Bladé - Contes populaires de la Gascogne, t. 3, 1886.djvu/La Chèvre et le Renard

III

la chèvre et le renard



La Chèvre et le Renard s’étaient associés pour travailler une métairie. Quand le blé fut moissonné, battu, et vanné, le Renard fit deux tas séparés, le blé à droite, la paille à gauche, et dit à la Chèvre :

— « Chèvre, partageons. Je prends le blé ; prends la paille.

— Renard, cela n’est pas juste. Partageons par la moitié le blé et la paille.

— Le blé, Chèvre, tu n’en auras pas un grain.

— Renard, ceci n’est pas juste. Choisis de deux choses l’une. Moi, je vais chercher mon juge. Fais venir le tien, et ils diront droit sur notre procès. Sinon, amène tes compagnons. Moi, j’amènerai les miens. Nous ferons bataille.

— Bataille, soit. »

La Chèvre partit aussitôt pour Lectoure, et trouva trois gros chiens de boucher assis devant la halle.

— « Chiens de boucher, si vous faites bataille pour moi contre le Renard, je vous ferai téter tant que vous voudrez.

— Chèvre, c’est convenu. »

Les trois chiens de boucher tétèrent la chèvre tant qu’ils voulurent, et la suivirent à la métairie.

— « Chiens de boucher, enfermez-vous dans cette cabane, entre la paille et le blé, et ne sortez qu’au bon moment. »

Pendant ce temps-là, le Renard s’en était allé trouver le Loup, au bois du Gajan.

— « Loup, si tu fais bataille pour moi, contre la chèvre et ses compagnons, tu me rendras un grand service. »

Le Loup suivit le Renard sans rien dire.

Arrivé devant la cabane, entre la paille et le blé, le Renard commença ses explications.

— « Regarde, Loup, disait-il. Regarde si la paille que je donne toute à la Chèvre ne vaut pas, et même plus, le blé que je garde tout pour moi. »

Le Loup regardait toujours, sans parler. Il ne voyait pas les trois chiens de boucher, cachés dans la cabane. Mais il les entendait bâiller de chaud, et grincer des dents, quand les mouches leur piquaient les lèvres.

— « Renard, dit enfin le Loup,

Ni pour ton blé, ni pour ta paille,
Je ne me mets en bataille[1]. »

Et il partit au galop.

— « Hardi ! mes chiens, cria la Chèvre. »

Les trois chiens de boucher sautèrent sur le Renard et l’étranglèrent, de sorte que la Chèvre se trouva maîtresse du blé et de la paille[2].

  1. En gascon :

    Ni per toun blat, ni per ta paillo
    Non me bouti pas en bataillo.

  2. Dicté par Marie Dupin, veuve Lagarde, de Gimbrède (Gers).