Les Dieux antiques/Texte entier
S. MALLARMÉ
Professeur au Lycée Fontanes
——
LES DIEUX ANTIQUES
NOUVELLE MYTHOLOGIE ILLUSTRÉE
D’APRÈS GEORGE W. COX
ET LES TRAVAUX DE LA SCIENCE MODERNE
À L’USAGE
DES LYCÉES, PENSIONNATS, ÉCOLES ET DES GENS DU MONDE
OUVRAGE ORNÉ DE 200 VIGNETTES
REPRODUISANT
DES STATUES — BAS-RELIEFS — MÉDAILLES — CAMÉES
PARIS
J. ROTHSCHILD, ÉDITEUR
13, RUE DES SAINTS-PÈRES, 13
—
1880
À M. CHARLES SEIGNOBOS
DÉPUTÉ DE l’ARDÈCHE
Son ami de vieille date
Stéphane Mallarmé
« O Dieux, pendant les nuits sereines, anxieux,
J’ai longtemps écouté le bruit qui vient des cieux,
D’où sans cesse le chant des Étoiles s’élance
Si doux, que nous prenons ses voix pour le silence !
Dieux comme vous, mais faits de flamme et de clarté,
Les grands astres épars dans la limpidité
De l’azur, triomphants d’orgueil et de bravoure,
Vivent dans la splendeur blanche qui les entoure.
Héros, nymphes, guerriers, chasseurs, parmi les flots
Des clairs rayons, les uns de leurs blancs javelots
Percent, victorieux, des monstres de lumière ;
Penchés sur des chevaux à l’ardente crinière.
Coursiers de neige ailés au vol terrible et sûr,
D’autres livrent bataille à des hydres d’azur. »
Théodore de Banville.
Les Exilés (La Cithare).
a littérature française ne possède,
à l’exception de dictionnaires
d’une lecture toujours difficile,
aucun travail mythologique disposé
comme un livre, avec lien et sur
un plan d’ensemble.
Quel répertoire intact et riche offrent,
cependant, les documents accumulés
depuis le commencement du siècle
par des savants dont les noms viennent
en foule à la pensée : Niebuhr, Grimm,
Moir, Walker, H. H. Wilson, Cornwall, Kuhn, Preller,
Lewis, Grote, Thirlwall, à l’étranger ; et chez
nous, Bréal, Baudry et Louis Ménard !
Les recherches de ces maîtres ont renouvelé, absolument, l’ancienne Mythologie ; la génération actuelle sait même que, depuis ses années de collège, les personnages galants de la fable ont été transformés en phénomènes naturels.
L’absence de tout Traité, contemporain et définitif, vient de ce que les ouvrages composés selon la routine n’osent depuis longtemps se produire. Constatons, d’un autre côté, une hésitation pareille, dans l’apparition d’un recueil résumant les connaissances modernes.
Telle était justement notre pensée, quand M. Mallarmé, professeur d’un des Lycées de Paris, en quête d’ouvrages scientifiques accessibles à la Jeunesse, nous parla avec admiration d’un petit livre anglais, inconnu encore en France et qu’une étude récente faite par lui des œuvres de l’illustre George Cox l’avait amené à feuilleter et à lire.
— Un manuel, renfermé dans quelques centaines de pages, qui résume tous les travaux, parus ou préparés, du savant, impatient de faire jouir du fruit de ses recherches quelques enfants aimés. —
Alors qu’existe une œuvre excellente, fallait-il en tenter une autre à côté, qui manquerait certainement de quelques-unes des qualités de l’original ?
Non.
Pourquoi ne pas rendre au savant anglais qui est, pour la Mythologie, ce qu’est son compatriote Grote pour l’Histoire antique, un hommage dû, en traduisant son œuvre appelée à un succès universel ? Il n’y a point de rivalités devant la science.
Impossible, même dans un travail de traduction, que la présence de l’esprit français ne se fasse remarquer. L’ordonnance toute différente des matières, avec des raccords nombreux et nécessaires, jette une véritable clarté sur l’ouvrage presque métamorphosé.
Qui comparerait avec l’original cette libre adaptation reconnaîtrait de nombreux points de divergence dans le groupement, en tête du volume, des mythes congénères, Hindous, Perses, Norses, qui ne sont point classiques, et dans la mise hors page, comme appendice, des théogonies égyptienne et assyrienne, étrangères à la race aryaque. Dieux grecs et latins sont ici juxtaposés, selon l’analogie connue.
Le volume qui, dans l’Anglais, était un questionnaire, offre maintenant un texte suivi : autre remaniement fondamental, mais qui ne va jusqu’à faire perdre au style de l’auteur toute une bonhomie exquise d’intonations et de discours.
Délivrer de leur apparence personnelle les divinités, et les rendre, comme volatilisées par une chimie intellectuelle, à leur état primitif de phénomènes naturels, couchers de soleil, aurores, etc., voilà le but de la Mythologie moderne.
Des reproductions de l’Antique ne peuvent toutefois qu’ajouter puissamment à l’attrait de l’ouvrage : elles sont même nécessaires pour fixer un instant en l’esprit la figure des dieux avant leur évanouissement. Ainsi se fait bien sentir, dans les gravures et le texte, la différence entre les mythes incarnés par l’art et les mythes expliqués par la science.
Pour y arriver, il a suffi de ne point mettre notre illustration, puisée aux sources les plus pures, en contradiction avec l’esprit du texte ; c’est-à-dire de la placer à propos.
Laissant au texte toute sa valeur, nous employons les dessins non comme venant à l’appui de la doctrine qu’ils nient jusqu’à un certain point, mais comme ajoutant, par leur choix, à l’intérêt et à la beauté du livre.
L’illustration traitée ainsi d’une façon toute décorative et ornementale, par fleurons et culs-de-lampe, semble demeurer un peu en dehors de l’écrit, tout en se mêlant à l’architecture même de l’ouvrage.
Pas une de ces figures qui ne soit la reproduction stricte d’une des grandes œuvres de la sculpture antique. Statues, bas-reliefs célèbres, qu’il sied à tout lettré de connaître aujourd’hui, ou médailles rares et camées, ont été recherchés scrupuleusement, à cause du commentaire artistique qu’ils apportent à notre œuvre.
Embelli et d’accord avec ses propres principes, le livre ainsi gagne doublement, aux yeux de l’amateur et de l’étudiant.
Non moins précieuses, pour l’intelligence moderne de la Fable, sont les citations de quelques-uns d’entre leurs plus beaux vers mythologiques, qu’ont bien voulu nous
permettre de faire, à la fin de cet ouvrage, deux
maîtres de la poésie contemporaine, MM. Leconte de
Liste et Théodore de Banville. Nous les remercions
de cette faveur, au nom de la jeunesse studieuse.
On peut avec assurance présenter ce nouveau volume au public comme le seul traité scolaire de Mythologie existant aujourd’hui en France.
Sérieux et simple, il passera, dans la famille, des mains des parents, qui y surprendront avec charme la rénovation d’une étude un peu surannée dans leur temps, aux mains de l’enfant ravi d’apprendre quelque chose de vivant et qui ne soit point abstrait.
L’étude de la Mythologie, trop fréquemment, trop continuellement nécessaire pour qu’on l’assigne à un âge spécial, n’est point prescrite pour tel trimestre ou telle année de l’enseignement classique. Un traité bien fait de cette science est un ouvrage que l’écolier doit garder sous la main (avant qu’il ne l’ait dans la mémoire) tout le temps qu’il met à connaître les chefs-d’œuvre de l’Antiquité, c’est-à-dire des premières années jusqu’au dernières de son éducation. C’est autant un livre de lecture qu’un livre de classe ; autant qu’un maître, un ami.
Il y a lieu de nous féliciter que cet ouvrage ait été mis en avant par un professeur de l’Université, et nous acceptons de ce fait l’augure que la Mythologie nouvelle reçue dans les distributions de prix ou empruntée à la bibliothèque de l’étude, deviendra un des livres ordinaires des Lycées et des Collèges, des Pensionnats et des Écoles.
Pages. | |||
L’Hermès grec et le Mercure latin | 115 | ||
La Dionysos grec du le Bacchus latin | 123 | ||
L’Héraclès grec ou l’Hercule latin | 129 | ||
Io avec Prométhée | 142 | ||
Épiméthée avec Pandore | 147 | ||
Asclépios ou Esculape | 150 | ||
Deucalion | 153 | ||
Admète | 156 | ||
Tantale | 157 | ||
Ixion | 160 | ||
Briarée ou Égéon | 163 | ||
Les Héros. — Persée | 164 | ||
Niobé | 173 | ||
Thésée | 175 | ||
Œdipe | 180 | ||
Procris | 188 | ||
Orphée | 191 | ||
Europe | 193 | ||
Méléagre | 196 | ||
Lycaon, Callisto | 200 | ||
Dédale | 202 | ||
Bellérophon | 204 | ||
Scylla | 207 | ||
Iam | 209 | ||
Amphiaréos ou Amphiaraus | 211 | ||
Aréthuse | 213 | ||
Turo ou Tyro | 215 | ||
Narcisse | 216 | ||
Le Pays de l’Immortalité | 218 | ||
|
Pages. | |||
Mythes Inférieurs grecs et Mythes Latins non identifiés avec les Mythes grecs. — Mythes Inférieurs grecs | 222 | ||
| |||
Mythes latins non identifiés avec les Mythes grecs. | 236 | ||
| |||
LES GRANDES ÉPOPÉES | 245 | ||
Les Argonautes | 248 | ||
|
Pages. | |||
Le Conte de Troie. — La Guerre | 254 | ||
| |||
Le Retour | 270 | ||
| |||
APPENDICE | 281 | ||
[Mythes égyptiens et assyriens] | 283 | ||
Note sur la Transcription des Noms de la Mythologie classique et Répertoire Alphabétique | 293 | ||
Poésies modernes ayant trait à la Mythologie | 305 | ||
Table alphabétique des Matières et des Figures | 313 |
ORIGINE ET DÉVELOPPEMENT
DE LA MYTHOLOGIE
[1]
Un vaste assemblage de mythes, de fables, de légendes, voilà ce qu’offre à notre étude la Mythologie, quelque nom que nous donnions à ses éléments : les uns existant en tant que contes d’enfants, d’autres renfermant en germe les poèmes épiques des grands âges ; certains (ils sont plus rares) ne représentent rien de plus que des formes proverbiales. Dieux, héros, démons, et d’autres êtres dont l’appellation est conservée par la croyance populaire, composent l’ensemble des personnages mythologiques [2]. Chaque nation a eu sa mythologie ; et quelques-unes gardent encore leur vieille foi en ces histoires. (C’est ainsi que nous possédons la mythologie non-seulement de la Grèce et de Rome, mais de l’Inde, de la Perse, de la Norvège et d’autres pays. Longtemps avant que l’Europe fût le séjour d’aucune des nations qui l’habitent, et alors que tout était neuf et étrange pour les peuples vivant sur la terre, nos ancêtres parlaient de ce qu’ils voyaient et entendaient d’une façon tout autre que nous ne le faisons aujourd’hui. Ne sachant presque rien d’eux-mêmes et rien des objets qu’ils percevaient autour d’eux et dans le monde entier, ils s’imaginaient que toute chose était douée d’une vie pareille à la leur [3]. C’est ainsi que chacun crut que le soleil et les étoiles, les fleuves et les cours d’eau pouvaient voir, sentir et penser, brillaient ou se mouvaient à leur guise.
