Bladé - Contes populaires de la Gascogne, t. 2, 1886/Les Trois Pommes d’orange
II
LES TROIS POMMES D’ORANGE
l y avait, une fois, un roi et une reine qui
avaient une fille, belle comme le jour, et
sage comme une sainte. À dix-huit ans,
cette fille tomba si malade, si malade, que le roi
manda le plus savant de tous les médecins de
Montpellier.
— « Médecin, voici mille louis d’or. Tu en auras le double, quand ma fille sera guérie.
— Roi, votre fille guérira. Mais son remède n’est pas ici. Il est à l’étranger, loin, bien loin, dans le pays des pommes d’orange. Dans ce pays, il y a un beau jardin, où jamais il ne neige ni ne glace. Dans ce beau jardin il y a un pommier d’orange, tout blanc de fleurs, où sept cents rossignolets sauvages chantent, nuit et jour. Sur ce pommier d’orange, il y a neuf pommes rousses comme l’or. Roi, mandez un jeune garçon qui en cueille, et qui en rapporte trois. Quand votre fille aura mangé la première, elle se lèvera de son lit. Quand votre fille aura mangé la seconde, elle sera plus belle et mieux portante que jamais. Quand votre fille aura mangé la troisième, elle dira : « Je n’aurai ni paix ni repos, que je ne sois mariée au garçon qui m’a rapporté les trois pommes d’orange. »
Alors, le roi commanda de tambouriner trois fois par jour dans tous le pays :
— « Ran plan plan, ran plan plan, ran plan plan. La fille du roi est bien malade. Pour la guérir, il faut qu’elle mange trois pommes d’orange. Mais les trois pommes d’orange sont en pays étranger. Au garçon qui les rapportera le roi promet sa fille en mariage. »
En ce temps-là, vivaient, dans leur maisonnette, une pauvre veuve et ses trois garçons. Les deux aînés étaient fainéants, ivrognes, joueurs. Enfin, ils ne valaient pas la corde pour les pendre. Mais le dernier faisait service à tout le monde. Il était sage, laborieux, avisé, fort et hardi comme pas un.
— « Mère, dit l’aîné, vous avez entendu ce que le tambour de ville a crié. Donnez-moi un panier. Je pars pour le pays des pommes d’orange. À mon retour, j’épouserai la fille du roi. »
L’aîné partit. Pendant sept semaines, il marcha de l’aube à minuit. Enfin, il arriva dans le pays des pommes d’orange. Dans ce pays, il y a un beau jardin, où jamais il ne neige ni ne glace. Dans ce beau jardin, il y a un pommier d’orange tout blanc de fleurs, où sept cents rossignolets sauvages chantent, où sept cents rossignolets sauvages chantent nuit et jour. Sur ce pommier d’orange, il y avait neuf pommes rousses comme l’or.
L’aîné cueillit trois pommes d’orange, rousses comme l’or, les mit dans son panier, et repartit. Sur la fin de son voyage, il se reposa sous un grand arbre, près d’une claire fontaine. Au bord de la claire fontaine était assise une femme, noire comme l’âtre, et vieille comme un chemin.
— « Mon ami, que portes-tu dans ton panier ?
— Vieille, je porte trois crapauds.
— Trois crapauds, soit. »
Avant le coucher du soleil, l’aîné arrivait au château du roi.
— « Roi, voici les trois pommes d’orange. Maintenant, donnez-moi votre fille en mariage. »
Vite, le roi ouvrit le panier.
— « Insolent, ce sont trois crapauds. Bourreau, prends ce rien qui vaille, et va le pendre. »
Le bourreau obéit.
Le lendemain, le cadet dit à sa mère :
— « Mère, vous savez ce qu’a crié le tambour de ville. Donnez-moi un panier. Je pars pour le pays des pommes d’orange. À mon retour, j’épouserai la fille du roi. »
Le cadet partit. Pendant sept semaines, il marcha de l’aube à minuit. Enfin, il arriva dans le pays des pommes d’orange. Dans ce pays, il y a un beau jardin, où jamais il ne neige ni ne glace. Dans ce beau jardin il y a un pommier d’orange tout blanc de fleurs, où sept cents rossignolets chantent, où sept cents rossignolets sauvages chantent nuit et jour. Sur ce pommier d’orange, il y avait six pommes rousses comme l’or.
Le cadet cueillit trois pommes d’orange, rousses comme l’or, les mit dans son panier, et repartit. Sur la fin de son voyage, il se reposa sous un grand arbre, près d’une claire fontaine. Au bord de la claire fontaine, était assise une femme, noire comme l’âtre, et vieille comme un chemin.
— « Mon ami, que portes-tu dans ton panier ?
— Trois serpents.
— Trois serpents, soit. »
Avant le coucher du soleil, le cadet arrivait au château du roi.
— « Roi, voici les trois pommes d’orange. Maintenant, donnez-moi votre fille en mariage. »
Vite, le roi ouvrit le panier.
— « Insolent, ce sont trois serpents. Bourreau, prends ce rien qui vaille, et va le pendre. »
Le bourreau obéit.
Le lendemain, le plus jeune des trois garçons dit à sa mère :
— « Mère, vous savez ce qu’a crié le tambour de ville. Donnez-moi un panier. Je pars pour le pays des pommes d’orange. À mon retour, vous aurez un peu d’argent. »
Le plus jeune des trois garçons partit. Pendant sept semaines, il marcha de l’aube à minuit. Enfin, il arriva dans le pays des pommes d’orange. Dans ce pays, il y a un beau jardin, où jamais il ne neige ni ne glace. Dans ce beau jardin, il y a un pommier d’orange tout blanc de fleurs, où sept cents rossignolets sauvages chantent, où sept cents rossignolets sauvages chantent nuit et jour. Sur ce pommier d’orange, il y avait trois pommes rousses comme l’or.
