Bladé - Contes populaires de la Gascogne, t. 3, 1886.djvu/La Pâte qui chante
IX
la pâte qui chante
l y avait, une fois, un homme et une
femme, qui s’établirent boulangers.
— « Mon homme, dit un jour la femme, il faut aller au moulin.
— À quel moulin, ma femme ?
— Au moulin dont le tric-trac fait riou chiou chiou.
— Je ne sais pas où c’est.
— Eh bien, va dans la grange de Jean. Prends son âne. Il t’y portera. »
Ce qui fut dit fut fait. L’âne porta le boulanger si loin, si loin, qu’il ne savait plus s’en revenir. Aussi pendant trois jours et trois nuits, sa femme ne cessa de crier :— « Riou chiou chiou[1],
Riou chiou chiou.
Quand me rends-tu mon homme ? »
Enfin, la femme finit par tant et tant s’ennuyer, qu’elle monta sur un chien, pour s’en aller au moulin.
À mi-chemin, elle trouva son homme, assis au pied d’un chêne.
— « Que fais-tu là, mon homme ?
— Ma femme, je me suis perdu. »
L’homme remonta sur son âne, la femme resta sur son chien, et tous deux poursuivirent leur chemin.
Enfin, ils arrivèrent au moulin, et s’en revinrent chargés de farine.
Rentrés à la maison, l’homme et la femme se mirent à même de faire au four.
Dans le pétrin, ils vidèrent toute leur farine. Puis, l’homme y jeta de grands chaudrons d’eau bouillante.
La pâte faisait :
— « Riou chiou chiou. »
— « Imbécile, dit la femme, il ne fallait pas jeter d’eau bouillante. Écoute la pâte qui fait : « Riou chiou chiou. »
Le pauvre homme fut si chagrin de ce reproche qu’il en mourut sur-le-champ. Alors, sa femme se mit à pétrir la pâte. Tout en pétrissant, elle disait :
— « Marâtre[2],
Pique-pâte,
Autant elle en pique, autant elle en gâte. »
Et l’homme mort répondait :
— « Riou chiou chiou[3].
J’étais mort, et je suis redevenu vivant. »
Alors, la femme se mit à rire, et continua de pétrir avec son homme.
Mais toujours la pâte faisait :
— « Riou chiou chiou. »
Pourtant, la pâte fut bonne, et donna vingt-huit miches de vingt livres.
L’homme mort et la femme crevèrent, pour en avoir mangé la moitié.
En échange du restant de la fournée, le curé fit leur sépulture.
Tout le monde était jaloux de lui ; car, alors, riches et pauvres n’avaient pas de pain à manger. Il fallait aller faire moudre si loin, si loin, que ceux qui partaient se perdaient en chemin. Cela vint au point que tout le monde mourut de faim. Mais le curé vécut plus longtemps que les autres, avec le restant de la fournée[4].