Une particularité qui s’impose spécialement à notre attention, quand nous comparons les légendes des différents pays, c’est la ressemblance entre leurs traits les plus importants, qui n’en est parfois même que la répétition.
Quelle est la conclusion à tirer de ce fait, sinon que les légendes de toutes ces nations ont une seule source commune ? Et quelle est cette source ? Les mots et les phrases usités par les anciennes tribus pour parler de ce qu’elles voyaient, entendaient ou sentaient dans le monde situé autour d’elles. Si ces paroles avaient trait au décor ou au jeu de la vie de chaque jour, peut-être se demandera-t-on comment elles ont pu donner naissance à des histoires de géants et de nymphes ou d’autres êtres non réels. Voici : comme le temps marcha, et que les peuples se séparèrent, le vieux sens s’oblitéra, totalement ou partiellement. Je le répète : tant que ces antiques peuplades demeurèrent au même lieu, il n’y eut pas à craindre que les termes qu’elles employaient pour parler entre elles, fussent mal compris ; mais le temps alla, les tribus se dispersèrent. Quelques-unes errèrent au sud, d’autres au nord et à l’ouest ; et il arriva que toutes gardèrent les noms donnés jadis au soleil et aux nuages et à toute chose, alors que la signification de ces noms était presque perdue [4].
Pour résumer ce qui précède, je dirai que la Mythologie est simplement le recueil des on-dit par lesquels les hommes d’autrefois se contèrent tout ce qu’ils voyaient ou entendaient dans les pays où ils vécurent. Cette explication ou clef, qui nous a ouvert presque tous les arcanes de la Mythologie, n’est placée entre nos mains, par la science, que depuis quelques années. Nous percevons donc, nous autres modernes, mieux que ne le firent les peuples classiques, combien, dans leur forme primitive, ces on-dit étaient naturels en même temps que dotés d’une beauté et d’une vérité merveilleuses [5].
Maintenant passons aux preuves.
Toutes se résument en ce fait que beaucoup de noms qui en grec et en latin n’ont aucune signification, sont parfaitement intelligibles dans d’autres langues, qui les conservent plus voisins de leur origine. Que d’exemples ! c’est en foule qu’ils viennent à la mémoire de qui a étudié les auteurs classiques. Ces noms, Argynnis, Phoronée et Érinnys, sont, en grec, des mots qui ne présentent aucun sens. Or ils s’expliquent dans la vieille mythologie de l’Inde, et l’on y voit qu’Érinnys est l’aurore lorsqu’elle « rampe dans le ciel » ; Argynnis, un nom du matin, désignant ce qu’il a de brillant ; Phoronée, c’est le dieu du feu, Bhuranyn. Tel cas même se présente où la vieille signification des mots n’est point totalement effacée. Voyez l’histoire d’Endymion ; Séléné, qui le visite, y est encore la lune : tout ce que l’on avait oublié, c’est qu’Endymion était le nom du soleil quand il plonge dans la mer, si bien qu’on prit celui-ci pour un jeune homme que la lune avait regardé complaisamment. Beaucoup de noms, dans la mythologie grecque notamment, s’expliquent de cette façon : peut-être le plus grand nombre. Ainsi Phoibos veut dire seigneur de « la lumière » ou de « la vie » ; et Délos, où est né le dieu, veut dire « la terre brillante » ; c’est de là qu’il est aussi appelé Lykégénès, issu de la lumière. Sa mère est Léto (Latona), qui veut dire « la nuit d’où semble surgir le soleil ». Ainsi encore Endymion, dont nous avons tout à l’heure entrevu la signification, soleil couchant, dort en Latmos, « la terre de l’oubli ». Un détail à noter, c’est que les mêmes noms, ou des noms tout semblables entre eux, appartiennent à la fois, dans ces contes, aux hommes et aux femmes. Je cite. La mère de Cadmos et d’Europe est Téléphassa, qui veut dire « celle qui brille de loin », ou simplement une autre forme du nom de Téléphos, qui est aussi enfant d’Augé, « la lumière ». Toujours de même, les noms d’Europa et d’Eurytos, d’Eurymédon, Euryanassa, Euryphassa, et nombre d’autres, désignent une lumière « répandue au large », comme celle de l’aurore quand elle s’élance par le ciel. Les incidents enfin se ressemblent entre eux aussi étroitement que les noms. Exemple : dans un très-grand nombre de légendes, maints parents, avertis que leur fils les détruira, exposent cet enfant, qui est sauvé par une bête sauvage et élevé par un berger. Les enfants grandissent toujours beaux, braves, forts et généreux ; mais, à leur insu ou contre leur volonté, ils accomplissent la prédiction faite avant leur naissance et sont les meurtriers de leurs parents. Qui ne se rappelle plusieurs contes ayant en commun ce trait ! Persée, Œdipe, Kuros (nommé à tort, en français, d’après le latin exclusivement : Cyrus), Pâris, Romulus, sont tous exposés, petits enfants ; tous sauvés de la mort et découverts à cause de la splendeur de leur physionomie et de la dignité de leur port. Ou consciemment ou inconsciemment Persée tue Acrisios, Œdipe tue Laios, Kuros égorge Astiage, Romulus tue Amulius, ainsi que Pâris cause la mort de Priam et la ruine de Troie. Cherchons d’autres traits communs présentés par ces histoires. Les héros ont généralement une vie courte, mais brillante, et ils doivent travailler pour autrui, non pour eux-mêmes. Ainsi Héraclès (appelé à tort, en français, d’après le latin exclusivement : Hercule) est l’esclave d’Eurysthée, Achille va à Troie pour une querelle qui n’est pas la sienne, Persée se donne du mal aux ordres du roi Polyclète. Tous, ils sont tueurs de monstres et par mille moyens secourables aux hommes. C’est Bellérophon qui tue Belléros et la Chimère, c’est Persée qui détruit la gorgone Méduse ; puis Thésée extermine le Minotaure, Œdype frappe le Sphinx, et Phoibos Apollon met à mort le serpent Python.
Sortons de la mythologie classique : le fait se répète en la légende de tous pays. Indra, aux contes indiens, tue le dragon Vitra, et Sigurd, dans la vieille histoire norse, tue le grand reptile Fafnir. Rustem, montré par les récits perses, est aussi brave et aussi puissant qu’Héraclès, et ses exploits sont de même genre. Tous ont des lances et des épées invincibles, et ne peuvent être blessés qu’à un endroit de leur corps ou que par une espèce particulière d’arme. Partout ces héros se ressemblent de figure et de caractère, aussi bien que par le cours général de leur vie. Tous ont de beaux visages, et des boucles d’or leur flottent aux épaules. Ils sacrifient leurs aises au bien des autres, et pas un cependant qui ne soit tenté d’abandonner ou d’oublier les fiancées de sa jeunesse et ne le fasse. C’est ainsi qu’Héraclès se sépare d’Iole et que Pâris quitte Œnone ; Thésée laisse Ariane, et Sigurd fuit loin de Brunehilde. Sujets aussi à l’étrange accès d’une tristesse noire et soudaine, ils partent ; mais voici que tout devient obscur ou morne, en leur absence du banquet et de la bataille. Mais ils surgissent à la fin dans toute leur gloire première, et ont le pardon des femmes que blessa leur abandon.
Tirons ceci de ces ressemblances, qu’elles ne peuvent être accidentelles ; et comme nous savons que les Grecs, et les Romains, et les Hindous, et les Perses et les Norses n’ont pu copier pareilles fables les uns sur les autres, il y a trois ou quatre mille ans, force est d’en suivre la trace jusqu’à une source commune : quand les ancêtres de toutes ces tribus vivaient, comme nous l’avons dit, dans le même lieu. Où donc est la racine, où donc le germe de toutes ces histoires ? Toujours dans ces mots, toujours dans ces phrases, qui peignirent d’abord les événements ou les scènes du monde extérieur. Exemple : dans les plus vieux hymnes hindous, on dit que le Soleil aime l’Aurore, et que le Soleil tue la Rosée en la regardant ; or les Grecs disaient que Phoibos aimait Daphné, et que Procris fut tuée par Céphale. Toutes ces histoires enfin sont réellement les mêmes, parce que des mots comme Procris, Daphné, Briséis, Hermès, les Charites et Échidna, qui n’ont pas de signification claire en grec, représentent dans les anciennes langues de l’Inde simplement des noms communs signifiant la rosée et le soleil, le matin avec ses beaux nuages et ses douces brises, les chevaux luisants du soleil, et le serpent étouffeur que sont les ténèbres.
La conséquence de cet oubli de la signification première des mots, c’est que beaucoup de récits ont été dénaturés et que certains devinrent même choquants. Ainsi les hommes ayant dit du Soleil, au temps de la sécheresse, qu’il tuait les fruits de la Terre, qui était sa fiancée, les Grecs racontèrent que Tantale, roi d’Orient, tua et fit cuire son propre enfant. Et encore : on avait trouvé jadis que le Soleil, après avoir exterminé toutes choses nuisibles et réjoui de sa clarté la Terre, s’unit, le soir, à l’Aurore, par lui laissée le matin. Mais quand les Grecs eurent oublié ce que signifiait le nom d’Œdipe, ils dirent de ce personnage qu’après avoir frappé le Sphinx, il se maria avec sa propre mère, et que des maux terribles s’ensuivirent.
Rien de tout cela n’a été fait à dessein, et nul ne s’est jamais mis à l’œuvre pour présenter les dieux et les héros comme passant leur temps à accomplir des actes dont la pensée seule implique une honte. Il ne peut y avoir d’erreur plus grande que de croire à des nations entières soudain saisies d’une folie étrange qui les pousse à inventer toutes sortes de contes ridicules et tristes, et que chaque nation eut, à son tour, son heure de cette démence. Comment lancer une telle accusation contre des peuples qui nous ont laissé des légendes aussi belles que celles de Déméter, de Niobé, de Cadmos, et d’Hélène et d’Œnone, de Persée et de Sarpédon ? Peut-être est-il fort absurde de dire que Cronos (le père de Zeus ou Jupiter) dévora ses propres enfants ; mais nous savons qu’il ne l’est point de dire que le Temps dévore les jours issus de lui. Or la vieille phrase ne voulait dire que cela et rien de plus ; seulement les peuples, avant de fouler la Grèce, avaient oublié déjà sa signification. Règle générale, ces antiques tableaux que nous offre la Mythologie, sont la Mythologie véritable, c’est-à-dire qu’il faut d’abord apprendre sa formation ; il restera à connaître plus tard ses transformations capricieuses, celles que lui font subir les fables des poètes [6]. Étudiée selon ce mode nouveau, la Mythologie jette une vive lumière sur l’histoire primitive des nations européennes.
L’époque où l’on se mit à régler la Mythologie, c’est quand l’évolution en était déjà complètement faite ; le hasard qui se mêlait aux mythes dans l’esprit des Grecs (car c’était une condensation libre d’images vaporeuses et naturelles) incita ce peuple harmonieux à trouver une ordonnance qui n’existait pas essentiellement. On serait étonné si l’on voyait des tables généalogiques montrer la liberté avec laquelle plusieurs États grecs ou des villes traitaient leur fonds commun de contes légendaires ; car ce que j’appellerai la « vitalité mythique », demeura encore quelque temps après que les Aryas furent fixés en leurs terres helléniques. Mainte table, facile à faire d’après les auteurs, présente les mêmes noms dans des rapports tout à fait différents ; impossible de les faire s’accorder historiquement, mais ils s’accordent strictement avec les phrases mythiques qui furent les racines de ces généalogies, où dieux, héros, hommes sont inextricablement mêlés. N’imitons pas, nous, ces efforts postérieurs, mais apprenons maint symbole.
