé, chercher le petit rameau d’or et la pomme d’orange. Mon frère me les a pris. Il m’a tué, et m’a caché dans le creux d’un chêne. »

La petite fille s’en revint au château. Elle trouva son grand-père et son père attablés.

Le vieux roi joua de la flûte, et la flûte se mit à chanter :

— « Touchez-moi, père. Certes, vous pouvez bien me toucher. Au bois je m’en étais allé, chercher le petit rameau d’or et la pomme d’orange. Mon frère me les a pris. Il m’a tué, et m’a caché dans le creux d’un chêne. »

Le nouveau roi joua de la flûte, et la flûte se mit à chanter :

— « Touchez-moi, frère. Certes, vous pouvez bien me toucher. Avec vous, au bois je m’en étais allé, chercher le petit rameau d’or et la pomme d’orange. Vous me les avez pris. Vous m’avez tué, et caché dans le creux d’un chêne[23]. »


III

CONTES DIVERS

I

le prince des sept vaches d’or



Il y avait, une fois, un prince riche comme la mer, et encore plus généreux que riche. On l’appellait le Prince des Sept Vaches d’Or, parce qu’il avait réellement sept vaches d’or dans ses armes, peintes sur la grande porte de son château.

Chaque jour, le Prince des Sept Vaches d’Or faisait de grandes aumônes, en sortant de la messe. Chaque jour, il invitait à dîner cent amis, qui s’en retournaient chargés de présents. Aussi, les pauvres et les invités lui disaient-ils partout et toujours :

— « Prince des Sept Vaches d’Or, votre pareil est à naître. Pour vous, nous traverserions l’eau et le feu.

— Merci, mes amis. »

Un soir que le Prince des Sept Vaches d’Or était tout seul dans sa chambre, il vit entrer un jeune homme qui pleurait.

— « Mon ami, que demandes-tu ? Dis-moi pourquoi tu pleures.

— Prince des Sept Vaches d’Or, je vous demande un grand service, et j’ai bien raison de pleurer. Depuis l’âge de sept ans, j’ai perdu mon père et ma mère. Mais les aumônes ne m’ont pas manqué, jusqu’à ce que j’ai été assez grand pour gagner ma vie. Je m’étais fait une maîtresse, belle comme le jour, et sage comme une sainte. Nous allions nous marier, mais ma maîtresse est morte ce matin. Maintenant, j’ai fini de parler aux filles. Si je savais le latin, pour comprendre ce qui est écrit dans le missel, je me ferais moine. Prince des Sept Vaches d’Or, vous êtes riche et aumônier. Donnez-moi cent écus, pour porter le deuil de ma maîtresse, et pour lui faire dire des messes.

— Mon ami, tu n’auras pas cent écus. Voici cent pistoles[24]. C’est à prendre ou à laisser.

— Prince des Sept Vaches d’Or, que le Bon Dieu et la sainte Vierge Marie vous paient votre charité. »

Le jeune homme partit avec ses cent pistoles. Trois jours après, il revint vêtu de deuil.

— « Prince des Sept Vaches d’Or, vous m’avez fait beaucoup de bien. Si vous voulez, je vous servirai toute ma vie. Mais je ne veux pas de gages. C’est à prendre ou à laisser.

— Mon ami, je te prends à mon service. Tu n’auras pas de gages. On t’appellera le Valet noir, et tu auras un grand pouvoir sur tous les autres serviteurs du château. »

Au bout d’un mois, le Valet noir savait mieux que personne les affaires de son maître, et il vint lui dire en grand secret :

— « Prince des Sept Vaches d’Or, vous donnez et vous dépensez par dessus vos moyens. Encore un an de cette vie, et je vous vois sur la paille.

— Valet noir, tu ne sais pas ce que tu dis. Je n’ai ni femme ni enfants. Si par hasard j’étais sur la paille, mes amis ne me laisseraient manquer de rien.

— Prince des Sept Vaches d’Or, ne vous y fiez pas. »

Le lendemain, pendant le dîner, le Prince des Sept Vaches d’Or dit à ses invités :

— « Êtes-vous mes amis ?

— Oui, Prince des Sept Vaches d’Or. Votre pareil est à naître. Pour vous, nous traverserions l’eau et le feu.

— Eh bien, le Valet noir m’a dit de me méfier de vous.

— Le Valet noir est une canaille. Il vous pille nuit et jour. Chassez-le. »

Le Prince des Sept Vaches d’Or chassa donc, comme un voleur, le Valet noir, qui lui avait réellement volé assez d’or et d’argent, pour acheter un beau moulin sur la rivière du Gers, et un château, avec un bois et sept métairies.

Un an plus tard, le Prince des Sept Vaches d’Or recevait la visite des huissiers et des recors. Il manda tous ses amis.

— « Mes amis, vous me dites chaque jour : « Prince des Sept Vaches d’Or, votre pareil est à naître. Pour vous, nous traverserions l’eau et le feu. » Eh bien, je n’ai plus rien. Je suis sur la paille. Les huissiers et les recors me chassent de chez moi. Aidez-moi selon vos moyens.

— « Ah, glorieux ! Tu t’es ruiné à faire l’aumône. Dis aux pauvres de t’aider. »

Le Prince des Sept Vaches d’Or sortit, insulté par ses anciens amis. Sur la porte du château, les pauvres se mirent à crier :

— « Bonjour, Prince de la Bourse-Plate. Tes valets nous refusaient un morceau de pain. Ils nous lâchaient les chiens dans les jambes. Maintenant, te voilà gueux. Tu t’es mis sur la paille, à ribotter avec des fainéants et des gourmands. Mais il y a un Bon Dieu au ciel. Le Bon Dieu est juste, et tu es à l’aumône comme nous. »

Tout cela ne dura guère. Le Valet noir arrivait au grand galop de son cheval, une barre de chêne à la main, avec une meute de chiens, hauts et forts comme des taureaux.

— « Hardi, mes chiens ! Css ! css ! Mordez-les ! Tiens, ivrogne ! Tiens, cochon ! Tiens, voleur ! Attrapez cela, et mettez-y du sel[25]. Ah ! vous insultez le Prince des Sept Vaches d’Or. Pan ! pan ! »

Et le Valet noir frappait, à grand tour de bras, sur les nobles, sur les bourgeois et sur les pauvres. Quand tout ce sale monde fut loin, il descendit de cheval, et tira son berret.

— « Prince des Sept Vaches d’Or, vous n’êtes plus ici chez vous. Montez sur ce cheval. Il vous portera au logement que je vous ai préparé.

— Je ne vais pas chez un homme que j’ai chassé comme un voleur.

— Prince des Sept Vaches d’Or, je vous ai volé, c’est vrai. Mais c’était pour vous garder de quoi vivre, quand vous seriez sur la paille. »

Le Prince des Sept Vaches d’Or monta donc à cheval. Trois jours après, il arrivait au château. Pendant sept ans, le Valet noir le servit comme autrefois, sans vouloir de gages, et ne lui vola plus un liard.

Un soir, après souper, le Prince des Sept Vaches d’Or manda le Valet noir dans sa chambre.

— « Valet noir, je suis content de toi. Je vais te dire un grand secret.

— Prince des Sept Vaches d’Or, parle. Je sais écouter, et je n’ai jamais passé pour bavard.

— Valet noir, si j’avais voulu, il y a longtemps que je serais redevenu encore plus riche qu’autrefois. Mais, sauf moi et toi, la terre n’est habitée que par la canaille. Voilà pourquoi je ne cherche plus d’amis, et pourquoi je ne fais plus d’aumônes. Valet noir, je suis vieux. Dans un an, je serai sous terre. Avant de partir, je veux t’apprendre à faire la flûte et à jouer l’air qui font sortir les Sept Vaches d’Or de terre, la nuit de la Saint-Jean, depuis minuit jusqu’au lever du soleil. Va-t-en seller deux chevaux à l’écurie, prends une hachette, et viens m’appeler quand tout sera prêt. »

Le Valet noir sortit, et revint un quart d’heure après.

— « Prince des Sept Vaches d’or, tout est prêt. »

Ils partirent au grand galop. C’était un vendredi soir, le dernier de l’année. Il gelait fort, et le ciel noir était criblé d’étoiles. À minuit juste, les cavaliers arrivaient à un carrefour, où il y avait un cimetière, au bord d’une mare pleine de grands roseaux.

— « Valet noir, si tu tiens à vivre, écoute bien, et fais de point en point tout ce que je vais te commander. Tu vas descendre de cheval, prendre ta hachette, et couper ras de terre le plus grand de ces roseaux. Le roseau se défendra comme il pourra. Par trois fois, il changera de forme, et te fera voir des choses qui ne sont pas. N’y prends pas garde, et fais ton travail. Songe bien que tu n’as que trois coups à donner. Si, au troisième, le roseau n’est pas à bas, la terre t’avalera tout vivant.

— Prince des Sept Vaches d’Or, vous serez obéi. »

Quand le roseau vit que le Valet noir levait sa hachette pour le premier coup, il se changea en grand serpent à sept têtes.

Mais le Valet noir se méfiait. Il frappa sans peur ni crainte.

Quand le roseau vit que le Valet noir relevait sa hachette pour le second coup, il se changea en petit enfant qui vient de naître, et qui n’est pas encore baptisé.

Mais le Valet noir se méfiait. Il frappa sans peur ni crainte.

Quand le roseau vit que le Valet noir relevait sa hachette pour le troisième coup, il se changea en jeune fille, pareille à la maîtresse morte du Valet noir.

Alors, le pauvre homme se mit à trembler comme la feuille. Mais il se souvint de ce que le Prince des Sept Vaches d’Or lui avait dit, et il frappa sans peur ni crainte.

— « Prince des Sept Vaches d’Or, le roseau est à bas.

— Coupes-en de quoi faire une flûte, et partons. »

En entrant au château le Prince des Sept Vaches d’Or dit :

— « Valet noir, chaque nuit, quand les gens du château seront endormis, viens dans ma chambre, je t’enseignerai l’air qui ne peut être joué que sur la flûte que tu feras avec ce roseau. »

Ce qui fut dit fut fait. Le matin de la Saint-Jean venu, le Prince des Sept Vaches d’Or dit :

— « Valet noir, ce soir, quand tous les gens du château seront endormis, prends ta flûte, deux grands chaudrons, sept sacs de bonne toile de chanvre, et ne manque pas de te trouver, à minuit, au bord du Gers, dans la prairie qui est au-dessus de mon moulin. »

À l’heure convenue, tous deux étaient dans la prairie. Quand les étoiles marquèrent minuit, le Prince des Sept Vaches d’Or dit :

— « Valet noir, joue de la flûte. »

Le Valet noir obéit. Aussitôt, Sept Vaches d’Or sortirent de terre. Elles vinrent saluer leur Prince, et se mirent à paître au clair de la lune.

— « Valet noir, prends une Vache d’Or, moi l’autre, et trayons-les chacune dans un chaudron. Après celles-là, ce sera le tour des autres. »

Une heure après, les deux chaudrons étaient pleins de lait, qui se changea aussitôt en doubles louis d’or, et en quadruples d’Espagne. Le Prince des Sept Vaches d’Or en remplit deux sacs de bonne toile de chanvre, et les noya dans le Gers.

Après les deux premières Vaches d’Or, ce fut le tour des cinq autres. Avant le lever du soleil, les Sept Vaches d’Or étaient rentrées sous terre, et cinq autres sacs de doubles louis d’or et de quadruples d’Espagne étaient noyés dans le Gers.

— « Valet noir, tu sais où sont les sept sacs. Je te les donne. Pêche-les à ton loisir, et prends garde que nul ne te voie. Maintenant, rentrons au château. »

Un mois après la Saint-Jean, le Prince des Sept Vaches d’Or était sous terre. Le Valet noir n’épargna rien pour l’enterrement, ni pour les messes hautes et basses. Cela fait, il partit pour le pays où le Prince des Sept Vaches d’Or s’était mis sur la paille, à combler ses amis de dîners et de présents, et à faire de grandes aumônes. Une heure après la venue du Valet noir, le tambour du village criait partout :

— « Ran plan plan, ran plan plan, ran plan plan. Vous êtes avertis que le Prince des Sept Vaches d’Or est mort. Il était redevenu plus riche que jamais. Le Valet noir est son héritier. Pour obéir au commandement de son maître, l’héritier comptera mille pistoles à chacun des amis du mort, et cent écus à chaque pauvre du pays. Demain matin, tout le monde sera payé, »

Le lendemain matin, les amis et les pauvres étaient si nombreux, qu’on eût dit un jour de grande foire au village.

— « Pauvre Prince des Sept Vaches d’Or ! Il ne nous a pas oubliés. Pour lui, nous aurions traversé l’eau et le feu. »

Tout cela ne dura guère. Le Valet noir arrivait au grand galop de son cheval, une barre de chêne à la main, avec une meute de chiens, hauts et forts comme des taureaux.

— « Hardi, mes chiens ! Css ! css ! Mordez les ! Tiens, ivrogne ! Tiens, cochon ! Tiens, voleur ! Attrapez cela, et mettez-y du sel. Voilà les legs du Prince des Sept Vaches d’Or. Pan ! pan ! » Et le Valet noir frappait à grand tour de bras sur les nobles, sur les bourgeois et sur les pauvres. Quand tout ce sale monde fut loin, le Valet noir repartit pour le pays où son maître était enterré. Là, il apprit le latin, et tout ce qu’il faut savoir pour être moine. Alors, il fit bâtir un couvent, où l’on priait Dieu nuit et jour pour l’âme du

Prince des Sept Vaches d’Or[26].

II

le pou



Il y avait une fois, à Aurenque[27], un meunier et une meunière qui avaient une fille, jolie comme un cœur, et honnête comme l’or. Chaque jour, après dîner, ils l’envoyaient garder leur bétail, jusqu’à la nuit, dans les prés qui bordent la rivière du Gers.

Un soir, la petite meunière, assise au pied d’un vieux saule creux, gardait en filant sa quenouille. Tout en filant sa quenouille, la petite meunière pensait :

— « Aujourd’hui, j’ai dix-huit ans sonnés. Bientôt, quelque beau garçon viendra me demander en mariage à mes parents. »

En ce moment, un pauvre à grande barbe blanche cheminait le long du Gers, le bâton à la main, la besace sur le dos.

— « Petite meunière, la charité pour l’amour de Dieu et de la sainte Vierge Marie. Pater noster…

— Tiens, pauvre, voici mon pain.

— Petite meunière, merci. Ta charité te sera payée. Petite meunière, je sais à quoi tu penses, tout en filant ta quenouille. Tu penses : « Aujourd’hui j’ai dix-huit ans sonnés. Bientôt, quelque beau jeune homme viendra me demander en mariage à mes parents. »

— Pauvre, tu as deviné juste. Qui es-tu ?

— Petite meunière, je suis Jean du Ramier[28]. Petite meunière, patience. Tu auras contentement. »

En ce moment, un homme, haut d’une toise et noir comme l’âtre, sortit du vieux saule creux. C’était Cagolouidors[29], un gueux plus méchant que cent diables, et qui avait grand pouvoir sur terre.

— « Jean du Ramier, dit-il, c’est moi qui me charge de trouver le beau jeune homme qui viendra demander la petite meunière en mariage à ses parents. »

Cagolouidors rentra dans le vieux saule creux, et Jean du Ramier reprit son chemin le long du Gers. Alors, la petite meunière ramena son bétail à l’étable. Chemin faisant, elle pensait :

— « Il se prépare pour moi de bien tristes choses. »

C’était vrai.

Une heure après le coucher du soleil, la petite meunière soupait avec ses parents. Tout-à-coup un grand bruit se fit entendre sur le toit du moulin. La cheminée fumait, fumait. Par le tuyau, tomba dans la chambre un homme haut d’une toise, noir comme l’âtre.

C’était Cagolouidors.

— « Bon appétit, braves gens. J’apporte un mari pour la petite meunière. »

Cagolouidors tira de sa poche une boîte, l’ouvrit, et jeta sur la table un pou gros comme un haricot.

— « Tiens, petite meunière, voici le beau garçon qui vient te demander en mariage à tes parents. Jean du Ramier l’avait choisi jeune, fort et hardi. Moi j’en ai fait ce que tu vois. Petite meunière, approche. Je vais arracher trois cheveux de ta tête, pour les cacher où il me plaira. Dans trois jours, je reviendrai. Si tu devines alors où sont cachés tes trois cheveux, ton Pou redeviendra, sur-le-champ, un beau garçon, jeune, fort et hardi. Sinon, je te condamne à l’épouser tel qu’il est, tel qu’il restera jusqu’à la mort. »

Tandis que Cagolouidors parlait ainsi, le Pou ne perdait pas son temps. Il grimpait, sans être vu, jusque dans l’oreille de la petite meunière. Alors, il lui souffla doucement, bien doucement :

— « Petite meunière, n’aie pas peur. Laisse faire Cagolouidors. Tes trois cheveux cachés, je me charge de les retrouver. Ainsi, je redeviendrai un beau garçon, jeune, fort et hardi.

— Cagolouidors, dit la petite meunière, voici ma tête. Prends-y ce qu’il te faut. »

Tandis que Cagolouidors arrachait les trois cheveux de la tête de la petite meunière, et les enroulait autour d’un petit morceau de bois, le Pou ne perdait pas son temps. Il descendait de l’oreille de la jeune fille, et se logeait dans les cheveux de son ennemi. Ainsi caché, il écoutait et regardait sans être vu.

Cagolouidors partit. Toute la nuit, il marcha du côté du midi, du côté de la ville d’Auch. Juste à la pointe de l’aube, il était à Auch, au quartier de Saint-Pierre[30], tout proche d’un puits profond et noir. Là, il regarda tout autour de lui, pour voir si nul ne le guettait, prit un des cheveux de la petite meunière, et le jeta dans le puits.

Mais le Pou, logé dans les cheveux de Cagolouidors, écoutait et regardait sans être vu.

Le premier cheveu ainsi caché, Cagolouidors s’en alla boire et manger dans une auberge. Puis, il entra dans la cathédrale de Sainte-Marie[31], se cacha, au bon moment, dans une pile de chaises, et s’endormit.

Mais le Pou, logé dans les cheveux de Cagolouidors, écoutait et regardait sans être vu.

Sur le premier coup de minuit, Cagolouidors se réveilla. Il sortit de sa cachette, alluma un cierge à la lampe du sanctuaire, enfonça, d’un coup d’épaule, la porte qui s’ouvre sur l’escalier des tours[32], monta jusqu’aux cloches, prit un autre des cheveux de la petite meunière, et le noua autour du battant du grand bourdon.

Mais le Pou, logé dans les cheveux de Cagolouidors, écoutait et regardait sans être vu.

Cela fait, Cagolouidors rentra dans sa cachette, pour ne s’échapper qu’au bon moment, juste à la pointe de l’aube, tandis que le carillonneur sonnait l’Angelus.

Mais le Pou, logé dans les cheveux de Cagolouidors, écoutait et regardait sans être vu.

Cagolouidors s’en revint boire et manger à son auberge. Puis il repartit, sans trop savoir où il s’en allait.

— « Attention, se disait-il en marchant. Tâche de cacher encore mieux que les deux autres ce dernier cheveu de la petite meunière. »

Tout le jour et toute la nuit, tout le lendemain, Cagolouidors chemina, sans jamais pouvoir se décider à choisir une cachette. Au coucher du soleil, il regarda autour de lui dans la campagne.

Sans le savoir, il était revenu tout proche d’Aurenque.

— « Mille Dieux ! Les trois jours vont être passés. Je n’ai pas encore choisi la cachette du dernier cheveu de la petite meunière. Bah ! Le mieux est encore de le laisser dans ma poche. Bien fin qui l’y devinera. »

Et Cagolouidors laissa dans sa poche le troisième cheveu de la petite meunière.

Mais le Pou, logé dans les cheveux de Cagolouidors, écoutait et regardait sans être vu.

Doucement, bien doucement, il descendit dans la poche, déroula le troisième cheveu, le noua autour du corps de Cagolouidors. Cela fait, il remonta vite à son poste.

Une heure après le coucher du soleil, la petite meunière soupait avec ses parents. Tout-à-coup un grand bruit se fit entendre sur le toit du moulin. La cheminée fumait, fumait. Par le tuyau, tomba dans la chambre, un homme haut d’une toise, et noir comme l’âtre.

C’était Cagolouidors.

— « Bon appétit, braves gens. Petite meunière, les trois jours sont passés. Si tu devines où sont cachés tes trois cheveux, ton Pou redeviendra, sur-le-champ, un beau garçon, jeune, fort et hardi. Sinon, je te condamne à l’épouser tel qu’il est, tel qu’il restera jusqu’à la mort. »

Tandis que Cagolouidors parlait, le Pou ne perdait pas son temps. Sans être vu, il quittait son poste, grimpait jusque dans l’oreille de la petite meunière, et lui soufflait doucement, bien doucement :

— « Petite meunière, n’aie pas peur. Je sais où sont cachés tes trois cheveux. Adroitement, bien adroitement, prends-moi dans ton oreille, et porte-moi dans ta bouche. Là, c’est moi qui me charge de répondre aux questions de Cagolouidors. »

La petite meunière obéit, et resta la bouche ouverte.

— « Petite meunière, dit Cagolouidors, dis-moi où j’ai caché le premier de tes cheveux.

— Cagolouidors, répondit le Pou, le premier de mes cheveux, tu l’as jeté dans le puits d’un jardin, dans un puits profond et noir, à Auch, au quartier de Saint-Pierre.

— Petite meunière, dis-moi où j’ai caché le second de tes cheveux.

— Cagolouidors, le second de mes cheveux, tu l’as noué autour du battant du grand bourdon de la cathédrale de Sainte-Marie d’Auch.

— Petite meunière, dis-moi où j’ai caché le dernier de tes cheveux.

— Cagolouidors, le dernier de mes cheveux, il est noué autour de ton corps.

— Petite meunière, tu en as menti. Le dernier de tes cheveux, je l’ai laissé dans ma poche.

— Cagolouidors, c’est toi qui en as menti. Regarde. »

Pendant qu’il regardait, Jean du Ramier entra.

— « Petite meunière, dit-il, Cagolouidors a perdu son pouvoir. Crache ton Pou. »

La petite meunière obéit. Aussitôt craché, le Pou redevint un beau garçon, jeune, fort et hardi. Maintenant, le cheveu noué autour du corps de Cagolouidors était long, gros et fort comme un câble. Jean du Ramier attacha solidement son ennemi à un pilier de la chambre.

— « Hardi ! mes amis, cria-t-il. Prenons un bâton chacun, et frappons à grand tour de bras sur l’échine de Cagolouidors. »

Le meunier, sa femme, sa fille, et le beau garçon obéirent. À chaque coup de bâton, un double louis d’or tombait du cul de Cagolouidors.

— « Hardi ! mes amis. »

Enfin, Cagolouidors ne chia plus. Alors, Jean du Ramier le détacha du pilier.

— « Décampe, bandit. Tu n’as plus rien dans le ventre, et tu as perdu le pouvoir de mal faire. Et vous, mes amis, ramassez tous ces doubles louis d’or. C’est pour la petite meunière. Pas plus tard que demain, j’entends qu’elle épouse ce beau garçon. »

Ce qui fut dit fut fait. Après la noce, Jean du Ramier prit sa besace et son bâton.

— « Adieu, mes amis. Vivez riches, heureux, et contents. Moi, je pars. J’ai des affaires ailleurs. »

Et Jean du Ramier partit. On ne l’a revu jamais, jamais

[33].

III

la belle madeleine



Il y avait, une fois, un jeune homme beau comme le jour, honnête comme l’or, fort et hardi comme Samson. C’était le fils d’une marquise veuve, le fils d’une marquise méchante comme l’enfer. Tous deux vivaient ensemble, dans un superbe château.

Un soir, le marquis dit à sa mère :

— « Mère, je suis amoureux fou de la Belle Madeleine. J’entends l’épouser dans trois jours. Consentez-vous à notre mariage ? »

La marquise ne répondit pas.

— « Mère, je devine ce que vous pensez. Vous avez peur d’une bru. Vous avez peur de ne plus commander dans ce château. Soyez sans crainte. Vous y serez toujours maîtresse. La Belle Madeleine sera votre première servante. Consentez-vous à notre mariage ? »

La marquise ne répondit pas.

— « Encore une fois, mère, consentez-vous à notre mariage ?

— Non.

— Eh bien, mère, j’ai l’âge voulu pour me passer de votre consentement. »

Trois jours après, le marquis épousait la Belle Madeleine, et l’emmenait dans son superbe château.

— « Écoute, femme. Ma mère te hait de tout son cœur. Elle a peur de ne plus commander ici. J’entends qu’elle y soit toujours maîtresse. Tu seras sa première servante.

— Marquis, vous serez obéi. »

Ce qui fut dit fut fait. La marquise demeura maîtresse au château, et la Belle Madeleine fut sa première servante. Pourtant, la marquise haïssait sa bru de tout son cœur, et préparait le bon moment pour la brouiller à mort avec son mari.

Un an plus tard, la Belle Madeleine accouchait de deux filles jumelles, jolies, jolies comme des cœurs.

Mais le bonheur ne dure pas.

Un beau matin, le marquis reçut une lettre.

— « Mère, femme, écoutez. Le roi m’appelle à la guerre. Dans une heure, je serai parti. Ne pleurez pas. Vous aurez de mes nouvelles. Soignez mes deux filles. Soignez-les bien. Mère, j’entends qu’ici vous soyez toujours maîtresse. Femme, j’entends que tu sois toujours la première servante de ma mère.

— Marquis, vous serez obéi. « 

Une heure après, le marquis était parti pour la guerre, monté sur son grand cheval noir.

La Belle Madeleine n’oublia pas sa promesse. Elle soigna bien ses deux filles. La marquise fut toujours maîtresse au château. La Belle Madeleine fut sa première servante.

Pendant sept ans, le marquis donna souvent de ses nouvelles. La guerre durait encore.

Les deux sœurs jumelles étaient toujours jolies, jolies comme des cœurs, sages comme de petites saintes. Vingt fois par jour, la marquise les faisait pleurer. Mais la Belle Madeleine les soignait. Déjà, les pauvres enfants savaient réciter par cœur leurs prières et leur catéchisme. Avec leur mère, elles apprenaient à lire, à coudre, à filer.

Dans toutes ses lettres, le marquis ne manquait jamais de marquer :

— « Soignez mes deux filles. Soignez-les bien. Mère, j’entends que vous soyez toujours maîtresse. Femme, j’entends que tu sois toujours la première servante de ma mère. »

Pourtant, la marquise haïssait sa bru de tout son cœur, et préparait le bon moment pour la brouiller à mort avec son mari.

À l’insu de la Belle Madeleine, elle écrivit un jour au marquis :

— « Ta femme est une coquine. Elle court après les galants. Elle ne soigne pas tes deux filles, et les fait pleurer vingt fois par jour. »

Le marquis répondit secrètement à sa mère :

— « Mère, patience. Soignez mes deux filles. Soignez-les bien. La guerre va finir. Comptez qu’à mon retour, ma coquine de femme et ses galants passeront un mauvais quart-d’heure. »

Mais un jour, le marquis écrivit :

— « Mère, la guerre est finie. Dans sept semaines, je serai de retour au château. »

Alors, la marquise pensa :

— « Voici le bon moment pour brouiller mon fils à mort avec sa coquine de femme. »

Cela pensé, la marquise appela la Belle Madeleine, ses deux filles, et un valet qui ne valait pas grand argent.

— « Écoute, souillon. Écoute cette lettre de ton mari ; mais tu ne la liras pas. Ton mari m’écrit : « Ma femme est une coquine. Elle court après les galants. Qui me prouve que ses deux filles sont de moi ? Mère, faites scier les deux bras à cette vaurienne. Puis, jetez-la dehors, et ses deux bâtardes avec elle. » — Valet, tu as entendu. Obéis. »

La Belle Madeleine se soumit comme une sainte. Le valet lui scia les deux bras, et ses deux filles ramassèrent chacune le leur. Cela fait, toutes trois partirent à la grâce de Dieu.

Enfin, le marquis revint de la guerre.

— « Bonjour, mère. Où est ma femme ? Où sont mes deux filles ?

— Mon fils, ta coquine de femme s’en est allée courir le monde avec un galant et ses deux bâtardes. »

Alors, le marquis devint triste, bien triste. Pourtant, le pauvre homme se méfiait. Il tenta de questionner les servantes et les valets du château. Mais nul n’osa parler, par crainte de la marquise.

Un jour de printemps, le marquis songeait à sa fenêtre. Il était triste, bien triste. Il songeait à ses deux filles. Il songeait à la Belle Madeleine.

Sur le contrevent, trois jolies hirondelles chantaient leur chanson.

— « Hirondelles, jolies hirondelles, dites-moi si ma mère m’a menti.

— Tiri tiri tiri. Marquis, ta mère t’a menti.

— Hirondelles, jolies hirondelles, dites-moi où sont mes deux filles. Dites-moi où est ma femme. Dites-moi où est la Belle Madeleine.

— Tiri tiri tiri. »

Du contrevent, les trois jolies hirondelles s’envolèrent, pour ne revenir jamais, jamais.

Alors, le marquis descendit à l’écurie, détacha son grand cheval noir, lui mit la bride et la selle, et partit au grand galop.

Pendant que tout cela se passait, la Belle Madeleine s’en allait à la grâce de Dieu. Elle s’en allait avec ses deux filles, portant les deux bras de leur pauvre mère. Par bonheur, les braves gens avaient pitié d’elles, et ne leur refusaient jamais l’aumône.

Toutes trois marchèrent ainsi longtemps, bien longtemps. Un soir, elles arrivèrent sur le bord d’une rivière.

Au bord de la rivière, trois vieux pauvres se disaient :

— « Comment ferons-nous pour passer l’eau ?

— Pauvres, dit la Belle Madeleine, je suis forte. Montez sur mon dos. Je vous passerai tour à tour. »

La Belle Madeleine prit un des trois vieux pauvres sur son dos, et le porta de l’autre côté de l’eau.

— « Merci, Belle Madeleine. M’as-tu trouvé bien lourd à porter ?

— Pauvre, je t’ai trouvé plus lourd à porter que je ne saurais le dire.

— Belle Madeleine, je suis saint Jean. Ta charité te sera payée. »

La Belle Madeleine s’en retourna chercher un autre vieux pauvre, et le porta de l’autre côté de l’eau.

— « Merci, Belle Madeleine. M’as-tu trouvé bien lourd à porter ?

— Pauvre, je t’ai trouvé moins lourd à porter que ton compagnon.

— Belle Madeleine, je suis saint Pierre. Ta charité te sera payée. »

La Belle Madeleine s’en retourna chercher le dernier des trois vieux pauvres, et le porta de l’autre côté de l’eau.

— « Merci, Belle Madeleine. M’as-tu trouvé bien lourd à porter ?

— Pauvre, je t’ai trouvé plus léger à porter que je ne saurais le dire.

— Belle Madeleine, je suis le Bon Dieu. Ta charité te sera payée. Maintenant, va chercher tes deux filles. »

La Belle Madeleine obéit.

Alors, le Bon Dieu dit aux deux filles :

— « Donnez-moi les bras de votre mère. »

En un moment, les deux bras se trouvèrent rattachés au corps.

— « Belle Madeleine, tu vas repartir aussitôt avec tes deux filles. Toute la nuit, vous marcherez, sans manger ni boire, sans vous reposer jamais. Au lever du soleil, vous arriverez dans une grande ville. Là, vous louerez une maisonnette, et vous y travaillerez pour gagner votre pauvre vie.

— Bon Dieu, vous serez obéi. »

Le Bon Dieu partit avec saint Jean et saint Pierre.

Le lendemain, au lever du soleil, la Belle Madeleine et ses deux filles arrivaient dans la grande ville. Là, elles louèrent une maisonnette, et y travaillèrent, pour gagner leur pauvre vie. De grand matin, toutes trois prenaient leur quenouille, et filaient ensemble du lin jusqu’à l’heure du coucher.

À ce métier, les deux filles finirent, un soir, par s’écorcher les doigts avec leurs fuseaux.

— « Pauvres enfants, dit la Belle Madeleine, venez que je vous soigne. — Et maintenant, allez dormir. Jusqu’à ce que le Bon Dieu vous guérisse, je filerai le lin nuit et jour, pour gagner notre pauvre vie. »

Les deux filles obéirent, et la Belle Madeleine se remit à filer du lin.

Pendant que tout cela se passait, le marquis courait le monde depuis sept ans, monté sur son grand cheval noir. Partout, il demandait des nouvelles de la Belle Madeleine et de ses deux filles. Mais nul n’était en état de lui répondre.

Un soir, à minuit passé, le pauvre homme arriva dans une grande ville. La pluie tombait à déluge.

Le marquis mit pied à terre, et vint s’abriter, avec son grand cheval noir, sous l’auvent d’une maisonnette.

C’était la maisonnette où ses deux filles dormaient, tandis que sa femme, la Belle Madeleine, filait le lin pour gagner leur pauvre vie. La lumière brillait à travers les fentes de la porte, et le marquis écoutait, tandis que la pluie tombait toujours à déluge.

Le lin disait à la Belle Madeleine :

— « Belle Madeleine, est-il un sort plus triste que le mien ? On me jette en terre. On m’arrache. On me décapite. On me noie. On me frappe à grands coups de maillet. On me met à rôtir au grand soleil. On me brise les os. On me passe au peigne de fer. On me file. On me met en toile. On me tord. On me bat. Belle Madeleine, est-il un sort plus triste que le mien ?

