Bladé - Contes populaires de la Gascogne, t. 3, 1886 Les Deux Filles

V

les deux filles



Il y avait, une fois, un homme et une femme qui avaient une fille jolie, jolie comme le jour. La femme mourut, et l’homme se remaria avec une femme qui accoucha d’une fille laide, laide comme le péché.

Quand les deux filles furent grandelettes, la marâtre, qui ne pouvait pas sentir la jolie fille, et qui la rossait vingt fois par jour, dit à son homme :

— « Prends ta fille, et va la faire perdre. »

L’homme avait pitié de la jolie fille. Mais il avait peur de sa femme, et il répondit :

— « Femme, je ferai ce que tu veux. »

Mais la jolie fille, qui était cachée derrière la porte, avait tout entendu. Aussitôt, elle courut le conter à sa marraine.

— « Filleule, dit la marraine, remplis tes poches de cendres, que tu sèmeras sur ton chemin. Par ce moyen, tu rentreras à la maison. »

La jolie fille revint au galop chez son père, et remplit ses poches de cendres. À peine avait-elle fini, que son père lui dit :

— « Pauvrette, allons chercher des champignons dans le bois.»

Tous deux partirent donc pour le bois. Mais le père n’avait pas le cœur à chercher des champignons. Tout en marchant, la jolie fille semait sur son chemin les cendres qu’elle avait dans ses poches, comme sa marraine le lui avait dit. Enfin, le père se jeta dans un fourré, sans être vu, laissa la jolie fille seulette, et revint dans sa maison à l’entrée de la nuit.

— « Eh bien, mon homme, as-tu fait perdre ta fille ?

— C’est fait.

— Eh bien, mon homme, pour ta peine, tu vas manger avec nous une assiettée de bouillie de maïs[1]. »

Tout en mangeant la bouillie, l’homme pensait à la jolie fille, qu’il avait abandonnée toute seulette dans le bois, et disait :

— « Ah ! si la pauvrette était ici, elle mangerait aussi sa portion de bouillie.

— Je suis ici, père, » répondit la jolie fille, qui avait retrouvé son chemin au moyen des cendres, et qui écoutait derrière la porte.

Le père fut bien content de voir la jolie fille revenue, et mangeant sa portion de bouillie de bon appétit. Mais quand elle fut allée se coucher avec sa sœur, la marâtre dit à son mari :

— « Tu es une bête. Tu n’as pas conduit ta fille assez loin. Ramène-la demain dans le bois, et tâche qu’elle ne revienne plus. »

L’homme avait pitié de la jolie fille. Mais il avait peur de sa femme, et il répondit :

— « Femme, je ferai ce que tu veux. »

Mais la jolie fille, qui s’était levée de son lit, et qui écoutait, cachée derrière la porte, avait tout entendu. Aussitôt, elle courut le conter à sa marraine.

— « Filleule, dit la marraine, remplis tes poches de graines de lin que tu sèmeras sur ton chemin. Par ce moyen, tu rentreras à la maison. »

La jolie fille revint au galop chez son père, remplit ses poches de graines de lin, et se remit au lit.

Le lendemain matin, son père entra dans la chambre et dit :

— « Pauvrette, allons chercher des champignons dans le bois. »

Tous deux partirent donc pour le bols. Mais le père n’avait pas le cœur à chercher des champignons. Tout en marchant, la jolie fille semait les graines de lin qu’elle avait dans ses poches, comme sa marraine le lui avait dit. Enfin, le père se jeta dans un fourré, sans être vu, laissa la jolie fille seulette, et revint dans sa maison à l’entrée de la nuit.

— « Eh bien, mon homme, as-tu fait perdre ta fille ?

— C’est fait.

— Eh bien, mon homme, pour ta peine, tu vas manger avec nous une assiettée de bouillie de maïs. »

Tout en mangeant la bouillie, l’homme pensait à la jolie fille, qu’il avait abandonnée toute seulette dans le bois, et disait :

— « Ah ! si la pauvrette était ici, elle mangerait aussi sa portion de bouillie.