Nous devons tout regarder ici comme des contes parfaitement beaux et inoffensifs, graduellement défigurés en dehors de la volonté ou même de la conscience des interpolateurs. Bien entendu — c’est le détail le plus important à tirer de la digression ouverte par les quelques réflexions présentes — que les peuples anciens ne s’appliquèrent en rien à disposer leurs dieux ou leurs héros en groupes et en classes. L’ordre dans lequel on range quelquefois ces mythes est l’œuvre d’un âge très-postérieur, et cet ordre, si nous y arrêtons notre esprit, nuira plus qu’il ne servira à l’effort fait par nous pour comprendre les légendes [7].
Cette science intéressante, la Mythologie, nous montre que les ancêtres des Germains ou des Norvégiens, des peuples latins ou des Grecs, subissaient, tous, les mêmes impressions, les mêmes espoirs et les mêmes craintes que nous aujourd’hui, malgré des différences inévitables ; et, somme toute, telle qu’elle était, chacune était belle et vraie. Au fond, je les vois, ces pensées, les mêmes qui inspirent le langage des poètes de tous les temps et de tous les pays. Oui, maintenant comme autrefois, les poètes ne font autre chose qu’attribuer la vie à ce qu’ils voient et à ce qu’ils entendent autour d’eux. Qu’importe l’image elle-même ? Tout au moins elle revêt, dans l’étude des mythes du passé, un charme historique qui est à la fois curieux et touchant. Qu’est le Soleil ? Un fiancé qui sort de sa chambre ou un héros qui se réjouit de parcourir sa route. Telle est l’idée qui fait le fond des légendes d’Héraclès, de Persée, de Thésée, d’Achille et de Bellérophon, et de beaucoup d’autres ; et tous les hommes d’à présent dont le cœur ou l’esprit sont ouverts à la beauté du ciel et de la terre, sentiront la séduction, spéciale et permanente à la fois, que comporte la Fable.
Passons maintenant à un point de vue très-différent et qu’il ne faut pas négliger. Grave question, la Mythologie est-elle la religion des anciens ? Oui : en tant qu’une religion peut ne pas fournir certaines impressions religieuses nécessaires et que seront obligés de puiser autre part ses adeptes, soit dans les maximes des poètes, des philosophes, ayant sur la vie l’influence morale et sacrée que n’a pas, en principe, la théogonie grecque. Il se formera, avec l’aide de la conscience humaine, de cette façon, deux courants idéals distincts : l’un, situé entre la religion et la fable, est le mythologique proprement dit ; un autre serait celui qu’aujourd’hui nous appellerions simplement le religieux. Que tous deux se présentent sous le couvert des mêmes paroles anciennes, bien que restant totalement différents, cela est abondamment prouvé par la littérature grecque, non moins que par la littérature hindoue. Ne point croire que, dans les temps antiques, un homme qui prononçait fréquemment le nom de Zeus, fît une allusion continuelle à un personnage unique ; non : il parlait comme deux langues très-distinctes. Zeus existait double au fond de son âme : le Zeus embrassant les noms et les actes des phénomènes par ce dieu personnifiés, et le Zeus père universel, imploré dans le malheur et remercié dans la joie, qui voit tout et que personne ne vit jamais. Le Paganisme empruntait, inconsciemment, à la religion unique, latente, certaines de ses inspirations les plus pures, comme cette dernière, dans sa phase moderne, qui est le Christianisme, a emprunté aux vieux rites plusieurs manifestations extérieures de son culte [8].
Si l’élément poétique l’emporta décidément, dans la Mythologie, sur l’élément purement religieux, quelle est donc l’idée, chère au poète, qui pourrait, selon la science moderne, ordonner en un système le groupe épars des dieux et des héros ? Nous parlons aujourd’hui du Soleil qui se couche et se lève avec la certitude de voir ce fait arriver ; mais, eux, les peuples primitifs, n’en savaient pas assez pour être sûrs d’une telle régularité ; et quand venait le soir, ils disaient : « Notre ami le Soleil est mort, reviendra-t-il ? » Quand ils le revoyaient dans l’Est, ils se réjouissaient parce que l’astre rapportait avec lui et sa lumière et leur vie.
Tel est, avec le changement des Saisons, la naissance de la Nature au printemps, sa plénitude estivale de vie et sa mort en automne, enfin sa disparition totale pendant l’hiver (phases qui correspondent au lever, à midi, au coucher, à la nuit), le grand et perpétuel sujet de la Mythologie : la double évolution solaire, quotidienne et annuelle. Rapprochés par leur ressemblance et souvent confondus pour la plupart dans un seul des traits principaux qui retracent la lutte de la lumière et de l’ombre, les dieux et les héros deviennent tous, pour la science, les acteurs de ce grand et pur spectacle, dans la grandeur et la pureté duquel ils s’évanouissent bientôt à nos yeux, lequel est : La Tragédie de la Nature [9].
MYTHOLOGIE DES ARYAS
I. — MYTHES HINDOUS, NORSES ET PERSES
ette mythologie forme un système
religieux particulier, et, à lui
seul, ce système est à proprement
parler ce qu’on appelle la Mythologie.
Les Aryas, vous le savez
tous, jeunes gens, sont une des grandes
races humaines que l’on distingue particulièrement
de la race des Sémites (la
même origine sémitique relie entre eux
les anciens Juifs et les Arabes). Indiquons
les peuples qui appartiennent certainement
à la race aryaque : presque
tous ceux qui, aussi loin que va l’histoire, habitèrent
l’Europe, et, dans l’Asie, la Perse et l’Inde. Quant à
un berceau mystérieux, toutes les conclusions scientifiques
s’accordent à le placer à peu près au centre de la
Grande-Asie, dans les vallées de l’Oxus. L’Arya se
répandit dans toute l’Europe et dans une grande partie
de l’Asie, par migrations successives de tribus, allant devant elles chercher des régions inconnues et libres.
Nomades qui rencontraient, dans le pays choisi pour
s’y fixer, les descendants de tribus congénères des leurs
peuplant déjà ces terres ; une seconde couche aryaque
se formait alors dans ces lieux. Pour assigner un ordre
probable à ces migrations successives, j’ajoute que la
première fut, peut-être, celle à qui l’on donne le nom
de migration germanique et slave ; puis une autre se
dirigea vers la Perse et vers l’Inde, pendant qu’une
dernière trouvait lentement le chemin des contrées plus
tard appelées la Grèce et l’Italie, ainsi que des vastes
terres qui devinrent le sol celtique.
Quelqu’un de vous me demandera si toutes ces tribus emportaient avec elles leurs déités. Elles emportaient au moins une langue commune, à laquelle étaient confiés des mythes communs. L’éloignement où vécurent l’une de l’autre les peuplades errantes ou fixées, fit que leur langue se différencia et se refondit en idiomes nouveaux ; et de la même façon les mythes, mêlés intimement à la parole, acquirent une existence nouvelle et isolée. Mais langues et mythes ne se sont jamais si complètement transformés, que deux sciences, celle du Langage et la Mythologie, ne puissent, par leur effort récent, retrouver la parenté originelle des mots et des dieux.
riple mythologie et qui se présente à nous en un groupe unique.
Ce n’est pas que les mythes
hindous soient plus intimement
unis aux mythes perses, ou ceux-ci
aux mythes norses, que les mythes
norses, perses ou hindous ne le sont
aux latins et aux grecs. Non, mais les
derniers cités, avec cette particularité,
du reste, que les latins ne sont qu’une
reproduction presque artificielle des
grecs, forment ensemble ce qu’on peut
appeler la Mythologie classique, ou celle qui correspond
aux deux langues étudiées jusqu’à présent par tous les
esprits cultivés. La mythologie des Hindous demeure,
malgré que se popularise en Europe la lecture des Védas,
la préoccupation presque spéciale de savants versés dans le
sanscrit ; il en est de même de la mythologie des Perses, leur langue, le zend, ne comptant encore qu’un petit nombre
d’initiés. Quant à la mythologie norse, ceux à qui
elle n’est pas totalement étrangère l’ont entrevue dans la
traduction des épopées scandinaves ou apprise aux représentations
de Drames lyriques allemands. Mais, non plus
que les précédentes, elle ne nous est à proprement parler
familière ; et c’est pour ce motif seul que l’étude présente,
qui jette sur les mythologies mêlées à notre civilisation
par l’art et par la poésie les clartés nouvelles de sa
méthode scientifique, place les dieux ou les héros de la
Grèce et de l’Italie en pleine lumière, tandis qu’elle fait
avec les mythes norses, perses et hindous comme le fond
lointain et spacieux du panthéon aryaque.
Wishnu et Lakschmil sur le Serpent, et la fleur de lotus d’où sort Brahma.
Le Véda, le recueil des hymnes, ou les Védas, si l’on parle des hymnes pris en eux-mêmes, nous offre le plus ancien monument de notre race : un ensemble des chants religieux en honneur chez les premiers Aryas émigrant vers l’Indus. Ce livre nous fait assister à la naissance ainsi qu’à la formation des doctrines primitives religieuses qui sont familières à notre esprit. C’est à sa lecture qu’il faut demander l’expression authentique de la mythologie hindoue, qui, de notre temps, doit comme illuminer celle des deux nations classiques. « Les ancêtres ont façonné les formes des dieux comme l’ouvrier façonne le fer, » dit un des poètes védiques.
Quelque chose donne à la mythologie védique ou hindoue primitive une valeur toute spéciale : c’est qu’elle offre la clef de celle des Perses, des Grecs, des Latins et d’autres peuples. Ainsi les noms sous lesquels les Grecs désignaient différents dieux et héros, sont dans les Védas de pures épithètes sur la signification desquelles nul ne saurait se méprendre, et l’on peut suivre les légendes les plus compliquées et en retrouver la racine dans quelque phrase extraite des plus anciens de tous les poèmes, les Védas. Cette phrase, dans ces poèmes, présente simplement un incident ou un phénomène mêlé au cours des choses qui forment le monde extérieur. Je citerai quelques exemples. Dans les Védas, Arjuni, Brisaya, Dahana, Ushas, Sarama et Saranyu sont des noms de la lumière du matin ; pour les Grecs, c’étaient autant d’êtres particuliers qu’ils connaissaient sous la forme d’Argynnis, de Briséis, de Daphné, d’Éos, d’Hélène et d’Érinnys. Les Védas parlaient du Panis, cause par ses tentations de l’infidélité de Sarama ; pour les Grecs, ce texte devient le rapt d’Hélène par Pâris et la légende multiple de la guerre de Troie.
