Bladé - Contes populaires de la Gascogne, t. 3, 1886.djvu/Les Âmes du Purgatoire
IX
les âmes du purgatoire
l y avait, une fois, un fossoyeur qui, à
force de bêcher au cimetière, avait épargné
de quoi acheter une barrique de bon
vin vieux. Quand la barrique fut sur les tins, le
fossoyeur revint à son ouvrage. Aussitôt, sa
femme courut chez une voisine.
— « Écoute, mie. Mon homme vient d’acheter une barrique de bon vin vieux.
— Eh bien ! mie, allons le goûter. »
Ce qui fut dit fut fait. Matin et soir, les deux commères recommençaient leurs visites à la cave, si bien qu’au bout d’un mois la barrique se trouva sèche, et sonna creux.
— « Ah ! mon Dieu ! mie, nous avons bu tout le bon vin vieux. Que dira ton homme, quand il voudra percer la barrique ?
— Mie, sois tranquille. Je me charge de tout arranger. Prenons chacune un drap de lit, et partons pour le cimetière. Là, fais et dis comme moi. »
En effet, à neuf heures du soir, les deux commères entraient, enveloppées dans leurs linceuls, au cimetière, où le fossoyeur travaillait encore au clair de la lune.
— « Fossoyeur ! Fossoyeur ! Les âmes du purgatoire ont bu ton bon vin vieux.
— Tout ?
— Tout. Oui, certes, tout. »
Les deux commères repartirent au galop. Une heure après, le fossoyeur rentrait dans sa maison.
— « Femme, je viens du cimetière. Là, j’ai vu deux fantômes qui me criaient : « Fossoyeur ! Fossoyeur ! Les âmes du purgatoire ont bu tout ton bon vin vieux, — Tout ? — Tout. Oui, certes, tout. » Allons voir si les deux fantômes ont dit vrai. »
Le fossoyeur et sa femme allèrent à la barrique. Elle était sèche, et sonnait creux.
— « Femme, les deux fantômes n’ont pas menti. Les âmes du purgatoire ont bu tout mon bon vin vieux. Je souhaite qu’il leur profite. Demain, j’en achèterai de meilleur encore ; mais, dorénavant, je garderai la clef de la cave, et tu ne toucheras plus à ma bouteille.
— Et que boirai-je donc, mon Dieu ?
— Tu boiras de l’eau[1]. »
- ↑ Dicté par Anna Dumas, du Passage-d’Agen (Lot-et-Garonne).