Bladé - Contes populaires de la Gascogne, t. 3, 1886.djvu/Historiettes scatologiques

VIII

historiettes scatologiques


I. — Un soir, veille de la foire de la Saint-Martin[1], un marchand arrive dans une auberge de Lectoure.

— « Bonsoir, aubergiste. Vite, un lit. Je tombe de sommeil.

— Marchand, mon auberge est pleine, pleine à ce point qu’il m’a fallu mettre deux voyageurs dans chaque lit. Voici le plus large. Couche-toi là, et tâche de bien dormir, entre tes deux camarades. »

Les deux camarades n’étaient pas contents. Pourtant, ils firent place au nouvel arrivé. Mais le marchand avait son plan, et voulait le lit pour lui tout seul.

Il se tourna donc sur le côté, et se mit à pisser contre son camarade de face.

— « Salop ! Tu me pisses dessus.

— Ne dis rien. Je chie contre l’autre. »

Les deux camarades décampèrent, et le marchand eut le lit pour lui tout seul.

II. — Il y avait, une fois, à Notre-Dame-de-Bonencontre[2], un homme bête comme une oie, et glorieux comme un pou. Cet homme s’appelait Taupe. Vingt fois par jour, il disait à ses voisins :

— « Mes amis, comptez qu’un jour je ferai parler de moi. »

Un samedi soir. Taupe se cacha dans l’église, chia dans le bénitier, et retourna chez lui, sans être vu.

Le lendemain dimanche, les gens arrivaient en foule à l’église, et trempaient leurs doigts dans l’eau bénite.

— « Mon Dieu, que ça pue ! Mon Dieu, que ça pue ! Quel est le cochon qui a chié dans le bénitier ?

— C’est moi. C’est moi, répondait Taupe tout glorieux. »

Huit jours après, tout le monde répétait dans le pays :

— « Taupe est un cochon. Il a chié dans le bénitier de Notre-Dame-de-Bonencontre. »

Et Taupe riait, se frottant les mains, et disait à ses voisins :

— « Mes amis, vous le voyez, je fais parler de moi. »

— III. Il y avait, autrefois, à Lectoure, un homme avare comme un Juif. Il s’appelait Monmayran.

Pour épargner son bois, en hiver, Monmayran avait imaginé d’aller se chauffer, chaque matin, dans une maison voisine. Jusqu’à l’heure de la soupe, il demeurait dans la cuisine, au coin du feu, et décampait au premier coup de l’Angelus[3]. Les femmes de la maison n’étaient pas contentes ; mais elles n’osaient prendre sur elles de chasser Monmayran de chez elles.

Depuis la première visite de l’avare, il se passait, dans la cuisine, des choses véritablement étonnantes. Jusqu’à la venue de Monmayran, la marmite, pendue à la crémaillère, marchait son train. Les choux, le quartier d’oie, le farci[4], cuisaient dans un long bouillon. Mais, une fois Monmayran parti, plus de bouillon pour tremper la soupe. Rien que les choux, le quartier d’oie, et le farci.

Alors, la maîtresse de la maison souffletait ses filles et sa servante à tour de bras.

— « Carognes ! C’est chaque jour la même chose. Voyez. La marmite a trop bouilli. Rien que les choux, le quartier d’oie, et le farci. Pas une goutte de bouillon. »

À force d’être souffletées, les filles et la servante finirent par se méfier, et surveillèrent Monmayran. Que virent-elles ?

Cinq minutes avant l’Angelus de midi, l’avare fit courir l’œil. Puis, il tira de sous sa veste une grosse seringue, en plongea la canule dans la marmite, tira vite le bâton, et enleva le bouillon. Les filles sautèrent sur les pincettes, la servante sauta sur sa pelle à feu.

— « Mère ! maîtresse ! Courez, courez vite. Nous tenons enfin notre voleur de bouillon. »

La maîtresse empoigna le balai, et toutes ces femmes firent à Monmayran une telle conduite, que le gueux décampa, pour ne revenir jamais.

IV. — Il y avait autrefois, à Condom[5], un apothicaire, qui n’avait pas son pareil pour les lavements bons à rafraîchir les paysans de l’Armagnac, échauffés, en été, par les travaux de la campagne. Chaque samedi, jour de marché[6], chaque dimanche, jour de repos, les visiteurs arrivaient par bandes.

Mais chacun son tour, comme au confessionnal. Un à un, les paysans entraient, déculottés dans l’arrière-boutique. Aussitôt, l’apothicaire chargeait sa seringue dans un grand chaudron, et poussait ferme.

— « Voilà. C’est deux sous. À un autre. »

Et les visiteurs filaient par la porte de l’arrière-boutique, s’ouvrant sur un grand jardin, où les plus pressés pouvaient rendre à leur aise ce qu’ils venaient de recevoir.

Un jour, l’apothicaire travaillait à l’accoutumé. Déjà, le paysan avait reçu les trois quarts du lavement.

— « Ah ! Mon Dieu ! Monsieur l’apothicaire, j’ai oublié mes deux sous. »

Sans ôter la seringue du bon endroit, l’apothicaire retira vite le bâton, et reprit son lavement.

— « File, mauvais gueux. — À un autre[7]. »

  1. Le 11 novembre. Il y a ce jour-là, à Lectoure, une foire de mules renommée dans toute la Gascogne.
  2. Commune du canton d’Agen (Lot-et-Garonne).
  3. L’Angelus de midi.
  4. La garbure, ou soupe aux choux, de la Gascogne, comporte l’addition d’un quartier d’oie confite à la graisse. On y ajoute volontiers un farci, gâteau fait de mie de pain, d’œufs, et de lard haché.
  5. Chef-lieu d’arrondissement du département du Gers.
  6. Les marchés de Condom se tiennent en effet tous les samedis.
  7. Je sais, depuis longtemps, ces historiettes, d’ailleurs populaires dans la Basse-Gascogne.