Maintenant il faut distinguer la mythologie hindoue primitive d’avec celle des derniers temps. La mythologie tardive est aussi inextricable que la primitive est simple ; mais la façon dont le système mythique s’est développé dans l’Inde jette la plus vive lumière sur l’évolution semblable qui s’est accomplie dans les autres contrées. Notamment il n’y a pas, dans les très-vieux poèmes, de généalogies ou de mariages réglés entre les dieux. La sœur dans cette légende est la femme, ou la mère dans cette autre ; et l’on parle du même être en différentes occasions comme du fils et du frère à la fois de tel dieu. Les déités principales de ces anciens hymnes, celles qui certainement sont les plus importantes, sont peut-être Varuna, Agni et Indra. Le premier, Varuna, personnifie le vaste ciel qui s’étend sur la terre comme un voile. Mais nombre des hymnes lui sont adressés simplement comme au seul dieu auteur du monde [12]. On retrouve du reste l’instinct monothéiste dans les chants védiques. Un être tout-puissant, à la fois notre père, le maître qui nous enseigne et notre juge : il habita d’abord la terre aryaque. Il est Varumna, quoique Mithra s’y ajoute ; enfin il est Adytta, et le Cronos grec. Varuna se trouve dans la mythologie grecque, en tant qu’Ouranos. Mais, au contraire de Zeus (le Dyaus sanscrit), qui devint, en Grèce, le nom du dieu suprême, Ouranos y perdit son importance et disparut même presque totalement.
Qu’est Agni, le deuxième dieu ? Le feu qui, lorsque le combustible est allumé, « s’avance comme un cheval de guerre, hors de sa prison, laissant derrière lui une trace obscure de fumée. » Agni ne se trouve pas dans la mythologie occidentale, mais on reconnaît son nom dans ce mot latin : ignis, le feu. Indra complète ce groupe ternaire, lui le dieu du ciel clair, et aussi de la lumière, de la chaleur et de la pluie fertile (fig. 6) ; il tire son nom d’une racine du langage qui désigne la fluidité, et répond ainsi au Jupiter fluvius des Latins.
On le représente principalement combattant Vritra, l’ennemi
qui, en enfermant la pluie, apporte la sécheresse
à la terre ; ce dernier est un grand dragon, tué par la lance d’Indra, de même que Python est percé par celle
d’Apollon. Vritra prend d’autres formes dans la mythologie
de l’Occident et correspond exactement au Sphinx
(en l’histoire d’Œdipe), au dragon de Libye exterminé par
Persée, à Fafnir abattu par Sigurd, aussi bien qu’aux
nombreux monstres tués par les autres héros. Son nom, du
reste, existe dans les légendes grecques : c’est le même que
Fig. 6. — Agni.
celui d’Orthros, mythe qui, avec Cerbère, le Parvara védique,
garde les portes du Hadès répondant au Yama hindou.
N’oublions pas les Harits, qu’il sied même de nommer tout d’abord : ils sont, dans les hymnes védiques, les chevaux brillants du soleil, et deviennent en Occident de belles femmes, appelées par les Grecs les Charites, par les Latins Gratiæ, ou les Grâces (d’une racine ghar, briller). Vient aussi Trita et Traitana. J’y vois des noms donnés au dieu du ciel clair, lesquels reparaissent dans le grec Triton et Tritogénée. Il y a les Maruts, vents d’orage, dont l’appellation (de mar, moudre) reparaît en celle de l’Arès grec, le Mars latin, et de Mors, la mort, ainsi que dans le teuton Thor Miölnir, « celui qui écrase. »
Vous n’êtes point sans avoir entendu parler des Rishis,
sept sages qu’on supposait habiter les sept étoiles de la
constellation que nous appelons la Grande Ourse. Ces
Fig. 7. — Brahma avec Saraswati.
étoiles s’appelèrent d’abord les sept Arkshas, ou « brillantes »,
mais, comme Rishi vient de la même racine,
on confondit les deux mots, tout comme en Grèce
on les convertit en ours, le mot de arctoï, ours, appartenant
également à cette racine. Comparaisons diverses :
le nom Bhuranyu est le même que le grec Phoronée,
tandis que Pramantha répond à Prométhée ; Ushas est un nom de l’Aurore, qui reparaît dans le grec Éos et
Fig. 8. — Siva.
Fig. 9. — Wishnu.
le latin Aurora. Voyez enfin
dans Arusha un nom du Soleil,
quand il commençait sa
course à travers les cieux et
représenté, comme tel, sous
la figure d’un bel enfant : on
devine qu’il reparaît dans
l’Éros grec, ou dieu de l’amour,
qui répond au latin
Cupido, Cupidon. Mais Éros
à son tour est fils d’Iris, une
autre forme du moi, déité appelée
la Messagère des dieux,
tout comme on dit d’Arusha
qu’elle éveille la terre avec ses rayons. Ces rayons deviennent
les dards ardents d’Éros et de Cupido, enflammant
d’amour les cœurs qu’ils percent.
Passons aux dieux de date plus récente, à Brahma,
d’abord (fig. 7) : on le dit fils de Brahm, nom de la
grande Cause première de toutes choses. Brahma, Vishnu,
Siva, forment à eux trois la Trimurti postérieure, ou
Trinité ; Brahma étant le Créateur, Vishnu, celui qui
Fig. 10. — Krishna avec Siva et Wishnu.
conserve, Siva, le destructeur. Siva est connu sous un
autre nom, on l’appelle fréquemment Mahadeva ou Mahadeo
(en grec, Megas Theos), le grand dieu (fig. 8) ;
et on le regarde comme le reproducteur, car détruire,
selon la philosophie indienne, n’est que reproduire sous
une autre forme. Quant à Vishnu (fig. 9), l’Inde honora
ses avatars, incarnations du dieu, accomplies par lui pour l’exécution de desseins spéciaux. Le nombre des
avatars est fixé à dix ; lorsque le dixième aura lieu, ce
sera la destruction du monde, et Brahma recommencera
son œuvre de créateur. Krishna (fig. 10), qui complète
ma nomenclature succincte, est issu, selon quelques légendes,
de l’un des cheveux de Vishnu, et il mit au
monde, à son tour, Rudra, le destructeur. Ce dieu
acquiert une importance très-considérable dans la mythologie
tout à fait postérieure des Hindous. Faut-il dire
encore que ce personnage, Savitar, n’est autre chose qu’un
nom du soleil, en tant que « dieu à main d’or », à cause
de ses rayons ? Oui ; pour ajouter que, le nom plus tard
pris à la lettre, l’histoire courut que le soleil, offrant un
sacrifice, s’était coupé la main, et que cette main fut
remplacée par une d’or. Porte le titre de dieu aussi un
sage législateur, fils de Brahma, Manu. C’est le même que
le Minos grec, et son nom vient d’une racine commune
aux mots mens et homo : l’homme tirant son nom
de ce qu’il est « celui qui mesure », soit le penseur.
e qui rend la mythologie perse
particulièrement remarquable,
c’est le sens spirituel ou moral
qu’elle greffe sur des phrases et
des légendes qui n’avaient rapport
originairement qu’à des objets matériels
ou physiques. La bataille d’Indra et de
Vritra, qui dans l’Inde était un conflit
entre le dieu du soleil ou du ciel et le
dragon supposait le gardien de
la pluie, devint en Perse la lutte spirituelle
entre le bien moral et le mal
moral, de façon qu’un texte, suggéré par un spectacle
très-commun du monde extérieur, se trouva être le fondement
d’une philosophie connue sous le nom de Dualisme
(en d’autres mots, le conflit entre deux dieux, l’un bon,
l’autre mauvais). Les vieux noms, ou contemporains des
premiers âges de la race en son ensemble, se conservèrent
et, dans beaucoup de cas, restent ceux des
mythes plus modernes. C’est ainsi que Trita, ou Traitana, devient pour les Perses Thraetana, tandis que
Verethragna, ou « exterminateur de Verethra », le Feridun
de la poésie épique postérieure, répond au Vritrahan
védique ou « exterminateur de Vritra. » Feridun est, à
son tour, l’exterminateur de Zohak (nom qui s’écrivait
d’abord Azi-dahâka, le serpent qui mord) ou de Ahi, qui
nous reporte cette fois à l’Echidna grecque. Le nom de
Zohak reparaît dans celui d’Astyage (Asdahag), roi de
Médie, qui est défait et détrôné pair son petit-fils Kuros
(appelé à tort, en français, d’après le latin exclusivement :
Cyrus), comme Laios, roi de Thèbes, est tué par son fils
Œdipe.
Le germe de pareille idée morale, je le retrouve aux hymnes védiques : dans une prière déprécatoire que font quelquefois les adorateurs, voulant que Vritra, l’ennemi, n’étende point sur eux son pouvoir. Ce combat du bien et du mal a été désigné sous d’autres noms ; on en parle aussi comme du grand conflit entre Ormuzd et Ahriman. Qu’est-ce qu’Ormuzd ? Le nom du dieu bon. Un mot perse ? Non. On ne peut même l’expliquer par la langue perse, mais le Zendavesta donne ce nom sous la forme Ahurômazdâo, nous reportant ainsi au mot sanscrit Asurômedhas, qui signifie « esprit sage ». Un autre nom d’Ormuzd était Speutô-mainyus, ou « l’esprit saint ». Le nom donné dans les livres anciens au pouvoir opposé à Ahurômazdâo est celui de Drukhs, mot qui signifie simplement « tromperie ».
Qu’est-ce donc que le nom d’Ahriman ? C’est un nom qui veut dire un esprit du mal et qui fut donné, dans une époque postérieure, au pouvoir connu en tant que Vritra et que Drukhs. Dans le Zendavesta, l’esprit saint (Speutô-mainyus, c’est-à-dire Ormuzd) et l’esprit de mal (Ahro-mainyus, c’est-à-dire Ahriman) passent pour avoir créé le monde. Quant aux Devs ou Divs, il faut voir en eux des esprits dont le nom est parent du grec Theos et du latin Deus. Les adeptes de Zoroastre se séparèrent des adorateurs des Dévas, c’est à-dire des déités védiques, et déclarèrent dans leur profession de foi en faveur du Zendavesta : « Je cesse d’être adorateur des Dévas [13]. Je professe l’adoration selon Zoroastre, d’Ahuramazda, et suis l’ennemi des Dévas et dévot à Ahura. »
Chasse céleste, aux brumes du Nord.
Les systèmes mythiques des tribus de l’Europe du Nord sont en substance les mêmes que ceux des Grecs. Ils prennent tous racine en des mots ou des phrases qui représentaient les spectacles et les bruits du monde matériel ; mais les histoires issues de ces racines ont été, dans chaque contrée, modifiées par les influences du sol et du climat. C’est ainsi que la Mythologie au nord de l’Europe assuma nécessairement un caractère sombre et grave, et que le combat de Phoibos contre Python, ou d’Indra contre Vritra, devint ta lutte constante et de tout pour avoir la vie ou donner la mort. L’histoire où cette lutte est peinte se nomme le Saga Volsunga, ou conte des Volsungs, qui fut, dans la suite, remanié en forme de poème épique appelé le Chant des Nibelungen ou Chant des enfants de la brume. Le héros de ce chant s’appelle Sigurd, fils de Sigmund, fils de Volsung, descendant d’Odin.
