Bladé - Contes populaires de la Gascogne, t. 3, 1886.djvu/Le Conte de Jeanne

VII

le conte de jeanne



Il y avait, une fois, un homme et une femme qui vivaient pauvres, bien pauvres, dans leur maisonnette, avec leur fille de dix-huit ans. Cette fille s’appelait Jeanne.

Un soir, l’homme dit à sa femme :

— « Femme, vois comme nous sommes pauvres. Nous n’avons plus qu’une ressource. Il nous faut marier Jeanne.

— Mon homme, tu n’y penses pas. Marier Jeanne ? Et avec quoi ferons-nous la noce ?

— Femme, pour faire la noce, nous tuerons le chat, la petite oie, et la poulette.

— Mon homme, tu as raison. »

Mais le Chat écoutait, caché sous la table. Aussitôt, il s’en alla trouver la Petite Oie.

— « Écoute, Petite Oie. Nos maîtres vont marier Jeanne. Pour faire la noce, on nous tuera, moi, toi, et la Poulette. Si tu veux me croire, nous avertirons la Poulette, et, tous trois, nous partirons à minuit.

— Chat, tu as raison. »

Le Chat et la Petite Oie s’en allèrent donc avertir la Poulette, et tous trois partirent avant minuit.

Ils s’en allèrent loin, loin, loin.

— « Comme la jambe de Guillem[1]. »

Quand ils furent loin, loin, loin, la Petite Oie s’arrêta, rendue de fatigue.

— « Chat, je n’en puis plus.

— Eh bien. Petite Oie, demeure ici. Je vais t’y bâtir une étable. »

Le Chat bâtit donc une étable pour la Petite Oie, et repartit avec la Poulette.

Ils s’en allèrent loin, loin, loin.

Quand ils furent loin, loin, loin, la Poulette s’arrêta, rendue de fatigue.

— « Chat, je n’en puis plus.

— Eh bien, Poulette, demeure ici. Je vais t’y bâtir une étable. »

Le Chat bâtit donc une étable pour la Poulette, et repartit.

Il s’en alla loin, loin, loin.

Quand il fut si loin, le Chat était rendu de fatigue.

Alors, il s’arrêta, et se bâtit une étable.

Tandis que le Chat vivait tranquille dans son étable, le Loup alla frapper chez la Petite Oie.

— « Pan ! pan !

— Qui est là ?

— Ami. Vite, ouvre-moi la porte, Petite Oie. »

Mais la Petite Oie avait reconnu la voix du Loup.

— « Non, Loup, je ne t’ouvrirai pas la porte. Tu me mangerais.

— Petite Oie, je te dis que non.

— Loup, je te dis que si.

— Petite Oie, si tu ne m’ouvres pas vite la porte, je démolis ton étable. »

La Petite Oie ne répondit plus.

Alors, le Loup brisa la porte, d’un grand coup de cul.

Mais la Petite Oie prit aussitôt la volée, et s’en alla trouver la Poulette.

— « Pan ! pan !

— Qui est là ?

— Ami. Vite, ouvre-moi la porte, Poulette. »

La Poulette ouvrit donc vite la porte. Elle avait reconnu la voix de la Petite Oie.

— « Poulette, referme vite, de peur du Loup. Tout à l’heure, il est venu chez moi, et il a brisé la porte de mon étable, d’un grand coup de cul. »

La Poulette n’eut que le temps de refermer.

— « Pan ! pan !

— Qui est là ?

— Ami. Vite, ouvre-moi la porte, Poulette. »

Mais la Poulette avait reconnu la voix du Loup.

— « Non, Loup, je ne t’ouvrirai pas la porte. Tu me mangerais.

— Poulette, je te dis que non.

— Loup, je te dis que si.

— Poulette, si tu ne m’ouvres pas vite la porte, je démolis ton étable. »

La Poulette ne répondit plus.

Alors, le Loup brisa la porte, d’un grand coup de cul.

Mais la Petite Oie et la Poulette prirent aussitôt leur volée, et s’en allèrent trouver le Chat.

— « Pan ! pan !

— Qui est là ?

— Amis. Vite, ouvre-nous la porte, Chat. »

Le Chat ouvrit donc vite la porte. Il avait reconnu les voix de la Petite Oie et de la Poulette.

— « Chat, referme vite, de peur du Loup. Tout à l’heure, il est venu chez nous, et il a brisé les portes de nos étables, de deux grands coups de cul. »

Le Chat n’eut que le temps de refermer.

— « Pan ! pan !

— Qui est là ?

— Ami. Vite, ouvre-moi la porte. Chat. »

Mais le Chat avait reconnu la voix du Loup.

— « Loup, je ne t’ouvrirai pas la porte. Tu me mangerais.

— Chat, je te dis que non.

— Loup, je te dis que si.

— Chat, ouvre-moi la porte. Nous vivrons en bons amis, moi, toi, la Poulette, et la Petite Oie. Je vous fournirai des choux pour faire la soupe, des poules pour mettre à la broche. Demain, nous irons tous quatre ensemble à la foire de Fleurance[2].

— Oui, Loup. Nous irons tous quatre ensemble. Mais, cette nuit, je n’ouvre pas ma porte. Reviens nous chercher au lever du soleil. »

Le Loup partit donc, et revint au lever du soleil. Mais le Chat, la Poulette et la Petite Oie étaient partis, dès la pointe de l’aube. À la foire de Fleurance, tous trois se méfiaient, et faisaient courir l’œil.

