Bladé - Contes populaires de la Gascogne, t. 2, 1886.djvu/Le Char du Roi David

VIII

le char du roi david



La nuit, quand il fait beau temps, vous voyez, du côté de la bise[1], sept grandes étoiles et une petite, assemblées en forme de char[2]. C’est le Char du roi David, qui commandait, il y a bien longtemps, dans le pays où devait naître le Bon Dieu. Le roi David était un homme juste comme l’or, terrible comme l’orage. Voilà pourquoi le Bon Dieu le prit au ciel, quand il fut mort, et plaça son char où vous le voyez.

Pourtant, j’ai souvent entendu conter la chose autrement.

Il y avait, une fois, un bouvier fort et adroit comme on n’en voit pas. Du matin au soir, il labourait avec des bœufs plus grands que des maisons. Jamais on n’avait vu, jamais on ne verra des récoltes comme les siennes. Aussi le bouvier était-il riche autant que la mer. Ses voisins auraient tout donné pour avoir du bétail tel que le sien ; mais il en gardait l’espèce pour lui seul, et saignait tous les veaux qu’il avait de trop.

Un soir, deux voleurs se cachèrent dans son étable. Sur le coup de minuit, ils détachèrent doucement, bien doucement, une vache et un taureau, et partirent vite, vite, du côté de la Montagne[3].

Avant la pointe de l’aube, le bouvier entra dans l’étable avec son valet.

— « Milliard de Dieux ! Les voleurs m’ont dérobé une vache et un taureau. Allons, valet. Prends ton aiguillon ferré. Suis ces canailles à la trace, et fais-leur passer le goût du pain. Il faut que demain ma vache et mon taureau soient à l’étable.

— Maître, vous serez obéi. »

Le valet prit son aiguillon ferré et partit. Le lendemain, il n’était pas encore revenu.

Alors, le bouvier se mit à jurer comme un païen.

— « Milliard de Dieux ! Mon valet n’est pas encore revenu. Peut-être les voleurs l’ont-ils tué. Allons, servante. Emmène le chien pour te défendre, et va chercher des nouvelles de ma vache, de mon taureau et de mon valet. Il faut que demain mes bêtes soient à l’étable, et vous deux à la maison.

— Maître, vous serez obéi. »

La servante emmena le chien pour la défendre, et partit. Le lendemain, elle n’était pas encore revenue.

Alors, le bouvier se mit à jurer comme un païen.

— « Milliard de Dieux ! Le valet, et la servante et le chien ne reviennent pas. Mille milliards de Dieux ! Je ne reverrai plus ma vache ni mon taureau ni mon chien. »

Mal faire ne peut durer. Le Bon Dieu se mit en colère contre ces gens et ces bêtes.

— « Vache, dit-il, va-t-en prisonnière dans la première étoile du char. Taureau, va-t-en dans la seconde, et vous, voleurs, dans les deux autres. Toi, valet, je t’enferme dans l’étoile qui vient après. Servante, entre dans celle qui est seule. Tout près, il y en a une petite. C’est pour le chien. Et toi, bouvier, je te condamne à vivre dans celle qui vient la dernière. Ainsi vous roulerez toujours, toujours dans le ciel, jusqu’au jour du jugement[4]. »

  1. Le nord.
  2. La Grande-Ourse.
  3. Les Pyrénées.
  4. Dicté par Pauline Lacaze, de Panassac (Gers). J’ai aussi entendu un récit à peu près pareil dans la bouche de deux vieillards, morts aujourd’hui, Cazaux, de Lectoure, et Jacques Bonnet, métayer à Lacassagne, dans la même commune. Ces deux derniers présentaient cette pièce comme un conte, et non comme une superstition.