Il naquit après la mort de son père et devint le beau-fils de Régin, le forgeron du roi de Danemark, qui le poussa à tuer le dragon Fafnir, gisant enroulé sur la bruyère étincelante. Le dragon périt de l’épée forgée par Régin avec les morceaux brisés de Gram, autre épée qu’Odin lui-même avait enfoncée jusqu’à la garde dans un chêne, afin que celui-là l’y prît qui serait assez fort pour la retirer. Sigemund, père de Sigurd, la retira, et il vainquit de cette arme tout ennemi, jusqu’à l’heure où Odin, sous un déguisement, lui présenta une lance contre laquelle l’épée se brisa en deux morceaux. Fafnir tué, Sigurd devint possesseur de tout le trésor situé dans les puissants replis du monstre, et, mangeant son cœur, il en tira encore une sagesse supérieure à celle des mortels. Le héros, passant son chemin, vînt à une bruyère ; de violentes flammes y entouraient une maison où dormait la belle vierge Brunehilde, Sigurd chevaucha par le feu, et, à son toucher, la vierge s’éveilla. Ils engagèrent mutuellement leur foi, et Sigurd dirigea sa monture vers la demeure de Giuki, le Niflung, qui décida que le héros épouserait sa fille Gudrum, et que Brunehilde serait la femme de son fils Gunnar. Mais Gunnar ne peut pas, au retour, chevaucher dans la flamme, et, par de magiques artifices, Sigurd prend la forme et la voix de Gunnar et s’empare de Brunehilde. Or, découvrant cette trahison, Brunehilde poussa Gunnar à tuer Sigurd ; mais, comme dans le cas de Baldr, lui et ses frères avaient juré de ne pas porter la main sur le héros. Tous demandent en conséquence à Guttorm de faire ce qui leur était, à eux, interdit ; et c’est ainsi que Sigurd est tué pendant son sommeil. Sa mort réveille tout l’amour de Brunehilde, qui expire, le cœur brisé, sur son bûcher funèbre.
Sigurd ressemble à maint autre héros ; plusieurs traits caractéristiques de ce personnage, même presque tous, le rendent analogue à Persée, Achille, Thésée, Phoibos, Phaéton et Odyssès (appelé à tort, en français, d’après le latin exclusivement : Ulysse).
L’épée Gram enfoncée dans le chêne correspond, elle, à l’épée et aux sandales que cache Égée, lequel les place sous une grosse pierre ; Thésée en devient le possesseur lorsqu’il a la force de soulever la pierre ; songez aussi aux armes qu’Héraclès laisse près d’Échidna[14]. N’est-ce pas enfin la même chose que la lance invincible de Phoibos, sans parler des rapports qu’elle présente avec l’armure forgée par Héphaistos pour Achille : toutes armes merveilleuses ? Quelqu’un donne cette épée Gram à Sigurd ; sa mère Hjordis, tout comme Thétis, apporte à son fils Achille l’armure forgée par Héphaistos. Je revois aussi dans le meurtre de Fafnir le même incident que l’extermination de Python, Vritra et du Sphinx, puis du Minotaure et de la Chimère. Comparez la sagesse de Sigurd à celle d’Iam et de Mélampe, qui tous deux également la reçoivent de serpents[15]. Pourquoi ? Parce que le mot « dragon » voulait simplement dire un être qui voit au loin ou doué d’une vue perçante. Cent questions nous viennent aussitôt à l’esprit, suivies d’une réponse aussi prompte. — Qu’est-ce que le sommeil de Brunehilde ? Un sommeil comme celui d’Adonis et d’Osiris, et l’inaction de la vierge (χορή) Perséphone, dans la demeure d’Hadès [16]. — Quest-ce que le moyen de gagner Brunehilde ? Après le meurtre du dragon, tout se passe comme après l’extermination du monstre de Libye ; là Persée gagne Andromède : la mort du Sphinx aboutit aussi au mariage d’Œdipe et de Jocaste. — Quel charme plongea Brunehilde dans son profond sommeil ? Odin la blessa d’une épine, comme agit Isfendigar dans l’épopée perse. Cette épine de la nuit ou de l’hiver répond à la morsure de serpent qui tue Eurydice dans l’histoire d’Orphée [17]. — Que représente l’abandon de Brunehilde ? Simplement une autre forme de l’abandon d’Ariane par Thésée, ou d’Œnone par Pâris, qui répond aussi à la séparation de Pénélope et d’Odyssès (improprement appelé, d’après le latin, Ulysse), quand il la quitte pour aller à Troie. Le retour de Sigurd vers Brunehilde, sous l’aspect de Gunnar, se lie bien au retour de Céphale, déguisé, près de Procris, qu’il avait délaissée [18]. — Gudrun qu’est-elle par rapport à Brunehilde ? Ce qu’est Déjanire par rapport à Iole, et Hélène à Œnone. L’abandon est, dans l’un et l’autre cas, suivi de la vengeance. Sigurd meurt, comme Pâris, dans le repentir de sa faute. La mort du héros ravive, dans l’un et l’autre cas, l’amour de la femme délaissée, et Œnone et Brunehilde expirent chacune sur le bûcher funèbre de son époux. Ce qu’il faut noter aussi, si nous comparons cette histoire avec d’autres légendes teutones [19], c’est que les poètes ne pouvaient apparemment échapper au cercle enchanté dans lequel ils aimaient à reproduire, sous le déguisement de noms, de lieux et d’incidents différents, la grande et touchante Tragédie de la Nature, ainsi que nous l’avons appelée précédemment.
Cela se voit dans l’histoire mythique des descendants de Sigurd. Trait pour trait, tout y est répété pour ce qui est du fils du héros, appelé Ragnar Lodbrog. Comme Sigurd, Ragnar gagna sa première femme Thora parce qu’il la délivra d’un dragon, et, comme Sigurd, il la délaisse. Suivons ce que devient Gudrun dans le conte Volsung : elle épousa Atli, frère de Brunehilde ; mais lorsqu’Atli tua Gunnar et les frères de celui-ci, Gudrun, pour se venger, tua les enfants du meurtrier et ensuite leur père lui-même. Comme il est de plus en plus clair à nos yeux que ces incidents répondent à des mythes grecs ! Ce meurtre des enfants d’Atli se répète dans le meurtre des enfants de Jason par Médée [20].
Mais élargissons le cercle ici tout spécial de nos comparaisons.
Les Niflungs ou Nibelungs, ce sont des habitants
de Niflheim, la terre ou le site des brumes froides :
en d’autres termes, ils répondent à Phrixos et à Hellé,
les enfants de Néphélie, la brume, qui s’en alla avec le trésor de la toison d’or tout comme les Niflungs emportent
les trésors de l’été. On vénérait Odin : ce dieu répond
Fig. 14. — Freya.
au Zeus grec et s’appelle l’Alfadir (l’anglais dirait father
of all, père de tous). Sa femme s’appelle Freya ou Friga
(fig. 14), et elle est la mère de Thor et de Baldr. Thor,
avec son puissant marteau, en tant que Thor Miölnir, le batteur et le broyeur, est parallèle aux Alvada grecques
et aux Maruts indiens (fig. 15). Une légende s’offre
à nous, reconnaissable : Baldr était le plus beau de tous
les habitants du Valhalla ; mais, quoique tous les autres
dieux eussent juré de ne pas lui faire de mal, Loki,
Fig. 15. — Thor.
lequel n’avait fait aucun serment, « le détruisit à l’aide
du gui ». Ce fait répond au meurtre d’Isfendigar tué par
une épine et d’Adonis tué par la défense du sanglier.
Quant à Loki, déité malveillante, on le dépeint comme
le grand serpent qui entoure le monde, père d’Héla, la
reine des régions situées sous la terre.
Après les grands dieux, leur séjour : le Valhalla, demeure avant tout d’Odin ; comme Zeus, l’Olympe, il l’habite avec tous les Aésir ou dieux. C’est là que parviennent les âmes des héros mourant sur le champ de bataille, guidées par les belles Valkyries, ou celles qui choisissent les corps des morts : je vois en elles, sous une forme plus haute et plus pure, les houris du paradis mahométan. Les Nornes enfin, trois sœurs, correspondent aux Fates des Latins ou Moires des Grecs : leurs noms sont Urd, Werdand et Skuld (ou Passé, Présent, Futur). Se les représenter comme des êtres doués d’une sombre et touchante beauté.
Tous, vous avez entendu parler du Crépuscule des Dieux, que célèbre aujourd’hui encore le théâtre musical allemand. Ces mots ont été employés pour désigner le temps où, comme on le supposait, le règne d’Odin et des Aésir devait toucher à sa fin. Semblable notion a-t-elle pu se faire jour, si Odin passait pour le grand Créateur de toutes choses ! Peut-être qu’inconsciemment le nom d’Odin fut employé dans plus d’un sens. Ainsi Eschyle parle de Zeus comme du dieu infini et éternel, dont le royaume ne peut avoir de fin ; mais qu’il vienne à nommer le Zeus mythique, fils de Cronos et mari d’Héré, il dit que ce Zeus détrôna son père et sera lui-même dépossédé par un descendant de Prométhée, son ami, à qui il a si gravement fait tort. Héraclès renversant Zeus répond exactement au Crépuscule des dieux norses.
MYTHOLOGIE DES ARYAS
II. — MYTHES GRECS ET LATINS OU CLASSIQUES
MYTHES GRECS ET LATINS
OU CLASSIQUES
À qui demanderait pourquoi, dans cette double mythologie, grecque et latine, les mythes grecs prennent une valeur que n’ont pas les mythes latins, je répondrais : parce que l’on peut dire des seuls mythes grecs, plus anciens, que ce sont des personnifications vivantes de phénomènes naturels. En même temps que l’imagination humaine leur communiquait ses formes heureuses, ils ont reçu d’elle une vie véritable. Les mythes latins ont été presque toujours empruntés à l’Olympe grec, tout entiers, avec leur légende déjà faite. De sorte qu’en supposant même qu’il ne soit pas absurde d’appeler d’un nom unique des déités invoquées dans deux langues différentes, c’est le nom grec qu’il eût convenu de donner sans distinction aux déités helléniques et à celles italiques, et non le nom latin, ainsi qu’on l’a longtemps fait chez nous. Nous reconnaîtrons cependant qu’à la séparation des Pélasges, qui vinrent habiter presque simultanément la Grèce et l’Italie, survécut ici et là un fond commun de traditions, lequel ne s’oblitéra pas totalement en Italie, et, tout au moins, prédisposa les esprits à une juxtaposition aisée des déités grecques, quand celles-ci pénétrèrent dans cette contrée fraternelle.
La prétendue mythologie latine du siècle de Virgile et d’Horace est une pure copie du grec, et à peine peut-on en conséquence la regarder comme latine. Toutefois il y a une mythologie latine qui ne résulte en rien d’un emprunt de ce genre. Avant que les tribus latines aient eu des relations avec les tribus grecques, elles possédaient leurs propres déités et des êtres surnaturels dont le caractère dénota le culte d’un peuple occupé principalement à labourer la terre. Ces déités avaient leur nom, avec certaines qualités ou dispositions qui leur étaient inhérentes, mais il ne se racontait d’elles que peu ou pas de légendes. Aussi, quand les tribus latines se mêlèrent de colons grecs, fut-on tenté d’identifier d’abord les dieux latins avec les dieux grecs, et de transporter de bonne heure chez les déités latines toutes les légendes que les Grecs relataient de leurs propres personnages mythiques. Ce faisant, on introduisit quelques nouveaux traits : fort rarement. On se contentait d’ordinaire d’attribuer toutes les légendes latines aux dieux grecs, avec lesquels, dans bien des cas, ils n’avaient de commun ni le nom ni la qualité. Ainsi les histoires racontées d’Hermès, chacun les rapporta également à propos de Mercure. Mais dans un cas ou deux, le caractère de la déité grecque est altéré en mauvaise part. L’aimable Saranyu, ou l’aurore de l’Inde, par exemple, devint la sombre et sévère Erinnys des Grecs ; de même les Harpies, qui, dans les poèmes d’Hésiode, sont de belles filles de Thaumas et d’Électre, se trouvent, dans Virgile, être de vils oiseaux de proie.
