Bladé - Contes populaires de la Gascogne, t. 2, 1886.djvu/La Messe de saint Sécaire

VII

la messe de saint sécaire



Il y a des gens qui n’osent pas attaquer hardiment leurs ennemis, et qui n’osent pas non plus les empoisonner, par crainte de la justice. Celui qui tue mérite la mort, et le bourreau lui coupe la tête.

Que font alors certains vauriens ? Ils s’en vont trouver des sorcières, pour faire donner du mal à leurs ennemis. Autrefois, les sorcières étaient brûlées vives, par ordre des juges. Maintenant, ces gueuses peuvent tout faire, sans que les gens en place s’en mêlent. Par bonheur, plus d’une de ces carognes a été mise au four, sans que la justice en ait jamais rien su, ni fait ouïr des témoins, qui se seraient mal trouvés d’avoir parlé.

Il y a aussi d’autres moyens de se garder contre cette vermine, sans qu’on soit en droit de vous châtier. Si vous savez qu’une sorcière veut vous donner du mal, surveillez-la bien. Quand elle passera près de vous, et quand elle étendra le bras, pour faire sa mauvaise œuvre, dites en vous-même :

— « Que le Diable te souffle au cul[1]. »

Aussitôt, la sorcière pâtira cent fois plus que vous n’auriez pâti, et vous n’aurez plus rien à craindre d’elle. Pareille chose arrivera, quand vous la verrez venir de loin, si vous dites, toujours en vous-même :

— « Je te doute,
Je te redoute.
Pet sans feuille,
Monte en-haut la cheminée[2]. »

Maintenant, vous êtes averti, et vous savez ce qu’il faut faire.

Il y a quelque chose de bien plus rare, mais aussi de bien pire que le mal donné par les sorcières. C’est la Messe de saint Sécaire. L’homme à l’intention de qui on la fait dire sèche peu à peu, sans qu’on sache pourquoi ni comment, et sans que les médecins y voient goutte.

Bien peu de curés savent la Messe de saint Sécaire ; et les trois quarts de ceux qui la savent ne la diront jamais, ni pour or, ni pour argent. Il n’y a que les mauvais prêtres, damnés sans rémission, qui se chargent d’un pareil travail. Ces prêtres ne demeurent jamais deux jours de suite dans le même endroit. Ils marchent, toujours la nuit, pour s’en aller, aujourd’hui dans la Montagne[3], demain dans les Grandes-Landes de Bordeaux ou de Bayonne.

La Messe de saint Sécaire ne peut être dite que dans une église où il est défendu de s’assembler, parce qu’elle est à moitié démolie, ou parce qu’il s’y est passé des choses que les chrétiens ne doivent pas faire. De ces églises, les hiboux, les chouettes et les chauves-souris font leur paradis, et les Bohèmes y viennent loger. Sous l’autel, il y a tout plein de crapauds qui chantent.

Le mauvais prêtre amène avec lui sa maîtresse, pour lui servir de clerc. Il doit être seul dans l’église, avec cette truie, et avoir fait un bon souper. Sur le premier coup de onze heures, la messe commence par la fin, et continue tout à rebours, pour finir juste à minuit. L’hostie est noire, et à trois pointes. Le mauvais prêtre ne consacre pas de vin. Il boit l’eau d’une fontaine, où on a jeté un enfant mort sans baptême. Le signe de la croix se fait toujours par terre, et avec le pied gauche.

Il se passe encore, à la Messe de saint Sécaire, beaucoup d’autres choses que nul ne sait, et qu’un bon chrétien ne pourrait voir, sans devenir aussitôt aveugle pour toujours.

Voilà comment certaines gens s’y prennent, pour faire sécher peu à peu leurs ennemis, pour les faire mourir, sans qu’on sache pourquoi ni comment, et sans que les médecins y voient goutte.

Vous comprenez de reste que les mauvais prêtres, et les gens qui les paient pour ce travail, auront un grand compte à rendre, le jour du dernier jugement. Aucun curé, ni évêque, pas même l’archevêque d’Auch, n’a le droit de leur pardonner. Ce pouvoir n’appartient qu’au pape de Rome, qui ordonne alors, pour toute la vie, des pénitences plus terribles que le plus profond des enfers. Mais bien peu de ces misérables veulent s’y soumettre, et la plupart meurent damnés sans rémission.

Il y a pourtant un moyen de se garder contre la Messe de saint Sécaire ; mais je ne sais pas la contre-messe qu’il faut dire. Vous pouvez croire. Monsieur Bladé, que si on me l’avait apprise, je vous l’enseignerais de bon cœur. Votre pauvre père (Dieu lui pardonne !) était un brave homme, qui m’a fait service plus d’une fois. Tâchez de le valoir. J’ai ouï dire que vous parliez le français aussi bien que les avocats d’Auch, et même d’Agen. Pourtant, vous n’êtes pas un francimant[4], et il n’y a pas de métayer qui sache le patois mieux que vous. Aujourd’hui, force bourgeois de Lectoure, qui ont vingt-quatre heures de loisir par jour, en passent plus de la moitié à lire les nouvelles, et à se disputer, pour savoir qui on nommera aux élections. Ils font semblant de ne pas croire aux sorciers et aux loups-garous. Mais j’en connais qui, la nuit, tremblent de peur dans leur lit, quand ils ont soufflé leur chandelle.

Tout cela, Monsieur Bladé, est pour vous dire que si je savais la contre-messe de saint Sécaire, je vous la réciterais de bon cœur, pour la mettre par écrit, parce que je vous crois incapable d’en faire un mauvais usage. Marquez pourtant que cette contre-messe a le pouvoir de faire sécher peu à peu le mauvais prêtre, et les gens qui l’ont payé. Ils meurent, sans qu’on sache pourquoi ni comment, et sans que les médecins y voient goutte[5].

  1. En gascon : Que lou Diable te bouhe au cu.
  2. En gascon :

    Te douti,
    Te redouti.
    Pet sense hoèillo,
    Mounto cap-sus la chaminèio.

  3. Les Pyrénées.
  4. Se dit d’un homme qui affecte la langage et les manières des Français du Nord.
  5. Dicté par feu Cazaux, de Lectoure. La croyance à la Messe de saint Sécaire est encore fort répandue en Gascogne. Cazaux seul m’a parlé de la contre-messe.