Le garçon cueillit les trois pommes rousses comme l’or, les mit dans son panier, et repartit. Sur la fin de son voyage, il se reposa sous un grand arbre, près d’une claire fontaine. Au bord de la claire fontaine, était assise une femme, noire comme l’âtre, et vieille comme un chemin.
— « Mon ami, que portes-tu dans ton panier.
— Brave femme, je porte trois pommes d’orange.
— Trois pommes d’orange, soit. Mon ami, remplis ma cruche à la claire fontaine.
— Avec plaisir, brave femme.
— Merci, mon ami. Dis-moi. Que veux-tu faire de ces trois pommes d’orange ?
— Brave femme, je veux les porter au roi, pour guérir sa fille. Le roi l’a promise en mariage à celui qui lui ferait ce présent. Mais je suis trop pauvre pour épouser la princesse. Peut-être le roi me donnera-t-il un peu d’argent pour ma vieille mère, qui ne peut plus travailler.
— Mon ami, tu épouseras la fille du roi. Mais tu n’es pas au bout de tes épreuves. Écoute. Le roi te commandera d’abord de chasser toutes les mouches du pays. Tiens, prends ce fouet. Rien qu’à l’entendre claquer, toutes les mouches partiront à sept lieues à la ronde, pour ne revenir jamais, jamais. Ensuite, le roi te commandera de garder, toute une semaine, trois cents lièvres dans la campagne, et de les ramener chaque soir à l’étable, au coucher du soleil. Tiens, prends ce sifflet d’argent. Tu n’auras qu’à siffler. Aussitôt, les trois cents lièvres accourront de tous côtés, et te suivront comme des chiens. Alors, le roi te demandera un de ces lièvres. Donne-le lui, mais sous condition. Tiens. Voici un anneau d’or. Dis au roi : « Choisissez votre lièvre. En paiement, je demande à passer cet anneau d’or au doigt de votre fille. » Sitôt passé, l’anneau d’or fera corps avec la chair, et serrera le doigt si fort, si fort, que la fille du roi criera : « Père, je meurs, si vous ne me mariez pas au garçon qui m’a rapporté les trois pommes d’orange. »
— Brave femme, vous serez obéie. »
Le garçon salua la vieille femme, et partit.
Avant le coucher du soleil, il arrivait au château du roi.
— « Bonsoir, roi. Voici les trois pommes d’orange. »
Vite, le roi ouvrit le panier.
— « Merci, mon ami. Ce sont bien trois pommes d’orange. »
Aussitôt, sa fille mangea la première, et elle se leva de son lit. Elle mangea la seconde, et elle se leva, plus belle et mieux portante que jamais. Elle mangea la troisième, et dit :
— « Je n’aurai ni paix ni repos que je ne sois mariée au garçon qui m’a rapporté les trois pommes d’orange. »
Le roi regarda le garçon de travers.
— « Garçon, tu n’épouseras ma fille, que si tu chasses toutes les mouches du pays.
— Roi, vous serez obéi. »
Le garçon empoigna son fouet. Rien qu’à l’entendre claquer, les mouches partaient à sept lieues à la ronde, pour ne revenir jamais, jamais. Au coucher du soleil, il n’en restait pas une seule dans le pays.
— « Roi, j’ai fait ce que vous m’aviez commandé. »
Le roi regarda le garçon de travers.
— « Garçon, tu n’épouseras ma fille, que si tu gardes, toute une semaine, trois cents lièvres dans la campagne, et si tu les ramènes, chaque soir, à l’étable, au coucher du soleil.
— Roi, vous serez obéi. »
Le garçon prit son sifflet d’argent, et s’en alla garder, toute une semaine, trois cents lièvres dans la campagne. Chaque soir, au coucher du soleil, il sifflait. Aussitôt les trois cents lièvres accouraient de tous côtés, et le suivaient comme des chiens jusqu’à l’étable.
— « Roi, j’ai fait ce que vous m’aviez commandé. »
Le roi regarda le garçon de travers.
— « Garçon, donne-moi un de tes lièvres.
— Roi, choisissez votre lièvre. En paiement, je demande à passer cet anneau d’or au doigt de votre fille.
— Garçon, fais ce que tu voudras. »
Le garçon passa l’anneau d’or au doigt de la fille du roi. Sitôt passé, l’anneau d’or fit corps avec la chair, et serra le doigt si fort, si fort, que la fille du roi cria :
— « Père, je meurs, si vous ne me mariez pas au garçon qui m’a rapporté les trois pommes d’orange.
— Ma fille, tu l’épouseras demain. »
Aussitôt, l’anneau d’or ne serra plus, et la fille du roi se tint tranquille.
La noce se fit le lendemain, et les mariés vécurent longtemps heureux[1].
- ↑ Dicté par une jeune fille pourvue de l’instruction primaire, mademoiselle Marie Sant, de Sarrant (Gers), et par Pauline Lacaze, de Panassac (Gers). Toutes deux s’accordent à gratifier le garçon d’un fouet, d’un sifflet d’argent, et d’un anneau d’or. Dans le seul récit de Pauline Lacaze, le fouet sert à chasser les mouches, dont il n’est point parlé dans le récit de mademoiselle Sant. Celle-ci déclare que le fouet et le sifflet d’argent servaient exclusivement à garder et rappeler les trois cents lièvres. Au moment de la dictée, mademoiselle Sant était âgée de vingt-trois ans.