— Tais-toi, lin, répondait la Belle Madeleine. Mon sort est encore plus triste que le tien. Lin, il fut un temps où je vivais en marquise, dans un beau château, avec celui que j’aimais. C’était un homme beau comme le jour, honnête comme l’or, fort et hardi comme Samson. Par malheur, il m’avait épousée sans le consentement de sa mère. Le Bon Dieu nous a châtiés. Pourtant, sa mère était toujours demeurée maîtresse au château. J’étais sa première servante. Lin, mon mari partit un jour pour la guerre ; mais il n’en est pas revenu. Pendant sept ans, je l’attendis. Alors, sa mère me fit scier les deux bras, et me chassa du château. Avec mes deux pauvres filles, nous partîmes à la grâce de Dieu. Mais Dieu est bon. Il m’a rendu mes deux bras. Lin, nous te filons ici toutes trois. Mais, ce soir, mes filles se sont toutes deux blessées au doigt avec leurs fuseaux. Voilà pourquoi je les ai envoyées dormir. Voilà pourquoi je file seule, et filerai nuit et jour, pour gagner notre pauvre vie. Lin, tu le vois, mon sort est plus triste que le tien. »

D’un grand coup de pied, le marquis enfonça la porte.

— « Ma femme ! Ma pauvre femme ! Mes filles ! Mes pauvres filles ! »

Tous quatre passèrent le reste de la nuit à s’embrasser.

Sept semaines plus tard, ils étaient de retour dans leur château.

— « Mère, dit le marquis, vous m’avez menti. Par vous, ma brave femme et mes deux pauvres filles ont souffert quatorze ans mort et passion. Retirez-vous dans un couvent. Le Bon Dieu vous pardonnera votre péché. »

Alors, la Belle Madeleine et ses deux filles se mirent à crier et à pleurer.

— « Non, non. Nous ne voulons pas que votre mère se retire dans un couvent. Nous entendons qu’elle soit toujours ici maîtresse. Nous entendons être ses premières servantes. »

Alors, la marquise se repentit. Elle demanda pardon à son fils, à la Belle Madeleine, à leurs

deux filles, et ils vécurent longtemps heureux[34].

IV

la petite demoiselle



Il y avait, une fois, un homme et une femme qui se marièrent ensemble. Ils eurent une fille belle, belle comme le jour. Cette fille devint grande, et toujours elle était à prier Dieu, et à faire l’aumône aux pauvres. Aussi, quand elle sortait, les pauvres venaient au-devant d’elle et disaient :

— « Voici la Petite Demoiselle. »

La mère de la Petite Demoiselle vint à mourir, et son père se remaria. Mais la marâtre ne pouvait pas voir la Petite Demoiselle, et elle faisait tout au monde pour la faire jeter dehors.

— « Vois, disait-elle au père, cette drôlesse donne tout le pain aux pauvres. Tout-à-l’heure, je l’ai vue en emporter son plein tablier. »

Le père appela la Petite Demoiselle, pour voir ce qu’elle emportait dans son tablier. Mais il se trouva que, par un miracle du Bon Dieu, le tablier était plein de fleurs.

Donc, la marâtre ne pouvait pas voir la Petite Demoiselle. Vingt fois le jour elle la battait. Mais la Petite Demoiselle priait toujours Dieu, et était toujours compatissante et aumônière envers les pauvres.

Le père de la Petite Demoiselle et la marâtre eurent une fille. Que fit la marâtre ? Elle tua sa fille, et s’en alla dire à son homme :

— « Ta fille a tué ma fille. Tu sais ce que tu as à faire. »

Que fit le père ? Il coupa le poignet à la Petite Demoiselle, lui mit l’enfant morte dans le tablier, et la jeta dehors.

La Petite Demoiselle s’en alla loin, loin, loin : elle trouva une petite fontaine. À la petite fontaine, elle lava son bras mutilé. Aussitôt, sa main lui revint plus belle qu’auparavant. Ensuite elle y baigna l’enfant morte, et l’enfant revint à la vie.

La Petite Demoiselle et l’enfant s’en allèrent loin, loin, loin. Ils trouvèrent une troupe de bergers. La Petite Demoiselle leur demanda de lui donner un peu de lait, pour faire vivre l’enfant. Les bergers lui donnèrent du lait, et toutes deux repartirent.

Elles s’en allèrent loin, loin, loin. Enfin, elles arrivèrent à Jérusalem, et se retirèrent dans une honnête maison.

Mais depuis que la Petite Demoiselle avait quitté sa paroisse, toutes les récoltes manquaient. Les champs ne portaient que des chardons et des ronces. Alors, les gens comprirent que cela venait de ce que la Petite Demoiselle était partie. Ils dirent qu’il fallait qu’elle se retrouvât morte ou vive, et se mirent en route pour la chercher.

Ces gens-là s’en allèrent loin, loin, loin. Ils rencontrèrent une troupe de bergers.

— « Bergers, n’avez-vous pas vu passer une Petite Demoiselle manchote, avec une enfant morte dans son tablier ?

— Non, nous ne l’avons pas vue. »

Les gens de la paroisse se remirent en route. Enfin, ils arrivèrent à Jérusalem, et s’en allèrent frapper à la porte de l’honnête maison où s’était logée la Petite Demoiselle.

— « Brave fille, ne pourriez-vous pas nous loger pour cette nuit ?

— Oui, répondit la Petite Demoiselle.

— Brave fille, n’est-il pas arrivé, à Jérusalem, une jeune fille manchote, avec une enfant morte dans son tablier ?

— Je n’en ai pas entendu parler. »

Les étrangers allèrent se coucher. Le lendemain, à la pointe de l’aube, la Petite Demoiselle se leva pour peigner du lin. Et le lin criait :

— « Aïe ! aïe !

— Souffre, lin, souffre, disait la Petite Demoiselle. Moi, j’ai bien souffert. On m’a coupé le poignet, on m’a mis une enfant morte dans le tablier. Et pourtant je suis ici. »

Alors, les étrangers qui l’entendaient dirent :

— « Vous êtes bien la Petite Demoiselle.

— Non, je ne la suis pas. Vous voyez bien que je ne suis pas manchote. Vous voyez bien que l’enfant que j’ai avec moi n’est pas morte.

— Petite Demoiselle, il faut que vous veniez avec nous.

— Non, je ne veux pas y aller. »

Mais les étrangers emmenèrent la Petite Demoiselle par force, avec l’enfant, et ils les reconduisirent dans leur pays. Comme ils approchaient du village, les cloches se lancèrent d’elles-mêmes à la volée. Et à partir de ce moment, les récoltes

redevinrent là aussi belles que dans les autres paroisses[35].

SUPERSTITIONS

I

LE BON DIEU, LA VIERGE, LES SAINTS

le bon dieu et le vacher



Un jour, le Bon Dieu s’habilla comme un pauvre, prit une besace et un bâton, et s’en alla dans la Montagne[36], demander la charité pour l’amour de Dieu et de la sainte Vierge Marie. Mais partout on l’insultait sans lui rien donner, et on lui lâchait les chiens dans les jambes. Au coucher du soleil, le Bon Dieu n’avait encore rien mangé. Alors, il s’arrêta devant la porte de la cabane d’un pauvre vacher.

— « Vacher, je suis las. Je n’ai pas encore mangé d’aujourd’hui. Fais-moi souper, et loge-moi cette nuit, pour l’amour du Bon Dieu et de la sainte Vierge Marie.

— Entre, pauvre. Je tâcherai de te contenter. »

Le Bon Dieu entra dans la cabane et s’assit. Alors, le vacher tua un veau, et le fit cuire. Après souper, le Bon Dieu prit un des os du veau tué, et dit :

— « Vacher, prends tous les autres os de ton veau, et range-les dehors, sur la porte de ta cabane. »

Le vacher obéit. Cela fait, il donna la moitié de son lit au Bon Dieu, et s’endormit à côté de lui.

Au lever du soleil, le vacher était debout. Le veau qu’il avait mangé la veille, avec le pauvre, paissait devant la cabane, une clochette au cou. Cette clochette avait pour battant l’os que le Bon Dieu avait mis à part la veille.

Le hameau voisin de la cabane fut noyé, en punition de la méchanceté de ses habitants. Maintenant,

on voit un lac à la place[37].

II

la punition de la ville de Lourdes



On dit qu’à la place où se trouve à présent le lac de Lourdes[38], il y avait autrefois une ville dont les habitants étaient si méchants, si méchants, qu’ils furent noyés en punition de leurs péchés.

Voici comment arriva cette punition.

Un jour, le Bon Dieu s’habilla comme un pauvre, et prit une besace et un bâton. Il s’en alla dans l’ancienne ville de Lourdes, demander la charité de porte en porte, pour l’amour de Dieu et de la sainte Vierge Marie. Mais partout on l’insultait, sans lui rien donner, et on lui lâchait les chiens dans les jambes. Au coucher du soleil, le Bon Dieu n’avait encore rien mangé.

Alors, il aperçut une cabane, où vivait une pauvre veuve, avec sa vieille mère et un tout petit enfant.

— « Femme, un morceau de pain, s’il vous plaît, pour l’amour de Dieu et de la sainte Vierge Marie.

— Attendez un peu, pauvre, dit la veuve. Dans un moment, le pain sera cuit. Dès que je l’aurai tiré du four, vous en mangerez à votre faim. »

Le Bon Dieu entra dans la cabane et s’assit. Quand la veuve voulut tirer le pain du four, elle y trouva sept fois plus de miches qu’elle n’y en avait enfourné. Tous trois s’attablèrent, et mangèrent à leur faim. Cela fait, le Bon Dieu dit :

— « Femmes, votre charité vous sera payée. Dans une heure, la ville de Lourdes sera sous l’eau, en punition de ses péchés. Prenez vite ce petit enfant, qui dort dans son berceau, et partez. »

Les deux femmes obéirent.

Une heure après, la ville de Lourdes était sous l’eau, en punition de ses péchés.

On voit encore, au bord du lac, une pierre en forme de berceau. L’été, quand les eaux du lac sont basses, on aperçoit, dit-on, les toitures de

l’ancienne ville de Lourdes[39].

III

l’homme blanc



Voici ce qui est arrivé à un vieux soldat qui a perdu une jambe à la guerre, et qui s’en va demandant son pain de porte en porte.

Ce vieux soldat suivait un jour le chemin de Nérac à Agen, avec un seul morceau de pain dans sa besace. Arrivé près du village de Moncaut, il s’assit au bord d’un fossé. Le pauvre homme commençait à manger, quand il vit venir à lui un homme vêtu de blanc de la tête aux pieds : chapeau blanc, habits blancs, souliers blancs, et un grand bâton blanc à la main droite.

— « Que fais-tu là, mon ami ?

— Vous le voyez, monsieur. Je mange un morceau de pain. Nous partagerons, si vous voulez.

— Avec plaisir, mon ami. »

L’Homme Blanc s’assit au bord du fossé, à côté du vieux soldat, qui lui donna la moitié de son morceau de pain. Quand ils eurent mangé, l’Homme Blanc se leva et dit :

— « Merci, mon ami. Tu peux suivre ton chemin. Aujourd’hui rien ne te manquera. Avant que tu rentres dans ta maisonnette, tu auras ramassé du pain pour vivre pendant un mois. »

Le vieux soldat se remit en chemin. De toutes les métairies, on l’appelait pour lui donner. Quand il rentra le soir dans sa maisonnette, il avait ramassé du pain pour vivre pendant un mois.

Ce même jour, l’Homme Blanc rencontra sur le chemin un voiturier, qui portait trois religieuses.

— « Mes sœurs, je suis las. Donnez-moi une place dans votre voiture.

— Passe ton chemin, Homme Blanc. Il n’y a pas ici de place pour toi. »

Alors, le voiturier eut pitié de l’Homme Blanc, et lui donna une place à son côté.

— « Merci, mon ami. Ta charité te sera payée. »

Ils cheminèrent ainsi jusqu’à un quart-d’heure de Nérac. Alors, l’Homme Blanc descendit, et parla ainsi au voiturier :

— « Mon ami, je t’ai dit que ta charité te serait payée. Aussi vrai que ces trois religieuses, que tu vois si pleines de vie, seront mortes avant d’arriver à Nérac, tu trouveras ta femme, qui est infirme depuis sept ans, tout-à-fait guérie, et occupée à te faire la soupe. »

Et l’Homme Blanc s’en alla.

Quand le voiturier arriva à Nérac, les trois religieuses étaient mortes. Mais sa femme était sur la porte et criait :

— « Allons, mon homme, dépêche-toi. La

soupe se refroidit[40]. »

IV

le voyage de notre-seigneur



Un jour, Notre-Seigneur partit, avec saint Pierre et saint Jean, pour aller demander l’aumône. Tous trois s’arrêtèrent devant la boutique d’un forgeron, qui essayait de ferrer un cheval. Mais la bête ruait, et le forgeron jurait comme un païen, sans pouvoir faire de bon travail.

— « Forgeron, dit Notre-Seigneur, laisse-moi ferrer ce cheval.

— Passe ton chemin, effronté. Sinon, je te marque de mon fer chaud.

— Forgeron, je te dis de me laisser ferrer ce cheval. »

Le forgeron finit par laisser faire.

— « Voici, dit Notre-Seigneur, comment on ferre un cheval. »

Il coupa la jambe droite de la bête, la ferra tout à son aise, la remit en place, et repartit avec saint Pierre et saint Jean.

— « J’en ferai bien autant que cet homme, pensa le forgeron. »

Alors, il coupa la jambe gauche de devant au cheval, et la ferra tout à son aise. Mais la pauvre bête saignait, et le forgeron ne put remettre le membre à sa place. Aussitôt, il courut après Notre-Seigneur.

— « Mon ami, mon ami, venez m’aider, je vous prie, à remettre la jambe au cheval. »

Notre-Seigneur vint remettre le membre à la bête, et dit :

— « Forgeron, voilà qui est fait. À l’avenir, ne jure plus comme un païen, et n’insulte plus ceux qui veulent te rendre service. »

Notre-Seigneur repartit avec saint Pierre et saint Jean. Tous trois s’en allèrent frapper à la porte d’une pauvre métairie.

— « Un morceau de pain, s’il vous plaît, métayère, pour l’amour de Dieu et de la sainte Vierge Marie. Pater noster, qui es in cœlis…

— Pauvres gens, vos prières ne nous profiteront guère. Je n’ai qu’un morceau de pâte dans le pétrin.

— N’ayez pas peur, métayère. Votre pâte va augmenter. Il y en aura assez pour tous.

En effet, la pâte augmenta à vue d’œil, jusqu’à déborder par-dessus le pétrin. Alors, la métayère chauffa le four. Quand le pain fut cuit, tous quatre se mirent à manger. Pendant qu’ils mangeaient, les trois enfants de la métayère s’étaient cachés dans l’étable à cochons et criaient.

— « Métayère, dit Notre-Seigneur, qu’avez-vous dans cette étable ?

— Pauvre, ce sont trois petits porcs. »

Le repas fini, Notre-Seigneur repartit avec saint Pierre et saint Jean. Mais quand la métayère voulut aller chercher ses enfants dans l’étable à cochons, elle y trouva trois petits porcs.

Aussitôt, elle courut après Notre-Seigneur.

— « Pauvre, je vous ai menti, lorsque je vous ai dit que c’étaient trois petits porcs qui criaient dans l’étable. C’étaient mes trois enfants. Quand vous avez été parti, j’ai trouvé trois petits porcs à la place.

— Rentrez chez vous, métayère. Vous retrouverez vos trois enfants. Mais il ne faut plus mentir. »

Notre-Seigneur repartit avec saint Pierre et saint Jean. Tous trois s’en allèrent frapper à la porte d’un château.

— « Un morceau de pain, s’il vous plaît, monsieur, pour l’amour de Dieu et de la sainte Vierge Marie. Pater noster, qui es in cœlis, sanctificetur…

— Foutez-moi le camp, canailles. Vous n’aurez pas un croûton, fainéants. Vite, tournez-moi les talons. Sinon, je lâche les chiens sur vous.

— Saint Pierre, dit Notre-Seigneur, bâte-moi cet âne. »

Le maître du château se trouva aussitôt changé en âne. Saint Pierre le bâta, et lui mit un licou.

Notre-Seigneur repartit avec saint Pierre et saint Jean. Tous trois s’en allèrent frapper à la porte d’un petit moulin, où il n’y avait qu’une femme.

— « Un morceau de pain, s’il vous plaît, meunière, pour l’amour de Dieu et de la Sainte-Vierge Marie. Pater noster, qui es in cœlis…

— Pauvres gens, vos prières ne vous profiteront guère. Je n’ai plus rien à vous donner que ce petit morceau de pain. Partagez-vous-le.

— Merci, meunière, dit Notre-Seigneur. Pour votre petit morceau de pain, je vous donne cet âne, avec son bât et son licou. Faites-le travailler ferme, et ne lui donnez ni foin ni paille. Il saura bien aller tout seul chercher sa vie, le long des chemins et parmi les haies. »

Notre-Seigneur repartit avec saint Pierre et saint Jean. Au bout de sept ans, ils repassèrent devant le petit moulin. Tous trois s’en allèrent frapper à la porte.

— « Un morceau de pain, meunière, s’il vous plaît, pour l’amour de Dieu et de la sainte Vierge Marie. Pater noster, qui es in cœlis…

— Avec plaisir, pauvres gens. Entrez, La soupe est sur la table. Voici une miche de pain, de l’ail, du sel. Je descends à la cave, pour vous tirer du vin vieux. Il y a sept ans, trois pauvres, plus jeunes que vous, passèrent par ici. Ils me donnèrent cet âne avec son bât et son licou, en me recommandant de le faire travailler ferme, sans lui donner ni foin, ni paille. Je l’ai toujours laissé aller chercher sa vie tout seul, le long des chemins et parmi les haies. Pourtant, j’ai pitié de ce pauvre animal. C’est avec lui que j’ai achalandé mon moulin et fait ma fortune.

— Meunière, c’est nous qui vous avons donné cet âne, avec son bât et son licou. Maintenant, il faut nous le rendre.

— Avec plaisir, pauvres gens. »

Notre-Seigneur, saint Pierre et saint Jean montèrent tous trois sur l’âne, qui les porta jusqu’à son château.

— « Un morceau de pain, madame, s’il vous plaît, pour l’amour de Dieu et de la sainte Vierge Marie. Pater noster…

— Avec plaisir, pauvres gens. Tenez. Voici trois miches de pain de dix livres chacune. Il y a sept ans passés, trois pauvres plus jeunes que vous, vinrent demander l’aumône à la porte de ce château. Mon mari les insulta, et les menaça des chiens. Alors, un de ces pauvres le changea en âne. Un autre le bâta, lui mit un licou, et ils l’emmenèrent avec eux.

— Reconnaîtriez-vous votre mari, madame ? dit Notre-Seigneur.

— Oui, pauvre. Je le reconnaîtrais.

— Âne, lève-toi, et reprends ta première forme. »

L’âne se leva et reprit sa première forme. Le maître du château mourut le lendemain. Mais il avait fait pénitence sur la terre, et Notre-Seigneur

lui donna place dans son paradis[41].

V

le bon dieu et saint pierre



Un jour, le Bon Dieu dit à saint Pierre :

— « Saint Pierre, je suis las de vivre toujours en paradis. Pour me divertir, je veux faire un voyage sur la terre. C’est toi qui seras mon valet. Descends vite à l’écurie. Choisis deux bons chevaux, et mets-leur la bride et la selle.

— Bon Dieu, vous serez obéi. »

Saint Pierre descendit à l’écurie, choisit deux bons chevaux, et leur mit la bride et la selle.

Une heure après, tous deux étaient sur la terre. Alors, le Bon Dieu dit à son valet :

— « Saint Pierre, as-tu emporté de l’argent ?

— Non, Bon Dieu. Et vous ?

— Moi non plus.

— Bon Dieu, retournons en paradis. Sans argent, on ne va pas loin sur la terre. »

Le Bon Dieu se mit à rire, et poursuivit son chemin. Mais saint Pierre n’était pas content, surtout quand il entendait dire par les pauvres qui recevaient l’aumône des passants : « Que le Bon Dieu vous paie ! »

— « Allons, pensait le pauvre saint Pierre, mon maître m’a mis dans de jolis draps. — « Que le Bon Dieu vous paie ! Que le Bon Dieu vous paie ! » Voilà ce que j’entends dire tous les cent pas. Le Bon Dieu n’a pas un sou dans sa poche. Je vais quitter son service. Qu’il s’arrange comme il pourra. »

Le Bon Dieu riait toujours.

— « Saint Pierre, je sais ce que tu penses. Tu veux quitter mon service. Ne te gêne pas, mon ami.

— Bon Dieu, vous avez deviné juste. Bon voyage. Moi, je retourne en paradis. »

Alors, le Bon Dieu monta sur une aubépine fleurie, et la secoua de toute sa force. Les fleurs tombaient comme grêle. En tombant, elles se changeaient en beaux écus neufs. Saint Pierre les ramassa jusqu’au dernier.

— « Bon Dieu, dit-il, vous ne serez pas embarrassé pour payer vos dettes. Je retourne à votre service.

— Saint Pierre, comme tu voudras. Mais tu as manqué de confiance en moi. Pour te punir, je te condamne à marcher à pied. Descends de cheval, et donne ta bête au premier pauvre qui passera. »

Saint Pierre obéit. Mais il n’était pas content. Au bout de sept lieues, le maître prit pitié du valet.

— « Saint Pierre, tu n’en peux plus. Je veux te venir en aide. Récite seulement un Pater, sans rien penser qu’à ta prière, et je te donne un cheval pareil à celui que je t’ai pris.

Pater noster, qui es in cœlis, sanctificetur… Dites-moi, Bon Dieu, ce cheval sera-t-il aussi sellé et bridé comme l’autre ?

— Marche à pied, saint Pierre. Tu n’as pas gagné ton cheval. »

Saint Pierre obéit. Mais il n’était pas content. Au bout de sept lieues, le maître prit pitié du valet, et il lui rendit un cheval pareil à celui qu’il lui avait pris.

Tout en cheminant, ils rencontrèrent une charrette de foin versée. À genoux sur la route, le bouvier pleurait et criait :

— « Mon Dieu ! Ayez pitié de moi. Relevez ma charrette. Ayez pitié de moi.

— Bon Dieu, dit saint Pierre, n’aurez-vous pas pitié de ce pauvre homme ?

— Non, saint Pierre. Marchons. Celui qui ne s’aide pas ne mérite pas d’être aidé. »

Un peu plus loin, ils rencontrèrent une autre charrette de foin versée. Le bouvier faisait son possible pour la remettre sur ses roues, et criait :

— « À l’ouvrage, foutre ! Ha ! Mascaret. Ha ! Mulet. Hô ! Hardi[42], mille Dieux !

— Bon Dieu, passons vite. Ce bouvier jure comme un païen. Il ne mérite aucune pitié.

— Tais-toi, saint Pierre. Celui qui s’aide mérite d’être aidé. »

Le Bon Dieu mit pied à terre, et tira le bouvier d’embarras. Puis, il se remit en route avec son valet.

Un peu plus loin, ils trouvèrent un autre bouvier, qui menait aussi une charrette de foin.

— « Bonjour, bouvier. Où vas-tu ?

— Passez votre chemin. Je vais où il me plaît. »

Aussitôt la charrette versa. Le bouvier faisait bien ce qu’il pouvait pour la remettre sur ses roues. Mais ce travail passait les forces d’un homme seul. Alors, le Bon Dieu prit pitié de lui.

— « Attends, bouvier. Nous allons t’aider. Saint Pierre, à l’ouvrage ! »

En un moment, la charrette était sur ses roues.

— « Allons, dit le bouvier, on a bien raison de dire : « Un peu d’aide fait grand bien. »

— Insolent ! Voilà comment tu reconnais ce que nous avons fait pour toi. Tiens. »

D’un coup d’épaule, le Bon Dieu renversa la charrette, et repartit avec saint Pierre, laissant le

bouvier se tirer d’affaire tout seul[43].

VI

le lion et notre-seigneur



Un jour, le Lion s’en alla trouver Notre-Seigneur.

— « Bonjour, Notre-Seigneur.

— Bonjour, Lion. Qu’y a-t-il pour ton service ?

— Notre-Seigneur, je voudrais bien me battre. Mais je ne trouve plus ni une bête ni un homme capables de me tenir tête.

— Lion, va-t-en voyager un peu du côté du nord. Là tu trouveras ton maître. »

Le Lion salua Notre-Seigneur, partit du côté du nord, et rencontra un pauvre qui s’en allait à l’aumône, une besace sur le dos.

— « Bonjour, pauvre.

— Bonjour, Lion.

— Pauvre, es-tu un homme ?

— Lion, je le crois.

— Eh bien, pauvre, il faut nous battre.

— Lion, je suis trop vieux. Je ne suis plus que la moitié d’un homme. Non, je ne veux pas me battre.

— Eh bien, pauvre, je te laisse. »

Le Lion se remit en route. Un peu plus loin, il trouva un charbonnier qui fendait des bûches.

— « Bonjour, charbonnier.

— Bonjour, Lion.

— Charbonnier, es-tu un homme ?

— Lion, je le crois.

— Eh bien, charbonnier, il faut nous battre.

— Tout-à-l’heure, Lion. Viens d’abord m’aider à fendre ce gros tronc de chêne. Nous nous battrons après.

— Oui, charbonnier. »

Le charbonnier enfonça un coin dans le gros tronc de chêne, et il montra la fente au Lion.

— « Lion, mets ta patte là. »

Le Lion obéit. Alors, le charbonnier retira le coin, et le Lion se trouva pris par la patte. Que fit alors le charbonnier ? Il empoigna une barre, et rossa le Lion jusqu’à ce qu’il lui demandât pardon.

Le Lion se remit en route. Un peu plus loin, il trouva un chasseur.

« Bonjour, chasseur.

— Bonjour, Lion.

— Chasseur, es-tu un homme ?

— Lion, je le crois.

— Eh bien, chasseur, il faut nous battre.

— Lion, pour nous battre, il faut une raison. Va-t-en un peu plus loin. Tu viendras vers moi, tu me chercheras dispute, et alors nous nous battrons.

— Chasseur, tu as raison. »

Le Lion s’en alla un peu plus loin, et le chasseur lui campa un coup de fusil.

— « Chasseur, tes raisons ne sont pas aimables. »

Le Lion s’en revint trouver Notre-Seigneur.

— « Eh bien. Lion, as-tu trouvé ton maître ?

— Oui, Notre-Seigneur, je l’ai trouvé deux fois, sans aller bien loin.

— Lion, que ceci te serve de leçon. Sois plus

sage à l’avenir[44]. »

VII

les trois enfants



Il y avait, une fois, un homme et une femme. Ils se marièrent ensemble, et ils eurent trois enfants. Ces gens-là étaient pauvres, pauvres comme les pierres. Ils n’avaient rien pour manger ni pour se chauffer.

Un jour, la femme s’en alla ramasser des broussailles au bois. Elle y trouva un monsieur.

— « Bonjour, monsieur.

— Bonjour, mie. Où allez-vous ?

— Monsieur, je m’en vais ramasser des broussailles. À la maison, nous n’avons rien pour manger, ni pour nous chauffer.

— Eh bien ! mie, ramassez un beau fagot de bois, et faites-le brûler. Quand il sera brûlé, délayez-en la cendre, et faites-en un beau gâteau. »

La femme ramassa un beau fagot de bois, le fit brûler, en délaya la cendre, et en pétrit un gâteau roux, comme s’il eût été fait de farine de blé et de jaunes d’œufs.

Le lendemain, elle envoya l’aîné de ses enfants au bois. L’enfant trouva le monsieur.

— « Bonjour, monsieur.

— Bonjour, mon ami. Où vas-tu ?

— Monsieur, je m’en vais ramasser des broussailles. À la maison, nous n’avons rien pour manger, ni pour nous chauffer.

— Ne viendrais-tu pas avec moi, mon ami ?

— Si, monsieur : aussi bien avec vous qu’avec un autre. »

Le monsieur l’amena dans son château, et lui donna une lettre, une gaule, et un cheval.

— « Monte à cheval, et va porter cette lettre à ma bonne mère. Quand tu seras arrivé devant la mer, tu lui donneras trois coups de gaule, et la mer se partagera par le milieu. »

L’enfant prit la lettre, la gaule, monta à cheval, et partit.

Quand il fut arrivé devant la mer, il jeta la lettre dans l’eau, et s’en revint.

— « Monsieur, votre bonne mère vous fait bien souhaiter le bonjour. Elle se porte bien.

— Eh bien, mon ami, que préfères-tu, le ciel ou un quartaut d’écus ?

— Monsieur, le ciel est bien quelque chose ; mais l’argent vaut bien davantage. »

Le monsieur lui donna un quartaut d’écus, et l’enfant s’en revint chez lui.

Le lendemain, son frère cadet s’en alla au bois. Il y trouva le monsieur.

— « Bonjour, monsieur.

— Bonjour, mon ami. Où vas-tu ?

— Monsieur, je m’en vais ramasser des broussailles. À la maison, nous n’avons rien pour manger, ni pour nous chauffer.

— Ne viendrais-tu pas avec moi, mon ami ?

— Si, monsieur : aussi bien avec vous qu’avec un autre, »

Le monsieur l’amena dans son château, et lui donna une lettre, une gaule, et un cheval.

— « Monte à cheval, et va porter cette lettre à ma bonne mère. Quand tu seras arrivé devant la mer, tu lui donneras trois coups de gaule, et la mer se partagera par le milieu. »

L’enfant prit la lettre, la gaule, monta à cheval, et partit.

Quand il fut arrivé devant la mer, il jeta la lettre dans l’eau et s’en revint,

— « Monsieur, votre bonne mère vous fait bien souhaiter le bonjour. Elle se porte bien.

— Eh bien, mon ami, que préfères-tu, le ciel, ou un quartaut d’écus ?

— Monsieur, le ciel est bien quelque chose ; mais l’argent est bien davantage. »

Le monsieur lui donna un quartaut d’écus, et l’enfant s’en revint à la maison.

Le lendemain, le plus jeune des trois frères, qui n’avait que trois ans, dit à sa mère :

— « Mère, je veux aussi aller au bois.

— Non, mon ami, tu n’iras pas. Tu es trop petit.

— Mère, je vous dis que je veux y aller. »

Par force, il fallut le laisser aller au bois. Quand il y fut, il trouva le monsieur.

— « Bonjour, monsieur.

— Bonjour, mon ami. Où vas-tu ?

— Monsieur, je m’en vais ramasser des broussailles. À la maison, nous n’avons rien pour manger, ni pour nous chauffer.

— Ne viendrais-tu pas avec moi, mon ami ?

— Si monsieur : aussi bien avec vous qu’avec un autre. »

Le monsieur l’amena dans son château, et lui donna une lettre, une gaule, et un cheval.

— « Monte à cheval, et va porter cette lettre à ma bonne mère. Quand tu seras arrivé devant la mer, tu lui donneras trois coups de gaule, et la mer se partagera par le milieu. »

L’enfant prit la lettre, la gaule, monta à cheval, et partit. Quand il arriva devant la mer, il donna trois coups de gaule, et la mer se partagea par le milieu. Il s’en alla loin, loin, loin.

Là, il trouva un pré bon à faucher. Les bestiaux y étaient maigres, secs.

Il s’en alla loin, loin, loin. Là, il trouva un pré si maigre, si maigre, qu’on y aurait ramassé du sel. Les bestiaux y étaient gras à lard.

Il s’en alla loin, loin, loin. Là, il trouva deux petites pierres qui se battaient.

Il s’en alla loin, loin, loin. Là, il trouva un bois où tous les oiseaux volaient à sa rencontre.

Il s’en alla loin, loin, loin. Enfin, il arriva au château de la sainte Vierge.

— « Sainte Vierge, je vous porte une lettre de votre fils. Tout en venant, j’ai trouvé un pré où on aurait fauché l’herbe. Pourtant, les bestiaux y étaient maigres, secs.

— Mon ami, c’étaient les mauvaises herbettes.

— Sainte Vierge, j’ai trouvé un pré si maigre, si maigre, qu’on y aurait ramassé le sel. Pourtant, les bestiaux y étaient gras à lard.

— Mon ami, c’étaient les bonnes herbettes.

— Sainte Vierge, j’ai trouvé deux petites pierres qui se battaient.

— Mon ami, c’étaient tes deux frères en dispute.

— Sainte Vierge, j’ai trouvé un bois. Tous les oiseaux volaient à ma rencontre.

— Mon ami, c’étaient les angelots qui venaient te chercher. »

Alors, la sainte Vierge prit l’enfant, et l’assit sur elle. L’enfant s’endormit, et la sainte Vierge lui tirait les poux.

Au bout de sept ans, elle le réveilla.

— « Réveille-toi, mon ami. Il y a sept ans que tu dors. »

La sainte Vierge, lui donna une lettre, une gaule, et un cheval.

— « Monte à cheval, et va porter cette lettre à mon cher fils. Quand tu seras arrivé devant la mer, tu lui donneras trois coups de gaule, et la mer se partagera par le milieu. »

L’enfant prit la lettre, la gaule, monta à cheval, et partit. Quand il fut arrivé devant la mer, il lui donna trois coups de gaule, et la mer se partagea par le milieu.

Il s’en alla loin, loin, loin. Enfin, il arriva au château du Bon Dieu.

— « Bonjour, monsieur. Votre mère se porte bien. Elle vous mande force compliments, et elle m’a donné cette lettre pour vous.

— Eh bien, mon ami, que préfères-tu, le ciel, ou un quartaut d’écus ?

— Monsieur, l’argent est bien quelque chose ; mais le ciel est bien davantage.

— Mon ami, va chez ta mère, et dis-lui que je vais aller dîner chez elle, avec tous mes angelots.

— Monsieur, comment voulez-vous qu’elle fasse ? Nous n’avons rien pour manger, ni pour nous chauffer.

— Dis-lui qu’elle aille de chambre en chambre : la table sera mise. Dis-lui qu’elle regarde dans le coffre : elle le trouvera plein de pain. »

Le Bon Dieu partit avec ses angelots, pour aller dîner chez la mère de l’enfant. Ils y soupèrent aussi, et ils y couchèrent. Le lendemain, ils repartirent. Le Bon Dieu envoya les deux frères aînés en enfer, et amena le plus jeune au ciel. Tout en faisant le lit du Bon Dieu, la mère trouva un sac d’écus sous le coussin. Aussitôt, elle courut après le maître de cet argent.

