Bladé - Contes populaires de la Gascogne, t. 2, 1886.djvu/Les Treize Mouches
III
les treize mouches
l y avait, autrefois, au Mounet-du-Hour[1], un tisserand fainéant comme
un chien. Jamais on n’entendait le bruit
de son métier. Pourtant, le tisserand n’avait pas
son pareil, pour tisser et pour remettre, au jour marqué,
autant de belle et fine toile que ses pratiques
lui en avaient commandé.
Jamais il ne bêchait son jardin. Jamais il ne labourait son champ. Jamais il ne travaillait sa vigne. Pourtant, il y récoltait, chaque année, treize fois plus que ses voisins.
La femme du tisserand ne pouvait s’imaginer comment cela pouvait se faire. Jour et nuit, elle questionnait, elle guettait son mari. Mais au bout de sept ans de mariage, elle n’en savait pas plus que le premier jour.
Un matin de la Saint-Martin[2], le tisserand dit en se levant
— « Femme, j’ai besoin d’aller à la foire de Lectoure. Tu garderas la maison, jusqu’à ce que je sois revenu.
— Mon homme, sois tranquille. La maison sera bien gardée. »
Le tisserand partit. Sa femme le suivait doucement, doucement, en se cachant derrière les arbres et les haies. Arrivé au milieu d’un petit bois, son mari tira quelque chose de sa poche, le cacha au pied d’un genévrier, et repartit. Cinq minutes après la femme avait trouvé la chose cachée. C’était une noix, grosse comme un œuf de dinde, d’où l’on entendait crier :
— « Brrr. Ouvre la noix. Brrr. Où est l’ouvrage ? Brrr. Ouvre la noix. »
La femme rentra vite chez elle, avec sa trouvaille. Toujours elle entendait crier :
—. « Brrr. Ouvre la noix. Brrr. Où est l’ouvrage ? Brrr. Ouvre la noix. »
Enfin, la femme ouvrit la noix. Aussitôt, treize mouches se mirent à voler par la chambre.
— « Brrr. Où est l’ouvrage ? Brrr. Où est l’ouvrage ? Brrr. Où est l’ouvrage ? »
Alors la femme épouvantée, commanda :
— « Mouches, rentrez toutes dans la noix. »
Les Treize Mouches rentrèrent aussitôt dans la noix. Mais toujours elles criaient :
— « Brrr, Ouvre la noix. Brrr. Où est l’ouvrage ? Brrr. Ouvre la noix. »
La femme impatientée, alla remettre la noix au pied du genévrier où le tisserand l’avait cachée. Le soir, quand il fut de retour, elle lui dit, en mangeant la soupe :
— « Mon homme, je connais maintenant les ouvrières qui travaillent à ta place. Ce sont Treize Mouches, que tu tiens prisonnières, dans une noix grosse comme un œuf de dinde.
— Femme, tu as dit la vérité. Puisque tu connais mes ouvrières, commande leur tout ce que tu voudras. Elles t’obéiront comme à moi-même. »
À partir de ce jour, la femme du tisserand n’eut plus qu’à se croiser les bras, à ouvrir la noix, et à commander. Quel que fut le travail, les Treize Mouches l’avaient fait en un moment.
Aussitôt, elles rentraient dans la noix, que la femme tenait cachée sous son coussin. Mais alors, elles criaient :
— « Brrr. Ouvre la noix. Brrr. Où est l’ouvrage ? Brrr. Ouvre la noix. »
À ce bruit, la femme perdait souvent patience. Dans sa colère, elle commandait aux Treize Mouches les choses les plus difficiles. Mais, quel que fut le travail, elles l’avaient fait en un moment.
Aussitôt, elles rentraient dans la noix que la femme tenait cachée sous son coussin. Mais alors, elles criaient :
— « Brrr. Ouvre la noix. Brrr. Où est l’ouvrage ? Brrr. Ouvre la noix. »
Un jour, la femme ne put plus y tenir. Elle ouvrit la noix, en criant :
— « Mouches, voici six cribles, six tamis, et une barrique défoncée de chaque bout. Volez jusqu’au Gers, et rapportez ici toute l’eau de la rivière. »
En un moment, le Gers était à sec, et tout le pays du Mounet-du-Hour dans l’eau. Aussitôt, les Treize Mouches rentrèrent dans la noix que la femme tenait cachée sous son coussin, et toujours elles criaient :
— « Brrr. Ouvre la noix. Brrr. Où est l’ouvrage ? Brrr. Ouvre la noix. »
— Mon homme, cria la femme bleue de colère, ces mouches-là me feraient perdre la tête. Renvoyons-les.
— Femme, tu vas avoir contentement. Mouches, partez.
— Brrr. Compte-nous nos gages. Brrr. Nous partirons. Brrr. Compte-nous nos gages. Brrr. Nous partirons.
— Mouches voici treize corbeaux, treize corbeaux qui volent là-bas, là-bas, vers la forêt du Ramier[3]. Prenez-les en paiement de vos peines. Les Treize Mouches s’envolèrent, emportant les treize corbeaux. Depuis lors, l’homme et sa femme ne les revirent jamais, jamais[4].