Bladé - Contes populaires de la Gascogne, t. 2, 1886.djvu/Le Basilic

VI

le basilic



Il y a une bête sauvage, cent fois plus terrible que les lions et les ours. C’est le Basilic. Par bonheur, il est seul de son espèce.

Le Basilic a le corps d’une loutre, avec une tête d’homme couronnée d’or, comme les empereurs et les rois. Contre lui, le fer, le plomb, le poison, ne peuvent rien. D’un seul regard, il fait tomber raides morts les hommes et les bêtes. Aussitôt qu’on lui montre son visage dans un miroir, il crève. Mais un autre Basilic naît sept ans après.

Nuit et jour, le Basilic voyage sous terre, cherchant le fond des citernes et des puits. Malheur aux hommes, malheur aux femmes, malheur surtout aux enfants qui se penchent sur les margelles, pour cracher, ou jeter des pierres dans l’eau. D’en-bas, le Basilic les appelle, et on n’en entend plus parler. Pourtant, vous allez voir que la male bête a parfois un mauvais quart d’heure à passer.

Il y avait autrefois, dans un jardin de Mauvezin[1], un puits qui donnait une eau si saine, si bonne, si légère, que tous les voisins allaient en tirer, avec la permission du maître.

Un jour, cette eau devint tout à coup trouble et puante, au point que le quartier en fut empesté.

— « Mie, dit le maître à sa servante, un mauvais sujet a certainement jeté quelque charogne dans mon puits. Va me quérir trois Espagnols[2] pour l’en retirer.

— Maître, ne vous pressez pas. Avant d’aller quérir les trois Espagnols, il faut regarder tout en-bas du puits.

— Mie, le puits est trop profond et trop noir pour pouvoir regarder tout en-bas.

— Patience, maître. Attendez-moi là. Rien que le temps de monter dans ma chambre, et d’en revenir au galop. »

Pendant que le maître attendait, le Basilic, voyageant sous terre, s’arrêtait au fond du puits. Presque en même temps, la servante arrivait avec un petit miroir.

— « Venez au puits, maître ! Venez au puits. »

Le Basilic écoutait d’en-bas, et pensait :

— « Voici des gens qui n’ont pas longtemps à vivre.

— Venez au puits, maître ! Venez au puits !

— Mie, qu’entends-tu faire avec ce petit miroir ?

— Regardez, maître. Regardez. »

La servante tourna son petit miroir vers le soleil, dont la lumière rayonna jusqu’au fond du puits[3].

Le Basilic écoutait d’en-bas, et pensait :

— « Voici des gens qui n’ont pas longtemps à vivre. »

Alors il leva la tête. Mais le petit miroir lui montra son image, et la male bête creva tout aussitôt.

— « Regardez, maître. Il y a deux charognes au fond du puits. Vous aviez raison. Je vais quérir trois Espagnols. »

Ce qui fut dit fut fait. Un Espagnol s’attacha la corde du puits autour des reins, et se fit descendre en bas par ses deux camarades, aidés du maître et de la servante. Un moment après, il remontait, portant un gros chien pourri. Cette charogne enterrée, l’Espagnol redescendit, et remonta avec le corps du Basilic. La male bête avait le corps pareil à celui d’une loutre, avec une tête d’homme couronnée d’or, comme les empereurs et les rois.

Les trois Espagnols payés et partis, le maître arracha la couronne d’or, et dit à la servante :

— « Prends ceci, mie. Tu l’as certes bien gagnée. Et maintenant, enterrons le Basilic. »

Voilà comment la male bête mourut, à Mauvezin, par le petit miroir d’une servante, qui vendit fort cher la couronne d’or à un bijoutier de Toulouse, et trouva ainsi un bon mari. Pour sept ans, la terre se trouva débarrassée du Basilic. Mais alors, il en naquit un autre. Pourtant, je n’ai jamais ouï dire qu’il ait reparu à Mauvezin[4].

  1. Chef-lieu de canton du département du Gers, jadis capitale de la vicomté de Fezensaguet.
  2. Les Espagnols venus de l’Aragon, et surtout de la Catalogne, sont si nombreux en Gascogne, que dans certaines villes, ils forment de véritables colonies. On les emploie volontiers aux travaux bas et répugnants.
  3. J’ai vu souvent projeter ainsi les rayons du soleil au fond des puits, pour voir ce qui flotte sur l’eau.
  4. Dicté par feu Madame Bache, de Mauvezin (Gers). La croyance au Basilic est encore fort répandue en Gascogne.