Bladé - Contes populaires de la Gascogne, t. 2, 1886.djvu/Le Contrat perdu
III
le contrat perdu
l y avait, une fois, un homme à qui son
frère disputait un champ en justice. Pour
gagner son procès, l’homme avait besoin
d’un contrat qui appartenait à son oncle. Mais
l’oncle était mort, sans dire où se trouvait ce papier.
Alors, l’homme appela le Diable à son aide.
— « Diable, j’ai besoin de parler à mon oncle. Sais-tu s’il est au ciel, au purgatoire, ou en enfer ?
— Homme, ton oncle est en enfer.
— Diable, porte-moi donc en enfer.
— Homme, je t’y porterai. Mais j’entends être bien payé.
— Diable, je te paierai bien. Veux-tu mon cheval ?
— Homme, je n’ai pas besoin de ton cheval.
— Diable, veux-tu ma femme ?
— Homme, si ta femme doit être à moi, il faut qu’elle se donne elle-même. Dis : « Diable, je suis à toi. » Aussitôt, je te porte en enfer, et tu parleras à ton oncle.
— Diable, je ne ferai pas cela. Si je me donne à toi, l’enfer m’attend quand je serai mort.
— Homme, l’enfer n’est pas un mauvais pays.
— Diable, prouve-moi que tu dis vrai. Si tu n’as pas menti, je sais ce que je dois faire. »
Alors, le Diable mena l’homme dans un grand château, où il trouva son oncle attablé, en compagnie de force gens.
— « Bonjour, mon oncle.
— Bonjour, mon neveu. »
L’homme s’approcha de son oncle, pour lui toucher la main. Il se sentit brûler, comme par une barre de fer rouge.
— « Souffrez-vous, mon oncle ? Pourtant, vous avez l’air de mener ici bonne vie.
— Mon neveu, je souffre mort et passion.
— Eh bien, mon oncle, puisque rien ne peut vous tirer d’enfer, dites-moi vite où est le contrat qui me fait maître du champ que mon frère me dispute en justice.
— Mon neveu, il est caché dans un trou de mur, derrière la grande armoire de la chambre où je suis mort.
— Merci, mon oncle. »
Alors, le Diable s’approcha.
— « Eh bien, homme, tu vois que l’enfer n’est pas un mauvais pays.
— Diable, c’est égal. J’aime autant retourner chez moi. »
L’homme sortit de l’enfer, et s’en alla dans la maison de son oncle. Le contrat qui le faisait maître du champ était à l’endroit marqué[1].
- ↑ Dicté par Pauline Lacaze, de Panassac (Gers). Pareil récit me fut fait auparavant, par deux servantes de ma famille, Marie, de Montréjeau (Haute-Garonne), et Bernarde Dubarry, de Bajonnette (Gers).