L’Olympe assemblé.
Quoique les poèmes homériques possédés par nous, non plus que la théogonie hésiodique, ne présentent le nom du groupe suprême de déités, appelé, particulièrement à Athènes du temps de Périclès, les douze dieux olympiens, nous ne passerons pas sous silence une classification célèbre qui présida à l’exécution de plus d’une œuvre d’art, arme ou joyau. Elle-même est une œuvre d’art inspirée par un goût de la symétrie tel, qu’il caractérise une époque où la « vitalité mythologique » avait, certes, cessé. Tout contredit cette ordonnance dans les temps antérieurs. Au cours du dernier des poèmes que nous avons cités tout à l’heure, Zeus et Poséidon ébranlent bien le sol et la mer, tandis qu’Hadès habite les régions situées sous terre ; mais qu’il y ait eu un triple partage du Cosmos entre les trois frères cronides, c’est un fait dont nous ne possédons aucune mention formelle. La théogonie hésiodique, monument primitif, nous parle de Poséidon, mais pour ne nous rien dire d’autre à son sujet sinon qu’il bâtit les murailles entre lesquelles Briarée garde les Titans : là, aucune différence de rang non plus entre Arès et ses sœurs Hébé et Éileithua, ou encore entre Déméter et Eurynome. Hadès, lui, de ce soi-disant nombre douze, est exclu, tandis que, selon l’Iliade et l’Odyssée, il apparaît à sa guise dans la demeure olympienne de Zeus, et se comporte comme l’égal des dieux assemblés. Il y aurait, dans l’un de ces cas, plus de douze déités ; dans l’autre, il n’y en aurait que onze.
Quant à l’Olympe, qui, même en la mythologie empruntée par les Latins, resta le séjour des dieux grecs, on sait que c’est, dans les montagnes qui séparent la Macédoine de la Thessalie, la portion orientale d’une chaîne formant le versant nord de la vallée fameuse de Tempé, Un printemps éternel dans le fond, des neiges éternelles au sommet : tel est le site. Les poètes homériques représentent les dieux comme possesseurs de palais nombreux sur la haute cîme. Dérobés à la vue des hommes par un voile opaque de nuages que gardent les Heures, ils siègent solennellement dans le palais de Zeus, et les plus jeunes d’entre eux dansent sous leurs yeux, obéissant à la voix et à la lyre des Muses. Tel est le tableau traditionnel, et dont il peut être utile de conserver une réminiscence. Les poètes plus récents transportèrent ce séjour à la quatrième voûte du ciel, celle des feux ou des astres, l’Empyrée. Mais ce lieu nouveau, qu’on imagine difficilement comme habitable, a le tort, selon nous, de sembler presque une conception métaphysique : le premier était absolument poétique, comme il convient en pareil sujet.
LES DIEUX
LE ZEUS GREC OU LE JUPITER LATIN.
Zeus. — Figure suprême dans la mythologie des Grecs, Zeus, avant le temps où l’Iliade et l’Odyssée furent composées, était déjà regardé comme le père de tous les dieux et des hommes. Toutefois il n’a pas toujours été le plus haut des dieux : suivant quelques histoires, un temps fut où Cronos son père régnait, supérieur à lui ; mais Cronos même n’était pas le premier dans l’ordre des dieux.
Quoi ! n’ai-je point, par ces derniers mots, reconnu
que les dieux étaient disposés dans quelque ordre fixe ?
Antérieurement, non ; mais, dans des temps plus avancés,
les poètes comparèrent entre elles les différentes histoires
racontées à propos des divers dieux, puis rangèrent
ceux-ci en raison du degré de parenté indiqué par chaque
histoire. Plusieurs traits diffèrent tant les uns des
autres, qu’il est souvent impossible de les faire s’accorder.
Pas autre chose à dire ici ou là, sinon que chaque
pays ou chaque cité a suivi sa propre version. Tel est
précisément le cas des légendes de Zeus et celui qui s’applique aux dieux qui vinrent avant lui. Dans un
récit, les premiers êtres sont Chaos et Gê, de qui sortent
Ouranos et les Grands-Monts et le Pont ou la mer. Dans
Fig. 22. — Cronos ou Saturne.
un autre, Gê (la Terre) est la femme d’Ouranos ; et leurs
enfants, Hypérion, Japet, et maints autres, sont nés
avant Cronos, père de Zeus. Cet Ouranos est le ciel qui
s’étend comme un voile au-dessus de la terre ; bref, le
même que le vieux dieu hindou Varuna (dont le nom vient d’une racine var, signifiant voiler ou celer). Pour
Cronos, il a sa légende. On dit qu’Ouranos précipita les
Cyclopes avec Bronté, Stéropé (le Tonnerre et les Éclairs)
et d’autres enfants de Gê (la Terre) dans l’abîme appelé
Tartare ; et que Gê, dans son chagrin et sa colère,
Fig. 23. — Buste de Cronos ou Saturne.
poussa ses autres enfants à mutiler leur père et à mettre
Cronos (fig. 22 et 23) sur le trône, à la place du premier
maître.
L’acte de Cronos, devenu roi, est célèbre et étrange :
on dit qu’il avala ses enfants aussitôt après la naissance
de chacun. Comment cela se doit-il expliquer ? En tant
qu’une image de l’action du temps, lequel engloutit. chacun à son tour, les jours qui viennent. Un lien s’établit
entre l’acte de Cronos et l’histoire de Zeus. Rhée,
femme de Cronos et mère de Zeus, anxieuse de sauver
l’un de ses enfants, donna une pierre à avaler à son mari :
Zeus naissait et était nourri dans la caverne de Dicté ou
sur l’Ida. Expliquons ce nom de Zeus ; il se trouve dans
la mythologie hindoue. Zeus y est Dyaus, le dieu du ciel
brillant ou du ciel spirituel, d’un mot qui signifie
briller. Les contes d’autres nations admettent cette divinité.
Comme les Hindous parlaient de Dyaus-pitar, et les
Grecs de Zeus-pater, ainsi les Latins et les Romains l’appelaient
Jupiter, qui signifie « père Zeus ». Les vieux
Hauts-Allemands le connaissaient sous le nom de Zio.
Quant au sens primitif du nom, le voici : le ciel bleu
pur, la demeure de la lumière située loin et au-dessus des
nuages ou de tout ce qui peut en ternir la pureté. Étymologie
qui explique la fable grecque, car elle nous
montre pourquoi Jupiter est né dans la caverne de Dicté,
un de ces mots désignant l’approche de la lumière, tout
comme la Délos, où naquit Phoibos, est la terre brillante.
Revenons à l’histoire du dieu : les actes attribués à
Zeus, quand il fut en possession de toute sa force, sont
nombreux. Il délivra les Cyclopes du Tartare, puis obtint
la coopération des géants aux cent mains dans sa
guerre contre les Titans (fig. 24). Selon l’histoire suivie
par Eschyle, il fut aidé aussi par Prométhée, fils de
Deucalion, avec le secours de qui il détrôna Cronos ;
mais, fâché plus tard contre son allié, qui enseigna
l’usage du feu aux hommes, il l’enchaîna sur les rocs
déchirés du Caucase. L’empire de Cronos fut divisé.
Quelques histoires veulent que les Cyclopes aient donné à Zeus la foudre, et à ses frères Hadès et Poséidon le
casque et le trident ; les trois dieux, ayant reçu ces dons,
tirèrent au sort, et la souveraineté du ciel échut en partage
à Zeus (fig. 25), celle de la mer à Poséidon, et celle
des régions inférieures à Hadès, Qui étudie le caractère
de Zeus dans les poèmes homériques, l’y voit dépeint
çà et là de façons si différentes, qu’il croira certes à deux
Fig. 24. — Jupiter combat les Titans, camée.
mythes appelés de ce nom. Quelquefois représenté comme
partial, injuste, ami du plaisir et de l’oisiveté, changeant
dans ses affections et infidèle dans son amour, glouton,
sensuel et impur, le dieu, en des heures de peine réelle
et de chagrin, apparaît à Achille et à d’autres Achéens
qui l’implorent et le prient, plein non-seulement d’une
puissance irrésistible, mais encore de justice et de droiture.
Si l’on compare les diverses mythologies, il n’est
pas impossible de se rendre compte de ce contraste.
Voyons : le mot indien Dyaus semble avoir été originairement le nom de l’unique être sacré, et les Grecs et
Fig. 25. — Statue de Zeus.
d’autres peuples apparentés le gardèrent pour exprimer
tout ce qu’ils ressentaient à l’égard de la divinité. Mais comme le mot signifiait encore le Ciel visible avec ses
nuages et ses vapeurs, quelques-unes des phrases qui
parlaient des variations du firmament, en vinrent à
indiquer, quand leur signification s’oblitéra, des actions
viles ou honteuses. Exemple : on avait présenté la Terre
comme la fiancée du Ciel, et dit du Ciel qu’il couvait la
Terre de son amour dans tout pays ; or tout ceci, désignant
par la suite une déité à passions et à forme humaines,
s’accrut des faits étranges d’une licence effrenée.
Cette conclusion est justifiée par la poésie grecque de
temps avancés, et y puise une force nouvelle. Par cela
même que, dans Hésiode, la descente des dieux sur terre,
leurs amours terrestres et leurs actes grossiers acquièrent
un relief plus grand, le poète peut se détourner de telles
hontes, plus vivement, vers la pensée de ce Zeus pur et
sacré qui regarde du haut des cieux pour voir si les
hommes pratiquent la justice et s’inquiètent de la divinité.
Les chantres et les philosophes d’un âge plus avancé
ont bien senti ce contraste. Aux yeux de quelques-uns,
la pensée que les dieux doivent être bons semblait une
raison suffisante pour ne pas croire toutes ces histoires
qui en discréditaient la sainteté ; chez d’autres, pareils
contes servaient à réfuter la divinité des dieux, ainsi que
dit Euripide : « Si les dieux ne font rien d’inconvenant,
c’est alors qu’ils ne sont plus dieux du tout. »
Mais plusieurs chez les anciens demeurèrent satisfaits
de savoir que Zeus était un pur nom, à la faveur de
quoi il leur fût possible de parler de la divinité, inscrite
au fond de notre être ; nom incapable absolument d’en
exprimer (comme l’était l’esprit de la concevoir) l’infinie
perfection. Zeus (fig. 26) était pour eux le représentant de la divinité. Le nom de Zeus a passé par plus d’une
autre forme, car il est dérivé de la même racine que le
Fig. 26. — Buste de Zeus.
grec theos et le latin deus, qui tous les deux signifient
un dieu ou le Dieu.
À l’histoire de Zeus maintenant, souvent interrompue par d’utiles digressions ! Ce père a pour enfants Apollon et Artémise, dont la mère s’appelait Léto (selon le latin Latone) ; Arès, Hermès et Athéné, qui, avec Poséidon, Héra, Héphaistos, Hestia, Déméter, Aphrodite et Zeus lui-même, formaient le corps divin adoré aux jours de Thucydide comme « les douze dieux » de l’Olympe. Se bien rappeler que plusieurs des déités ne sont pas, dans les poèmes homériques, à beaucoup près si importantes qu’elles le deviendront dans les âges postérieurs, tandis que le caractère d’autres s’amoindrit dans les traditions avec le temps. À ces épopées il faut joindre les chants qui décrivent principalement la naissance et les attributs des dieux ; on les appelle théogonies, les plus connues étant la théogonie d’Hésiode et celle qui reçut son nom d’Orphée.
