Bladé - Contes populaires de la Gascogne, t. 3, 1886.djvu/L’Aigle et le Roitelet

III

l’aigle et le roitelet



Un jour, l’Aigle dit au Roitelet :

— « Pauvre petit Roitelet, je suis grand, fort et hardi. Quand il me plaît, je monte dans le ciel plus haut que les nuages. C’est pourquoi je suis le roi des bêtes volantes. Toi, pauvre petit Roitelet, tu n’es pas plus gros qu’une fève. Tu t’essouffles, sans t’élever de dix toises. Je te plains, pauvre petit Roitelet.

— Aigle, garde ta compassion pour d’autres que moi. Si petit, si faible que je sois, je te parie de monter dans le ciel plus haut que toi. »

L’Aigle se mit à rire.

— « Pauvre petit Roitelet, parions. Que me donneras-tu si je gagne ?

— Aigle, si tu gagnes, je te donne mon corps à manger. Si tu perds, jure-moi de ne jamais mal faire, ni contre moi, ni contre les miens.

— Pauvre petit Roitelet, c’est juré. Partons. Y es-tu ? »

Le Roitelet était déjà perché sur la tête de l’Aigle.

— « Aigle, j’y suis. Partons. Hardi ! Ho ! »

L’Aigle partit à toute volée, sans se méfier qu’il emportait le Roitelet perché sur sa tête. Vingt fois par heure, il criait, à rendre sourd :

— « Où es-tu, pauvre petit Roitelet ?

— Aigle, je monte dans le ciel plus haut que toi. »

Longtemps, bien longtemps, l’Aigle monta droit, toujours tout droit dans le ciel. Vingt fois par heure, il criait, à rendre sourd :

— « Où es-tu, pauvre petit Roitelet ?

— Aigle, je monte dans le ciel plus haut que toi. »

Enfin, l’Aigle se lassa. Une dernière fois, il cria, à rendre sourd :

— « Où es-tu, pauvre petit Roitelet ?

— Aigle, je monte dans le ciel plus haut que toi. »

Tout confus, l’Aigle redescendit, sans se méfier qu’il emportait le Roitelet, toujours perché sur sa tête.

— « Aigle, nous sommes à terre. Ai-je monté dans le ciel plus haut que toi ?

— C’est vrai, pauvre petit Roitelet. Tu as monté dans le ciel plus haut que moi. Ne crains rien. Ce qui est juré est juré. Jamais je ne ferai mal ni contre toi, ni contre les tiens[1]. »

  1. Ce conte, très populaire en Gascogne, m’a été dicté par feu Cadette Saint-Avit, de Cazeneuve, commune du Castéra-Lectourois (Gers).