— Je suis ici, père, répondit la jolie fille, qui avait retrouvé son chemin au moyen des graines de lin, et qui écoutait à la porte. »

Le père fut bien content de voir la jolie fille revenue, et mangeant sa portion de bouillie de bon appétit. Mais quand elle fut allée se coucher avec sa sœur, la marâtre lui dit :

— « Tu es une bête. Tu n’as pas conduit ta fille encore assez loin. Ramène-la demain dans le bois, et tâche qu’elle ne revienne pas. »

L’homme avait pitié de la jolie fille. Mais il avait peur de sa femme, et il répondit :

— « Femme, je ferai ce que tu veux. »

Mais la jolie fille, qui s’était levée de son lit, et qui écoutait cachée derrière la porte, avait tout entendu. Aussitôt, elle courut le conter à sa marraine.

— « Filleule, dit la marraine, remplis tes poches de grains de mil, que tu sèmeras sur ton chemin. Par ce moyen, tu rentreras à la maison. »

La jolie fille revint au galop chez son père, remplit ses poches de graines de mil, et se remit au lit.

Le lendemain matin, son père entra dans la chambre et dit :

— « Pauvrette, allons chercher des champignons dans le bois. »

Tous deux partirent donc pour le bois. Mais le père n’avait pas le cœur à chercher des champignons. Tout en marchant, la jolie fille semait les grains de mil qu’elle avait dans ses poches, comme sa marraine le lui avait dit. Enfin, le père se jeta dans un fourré, sans être vu, laissa la jolie fille seulette, et revint dans sa maison à l’entrée de la nuit.

Mais quand la jolie fille voulut retrouver son chemin, au moyen des grains de mil, il se trouva qu’ils avaient été mangés par les pies.

La pauvrette marcha, longtemps, longtemps, longtemps à travers le bois, jusqu’à un château grand comme la ville d’Agen.

— « Pan ! pan !

— Qui frappe ?

— C’est une pauvre fille, qui a perdu son chemin, et qui demande à souper et à loger. »

La dame du château envoya la jolie fille souper à la cuisine, avec les valets et les servantes, et commanda qu’on lui donnât un bon lit. Le lendemain matin, elle la fit venir dans sa chambre, et ouvrit la porte d’un cabinet qui était tout plein de robes.

— « Jolie fille, quitte tes hardes, et choisis les habits que tu voudras. »

La jolie fille choisit la robe la plus laide. Alors, la dame du château la força de prendre la plus belle, et de la mettre sur-le-champ. Ensuite, elle ouvrit un grand coffre, plein de pièces d’or, d’argent et de cuivre, plein de bijouterie de toute espèce.

— « Jolie fille, prends dans ce coffre tout ce que tu voudras. »

La jolie fille ne prit que deux liards, et une bague de cuivre. Alors, la dame du château la chargea de quadruples, de bagues, de chaînes, de pendeloques d’or, et la mena à l’écurie.

— « Jolie fille, prends la bête que tu voudras, avec la bride et la selle. »

Mais la jolie fille ne prit qu’un âne, un licou de corde, et une mauvaise couverture. Alors, la dame du château la força de prendre le plus beau cheval, la plus belle bride, et la plus belle selle.

— « Et maintenant, lui dit-elle, monte à cheval, et reviens dans ton pays. Ne te retourne pas du côté du château, que tu ne sois là-bas, là-bas, en-haut de cette côte. Alors, lève la tête, et attends. »

La jolie fille remercia bien la dame du château, monta à cheval, et partit pour son pays, sans jamais se retourner. Quand elle fut en-haut de la côte, elle leva la tête et attendit. Alors, trois étoiles descendirent du ciel. Deux se posèrent sur sa tête, et une sur son menton.

Comme elle se remettait en route, un jeune homme s’en revenait de la chasse, monté sur son grand cheval, avec neuf chiens lévriers à sa suite : trois noirs comme des charbons, trois rouges comme le feu, trois blancs comme la plus fine toile. Quand il vit une si belle cavalière, il mit son chapeau à la main.

— « Demoiselle, je suis le fils du roi d’Angleterre. J’ai roulé le monde pendant sept ans, et je n’ai trouvé jamais aucun homme aussi fort, aussi hardi que moi. Si vous le voulez, je serai votre compagnon, pour vous défendre contre les méchantes gens.

— Merci, fils du roi d’Angleterre. Je saurai bien retrouver seulette le chemin de mon pays. Mais je n’ose pas retourner à la maison, par crainte de ma marâtre, qui ne peut pas me voir, à cause de sa fille laide, laide comme le péché. Par trois fois, elle a forcé mon père d’aller me perdre dans un bois. »

Alors, le fils du roi d’Angleterre entra dans une colère terrible. Il tira son épée, et siffla ses chiens lévriers.

