Bladé - Contes populaires de la Gascogne, t. 2, 1886.djvu/L’Homme Blanc
III
l’homme blanc
oici ce qui est arrivé à un vieux soldat qui
a perdu une jambe à la guerre, et qui s’en
va demandant son pain de porte en porte.
Ce vieux soldat suivait un jour le chemin de Nérac à Agen, avec un seul morceau de pain dans sa besace. Arrivé près du village de Moncaut, il s’assit au bord d’un fossé. Le pauvre homme commençait à manger, quand il vit venir à lui un homme vêtu de blanc de la tête aux pieds : chapeau blanc, habits blancs, souliers blancs, et un grand bâton blanc à la main droite.
— « Que fais-tu là, mon ami ?
— Vous le voyez, monsieur. Je mange un morceau de pain. Nous partagerons, si vous voulez.
— Avec plaisir, mon ami. »
L’Homme Blanc s’assit au bord du fossé, à côté du vieux soldat, qui lui donna la moitié de son morceau de pain. Quand ils eurent mangé, l’Homme Blanc se leva et dit :
— « Merci, mon ami. Tu peux suivre ton chemin. Aujourd’hui rien ne te manquera. Avant que tu rentres dans ta maisonnette, tu auras ramassé du pain pour vivre pendant un mois. »
Le vieux soldat se remit en chemin. De toutes les métairies, on l’appelait pour lui donner. Quand il rentra le soir dans sa maisonnette, il avait ramassé du pain pour vivre pendant un mois.
Ce même jour, l’Homme Blanc rencontra sur le chemin un voiturier, qui portait trois religieuses.
— « Mes sœurs, je suis las. Donnez-moi une place dans votre voiture.
— Passe ton chemin, Homme Blanc. Il n’y a pas ici de place pour toi. »
Alors, le voiturier eut pitié de l’Homme Blanc, et lui donna une place à son côté.
— « Merci, mon ami. Ta charité te sera payée. »
Ils cheminèrent ainsi jusqu’à un quart-d’heure de Nérac. Alors, l’Homme Blanc descendit, et parla ainsi au voiturier :
— « Mon ami, je t’ai dit que ta charité te serait payée. Aussi vrai que ces trois religieuses, que tu vois si pleines de vie, seront mortes avant d’arriver à Nérac, tu trouveras ta femme, qui est infirme depuis sept ans, tout-à-fait guérie, et occupée à te faire la soupe. »
Et l’Homme Blanc s’en alla.
Quand le voiturier arriva à Nérac, les trois religieuses étaient mortes. Mais sa femme était sur la porte et criait :
— « Allons, mon homme, dépêche-toi. La soupe se refroidit[1]. »
- ↑ Dicté par ma belle-mère, Madame Lacroix, née Pinèdre, de Notre-Dame-de-Bonencontre (Lot-et-Garonne).