Bladé - Contes populaires de la Gascogne, t. 3, 1886 Étienne l’habile

IV

étienne l’habile



Il y avait, une fois, un roi qui avait une fille belle comme le jour. Un dimanche, en allant à l’église, elle trouva une punaise sur son cou. Elle la prit, et l’enferma dans un coffre. Matin et soir, elle la nourrissait de son sang. Aussi la punaise grossit, grossit, et devint aussi forte qu’un petit chien. Mais elle finit par mourir. Que fit alors la princesse ? Elle écorcha la bête, et donna la peau à un tanneur, afin qu’il la préparât, pour en recouvrir le coffre. Cela fait, le roi fit trompeter partout qu’il donnerait sa fille en mariage au garçon qui connaîtrait de quelle bête était la peau qui recouvrait le coffre.

Trois ans se passèrent à attendre. Force gens se présentèrent, et s’en revinrent sans pouvoir deviner. On parlait de cela dans tout le pays, si bien qu’un jour, un garçon, nommé Étienne l’Habile, dit à ses voisins assemblés :

— « Écoutez. Je vais partir pour le château du roi, et je me charge de deviner de quelle peau est recouvert le coffre de la princesse. »

Étienne l’Habile partit seul, avec cinq chevaux sellés et bridés. Au bout de sept lieues, il trouva un homme qui écoutait, l’oreille posée contre terre.

— « Que fais-tu là, mon ami ?

— Monsieur, je suis Jean Fine-Oreille. J’écoute ce que disent les gens de l’autre monde.

— Jean Fine-Oreille, viens avec moi. Bientôt, j’aurai besoin de toi, et tu seras bien récompensé. »

Jean Fine-Oreille monta donc à cheval, et ils repartirent. Au bout de sept lieues, ils trouvèrent, derrière une haie, un homme qui tirait des coups de fusil.

— « Que fais-tu là, mon ami ?

— Monsieur, je suis Pierre le Bon-Viseur. Je tire aux roitelets, qui sont là-bas, là-bas, sur la montagne.

— Pierre le Bon-Viseur, viens avec moi. Bientôt, j’aurai besoin de toi, et tu seras bien récompensé. »

Pierre le Bon-Viseur monta donc à cheval, et ils repartirent. Au bout de sept lieues, ils trouvèrent un homme qui s’entravait avec des cordes.

— Que fais-tu là, mon ami ?

— Monsieur, je suis le Chien-Lévrier. Je m’entrave avec des cordes, pour chasser les lièvres. Si je ne m’entravais pas, je courrais trop vite, et je leur passerais devant.

— Chien-Lévrier, viens avec moi. Bientôt, j’aurai besoin de toi, et tu seras bien récompensé. »

Le Chien-Lévrier monta donc à cheval, et ils repartirent. Au bout de sept lieues, ils trouvèrent un homme qui tordait un chêne de cent ans.

— « Que fais-tu là, mon ami ?

— Monsieur, je suis Samson le Fort. Je tords ce chêne de cent ans, pour en faire un lien, afin de lier un fagot.

— Samson le Fort, viens avec moi. Bientôt, j’aurai besoin de toi, et tu seras bien récompensé. »

Samson le Fort monta donc à cheval, et ils repartirent. Au bout de sept lieues, ils arrivèrent au château du roi. Mais Étienne l’Habile ne put deviner de quelle peau était recouvert le coffre de la princesse.

Il leur fallut s’en revenir comme ils étaient venus. Au bout de sept lieues, Jean Fine-Oreille dit à Étienne l’Habile :

— « Monsieur, j’entends le roi deviser avec la princesse. Ils disent : « Celui-ci non plus, n’a pu deviner que le coffre est recouvert d’une peau de punaise engraissée. »

Aussitôt, ils repartirent tous cinq, et arrivèrent au château du roi.

— « Roi, dit Étienne l’Habile, le coffre de votre fille est recouvert d’une peau de punaise engraissée. Maintenant, il faut me donner la princesse en mariage.

— Étienne l’Habile, répondit le roi, moi et toi nous sommes parents. Tu ne te marieras pas avec ma fille, que tu ne sois allé à Rome, chercher des dispenses du pape. »

Aussitôt, tous cinq partirent pour Rome. Mais le roi manda en secret un messager, avec une lettre, pour prier le pape de ne pas donner les dispenses. Au bout de sept lieues, Jean Fine-Oreille dit à Étienne-l’Habile :

— « Monsieur, j’entends le roi dire : « Étienne l’Habile n’aura pas ma fille en mariage. J’ai mandé un messager à Rome avec une lettre, pour prier le pape de ne pas donner les dispenses. Dès qu’il aura la réponse, il l’attachera au cou d’un pigeon, pour qu’elle m’arrive plus vite. »

Étienne l’Habile fit vite, vite une lettre au pape. Aussitôt le Chien-Lévrier partit pour Rome. Quand le messager du roi arriva, les dispenses étaient données. Que fit alors le pape ? Il écrivit au roi une lettre, pour retirer les dispenses. Cette lettre partit, attachée au cou d’un pigeon. Mais Pierre le Bon-Viseur tua le pigeon à la volée, d’un coup de fusil, et le Chien-Lévrier arriva avec les dispenses.

Tous cinq revinrent au château du roi.

— « Roi, dit Étienne l’Habile, voici les dispenses du pape. Maintenant, il faut me donner la princesse en mariage.

— Étienne l’Habile, tu ne l’auras pas. Mais je te donne autant d’or qu’un homme en pourra porter. »

Étienne l’Habile appela Samson le Fort, et le chargea de cent quintaux d’or, qui ne lui pesaient pas plus qu’un coussin de plume. Alors le roi dit :

— « Étienne l’Habile, rends-moi mon or. Je te donne ma fille en mariage. »

Étienne l’Habile et la princesse se marièrent ensemble. Jean Fine-Oreille, Pierre le Bon-Viseur, le Chien-Lévrier et Samson le Fort furent invités à la noce. Ils s’en revinrent le lendemain, chacun avec son cheval chargé d’écus[1].

  1. Dicté par Françoise Lalanne, de Lectoure (Gers).