— « Monsieur, monsieur, voici le sac d’écus que vous avez oublié.

— Non, femme. Il est pour vous[45]. »

VIII

le char du roi david



La nuit, quand il fait beau temps, vous voyez, du côté de la bise[46], sept grandes étoiles et une petite, assemblées en forme de char[47]. C’est le Char du roi David, qui commandait, il y a bien longtemps, dans le pays où devait naître le Bon Dieu. Le roi David était un homme juste comme l’or, terrible comme l’orage. Voilà pourquoi le Bon Dieu le prit au ciel, quand il fut mort, et plaça son char où vous le voyez.

Pourtant, j’ai souvent entendu conter la chose autrement.

Il y avait, une fois, un bouvier fort et adroit comme on n’en voit pas. Du matin au soir, il labourait avec des bœufs plus grands que des maisons. Jamais on n’avait vu, jamais on ne verra des récoltes comme les siennes. Aussi le bouvier était-il riche autant que la mer. Ses voisins auraient tout donné pour avoir du bétail tel que le sien ; mais il en gardait l’espèce pour lui seul, et saignait tous les veaux qu’il avait de trop.

Un soir, deux voleurs se cachèrent dans son étable. Sur le coup de minuit, ils détachèrent doucement, bien doucement, une vache et un taureau, et partirent vite, vite, du côté de la Montagne[48].

Avant la pointe de l’aube, le bouvier entra dans l’étable avec son valet.

— « Milliard de Dieux ! Les voleurs m’ont dérobé une vache et un taureau. Allons, valet. Prends ton aiguillon ferré. Suis ces canailles à la trace, et fais-leur passer le goût du pain. Il faut que demain ma vache et mon taureau soient à l’étable.

— Maître, vous serez obéi. »

Le valet prit son aiguillon ferré et partit. Le lendemain, il n’était pas encore revenu.

Alors, le bouvier se mit à jurer comme un païen.

— « Milliard de Dieux ! Mon valet n’est pas encore revenu. Peut-être les voleurs l’ont-ils tué. Allons, servante. Emmène le chien pour te défendre, et va chercher des nouvelles de ma vache, de mon taureau et de mon valet. Il faut que demain mes bêtes soient à l’étable, et vous deux à la maison.

— Maître, vous serez obéi. »

La servante emmena le chien pour la défendre, et partit. Le lendemain, elle n’était pas encore revenue.

Alors, le bouvier se mit à jurer comme un païen.

— « Milliard de Dieux ! Le valet, et la servante et le chien ne reviennent pas. Mille milliards de Dieux ! Je ne reverrai plus ma vache ni mon taureau ni mon chien. »

Mal faire ne peut durer. Le Bon Dieu se mit en colère contre ces gens et ces bêtes.

— « Vache, dit-il, va-t-en prisonnière dans la première étoile du char. Taureau, va-t-en dans la seconde, et vous, voleurs, dans les deux autres. Toi, valet, je t’enferme dans l’étoile qui vient après. Servante, entre dans celle qui est seule. Tout près, il y en a une petite. C’est pour le chien. Et toi, bouvier, je te condamne à vivre dans celle

qui vient la dernière. Ainsi vous roulerez toujours, toujours dans le ciel, jusqu’au jour du jugement[49]. »

IX

les danseuses punies



Un dimanche, neuf jeunes filles du hameau de Lourtiguet[50] allèrent se promener jusqu’à Astaffort[51]. Le soir, elles s’en retournèrent, en suivant les bords du Gers, et arrivèrent dans un pré, sis en contre-bas de grands rochers. Là, les jeunes filles s’arrêtèrent, et se mirent à danser, sans respect pour la sainteté du jour. Mais elles n’avaient pas achevé le premier branle[52], que les rochers se détachèrent, et les

écrasèrent toutes[53].

X

sainte foi et saint caprais



Il fut un temps où les chrétiens étaient encore bien peu nombreux, dans la ville d’Agen et le pays d’alentour. En ce temps-là, les juifs et les païens commandaient en maîtres. Leur chef était un géant haut de sept pieds, noir et méchant comme Tartari[54]. Sous peine de mort, il forçait tout le monde d’adorer les idoles d’or et d’argent, les idoles des faux dieux. Les pauvres chrétiens se cachaient où ils pouvaient, dans les bois, dans les rochers, dans les carrières abandonnées.

Si vous voulez savoir où demeurait alors le chef des juifs et des païens, je suis à même de vous contenter. Il demeurait rue Garonne[55], dans la maison qui appartenait autrefois à un chapelier, et qui depuis est passée à Clerc, le tailleur[56]. D’ailleurs, tout le monde vous attestera que je dis vrai.

Le chef des juifs et des païens avait une fillette de quinze ans, appelée Foi, une fillette belle comme le jour, et honnête comme l’or. Sans que son père en sût rien, Foi s’était fait baptiser. Par elle, les chrétiens étaient avertis chaque jour des dangers qui les menaçaient.

Foi faisait aussi de grandes aumônes, aux dépens de la table de son père. À dîner comme à souper, elle trouvait toujours moyen d’emporter, chaque fois, deux ou trois plats sous son tablier. Le père jurait à faire frémir, et tombait, à grands coups de bâton, sur ses servantes et ses valets.

— « Canailles ! voleurs ! gourmands ! Vous me ferez mourir de faim. »

Les valets et les servantes supportaient tout, par amitié pour Foi. Mais un jour, une vieille gueuse parla.

— « Maître, nous ne sommes ni des canailles, ni des voleurs, ni des gourmands. Si vous mourez de faim, la faute en est à votre fille qui, à dîner comme à souper, trouve chaque fois moyen d’emporter de votre table, sous son tablier, deux ou trois plats pour les pauvres.

— C’est bon. Demain, à l’heure du dîner, je saurai si tu m’as dit vrai.

En effet, le lendemain, à l’heure du dîner, le père ne quitta pas sa fille de l’œil.

— « Foi, qu’emportes-tu sous ton tablier ?

— Père, ce sont des roses et des fleurs.

— Voyons. »

Foi écarta son tablier. Mais il se trouva que, par un miracle du Bon Dieu, les plats qu’elle emportait pour les pauvres furent aussitôt changés en roses et en fleurs.

Alors, le père manda le bourreau et ses deux valets.

— « Carogne ! sorcière ! Tu as fini de mal faire. Bourreau, prends cette vaurienne. Va la faire cuire à petit feu, jusqu’à ce que son corps ne soit qu’un charbon. »

Le bourreau et ses deux valets obéirent. Ils prirent la pauvre fillette, et la menèrent hors ville, juste à l’endroit où plus tard on a bâti l’église de Sainte-Foi. Là, ils la couchèrent sur un gril de fer, et la firent cuire à petit feu. Mais Foi n’avait pas même l’air de souffrir. Elle chantait des cantiques, et regardait en l’air la sainte Vierge, et les angelots prêts à l’emporter en paradis.

Pendant que Foi chantait ainsi sur son gril de fer, un jeune chrétien, nommé Caprais regardait, caché dans les rochers du coteau qui domine la ville d’Agen, juste à l’endroit où l’on a bâti plus tard l’Ermitage[57].

Caprais ne pouvait revenir de tant de courage et pensait :

— « Mon Dieu ! Cette fillette de quinze ans chante, en cuisant à petit feu. Et moi, un homme, je crève de peur, et je me cache dans ces rochers, comme un grand lâche que je suis. Mon Dieu, si je dois mourir comme Foi, faites un miracle. Faites qu’aussitôt jaillisse, de ce rocher, une source vive et claire. »

Aussitôt, jaillit du rocher la source vive et claire, qui depuis coule et coulera jusqu’au jour du jugement[58].

Alors, Caprais comprit qu’il était marqué pour mourir.

Sans peur ni crainte, il descendit du coteau de l’Ermitage, et s’en alla trouver le chef des juifs et des païens.

En ce moment, le bourreau revenait de son travail avec ses valets.

— « Bonjour, maître. Vous êtes obéi. J’ai fait cuire votre fille à petit feu. Son corps n’est plus qu’un charbon.

— Bourreau, voici cent pistoles. J’ai fait un exemple sur ma propre fille. Avant peu, les autres chrétiens y passeront. »

Alors, Caprais parla.

— « Chef des juifs et des païens, je suis chrétien comme ta fille. Fais de moi ce que tu voudras.

— Bourreau, coupe la tête à ce bandit. »

Le bourreau et ses valets obéirent. Ils amenèrent Caprais sur la place Caillives[59], lui coupèrent la tête, la prirent par les cheveux, et la jetèrent dans un puits, creusé juste à l’endroit où vous voyez maintenant une pompe entre quatre bornes.

De la fenêtre d’une auberge, trois ouvriers regardaient.

Cette auberge appartient maintenant à Couleau.

Son travail fini, le bourreau partit avec ses valets. Alors, les chrétiens prirent le corps de saint Caprais, et l’emportèrent secrètement au Martrou, entre les églises de Saint-Caprais et de Sainte-Foi, juste à l’endroit où l’on a bâti depuis la chapelle des Pénitents gris. Le Martrou contenait aussi les reliques de beaucoup d’autres saints et martyrs[60], qui maintenant reposent dans les églises et les nouveaux cimetières.

Voilà où les chrétiens emportèrent secrètement le corps de saint Caprais. Mais ils ne purent retrouver sa tête.

Pendant longtemps, bien longtemps, nul ne savait où étaient les reliques de sainte Foi. Voici comment on les découvrit.

Un soir, un chiffonnier cheminait, avec son âne, juste à l’endroit où la pauvre fillette était morte, grillée à petit feu.

Le chiffonnier heurta du pied un gros charbon, noir et brillant comme le jais.

— « Bon. Voici une trouvaille qu’il vaut la peine de ramasser. »

Le chiffonnier ramassa le gros charbon, noir et brillant comme le jais, le jeta dans son sac, et le chargea sur son âne.

C’étaient les reliques de sainte Foi.

Le chiffonnier repartit, en suivant la route de Toulouse. Partout où il passait, les cloches des églises sonnaient, sans que personne les mît en branle.

Enfin, le chiffonnier arriva jusqu’à Moissac, ville du pays de Quercy[61], et s’en alla souper et dormir dans une auberge.

À Moissac, comme partout, les cloches des églises sonnaient, sans que personne les mit en branle.

Alors, les gens de Moissac se dirent :

— « Voici qui est bien étonnant. Cherchons quelle peut être la cause de tout ce bruit. »

Ils cherchèrent, cherchèrent partout. Enfin, ils finirent par découvrir le chiffonnier dans son auberge.

Les cloches des églises sonnaient toujours, sans que personne les mît en branle.

— « Chiffonnier, qu’as-tu dans ton sac ?

— Gens de Moissac, j’ai dans mon sac un gros charbon, noir et brillant comme le jais.

— Chiffonnier, fais-nous-le voir. »

Le chiffonnier obéit. Les cloches des églises sonnaient toujours, sans que personne les mît en branle.

— « Chiffonnier, ce sont là, peut-être, les reliques de sainte Foi d’Agen.

— Gens de Moissac, je ne vous démentirai pas. Si vous dites vrai, prions Dieu qu’il fasse taire vos cloches. »

Les gens de Moissac et le chiffonnier prièrent Dieu. Aussitôt, les cloches se turent.

— « Chiffonnier, va remettre ces reliques où tu les as prises. Surtout, ne manque pas d’avertir l’évêque d’Agen. »

Le chiffonnier obéit. Il alla remettre les reliques où il les avait prises, et avertit l’évêque d’Agen, qui vint les chercher en procession, et les porta dans sa cathédrale.

Voilà comment furent découvertes les reliques de sainte Foi.

Voici maintenant comment fut retrouvée la tête de saint Caprais.

Quand ils eurent vu travailler le bourreau et ses valets, de la fenêtre de l’auberge de la place Caillives, les trois ouvriers dont j’ai parlé déjà, réglèrent leur dépense avec l’hôtesse. Chacun paya son écot en monnaie de cuir, comme il était d’usage en ce temps-là. Ces pièces étaient de forte valeur, et l’hôtesse rendit leur reste aux trois ouvriers, toujours en monnaie de cuir.

Cela fait, les trois ouvriers allèrent se promener sur le coteau de l’Ermitage. Là, ils se couchèrent et s’endormirent.

Les trois ouvriers dormirent ainsi durant sept cents ans.

Les gens d’Agen, qui regardaient d’en-bas vers le coteau de l’Ermitage, voyaient trois hommes couchés, et dormant à terre. Mais quand ils s’en approchaient, ils ne voyaient plus que trois grandes pierres blanches.

Au bout de sept cents ans, les trois dormeurs se réveillèrent.

— « Ah ! Nous avons dormi longtemps. L’heure est venue d’aller manger la soupe à l’auberge de la place Caillives. »

Tous trois redescendirent du coteau de l’Ermitage. Dans la ville d’Agen, tout le monde les regardait, à cause de leurs longs cheveux, de leurs longues barbes, et de leurs habits à la mode du temps passé.

— « Bonjour, hôtesse. Vite, trois écuelles de soupe. Vite trois bouteilles de vin.

— Avec plaisir mes amis. »

Leur repas fini, les trois ouvriers tirèrent chacun sa monnaie de cuir.

— « Tenez, hôtesse. Payez-vous.

— Mes amis, vous voulez rire. Ce n’est pas là de la monnaie.

— Hôtesse, comment, ce n’est pas là de la monnaie ? Que vous faut-il donc ?

— Mes amis, il me faut de bonnes pièces blanches d’argent. Il me faut de bons sous de cuivre.

— Hôtesse, la monnaie que nous vous offrons, vous nous l’avez donnée hier vous-même, en nous rendant notre reste.

— Mes amis, vous ne savez ce que vous dites.

— Hôtesse, nous disons la vérité. Aussi vrai que le bourreau et ses deux valets ont jeté dans ce puits la tête de Caprais, vous nous avez donné hier en nous rendant notre reste la monnaie que nous vous offrons.

— Mes amis, vous ne savez ce que vous dites.

— Hôtesse, laissez-nous faire. Vous allez voir. »

Aussitôt, l’un des trois ouvriers enroula la corde du puits à sa ceinture, et ses deux camarades le descendirent au fond. Cinq minutes après, il remontait avec la tête de saint Caprais.

Alors, le peuple assemblé se mit à battre des mains et à crier :

— « Au miracle ! Au miracle ! »

Le même jour, l’évêque d’Agen vint chercher en procession la tête de Caprais, et la porta dans l’église bâtie en l’honneur de ce saint[62].

Sous cette église, il y a la mer. Des mariniers agenais se sont trouvés passer par là, un soir de dimanche, à l’heure des vêpres. Ils ont entendu la musique de l’orgue, et reconnu les voix des

enfants de chœur et des chantres.

XI

l’innocent



Il y avait, une fois, une veuve qui avait un fils innocent. Cette veuve demeurait avec les parents de son mari ; mais ils la méprisaient, elle et l’enfant.

— « Quelle charge pour nous que ces deux créatures ! Nuit et jour, la mère est à soigner cet imbécile d’enfant. Et dire qu’il nous les faudra nourrir à rien faire jusqu’à la mort. Si le Bon Dieu était juste, nous serions vite débarrassés de ces sangsues. »

La veuve ne répondait rien, et continuait à soigner son fils. Mais le chagrin la rongeait, si bien qu’un jour, on l’emporta, les pieds en avant, jusqu’au cimetière.

— « Allons, la mère est partie. Quand viendra le tour de l’enfant ? »

Mais le pauvre innocent n’avait pas l’air de vouloir mourir. Nul ne pensait à le tenir propre. On lui donnait bien juste de quoi ne pas mourir de faim. Pourtant, il était toujours gras et frais, avec du linge blanc, les mains et le visage nets, et les cheveux bien peignés.

Les gens de la maison n’y comprenaient rien.

— « Imbécile, comment fais-tu, pour être toujours si bien portant et si propre ?

— Chaque nuit, pendant que vous dormez, ma pauvre mère vient me trouver. Elle m’apporte de la soupe, du pain et du vin. Elle me lave, me peigne, et me change de chemise. »

Les parents de l’Innocent épouvantés, s’en allèrent trouver le curé de la paroisse.

— « Bonjour, Monsieur le curé. Nous avons une morte qui revient chaque nuit à la maison. Voici de l’argent. Dites des messes, s’il vous plaît, pour que le Bon Dieu tire la morte du purgatoire, et pour qu’elle nous laisse en repos.

— Mes amis, vous aurez contentement. »

Les parents de l’Innocent s’en retournèrent chez eux. Mais, chaque jour, le pauvre enfant se levait mieux portant et plus propre que jamais.

— « Imbécile, comment fais-tu, pour être toujours si bien portant et si propre ?

— Chaque nuit, pendant que vous dormez, ma pauvre mère vient me trouver. Elle m’apporte de la soupe, du pain et du vin. Elle me lave, me peigne, et me change de chemise. »

Les parents de l’Innocent épouvantés, revinrent chez le curé de la paroisse.

— « Bonjour, Monsieur le curé. La morte revient toujours chaque nuit à la maison. Voici de l’argent. Dites d’autres messes, s’il vous plaît, pour que le Bon Dieu tire la morte du purgatoire, et pour qu’elle nous laisse en repos.

— Mes amis, que vient faire la morte, chaque nuit, dans votre maison ?

— Monsieur le curé, elle vient faire manger et nettoyer son fils imbécile.

— Mes amis, reprenez cet argent. Je ne dirai pas de messes. Faites le travail de la morte, et elle ne reviendra plus. »

Les parents de l’Innocent firent le travail de la

morte, et elle ne revint plus[63].

XII

l’homme aux dents rouges



Il y avait, une fois, un homme et une femme qui avaient trois enfants : une fille et deux garçons. Quand la fille fut grande, son père et sa mère voulurent la marier. Mais elle n’écoutait aucun galant, et toujours elle disait :

— « Je veux pour mari un homme qui ait les dents rouges. »

Le père et la mère firent tambouriner partout la volonté de leur fille, et ils attendirent pendant sept ans. Alors, un homme qui avait les dents rouges se présenta dans leur maison.

— « Voici l’homme qu’il me faut, dit la fille. »

On les maria sans tarder. Le lendemain de la noce, l’Homme aux dents rouges se leva de bonne heure, descendit à l’écurie, donna l’avoine à son cheval, lui mit la bride et la selle, et partit au grand galop, sans qu’on pût voir où il allait. Il ne revint à la maison qu’à l’entrée de la nuit.

— « D’où viens-tu, mon homme ? dit la femme. »

L’Homme aux dents rouges ne répondit pas.

Le lendemain, l’Homme aux dents rouges se leva de bonne heure, descendit à l’écurie, donna l’avoine à son cheval, lui mit la bride et la selle, et partit au grand galop, sans qu’on pût voir où il allait. Il ne revint à la maison qu’à l’entrée de la nuit.

— « D’où viens-tu, mon homme ? dit la femme. »

L’Homme aux dents rouges ne répondit pas.

Le lendemain, l’Homme aux dents rouges se leva de bonne heure, descendit à l’écurie, donna l’avoine à son cheval, lui mit la bride et la selle, et partit au grand galop, sans qu’on pût voir où il allait.

Alors, la femme dit à son père, à sa mère, et à ses deux frères :

— « Vous voyez ce qui se passe. Mon homme part le matin de bonne heure, et ne revient à la maison qu’à l’entrée de la nuit. Quand je lui demande d’où il vient, il ne me répond pas. Peut-être s’en va-t-il voir quelque ancienne maîtresse. Cela ne peut pas durer ainsi.

— Sois tranquille, ma sœur, dit le frère aîné. Demain, je demanderai à ton homme de me prendre en croupe, et je te dirai où il va. »

L’Homme aux dents rouges ne revint à la maison qu’à l’entrée de la nuit.

Le lendemain, l’Homme aux dents rouges se leva de bonne heure, descendit à l’écurie, donna l’avoine à son cheval, et lui mit la bride et la selle. Alors, le frère aîné de la femme entra dans l’écurie.

— « Homme aux dents rouges, dit-il, je veux t’accompagner dans ton voyage.

— Monte en croupe, mon beau-frère. »

Le cheval partit au grand galop à travers les bois. Au bout de trois heures, il s’arrêta dans un endroit où coulait une fontaine d’argent.

— « Mon beau-frère, dit l’Homme aux dents rouges, descendons de cheval, pour boire à cette fontaine. »

Ils descendirent tous deux. Mais à peine le beau-frère eut-il bu tant soit peu de l’eau qui coulait de la fontaine d’argent, qu’il s’endormit au pied d’un arbre, jusqu’au coucher du soleil. Alors, l’Homme aux dents rouges le réveilla.

— « Mon beau-frère, tu as dormi longtemps. Il est trop tard pour continuer notre voyage. Retournons à la maison. »

Tous deux remontèrent à cheval. À minuit, ils étaient rentrés à la maison.

L’Homme aux dents rouges se mit au lit et s’endormit. Alors, sa femme se leva, doucement, doucement, et s’en alla dans la chambre de son frère aîné.

— « Eh bien, frère, où êtes-vous allés ?

— Nous avons galopé pendant trois heures à travers les bois. Alors, nous sommes descendus de cheval, dans un endroit où coule une fontaine d’argent. J’ai voulu boire tant soit peu d’eau, et je me suis endormi au pied d’un arbre jusqu’au coucher du soleil. Alors, ton homme m’a réveillé, et nous sommes revenus à la maison. Mais il ne m’a pas dit ce qu’il avait fait jusqu’au coucher du soleil. Retourne dans ton lit, ma sœur, et dors tranquille. Demain, j’accompagnerai encore ton homme, et je ne boirai pas de l’eau qui coule de la fontaine d’argent. »

Le lendemain, l’Homme aux dents rouges se leva de bonne heure, descendit à l’écurie, donna l’avoine à son cheval, et lui mit la bride et la selle. Alors, le frère aîné de la femme entra dans l’écurie.

— « Homme aux dents rouges, dit-il, je veux t’accompagner dans ton voyage.

— Monte en croupe, mon beau-frère. »

Le cheval partit au grand galop à travers les bois. Au bout de trois heures, il s’arrêta juste à l’endroit où coulait la fontaine d’argent.

— « Mon beau-frère, dit l’Homme aux dents rouges, descendons de cheval, pour boire à cette fontaine. »

Ils descendirent tous deux. Mais le beau-frère se méfiait, et il ne voulait pas boire.

— « Allons, bois. Cela te fera du bien.

— Je n’ai pas soif.

— Eh bien, mange, si tu ne veux pas boire. »

L’Homme aux dents rouges tira de son portemanteau une miche de pain, et un morceau de porc très-salé. Quand le beau-frère en eut mangé quelques bouchées, la soif le prit, et il s’approcha de la fontaine d’argent. Mais à peine eut-il bu tant soit peu d’eau, qu’il s’endormit au pied d’un arbre, jusqu’au coucher du soleil. Alors, l’Homme aux dents rouges le réveilla.

— « Mon beau frère, tu as dormi longtemps. Il est trop tard pour continuer notre voyage. Retournons à la maison. »

Tous deux remontèrent à cheval. À minuit ils étaient rentrés à la maison.

L’Homme aux dents rouges se mit au lit et s’endormit. Alors, sa femme se leva et s’en alla doucement, doucement, et s’en alla dans la chambre de ses frères.

— « Eh bien, frère, où êtes-vous allés ?

— Nous avons galopé à travers les bois pendant trois heures. Alors, nous sommes descendus de cheval, à l’endroit où coule la fontaine d’argent. Je ne voulais pas boire ; mais ton homme m’a donné à manger du pain, et du porc très salé. Après quelques bouchées, la soif m’a pris, et je me suis approché de la fontaine d’argent. Mais à peine ai-je eu bu tant soit peu d’eau, que je me suis endormi au pied d’un arbre jusqu’au coucher du soleil. Maintenant, j’ai assez de ces voyages, et je n’y veux plus retourner.

Quand la femme entendit cela, elle se mit à pleurer comme une Madeleine. Mais à toutes ses prières, le frère aîné répondait toujours :

— « J’ai assez de ces voyages, et je n’y veux plus retourner. »

À la fin, le frère cadet, qui était niais, prit pitié de sa sœur.

— « Ma sœur, ne pleure plus ainsi toutes les larmes de tes yeux. Retourne dans ton lit, et dors tranquille. Demain, j’accompagnerai ton homme, sans manger ni pain, ni porc très salé, et sans boire de l’eau qui coule de la fontaine d’argent.

— Toi, pauvre niais ? Tu veux accompagner mon homme.

— Ma sœur, retourne dans ton lit, et dors tranquille. »

Le lendemain, l’Homme aux dents rouges se leva de bonne heure, descendit à l’écurie, donna l’avoine à son cheval, et lui mit la bride et la selle. Alors, le niais entra dans l’écurie.

— « Homme aux dents rouges, dit-il, je veux t’accompagner dans ton voyage.

— Monte en croupe, niais. »

Le cheval partit au grand galop à travers les bois. Au bout de trois heures, il s’arrêta juste à l’endroit où coulait la fontaine d’argent.

— « Niais, dit l’Homme aux dents rouges, descendons de cheval, pour boire à cette fontaine.

— Je n’ai pas soif.

— Descendons, pour manger un peu de ce pain et de ce porc salé.

— Je n’ai pas faim.

— Descendons au moins, pour nous reposer.

— Je ne suis pas las. »

L’Homme aux dents rouges eut beau prêcher, le niais ne voulut rien entendre, et il fallut se remettre en route. Tous deux cheminèrent ainsi, jusqu’à un champ où quelques hommes bêchaient.

— « Niais, dit l’Homme aux dents rouges, j’ai besoin de parler à ces bêcheurs. Tiens mon cheval, jusqu’à ce que je revienne.

— Homme aux dents rouges, sois tranquille, il ne m’échappera pas. »

Le niais attacha le cheval à un arbre, et suivit l’Homme aux dents rouges sans être vu. Au bout d’une heure, il arriva dans des prés si maigres, si maigres, qu’on eût pu y ramasser du sel. Pourtant, les bœufs et les vaches y étaient gras à lard.

Un peu plus loin, le niais arriva dans des prés ordinaires, où paissaient des chèvres qui n’étaient ni maigres ni grasses.

Un peu plus loin, le niais arriva dans des prés où il y avait de l’herbe deux pieds par-dessus la tête. Pourtant, les bœufs et les vaches y étaient maigres comme des clous.

Un peu plus loin, le niais vit l’Homme aux dents rouges entrer dans une petite église, et fermer la porte. Le niais regarda par le trou de la serrure, et vit un autel, avec un cierge beaucoup plus court que les autres. Un prêtre disait la messe, et l’Homme aux dents rouges la servait. Pendant ce temps-là, des volées d’oisillons arrivaient des quatre vents du ciel, et venaient frapper contre les vitres de la petite église, avec leurs becs et leurs ailes. Pourtant, les fenêtres ne s’ouvraient pas, et les pauvres petites bestioles demeuraient toujours dehors, à frapper et à crier :

— « Riou, chiou, chiou. »

La messe finie, l’Homme aux dents rouges ferma le missel, et souffla les cierges. Alors, le niais prit la course, et revint auprès du cheval.

— « Eh bien, niais, veux-tu retourner à la maison ?

— Homme aux dents rouges, je suis à ton commandement. »

Tous deux remontèrent à cheval, et arrivèrent à la maison, juste au coucher du soleil. Pendant le souper, le niais raconta ce qu’il avait vu, depuis le moment où l’Homme aux dents rouges lui avait donné son cheval à garder.

— « Homme aux dents rouges, pourquoi ne t’es-tu pas arrêté avec les bêcheurs ? »

L’Homme aux dents rouges ne répondit pas.

— « Homme aux dents rouges, parle-nous de ces prés si maigres, si maigres, qu’on aurait pu y ramasser du sel. Pourtant, les bœufs et les vaches y étaient gras à lard.

— Niais, ces prés étaient le paradis, et ce bétail les saintes âmes.

— Homme aux dents rouges, parle-nous de ces prés ordinaires, où paissaient des chèvres qui n’étaient ni grasses ni maigres.

— Niais, ces prés ordinaires étaient le purgatoire, et ces chèvres ni maigres ni grasses étaient les âmes qui attendent le moment de la délivrance.

— Homme aux dents rouges, parle-nous de ces prés où j’avais de l’herbe deux pieds par-dessus ma tête. Pourtant les bestiaux y étaient maigres comme des clous.

— Niais, ces prés étaient l’enfer, et ce bétail les âmes damnées.

— Homme aux dents rouges, parle-nous du prêtre qui disait la messe dans la petite église.

— Niais, ce prêtre était le Bon Dieu.

— Homme aux dents rouges, parle-nous des volées d’oisillons qui arrivaient des quatre vents du ciel, et qui venaient frapper contre les vitres de la petite église, avec leurs becs et leurs ailes. Pourtant, les fenêtres ne s’ouvraient pas, et les pauvres petites bestioles demeuraient toujours dehors à crier : « Riou, chiou, chiou. »

— Niais, ces oiseaux étaient les âmes, des petits enfants morts sans baptême, qui n’entreront pas en paradis.

— Homme aux dents rouges, parle-nous du cierge plus court que les autres qui brûlait sur l’autel.

— Niais, quand on a vu ce que tu as vu, on n’a plus rien à apprendre dans ce monde. Aussi vrai que tu seras tout-à-l’heure en paradis, ce cierge était ta propre vie, et il s’éteignait sur l’autel, à

la fin du dernier évangile[64]. »

XIII

le jeune homme châtié



Il y avait, une fois, une jeune fille belle comme le jour. Elle donnait le bon exemple dans sa paroisse, et passait tout son temps à travailler et à prier Dieu. Cela dura jusqu’à l’âge de dix-huit ans. Alors, un jeune homme, dont le père avait un grand château et cent métairies dans le pays, tomba amoureux de la jeune fille, et la demanda en mariage. Il se fit donner l’entrée de la maison. Vingt fois par jour, il venait y tenir compagnie à sa promise.

Un soir, vers les neuf heures, le jeune homme dit à la jeune fille :

— « Écoute. Je vais faire semblant de rentrer chez mon père. Mais je reviendrai ici à minuit, quand tout le monde dormira chez toi, et tu me recevras dans ta chambre.

— Non, mon bon ami. Je ferais un péché. Attendez que nous soyons mariés, et je vous recevrai avec plaisir dans ma chambre, aussi souvent que vous voudrez.

— Tu es une sotte de parler ainsi. Nous allons être bientôt mariés. Tu peux bien me donner à présent ce que tu me promets pour plus tard. »

La jeune fille aimait le jeune homme, et elle répondit :

— « Eh bien, faites comme si vous rentriez chez vous, et revenez ici à minuit. Je vais faire semblant d’aller me coucher. Mais quand tout le monde dormira dans la maison, je me lèverai doucement, doucement, pour aller vous ouvrir la porte, et je vous recevrai dans ma chambre. »

Le jeune homme fit comme s’il rentrait chez lui, et la jeune fille fit semblant d’aller se coucher. Mais à minuit, quand tout le monde fut endormi dans la maison, elle se leva doucement, doucement, pour aller ouvrir la porte, et reçut son galant dans sa chambre.

Le jeune homme partit avant l’aube, et ne revint plus à la maison. Alors, la jeune fille devint bien triste. Au bout de trois mois, elle dit à une de ses amies :

— « Écoute. Je vais te dire un secret. Il y a trois mois, j’ai reçu mon galant dans ma chambre pendant la nuit. Depuis lors, il n’est plus revenu me voir. Va le trouver, et dis-lui que je l’attends, car je suis enceinte. Il faut nous marier bientôt.

— Sois tranquille. Ton secret sera gardé. Ta commission sera faite. »

Le même jour, l’amie de la jeune fille alla trouver le jeune homme, et lui dit :

— « Écoutez. Votre maîtresse m’a dit un secret. Il y a trois mois, elle vous a reçu dans sa chambre pendant la nuit. Depuis lors, vous n’êtes plus revenu la voir. C’est elle qui m’a chargée d’aller vous trouver, pour vous dire qu’elle vous attend, car elle est enceinte. Il faut vous marier bientôt.

— Retourne chez ma maîtresse, et dis-lui qu’elle ne me verra jamais plus. J’ai fait d’elle Ce que j’ai voulu. Maintenant, j’ai fini de l’aimer. Si elle est enceinte, tant pis pour elle. Mais si elle compte sur moi pour mari, je crois qu’elle attendra longtemps. « 

Quand l’amie de la jeune fille entendit cela, elle n’eut plus mot en bouche, et s’en revint, en pleurant, chez celle qui l’avait envoyée.

— « Eh bien ! Que t’a répondu mon galant ?

— Ton galant est un méchant homme. Il m’a répondu : « Retourne chez ma maîtresse, et dis-lui qu’elle ne me reverra jamais plus. J’ai fait d’elle ce que j’ai voulu. Maintenant, j’ai fini de l’aimer. Si elle est enceinte tant pis pour elle. Mais si elle compte sur moi pour mari, je crois qu’elle attendra longtemps. »

Quand la jeune fille entendit cela, elle tomba raide morte. Le lendemain, on la portait au cimetière. Son galant ne parut pas même à l’enterrement. Mais, à partir de ce jour-là, il devint toujours pensif, et demeura trois ans sans s’approcher des sacrements. La quatrième année, il alla se confesser, pendant la Semaine sainte, et dit au curé :

— « Mon père, je suis coupable d’un bien grand péché. J’avais promis mariage à une jeune fille. Je l’avais rendue enceinte, et depuis lors je ne revins plus dans sa maison. Alors, ma maîtresse m’envoya une de ses amies, pour me dire qu’elle m’attendait, car elle était enceinte, et qu’il fallait nous marier bientôt. J’ai répondu : « Retourne chez ma maîtresse, et dis-lui qu’elle ne me reverra jamais plus. J’ai fait d’elle ce que j’ai voulu, et maintenant j’ai fini de l’aimer. Si elle est enceinte, tant pis pour elle. Mais si elle compte sur moi pour mari, je crois qu’elle attendra longtemps. » Quand la pauvre jeune fille a entendu cela, elle est tombée raide morte.

