Bladé - Contes populaires de la Gascogne, t. 3, 1886.djvu/Le Curé avisé

II

le curé avisé



Les gens ne se mettront jamais tous d’accord sur une même chose.


Il y avait, une fois, un curé si fin, si avisé, que nul n’avait jamais pu le surprendre ni à mal dire, ni à mal faire. Les marguilliers de la paroisse vinrent le trouver, un dimanche matin, à la sacristie.

— « Bonjour, Monsieur le curé.

— Bonjour, mes amis. Qu’y a-t-il pour votre service ?

— Monsieur le curé, la sécheresse ruine nos récoltes. Nous venons vous prier de faire pleuvoir.

— Mes amis, rien de plus facile. Je sais une prière, qui fait pleuvoir, le jour même, si tout le monde est d’accord à me la demander. Tout à l’heure, à la fin du prône, je consulterai le peuple.

— Merci, Monsieur le curé.

— À votre service, mes amis. »

Les marguilliers rentrèrent dans l’église, et le curé commença la messe. Le moment du prône venu, il monta en chaire et dit :

— « Mes frères, les marguilliers de la paroisse sont venus me trouver tout à l’heure, à la sacristie, et se sont plaints de la sécheresse, qui ruine vos récoltes. Ils m’ont prié de faire pleuvoir. Je sais une prière qui fait pleuvoir, le jour même, si tout le monde est d’accord à me la demander. Voulez-vous que je fasse pleuvoir aujourd’hui ?

— Non, Monsieur le curé, dirent les garçons. Nous voulons aller nous promener, ce soir, après vêpres.

— Voulez-vous que je fasse pleuvoir demain ?

— Non, Monsieur le curé, répondirent trois ou quatre femmes. Nous avons fait nos lessives ; et nous ne voulons la pluie que lorsque notre linge sera sec.

— Voulez-vous que je fasse pleuvoir mardi ?

— Non, Monsieur le curé, dirent les jeunes filles. Nous voulons aller à la foire ce jour-là.

— Voulez-vous que je fasse pleuvoir mercredi ?

— Non, Monsieur le curé, répondit une troupe de faucheurs. Nous avons à faucher du trèfle ce jour-là.

— Voulez-vous que je fasse pleuvoir jeudi ?

— Non, Monsieur le curé, répondirent les petits garçons. Ce jour-là il n’y a pas école ; et nous voulons être libres d’aller courir.

— Voulez-vous que je fasse pleuvoir vendredi ?

— Non, Monsieur le curé, répondit le tuilier. Mes tuiles sont encore dehors ; et je ne puis les enfourner que samedi.

— Voulez-vous que je fasse pleuvoir samedi ?

— Non, Monsieur le curé, répondit le maire. J’ai besoin d’aller en campagne ce jour-là.

— Mes frères, je vous l’ai dit, ma prière n’a de vertu que si tout le monde est d’accord à me la demander. En attendant que vous soyez tous du même avis, laissez faire le Bon Dieu[1]. »

  1. Dicté par feu Justine Dutilh, femme Duplan, née à Marmande (Lot-et-Garonue).