Les temples, après les livres : les sanctuaires de Zeus les plus célèbres dans l’ancienne Hellas ou la Grèce étaient : le temple bâti sur le Mont-Lycée (mot qui désigne simplement l’éclat) en Arcadie ; celui de Dodone, qui d’abord fut en Thessalie et dans la suite en Épire ; et celui d’Olympie, en Élis, où les grands jeux Olympiques se célébraient à la fin de tous les quatre ans. L’importance mythologique de ces lieux d’adoration, c’est que de plusieurs d’entre eux le dieu tire une appellation nouvelle. Le nombre des surnoms se trouve si grand, qu’il est inutile de les énumérer tous : le Dodonéen ou le Pélasgique, et Zeus Crétois.
Toutefois c’est comme source de l’ordre, de la justice,
de la loi et de l’équité que Zeus était le plus communément
invoqué, en dehors de toute allusion tirée du culte.
Héphestios, il présidait à la vie de famille ; Horkios, il veillait
aux contrats, et Xénios protégea les étrangers. Chacune
de ces invocations spéciales ne fait qu’exprimer une ou plusieurs de ces belles qualités que l’on sentait bien
devoir accompagner la nature, non pas de Zeus, fils de
Cronos, mais de la divinité pure, noble et paternelle.
Jupiter. — Jupiter, ce nom qui correspond exactement au Zeus-pater du grec et au Dyaus-pitar de l’hindou, désigne le Dieu suprême ; mais pour les premiers Latins il n’évoquait aucun conte mythique pareil à ceux de la mythologie grecque. Le mot garda du reste pour les Latins sa signification originelle de Ciel ou de firmament visible : on parlait d’être « sous le frais et clair Jupiter » ; et le nom osque Lucerius ou Lucesius (parent de Lycégène, appellation de Phoibos) désigne le firmament brillant et lumineux. Quant au dieu même, on l’invoquait à la faveur de différentes épithètes, suivant le motif qui faisait désirer son aide. Ainsi, en tant qu’appelant la foudre sur la terre, il était Jupiter Élicius ; en tant que donnant la pluie, Jupiter Pluvius ; en tant que protégeant les bornes des territoires ou des propriétés, Jupiter Terminus (le Zeus Horios des Grecs).
J’ai parlé de Cronos à propos de Zeus, de même à propos de Jupiter je parlerai de Saturne. Toutefois ce dieu latin, qu’on a identifié au dieu grec, n’a pas avec lui de trait vraiment commun. Le nom de Saturnus désigne quelqu’un qui sème le grain, répondant ainsi entièrement au Triptolème des Grecs. La femme du dieu, Ops, déesse de la richesse et de la fertilité, a été, sans plus de fondement, identifiée à Rhéa. Saturne passa pour s’être évanoui des régions de la terre après avoir accompli son œuvre ; et l’on crut que le pays du Latium tira ce nom de ce qu’il était le lieu de retraite du dieu. L’origine vraie du mot de Latium n’est pas là : il faut voir en ce pays la contrée des Latins ou Lavini, dont Neebuhr a, dans son Histoire de Rome, identifié le nom avec celui des Daunii et des Danaï, Danaens, qui suivent Agamemnon à Troie.
Zeus.
Triton, fils de Poséidon.
Poséidon. — Fils de Cronos et de Rhée, Poséidon est en conséquence frère de Zeus et de Hadès.
Quand fut tirée au sort la souveraineté des cieux, de la
terre et des régions souterraines, celle de la mer échut
en partage à Poséidon, qui prit un trident pour emblème
de son pouvoir. Notez cependant que c’est comme
ayant le contrôle des forces qui affectent les mouvements
des eaux, plutôt que comme habitant lui-même les
eaux, que Poséidon règne sur l’humide élément. Il y a un
dieu dont la demeure réelle est la mer : Nérée (fig. 29),
qui habite les profondeurs des flots, se trouvant vis-à-vis
de Poséidon dans le même rapport qu’Hélios, habitant le
soleil, vis-à-vis de Phoibos, seigneur de la lumière. La
signification du nom de Poséidon, on ne la connaît pas
d’une façon certaine. Mais les légendes offrent plus d’un Fig. 29. — Néréides, bas-relief.
trait propre à jeter
quelque clarté sur
cette appellation obscure.
Poséidon, dans
l’Iliade et dans l’Odyssée,
est représenté
comme égal à Zeus en
dignité et inférieur à
lui seulement en puissance.
Il a le pouvoir
de créer, car, suivant
une histoire, il est
l’auteur du cheval. Il
s’appelle Gaiêochos,
gardien de la terre, et
Énésichos, qui ébranle
le monde ; et en dernier
lieu il dispute à
Héré, Hélios et Athéné,
la souveraineté de
certaines cités grecques.
D’où rien d’invraisemblable
que ce nom ait originairement
exprimé simplement
l’idée de seigneurie
ou de pouvoir, et
ne soit pas sans quelque
attache avec des
mots tels que « potentat »
et « despote », Héré,
femme de Zeus,
s’appelant aussi Potnia ou la puissante. Quelle conduite envers Zeus assigne-t-on
à Poséidon ? On le représente généralement comme fidèle
et soumis au souverain de l’Olympe ; mais une fois il complota
(avons-nous dit plus haut), avec Héré et Pallas
Athéné, la mise aux fers de Zeus, et fut déjoué par Thétis
(fig. 30). Sur l’avertissement de cette dernière, Zeus
plaça le Briarée aux cent bras près de son trône, pour
effrayer les conspirateurs.
Les légendes de Poséidon diffèrent très-spécialement de
celles de Zeus. Lui, Zeus, n’est jamais dépeint comme
assujetti à la volonté d’autrui, ou forcé d’achever des
Fig. 30. — Thétis, camée.
tâches serviles. Mais on fait bâtir
à Poséidon, de concert avec Héraclès,
les murs de Troie pour
Laomédon ; tout comme Phoibos
Apollo est contraint à se faire
serviteur dans la maison d’Admète.
La récompense promise à
Poséidon en échange de ce service est le prix qui, d’ordinaire,
manque à ces dieux et à ces héros de qui l’on
dit, ainsi que du soleil, qu’ils se donnent du mal pour
le bien de l’homme. Laomédon refusa de payer le salaire
par lui offert, tout comme Achille eut à se plaindre de
n’avoir de la guerre que les peines et point la récompense.
Conséquence de cette trahison : Poséidon fut du côté
d’Agamemnon et de Ménélas quand ces guerriers vinrent
à Troie tirer vengeance de Pâris. Rappelez-vous (je l’ai
dit) à l’honneur de Poséidon qu’il créa le cheval. À
Athènes, lors d’une dispute qu’il y eut entre Athéné et
lui pour nommer la cité, Zeus décida qu’elle serait nommée
d’après la déité qui ferait à l’humanité le plus beau don. Athéné produisit l’olivier, et Poséidon le cheval ;
Fig. 31. — Poséidon avec Athéné, médaille.
Fig. 32. — Statue de Poséidon armé Trident.
et la victoire fut adjugée à
Athéné, l’olive étant un signe
de paix et de prospérité, et le
cheval un emblème de guerre
et de maux (fig. 31). Mais
dans l’Iliade, Achille dit une
tout autre histoire : il raconte
que Poséidon créa le cheval
en Thessalie, et donna les
coursiers immortels Xanthos
et Balios (le doré et le tacheté) à Pélée, père du héros.
Au nombre des faits qui se rattachent à ce dieu, on cite d’autres rivalités que celle qu’il eut avec Athéné : la légende est qu’il réclama la souveraineté de Corinthe contre Hélios (le soleil), de Naxos contre Dionysos, et d’Ægine contre Zeus lui-même. Trois contestations. Ce qui ressort de tels récits, le voici : originairement Poséidon fut regardé simplement comme régulateur ou roi (fig. 32), et son pouvoir, à mesure que vint le temps, se limita au contrôle de la mer.
La femme de Poséidon était
Amphitrite (fig. 33), nom qui ne peut s’expliquer par
aucun mot de la langue grecque ; mais dans les vieilles légendes hindoues nous trouvons une déité, Trita, qui
règne sur l’air et l’eau. Ce nom Trita, que certains ont
rattaché à celui d’Amphitrite, se montre encore visiblement
dans Tritopator, une appellation des vents ; et
dans Tritogeneia, épithète appliquée à Athéné, aussi bien
que dans Triton, fils de Poséidon. Je le rencontre enfin
dans les légendes d’un autre peuple que les Grecs et les
Fig. 33. — Amphitrite et Poséidon, bas-relief.
Hindous : dans les vieilles histoires perses, le Trita ou
Traitana de l’Inde réapparaît comme Thrætana, le tueur
du serpent Zohak ; ce monstre répond au dragon Python
tué par Phoibos, et à Fafnir tué par Sigurd.
Le palais de Poséidon était situé dans les eaux profondes,
près d’Égée, aux rives de l’Eubée ; le dieu gardait là ses chevaux à crinières d’or, répondant aux Harits
hindous ou chevaux étincelants du Soleil, qui le mènent
avec des bonds puissants sur la mer.
Fig. 34. — Buste de Poséidon ou Neptune.
Neptune. — Les Romains d’une époque avancée identifièrent leur Neptune avec le Poséidon grec (fig. 34) ; mais, par son caractère, le mythe latin répond plus particulièrement à Nérée. C’est le dieu qui habite sur les eaux, et son nom se rattache à un certain nombre de mots qui veulent dire se baigner ou nager.
Hadès et Proserpine reçoivent de Hermès les âmes des morts.
Hadès. — Hadès, comme Poséidon, est fils de Cronos et de Rhée et frère de Zeus. Roi des résidences obscures, sous la terre (car une vieille croyance faisait considérer la terre comme une surface plate) : tel était le grand titre de ce dieu. Son nom exprime du reste cette idée qu’il règne sur les lieux invisibles : on a d’autres formes du mot, telles qu’Aïdès et Aïdonéos, qui paraissent désigner ce qui est invisible ; enfin, le casque que les Cyclopes donnent au dieu a le pouvoir de rendre invisible. Tout cela nous le savons, parce que Persée, à qui l’on voit porter ce casque, se cache aux regards aussi longtemps qu’il l’a sur la tête, et se laisse voir quand il le tient à la main. (Bref, c’est le « bonnet merveilleux » des Nibelungen et de tant de récits d’aïeules.) Femme de Hadès : Perséphone ou Perséphassa, fille de Déméter. La fable est qu’il la saisit, en train de cueillir des fleurs dans les cliamps d’Enna, et l’emporta en sa sombre résidence sur un char traîné par quatre chevaux noirs comme le charbon. Le sombre palais était gardé par les chiens monstrueux Orthros et Cerbère, ce dernier à trois têtes. Remarquez qu’il est fait mention de ces monstres dans les traditions de quelques autres peuples : ils reparaissent comme Vritra et Sarvara, noms appliqués aux puissances de l’ombre dans l’ancienne tradition des Hindous.