— Mon fils, répondit le curé, ton péché est si grand, si grand, que ni moi ni l’évêque n’avons le pouvoir de te pardonner. Il te faut aller à Rome, et te confesser au pape. »

Le jeune homme sortit de l’église, et s’en alla trouver un de ses camarades.

— « Écoute. J’ai un grand secret à te dire, et un grand service à te demander.

— Parle. Ton secret sera bien gardé. Quant au service, je te contenterai, si la chose est en mon pouvoir.

— Écoute. J’ai besoin d’aller à Rome, pour me confesser au pape. Veux-tu m’accompagner ?

— Oui.

— Eh bien, partons ce soir, à l’entrée de la nuit. Maintenant, je vais à la boutique du forgeron. »

Le jeune homme s’en alla dans la boutique du forgeron.

— « Forgeron, je paierai ce qu’il faudra. Mais je ne sortirai pas d’ici que toi et tes apprentis vous ne m’ayez forgé six paires de souliers de fer.

— Monsieur, les six paires de souliers de fer seront prêtes dans une heure. »

Une heure après, les six paires de souliers de fer étaient prêtes. Alors, le jeune homme alla trouver son camarade et lui dit :

— « Le moment est venu. Voici un bâton, une besace, et trois paires de souliers de fer, car le voyage sera long. La nuit descend : il faut partir. »

Tous deux chaussèrent une paire de souliers de fer, et partirent, sans embrasser leurs parents. Ils marchèrent ainsi, longtemps, longtemps, longtemps, traversèrent de grands bois, des rivières plus larges que la Garonne, et passèrent dans force pays, dont chacun avait son langage. Pendant le jour, ils demandaient un morceau de pain, pour l’amour de Dieu, devant les portes des métairies. La nuit, on les laissait coucher, par charité, sur la paille des étables.

Un soir le jeune homme dit à son camarade :

— « Écoute. Notre première paire de souliers de fer est usée. Nous avons fait le tiers du voyage. »

Le lendemain, tous deux chaussèrent une autre paire de souliers de fer, et partirent. Ils marchèrent ainsi longtemps, longtemps, longtemps, traversèrent de grands bois, des rivières plus larges que la Garonne, et passèrent dans force pays, dont chacun avait son langage. Pendant le jour, ils demandaient un morceau de pain, pour l’amour de Dieu, devant les portes des métairies. La nuit, on les laissait coucher, par charité, sur la paille des étables.

Un soir, le jeune homme dit à son camarade :

— « Écoute. Notre seconde paire de souliers de fer est usée. Nous avons fait les deux tiers du voyage. »

Le lendemain, tous deux chaussèrent leur dernière paire de souliers de fer, et partirent. Ils marchèrent ainsi longtemps, longtemps, longtemps, traversèrent de grands bois, des rivières plus larges que la Garonne, et passèrent dans force pays, dont chacun avait son langage. Pendant le jour, ils demandaient un morceau de pain, pour l’amour de Dieu, devant les portes des métairies. La nuit, on les laissait coucher, par charité, sur la paille des étables.

Un soir, le jeune homme dit à son camarade :

— « Écoute. Notre dernière paire de souliers de fer est usée. Demain nous serons à Rome. »

Le lendemain, ils repartirent bien avant le jour, et le soleil levant leur montra le château du pape, et les toits de la ville de Rome. Cette ville a sept cents églises. Dans chaque clocher, il y a sept cloches, de grandeur et de sons différents. Quand le jeune homme et son camarade ne furent plus qu’à une lieue, toutes ces cloches se mirent à sonner d’elles-mêmes. Alors, le peuple dit :

— « Voici les cloches qui sonnent l’arrivée d’un grand pénitent. »

Le peuple sortit donc par la grand’porte de la ville, pour aller au-devant du jeune homme et de son camarade. Tous deux furent conduits devant le pape qui dit :

— « Laissez-moi seul avec ce grand pénitent. »

Personne n’a jamais su ce qui s’est alors passé, pendant trois heures d’horloge, entre le pape et le jeune homme. La confession finie, le pape dit au grand pénitent :

— « Va me chercher ton camarade, et laisse-moi seul avec lui. »

Le jeune homme alla chercher son camarade, et le laissa seul avec le pape.

— « Mon ami, écoute bien ce que je vais te dire. Mais n’en parle à personne, avant d’être rentré dans ton pays.

— Pape, vous serez obéi.

— Mon ami, tiens-toi prêt à partir, avec ton camarade, au premier coup du midi. Vous marcherez, sans manger, sans boire, sans vous asseoir, jusqu’au coucher du soleil. Alors, vous traverserez un bois où vous trouverez une bête qui vous semblera petite de loin, et grande de près. Cette bête sautera sur le dos de ton camarade, et s’y tiendra avec ses griffes, sans que celui-ci en soit épouvanté. Alors, continuez votre route, et demandez à coucher dans la première maison que vous trouverez. Ton camarade se retirera seul dans une chambre, où vous entendrez un grand tapage. Mais que personne se garde bien d’y entrer, avant le lendemain matin.

— Pape, vous serez obéi. »

Sur le premier coup de midi, le jeune homme et son camarade repartirent. Ils marchèrent sans manger, sans boire, et sans s’asseoir, jusqu’au coucher du soleil. Alors, ils traversèrent un grand bois, où ils trouvèrent une bête, qui leur sembla petite de loin, et grande de près. Cette bête sauta sur le dos du jeune homme, et s’y tint avec ses griffes, sans que celui-ci en fût épouvanté. Alors, ils continuèrent leur route, et demandèrent à coucher dans la première maison qu’ils trouvèrent. Le jeune homme, qui portait toujours la bête sur son dos, se retira seul dans une chambre.

Sur le premier coup de minuit, on entendit dans cette chambre un grand tapage, qui dura pendant trois heures d’horloge. Ensuite, on n’entendit plus rien, et tous les gens de la maison s’endormirent jusqu’au lever du soleil. Alors, on entra dans la chambre où s’était fait ce grand tapage. Mais on n’y trouva ni le jeune homme, ni

la bête, et on n’a jamais su ce qu’ils étaient devenus[65].

II

LE DIABLE

I

le diable chez les métayers



Il y avait, une fois, une famille de métayers qui ne faisaient que parler du Diable. Un soir, après souper, comme ils devisaient selon leur coutume, le Diable entra dans la métairie. C’était une bête vêtue de rouge, avec de grandes cornes, une longue queue, et des jambes pareilles à celles des vieux boucs.

Le Diable s’assit au coin du feu, et demeura là jusqu’à minuit. Quand il fut parti, les métayers se mirent au lit, et prièrent Dieu jusqu’à la pointe de l’aube.

Le lendemain et le surlendemain, le Diable revint comme les premiers jours.

Alors, les métayers allèrent tout conter au curé de la paroisse.

— « Mes amis, dit le curé, vous n’avez que ce que vous méritez. Si vous ne parliez pas si souvent du Diable, il ne viendrait pas chez vous. Enfin, je prierai le Bon Dieu de vous garder dorénavant des visites de cette méchante bête. »

Le curé fit ce qu’il put. Mais ses prières n’avaient aucune vertu, et le Diable revenait chaque soir à la métairie. Alors, les métayers s’en allèrent trouver l’évêque, qui partit le même jour, avec sa mitre et sa crosse, accompagné de force curés.

Quand l’évêque et sa compagnie entrèrent dans la métairie, le Diable était assis au coin du feu, comme de coutume. L’évêque pria Dieu, et jeta de l’eau bénite. Mais le Diable ne bougeait pas. Tout le monde craignait qu’il ne sortît, comme il fait d’ordinaire, en faisant au mur ou au toit un grand trou, que ni les maçons ni les charpentiers ne peuvent boucher. Pour conjurer un si grand malheur, l’évêque lui posa son étole sur le dos, et le charria ainsi hors de la métairie. Alors, le Diable partit comme un éclair. Une heure après, il faisait tomber une grêle, si forte, si épaisse, qu’elle emporta toute la récolte, et que les gens eurent bien du mal à attendre le retour

de l’abondance[66].

II

le diable masqué



Il y a des jeunes gens qui se masquent, le jour de carnaval. Cela n’est pas bien, et les pères et mères devraient écorcher ces drôles à coups de fouet. La jeunesse devrait pour tant savoir que le Diable est de toutes les mascarades.

Une fois, dans un village près de Gimont[67], six jeunes gens voulurent se masquer, pour aller brûler le Carnaval[68]. Quand ils se furent masqués, ils se trouvèrent sept.

— « Quel est celui-ci, dirent-ils, qui est entré sans rien dire ? »

Mais personne ne répondait. Alors, les jeunes gens se démasquèrent, et ne se trouvèrent plus que six. Ils se masquèrent encore, et se retrouvèrent sept.

Le septième était le Diable, qui est de toutes

les mascarades[69].

III

le contrat perdu



Il y avait, une fois, un homme à qui son frère disputait un champ en justice. Pour gagner son procès, l’homme avait besoin d’un contrat qui appartenait à son oncle. Mais l’oncle était mort, sans dire où se trouvait ce papier.

Alors, l’homme appela le Diable à son aide.

— « Diable, j’ai besoin de parler à mon oncle. Sais-tu s’il est au ciel, au purgatoire, ou en enfer ?

— Homme, ton oncle est en enfer.

— Diable, porte-moi donc en enfer.

— Homme, je t’y porterai. Mais j’entends être bien payé.

— Diable, je te paierai bien. Veux-tu mon cheval ?

— Homme, je n’ai pas besoin de ton cheval.

— Diable, veux-tu ma femme ?

— Homme, si ta femme doit être à moi, il faut qu’elle se donne elle-même. Dis : « Diable, je suis à toi. » Aussitôt, je te porte en enfer, et tu parleras à ton oncle.

— Diable, je ne ferai pas cela. Si je me donne à toi, l’enfer m’attend quand je serai mort.

— Homme, l’enfer n’est pas un mauvais pays.

— Diable, prouve-moi que tu dis vrai. Si tu n’as pas menti, je sais ce que je dois faire. »

Alors, le Diable mena l’homme dans un grand château, où il trouva son oncle attablé, en compagnie de force gens.

— « Bonjour, mon oncle.

— Bonjour, mon neveu. »

L’homme s’approcha de son oncle, pour lui toucher la main. Il se sentit brûler, comme par une barre de fer rouge.

— « Souffrez-vous, mon oncle ? Pourtant, vous avez l’air de mener ici bonne vie.

— Mon neveu, je souffre mort et passion.

— Eh bien, mon oncle, puisque rien ne peut vous tirer d’enfer, dites-moi vite où est le contrat qui me fait maître du champ que mon frère me dispute en justice.

— Mon neveu, il est caché dans un trou de mur, derrière la grande armoire de la chambre où je suis mort.

— Merci, mon oncle. »

Alors, le Diable s’approcha.

— « Eh bien, homme, tu vois que l’enfer n’est pas un mauvais pays.

— Diable, c’est égal. J’aime autant retourner chez moi. »

L’homme sortit de l’enfer, et s’en alla dans la maison de son oncle. Le contrat qui le faisait

maître du champ était à l’endroit marqué[70].

IV

le diable dupé



Il y avait, une fois, un jeune homme qui avait épousé une fille belle comme le jour, sage comme une sainte, avisée plus que personne. Tous deux s’aimaient mieux qu’on ne peut dire. Après trois ans de mariage, ils avaient déjà trois jolis enfants.

Pourtant, l’homme n’était pas content, et il pensait nuit et jour :

— « Ah ! Pourquoi faut-il que je sois si pauvre ? Je gagne tout juste ma vie et celle des miens. Si j’étais riche, bien riche, je ferais bâtir une belle maison, et j’y vivrais heureux, avec ma femme et mes trois enfants. »

Un soir que l’homme revenait de son travail, en pensant comme de coutume, il trouva le Diable assis au bord d’un chemin.

— « Homme, je connais ta pensée. Nuit et jour tu penses : « Ah ! pourquoi faut-il que je sois si pauvre ? Je gagne tout juste ma vie et celle des miens. Si j’étais riche, bien riche, je ferais bâtir une belle maison, et j’y vivrais heureux, avec ma femme et mes trois enfants. »

— Diable, tu as dit la vérité.

— Homme, écoute. Veux-tu avoir ta belle maison ? Dis seulement : « Diable, je suis à toi, si tu me bâtis ma belle maison, depuis minuit jusqu’au premier chant du coq. »

— Diable, je suis à toi, si tu me bâtis ma belle maison, depuis minuit jusqu’au premier chant du coq. »

Le Diable partit, et l’homme rentra chez lui.

— « Qu’as-tu, mon homme ? lui dit sa femme. Tu es pâle comme un mort.

— Je n’ai rien.

— Tiens, mon homme, avale cette assiette de soupe.

— Je n’ai pas faim.

— Tiens, mon homme, avale au moins ce verre de vin.

— Je n’ai pas soif.

— Mon homme, tu es malade. Mets-toi au lit. Je ne tarderai guère à me coucher près de toi.

— Tu as raison. »

L’homme se mit donc au lit, et sa femme ne tarda guère à se coucher près de lui. Mais la fine chatte se méfiait, en faisant semblant de dormir.

Quand minuit fut proche, l’homme se leva doucement, doucement, ouvrit la fenêtre, et regarda dans la campagne. La lune brillait dans son plein. L’homme était si bourrelé de ses pensées, qu’il n’entendit pas sa femme sauter du lit doucement, doucement, et venir regarder derrière lui.

Sur le premier coup de minuit, le Diable arriva, avec force mauvais esprits, chargés de pierres, de briques, de bois, de chaux, de sable, enfin de tout ce qu’il faut pour bâtir une belle maison. Les bons outils ne manquaient pas aux ouvriers. Aussi, la bâtisse montait, montait d’heure en heure.

Et pendant que la bâtisse montait, montait d’heure en heure, l’homme regardait toujours et disait :

— « Ah ! mon Dieu. Je suis damné. Le travail sera fini avant que le coq ne chante. Malheur ! J’ai dit au Diable : « Diable, je suis à toi, si tu me bâtis une belle maison, depuis minuit jusqu’au premier chant du coq. »

Mais la femme ne faisait que rire, et pensait :

— « Pauvre homme, tu n’es guère avisé. Travaille, Diable. Travaillez, mauvais esprits. Si vous comptez vous payer sur l’âme et le corps de mon mari, je sais comment vous faire banqueroute. »

Déjà, le Diable et les mauvais esprits avaient presque couvert la maison, et travaillaient à poser les dernières tuiles. Aussitôt, la femme courut ouvrir toute grande la porte de son poulailler.

— « Kikiriki. »

Au premier cri du coq, le Diable et les mauvais esprits détalèrent, juste au moment où ils n’avaient plus qu’une seule tuile à poser. Voilà comment la femme dupa le Diable, et lui fit bâtir pour rien la maison où elle vécut heureuse,

avec son mari et ses enfants[71].

V

le diable et le forgeron



Il y avait, une fois, un jeune homme qui s’était établi forgeron. Ce jeune homme était honnête, laborieux, économe comme pas un. Pourtant, il était plus pauvre que les pierres, et devait gros à tous les usuriers du pays. Chaque semaine, on l’assignait devant les juges.

Un soir d’hiver, le Forgeron cheminait seul le long d’un grand bois. Il était triste, bien triste, et pensait :

— « Jamais je n’épouserai la fille que j’aime. Je suis à bout de moyens. Demain, les huissiers et les recors me feront visite. Ma maisonnette et ma forge seront vendues. Que vais-je devenir ? »

En ce moment, un homme noir, haut d’une toise, les yeux rouges comme des charbons, sortit tout-à-coup du grand bois, et vint se camper au beau milieu du chemin.

— « Forgeron, je suis le Diable. Forgeron, je sais ce que tu penses. Tu penses : « Jamais je n’épouserai la fille que j’aime. Je suis à bout de moyens. Demain, les huissiers et les recors me feront visite. Ma maisonnette et ma forge seront vendues. Que vais-je devenir ? » Tiens, prends cette bourse pleine de doubles louis d’or et de quadruples d’Espagne. Paie ce que tu dois. Épouse la fille que tu aimes. Dans sept ans, tu me rembourseras mon or. Sinon, je t’emporte dans mon enfer.

— « Diable, c’est chose entendue. »

Le Diable partit, et le Forgeron rentra dans sa maisonnette.

Huit jours après, tous les usuriers étaient payés, et le Forgeron avait épousé la fille qu’il aimait.

— « Maintenant, me voilà tranquille. Je vais travailler fort et ferme. Le Diable aura son or au temps promis. Ainsi, il ne m’emportera pas dans son enfer. »

Et le Forgeron travaillait, travaillait comme un galérien, de l’aube à minuit. Au bout de sept ans moins un jour, il lui manquait encore cent pistoles.

— « Malheur ! Demain le Diable m’emportera dans son enfer. »

En ce moment, trois hommes, montés chacun sur son âne, s’arrêtaient devant la maisonnette.

— « Bonsoir, Forgeron.

— Bonsoir, mes amis. Qu’y a-t-il pour votre service ?

— Forgeron, nous sommes affamés et las. Pour l’amour du Bon Dieu et de la sainte Vierge Marie, fais-nous souper et coucher.

— Avec plaisir, mes amis. Tenez, voici l’étable. Enfermez-y vos ânes, et ne les laissez manquer ni de paille ni de foin. Femme, prépare le coucher et le souper de ces braves gens. »

Une heure après, les trois hommes devisaient et mangeaient le ventre à table, avec le Forgeron, sa femme et ses enfants.

— « À ta santé, Forgeron.

— À la vôtre, mes amis.

— Forgeron, tu es triste. Conte-nous ta peine.

— C’est vrai, mes amis. Je suis triste, bien triste. Tout-à-l’heure vous saurez pourquoi. »

Quand sa femme et ses enfants furent couchés, le Forgeron parla.

— « Mes amis, vous voulez savoir pourquoi je suis triste. Je vais vous conter ma peine. Il y a sept ans moins un jour, le Diable m’a prêté de l’or. Pour le lui rembourser tout, il me manque encore cent pistoles. Demain, le Diable viendra. Je ne pourrai pas le payer, et il m’emportera dans son enfer.

— Forgeron, dirent les trois hommes, la charité que tu nous fais te sera payée. N’aie pas peur. Le Diable ne t’emportera pas dans son enfer.

— Merci, mes amis. Qui êtes-vous donc ?

— Moi, dit l’un des trois hommes, je suis saint Jean. Écoute, Forgeron. Devant ta porte est un beau noyer chargé de noix vertes. Tâche de faire monter le Diable sur cet arbre. Je te promets que, par la vertu de mes prières, il ne s’en tirera pas de sitôt.

— Moi, dit l’autre des trois hommes, je suis saint Pierre. Dans ta forge est une grosse enclume. Tâche de faire asseoir le Diable dessus. Je te promets que, par la vertu de mes prières, il ne s’en tirera pas de sitôt.

— Moi, dit le dernier des trois hommes, je suis Notre-Seigneur Jésus-Christ. Tâche de jeter le Diable dans tes latrines. Je te promets que, par la vertu de mes prières, le Diable n’en sortira plus jamais, jamais.

— Merci, saint Jean. Merci, saint Pierre. Merci, Notre-Seigneur Jésus-Christ. Maintenant, j’ai le cœur content. Le Diable peut venir. À votre santé.

— À la tienne. Forgeron. Et maintenant, au lit. Ne manque pas de nous réveiller demain matin, avant la pointe de l’aube. »

Tous quatre allèrent se coucher. Mais le lendemain, quand le Forgeron se leva, bien avant la pointe de l’aube, les lits des voyageurs étaient vides, et leurs trois ânes n’étaient plus à l’étable.

Au lever du soleil, le Diable arriva.

— « Forgeron, rembourse-moi mon or. Sinon, je t’emporte dans mon enfer.

— Diable, il y aura sept ans ce soir, tu m’as remis une bourse pleine de doubles louis d’or et de quadruples d’Espagne. J’ai donc jusqu’à ce soir pour te rembourser. Si je ne te paye pas à l’heure juste, emporte-moi dans ton enfer.

— Forgeron, c’est juste. Mais j’ai marché toute la nuit. Je crève de faim. Par pitié, donne-moi de quoi déjeûner.

— Diable, je serais content de te régaler. Par malheur, je suis pauvre. Tiens, partageons ce morceau de pain, et montons sur ce noyer. Nous mangerons des noix vertes. »

Tous deux montèrent sur le noyer, et mangèrent à leur faim.

— « Maintenant, Diable, descends si tu peux. »

Le Forgeron descendit sans peine, et le Diable tâcha d’en faire autant. Mais il demeura pris dans les branches pendant trois heures d’horloge.

— « Diable, tu t’es attardé sur le noyer. Entre dans ma boutique. Nous parlerons de notre affaire. Tiens, assieds-toi sur l’enclume. Et maintenant, tâche de te relever.

— Forgeron, je ne puis pas.

— Attends, Diable. Je vais te délivrer à grands coups de marteau. »

Le Forgeron prit son marteau à frapper devant. Pendant trois heures d’horloge, il cogna fort et ferme sur le Diable, qui jurait et criait comme un perdu :

— « Pas si fort, Forgeron. Pas si fort.

— Courage, Diable, c’est pour ton bien. »

Enfin, la male bête se leva toute sanglante, et les os broyés en cent morceaux. Alors, le Forgeron la mena devant les latrines, et lui mit le nez sur le trou.

— « Flaire, Diable, cette bonne odeur. Cela te fera du bien. »

À son tour, le Diable mit le nez sur le trou. Aussitôt, le Forgeron le prit par les jambes, le lança dans les latrines, et boucha le trou à chaux et à sable.

— « Et maintenant, Diable, tâche de sortir de là. »

Jamais le Diable ne put sortir de sa prison, et le Forgeron vécut heureux et tranquille, avec sa

femme et ses enfants[72].

III

Sorciers, Sabbat, Sortilèges

I

manière de reconnaître les sorcières



Il arrive souvent que les sorcières donnent du mal et jettent des sorts. Mais l’ensorcelé et ses parents ne savent pas toujours à qui s’en prendre, et se méfient à tort de braves gens, qui ne méritent pas cet affront.

Pour reconnaître à coup sûr la personne qui a donné le mal, il faut prendre un agneau noir de six semaines, né durant la nuit du premier lundi au premier mardi de janvier. Cet agneau noir doit être saigné au lever du soleil, avec un couteau neuf. Quand l’agneau noir est saigné et écorché, on l’embroche, et on le fait rôtir devant un grand feu de bourrées d’épines noires. Pendant que le feu flambe, il faut piquer l’agneau avec le couteau qui a servi à le tuer. Chaque blessure faite à la bête correspond à la personne qui a donné le mal, et lui fait souffrir le martyre, de sorte qu’elle est forcée de se présenter la première dans

la maison où on fait rôtir l’agneau noir[73].

II

le loup-garou



Les loups-garous sont des gens comme nous ; mais ils ont fait un contrat avec le Diable. Chaque soir ils sont forcés de se changer en bêtes, pour aller au sabbat, et courir toute la nuit. Il y a pourtant un moyen de les guérir. Il faut leur tirer du sang, pendant qu’ils ont perdu la forme de l’homme, et aussitôt ils la reprennent pour toujours.

Une nuit, le curé de Pauillac[74] se retirait de la ville de Lectoure. Arrivé au Pont-du-Pin[75], il aperçoit une grand’bête qui lui barrait le passage. Que fait le curé, qui était un homme fort et hardi ? Il tire son couteau de sa poche, et tombe sur le loup-garou.

Au premier coup, la grand’bête changea de forme, et le curé reconnut un de ses plus proches voisins.

— « Ah ! monsieur le curé, dit l’homme, vous m’avez rendu un bien grand service. Si vous ne m’aviez pas saigné, je serais peut-être demeuré loup-garou toute ma vie. À présent, je suis guéri pour toujours. »

Le curé aida l’homme blessé à rentrer dans sa maison. Cet homme vécut encore longtemps, et

finit comme un brave chrétien[76].

III

la nuit de noël



La nuit de Noël est un temps de grande confusion pour l’enfer. Les sorcières, les loups-garous et les Diables ne se possèdent pas de colère, parce que Notre-Seigneur est né ; et ils font partout autant de méchancetés qu’ils le peuvent. Cette nuit-là, quand on part pour la messe de minuit, il faut bien se garder d’abandonner les petits enfants tout seulets dans les maisons. Il est arrivé que les sorcières ont profité de ce que les pères et mères étaient sortis, pour jeter des sorts et donner du mal. On dit même que, du côté du Mas-de-Fimarcon[77], des parents, en rentrant de la messe, trouvèrent un de leurs enfants tout embroché, que les sorcières allaient faire rôtir.

Une nuit de Noël, deux femmes s’en étaient allées à la messe de minuit, à Lectoure. En attendant qu’on sonnât à l’église de Saint-Gervais, elles marchaient, sur la promenade du Bastion. Tout en marchant, elles s’entravèrent à une branche.

— « Catherine, dit Isabeau, ramasse donc cette branche. »

Mais Catherine n’eut pas ramassé la branche, que le vent l’emporta, avec Isabeau, sur le plateau de Bustet[78], où les sorciers tenaient le sabbat.

Les deux femmes reconnurent là force gens que l’on n’aurait jamais cru s’être donnés au Diable ; et elles en ont nommé plusieurs, qui n’en ont pas été contents. Tout ce méchant monde folâtrait et dansait en rond, en attendant que le Diable arrivât pour faire la paie. Enfin le Diable arriva, sur une charrette attelée de chats et d’escargots, et il ouvrit une grande caisse pleine d’écus et de louis d’or. Mais, à mesure qu’il payait, les écus se changeaient en charbons, et les louis d’or en feuilles de ronces sèches.

La paie faite, le Diable commença la male messe, en faisant le signe de la croix en terre avec le pied gauche ; et il lut le saint évangile tout à rebours. Au moment de la consécration, il leva en air une hostie noire à trois pointes ; et les crapauds et les rainettes se mirent à chanter.

Après la consécration, les gens du sabbat s’en allèrent en procession, chacun son cierge noir à la main, baiser le Diable sous la queue.

— « Voici votre tour, dit une vieille sorcière à Catherine et à Isabeau. Y voulez-vous aller ?

— Non, mon Dieu ! »

Au nom Dieu, le Diable prit la fuite avec son méchant monde après lui. Aussitôt, Catherine et Isabeau se trouvèrent reportées sur la promenade du Bastion, comme on sonnait le premier coup

de la messe de minuit[79].

IV

le curé au sabbat



Il y avait, une fois, une servante de curé que les gens accusaient d’être sorcière.

Son maître finit par le savoir.

— « Mie, lui dit-il un samedi soir, les gens t’accusent d’être sorcière.

— Monsieur le curé, ils en ont menti.

— Voyons, mie, dis-moi la vérité.

— Monsieur le curé, ils en ont menti.

— Mie, si tu es sorcière, tu peux te fier à moi. Je veux t’accompagner au sabbat. Dis-moi comment il faut m’y prendre.

— Eh bien, Monsieur le curé, je vais tout vous dire. Mettez le pied sur ce balai en criant :

« Hardi, balai,
Jusqu’à l’heure et demie[80]. »

Le curé prit son eau bénite et son goupillon, mit le pied sur le balai, et cria :

— « Hardi, balai,
Jusqu’à l’heure et demie. »

Le balai partit, à travers les nuages, cent fois plus vite que le vent. En cinq minutes, le curé et sa servante étaient rendus au lieu du sabbat. C’était un beau château, comme le roi n’en a pas de pareil. Sorciers et sorcières, dansaient au son des violons. Quand ils étaient las, ils allaient s’asseoir à de grandes tables, chargées de plats et de vins de toute espèce.

Le curé, à moitié mort de peur, secoua l’eau bénite avec son goupillon.

Tout disparut aussitôt. Le curé se trouva porté, sans savoir comment, dans un nid de pie, à la cime d’un peuplier, entre les rivières du

Tarn et de l’Aveyron[81].

V

les trois nuits



Un jour, un curé donna son mouchoir tout taché de sang à une jeune fille, et lui dit :

— « Mie, va me laver ce mouchoir au ruisseau. »

La jeune fille s’en alla laver le mouchoir au ruisseau ; mais elle ne put jamais en ôter le sang. Alors, elle revint chez le curé.

— « Monsieur le curé, j’ai lavé le mouchoir au ruisseau ; mais je n’ai jamais pu en ôter le sang.

— Mie, ceci est un signe de grand malheur. Pour le conjurer, tu vas passer trois nuits dans l’église, sans que personne le sache.

— Monsieur le curé, je les y passerai ; et je veux commencer ce soir. »

Le même soir, le curé enferma secrètement la jeune fille dans l’église. Elle y passa la nuit sans rien voir. Mais la malheureuse ne put s’empêcher de tout conter à sa mère.

La seconde nuit, la jeune fille revint à l’église. Sur le premier coup de minuit, elle vit tous les morts, qui étaient enterrés là, sortir de terre, et se ranger en procession. En passant devant la pauvre enfant, un mort la couvrit d’un linceul ; et elle demeura ainsi jusqu’à la pointe de l’aube. Alors, elle retira le linceul, le cacha derrière l’autel, et retourna chez elle. Mais, cette fois, elle ne souffla mot à personne de ce qu’elle avait vu.

La troisième nuit, la jeune fille revint à l’église. Sur le premier coup de minuit, elle s’enveloppa du linceul, et attendit. Elle vit tous les morts, qui étaient enterrés là, sortir de terre, et se ranger en procession. En passant devant la pauvre enfant, un mort secoua l’autre linceul qu’elle avait caché, la veille, derrière l’autel. Aussitôt, en sortirent par milliers des araignées, des crapauds, et des chauves-souris. Ils emportèrent la malheureuse

dans une fosse, et l’y mangèrent toute vive[82].

VI

les mauvaises œuvres des curés



Il y avait, une fois, trois curés assemblés au bord d’un chemin. Ils se consultaient, pour savoir comment ils pourraient faire le malheur du peuple.

— « Les gens, disaient-ils, sont devenus bien glorieux et bien fiers, depuis qu’ils sont riches. Châtions-les comme ils le méritent. Faisons tout périr par la grêle. »

Aussitôt, les trois curés s’en allèrent vers une mare tout proche. Ils en troublèrent l’eau, la mêlèrent avec la vase, et en pétrirent un levain de grêle. Ensuite, ils firent descendre un nuage, y mirent le levain de grêle, et le lancèrent vers le ciel. Ce nuage empoisonna les autres. Bientôt, la grêle emporta le pain et le vin.

Tous les curés du pays furent très contents de ce malheur. Ils voulaient s’assembler en grande troupe, pour savoir comment ils pourraient encore faire le malheur du peuple. Mais ils eurent peur d’être surveillés, et ils nommèrent trois d’entre eux, afin de tenir conseil pour tous les autres.

Les trois curés nommés s’assemblèrent dans un clocher.

— « L’an passé, dit l’un d’eux, nous avons fait périr toutes les récoltes par la grêle. Empoisonnons encore les nuages.

— Non, dit un autre. Les gens s’en prendraient à nous. Faisons tout périr par la pluie.

— Non, dit le troisième. La pluie donnerait des maladies. Nous pourrions en pâtir comme les autres. Faisons tout périr par la brume. »

Alors, les trois curés prirent de l’eau pourrie. Avec un grand goupillon, ils la jetèrent aux quatre vents du ciel. Cette eau pourrit tous les nuages, et les mit en brume. Pendant trois ans le pays demeura sans récoltes.

Voilà les mauvaises œuvres des curés[83]

VII

la messe de saint sécaire



Il y a des gens qui n’osent pas attaquer hardiment leurs ennemis, et qui n’osent pas non plus les empoisonner, par crainte de la justice. Celui qui tue mérite la mort, et le bourreau lui coupe la tête.

Que font alors certains vauriens ? Ils s’en vont trouver des sorcières, pour faire donner du mal à leurs ennemis. Autrefois, les sorcières étaient brûlées vives, par ordre des juges. Maintenant, ces gueuses peuvent tout faire, sans que les gens en place s’en mêlent. Par bonheur, plus d’une de ces carognes a été mise au four, sans que la justice en ait jamais rien su, ni fait ouïr des témoins, qui se seraient mal trouvés d’avoir parlé.

Il y a aussi d’autres moyens de se garder contre cette vermine, sans qu’on soit en droit de vous châtier. Si vous savez qu’une sorcière veut vous donner du mal, surveillez-la bien. Quand elle passera près de vous, et quand elle étendra le bras, pour faire sa mauvaise œuvre, dites en vous-même :

— « Que le Diable te souffle au cul[84]. »

Aussitôt, la sorcière pâtira cent fois plus que vous n’auriez pâti, et vous n’aurez plus rien à craindre d’elle. Pareille chose arrivera, quand vous la verrez venir de loin, si vous dites, toujours en vous-même :

— « Je te doute,
Je te redoute.
Pet sans feuille,
Monte en-haut la cheminée[85]. »

Maintenant, vous êtes averti, et vous savez ce qu’il faut faire.

Il y a quelque chose de bien plus rare, mais aussi de bien pire que le mal donné par les sorcières. C’est la Messe de saint Sécaire. L’homme à l’intention de qui on la fait dire sèche peu à peu, sans qu’on sache pourquoi ni comment, et sans que les médecins y voient goutte.

Bien peu de curés savent la Messe de saint Sécaire ; et les trois quarts de ceux qui la savent ne la diront jamais, ni pour or, ni pour argent. Il n’y a que les mauvais prêtres, damnés sans rémission, qui se chargent d’un pareil travail. Ces prêtres ne demeurent jamais deux jours de suite dans le même endroit. Ils marchent, toujours la nuit, pour s’en aller, aujourd’hui dans la Montagne[86], demain dans les Grandes-Landes de Bordeaux ou de Bayonne.

