Bladé - Contes populaires de la Gascogne, t. 3, 1886 Le Voyage de Jeannot
III
le voyage de jeannot
l y avait, une fois, une femme qui n’avait
qu’un fils, appelé Jeannot. Ce Jeannot
était bête comme un seuil (de porte). Un
jour, sa mère lui commanda d’aller faire moudre
un sac de blé.
— « Prends garde, lui dit-elle, que le meunier, pour ses peines, ne prenne pas plus d’une poignée par boisseau. Pour ne pas l’oublier, tu répéteras, tout le long du chemin : « Une poignée par boisseau. »
— Oui, mère. « Une poignée par boisseau. »
Jeannot partit donc sur sa jument poulinière, avec le sac de blé en croupe. Pour ne pas oublier la recommandation de sa mère, il répétait, tout en cheminant :
— « Une poignée par boisseau. Une poignée par boisseau. »
Au bout d’un moment, il trouva trois bouviers qui semaient.
— « Une poignée par boisseau. Une poignée par boisseau.
— Gueusard ! crièrent les bouviers. C’est ainsi que tu veux que nous soyons payés de nos semailles. »
Ils tombèrent tous trois, à coups d’aiguillon, sur le pauvre Jeannot, et l’assommèrent.
— « Comment donc dois-je dire ? demanda le pauvre garçon.
— Il faut dire : « Dieu la bénisse[1] ! »
Jeannot repartit.
— « Dieu la bénisse ! Dieu la bénisse ! »
Au bout d’un moment, il trouva trois hommes qui allaient noyer une chienne.
— « Dieu la bénisse ! Dieu la bénisse !
— Mauvais gueux, crièrent les hommes, tu veux que Dieu bénisse une chienne qui voulait mordre les gens. »
Ils tombèrent tous trois, à grands coups de bâton, sur le pauvre Jeannot, et l’assommèrent.
— « Comment donc dois-je dire ? demanda le pauvre garçon.
— Ah ! La laide chienne qu’on va noyer ! »
Jeannot repartit.
— « Ah ! La laide chienne qu’on va noyer ! Ah ! La laide chienne qu’on va noyer ! »
Au bout d’un moment, il rencontra une noce à cheval, qui menait la mariée à l’église.
— « Ah ! La laide chienne qu’on va noyer ! Ah ! La laide chienne qu’on va noyer !
— Insolent ! crièrent les garçons d’honneur. Es-tu venu ici pour insulter la mariée ? »
Ils tombèrent tous sur Jeannot, et le chargèrent de coups de fouet.
— « Comment donc dois-je dire ? demanda le pauvre garçon.
— Il faut dire : « Ainsi soient-elles toutes ! »
Jeannot repartit.
— « Ainsi soient-elles toutes ! Ainsi soient-elles toutes ! »
Au bout d’un moment, il arriva devant une maison qui brûlait.
— « Ainsi soient-elles toutes ! Ainsi soient-elles toutes !
— Huguenot ! crièrent ceux qui éteignaient le feu. Tu veux donc que nos maisons brûlent comme celle-ci. »
Ils tombèrent tous sur Jeannot, et l’assommèrent à coups de pierre.
— « Comment donc dois-je dire ? demanda le pauvre garçon.
— Il faut dire : « Dieu l’amortisse ! »
Jeannot repartit.
— « Dieu l’amortisse ! Dieu l’amortisse ! »
Au bout d’un moment, il trouva un homme qui ne pouvait pas allumer son four.
— « Dieu l’amortisse ! Dieu l’amortisse !
— Patelin ! Voilà comment tu veux que j’allume mon four ! »
Il tomba sur Jeannot, à coups de fourche, et le mit tout sanglant.
— « Comment donc dois-je dire ? demanda le pauvre garçon.
— Il faut dire : « Que beau feu s’allume ! »
Jeannot repartit.
— « Que beau feu s’allume ! Que beau feu s’allume ! »
Au bout d’un moment, il trouva une femme qui avait mis le feu à sa quenouille, en s’approchant trop de la lampe, et qui risquait de brûler sa coiffe.
— « Que beau feu s’allume ! Que beau feu s’allume !
— Sorcier ! Tu veux donc que je me brûle toute vive ! »
Elle tomba sur Jeannot, à coups de quenouille, et lui en donna plus de cent coups.
— « Comment donc dois-je dire ? demanda le pauvre garçon.
— Tais-toi, imbécile. À mal parler, on attrape toujours des coups[2]. »