Bladé - Contes populaires de la Gascogne, t. 3, 1886.djvu/Le Loup malade

I

le loup malade



Il y avait, une fois, au bois du Gajan[1], un loup qui se rendait malade, à force de trop manger. Ce Loup s’en alla un jour à Miradoux[2], trouver un grand médecin.

— « Bonjour, monsieur le médecin.

— Bonjour, Loup.

— Monsieur le médecin, je suis bien malade. Je voudrais une consultation, en payant, comme de juste. »

Le médecin fit tirer la langue au Loup, et le fit pisser dans un verre, pour regarder la couleur du pissat.

— « Loup, dit-il, tu te rends malade, à force de trop manger. À partir d’aujourd’hui, il faut te taxer à sept livres de viande par jour. »

Le Loup remercia bien le médecin, et lui donna, pour ses peines, quatre sols moins un denier. En s’en retournant au Gajan, il passa à la boutique du forgeron de Castet-Arrouy[3], et lui commanda une romaine pour peser, chaque jour, les sept livres de viande, ainsi qu’il avait été taxé.

Quand la romaine fut forgée, le Loup alla la chercher. Chaque jour, il l’emportait à la chasse, pour ne pas dépasser l’ordre du médecin. Aussi, au bout de huit jours, il redevint gaillard, bien portant ; et il ne regrettait pas les quatre sols moins un denier qu’il avait donnés au grand médecin de Miradoux.

Au bout de quelque temps, arriva la Sainte-Blandine, jour de la fête patronale de Castet-Arrouy. Le Loup connaissait son métier comme pas un. Il savait qu’après la messe, les gens iraient s’attabler, jusqu’au moment où le sonneur de cloche sonnerait le dernier coup de vêpres. Alors, les juments poulinières et les jeunes mules qu’on élève pour les vendre aux Espagnols, à Lectoure, le jour de la foire de Saint-Martin, demeuraient seules dans les prés de la rivière de l’Auroue[4].

Les gens de Castet-Arrouy ne s’étaient pas encore servi la soupe, que mon Loup s’élance du côté de la rivière, et aperçoit, au beau milieu d’un pré, une jument avec sa mule. Par malheur, il avait oublié sa romaine.

— « Bah ! dit-il, je pèserai à vue d’œil. Quatre livres la jument, et trois livres la mule. »

Aussitôt, il les étrangla, et les rongea jusqu’aux os.

Le soir même, le Loup creva[5].

  1. Le Gajan, forêt située entre Lectoure et Miradoux. Elle a été récemment défrichée en grande partie.
  2. Miradoux, chef-lieu de canton du département du Gers.
  3. Commune du canton de Miradoux (Gers), comprenant une grande partie de la forêt du Gajan.
  4. L’Auroue est un petit affluent de la Garonne, qui traverse la commune de Castet-Arrouy.
  5. Dicté par feu Jacques Bonnet, vieillard illettré, natif de Castet-Arrouy.