Bladé - Contes populaires de la Gascogne, t. 3, 1886.djvu/L’Aveugle

III

l’aveugle



Il y avait, une fois, un aveugle fort riche, et qui avait une fille à marier. Cet aveugle était un homme fort avisé. Quand un galant se présentait, pour lui demander sa fille, pour femme, l’aveugle répondait :

— « Galant, donne l’avoine à mon bidet, et mets-lui la bride et la selle. Je veux aller voir si tes champs sont bons.

— Mais, pauvre homme, répondait le galant, vous êtes aveugle. Comment le verrez-vous ?

— Je le verrai bien. »

Arrivé dans les champs du galant, l’aveugle descendait de cheval, et disait :

— « Galant, attache ma bête à un pied d’hièble.

— « Pauvre homme, il n’y a pas d’hièbles dans ces champs. Il n’y a que de la fougère. »

Alors, l’aveugle remontait sur son bidet, et disait :

— « Galant, je ne veux pas encore marier ma fille. »

Pendant trois ans, il parla de même. Mais, un jour, un galant lui répondit :

— « Voilà qui est fait. Votre bidet est attaché à un hièble.

— Galant, fais-moi toucher l’hièble et la bride. Je veux savoir si mon bidet est bien attaché. »

L’aveugle toucha donc la bride et la plante, et comprit, à l’odeur des feuilles, que son bidet était bien réellement attaché à un hièble.

— « Galant, dit-il, tu auras ma fille. Nous ferons la noce quand tu voudras. »

L’aveugle avait raison. Le brave homme voulait marier sa fille richement. Il avait vu, autrefois, que la fougère pousse dans les mauvaises terres, et l’hièble dans les bonnes[1].

  1. Dicté par ma belle-mère, Mme Lacroix, née Pinèdre, de Bonencontre (Lot-et-Garonne).