La Messe de saint Sécaire ne peut être dite que dans une église où il est défendu de s’assembler, parce qu’elle est à moitié démolie, ou parce qu’il s’y est passé des choses que les chrétiens ne doivent pas faire. De ces églises, les hiboux, les chouettes et les chauves-souris font leur paradis, et les Bohèmes y viennent loger. Sous l’autel, il y a tout plein de crapauds qui chantent.

Le mauvais prêtre amène avec lui sa maîtresse, pour lui servir de clerc. Il doit être seul dans l’église, avec cette truie, et avoir fait un bon souper. Sur le premier coup de onze heures, la messe commence par la fin, et continue tout à rebours, pour finir juste à minuit. L’hostie est noire, et à trois pointes. Le mauvais prêtre ne consacre pas de vin. Il boit l’eau d’une fontaine, où on a jeté un enfant mort sans baptême. Le signe de la croix se fait toujours par terre, et avec le pied gauche.

Il se passe encore, à la Messe de saint Sécaire, beaucoup d’autres choses que nul ne sait, et qu’un bon chrétien ne pourrait voir, sans devenir aussitôt aveugle pour toujours.

Voilà comment certaines gens s’y prennent, pour faire sécher peu à peu leurs ennemis, pour les faire mourir, sans qu’on sache pourquoi ni comment, et sans que les médecins y voient goutte.

Vous comprenez de reste que les mauvais prêtres, et les gens qui les paient pour ce travail, auront un grand compte à rendre, le jour du dernier jugement. Aucun curé, ni évêque, pas même l’archevêque d’Auch, n’a le droit de leur pardonner. Ce pouvoir n’appartient qu’au pape de Rome, qui ordonne alors, pour toute la vie, des pénitences plus terribles que le plus profond des enfers. Mais bien peu de ces misérables veulent s’y soumettre, et la plupart meurent damnés sans rémission.

Il y a pourtant un moyen de se garder contre la Messe de saint Sécaire ; mais je ne sais pas la contre-messe qu’il faut dire. Vous pouvez croire. Monsieur Bladé, que si on me l’avait apprise, je vous l’enseignerais de bon cœur. Votre pauvre père (Dieu lui pardonne !) était un brave homme, qui m’a fait service plus d’une fois. Tâchez de le valoir. J’ai ouï dire que vous parliez le français aussi bien que les avocats d’Auch, et même d’Agen. Pourtant, vous n’êtes pas un francimant[87], et il n’y a pas de métayer qui sache le patois mieux que vous. Aujourd’hui, force bourgeois de Lectoure, qui ont vingt-quatre heures de loisir par jour, en passent plus de la moitié à lire les nouvelles, et à se disputer, pour savoir qui on nommera aux élections. Ils font semblant de ne pas croire aux sorciers et aux loups-garous. Mais j’en connais qui, la nuit, tremblent de peur dans leur lit, quand ils ont soufflé leur chandelle.

Tout cela, Monsieur Bladé, est pour vous dire que si je savais la contre-messe de saint Sécaire, je vous la réciterais de bon cœur, pour la mettre par écrit, parce que je vous crois incapable d’en faire un mauvais usage. Marquez pourtant que cette contre-messe a le pouvoir de faire sécher peu à peu le mauvais prêtre, et les gens qui l’ont payé. Ils meurent, sans qu’on sache pourquoi ni comment,

et sans que les médecins y voient goutte[88].

VIII

le vendredi



Il ne faut jamais rien entreprendre un vendredi, parce que, ce jour-là, Notre-Seigneur Jésus-Christ est mort. Les gens qui se mettent alors en voyage, risquent de tomber de cheval, ou de se noyer, en passant à gué les rivières.

Les femmes qui font la lessive le vendredi, risquent fort de perdre leur temps. Ceux qui tirent le vin au fin ce jour-là, courent la male chance de le trouver piqué, et trouble comme de la bouillie de maïs. Il est même arrivé que ceux qui ont fait alors cuire du pain un vendredi, ont trouvé du sang dans le four, et les miches toutes rouges.

Pourtant, le vendredi est un bon jour pour faire le vinaigre. Les barils que l’on augmente, à trois heures du soir, sont bien plus forts que ceux qui sont augmentés les autres jours. Cela tient à ce que, pendant qu’il était en croix, Notre-Seigneur fut abreuvé de fiel, de suie, et de vinaigre, le jour du Vendredi saint, à trois heures du

soir[89].

IX

pour conjurer la grêle



Il y a un bon moyen de conjurer la grêle. Quand elle commence à tomber, prenez trois grêlons, et mettez-les au feu. Si le mauvais temps continue, prenez-en sept, mettez-les aussi au feu, et tirez un coup de fusil aux nuages. Aussitôt, la force de l’orage est rompue,

et les mauvais nuages s’en vont[90].

IV

Esprits et Fantômes

I

les esprits



Les imbéciles ne prennent pas garde aux chats ; mais les gens avisés s’en méfient. Beaucoup de ces bêtes-là ont fait un contrat avec le Diable, qui les paie pour veiller toute la nuit, et faire sentinelle, quand les Mauvais Esprits s’assemblent. Nul n’est en état de dire au juste ce que les chats reçoivent de gages, ni ce qu’ils en font. Ce qu’il y a de sûr, c’est que le Diable les invitera à dîner le Mardi-Gras. Voilà pourquoi il est si rare de voir un chat ce jour-là.

Maintenant, vous comprenez pourquoi, tout le long du jour, les chats sommeillent ou font semblant, l’hiver au coin du feu, l’été au premier endroit venu. Ils sont fatigués d’avoir patrouillé toute la nuit, autour des granges et des étables, dans les caves et dans les greniers. Vous comprenez aussi qu’avec de si bonnes sentinelles, les Mauvais Esprits sont presque toujours avertis à temps pour s’en aller. Voilà pourquoi ceux que nous pouvons voir ne paraissent pas souvent, et s’évanouissent comme un éclair.

Il y a, en effet, des Mauvais Esprits que l’homme peut voir, et d’autres qu’il ne verra jamais. Je ne parle pas des sorcières et des loups-garous, qui ne sont que des gens liés par un contrat avec le Diable. Je parle des Fantômes, des Peurs et des Dracs, que l’on a vus, aussi vrai que nous devons tous mourir. Il y a aussi la Marrauque et la Jambe-Crue, qui rôdent, le soir, autour des métairies, et derrière les meules de paille, pour voler les petits enfants, qu’elles vont manger je ne sais où. Voilà les Mauvais Esprits que l’homme peut voir.

Il y en a d’autres dont je ne sais pas le nom, et que nous entendons, sans les voir. L’été, ils dansent, au clair de la lune, dans les prés, dans les champs, et sur la cime des arbres. L’hiver, ils demeurent tout le long du jour dans les greniers, dans les fours et les trous de mur ; et ils n’en sortent que la nuit, pour faire grincer et battre les portes et les fenêtres.

Il y a aussi des Mauvais Esprits, que l’homme voit sans se douter de rien. Ceux-ci ont le pouvoir de prendre toutes sortes de formes, de se changer en bêtes, en arbres, en pierres, et autres choses pareilles. On les prend pour ce qu’il ne sont pas, et on passe sans y faire attention. Si vous ne croyez pas cela, je ne suis pas embarrassé de vous en donner la preuve.

Vous connaissez le moulin d’Aurenque[91] aussi bien que moi. Un jour, la mécanique des meules se détraqua. Alors, le meunier se dit en lui-même :

— « Voici qui est bien ennuyeux. Mais plaie d’argent ne fait pas mourir. Il y a, à Condom, un fameux charpentier pour moulins. J’irai le chercher cette nuit. Demain, je le ramènerai, et quatre jours ne se passeront pas sans que mes meules rentrent en danse. »

Alors, le meunier s’en alla dans l’écurie, étrilla son plus beau cheval, le bâta, et lui donna double picotin d’avoine. Cela fait, il s’habilla de neuf, but et mangea comme un homme qui doit aller loin, et revint à l’écurie mettre la bride à son cheval. C’était au temps du mois mort[92]. Il faisait noir comme dans un four. Sur le coup de onze heures de la nuit, le meunier monta à cheval, armé d’un coutelas, car il lui fallait traverser de grands bois, et il craignait les mauvaises rencontres de loups et de voleurs.

En traversant le Ramier[93], tout alla bien. Le meunier content, tira sur la bride du côté de Lamothe-Goas[94], et ne tarda pas à sommeiller sur le bât, car le cheval allait au pas. Combien de temps le cavalier dormit-il ainsi ? Jamais il n’a pu le dire. Quand il se réveilla, il était prisonnier, serré de tous côtés par de grands chênes, par des arbres couchés et des branches mortes, par des ronces et des épines, si pressées, si pressées, qu’un serpent ou une vipère n’auraient pu y trouver passage. Les feuilles sèches tremblaient ; les branches se rompaient ou claquaient. Les buissons, que nulle serpe n’avait jamais émondés, égratignaient le cavalier et le cheval, sans leur permettre de faire un pas.

Le meunier comprit alors qu’il était tombé dans une assemblée de Mauvais Esprits, qui prennent toutes sortes de formes. Il tira sur la bride, n’éperonna plus sa bête, et attendit le jour en priant Dieu.

Jusqu’à la pointe de l’aube, le meunier fut tourmenté de mille façons. Quand le chant du coq mit les Mauvais Esprits en fuite, le cavalier se trouva, sans savoir comment, au milieu du grand chemin, et à demi-portée de fusil du château de Lamothe-Goas.

La dame de ce château (c’était une veuve fort charitable) manda le chirurgien de la Sauvetat[95], qui soigna le meunier pendant sept jours. Elle envoya aussi un valet à Condom, avertir le charpentier pour moulins ; de sorte que la mécanique était réparée, le matin même où le meunier

rentra chez lui[96].

II

le drac



Les Dracs sont de petits esprits, qui se plaisent dans les écuries. Pendant le jour, ils se cachent où ils peuvent, sous la litière, et dans les trous des murs. La nuit, ils sortent, et vont tresser le crin des chevaux, comme l’homme le plus adroit ne serait pas en état de le faire. Si les maîtres ne ferment pas à clef le coffre à avoine, les Dracs ne manquent pas d’aller y en prendre, pour la donner aux chevaux.

Un Drac se fit l’ami d’un maquignon de Poupas[97], pour un fouet de tresses de soie, emmanché de bois de Perpignan[98], avec une belle pomme rouge et jaune à la poignée. Ce fouet fut pendu à un endroit de l’écurie, où nul ne devait le toucher que le Drac lui-même. En paiement de ce fouet, le Drac faisait de grands services au maquignon. Il lui soignait si bien ses chevaux et ses juments, qu’on n’en aurait pas trouvé de si beaux aux foires d’Agen et de Toulouse.

Par malheur, le maquignon eut un jour la fantaisie de se servir du fouet de soie, et le Drac ne tarda pas à se venger. Le même soir, on entendit des coups de fouet claquer dans l’écurie, et les chevaux sauter et hennir. Aussitôt, on y alla. On ne vit rien. Mais les pauvres bêtes étaient mouillées de sueur, comme si elles avaient fait dix lieues au grand galop.

Chaque soir, le tapage recommença. Pour tant que veillassent le maître et les valets, ils ne purent jamais rien voir. Au bout de sept mois juste, on n’entendit plus rien. Peut-être le Drac fut-il chassé par les conjurations d’un grand devin que le maquignon fit venir des Landes[99]. Peut-être aussi le Drac se trouva-t-il assez vengé, et s’en alla-t-il de lui-même quelque autre part[100].

— « Monsieur Bladé[101], Pierre[102] est un homme incapable de mentir. Ce qu’il sait sur le Drac, il vous l’a dit. Voici ce qu’il ne sait pas. Je le tiens de mon père (Dieu lui pardonne !), de Pichou, que vous avez connu quand vous étiez enfant, et qui était métayer de votre grand-père et de votre père (Dieu leur pardonne !), à Hoursés[103].

« Un soir, mon père revenait seul de la ville de Lectoure, et s’en retournait à Hoursés. Il pouvait être onze heures, et la nuit était noire comme l’âtre. Vous savez que, tout proche de Boulouch[104], il y a une mare, à gauche du chemin. De cette mare, partaient de grands bruits, comme les coups de maillet des lavandières qui battent la lessive. Alors, mon père pensa : « Quelles sont donc ces sottes, qui battent la lessive à cette heure-ci ? » Mais ce n’étaient pas des lavandières, Monsieur Bladé. C’était le Drac. Il fut tellement irrité d’être surpris, qu’il couvrit mon père de vase, depuis la tête jusqu’aux pieds. Voilà ce que le brave homme m’a dit vingt fois, et ce que m’a redit encore plus souvent ma pauvre mère, qui avait vu rentrer son mari dans cet

état[105].

III

la messe des fantômes



Il y avait autrefois, à Lectoure, derrière le couvent de Sainte-Claire[106], une veuve qui gagnait sa pauvre vie à filer du lin. Cette femme était fort dévotieuse. Chaque matin, elle ne manquait pas d’aller, avant le jour, à la première messe de Saint-Gervais[107].

Une nuit d’hiver, la veuve ne dormait pas. À travers le bruit du vent, elle crut entendre les cloches sonner la messe première. Elle s’habille aussitôt, et part pour Saint-Gervais. Il n’y avait personne dans les rues. La nuit était noire comme l’âtre. Pourtant, les portes de l’église étaient grandes ouvertes, l’autel préparé, et les cierges allumés. La veuve trouva là force gens, vêtus à la mode de l’ancien temps, qui se mouvaient sans faire de bruit. Mais elle n’en connaissait aucun. Elle ne connaissait pas non plus le prêtre qui disait la messe, ni les clercs qui lui répondaient. Elle voyait bien ce prêtre remuer les lèvres. Au moment de la consécration, elle vit aussi le clerc brandir la clochette. Mais elle n’entendit ni parole ni tintement.

Le moment de la quête arrivé, un chanoine, que la veuve n’avait jamais vu, passa avec un grand plat de cuivre. Tous les gens y jetaient des écus, des pistoles, et des louis d’or, comme on en voyait autrefois, et comme il n’y en a plus aujourd’hui. Cet argent et cet or, tombaient dans le plat sans tinter. Mais quand le chanoine arriva devant la veuve, la pauvre femme, qui n’avait pas un liard en poche, tira de son doigt son anneau de mariage, et le laissa tomber dans le plat de cuivre.

Au tintement que fit l’anneau, soudain les cierges s’éteignirent tous à la fois. Le prêtre, les clercs, et le peuple, s’évanouirent sans bruit, comme une fumée ; et la veuve demeura seule, dans la nuit, au milieu de l’église de Saint-Gervais.

Les voisins la trouvèrent morte le lendemain matin ; et les chanoines de Saint-Gervais s’étonnèrent de trouver, dans le plat de quête, un anneau

d’or, sans qu’on sût qui l’y avait mis[108];

V

Êtres bienfaisants ou neutres

I

les petits hommes



Il y a une race de Petits Hommes, que plusieurs appellent des Nains.

Les Petits Hommes n’ont pas un pied de haut. Ils demeurent sous terre, et dans le creux des rochers, se coiffent de bonnets velus, portent de longs cheveux et de longues barbes, s’habillent de rouge à l’ancienne mode, se chaussent de sabots d’argent, et vont armés de sabres et de lances. Ces créatures ne sont pas de la race des chrétiens. Elles ne mourront qu’à la fin du monde, et ne ressusciteront pas pour être jugées.

Les Petits Hommes ne sont pas méchants, et même ils rendent service au besoin. Si vous voulez les voir tout bleus de colère, vous n’avez qu’à crier : « Couac ! couac ! couac ! » comme les oies, qui les battent à grands coups de bec, chaque fois qu’elles les rencontrent. Si vous voulez les voir contents comme des pinsons, dites :

« Rigue, rague.
C’est aujourd’hui la paie[109]. »

Autrefois, les Petits Hommes se montraient de temps à autre. Maintenant, je n’en entends plus parler. Peut-être se sont-ils dépaysés. Peut-être n’osent-ils plus sortir le jour, à cause de la méchanceté des gens, ou par crainte d’être battus par les oies, à grands coups de bec.

Les Petits Hommes boivent et mangent comme nous. Voici comment ils se procurent ce qu’il leur faut.

Selon les saisons, la terre porte différentes récoltes : du foin au mois de juin, du blé au mois de juillet, des raisins et du maïs au mois de septembre. Il y a aussi les fruits de toutes sortes, qui viennent chacun en son temps, et le bétail

gros et menu. Tout cela est pour les chrétiens. Chacun peut le voir, et le toucher à sa volonté. Mais il y a un autre genre de récoltes, un autre genre de fruits de toutes sortes, un autre genre de bétail gros et menu, que les chrétiens ne voient et ne touchent presque jamais. Tout ceci croît à la fois, pour les Petits Hommes, durant la nuit de la Saint-Sylvestre[110], depuis le coucher du soleil jusqu’à minuit, et doit être rentré sous terre, depuis minuit jusqu’au lever du soleil.

Pendant plus de sept heures, les Petits Hommes sont donc forcés de travailler comme des galériens. Puis, ils ont encore une heure juste, pour porter et remuer au jour leur or jaune, leurs piles de doubles louis et de quadruples d’Espagne qu’ils gardent dans le creux des rochers. Si cet or jaune ne voit pas la lumière une fois par an, il se pourrit, et devient rouge. Alors, les Petits Hommes n’en font plus cas, et le jettent.

Aussi vrai que nous mourrons tous, je ne parle que de ce que je sais. D’ailleurs, je ne suis pas embarrassé pour prouver ce que j’ai dit. Il y avait autrefois, à Saint-Avit[111], un tisserand chargé de famille, et pauvre comme un furet. De son vrai nom, il se nommait Cluzet. Mais quand il fut devenu riche, les gens lui donnèrent, par jalousie, le sobriquet de Cagolouidors[112]. Mon pauvre grand-père (Dieu lui pardonne !) m’a souvent conté comment ce tisserand fit fortune, et vous allez le savoir.

Cluzet n’avait pas son pareil pour prendre les lapins en toute saison, au furet, au lacet, et pour les tuer à l’affût, même dans les nuits les plus noires. Tous les ans, il faisait ainsi périr plus d’un millier de ces bêtes, que sa femme et sa fille allaient vendre, aux foires et marchés de Lectoure[113] et d’Astaffort[114].

Les nobles et les riches bourgeois, qui aimaient la chasse, n’étaient pas contents. Ils traitaient Cluzet de canaille, de braconnier, et le dénonçaient aux gendarmes. Mais lui ne faisait qu’en rire, car il mettait souvent les juges de Lectoure à même de manger de bons civets, qui ne leur coûtaient pas cher. Comme de juste, ces messieurs se gardaient bien de condamner un si brave homme.

Un soir d’hiver, veille du premier de l’an, Cluzet mangeait la soupe avec tous les siens. Cela fait, il dit à sa femme :

— « Écoute, mie. C’est demain le jour des étrennes. Je veux faire cadeau de quelques lapins au président et aux juges de Lectoure, Couche les enfants, et monte au lit. Moi, je m’en vais à l’affût. »

Cluzet prit son fusil, son hâvre-sac, ses munitions, et partit. Il glaçait, et les étoiles brillaient dans le ciel noir et sans lune.

À peine le tisserand s’était-il mis à l’affût, parmi les rochers de Gère[115], qu’il entendit crier sous ses pieds :

— « Allons, fainéants. Dépêchez-vous. Il faut que tout soit prêt à minuit juste.

— Nous y allons, Maître.
Nous n’avons que la nuit de la Saint-Sylvestre[116]. »

Alors, Cluzet comprit que c’étaient les Petits Hommes, qui se préparaient à leur travail de tous les ans ; et il demeura là, pour voir et entendre ce qui allait se passer.

À l’entrée d’un terrier, le Maître des Petits Hommes, un fouet à la main, regardait le ciel en criant :

— « Minuit. Allons, fainéants. Dépêchez-vous. Il faut que notre provende de toute l’année soit sous terre, avant le lever du soleil.

— Nous y allons, Maître.
Nous n’avons que la nuit de la Saint-Sylvestre. »

Du terrier, décampaient, sous les coups de fouet du Maître, je ne sais combien de Petits Hommes, avec des faux, des faucilles, des fléaux à battre le blé, des serpettes, des paniers de vendangeurs, des jougs, des aiguillons, enfin ce qu’il faut pour récolter toutes choses, et pour conduire le bétail.

Les Petits Hommes partis, le Maître appela le tisserand.

— « Cluzet, veux-tu gagner un écu de six livres ?

— Oui certes, Maître des Petits Hommes.

— Eh bien, Cluzet, tu vas donner un coup de main à mes gens. »

Une heure après, quelques Petits Hommes revenaient déjà de je ne sais où. Les uns conduisaient des charrettes grandes comme des moitiés de citrouilles, chargées de foin, de vendange, de maïs, et de fruits de toutes sortes. Les autres ramenaient des bœufs et des vaches, pas plus grands que de petits chiens, des troupeaux de brebis, pas plus hautes que des belettes.

Cluzet avait fort à faire pour aider les Petits Hommes, qui maintenant arrivaient par centaines. Et toujours le Maître faisait claquer son fouet, en criant :

— « Allons, fainéants. Dépêchez-vous. Il faut que notre provende soit sous terre, avant le lever du soleil.

— Nous nous dépêchons, Maître.
Nous n’avons que la nuit de la Saint-Sylvestre. »

Juste au lever du soleil, toute la provende des Petits Hommes était sous terre.

Alors, le Maître dit au tisserand :

— « Cluzet, voici ton écu de six livres. Certes, tu l’as bien gagné. Veux-tu en gagner un autre ?

— Oui, certes. Maître des Petits Hommes.

— Eh bien, Cluzet, tu vas donner encore un coup de main à mes gens. »

Déjà, les Petits Hommes sortaient des creux des rochers, chargés de sacs pleins d’or jaune, de sacs pleins de louis et de quadruples d’Espagne. Et toujours le Maître faisait claquer son fouet, en criant :

— « Allons, fainéants. Dépêchez-vous. Nous avons une heure juste pour remuer les piles d’or jaune, que nous gardons au creux des rochers. Si cet or ne voit pas le jour une fois par an, il se pourrit et devient rouge. Alors, il faut le jeter.

— Nous y allons, Maître.
Nous n’avons que la nuit de la Saint-Sylvestre. »

Cluzet avait fort à faire à vider les sacs, et à remuer l’or jaune, pour lui faire voir le jour.

Aussitôt, les Petits Hommes le reprenaient et l’emportaient vite, vite, au creux des rochers.

Une heure après, le Maître fit claquer son fouet et cria :

— « Tiens, Cluzet, voici ton autre écu de six livres. Certes, tu l’as bien gagné. Mais mes gens sont des rien qui vaille. Par leur fainéantise, trois quintaux d’or jaune n’ont pas vu le jour depuis plus d’un an. Maintenant, voilà cet or pourri et rouge. Allons, canailles. Jetez dehors cette saloperie, qui nous empesterait sous terre. »

Les Petits Hommes obéirent. Ils jetèrent dehors les trois quintaux d’or rouge. Puis, ils disparurent, avec le Maître, au fond du terrier.

Cluzet prit un louis d’or et une quadruple d’Espagne. Cela fait, il enterra le reste, et retourna chez lui.

— « Eh bien, mon homme, as-tu fait bonne prise ?

— Oui, mie. J’ai fait bonne prise.

— Montre un peu.

— Pas encore. J’ai des affaires pressées ailleurs. »

Sans prendre le temps de manger ni de boire, Cluzet partit pour la ville d’Agen, et entra dans la boutique d’un orfèvre.

— « Bonjour, orfèvre. Regarde cet or rouge. Regarde ce louis d’or et cette quadruple d’Espagne. Sont-ils aussi bons que s’ils étaient en or jaune ?

— Oui, mon ami. Si tu veux, je vais te les changer contre des écus. »

L’argent compté, Cluzet repartit aussitôt pour Saint-Avit, sans prendre le temps de manger ni de boire. En arrivant, le pauvre homme n’en pouvait plus.

— « Femme, vite, vite la soupe. Vite, la miche et le piché[117]. Je crève de faim et de soif. »

Le souper fini, le tisserand se mit au lit, et ronfla quinze heures de suite. Mais, la nuit suivante, il partit en secret pour les rochers de Gère, et revint avec un quintal d’or rouge. Les deux autres nuits, il rapporta le reste. Alors, Cluzet appela sa femme.

— « Regarde. N’avais-je pas raison de te dire que j’avais fait bonne prise, la nuit de la Saint-Sylvestre ? Maintenant, nous sommes riches. Il faut prendre du bon temps. »

Ce qui fut dit fut fait. Cluzet quitta Saint-Avit avec les siens, et ils s’en allèrent loin, bien loin, plus loin que Moissac, dans le pays de Quercy[118]. Avec ses trois quintaux d’or rouge, Cluzet acheta là un grand bois, un moulin à eau à quatre meules, vingt métairies, et un beau château, où il vécut longtemps heureux avec sa femme et ses enfants. C’était un brave homme, serviable pour ses voisins, et aumônier comme pas un. Cela ne l’empêcha pourtant pas d’être jalousé pour sa fortune. Voilà pourquoi on lui donna le sobriquet

de Cagolouidors[119].

II

les sept belles demoiselles



Au temps où Napoléon faisait bataille contre tous les rois de la terre, il y avait, au Frandat[120], un jeune homme qui attendait le moment de tirer au sort. Ses parents étaient tristes, bien tristes, et souvent ils lui disaient :

— « Pauvre ami, si tu vas à la guerre, nous avons fini de te voir. Tu seras tué comme les autres. »

Le jeune homme ne répondait pas ; mais nuit et jour il songeait à son affaire. Un soir, il siffla son chien, prit son fusil, ses munitions, et une besace pleine de vivres.

— « Pauvres parents, dit-il, c’est demain qu’on tire au sort à Lectoure. Je ne veux pas aller à la guerre. C’est dit, je me fais déserteur. Pour longtemps, vous avez fini de me voir. Je vais me cacher je ne sais où. Pauvres parents, ne pleurez pas. Si je puis, je vous manderai de mes nouvelles. Adieu, pauvres parents. Bon courage, et bon espoir. Ne pleurez pas. Après la pluie, le soleil. »

Le Déserteur siffla son chien, et partit dans la nuit noire.

Pendant sept ans passés, il mena triste vie, traqué par les gendarmes et les garnisaires. Hiver comme été, le pauvre garçon demeurait caché, tout le long du jour, au plus fourré des grands bois, son fusil chargé sous la main, et ne sommeillant que d’un œil, tandis que le chien faisait bonne garde.

Ce chien était un bon et brave animal, toujours muet comme un poisson, et flairant l’ennemi d’une lieue, pour décamper aussitôt par les bons chemins. La nuit, il marchait à cent pas en avant, quand son maître changeait de pays, quand il quêtait, en passant, sur le seuil des métairies, quelque morceau de pain pour l’amour de Dieu.

Ainsi, pendant sept ans passés, vécut le pauvre Déserteur. Plus d’une fois, de braves gens lui avaient dit :

— « Mon ami. Napoléon est à terre. Le roi commande en France. C’est fini. Retourne chez tes parents. »

Le Déserteur répondait, en hochant la tête :

— « Je me méfie. Napoléon reviendra. »

Il disait vrai. Napoléon revint, et commanda d’armer les hommes mariés et les jeunes gens, pour faire encore bataille contre tous les rois de la terre.

Vraiment, c’était un triste temps. Dans les villes et les campagnes, ou ne voyait plus que des vieux, des infirmes, des femmes et des enfants.

Une nuit de la Saint-Jean[121], le temps était superbe, et la lune montait dans le ciel criblé d’étoiles.

Tout le long du ruisseau de l’Esquère[122], le Déserteur cheminait à travers les prés. Il cheminait avec son chien, dressant l’oreille, faisant courir l’œil vers les roches boisées qui dominent le vallon, sur la droite de la route de Saint-Clar[123].

Enfin, le jeune homme s’arrêta près d’un grand lavoir bordé de vieux saules creux, et regarda les étoiles. Minuit n’était pas loin. Encore une fois, le Déserteur dressa l’oreille et fit courir l’œil. Puis, il se blottit dans le plus gros des saules creux, son fusil chargé sous la main, pour ne sommeiller que d’un œil, tandis que le cnien faisait bonne garde. Tout-à-coup, un petit cri monta du fond du grand lavoir.

— « Hi ! hi ! Hi ! hi ! »

Le Déserteur arma son fusil, et regarda son chien. La pauvre bête dormait.

— « Hi ! hi ! Hi ! hi !

— Mère de Dieu ! Les gendarmes et les garnisaires sont là. Attention ! Je n’ai qu’un coup à tirer. Puis, au galop, et gare à mon bon couteau. »

Maintenant, sept petits cris montaient du lavoir. Le chien dormait toujours.

— « Hi ! hi ! Hi ! hi !

— Mère de Dieu ! Les gendarmes et les garnisaires sont là. Attention ! Je n’ai qu’un coup à tirer. Puis, au galop, et gare à mon bon couteau.

— Hi ! hi ! Hi ! hi ! »

Le chien dormait toujours.

— « Mère de Dieu ! Les gendarmes et les garnisaires sont là. Attention ! Je n’ai qu’un coup à tirer. Puis, au galop, et gare à mon bon couteau. »

Mais ce n’étaient pas les gendarmes et les garnisaires. C’étaient les Sept Belles Demoiselles, qui savent tout ce qui se fait, et tout ce qui se fera. C’étaient les Sept Belles Demoiselles qui, toute l’année, vivent cachées au fond de l’eau, pour n’en sortir que la nuit de la Saint-Jean, et danser dans les prés, depuis minuit jusqu’à la pointe de l’aube.

— « Hi ! hi ! Hi ! hi ! »

Vêtues de robes d’or et d’argent, les Sept Belles Demoiselles sortirent du grand lavoir, et se mirent à danser une ronde autour du vieux saule creux où le Déserteur s’était blotti.

Les Sept Belles Demoiselles chantaient, en dansant :

— « Hi ! hi ! Hi ! hi ! Nous sommes les Sept Belles Demoiselles, qui savent tout ce qui se fait, et tout ce qui se fera. — Hi ! hi ! Hi ! hi ! Il se passe ailleurs force choses, que les gens de ce pays sauront bientôt. — Hi ! hi ! Hi ! hi ! Napoléon a fini de faire bataille contre tous les rois de la terre. — Hi ! hi ! Hi ! hi ! Les ennemis de Napoléon l’ont emmené prisonnier, dans une île de la mer, dans l’île de Sainte-Hélène. — Hi ! hi ! Hi ! hi ! La paix est faite. À Paris, le roi de France est retourné dans son Louvre. — Hi ! hi ! Hi ! hi ! »

Ainsi les Sept Belles Demoiselles chantèrent, en dansant leur ronde, toute la nuit, depuis minuit jusqu’à la pointe de l’aube. Alors, elles plongèrent au fond du grand lavoir, pour vivre toute une autre année, cachées sous l’eau, et n’en sortir qu’à la prochaine nuit de la Saint-Jean.

Le Déserteur avait tout vu, tout entendu. Il sortit du vieux saule creux, passa son fusil en bandoulière, siffla son chien, et retourna tranquillement chez les siens.

— « Bonjour, chers parents. J’ai fini de souffrir. Cette nuit, en dansant, les Sept Belles Demoiselles ont chanté force choses que les gens du pays sauront bientôt. Napoléon a fini de faire bataille contre tous les rois de la terre. Les ennemis de Napoléon l’ont emmené prisonnier, dans une île de la mer, dans l’île de Sainte-Hélène. La paix est faite. À Paris, le roi de France est retourné dans son Louvre. »

On ne tarda pas à savoir que les Sept Belles Demoiselles avaient chanté vrai. Désormais, le Déserteur n’avait plus à craindre les gendarmes et les garnisaires. Il demeura chez ses parents, se

maria, et vécut longtemps heureux[124]

III

l’homme Vert



Il y a toujours eu, il y aura toujours, à Lectoure, un Homme Vert, qui garde les oiseaux, et qui est le maître de toutes les bêtes volantes. L’Homme Vert ne fait ni ne veut de mal à personne. Jamais on ne l’a vu manger ni boire. Presque toujours, il vit caché. Quand il se fait voir, l’Homme Vert choisit toujours un endroit où nul ne peut atteindre. J’ai connu de vieilles gens qui l’avaient aperçu plus d’une fois sur les Rochers des Bohêmes[125], et sur ceux de l’Hôpital[126]. Quand j’étais petit, on disait déjà que l’Homme Vert ne se montrait plus aussi souvent qu’au temps passé. Pourtant, je l’ai vu deux fois, et je me souviens de tout.

Un soir, mon pauvre père (Dieu lui pardonne !), avait affaire au Pont-de-Pile.

— « Enfant, me dit-il, tu vas venir avec moi. Peut-être, en passant sous les Rochers de l’Hôpital, verrons-nous l’Homme Vert, qui garde les oiseaux, et qui est le maître de toutes les bêtes volantes. »

Nous partîmes, vers les quatre heures du soir. Le temps était superbe. Sous les Rochers de l’Hôpital, mon pauvre père s’arrêta, et me dit :

— « Regarde. »

Je fis ce que mon pauvre père me commandait, et je vis l’Homme Vert, qui garde les oiseaux, et qui est le maître de toutes les bêtes volantes. Il était assis au sommet d’un vieux rempart. L’Homme Vert ne disait rien. Mais il agitait son bras droit, comme un semeur qui secoue du blé.

— « Bonsoir, Homme Vert, dit mon pauvre père.

— Bonsoir, Homme Vert, dis-je aussi. »

L’Homme Vert nous regarda, du haut du vieux rempart, et répondit :

— « Bonsoir, père Cazaux. Bonsoir, petit Cazaux. »

Nous passâmes. Vingt pas plus loin, je me retournai. L’Homme Vert n’était plus là.

