Bladé - Contes populaires de la Gascogne, t. 2, 1886.djvu/Les Fils du Charbonnier

IV

les fils du charbonnier



Il y avait, une fois, un pauvre charbonnier, qui demeurait dans le bois du Ramier[1], proche du Rieutort[2]. Ce charbonnier vint à mourir, et ses enfants le firent enterrer à côté de sa femme, dans le cimetière de Pauillac[3]. Après l’enterrement, ils s’en retournèrent dans leur cabane. Il faisait froid, la nuit était noire, et les loups hurlaient dans le bois.

— « Frères, dit l’aîné, nous allons mourir ici de froid et de faim. Nous n’avons pas un morceau de pain sur la planche. Hier, le médecin s’est payé avec notre dernière couverture. Le couvent de Bouillas[4] n’est qu’à une demi-lieue. Les Moines Blancs ne refuseront pas l’aumône à Jean. Pierre, qui est le plus petit, demeurera ici ; et je m’en irai demander la charité, au château de Lamothe-Goas[5].

Les deux frères partirent, chacun de son côté, et le petit Pierre demeura seul dans la cabane. Il grelottait de peur et de froid. Mais à la fin, le froid fut plus fort que la peur, et l’enfant sortit pour voir si personne ne revenait.

Personne ne revenait. Mais, à cent pas de la cabane, il aperçut une troupe d’hommes, vêtus en seigneurs, qui se chauffaient près d’un grand feu, sans rien dire. Pierre s’approcha de l’homme qui semblait être le maître des autres, et lui demanda, par pitié, quelques charbons pour allumer son feu. L’homme baissa la tête, comme pour dire oui, et Pierre s’en alla avec ses charbons. Mais il ne fut pas rentré dans la cabane, que les charbons s’amortirent. Il revint en chercher d’autres, qui s’amortirent comme les premiers. Quand il se présenta pour la troisième fois, le maître de la troupe le regarda de travers, et lui donna lui-même un gros tison, en lui faisant signe qu’il ne se hasardât pas à revenir. Ce tison s’amortit aussi. Aussitôt, s’évanouirent le grand feu, et les hommes qui se chauffaient.

Le petit Pierre rentra dans la cabane, à moitié mort de peur. Une heure après, Jean revint du couvent de Bouillas, avec du pain pour plus d’une semaine ; et l’aîné rentra du château de Lamothe-Goas chargé de trois couvertures de laine. Mais, quand le jour fut venu, et quand le petit Pierre voulut regarder, au foyer, les charbons de la veille, il se trouva que ces charbons étaient de l’or[6].

  1. Forêt entre Lectoure et Fleurance. Elle est aujourd’hui défrichée dans sa majeure partie.
  2. Ruisseau du Ramier qui se jette dans le Gers.
  3. Village du canton de Fleurance (Gers).
  4. Abbaye de Bernardins.
  5. Château qui a donné son nom à une commune du canton de Fleurance (Gers). Lamothe-Goas était autrefois le siège d’un comté.
  6. Dicté par Jacques Bonnet, de Lacassagne, commune de Lectoure (Gers), vieillard illettré, mort depuis longtemps. Bonnet croyait à la réalité de ce récit, plus généralement accepté par d’autres comme un simple conte.