— « Demoiselle, montrez-moi le chemin de votre maison. Je veux aller faire manger par ma meute votre père, votre marâtre, et votre sœur.

— Fils du roi d’Angleterre, votre meute est à votre commandement. Mais vous ne ferez pas cela. S’il plaît à Dieu, il ne sera pas dit que mon père, ma marâtre, et ma sœur, auront souffert le moindre mal à cause de moi. »

Mais le fils du roi d’Angleterre ne voulait rien entendre, et criait comme un aigle :

— « Eh bien, je dirai à mon juge rouge : « Juge-les à mort. » Je le paie. Il faut qu’il gagne son argent.

— Fils du roi d’Angleterre, votre juge rouge est à votre commandement. Mais vous ne ferez pas cela. S’il plaît à Dieu, il ne sera pas dit que mon père, ma marâtre et ma sœur, auront souffert le moindre mal à cause de moi.

— Eh bien, si vous voulez que je leur pardonne, il faut que vous soyez ma femme.

— Fils du roi d’Angleterre, je serai votre femme, si vous voulez leur pardonner. »

Le fils du roi d’Angleterre épousa donc la jolie fille, qui fut bien heureuse avec lui, et devint la plus grande dame du pays.

Peu de temps après la noce, la sœur laide, laide comme le péché, apprit ce qui s’était passé, et dit :

— « J’irai au bois, moi aussi ; et il m’en arrivera autant. »

Elle partit donc pour le bois, et marcha longtemps, longtemps, longtemps. Enfin, elle arriva sur la porte du château grand comme la ville d’Agen.

— « Pan ! pan !

— Qui frappe ?

— C’est une fille qui a perdu son chemin, et qui demande à souper et à loger. »

La dame du château envoya la fille laide, laide comme le péché, souper à la cuisine, avec les valets et les servantes, et commanda qu’on lui donnât un bon lit. Le lendemain, elle la fit venir dans sa chambre, et ouvrit la porte du cabinet qui était tout plein de robes.

— « Mie, quitte tes hardes, et choisis les habits que tu voudras. »

La fille laide, laide comme le péché, choisit la plus jolie robe. Alors, la dame du château la força de prendre la plus déchirée, la plus sale, la lui fit mettre sur-le-champ. Ensuite, elle ouvrit le coffre plein de pièces d’or, d’argent et de cuivre, et de bijouterie de toute espèce.

— « Mie, prends dans ce coffre ce que tu voudras. »

La fille laide, laide comme le péché, choisit cent quadruples d’Espagne et cent bagues d’or. Alors, la dame du château ne lui laissa prendre que deux liards et une bague de cuivre. Ensuite, elle la mena à l’écurie.

— « Mie, choisis la bête que tu voudras, avec la bride et la selle. « 

La fille laide, laide comme le péché, choisit le plus beau cheval, la plus belle bride, et la plus belle selle. Alors, la dame du château ne lui laissa prendre qu’un âne, un licou de corde, et une mauvaise couverture.

— « Et maintenant, lui dit-elle, monte sur ton âne, et reviens dans ton pays. Ne te retourne pas vers le château, que tu ne sois là-bas, là-bas, en-haut de la côte. Alors, lève la tête, et attends. »

La fille laide, laide comme le péché, ne remercia pas la dame du château. Elle monta sur son âne, et partit pour son pays. Mais elle se retourna vers le château, avant d’arriver en-haut de la côte, leva la tête, et attendit. Alors, trois bouses de vache tombèrent sur elle, deux sur la tête, et une sur le menton.

Comme elle se remettait en route, elle rencontra un vieil homme, sale comme un peigne, et ivrogne comme une barrique.

— « Mie, lui dit-il, je te trouve faite à ma fantaisie. Il faut que tu sois ma femme. Sinon, tu ne mourras que de mes mains. »

Par force, la fille laide, laide comme le péché, dut suivre l’ivrogne dans sa maison, et consentir au mariage. Depuis lors, le mari continue de boire comme un trou, et rosse sa femme vingt fois par jour[2].

  1. En gascon armotos.
  2. Dicté par Catherine Sustrac, de Sainte-Eulalie, commune de Cauzac (Lot-et-Garonne). Le récit de Catherine a été contrôlé par ma belle-mére, Mme Lacroix, née Pinèdre, de Bon-Encontre (Lot-et-Garonne).