Je pouvais avoir alors dix ou onze ans. Jamais moi et mon pauvre père n’avons dit mot, même entre nous, de ce que nous avions vu tous deux. Mais je voulais revoir l’Homme Vert. Bien souvent, je m’en allai seul, sous les Rochers des Bohèmes et de l’Hôpital. Pendant tout un mois, j’espérai, sans rien voir ni rien entendre. Pourtant, je pensais toujours :

— « Il faut que je revoie l’Homme Vert. »

Un soir, vers les deux heures, j’avais grimpé, comme un chat, jusqu’au haut des Rochers de l’Hôpital, où j’avais vu l’Homme Vert. Là, je m’étendis à l’ombre, au pied du vieux rempart, et je m’endormis.

Le bruit de l’orage me réveilla. Je regardai le ciel. Il était noir comme l’âtre. Toutes les cloches de la ville sonnaient, pour conjurer le mauvais temps. Les éclairs m’aveuglaient, et je sentais l’odeur de la terre au premier moment de la pluie.

Tout-à-coup, ce fut un déluge. Serré contre le rempart, j’écoutais les grands coups de tonnerre, et le bruit des eaux. Pourtant, je n’avais pas peur, et j’étais content de voir des choses qui n’arrivent pas chaque jour. Enfin, la colère de la tempête tomba. Le vent emporta les mauvais nuages, et je revis le soleil.

J’allais rentrer chez nous, quand j’entendis du bruit au-dessus de ma tête. C’était l’Homme Vert, assis en haut du vieux rempart. Il agitait son bras droit, comme un semeur qui secoue du blé. Cette fois, ce fut lui qui me parla le premier.

— « Bonsoir, petit Cazaux.

— Bonsoir, Homme Vert.

— Petit Cazaux, il y a longtemps que tu me cherches. Je le sais. Que me veux-tu ?

— Homme Vert, c’est vous qui gardez les oiseaux, et qui êtes le maître de toutes les bêtes volantes. Donnez-moi un merle, un beau merle qui siffle bien.

— Petit Cazaux, je ne donne pas mes bêtes volantes ; et je ne vends mes oiseaux ni pour or, ni pour argent. Si tu veux un merle, un beau merle qui siffle bien, tâche de l’attraper. — Et maintenant, petit Cazaux, rentre à la maison. Tes parents sont inquiets à cause de toi. »

L’Homme Vert partit, et je rentrai à la maison, où tout le monde fut bien aise de me voir. Pendant trois ou quatre ans encore, je revins seul, et bien souvent, au même endroit. Pourtant, jamais,

au grand jamais, je n’ai revu l’Homme Vert[127].

IV

les fils du charbonnier



Il y avait, une fois, un pauvre charbonnier, qui demeurait dans le bois du Ramier[128], proche du Rieutort[129]. Ce charbonnier vint à mourir, et ses enfants le firent enterrer à côté de sa femme, dans le cimetière de Pauillac[130]. Après l’enterrement, ils s’en retournèrent dans leur cabane. Il faisait froid, la nuit était noire, et les loups hurlaient dans le bois.

— « Frères, dit l’aîné, nous allons mourir ici de froid et de faim. Nous n’avons pas un morceau de pain sur la planche. Hier, le médecin s’est payé avec notre dernière couverture. Le couvent de Bouillas[131] n’est qu’à une demi-lieue. Les Moines Blancs ne refuseront pas l’aumône à Jean. Pierre, qui est le plus petit, demeurera ici ; et je m’en irai demander la charité, au château de Lamothe-Goas[132].

Les deux frères partirent, chacun de son côté, et le petit Pierre demeura seul dans la cabane. Il grelottait de peur et de froid. Mais à la fin, le froid fut plus fort que la peur, et l’enfant sortit pour voir si personne ne revenait.

Personne ne revenait. Mais, à cent pas de la cabane, il aperçut une troupe d’hommes, vêtus en seigneurs, qui se chauffaient près d’un grand feu, sans rien dire. Pierre s’approcha de l’homme qui semblait être le maître des autres, et lui demanda, par pitié, quelques charbons pour allumer son feu. L’homme baissa la tête, comme pour dire oui, et Pierre s’en alla avec ses charbons. Mais il ne fut pas rentré dans la cabane, que les charbons s’amortirent. Il revint en chercher d’autres, qui s’amortirent comme les premiers. Quand il se présenta pour la troisième fois, le maître de la troupe le regarda de travers, et lui donna lui-même un gros tison, en lui faisant signe qu’il ne se hasardât pas à revenir. Ce tison s’amortit aussi. Aussitôt, s’évanouirent le grand feu, et les hommes qui se chauffaient.

Le petit Pierre rentra dans la cabane, à moitié mort de peur. Une heure après, Jean revint du couvent de Bouillas, avec du pain pour plus d’une semaine ; et l’aîné rentra du château de Lamothe-Goas chargé de trois couvertures de laine. Mais, quand le jour fut venu, et quand le petit Pierre voulut regarder, au foyer, les charbons de la veille,

il se trouva que ces charbons étaient de l’or[133].

V

gargantua



Gargantua n’était pas de notre pays ; mais il y est passé. On dit qu’il venait du côté de Bordeaux, et qu’il s’en allait en Espagne.

C’était un homme sept fois haut comme le clocher de Saint-Gervais[134]. Avec cette taille, il n’avait qu’à ouvrir la bouche pour avaler les oiseaux du ciel.

Gargantua mangeait tout ce qui se trouvait à sa portée, même du bois, même des pierres, quand il n’avait pas mieux pour contenter son appétit. Souvent, il avalait jusqu’à sept charretées d’épines.

Quand il traversa le Ramier, tout le bois qui était alors coupé passa dans son ventre.

Par bonheur, Gargantua ne demeura pas longtemps chez nous. Il n’y a pas à souhaiter de l’y revoir. Pourtant, je n’ai pas ouï dire qu’il fût

méchant, ni qu’il ait fait tort à personne[135].

VI

le roi artus



Le roi Artus était un grand chasseur, toujours par les champs et par les bois, avec ses chiens, ses chevaux, et ses valets qui sonnaient de la trompe.

Un jour de Pâques, le roi Artus était à la messe, au moment de la consécration, quand il entendit aboyer sa meute, qui avait lancé un sanglier. Aussitôt, il sort de l’église. Mais il n’en fut pas sorti, que le vent l’emporta dans les nuages, avec ses chiens, ses chevaux, et ses valets qui sonnaient de la trompe.

Depuis qu’il a été emporté, le roi Artus chasse dans les airs, et chassera jusqu’au jour du jugement. Mais le pauvre homme ne fait pas grande prise. Il n’attrape qu’une mouche tous les sept ans. Encore arrive-t-il souvent que ses chiens l’ont mangée, avant qu’il puisse s’en emparer.

Telle est la punition du roi Artus. Peut-être, durant les nuits d’hiver, avez-vous entendu un grand bruit passer dans le ciel. Quelquefois, ce sont les oiseaux sauvages qui voyagent ; mais

quelquefois c’est la chasse du roi Artus[136].

VII

l’homme prisonnier dans la lune



Il y a des gens qui ont vu marcher dans la lune un homme chargé d’un fagot. Voici comment il s’y trouve, en punition de ses péchés.

Du temps où cet homme était sur terre, il travaillait souvent le dimanche, et jurait comme un païen.

— « Prends garde, lui disaient ses voisins. Mal faire ne peut durer. Tu offenses le Bon Dieu. Il t’arrivera malheur. »

Mais l’homme ne voulait rien écouter, et allait toujours son train. Un jour de Pâques, il se leva de bon matin, prit sa hache, et s’en alla au bois couper un fagot. Mais, comme il retournait à son village, à la sortie de la grand’messe, le vent l’emporta dans la lune avec son fagot. C’est là que le malheureux est condamné à demeurer prisonnier, jusqu’au jour du jugement.

Il y a des gens qui ont vu marcher dans la lune un homme chargé d’un fagot. Voilà comment il

s’y trouve, en punition de ses péchés[137].

VIII

l’homme dans la lune



Il y avait, autrefois, un homme si avare, si avare, que pour augmenter son gain il travaillait nuit et jour, même les dimanches et fêtes.

— « Homme, lui dit un jour le Bon Dieu, tu méprises mes commandements. Jour et nuit tu travailles, même les dimanches et fêtes. Ce qui est fait est fait. Je te pardonne tes péchés. Tâche d’être plus sage à l’avenir. »

Mais l’homme méprisa l’avertissement du Bon Dieu. Le premier dimanche, tout alla bien, et le second aussi. Le troisième, ce fut autre chose. Comme il revenait du bois, un fagot d’épines sur le dos, l’homme rencontra le Bon Dieu.

— « Homme, tu as méprisé trois fois de plus mes commandements. Pour te punir, je vais te mettre en prison. Choisis entre le soleil et la lune. Le soleil brûle, et la lune glace.

— Bon Dieu, je choisis la lune. »

Alors, le Bon Dieu prit l’homme avec son fagot, et le mit en prison dans la lune.

Ceci se passa au mois de février. Voilà pourquoi on appelle cet homme Février. Quand la lune est dans son plein, vous pouvez voir l’ombre de l’homme, et celle de son fagot d’épines. Février ne voulait pas se reposer, au temps où le Bon Dieu le commande. Voilà pourquoi il roulera dans la lune, à travers le ciel, jusqu’au jour

du jugement[138].

VI

Êtres malfaisants

I

mon oncle de condom



J’avais un oncle (Dieu lui pardonne !), qui mourut fort vieux, à Condom, il y a déjà bien, bien longtemps. Il demeurait hors ville, tout proche de la route de Nérac[139]. Mon oncle était un homme fort avisé. Mais il avait l’air si simple, si simple, que nul ne se méfiait de lui. À faire plus d’un métier, il avait gagné de quoi vivre de ses rentes. Dans sa jeunesse, avant la grande Révolution, mon oncle fut d’abord valet de maquignon, et roula longtemps, avec son maître, les foires des Grandes-Landes, et celles de la Montagne[140] depuis Bayonne jusqu’à Perpignan. Plus tard, il travailla pour son compte, et se fit ensuite contrebandier.

À cette vie, mon oncle apprit force choses, qui lui servirent plus tard. Il comprenait et parlait fort bien les langages des divers pays où il avait voyagé. Il savait tous les chemins qu’il faut suivre, pour ne pas rencontrer les gendarmes. Il connaissait les métairies où l’on trouve, en payant bien, le souper et la couchée, sans crainte d’être vendu. Mon oncle faisait souvent des présents aux dames dont les maris étaient en place : bijoux d’or, étoffes de soie. Plus d’une fois, il leur prêta même de l’argent, dont il n’a jamais revu la couleur. Voilà comment mon oncle devint riche de plus de soixante mille francs, sans être jamais tourmenté, ni mis en prison.

Quand la grande Révolution chassa les prêtres et les nobles, le brave homme changea de métier. Il gagna, comme qui vole, à conduire secrètement en Espagne, les gens que l’on traquait partout, pour les faire guillotiner. Je parie qu’en ce temps-là seulement, il eût amassé près de quarante mille francs, s’il n’avait pas été forcé d’en laisser les trois quarts à ces voleurs de gens en place, qui lui tenaient la main.

Mon oncle, et ce n’était pas un menteur, m’a conté bien des choses qui lui arrivèrent alors. En voici deux, qu’il vaut la peine de redire.

Dans votre enfance, vous avez dû voir plus d’une fois l’abbé de Ferrabouc, mort curé de Saint-Mézard[141]. Pendant la Révolution, cet abbé se sauva en Espagne, et ce fut mon oncle qui le mena jusqu’à la frontière. Ils voulaient prendre par Saint-Bertrand-de-Comminges[142], pour atteindre la vallée d’Aran[143]. Mais on les avertit que, tout le long de la Montagne, les passages étaient gardés jusqu’au pays de Foix[144]. Mon oncle et l’abbé de Ferrabouc furent donc forcés de faire un grand détour en Languedoc, pour arriver, par Limoux et Aleth, dans un pays sauvage et couvert de bois, qu’on appelle le Capcir[145]. Ce pays touche à la Montagne espagnole, et on y parle le langage des Catalans. Mais il appartient à la France. Les gens du Capcir ne sont pas méchants, sauf une certaine race d’hommes, qui tuent les chrétiens, quand ils le peuvent, et qui les mangent crus, ou cuits au four.

Mon oncle avait entendu dire cela ; mais il n’en était pas sûr. Aussi bien que personne, il comprenait et parlait le langage des Catalans ; mais il faisait semblant de n’en pas savoir un mot. Quant à l’abbé de Ferrabouc, il n’y entendait rien du tout.

Donc, mon oncle et l’abbé de Ferrabouc se trouvaient, un soir, sur les sept heures, dans le Pays de Capcir, à deux lieues de la frontière d’Espagne. Ils mouraient de faim, et n’avaient plus la force de mettre un pied devant l’autre.

— « Monsieur l’abbé, dit mon oncle, voici une cabane de charbonniers. Entrons-y, pour y souper, et pour y dormir. Demain, nous repartirons avant le jour, et nous serons en Espagne au lever du soleil.

— Mon ami, comme tu voudras. »

Tous deux entrèrent dans la cabane, où ils trouvèrent sept personnes mangeant la soupe, trois hommes, une femme, et trois enfants, dont l’aîné n’avait pas douze ans. Les deux voyageurs ne furent pas mal reçus. On leur donna à boire et à manger. Le plus vieux des charbonniers savait un peu le patois de la Gascogne ; mais mon oncle faisait semblant de ne pas comprendre le catalan.

Sur les neuf heures, le vieux charbonnier dit en son langage aux trois enfants :

— « Il est tard. Allez dormir.

— Non, répondit l’aîné. Je veux auparavant manger une jambe du prêtre[146]. »

Alors, le vieux charbonnier prit un bâton, et chassa les trois enfants. Mon oncle faisait toujours semblant de ne pas comprendre.

— « Ha ! ha ! ha ! Monsieur l’abbé, dit-il en riant, faites semblant de rire comme moi. Sinon, nous sommes perdus. Hou ! hou ! hou ! Ces charbonniers, sont d’une certaine race d’hommes qui tuent les chrétiens quand ils le peuvent, et qui les mangent crus ou cuits au four. Hi ! hi ! hi !

— Ha ! ha ! ha ! dit l’abbé de Ferrabouc. Nous avons chacun notre couteau, et notre bâton ferré par le bout. Hou ! hou ! hou ! Tâchons de sortir d’ici sans faire un malheur. Hi ! hi ! hi !

— Mon ami, dit mon oncle, nous voulons aller dormir. »

Le vieux charbonnier les mena dans une chambrette pleine de paille.

— « Dormez-là, sans peur ni crainte. Demain matin, vous aurez la soupe avant de partir. Bonne nuit. »

Le charbonnier sortit, et mon oncle l’entendit dire à sa femme :

— « Dans une heure, ces deux hommes dormiront comme des souches. Prépare mon coutelas. Nous avons de quoi faire bonne chère pendant quinze jours. »

Mais mon oncle avait déjà ouvert doucement, doucement, la petite fenêtre de la chambrette. Une minute après, lui et l’abbé de Ferrabouc étaient dehors, et s’enfuyaient vers la frontière d’Espagne.

Voilà ce qui arriva à mon oncle, dans le Pays de Capcir. Maintenant, je vais vous dire ce qu’il vit et entendit dans les Grandes-Landes.

Mon oncle avait conduit en Espagne un noble, dont je ne me rappelle pas le nom. Le voyage s’était bien fait ; et le noble était sorti de France par les montagnes de Saint-Jean-Pied-de-Port, qui est une ville du pays des Basques. Mon oncle s’en retournait tout seul, à travers les grandes Landes, à travers les bois de pins, avec cinquante louis d’or bien gagnés, qu’il portait cachés sous ses habits, dans une ceinture de cuir. C’était un soir de la Saint-Jean[147]. Il pouvait être à peu près huit heures.

Tout-à-coup, mon oncle entendit derrière lui un bruit de fer, et de chevaux lancés au grand galop.

— « Les gendarmes ! »

Aussitôt, il s’élança hors de la route parmi les pins, et se cacha dans un fourré. Les gendarmes passèrent toujours au grand galop, et s’en allèrent je ne sais où. Alors, mon oncle pensa :

— « Assurément ces gens-là ne courent pas après moi. Mais le mieux est encore de ne pas me trouver sur leur passage. La nuit est belle. Je dormirai dehors, sous un pin. »

Mon oncle s’enfonça donc dans les bois, et se coucha sur le sable, au pied d’un pin haut comme un clocher, en ayant soin de laisser à portée de la main son couteau ouvert, et son bâton ferré par le bout. Il ne tarda guère à s’endormir. De petits cris le réveillèrent, juste au moment où les étoiles marquaient minuit.

— « Hi ! hi ! criait-on, du haut du pin haut comme un clocher.

— Hi ! hi ! répondit-on, du sommet des autres pins.

— Hi ! hi ! »

Ces cris venaient de sous terre. Ils venaient des herbes, des brandes, et des ajoncs.

— « Hi ! hi ! »

En même temps, tombaient sur le sable, comme la pluie, je ne sais combien d’esprits de toutes formes, mouches, vers-luisants, demoiselles, grillons, cigales, papillons, lucanes, taons, guêpes, mais pas une seule abeille. De sous terre, sortaient d’autres esprits en forme de lézards, de crapauds, de grenouilles, de salamandres, en forme d’hommes et de femmes, hauts d’un pouce, et vêtus de rouge, avec des fourches d’or à trois pointes.

Aussitôt, tout ce monde se mit à folâtrer et danser en rond, sur le sable, au sommet des herbes, des brandes et des ajoncs. Les Esprits chantaient en dansant :

— « Hi ! hi !

Toutes les herbettes
Qui sont dans les champs,
Fleurissent et grainent
Le jour de la Saint-Jean[148].

Hi ! hi ! »

À moitié mort de peur, mon oncle fit le signe de la croix. Mais les Esprits chantaient toujours, en dansant :

Toutes les herbettes
Qui sont dans les champs,
Fleurissent et grainent
Le jour de la Saint-Jean.

Hi ! hi ! »


Alors, mon oncle n’eut plus peur, et pensa :

— « Ces Esprits n’ont rien à voir avec le Diable et son vilain monde. Ils ne veulent pas de mal aux chrétiens. »

Tout-à-coup, les danses et les chants cessèrent. Les Esprits avaient aperçu mon oncle.

— « Homme, mon ami, n’aie pas peur. Viens, viens danser et chanter avec nous.

— Esprits, merci. Je viens de loin, et je suis trop las pour faire comme vous. »

Alors, les Esprits se mirent à chanter en dansant :

Toutes les herbettes
Qui sont dans les champs,
Fleurissent et grainent
Le jour de la Saint-Jean.

Hi ! hi ! »

Le bal dura jusqu’à la pointe de l’aube. Aussitôt, les Esprits volants remontèrent au ciel, les autres rentrèrent sous terre ; et mon oncle se trouva seul, couché sur le sable, au pied d’un pin

haut comme un clocher[149].

II

le roi des hommes cornus



Il y a des Hommes cornus, avec une queue et des jambes velues, comme les boucs. Le reste du corps est pareil à celui des chrétiens. Pourtant, les Hommes cornus sont des bêtes. Ils vivront jusqu’à la fin du monde ; mais ils ne ressusciteront pas pour être jugés.

Quand j’étais petit (il y a trop longtemps de cela), j’ai plus d’une fois entendu parler des Hommes cornus ; mais je n’en ai jamais vu. La vérité avant tout. Maintenant, on ne dit plus rien de ces méchantes bêtes. Elles ont quitté le pays, pour s’en aller vivre ailleurs. Cela ne me donne pas envie de pleurer.

Les Hommes cornus demeuraient sous terre, parmi les rochers. Il y en avait à Cardes, à la Peyrolière, à Aurignac, mais pas tant que du côté de Saint-Clar, dans les vallons de l’Esquère et de l’Auroue[150].

Les Hommes cornus ne sortaient que la nuit, pour voler de quoi vivre dans les champs. Ils emportaient aussi les plus jolies filles, car il n’y a pas de Femmes cornues.

Le roi de ce méchant monde demeurait dans les rochers du Milord[151]. Un soir, au coucher du soleil, il aperçut deux femmes sur le chemin : l’une vieille, l’autre jeune et belle comme le jour. C’étaient la femme et la fille du marquis de l’Isle-Bouzon[152], qui revenaient de Lectoure à leur château.

Aussitôt, le Roi des Hommes cornus tomba sur la pauvre enfant, et l’enleva comme une plume. Il l’emporta sous terre, dans les rochers du Milord, et la marquise rentra tout en larmes au château.

— « Marquise, dit le marquis de l’Isle-Bouzon, où est notre fille ?

— Marquis, le Roi des Hommes cornus nous l’a volée. »

Aussitôt le marquis de l’Isle-Bouzon fit sonner la cloche, comme pour le feu. Tous les hommes de la paroisse accoururent avec des fusils, des fourches et des faulx. Pendant six nuits et six jours, ils cherchèrent sans rien trouver. Le matin du septième jour, un jeune homme, suivi de trois dogues, grands et forts comme des taureaux, vint frapper de bonne heure à la porte du château.

— « Bonjour, marquis, bonjour, marquise de l’Iisle-Bouzon. On dit que le Roi des Hommes Cornus vous a volé votre fille, et l’a emportée sous terre, dans les rochers du Milord.

— Mon ami, c’est la vérité.

— Eh bien, il y a longtemps que je suis amoureux de votre fille. Si je vous la rends, jurez-moi, par vos âmes, de me la donner en mariage.

— Nous te le jurons par nos âmes. »

Le jeune homme salua le marquis et la marquise de l’Isle-Bouzon, siffla ses trois dogues et partit. Pendant un grand mois, on n’entendit plus parler de lui ; mais il ne perdait pas son temps. Nuit et jour il courait le pays avec ses bêtes, à la recherche du Roi des Hommes cornus. Enfin, il finit par le rencontrer, à minuit, dans les rochers du Milord.

— « Jeune homme, où vas-tu, si tard ?

— Roi des Hommes cornus, mêle-toi de tes affaires. Je vais où il me plaît. Ce n’est pas à toi que je demanderai la permission de voyager.

— Jeune homme, tu as là trois dogues superbes. Il me les faut.

— Roi des Hommes cornus, si tu les veux pour rien, gare à toi. Si tu veux les payer chacun cent pistoles, le marché sera bientôt fait.

— Jeune homme, amène ici tes dogues demain, à minuit. Je te compterai ton argent.

— Roi des Hommes cornus, je ne pourrai pas venir ici demain à minuit. Mais j’enverrai mon frère à ma place. »

Le jeune homme siffla ses dogues et partit. Au soleil levant, il frappait à la porte de la maison de son frère.

— « Bonjour, frère. Je viens te demander un grand service.

— Frère, je n’ai rien à te refuser.

— Frère, je suis amoureux de la fille du marquis de l’Isle-Bouzon, que le Roi des Hommes cornus tient enfermée sous terre, dans les rochers du Milord. Si je la délivre, cette demoiselle sera ma femme. Ce soir, tu sauras ce que je veux faire. Maintenant, je veux manger, boire, et puis dormir jusqu’au coucher du soleil. »

Le jeune homme fit comme il avait dit. À l’entrée de la nuit, il se réveilla, appela son frère, et siffla ses dogues.

— « Frère, aide-moi à tuer et à écorcher la plus belle de ces bêtes. »

En un moment le dogue était tué et écorché. Le jeune homme jeta la peau sur ses épaules.

— « Maintenant, frère, il faut partir. »

Sans rien dire, tous deux cheminèrent, avec les deux dogues, jusqu’à onze heures de la nuit. Arrivés dans un petit bois, le jeune homme se mit dans la peau du dogue écorché, et tomba à quatre pattes, tout pareil aux deux autres bêtes.

— « Écoute, frère. Là-haut, nous allons trouver le Roi des Hommes cornus. Tu lui diras : « Voici les trois dogues de mon frère. Où sont les trois cents pistoles ? » L’argent compté, tu reviendras seul dans ta maison. Pour le reste du travail, je n’ai pas besoin de toi.

— Frère, tu seras obéi. »

À minuit juste, ils arrivaient dans les rochers du Milord.

— « Roi des Hommes cornus, voici les trois dogues de mon frère. Où sont les trois cents pistoles ? »

L’argent compté, le frère revint seul dans sa maison. Alors, le Roi des Hommes cornus amena ses trois dogues sous terre, dans la grotte où vivait enfermée la fille du marquis de l’Isle-Bouzon. Sur la table, deux couverts étaient mis, avec du pain blanc comme la neige, du vin vieux, et des viandes de toute espèce.

— « Demoiselle, voici trois dogues, qui me coûtent cher, et qui m’aideront à te garder, jusqu’à ce que tu sois ma femme.

— Méchante bête, tu n’es pas de la race des chrétiens. Je suis en ton pouvoir. Mais je ne t’épouserai jamais, jamais.

— Demoiselle, soupons ensemble.

— Méchante bête, je n’ai ni faim ni soif. Soupe seule, si tu veux. »

Pendant le souper, le jeune homme se coucha sous la table, arracha sa peau de dogue, et prit aux jambes le Roi des Hommes cornus.

— « Hardi ! mes chiens ! Css I css ! Mordez-le. Hardi ! »

La bataille dura plus de trois heures d’horloge. Enfin, le Roi des Hommes cornus tomba. Alors, le jeune homme lui enchaîna les pieds et les mains avec des chaînes de fer. Cela fait, il salua la fille du marquis de l’Isle-Bouzon et dit :

— « Demoiselle, il faut rentrer au château de vos parents. — Et toi. Roi des Hommes cornus, je n’ai pas le pouvoir de te tuer. Mais tu resteras enchaîné dans cette grotte, et tu y souffriras la faim et la soif jusqu’au jugement dernier. »

Le jeune homme et la demoiselle sortirent de la grotte, avec les deux dogues. Au soleil levant, la jeune fille était reconduite chez ses parents.

— « Bonjour, marquis, bonjour, marquise de l’Isle-Bouzon. Voici votre fille. Maintenant, songez à ce que vous m’avez juré par vos âmes.

— Mon ami, nous t’avons juré par nos âmes que si tu nous rendais notre fille, nous te la donnerions en mariage. Nous ferons la noce quand tu voudras.

— Demoiselle, me voulez-vous pour mari ?

— Oui, jeune homme. Je ne veux que toi, parce que tu es fort et hardi, parce que tu m’as délivrée du Roi des Hommes cornus.

— Eh bien ! Mandez le curé, ce matin même, pour la messe du mariage. En attendant, je vais à mes affaires. »

Le jeune homme salua le marquis et la marquise de l’Isle-Bouzon, et repartit pour les rochers du Milord. Là, il boucha, avec de grandes pierres, l’entrée de la grotte, où le Roi des Hommes cornus enchaîné, souffre et souffrira la faim et la soif, jusqu’au jugement dernier. Cela fait, il revint au château de sa maîtresse. Le curé les maria le

matin même, et ils vécurent longtemps heureux[153].

III

les bécuts



Le Bécut[154] « personnage légendaire était autrefois un objet d’effroi pour les enfants et les paysans du pays ; il avait de commun avec l’ogre la férocité et la voracité, mais il s’en distinguait par un œil unique qui s’ouvrait au milieu du front. En l’absence de documents sur la croyance aux Bécuts, il nous a semblé qu’ils pourraient rappeler les premiers officiers francs, barons ou possesseurs de fiefs, imposés par la conquête aux Gallo-Romains devenus serfs. C’étaient des hommes de haute stature, de race forte, rudes, se présentant la tête couverte d’un heaume de fer qui ne laissait respirer que par une ouverture grillée figurant un grand œil au milieu du visage ; cet œil flamboyant joint aux instincts grossiers de ces hommes du Nord, terrifièrent nos douces populations, qui en firent un objet de crainte. Ces premières impressions ne s’effacèrent jamais totalement ; on menaçait les enfants indisciplinés du Bécut, et peu à peu, le Bécut passa à l’état d’être légendaire

[155]. »

IV

la jambe d’or



Il y avait, une fois, une dame belle comme le jour. Cette dame se cassa la jambe, un soir, en descendant, sans chandelle, l’escalier de sa maison. Le mari fit appeler un médecin.

— « Bonjour, médecin.

— Bonjour, monsieur.

— Médecin, tu vas arranger la jambe de ma femme. Pour ta peine, je te donnerai de l’or et de l’argent tant que tu voudras.

— Monsieur, ni moi ni personne ne sommes en état d’arranger cette jambe. Il faut la couper.

— Eh bien, médecin, fais ton métier. »

Le médecin coupa donc la jambe de la dame ; et le mari s’en alla chez un bijoutier, commander pour sa femme une jambe d’or. Cette jambe était si bien, si bien faite, que la dame s’en servait pour aller où elle voulait, sans boiter, ni se servir d’un bâton.

Au bout de sept ans, la dame mourut, et son mari donna l’ordre de l’enterrer avec sa jambe d’or. Sa volonté fut faite. Mais, la nuit même de l’enterrement, un valet sortit en secret de la maison. Il s’en alla au cimetière, déterra la dame, lui prit la jambe d’or, remit le corps en place, combla la fosse, et rentra cacher la jambe dans son armoire. À peine s’était-il couché, qu’on entendit une voix crier au cimetière :

— « D’or. D’or. Rendez-moi ma jambe d’or. »

Le lendemain matin, à l’Angelus, le fossoyeur vint trouver le mari et lui dit :

— « Bonjour, monsieur. Je viens du cimetière. Votre femme, qui est sous terre, ne fait que crier : « D’or. D’or. Rendez-moi ma jambe d’or. » Envoyez quelqu’un, je vous prie, pour savoir ce qu’elle veut. »

Le mari courut au cimetière.

— « Que veux-tu, mie ?

— D’or. D’or. Rendez-moi ma jambe d’or.

— Mie, tu as tort de te plaindre. J’ai donné l’ordre de t’enterrer avec ta jambe d’or.

— D’or. D’or. Rendez-moi ma jambe d’or.

— Mie, tu n’es pas raisonnable. Si tu n’as rien de mieux à me dire, bonjour. Je te ferai dire des messes. »

Le mari s’en retourna à la maison. Mais une heure après, le fossoyeur revint lui dire :

— « Bonjour, monsieur. Je viens du cimetière. Votre femme, qui est sous terre, ne fait que crier : « D’or. D’or. Rendez-moi ma jambe d’or. » Envoyez quelqu’un, je vous prie, pour savoir ce qu’elle veut. »

Le mari y envoya la servante.

— « Madame, vous avez tort de vous plaindre. On vous a enterrée avec votre jambe d’or.

— D’or. D’or. Rendez-moi ma jambe d’or.

— Madame, vous n’êtes pas raisonnable. Si vous n’avez rien de mieux à me dire, bonjour. Votre mari vous fera dire des messes. »

La servante s’en retourna à la maison. Mais une heure après, le fossoyeur revint dire au mari :

— « Bonjour, monsieur. Je viens du cimetière. Votre femme, qui est sous terre, ne fait que crier : « D’or. D’or. Rendez-moi ma jambe d’or. » Envoyez quelqu’un, je vous prie, pour savoir ce qu’elle veut. »

Le mari voulut y envoyer le valet.

— « Monsieur, je n’ose pas.

— Vas-y, poltron.

— Monsieur, je n’ose pas.

Vas-y, ou je te tue d’un coup de fusil. »

Par force, le valet partit pour le cimetière.

— « Que voulez-vous, madame ?

— C’est toi que je veux. »

La dame sortit de sa fosse, emporta le valet

sous terre, et le mangea[156].

V

la goulue



Il y avait, une fois, un homme et une femme qui avaient une fille de dix-huit ans. Cette fille était si goulue, si goulue, qu’elle n’avait jamais la tête aux danses ni aux galants, et qu’elle ne pensait qu’à manger de la viande crue. Un jour, son père et sa mère eurent besoin d’aller à Agen, au temps de la foire du Pin[157].

— « Goulue, lui dirent-ils, nous allons à la foire à Agen. Garde bien la maison. Pour ta peine, nous te rapporterons ce que tu voudras.

— Rapportez-moi de la viande crue. »

Le père et la mère partirent pour Agen. Quand ils eurent fait leurs affaires, ils coururent tous les bouchers de la ville, pour acheter de la viande. Mais force gens étaient venus à la foire, et s’étaient pourvus de bonne heure, de sorte que les bouchers n’avaient plus rien à vendre. Le soleil commençait à baisser. Les parents de la Goulue reprirent le chemin de leur village.

— « Comment ferons-nous ? disaient-ils en cheminant. Nous avons promis de la viande crue à la Goulue, et nous n’en avons trouvé chez aucun boucher de la ville d’Agen. »

Alors, la femme dit à l’homme.

— « Il fait nuit. Entrons dans ce cimetière, où on a enterré un mort ce matin. Déterrons-le, coupons-en un morceau, et portons-le à la Goulue. »

Tous deux entrèrent dans le cimetière, déterrèrent le mort, lui coupèrent la jambe gauche, et rentrèrent à la maison.

— « Tiens, Goulue. Voici la viande crue, que nous te rapportons de la foire. »

La Goulue se jeta sur la jambe, et la mangea jusqu’au dernier morceau. Cela fait, elle prit le couteau de son père, cassa l’os, et suça la moelle.

L’heure vint d’aller se coucher. Pendant toute la nuit, on entendit dans la maison une voix qui criait :

— « Rends-moi ma jambe. Rends-moi ma jambe. »

Le lendemain, le père et la mère partirent de bonne heure, avec la Goulue, pour aller travailler aux champs. Quand vint l’heure du déjeûner, il se trouva que le père avait oublié son couteau.

— « Goulue, lui dit-il, va me chercher mon couteau à la maison.

— Je n’ose pas.