Tout à coup, la Poulette et la Petite Oie crièrent épouvantés :

— « Chat, regarde là-bas, là-bas. Le Loup arrive pour nous manger.

— N’ayez pas peur. Je suis plus fin que lui. Allez à vos affaires, et fiez-vous à moi. »

La Poulette et la Petite Oie obéirent.

Alors, le Chat acheta vite, vite, un crible, et un sou de chandelles de résine. Dans chaque trou du crible, il planta un marquet[3] avec un morceau de chandelle allumée, et marcha au-devant du Loup, en portant le crible devant lui.

Il faisait déjà nuit noire. En voyant toutes les lumières, le loup eut peur, et s’en retourna.

La Poulette et la Petite Oie avaient fini leurs affaires. Elles revinrent à l’étable du Chat.

Mais lui n’avait pas encore ce qu’il lui fallait. Avant de rentrer chez lui, il acheta un plein sac de lames de couteau, de pointes de fer, et de culs de bouteilles. Cela fait, il alla rejoindre la Poulette et la Petite Oie.

À minuit, le Loup revint frapper à la porte de l’étable.

— « Pan ! pan !

— Qui est là ?

— Ami. Vite, ouvre-moi la porte, Chat. »

Mais le Chat avait reconnu le Loup à la voix.

— « Non, Loup. Je ne t’ouvrirai pas la porte. Tu me mangerais.

— Chat, tu es un rien-qui-vaille. Hier, tu m’avais promis que nous irions tous quatre à la foire de Fleurance, moi, toi, la Poulette, et la Petite Oie. Vous ne m’avez pas attendu.

— Loup, nous étions pressés. Mais nous sommes allés à la foire, et nous ne t’y avons pas vu.

— Chat, j’ai rencontré sur mon chemin un grand feu marchant. Alors, j’ai eu peur, et je m’en suis retourné. »

Sans être vu du Loup, le Chat crevait de rire.

— « Écoute, Chat. Ouvre-moi la porte. Nous vivrons en bons amis, moi, toi, la Poulette, et la Petite Oie. Je vous fournirai des choux pour faire la soupe, des poules pour mettre à la broche. Demain, nous irons tous quatre ensemble à la foire de Saint-Clar[4].

— Oui, Loup. Nous irons tous quatre ensemble. Mais, cette nuit, je n’ouvre pas ma porte. Reviens nous chercher au lever du soleil. »

Le Loup partit donc, et revint au lever du soleil. Mais le Chat, la Poulette, et la Petite Oie, s’étaient cachés hors de l’étable, et guettaient.

— « Pan ! pan ! »

Personne ne répondit.

— « Canailles ! Ils sont partis sans moi pour la foire de Saint-Clar. Patience ! Je reviendrai cette nuit. »

Le Loup n’avait pas tourné les talons, que le Chat, la Poulette, et la Petite Oie, travaillaient à garnir la porte de l’étable des lames de couteau, des pointes de fer, et des culs de bouteilles, achetés à la foire de Fleurance.

À minuit, le Loup revint.

— « Pan ! pan !

— Qui est là ?

— Ami. Vite, ouvre-moi la porte, Chat. »

Mais le Chat avait reconnu le Loup à la voix.

— « Non, Loup. Je ne t’ouvrirai pas la porte. Tu me mangerais.

— Chat, tu es un rien-qui-vaille. Hier, tu m’avais promis que nous irions tous quatre ensemble à la foire de Saint-Clar, moi, toi, la Poulette, et la Petite Oie, vous ne m’avez pas attendu.

— Loup, nous étions pressés.

— Chat, ouvre-moi vite la porte. Tu ne veux pas ? Une, deux, trois. »

Alors, le Loup s’élança contre la porte, pour la briser, d’un grand coup de cul. Mais il retomba tout en sang, blessé par les lames de couteau, les pointes de fer, et les culs de bouteilles.

— « Aie ! aie ! aie ! Au secours ! Aie ! aie ! aie ! »

Sur le toit de l’étable, le Chat, la Poulette, et la Petite Oie, s’esclaffaient de rire.

— « Aie ! aie ! aie ! Au secours ! Aie ! aie ! aie !

— Qu’as-tu, pauvre Loup ? Qu’as-tu ?

— Au secours ! mes amis. Au secours ! »

Et la male bête creva[5].

  1. En gascon :

    S’en angoun loèn, loèn, loên.
    — Coumo la camso dou Guillem.

    On dit aussi comme la chatte (coumo la gato), ou comme la queue (coumo la cùo) de Guillem, ou Guillaume. Cette interruption des auditeurs revient à peu près toutes les fois que le conteur dit : « Loin, loin, loin (loèn, loèn, loèn). » J’ai cru devoir me borner à une seule indication.
  2. Chef-lieu de canton du département du Gers. Selon le lieu où ils résident, les conteurs changent le nom de la localité où le Chat promet au Loup d’aller à la foire.
  3. Les Gascons appellent marquet un morceau de bois fendu, qu’on plante dans un trou de la cheminée pour soutenir la chandelle de résine placée dans la fente.
  4. Chef-lieu de canton (Gers).
  5. Dicté par Françoise Lalanne. Mon ami Faugère-Dubourg, de Nérac (Lot-et-Garonne), a recueilli pour moi, dans son pays, une leçon identique, pour le fond, à celle de Françoise Lalanne.