Bladé - Contes populaires de la Gascogne, t. 3, 1886.djvu/Le Charbonnier
V
le charbonnier
l y avait, une fois, au bois du Gajan[1],
un charbonnier qui venait d’allumer du
feu dans sa cabane. Le Loup vint à
passer par là. Il entra sans façon.
— « Charbonnier, dit le Loup, il fait bien froid. Fais bon feu.
— Loup, chauffe-toi. »
Le Charbonnier jeta une brassée de fagots dans le feu, et le Loup fut bientôt réchauffé.
En ce moment, le Renard vint à passer par là. Il entra sans façon.
— « Charbonnier, dit le Renard, il fait bien froid. Fais bon feu.
— Renard, chauffe-toi. »
Le Charbonnier jeta une brassée de fagots dans le feu ; et le Renard fut bientôt réchauffé.
En ce moment, le Lièvre vint à passer par là. Il entra sans façon.
— « Charbonnier, dit le Lièvre, il fait bien froid. Fais bon feu.
— Lièvre, chauffe-toi. »
Le Charbonnier jeta une brassée de fagots dans le feu ; et le Lièvre fut bientôt réchauffé.
Alors, le charbonnier dit aux trois bêtes :
— « Je vous ai bien fait chauffer. Maintenant, vous devriez aller chercher de quoi faire ensemble un bon repas.
— Moi, dit le Loup, je sais un troupeau de moutons. Je vais chercher le plus beau.
— Pars, Loup, et reviens vite.
— Moi, dit le Renard, je sais de beaux chapons dans un poulailler. Je vais chercher le plus gras.
— Pars, Renard, et reviens vite.
— Moi, dit le Lièvre, je sais un jardin où il y a des choux superbes. Je vais chercher le plus gros.
— Pars, Lièvre, et reviens vite. Nous verrons qui de vous trois sera le premier rentré. »
Les trois bêtes partirent au grand galop. Une heure après, le Lièvre arrivait le premier, avec un chou superbe.
— « Lièvre, dit le Charbonnier, tu arrives le premier. Je n’ai jamais vu de chou beau comme le tien. Viens le déposer dans ma cabane. Tu as froid. Je vais bien te faire chauffer. »
Le Lièvre entra donc dans la cabane. Tandis qu’il se chauffait, sans se méfier, le Charbonnier l’assomma d’un coup de bâton, et le couvrit de branches, pour qu’il ne fût pas vu du Loup et du Renard.
Une heure après, le Loup arriva avec un beau mouton.
— « Loup, dit le Charbonnier, tu arrives le premier. Je n’ai jamais vu de mouton beau comme le tien. Viens le déposer dans ma cabane. Tu as froid. Je vais bien te faire chauffer. »
Le Loup entra donc dans la cabane. Tandis qu’il se chauffait, sans se méfier, le Charbonnier le poussa au beau milieu du feu. La bête pensa n’en pas sortir, et s’enfuit à travers le bois, avec le poil tout brûlé.
Une heure après, le Renard arriva avec un beau chapon bien gras.
— « Renard, dit le Charbonnier, tu arrives le premier. Je n’ai jamais vu de chapon beau et gras comme le tien. Viens le déposer dans ma cabane. Tu as froid. Je vais bien te faire chauffer. »
Le Renard entra donc dans la cabane. Tandis qu’il se chauffait, sans se méfier, et tournait le derrière à la flamme, la queue en l’air, le Charbonnier lui planta au beau milieu du cul la broche rougie à blanc. La bête en pensa mourir, et s’enfuit à travers le bois, avec la chair toute brûlée.
Voilà comment, par sa finesse, le Charbonnier gagna un chou, un lièvre, un mouton, et un chapon.
Le lendemain, le Loup et le Renard se rencontrèrent dans le bois du Gajan.
— « Eh bien ! mon pauvre Loup.
— Eh bien ! mon pauvre Renard.
— Renard, le Charbonnier est une canaille. Je lui avais apporté un beau mouton, et je me chauffais sans me méfier. Alors, il m’a poussé au beau milieu du feu. J’ai pensé n’en pas sortir, et j’ai pris la fuite à travers le bois, avec le poil tout brûlé.
— Loup, le Charbonnier est une canaille. Je lui avais apporté un beau chapon bien gras, et je me chauffais sans me méfier, tournant le derrière à la flamme, la queue en l’air. Alors, il m’a planté au beau milieu du cul la broche rougie à blanc. J’ai pensé en mourir, et j’ai pris la fuite à travers le bois, avec la chair toute brûlée.
— Renard, que pourrions-nous faire au charbonnier ?
— Loup, je ne reviens pas chez lui.
— Ni moi non plus, Renard[2]. »