— Vas-y, te dis-je, ou je vais te faire marcher. »

La Goulue partit. Quand elle entra dans la maison, elle trouva, pendu à la crémaillère de la cheminée, un mort à qui il manquait la jambe gauche.

— « Goulue, allume le feu, et fais chauffer de l’eau. »

La Goulue alluma le feu, et fit chauffer de l’eau.

— « Goulue, lave-moi ma jambe droite. »

La Goulue lava la jambe droite.

— « Goulue, lave-moi ma jambe gauche.

— Mort, tu n’as pas de jambe gauche.

— Qui donc me l’a prise ?

— Je ne sais pas.

— Moi je le sais. Ton père et ta mère m’ont déterré. Ils m’ont coupé la jambe gauche, et tu l’as mangée. »

Alors, le mort prit la Goulue, l’emporta dans

sa fosse au cimetière, et la mangea[158].

VI

le basilic



Il y a une bête sauvage, cent fois plus terrible que les lions et les ours. C’est le Basilic. Par bonheur, il est seul de son espèce.

Le Basilic a le corps d’une loutre, avec une tête d’homme couronnée d’or, comme les empereurs et les rois. Contre lui, le fer, le plomb, le poison, ne peuvent rien. D’un seul regard, il fait tomber raides morts les hommes et les bêtes. Aussitôt qu’on lui montre son visage dans un miroir, il crève. Mais un autre Basilic naît sept ans après.

Nuit et jour, le Basilic voyage sous terre, cherchant le fond des citernes et des puits. Malheur aux hommes, malheur aux femmes, malheur surtout aux enfants qui se penchent sur les margelles, pour cracher, ou jeter des pierres dans l’eau. D’en-bas, le Basilic les appelle, et on n’en entend plus parler. Pourtant, vous allez voir que la male bête a parfois un mauvais quart d’heure à passer.

Il y avait autrefois, dans un jardin de Mauvezin[159], un puits qui donnait une eau si saine, si bonne, si légère, que tous les voisins allaient en tirer, avec la permission du maître.

Un jour, cette eau devint tout à coup trouble et puante, au point que le quartier en fut empesté.

— « Mie, dit le maître à sa servante, un mauvais sujet a certainement jeté quelque charogne dans mon puits. Va me quérir trois Espagnols[160] pour l’en retirer.

— Maître, ne vous pressez pas. Avant d’aller quérir les trois Espagnols, il faut regarder tout en-bas du puits.

— Mie, le puits est trop profond et trop noir pour pouvoir regarder tout en-bas.

— Patience, maître. Attendez-moi là. Rien que le temps de monter dans ma chambre, et d’en revenir au galop. »

Pendant que le maître attendait, le Basilic, voyageant sous terre, s’arrêtait au fond du puits. Presque en même temps, la servante arrivait avec un petit miroir.

— « Venez au puits, maître ! Venez au puits. »

Le Basilic écoutait d’en-bas, et pensait :

— « Voici des gens qui n’ont pas longtemps à vivre.

— Venez au puits, maître ! Venez au puits !

— Mie, qu’entends-tu faire avec ce petit miroir ?

— Regardez, maître. Regardez. »

La servante tourna son petit miroir vers le soleil, dont la lumière rayonna jusqu’au fond du puits[161].

Le Basilic écoutait d’en-bas, et pensait :

— « Voici des gens qui n’ont pas longtemps à vivre. »

Alors il leva la tête. Mais le petit miroir lui montra son image, et la male bête creva tout aussitôt.

— « Regardez, maître. Il y a deux charognes au fond du puits. Vous aviez raison. Je vais quérir trois Espagnols. »

Ce qui fut dit fut fait. Un Espagnol s’attacha la corde du puits autour des reins, et se fit descendre en bas par ses deux camarades, aidés du maître et de la servante. Un moment après, il remontait, portant un gros chien pourri. Cette charogne enterrée, l’Espagnol redescendit, et remonta avec le corps du Basilic. La male bête avait le corps pareil à celui d’une loutre, avec une tête d’homme couronnée d’or, comme les empereurs et les rois.

Les trois Espagnols payés et partis, le maître arracha la couronne d’or, et dit à la servante :

— « Prends ceci, mie. Tu l’as certes bien gagnée. Et maintenant, enterrons le Basilic. »

Voilà comment la male bête mourut, à Mauvezin, par le petit miroir d’une servante, qui vendit fort cher la couronne d’or à un bijoutier de Toulouse, et trouva ainsi un bon mari. Pour sept ans, la terre se trouva débarrassée du Basilic. Mais alors, il en naquit un autre. Pourtant, je

n’ai jamais ouï dire qu’il ait reparu à Mauvezin[162].

VII

le mandagot



Le Mandagot est une bestiole fort rare, qui ne sort qu’une fois par an, depuis minuit jusqu’au coucher du soleil. Ceux qui veulent l’attraper, disent qu’il faut profiter de cette nuit, pour attacher une poule à une croix de pierre, dans un endroit où se rencontrent quatre chemins. Quand le Mandagot s’approche pour prendre la poule, on doit le prendre par la queue, le mettre dans un sac, jeter ce sac sur l’épaule gauche, et s’en retourner à la maison, sans parler à personne, ni retourner la tête, pour tant de bruit que l’on entende.

Ceux qui ont ainsi attrapé le Mandagot, deviennent vite riches. Ils trouvent, chaque matin, une jointée de louis dans la caisse où ils ont mis la bestiole. Certains disent même que ces gens-là ne peuvent pas mourir, tant que le Mandagot est en leur pouvoir. Il faut le lâcher au moment de l’agonie. Sinon, les pauvres malades soufrent

mort et passion, sans pouvoir jamais trépasser[163].

VIII

variante du mandagot.



On trouve encore dans les Landes « des traces persistantes de l’antique croyance au Mandagot. On appelle Mandagot, le trésor qu’on reçoit du Diable en échange de son âme ; c’est encore la récompense d’une personne qui consent à porter le stigmate du démon, maladie ou ulcère ; c’est aussi l’animal qui, à jour fixe, apporte la récompense promise. Dans certaines localités, le Mandagot, rat ou renard, rapporte le lendemain le double de la somme qu’on lui a donnée la veille. Enfin, celui qui a pratiqué ces maléfices peut, en mourant, transmettre à n’importe qui son droit au Mandagot. Nous pourrions nous étendre indéfiniment sur les superstitions traditionnelles de nos paysans, telles que celles qui ont trait aux sorcières, aux fées, à la chasse du roi Arthus, dont on entend, certaines nuits, passer la meute en aboyant. Bornons-nous à constater, comme ayant une portée historique, la tradition du Veau et la Chèvre d’Or, que l’on retrouve partout dans notre

pays[164]. »

IX

autre variante du mandagot



Le Mandagot est un esprit malin, qui, chaque nuit, chie sous le lit de son maître un écu de cinq francs tout neuf.

Le maître du Mandagot est libre de le donner ou de le vendre à qui il lui plaît. Mais il se rencontre bien peu de gens disposés à traiter une telle affaire, au prix de leur damnation éternelle.

Par un jour de grand froid, un brave homme entra chez un riche charpentier de Montégut[165]. Il n’y avait personne dans le chauffoir[166]. Mais un bon feu flambait dans l’âtre. Sous la cheminée se trouvaient deux coffres, l’un à droite pour le sel, l’autre à gauche pour le Mandagot.

Sans se méfier de rien, l’homme s’assit sur le coffre de gauche. Bientôt après, entra le charpentier. Tous deux devisèrent, en se chauffant, pendant plus d’une heure.

Mais quand l’homme voulut partir, jamais il ne put se lever de sur le coffre.

— « Charpentier, qu’y a-t-il donc dans ce coffre ? Je ne puis pas me lever.

— Ce n’est rien, mon ami. Ce n’est rien. »

Alors, le charpentier frappa sur le coffre et dit :

— « Petiot, laisse-le aller. C’est un ami de la maison. »

Aussitôt, l’homme put se lever. Il partit épouvanté, disant qu’en vérité le Mandagot était dans cette maison, et qu’il n’était pas étonnant que les

maîtres fussent si riches[167].

X

les sirènes



Il y a des Sirènes dans la mer. Il y en a aussi dans les rivières. Tout-à-l’heure, vous aurez la preuve qu’on en a vu dans le Gers.

Les Sirènes ont des cheveux longs et fins comme la soie, et elles se peignent avec des peignes d’or. De la tête à la ceinture, elles ressemblent à de belles jeunes filles de dix-huit ans. Le reste du corps est pareil au ventre et à la queue des poissons. Ces bêtes ont un langage à part, pour s’expliquer entre elles. Si elles ont affaire à des chrétiens, elles parlent patois ou français.

On dit que les Sirènes vivront jusqu’au jugement dernier. Certains croient que ces créatures n’ont pas d’âmes. Mais beaucoup pensent qu’elles ont dans le corps les âmes des gens noyés en état de péché mortel. Là-dessus, je suis hors d’état de rien décider.

Pendant le jour, les Sirènes sont condamnées à vivre sous l’eau. On n’a jamais pu savoir ce qu’elles y font. La nuit, elles remontent par troupeaux, et folâtrent, en nageant, au clair de la lune, jusqu’au premier coup de l’Angelus du matin. Il arrive parfois qu’elles se battent. Alors, elles s’égratignent, et se mordent, pour se sucer le sang. Au premier coup de l’Angelus, elles sont forcées de rentrer sous l’eau.

Force mariniers, en voyageant sur la mer, ont vu des troupeaux de Sirènes nager autour des navires. Force bateliers en ont vu aussi dans la Garonne. Elles chantaient, tout en nageant, des chansons si belles, si belles, que vous n’avez jamais entendu ni n’entendrez jamais les pareilles. Par bonheur, les patrons des navires et des barques se méfient, et savent ce qu’il faut penser de ces chanteuses. Ils empoignent une barre, et tombent à grand tour de bras sur les jeunes mariniers qui sont prêts à plonger pour aller trouver les Sirènes. Mais les patrons ne peuvent pas toujours avoir l’œil partout. Alors, les Sirènes tombent sur les plongeurs. Elles leur sucent la cervelle et le sang, et leur mangent le foie, le cœur et les tripes. Les corps des pauvres noyés deviennent autant de Sirènes, jusqu’au jugement dernier.

Et maintenant, voici la preuve qu’il y a des Sirènes dans le Gers.

Il y avait autrefois, au hameau de la Côte, tout proche de la ville de Lectoure, un jeune tisserand si passionné, si passionné pour la pêche, qu’on lui avait donné le surnom de Bernard-Pêcheur[168]. Chaque soir, au coucher du soleil, il s’en allait tendre, dans le Gers, des filets et des lignes de fond, qu’il levait le lendemain matin, avant la pointe de l’aube.

Un soir, au temps de la moisson, Bernard-Pêcheur était allé poser ses filets et ses lignes de fond en face de la métairie de Talayzac, dans la commune du Castéra-Lectourois. Cela fait, il se dit en lui-même :

— « Ma maison est loin : la métairie de Talayzac est proche. Je connais le métayer. Il me logera pour la nuit. Demain, je lui ferai présent d’une carpe ou d’une anguille. »

Le métayer fit souper Bernard-Pêcheur, et l’envoya dormir dans un bon lit. Après son premier sommeil, Bernard-Pêcheur sauta par terre, s’habilla dans l’obscurité, ouvrit la fenêtre, regarda la lune et les étoiles, et pensa :

— « Trois heures ne sont pas loin. Il s’en va le temps de lever ses filets et ses lignes de fond. »

Aussitôt, Bernard-Pêcheur descendit vers la rivière. À cent pas du Gers, il entendit des cris et des rires de jeunes filles.

— « Au Diable ! pensa-t-il. Les jeunes filles du Castéra sont venues se baigner ici. Elles auront épouvanté le poisson. Je n’aurai pas besoin d’emprunter la jument poulinière du métayer de Talayzac, pour rapporter ma prise à la maison. »

Bernard-Pêcheur s’approcha doucement, doucement de la rivière, en se cachant derrière les buissons, les frênes et les saules, pour bien voir les jeunes filles, sans leur donner à comprendre qu’il était là. Les jeunes filles peignaient, avec des peignes d’or, leurs cheveux fins comme la soie. Elles nageaient et folâtraient au clair de la lune. Bernard-Pêcheur entendait leurs cris et leurs rires.

— « Le Diable m’emporte, pensa-t-il, si je connais aucune de ces jeunes filles, si je comprends un seul mot de ce qu’elles disent. »

La pointe de l’aube n’était pas loin, et Bernard-Pêcheur regardait toujours. Enfin, une des jeunes filles l’aperçut, et cria :

— « Un homme ! Un homme ! »

Aussitôt, toutes les jeunes filles se tournèrent vers Bernard-Pêcheur :

— « Bernard-Pêcheur, mon ami, viens, viens nager avec nous.

— Mère de Dieu ! Je suis tombé sur un troupeau de Sirènes.

— Bernard-Pêcheur, mon ami, viens, viens nager avec nous. »

Alors, les Sirènes commencèrent une chanson si belle, si belle, que vous n’avez jamais entendu ni n’entendrez jamais la pareille. Par la vertu de cette chanson, Bernard-Pêcheur était forcé de se rapprocher de l’eau de plus en plus.

Les Sirènes chantaient toujours.

— « Mère de Dieu ! pensait le tisserand, je suis tombé sur un troupeau de Sirènes. »

Les Sirènes chantaient toujours.

— « Mère de Dieu, je suis tombé sur un troupeau de Sirènes. »

Les Sirènes chantaient toujours.

Bernard-Pêcheur était au bord de la rivière. Il allait plonger, sans le vouloir, quand les cloches de l’église du Castéra sonnèrent le premier coup de l’Angelus. Aussitôt, les Sirènes finirent leur chanson, et se cachèrent sous l’eau.

Bernard-Pêcheur tremblait comme la feuille du trèfle sauvage. Il était pâle comme un mort. Il leva ses filets, et ses lignes de fond. Jamais le tisserand n’avait pris tant et de si beaux poissons. Mais il n’en garda rien pour lui, et donna tout au métayer de Talayzac. Cela fait, il rentra chez lui, à la Côte, et demeura sept jours sans sortir.

Le huitième, il partit, avant le jour, pour Notre-Dame-de-Bétharam, qui est un lieu de dévotion renommé, dans le pays de Béarn, Là, Bernard-Pêcheur passa tout un mois à faire brûler des cierges, et à entendre des messes, depuis le lever du soleil jusqu’à midi. Le soir, il disait son chapelet, jusqu’à l’heure du coucher. En rentrant à la Côte, Bernard-Pêcheur brûla ses filets et ses lignes de fond. Il ne pêcha plus, et conseilla à ses amis d’en faire autant. La nuit, il s’écartait du Gers, car il avait peur de retomber sur un troupeau

de Sirènes[169].

VIII

Les Animaux

I

les abeilles



Les abeilles sont des bestioles qui se plaisent dans les honnêtes maisons. Elles s’en vont quand les maîtres sont méchants. Mais les braves chrétiens ont des essaims tant qu’ils en veulent, et ils ne peuvent pas leur tenir assez de ruches.

Jamais il ne faut vendre les abeilles, ni pour or, ni pour argent, ni pour cuivre. Il faut les donner pour rien, ou les troquer contre du blé, du vin, de l’huile, ou tous autres fruits de la terre.

Quand une personne meurt dans la maison, il faut faire porter le deuil aux ruches, et attacher au sommet de chacune un morceau de toile noire.

Il ne faut jamais non plus se mettre en colère, ni jurer devant les abeilles. Autrement, elles s’en vont. On dit même qu’elles sont souvent tombées en troupes sur les jureurs, à grands coups

d’aiguillon, et que certains en sont morts misérablement[170].

II

la vache noire



La ville de Bagnères-de-Bigorre[171], n’a pas sa pareille pour les eaux qui rendent la santé aux malades. Voici comment ces eaux furent découvertes.

Il y avait autrefois, dans la haute montagne, un pâtre vieux, vieux comme un chemin. Pourtant, il n’avait jamais vu neiger. Un matin, en se réveillant, il vit le pays blanc comme un linceul. Aussitôt, le vieux pâtre manda tous les siens auprès de lui.

— « Enfants, voici un mauvais signe pour moi. Quand j’étais jeune, mon pauvre père me disait souvent : « Garçon, quand tu verras la terre blanche, tu mourras avant le coucher du soleil. » La terre est blanche. Ce soir, je serai mort, à l’âge de mille ans moins un jour. Quand je serai avec le Bon Dieu, n’oubliez pas de faire ce que je vais vous commander.

— Père, vous serez obéi.

— Quand je serai avec le Bon Dieu, prenez la plus belle de mes vaches noires. Elle marchera droit, tout droit dans la vallée, jusqu’à ce que la terre ne soit plus blanche. Suivez-la, et là où elle s’arrêtera, sont des eaux chaudes qui feront un jour la fortune du pays. »

Le vieux pâtre mourut, avant le coucher du soleil, à l’âge de mille ans moins un jour. Après l’enterrement, les enfants se souvinrent de ce que leur père avait commandé. Ils choisirent la plus belle de ses vaches noires. La vache noire marcha droit, tout droit dans la vallée, jusqu’à ce que la terre ne fut plus blanche. Les enfants la suivirent, et là où elle s’arrêta, ils trouvèrent les eaux chaudes qui ont fait un jour la fortune du pays.

La vache noire fut changée en rocher, que

l’on voit encore au-dessus du village d’Arize[172].

III

les treize mouches



Il y avait, autrefois, au Mounet-du-Hour[173], un tisserand fainéant comme un chien. Jamais on n’entendait le bruit de son métier. Pourtant, le tisserand n’avait pas son pareil, pour tisser et pour remettre, au jour marqué, autant de belle et fine toile que ses pratiques lui en avaient commandé.

Jamais il ne bêchait son jardin. Jamais il ne labourait son champ. Jamais il ne travaillait sa vigne. Pourtant, il y récoltait, chaque année, treize fois plus que ses voisins.

La femme du tisserand ne pouvait s’imaginer comment cela pouvait se faire. Jour et nuit, elle questionnait, elle guettait son mari. Mais au bout de sept ans de mariage, elle n’en savait pas plus que le premier jour.

Un matin de la Saint-Martin[174], le tisserand dit en se levant

— « Femme, j’ai besoin d’aller à la foire de Lectoure. Tu garderas la maison, jusqu’à ce que je sois revenu.

— Mon homme, sois tranquille. La maison sera bien gardée. »

Le tisserand partit. Sa femme le suivait doucement, doucement, en se cachant derrière les arbres et les haies. Arrivé au milieu d’un petit bois, son mari tira quelque chose de sa poche, le cacha au pied d’un genévrier, et repartit. Cinq minutes après la femme avait trouvé la chose cachée. C’était une noix, grosse comme un œuf de dinde, d’où l’on entendait crier :

— « Brrr. Ouvre la noix. Brrr. Où est l’ouvrage ? Brrr. Ouvre la noix. »

La femme rentra vite chez elle, avec sa trouvaille. Toujours elle entendait crier :

—. « Brrr. Ouvre la noix. Brrr. Où est l’ouvrage ? Brrr. Ouvre la noix. »

Enfin, la femme ouvrit la noix. Aussitôt, treize mouches se mirent à voler par la chambre.

— « Brrr. Où est l’ouvrage ? Brrr. Où est l’ouvrage ? Brrr. Où est l’ouvrage ? »

Alors la femme épouvantée, commanda :

— « Mouches, rentrez toutes dans la noix. »

Les Treize Mouches rentrèrent aussitôt dans la noix. Mais toujours elles criaient :

— « Brrr, Ouvre la noix. Brrr. Où est l’ouvrage ? Brrr. Ouvre la noix. »

La femme impatientée, alla remettre la noix au pied du genévrier où le tisserand l’avait cachée. Le soir, quand il fut de retour, elle lui dit, en mangeant la soupe :

— « Mon homme, je connais maintenant les ouvrières qui travaillent à ta place. Ce sont Treize Mouches, que tu tiens prisonnières, dans une noix grosse comme un œuf de dinde.

— Femme, tu as dit la vérité. Puisque tu connais mes ouvrières, commande leur tout ce que tu voudras. Elles t’obéiront comme à moi-même. »

À partir de ce jour, la femme du tisserand n’eut plus qu’à se croiser les bras, à ouvrir la noix, et à commander. Quel que fut le travail, les Treize Mouches l’avaient fait en un moment.

Aussitôt, elles rentraient dans la noix, que la femme tenait cachée sous son coussin. Mais alors, elles criaient :

— « Brrr. Ouvre la noix. Brrr. Où est l’ouvrage ? Brrr. Ouvre la noix. »

À ce bruit, la femme perdait souvent patience. Dans sa colère, elle commandait aux Treize Mouches les choses les plus difficiles. Mais, quel que fut le travail, elles l’avaient fait en un moment.

Aussitôt, elles rentraient dans la noix que la femme tenait cachée sous son coussin. Mais alors, elles criaient :

— « Brrr. Ouvre la noix. Brrr. Où est l’ouvrage ? Brrr. Ouvre la noix. »

Un jour, la femme ne put plus y tenir. Elle ouvrit la noix, en criant :

— « Mouches, voici six cribles, six tamis, et une barrique défoncée de chaque bout. Volez jusqu’au Gers, et rapportez ici toute l’eau de la rivière. »

En un moment, le Gers était à sec, et tout le pays du Mounet-du-Hour dans l’eau. Aussitôt, les Treize Mouches rentrèrent dans la noix que la femme tenait cachée sous son coussin, et toujours elles criaient :

— « Brrr. Ouvre la noix. Brrr. Où est l’ouvrage ? Brrr. Ouvre la noix. »

— Mon homme, cria la femme bleue de colère, ces mouches-là me feraient perdre la tête. Renvoyons-les.

— Femme, tu vas avoir contentement. Mouches, partez.

— Brrr. Compte-nous nos gages. Brrr. Nous partirons. Brrr. Compte-nous nos gages. Brrr. Nous partirons.

— Mouches voici treize corbeaux, treize corbeaux qui volent là-bas, là-bas, vers la forêt du Ramier[175]. Prenez-les en paiement de vos peines. Les Treize Mouches s’envolèrent, emportant les treize corbeaux. Depuis lors, l’homme et sa

femme ne les revirent jamais, jamais[176].

IV

la messe des loups



Les loups sont des bêtes comme les autres. Ils n’ont pas d’âmes. Pour eux, tout finit juste au moment de la mort. Cependant, une fois chaque année, les Loups du même pays s’assemblent pour entendre la messe. Cette messe est dite par un Curé-Loup, qui a appris son métier je ne sais où. Le Curé-Loup monte à l’autel, juste à l’heure de minuit du dernier jour de l’année, qui est la fête de saint Sylvestre. On dit qu’il y a aussi des Évêques-Loups, des Archevêques-Loups, et un Pape-Loup. Mais nul ne les a jamais vus. Pour les Curés-Loups, c’est une autre affaire. Vous allez en avoir la preuve.

Il y avait, autrefois, dans la ville de Mauvezin[177], un brave homme qui faisait le métier de charron. L’un de ses fils travaillait avec lui comme apprenti. Un soir, après souper, le père dit au garçon :

— « Mon ami, tu as aujourd’hui vingt-et-un ans sonnés. Tout ce que j’étais capable de t’enseigner, tu le sais maintenant aussi bien que moi. Voici le moment de t’établir à ton compte. Fais courir l’œil, et tâche de bien choisir où tu dois aller. Une fois achalandé, ta n’auras pas de peine à te marier.

— « Père, vous avez raison. Il est temps de m’établir à mon compte. Quant à me marier, il y a longtemps que j’y pense. Ma maîtresse demeure à Monfort[178]. C’est une fille belle comme pas une, et honnête comme l’or. J’irai donc m’établir charron à Monfort. »

Sept jours après, le jeune homme avait fait comme il avait dit, et les pratiques ne lui manquaient pas. Sept mois plus tard, il épousait sa maîtresse. Tous deux vivaient heureux et tranquilles, comme des poissons dans l’eau.

Un soir d’hiver, sept jours avant la Saint-Sylvestre, le charron et sa femme étaient en train de souper, quand ils entendirent le bruit d’un cheval lancé au grand galop. Le cheval s’arrêta devant la porte de leur maison.

— « Hô ! Charron ! Hô ! Charron ! » cria le cavalier.

Le charron ouvrit la fenêtre, et reconnut un de ses amis de Mauvezin.

— « Que me veux-tu, mon ami ?

— Charron, je t’apporte de mauvaises nouvelles. Ton père est malade, bien malade. Si tu veux le voir encore en vie, tu n’as que le temps de partir pour Mauvezin.

— Merci, mon ami. Je pars sur-le-champ. Descends de cheval, et viens boire un coup.

— Merci, charron. J’ai des affaires pressées ailleurs. »

Le cavalier repartit au grand galop, et le charron s’en alla trouver aussitôt le devin de la commune.

— « Bonsoir, devin.

— Bonsoir, charron. Je sais pourquoi tu es ici. Ton père est bien malade, bien malade. Sois tranquille, il ne mourra pas. Mais il souffrira comme un damné de l’enfer, jusqu’à ce qu’il ait avalé le remède qu’il lui faut. Ce remède est la queue d’un Curé-Loup, que ton père mangera tout entière, avec le poil, la peau, la chair, les os, et la moelle. Veux-tu faire ce qu’il faut, pour avoir cette queue de Curé-Loup ?

— Devin, je le veux, et je te paierai ce qu’il faudra.

— Quand ton père sera près de guérir, je me paierai de mes mains, et sur tes oreilles. »

Cela dit, le devin changea le charron en Loup, qui sur-le-champ partit au grand galop pour la forêt de Boucone[179]. Les Loups le reçurent dans leur bande. Pendant six jours et six nuits, il les aida à voler des veaux et des brebis.

Le dernier jour de l’année, qui est la fête de saint Sylvestre, les Loups furent avisés d’avoir à se procurer un clerc, pour servir la messe de minuit, qu’un Curé-Loup devait dire au beau milieu de la forêt de Boucone. Alors, les Loups se dirent les uns aux autres :

— « Qui de nous est en état de servir de clerc ?

— Moi, répondit le charron.

— Eh bien, frère, tu feras ton métier. »

Une heure avant minuit, le charron avait préparé, au beau milieu de la forêt de Boucone, un autel avec des cierges allumés. Devant l’autel, les Loups attendaient le Curé-Loup, qui arriva tout habillé pour dire la messe, juste à l’heure de minuit. La messe commença donc, et le charron la servit jusqu’au dernier évangile. Alors, les Loups s’enfuirent au grand galop, de sorte qu’il ne demeura plus que le Curé-Loup et son clerc.

— « Attends, Curé-Loup. Je vais t’aider à te déshabiller. »

Le charron s’approcha par derrière du Curé-Loup, et, d’un grand coup de gueule, il lui coupa la queue ras du cul. Le Curé-Loup partit en hurlant. Aussitôt, le charron se trouva porté, sans savoir comment, dans la maison du devin de Monfort.

— « C’est toi, charron. Regarde-toi dans ce miroir. »

Le charron se regarda dans le miroir. Il était redevenu homme. Mais il avait encore les oreilles d’un loup, et tenait serrée entre ses dents la queue du Curé-Loup.

— « Charron, voici le moment de me payer de mes mains, et sur tes oreilles. »

Le devin arracha les deux oreilles de loup du charron. Aussitôt, deux oreilles de chrétien repoussèrent à la place.

— « Et maintenant, charron, tu as de quoi guérir ton père.

— Merci, devin. »

Le charron partit vite pour Mauvezin, et fit manger à son père toute la queue du Curé-Loup, avec le poil, la peau, la chair, les os, et la moelle. Aussitôt, le malade fut guéri, et il vécut encore

bien longtemps[180].

V

la brebis



Une fois, un métayer de la commune de Lagarde[181] s’en était allé acheter un bélier à la foire de Francescas[182]. En revenant, il arriva devant Saint-Martin-de-Goeyne[183], à l’entrée de la nuit, et quitta la route de la Peyrigne[184] pour prendre la traverse.

Il n’avait pas fait une demi-lieue, qu’il trouva une brebis au bord d’un ruisseau, loin de toute habitation.

Alors, le métayer pensa :

— « Je vais amener cette brebis chez moi, et demain je chercherai son maître. »

Mais la brebis ne voulait pas le suivre. Que fit alors le métayer ? Il la chargea sur son cou, et l’emporta.

Pendant que l’homme l’emportait, la Brebis se mit à parler.

— « Je vais en carosse, je vais en carosse. — Je me fais porter[185]. »

Arrivé chez lui, le métayer enferma la brebis seule dans une étable, et rentra ensuite à la métairie, pour conter à sa femme ce qui venait de se passer. Mais sa femme n’y était pas, et les voisins lui dirent qu’ils ne l’avaient pas vue depuis le coucher du soleil.

Le métayer alla se coucher fort inquiet. Mais le lendemain matin, à la pointe de l’aube, quand il voulut aller à l’étable, pour voir ce qu’était devenue la brebis qu’il y avait portée, il trouva sa femme à la place de la Brebis[186].

VI

le chat volé



Il y avait, une fois, à Terraube[187], une femme qui avait grande envie d’un chat. Un jour, cette femme s’en alla à la foire de Fleurance[188], vendre quelques paires de volailles, et trouva un chat noir derrière un pilier de la halle.

Sur la fin de la foire, la femme prit ce chat noir, et l’emporta à Terraube. Pendant trois jours, elle le fit manger à côté d’elle, à table, avec un couvert, un gobelet et une serviette, comme un chrétien. Le soir, elle le faisait coucher dans son lit.

Mais le quatrième jour, la femme oublia, à l’heure du dîner, de mettre le couvert du chat noir.

— « Femme, dit le chat noir, pourquoi n’as-tu pas mis mon couvert ? »

La femme, épouvantée, s’en alla aussitôt conter l’affaire à un vieux curé fort savant.

— « Mie, dit le curé, retournez vite porter ce chat noir où vous l’avez pris. »

La femme repartit aussitôt pour Fleurance, et reporta le chat noir derrière le même pilier où elle l’avait pris, le jour de la foire.

— « Femme, dit le chat noir, il t’a bien enseignée, celui qui t’a enseignée. Si tu ne m’avais pas reporté ici avant le coucher du soleil, je t’étouffais cette nuit. »

Et le chat noir s’en alla[189].

VII

le serpent



Il y avait, autrefois, dans la Montagne[190], un serpent long de cent toises, plus gros que le tronc d’un vieux chêne, avec des yeux rouges, et une langue en forme de grande épée. Ce Serpent comprenait et parlait les langages de tous les pays ; et il raisonnait mieux que nul chrétien n’est en état de le faire. Mais il était plus méchant que tous les Diables de l’enfer, et si goulu, si goulu, que rien ne pouvait le rassasier.

Nuit et jour, le Serpent vivait au haut d’un rocher, la bouche grande ouverte, comme une porte d’église. Par la force de ses yeux et de son haleine, les troupeaux, les chiens, les pâtres étaient enlevés de terre comme des plumes, et venaient plonger dans sa gueule. Cela vint au point, que nul n’osait aller garder son bétail, à moins de trois lieues de la demeure du Serpent.

Alors, les gens du pays s’assemblèrent, et firent tambouriner dans tous les villages.

— « Ran tan plan, ran tan plan, ran tan plan. Celui qui tuera le Serpent sera libre de toucher, pour rien, sur la Montagne, cent vaches, avec leurs veaux, cent juments avec leurs poulains, cinq cents brebis, et cinq cents chèvres. »

En ce temps-là, vivait un jeune forgeron, fort et hardi comme Samson, avisé comme pas un.

— « C’est moi, dit-il, qui me charge de tuer le Serpent, et de gagner la récompense promise. »

Que fit le forgeron ? Sans être vu du Serpent, il installa sa forge dans une grotte, juste au-dessous du rocher où demeurait la male bête. Cela fait, il se lia, par la ceinture, avec une longue chaîne de fer, et plomba solidement l’autre bout dans la pierre de la grotte.

— « Maintenant, dit-il, nous allons rire. »

Alors, le forgeron plongea dans le feu sept barres de fer, grosses comme la cuisse, et souffla ferme. Quand elles furent rouges, il les jeta dehors. Par la force des yeux et de l’haleine du Serpent, les sept barres de fer rouges, grosses comme la cuisse, s’enlevèrent de terre comme des plumes, et vinrent plonger dans sa gueule.

Mais le forgeron fut retenu par sa chaîne, et il rentra dans la grotte.

Une heure après, sept autres barres de fer rouges, grosses comme la cuisse, s’enlevèrent de terre comme des plumes, et vinrent plonger dans la gueule du Serpent. Mais le forgeron fut retenu par sa chaîne, et il rentra dans la grotte.

Ce travail dura sept ans. Les barres de fer rouges, grosses comme la cuisse, avaient enfin mis le feu dans les tripes du Serpent. Pour éteindre sa soif, il avalait la neige par charretées ; il mettait à sec les fontaines et les gaves. Mais le feu reprenait dans ses tripes, chaque fois qu’il avalait sept nouvelles barres de fer rouges, grosses comme la cuisse.

Enfin, la male bête creva. De l’eau qu’elle vomit, en mourant, il se forma un grand lac.

Alors, les gens du pays s’assemblèrent, et dirent au forgeron :

— « Forgeron, ce qui est promis sera tenu. Tu est libre de toucher pour rien, sur la Montagne, cent vaches, avec leurs veaux, cent juments, avec leurs poulains, cinq cents brebis, et cinq cents chèvres. »

Un an plus tard, il ne restait plus que les os du Serpent, sur le rocher dont il avait fait sa demeure. Avec ces os, les gens du pays firent bâtir une église. Mais l’église n’était pas encore couverte, que la contrée fut éprouvée, bien souvent, par des tempêtes et des grêles, comme on n’en avait jamais vu. Alors, les gens comprirent que le Bon Dieu n’était pas content de ce qu’ils

avaient fait, et ils mirent le feu à l’église[191].


VIII

le château de saint-savin



À Saint-Savin, au-dessus de Grenade (Landes), se trouve un vieux château. « La légende[192] mêle ses récits merveilleux à d’antiques traditions sur ce castel ; il y a un trésor enfoui, gardé par une bête prodigieuse, qui ressemble à un porc. Ce n’est pas tout : en fuyant, les Anglais y ont abandonné, disent les habitants

actuels, toute espèce de choses[193]. »

II

Les Pierres

I

la peyre-longue et le veau d’or



Le lieu de Peyre-Longue, près de Dax, est ainsi nommé à cause d’une pierre longue, élevée à droite de la vieille route qui conduisait de Saint-Panthaléon à Sarrat. On dit que les femmes allaient se frotter le ventre contre cette pierre, pour accoucher tous les sept mois. Tout près, était un édifice romain, détruit au XVIe siècle. La tradition veut qu’on y ait adoré le Veau d’or, qui serait encore enfoui à Peyre-Longue. Plusieurs fois on a fouillé le terrain pour le découvrir ; mais le Veau d’or est toujours à retrouver. En revanche, on aurait exhumé quelques objets précieux, sur lesquels je

n’ai pu me renseigner[194].

II

la pierre de gribère



Quelques mots « sur la Pierre de Gribère, Grimaud ou Griman, car ces divers noms lui ont été donnés, qu’on voit près de Sabres, quartier de Tauziet. Encore de nos jours, on y apporte, en dévotion, les enfants malades, on leur en fait faire neuf fois le tour pour qu’ils

marchent[195]. »

III

la peyre-longue de sainte-colombe



À Sainte-Colombe, il y a une autre Pierre longue (menhir), sur la rive gauche du Laudon, et à gauche du chemin qui relie Saint-Sever à Hagetmau. Certains disent qu’une fée aurait déposé là cette pierre, qui saute sur elle-même autant de fois que midi frappe de coups.

Voici ce qu’on croit plus généralement.

Une femme s’en allait un jour à Dax, cette Pierre sur la tête, tout en filant sa quenouille. À Sainte-Colombe, elle rencontra une fée.

— « Femme, où allez-vous ?

— Je vais porter cette pierre à Dax.

— Dites donc si à Dieu il plaît[196].
— Que cela lui plaise, ou ne lui plaise pas,
Pierre-Longue à Dax ira.

— Et donc, posez-la par ici.
Tant qu’il ne plaira pas au Bon Dieu,
Peyre-Longue ne sortira pas d’ici. »

La femme fit ce qu’ordonnait la fée, et déposa sur la pierre sa quenouille et son fuseau.

On en dit autant à propos d’un tronçon de colonne de marbre, que je crois être un fragment de colonne milliaire, et qui se trouve à un carrefour où se croisent plusieurs chemins, près de Saubusse. Les paysans s’imaginent que cette Peyre-Longue a le pouvoir d’amener la pluie et le beau temps, selon qu’elle est couchée ou debout. En conséquence, ils la couchent ou la redressent, suivant qu’ils désirent l’eau ou le soleil[197].


TABLE


Séparateur
CONTES MYSTIQUES
I
Fées, ogres, nains
II
Les morts
 67
 96
IV. 
 100
III
Contes divers
II. 
 116
 126
SUPERSTITIONS
I
le bon dieu, la vierge, les saints
 149
 166
 173
 188
II
le diable
 216
 218
 221
III
sorciers, sabbat, sortilèges
 235
 237
 240
 242
VIII. 
 251
IV
esprits et fantômes
 257
II. 
 262
V
êtres bienfaisants ou neutres
 287
V. 
 294
 296
VI
êtres malfaisants
III. 
 322
 324
V. 
 328
VI. 
 332
VII. 
 336
 338
 342
VII
les animaux
 351
 353
 355
 360
V. 
 366
 368
VII. 
 370
VII
les pierres
  1. Ville du département du Gers.
  2. Dicté par Pauline Lacaze, de Panassac (Gers). Pendant mon enfance, ma tante, feu Madame Tessier, née Liaubon, de Gontaud (Lot-et-Garonne), m’a fait un récit à peu près semblable. Cf. Cordier, Légendes des Hautes-Pyrénées, 55-60, Les Fées.
  3. Dicté par une jeune fille pourvue de l’instruction primaire, mademoiselle Marie Sant, de Sarrant (Gers), et par Pauline Lacaze, de Panassac (Gers). Toutes deux s’accordent à gratifier le garçon d’un fouet, d’un sifflet d’argent, et d’un anneau d’or. Dans le seul récit de Pauline Lacaze, le fouet sert à chasser les mouches, dont il n’est point parlé dans le récit de mademoiselle Sant. Celle-ci déclare que le fouet et le sifflet d’argent servaient exclusivement à garder et rappeler les trois cents lièvres. Au moment de la dictée, mademoiselle Sant était âgée de vingt-trois ans.
  4. En gascon Bourtoumiou est le nom propre correspondant à Barthélémy.
  5. En gascon, ces deux lignes riment par assonance :

    Ho ! Bourtoumiou, sèro, sèro,
    Sèro, sèro ma bourriqueto.

  6. Ces deux lignes, qui reviennent, riment aussi en gascon :

    Ho ! Bourtoumiou, hoeto, hoeto
    Hoeto, hoeto ma bourriqueto.

  7. Je sais ce conte depuis mon enfance. Mes souvenirs concordent exactement avec ceux de l’abbé Magenties, de Lectoure, qui reproduit le récit de sa grand’mère, Catherine Dubuc, veuve Langlade, femme illettrée, morte à Lectoure, en 1855, dans un âge avancé.
  8. Voici les deux vers gascons :

    Ausèret, ausèreto,
    Auètz bist un gouiat e uo hilleto ?

  9. En gascon :

    Guitet, guiteto,
    Auètz bist un goiat e uo hilleto ?

  10. En gascon :

    Bernadeto,
    Bergereto,
    Soureilleto,
    Aoeilletos,
    Auètz bist un goiat e uo hilleto ?

  11. Dicté par mademoiselle Marie Sant, de Sarrant (Gers). Le conte de La Belle Jeanneton est encore assez répandu dans la Gascogne et l’Agenais. Pierre Lalanne, de Lectoure (Gers), ma belle-mère, madame Lacroix, de Notre-Dame-de-Bonencontre, et Marianne Bense, du Passage-d’Agen (Lot-et-Garonne), m’ont aussi fourni ce récit, mais moins complet et moins bien lié que la narration de mademoiselle Marie Sant. Madame Lacroix et Marianne Bense, désignent l’Ogre sous le nom de Tartari, et sa femme sous le nom de Tartarino. Je n’ai jamais rencontré ces deux vocables dans les pays de langue d’oc situés sur la rive gauche de la Garonne. Mais dans l’Agenais proprement dit, situé sur la rive droite, quelques vieillards disent encore : Negre coumo Tartari, noir comme Tartari ; mechant coumo Tartari, méchant comme Tartari. Avant d’habiter Agen, j’y suis venu bien souvent, pendant mon enfance, surtout à l’époque des foires du Gravier et du Pin, où je ne manquais aucune représentation des théâtres classiques de marionnettes. Je me souviens fort bien qu’alors, certains paysans donnaient, au Diable noir, qui emporte Polichinelle, le nom de Tartari, qui maintenant est presque perdu.
  12. Dicté par Marianne Bense. Quand j’étais enfant, ma grand’mère maternelle, Marie Couture, native de Bordeaux, mais dont la famille était originaire du Périgord, m’a souvent cité ce conte, qui n’est pas encore oublié en Gascogne et en Agenais.
  13. Formulette usitée parmi les enfants de l’Armagnac, et de la Lomagne, quand ils prennent la course, pour sauter à pieds joints. Le piché est une mesure locale, contenant environ deux litres.

    Guiraudo,
    La coco caudo,
    Lou piché plen,
    Sauto d’un plen.

  14. Durant mon enfance, j’ai entendu réciter intégralement ce conte par une vieille repasseuse, la veuve Benoît, de Lectoure, qui venait en journée chez ma mère. Deux autres personnes, mortes comme la précédente, Jacques Bonnet, métayer à Lacassagne, et Pichou, carrier à Tané (commune de Lectoure), le savaient aussi tout entier, moins l’épisode des Mains. Un poète agenais, mort l’an dernier, M. J. B. Goux, m’a rapporté la même tradition, sauf la partie qui commence au serpent gardeur d’or, et finit à la rencontre du Nain. M. Goux tenait son récit d’une personne originaire d’Auvillars (Tarn-et-Garonne). Cette lacune était comblée par feue Bernarde Dubarry, de Bajonnette (Gers). Elle l’est encore, mais d’une façon moins complète, par Isidore Escarnot (Gers). En somme, j’ai restitué ce conte en juxtaposant ses fragments, dispersés dans la mémoire des divers narrateurs.
  15. Chef-lieu d’arrondissement du département de Lot-et-Garonne.
  16. Le mois de décembre.
  17. Dicté par Marianne Bense, du Passage-d’Agen (Lot-et Garonne), veuve d’un marinier, qui navigua près de quarante ans sur la Garonne, la Baïse, et le canal du Languedoc. Marianne tient de son mari ce conte, que feu Justine Dutilh, fille d’un marinier de Marmande, me récita, il y a vingt ans, d’une façon presque identique pour le fond. Marianne Bense m’a certifié que les souvenirs de quelques vieux bateliers agenais concordent avec les siens. Indépendamment du conte de Jean de Calais, tel que je viens de le fournir, il en existe un autre qui procède beaucoup plus visiblement de la Bibliothèque Bleue. Tel est notamment celui que mon ami M. Lavergue, de Castillon-Debat (Gers), m’a fait parvenir, il y a six ans, d’après la narration d’un vieillard de sa commune.
  18. Dicté par ma belle-mère, Madame Lacroix, née Pinèdre, née à Notre-Dame-de-Bon-Encontre, près Agen. Ce récit est encore fort populaire en Gascogne.
  19. Le 1er  mai.
  20. Le 16 août.
  21. Le 18 octobre.
  22. Dicté par Catherine Sustrac, de Sainte-Eulalie, commune de Cauzac, canton de Beauville (Lot-et-Garonne). Je ne suis pas le premier à constater que cette légende diffère, par le fonds et par la forme, de la généralité de nos traditions gasconnes. Je l’ai pourtant rencontrée en Lomagne, en Fezensaguet, en Bruilhois, et en Bazadais, à peu près telle que me l’a fournie Catherine Sustrac. Mais Le Cœur mangé est accepté par la moitié des narrateurs comme un Conte, et par l’autre comme une Superstition.
  23. Raconté par Pauline Lacaze, de Panassac (Gers).
  24. Les petits écus valaient trois livres, les grands six, et les pistoles dix. On compte encore, en Gascogne, par petits écus et pistoles.
  25. Atrapo-t’aco, e bouto-t’i sau. Phrase ironique et populaire, à l’adresse de celui qu’on maltraite.
  26. Dicté par Cadette Saint-Avit, de Cazeneuve, commune du Castéra-Lectourois (Gers), et par Isidore Escarnot de Bivès (Gers). Les deux récits sont à peu près identiques pour le fond. J’ai suivi celui de Cadette Saint-Avit.
  27. Hameau de la commune de Castelnau-d’Arbieu (canton de Fleurance), sis au bord du Gers.
  28. Forêt entre Lectoure et Fleurance.
  29. En gascon, Cagolouidors signifie « Chie louis d’or »
  30. Quartier d’Auch, sur le bord du Gers.
  31. C’est le nom de la cathédrale d’Auch.
  32. On nomme ainsi les deux clochers et les clochetons de la cathédrale d’Auch.
  33. Dicté par un des anciens métayers de ma famille, Blaise Sans, propriétaire au Bourdieu, commune de Lectoure (Gers), alors âgé d’environ soixante-huit ans. J’estime que ce brave homme m’a donné la meilleure leçon de ce conte, assez répandu dans la Gascogne et l’Agenais. Dans mon enfance, ma grand’mère paternelle, née Marie de Lacaze, m’a fait plus d’une fois une narration similaire. Je me souviens cependant qu’elle substituait au nom de Jean du Ramier celui de Jean de Montastruc, commune du canton de Fleurance (Gers). Marie Vidal, de Valence-d’Agen (Tarn-et-Garonne), m’a fourni un conte dont l’action est localisée dans cette portion de l’Agenais qui confine au Bas-Quercy. Dans cette narration, le Pou prend le nom de Grain-de-Millet, Jean-du-Ramier celui de Pierre de Valence, et Cagolouidors celui de Ramponneau. En Agenais, Bazadais et Bordelais, j’ai souvent entendu menacer les petits enfants qui ne sont pas sages de Ramponneau, comme on fait ailleurs de Croquemitaine. Mais je n’ai jamais rencontré Ramponneau dans les contes de nos paysans de la Haute-Gascogne.
  34. Dicté par mademoiselle Marie Sant, de Sarrant (Gers). Quelques autres personnes, notamment Françoise Lalanne, de Lectoure (Gers), et Pauline Lacaze, de Panassac (Gers), m’ont aussi récité ce conte, mais d’une façon moins précise.
  35. Dicté par Cadette Saint-Avit, du hameau de Cazeneuve, commune du Castéra-Lectourois (Gers).
  36. Les Pyrénées.
  37. Dicté par Nine, de la Vallée de Campan (Hautes-Pyrénées).
  38. Ville du département des Hautes-Pyrénées.
  39. Dicté par Nine, de la Vallée de Campan (Hautes-Pyrénées).
  40. Dicté par ma belle-mère, Madame Lacroix, née Pinèdre, de Notre-Dame-de-Bonencontre (Lot-et-Garonne).
  41. Dicté par ma belle-mère, Madame Lacroix, née Pinèdre
  42. Noms de bœufs en Gascogne.
  43. Dicté par le vieux Cazaux, et par Françoise Lalanne, tous deux de Lectoure (Gers).
  44. Dicté par Marie Dupin, veuve Lagarde, de Gimbrède, canton de Miradoux (Gers), âgée d’environ soixante ans.
  45. Dicté par Cadette Saint-Avit, du hameau de Cazeneuve, commune du Castéra-Lectourois (Gers).
  46. Le nord.
  47. La Grande-Ourse.
  48. Les Pyrénées.
  49. Dicté par Pauline Lacaze, de Panassac (Gers). J’ai aussi entendu un récit à peu près pareil dans la bouche de deux vieillards, morts aujourd’hui, Cazaux, de Lectoure, et Jacques Bonnet, métayer à Lacassagne, dans la même commune. Ces deux derniers présentaient cette pièce comme un conte, et non comme une superstition.
  50. Situé dans la commune de Saint-Mézard (Gers).
  51. Chef-lieu de canton du département de Lot-et-Garonne.
  52. Rondeau.
  53. Ce récit est populaire dans la commune de Sempesserre, canton de Miradoux, (Gers), et dans huit ou dix communes environnantes. De la paroisse de Sempesserre, dépend l’annexe de Las Martres (Les Martyres), voisine des Rochers des Donzelles (Lous Arrocs de las Dounzelos), où les danseuses auraient trouvé leur châtiment.
  54. Sur Tartari, voir le présent recueil, note 1, t. II, p. 36
  55. Rue d’Agen.
  56. On y montre encore la prétendue chambre de sainte Foi.
  57. Cet Ermitage existe toujours, et fait partie d’un couvent de Carmes, dispersés en vertu des décrets du 29 mars 1880.
  58. Cette source coule toujours à l’Ermitage.
  59. Place de la ville d’Agen, s’ouvrant par une ruelle sur la rue Molinier.
  60. Le Martrou est, en effet, une crypte fort ancienne ; mais aucun indice archéologique ne permet de la dater exactement.
  61. Le Bas-Quercy. Moissac est maintenant un chef-lieu d’arrondissement du Tarn-et-Garonne.
  62. Raconté par ma belle-mère, Madame Lacroix, née Pinèdre. Cette légende est encore fort populaire à Agen. L’ancienne collégiale de Saint-Caprais remplace maintenant, à Agen, la vieille cathédrale détruite, et placée sous l’invocation de saint Étienne.
  63. Dicté par Pauline Lacaze, de Panassac (Gers). Feu Cadette Saint-Avit, du hameau de Cazeneuve, commune du Castéra-Lectourois (Gers), savait aussi cette légende.
  64. Dicté par Catherine Sustrac, de Sainte-Eulalie, commune de Cauzac (Lot-et-Garonne).
  65. Dicté par Marianne Bense du Passage-d’Agen (Lot-et-Garonne).
  66. Dicté par Nine, de la Vallée de Campan (Hautes-Pyrénées), et par Pauline Lacaze, de Panassac (Gers), qui localisent l’action chacune dans son pays. Pendant mon enfance, j’ai entendu des récits semblables dans plusieurs communes de l’arrondissement de Lectoure (Gers).
  67. Chef-lieu de canton (Gers).
  68. En Gascogne, on brûle encore, dans certaines communes rurales, un mannequin représentant le Carnaval. Cette burlesque cérémonie a lieu, tantôt le mardi-gras, tantôt le mercredi des cendres.
  69. Raconté par un terrassier dont j’ai oublié le nom, et qui était des environs de Gimont.
  70. Dicté par Pauline Lacaze, de Panassac (Gers). Pareil récit me fut fait auparavant, par deux servantes de ma famille, Marie, de Montréjeau (Haute-Garonne), et Bernarde Dubarry, de Bajonnette (Gers).
  71. Cette légende, plus ou moins modifiée dans ses détails, est populaire, non seulement dans la Gascogne, mais dans tout le Midi de la France. Je l’ai écrite sous la dictée de Pauline Lacaze, de Panassac (Gers).
  72. Dicté par Pauline Lacaze, de Panassac (Gers), et par Mademoiselle Sant, de Sarrant (Gers).
  73. Dicté par Pauline Lacaze, de Panassac (Gers).
  74. Commune du canton de Fleurance (Gers), autrefois comprise dans le comté de Gaure.
  75. Pont jeté sur un bras du Gers, après Lectoure, en suivant la route de Fleurance.
  76. Dicté par Françoise Lalanne, de Lectoure (Gers).
  77. Commune du canton de Lectoure (Gers), autrefois comprise dans le marquisat de Fimarcon. On l’appelle aussi le Mas-d’Auvignon.
  78. Métairie située au nord de la commune de Lectoure.
  79. Dicté par Françoise Lalanne, de Lectoure (Gers).
  80. En gascon cela forme deux vers.

    Hardit, barejo,
    Diuqu’a l’ouro e mièjo.

  81. Dicté par Antoinette Sant, née Cousturian, de Sarrant (Gers).
  82. Dicté par Alexandre Dupouy, du Pergain-Taillac (Gers), maintenant âgé d’environ vingt-huit ans.
  83. Écrit sous la dictée de mon oncle, l’abbé Prosper Bladé, curé du Pergain-Taillac (Gers). Mon oncle ajoute que ce récit, fort répandu dans l’Armagnac, la Lomagne, et les pays voisins, avant 1789, fut renouvelé, en 1830, par les bourgeois libéraux, qui voulaient ainsi exciter les paysans contre le clergé. J’ai constaté que cette déclaration est parfaitement exacte.
  84. En gascon : Que lou Diable te bouhe au cu.
  85. En gascon :

    Te douti,
    Te redouti.
    Pet sense hoèillo,
    Mounto cap-sus la chaminèio.

  86. Les Pyrénées.
  87. Se dit d’un homme qui affecte la langage et les manières des Français du Nord.
  88. Dicté par feu Cazaux, de Lectoure. La croyance à la Messe de saint Sécaire est encore fort répandue en Gascogne. Cazaux seul m’a parlé de la contre-messe.
  89. Dicté par ma grand’mère paternelle, feu Marie de Lacaze, de Réjaumont (Gers).
  90. Dicté par Isidore Escarnot, de Bivès (Gers).
  91. Hameau de la commune de Castelnau d’Arbieu (canton de Fleurance), sur la rivière du Gers.
  92. Le mois de décembre.
  93. Forêt entre Lectoure et Fleurance.
  94. Château de l’ancien pays de Condomois, canton de Fleurance (Gers). Lamothe-Goas était jadis un comté.
  95. Bourg de l’ancien comté de Gaure, actuellement compris dans le canton de Fleurance (Gers). Les communes de la Sauvetat et de Lamothe-Goas sont contiguës.
  96. Dicté par feu Cazaux, de Lectoure.
  97. Village du canton de Lavit (Tarn-et-Garonne).
  98. En bois de micocoulier.
  99. Les devins des Landes étaient, et sont encore renommés dans toute la Gascogne.
  100. Cette première partie du récit m’a été dictée par Pierre Lalanne, de Lectoure (Gers).
  101. Cette seconde portion du récit m’a été dictée, après audition de ce qui précède, par Blaise Sans, du Bourdieu, commune de Lectoure.
  102. Pierre Lalanne.
  103. Métairie de la commune de Lectoure (Gers), au bord de la route de Nérac.
  104. Métairie de la commune de Lectoure (Gers), presque au bord de la route de Nérac.
  105. Le Drac, esprit familier dont il est ici question, n’a guère que le nom de commun avec la malfaisante divinité marine dont il est question dans un des contes du tome I du présent recueil, Le Drac, p. 227-40.
  106. Ancien couvent de religieuses Clairistes, aujourd’hui occupé par un pensionnat des Dames de Nevers.
  107. Ancienne cathédrale de Lectoure.
  108. Dicté par feu Bernade Dubarry, de Bajonnette (Gers).
  109. Ces deux lignes riment en gascon :

    Rigo, rago.
    Est anèit la pago.

  110. Le 31 décembre.
  111. Commune du département du Gers, limitrophe de celle de Lectoure.
  112. En gascon, ce sobriquet signifie « Chie louis d’or. »
  113. Chef-lieu d’arrondissement du département du Gers.
  114. Chef-lieu de canton du département de Lot-et-Garonne, situé non loin de Saint-Avit.
  115. Métairie, sise au nord de la commune de Lectoure.
  116. En gascon, ceci forme deux vers :

    I ban, Mestre.
    Auèn pas que la nèit de Sent Soulibestre.

  117. Mesure locale, d’environ deux litres.
  118. Le Bas-Quercy, dont Montauban était la capitale. Ce pays est aujourd’hui compris dans le département de Tarn-et-Garonne.
  119. Dicté par Dupin, dit Brespos (Vêpres), propriétaire à la Bourdette, commune de Saint-Avit. J’ai retrouvé ce conte moins complet, et diversement localisé, dans cinq autres communes voisines : Lectoure, Sempesserre, Sainte-Mère, Castetarrouy, et Gimbréde.
  120. Hameau de la commune de Saint-Avit, canton de Lectoure (Gers).
  121. Le 24 juin.
  122. Affluent de la rive gauche de l’Auroue, petite rivière qui se jette dans la Garonne (Lot-et-Garonne).
  123. La route de Lectoure à Saint-Clar (Gers).
  124. Dicté par feu Cazaux, de Lectoure, dont le récit est identique, pour le fond, à celui que me fit, quand j’étais jeune, un autre vieillard nommé Jacques Bonnet, métayer à la Cassagne, commune de Lectoure (Gers). La croyance aux « Sept Belles Demoiselles, qui savent tout ce qui se fait et tout ce qui se fera », n’est pas encore éteinte dans mon pays natal. Mais je n’ai entendu que Cazaux et Jacques Bonnet, parler de l’aventure du Déserteur. L’adaptation des faits historiques à la légende est exacte, ou peu s’en faut. On sait, en effet, que Napoléon perdit, le 18 juin 1815, la bataille de Waterloo. La nouvelle de cette défaite, ne fut universellement connue de nos paysans que vers la fin du même mois.
  125. Ainsi nommés parce que les Bohêmes s’abritaient sous leurs surplombs. Ces rochers étaient situés au nord de Lectoure, près de l’ancienne fontaine du Saint-Esprit. L’établissement d’un chemin de ronde a fait disparaître le tout.
  126. Situés au midi de Lectoure.
  127. Dicté par feu Cazaux, de Lectoure (Gers). Quelques vieillards de cette ville, m’ont parlé plus vaguement de l’Homme Vert.
  128. Forêt entre Lectoure et Fleurance. Elle est aujourd’hui défrichée dans sa majeure partie.
  129. Ruisseau du Ramier qui se jette dans le Gers.
  130. Village du canton de Fleurance (Gers).
  131. Abbaye de Bernardins.
  132. Château qui a donné son nom à une commune du canton de Fleurance (Gers). Lamothe-Goas était autrefois le siège d’un comté.
  133. Dicté par Jacques Bonnet, de Lacassagne, commune de Lectoure (Gers), vieillard illettré, mort depuis longtemps. Bonnet croyait à la réalité de ce récit, plus généralement accepté par d’autres comme un simple conte.
  134. Cathédrale de Lectoure (Gers).
  135. Dicté par feu Cazaux, de Lectoure (Gers).
  136. Raconté par feu Barthélémy, de Nogaro (Gers).
  137. Dicté par Marianne Bense, du Passage-d’Agen (Lot-et-Garonne).
  138. Dicté par Pauline Lacaze, de Panassac (Gers).
  139. Route de Condom (Gers) à Nérac (Lot-et-Garonne).
  140. Les Pyrénées.
  141. J’ai connu, en effet, l’abbé de Ferrabouc, durant mon enfance, au presbytère de Saint-Mézard, canton de Lectoure (Gers), où il est mort dans un âge fort avancé. Le vrai nom de ce bon prêtre était Herrebouc, tiré d’une terre de l’ancien comté de Fezensac, dont ses ancêtres étaient seigneurs. Pendant la Révolution, l’abbé de Ferrabouc avait émigré en Espagne, et il résida longtemps à Cordoue. Est-il besoin d’ajouter qu’il ne m’a jamais dit un mot de ce que mon narrateur m’a dicté, du reste, en toute bonne foi ?
  142. Chef-lieu de canton du département de la Haute-Garonne, dans la partie de ce département formée par les Pyrénées centrales.
  143. Vallée espagnole, contiguë à la France. C’est là que la Garonne prend sa source.
  144. La haute vallée de l’Ariège, qui confine à l’Espagne et à l’Andorre, du côté du midi.
  145. Petit pays comprenant la partie tout-à-fait supérieure de la vallée de l’Aude. Le Capcir fut cédé à la France, par le traité des Pyrénées, en même temps que le Vallespir, le Conflent et la Cerdagne française.
  146. No. Qiero delante comer una pierna del frayle. Ceci est du castillan ; mais le narrateur parlait ainsi. En catalan il faudrait : No. Vuy abant manja una cama del capella.
  147. Le 24 juin.
  148. Quatrain gascon fort connu :

    Toutos las erbetos
    Que soun dens lous camps,
    Flourissoun e granon
    Lou Jour de Sent-Joan.

  149. Dicté par feu Cazaux, de Lectoure. La croyance aux montagnards anthropophages des Pyrénées, et aux assemblées d’esprits bienveillants, durant la nuit de la Saint-Jean, est encore assez répandue en Gascogne. Mais les particularités concernant l’oncle de Condom et l’abbé de Ferrabouc, appartiennent en propre à Cazaux. J’ai classé cette superstition mixte dans la série des Êtres malfaisants, à cause des charbonniers du Capcir.
  150. Cardés, La Peyrolière, Aurignac, quartiers montueux de la commune de Lectoure. Saint-Clar, chef-lieu de canton du Gers. L’Esquère, l’Auroue, cours d’eau.
  151. Métairie dans la commune de l’Isle-Bouzon, canton de Saint-Clar (Gers).
  152. Commune du canton de Saint-Clar (Gers).
  153. Dicté par feu Cazaux, de Lectoure. Je me souviens avoir entendu, quand j’étais enfant, le même récit dans la bouche de Jacques Bonnet, métayer à La Cassagne, localité de la commune de Lectoure assez voisine de celle de l’Isle-Bouzon. Jacques Bonnet est mort depuis longtemps, de même qu’un autre conteur nommé Merle, de Marsolan (canton de Lectoure), qui localisait l’action dans sa commune natale.
  154. Voir t. I, p. 32 et seq. Le Bécut.
  155. Dompnier de Sauviac, Chroniques de la Cité et du Diocèse d’Acqs, l. II, p. 134. Il est bien entendu que je laisse à l’auteur toute la responsabilité de ses hypothèses, romantiques comme son style. En gascon becut, comme bequin, signifie pourvu d’un bec. Ceze becut ou ceze bequin, pois chiche, parce que le pois chiche a un bec, qui manque au pois vert. Becut signifie, par extension, vorace, glouton, ogre. Cette dernière acception existe notamment dans les Landes, où l’on donne aussi le même nom aux cousins et moustiques, fort nombreux dans ce pays de marécages. Je n’ai jamais rencontré la croyance aux Bécuts, que dans la partie de la Gascogne correspondant aux départements des Hautes-Pyrénées, des Basses-Pyrénées et des Landes.
  156. Dicté par Marianne Bense, du Passage-d’Agen (Lot-et-Garonne).
  157. Les foires d’octobre, tenues à Agen, dans le quartier du Pin, jouissent d’une renommée régionale. Elles avaient lieu autrefois le 15 de ce mois. Mais depuis quelques années, chaque maire change le jour, et cela au grand détriment du commerce agenais.
  158. Dicté par Catherine Sustrac, de Sainte-Eulalie, commune de Cauzac (Lot-et-Garonne). D’autres conteurs donnent à ce récit le nom de la Camo Cruso, en gascon « la Jambe Crue ».
  159. Chef-lieu de canton du département du Gers, jadis capitale de la vicomté de Fezensaguet.
  160. Les Espagnols venus de l’Aragon, et surtout de la Catalogne, sont si nombreux en Gascogne, que dans certaines villes, ils forment de véritables colonies. On les emploie volontiers aux travaux bas et répugnants.
  161. J’ai vu souvent projeter ainsi les rayons du soleil au fond des puits, pour voir ce qui flotte sur l’eau.
  162. Dicté par feu Madame Bache, de Mauvezin (Gers). La croyance au Basilic est encore fort répandue en Gascogne.
  163. Dicté par Isidore Escarnot de Bivès (Gers).
  164. Dompnier de Sauviac, Chroniques de la Cité et du Diocèse d’Acqs, t. I, p. 23-24.
  165. Commune du département du Gers, canton d’Auch.
  166. Lou cauhadè, pièce principale des habitations de paysans. Elle sert à la fois de cuisine et de salle à manger. Il n’est pas rare qu’on y mette un lit.
  167. Traduit, sur une dictée gasconne, par Amédée Tarbouriech, d’Auch, mort archiviste du département du Gers. Tarbouriech ne n’a pas nommé son fournisseur.
  168. Nom du héron en Gascogne. On l’applique parfois au Martin-Pêcheur
  169. Dicté par feu Cazaux, de Lectoure (Gers).
  170. Dicté par Pauline Lacaze, de Panassac (Gers).
  171. Chef-lieu d’arrondissement des Hautes-Pyrénées.
  172. Dicté par Nine, de la Vallée de Campan (Hautes-Pyrénées), femme tant soit peu lettrée, âgée d’environ cinquante-cinq ans.
  173. Hameau de la commune de Lectoure. Le Mounet-du-Hour passe pour être un pays de sorciers.
  174. Le 11 novembre. Il y a ce jour-là, à Lectoure, une grande foire de mules.
  175. Forêt aujourd’hui défrichée en grande partie, et située entre Lectoure et Fleurance.
  176. Dicté par feu Cazaux, de Lectoure.
  177. Chef-lieu de canton du département du Gers, ancienne capitale de la vicomté de Fezensaguet.
  178. Commune du canton de Mauvezin (?)
  179. Forêt entre l’Isle-Jourdain (Gers), et Toulouse (Haute-Garonne).
  180. Dicté par feu madame Bache de Mauvezin (Gers). Pareil récit me fut raconté par feu Bernarde Dubarry, de Bajonnette (Gers), qui localisait l’action, partie dans son village natal, partie à Réjaumont, et dans les bois qui dépendent de cette dernière commune.
  181. Lagarde, commune du canton de Lectoure (Gers).
  182. Francescas, chef-lieu de canton du département de Lot-et-Garonne.
  183. Saint-Martin-de-Goeyne, commune du canton de Lectoure (Gers).
  184. Route de Lectoure à Nérac, coupée par la vraie Peyrigne, qui va d’Agen à Condom, et continue vers le sud.
  185. En gascon, ceci forme deux vers :

    Carioli carioli.
    Jou que me pourtini.

  186. Dicté par Françoise Lalanne, de Lectoure (Gers).
  187. Commune du canton de Lectoure (Gers).
  188. Fleurance, ancienne capitale du comté de Gaure, aujourd’hui chef-lieu d’un canton du département du Gers.
  189. Dicté par feu Cadette Saint-Avit, du hameau de Cazeneuve, commune du Castéra-Lectourois (Gers).
  190. Les Pyrénées.
  191. Dicté par Nine, de la Vallée de Campan (Hautes-Pyrénées).
  192. Dompnier de Sauviac, Chroniques de la Cité et du Diocèse d’Acqs, I, p. 32.
  193. Il s’agit, bien entendu, des Anglo-Normands du moyen-âge, et non des Anglais de lord Wellington, et du maréchal de Beresford, qui vinrent dans la Gascogne, en 1814. — J.-F. B.
  194. Dompnier de Sauviac, Chroniques de la Cité et du Dlocèse d’Acqs, I, p. 19.
  195. Dompnier de Sauviac, Chroniques de la Cité et du Diocèse d’Acqs, I, p. 21-22.
  196. En patois landais, six vers, transcrits d’après l’orthographe de Dompnier de Sauviac, dont je ne me rends pas responsable.

    — Disets dounc si Diou plats.
    — Qué plazi ou né plazi pas,
    Peyreloungue à Dax qu’anira.
    — Paouzatz lé aquiou,
    Tant qué né plazi pas à Diou
    Peyreloungue ne sourtira pas d’aciou.

  197. Dompnier de Sauviac, Chroniques de la Cité et du Dlocèse d’Acqs, I, p. 21-22.