Hadès (fig. 36) était connu sous d’autres noms : on l’appelait Plouton, d’où le Pluton latin, soit le gardien de tous ces trésors minéraux de la terre, que surveille Andvari, le nain, dans l’histoire teutonique de Sigurd. Le nom Polygdémon (ou le roi qui « reçoit beaucoup » d’êtres dans sa demeure invisible) lui était encore attribué ; et il n’y a qu’une légère variante de ce nom à celui de Polydecte, roi de Sériphos, qui persécute Danaé, mère de Persée. Le mot, toutefois, arriva à désigner non plus le prince seulement du monde invisible, mais le monde invisible lui-même.
Hadès a été considéré comme le Zeus des séjours inférieurs,
et ainsi les trois noms Zeus, Hadès et Poséidon
semblent avoir désigné simplement les idées de souveraineté
et de pouvoir, avant qu’on les assignât aux dominateurs
spéciaux du ciel, de la mer et des séjours inférieurs.
Comment se fait-il, me dira-t-on, que Hadès,
étant, comme Zeus, fils de Cronos, ne comptât pas au
nombre des douze dieux réglementaires de l’Olympe ?
Simplement parce que son empire gisait sous terre. On
ne connaît pas cette distinction dans les poèmes homériques :
il y a le pouvoir d’aller à l’Olympe quand bon lui semble ; et il le fait, blessé par Héraclès. Que de couches
superposées de concepts ou d’interprétations nous
Fig. 36. — Buste de Hadès ou Pluton.
montre un traité mythologique
contenant toute la
fable, expliquée et telle
qu’elle se présente à nos
yeux de modernes !
Pluton. — Simplement un nom grec de Hadès, ainsi que nous venons de le voir dans le chapitre de ce dieu, regardé comme gardien des trésors cachés de la terre ! Une autre appellation lui fut donnée par les Latins ; c’est Dis, qui passa pour une forme plus brève de Dives, riche, mais se rattache probablement à Deus, Divus le Theos grec, et le Dyaus indien. Le nom de la femme de Pluton, Proserpine, dont il a été dit un mot et dont il sera parlé en temps et lieu, n’est qu’une autre forme du grec Perséphone.
éré. — Héré est fille de Cronos et
de Rhée ; par suite, une sœur de
Zeus et de Poséidon, avant tout la
femme de Zeus (fig. 38). Son nom,
probablement dérivé de la même racine
que celle d’où vient le sanscrit Svar,
le ciel brillant, et Surya, le soleil (aussi
bien que le grec Hélios), semble avoir,
dans l’origine, signifié la couche céleste,
épouse de Zeus, qui est, lui, l’éclat céleste.
Les histoirees mythiques viennent à
l’appui de cette explication : le sens de
celle d’Ixion, spécialement, s’accorde avec le sens de la
présente. La déesse apparaît dans les poèmes homériques
comme l’épouse de Zeus, révérée par les dieux non
moins que son mari, envers qui elle se montre de tout
point soumise. Toutefois il y a quelques exceptions à
cette grande soumission. Ainsi, en dehors de son opposition
à Zeus dans la guerre de Troie, elle participa au complot ourdi, entre Poséidon et Athéné, d’enchaîner le
Fig. 38. — Statue de Héré ou Junon.
dieu. Ce qui lui fit
prendre parti contre
les Troyens,
dans la guerre faite
par les Achéens au
peuple de Troie ou
Ilion, est le jugement
de Pâris, devant
qui Aphrodite
et Athéné parurent,
avec elle,
pour réclamer la
pomme d’or offerte
à la plus belle des
trois. La pomme
échut à Aphrodite,
et dès lors Héré et
Athéné haïrent la
cité de Priam.
Les histoires varient
tellement à
propos du lieu de
naissance et relativement
au mariage
de cette déesse,
qu’il est impossible
d’en tirer quelque
chose ou de les harmoniser.
Déité d’une grande importance, au reste, sans
qu’aucune légende détermine bien la nature de la fonction remplie par la déesse, la Fable nous montre presque toujours
Héré comme la reine du ciel pur. On trouve cette idée
manifestée spécialement par la légende d’Ixion (le
soleil qui tourne) : ce personnage, après avoir été purifié
du crime de sang versé, cherche à gagner l’amour de
Héré ; mais il est déçu par Zeus, qui fait prendre à un
Fig. 39. — Tête de Héré ou Junon.
nuage la forme de la déesse. Le
nombre de ses enfants est certain,
trois : Arès, Hébé et Héphaistos.
Junon. — La femme de Jupiter
s’appelle Junon (fig. 39), un
nom qui répondrait à la forme
grecque Zénon, prise au féminin ;
mais il n’existe pas d’histoires
latines sur la déesse, celles que
racontent d’elles des poètes de
temps avancés ayant été empruntées
au grec. Comme Jupiter, on
invoquait Junon sous plusieurs noms : en tant que rein- des
cieux, elle était Junon Reine ; présidant au mariage,
Junon Jugalis, et gardant l’argent et les trésors, Junon
Moneta (cette appellation probablement vient de la même
racine que Minerve). Exceptionnellement dans notre étude
comparative latine et grecque, Junon et Héré sont la
même divinité ! Quoique les mythes latins correspondent
le plus souvent de nom seulement avec ceux des
Grecs, l’identité est, dans le cas présent, suffisamment
prouvée.
estia. — Hestia est l’aîné des enfants
de Cronos et de Rhée. Sa fonction :
déesse du foyer domestique ou plutôt
du feu qui brûle sur le foyer.
Tous les hommes étaient, selon la
vieille coutume païenne, regardés comme
ennemis, à moins que, par un pacte spécial,
ils ne fussent devenus amis ; et
Hestia (fig, 41) présidait spécialement au
commerce loyal et vrai qui s’établissait
entre eux. La maison est le centre de
toute bonne affection, et la déesse du
logis était toujours représentée comme pure et non souillée.
Hestia livre peu d’elle-même à la légende : ce fait
seul, peut-être, que Poséidon chercha à en faire sa femme
et qu’elle refusa. À qui demande comment il se fait
qu’on ne dise presque rien de Hestia, je répondrai que cela
vient uniquement de ce que son nom était un de ces mots
qui n’avaient pas perdu leur signification. Hestia continua jusqu’à la fin d’être ce qu’elle avait été dès le commencement :
Fig. 41. — Statue de Hestia ou Vesta.
l’autel de la
maison, le sanctuaire de
la paix et de l’équité, et
la source de tout bonheur
et de toute richesse.
Son influence se fit peut-être
sentir plus profondément
et accomplit plus de
bien que celle de tout autre
personnage de l’Olympe ;
l’honneur que lui rendait
chacun impliquant des
devoirs directs et pratiques.
Hestia ne pouvait
être servie en rien par des
hommes qui tenaient mal
la parole engagée ou agissaient
traîtreusement à
l’égard de ceux qu’ils
avaient reçus à leur foyer.
Le culte de cette déesse
devint la source d’un bien
presque sans mélange, à
la fois dans les intérieurs
et pour l’État ; aussi était-elle
honorée par les cités
aussi bien que dans la vie
privée de la maison ! Chaque
ville avait son Prytanéion, où les prytanes, qui sont
les anciens, tenaient leurs réunions. On ne souffrait pas que le feu sacré, brûlant sur le foyer public, s’y éteignît
jamais. Si parfois il venait à s’éteindre, soit par négligence,
soit par accident, le devoir était de le restaurer avec du feu
obtenu par le frottement de morceaux de bois entre eux,
enflammés quelquefois encore au moyen d’un verre ardent :
avec du feu ordinaire, jamais. Quand une cité envoyait
de ses hommes établir une colonie, on maintenait le
pacte qui unissait cette colonie et la mère patrie à la
faveur du feu sacré de Hestia, dont le colon emportait
au loin une portion, pour la garder vive à jamais sur
la terre nouvelle. Aussi longtemps que le feu continuait
à brûler, ce groupe sentait qu’un intérêt commun le rattachait
aux citoyens du sol antique et natal. Voyons
encore jusqu’où s’élargit la fonction de Hestia, qui n’est
point limitée aux âtres de la maison et à la cité, ni même
aux bornes de la patrie, car on supposait qu’au centre
de la terre il existe un foyer répondant lui-même au foyer
placé au centre de l’univers total. La déesse y préside.
Vesta. — La Vesta des Latins semble une déité par son
nom, de même que par son caractère, identique à la Hestia
grecque. Probablement un vestige de l’héritage commun
apporté de là par les ancêtres des tribus grecques et latines,
patrie où elles avaient vécu autrefois ensemble. Vesta,
pour les Romains, représenta toutefois une déesse d’une
bien autre importance que Hestia chez les Grecs. Le feu
de son autel était gardé par les vierges Vestales, consacrées
à ce seul soin ; on sait que si l’une d’elles venait à
le laisser éteindre, elle subissait ce supplice horrible d’être
enterrée vivante. Déméter ou Cérès.
Déméter. — Déméter, fille de Cronos et de Rhée et sœur de Zeus, Poséidon, Hadès, Hestia et Héré, est connue, principalement dans les contes mythiques, comme la mère navrée de la perte de sa fille Perséphoné.
Zeus avait, à l’insu de Déméter, promis à Hadès que
Perséphoné serait sa femme. Pendant que la jeune fille
était à cueillir des fleurs dans les champs d’Enna, la terre
s’ouvrit, et Hadès, apparaissant dans un chariot traîné
par des chevaux noirs comme le charbon, emporta l’innocente
vers ses sombres demeures (fig. 43). Déméter ne put
supporter cette perte ; elle mit une robe couleur de deuil
et, refusant toute consolation, erra, une torche à la
main, pendant neuf jours et neuf nuits, cherchant sa Fig. 43. — Enlèvement de Perséphone ou Proserphine (bas-relief).
fille, quand elle reçut
du secours dans sa
poursuite désespérée !
Le dixième jour, en
effet, ayant rencontré
Hécate, qui ne put
lui dire où était la
vierge (car cette déité
n’avait fait que l’entendre
crier lorsque Hadès
la ravissait). Déméter
alla vers Hélios,
lequel voit toutes
choses. « Perséphone »,
ainsi qu’elle l’apprit
de lui, « était maintenant
reine du sombre
royaume de dessous
terre ». Cette mère
triste et que pareille
nouvelle ne satisfit
point, refusa de visiter
Olympos, et erra par
la terre dans la douleur
et pleurant son
enfant. L’effet de son
égarement et de sa
colère fut terrible !
Les laboureurs se
donnèrent un mal
vain : pas une semence ne leva hors du sol, pas une fleur ne se montra sur les
arbres, et il sembla que toute chose mortelle dût bientôt
mourir. Vaguant devant elle dans cette agonie, elle
vint, enfin, à Éleusis et s’assit près d’une fontaine,
où elle fut saluée avec bonté par les filles du roi Kéléos,
alors que celles-ci s’apprêtaient à tirer de l’eau, et,
sur leur prière, élut domicile dans leur maison. Son
mal ne se modéra pas. Pendant un séjour d’une année
à Éleusis, la terre partagea encore le chagrin de Déméter,
et ne donna aucun fruit, Cette mère affligée récompensa
du moins les bontés qu’elle reçut dans la maison
de Kéléos, et on raconte à ce sujet plus d’une histoire.
L’une veut que la déesse ait nourri Démophoon, fils de
Kéléos ; l’enfant, par ses soins, devint d’une beauté
glorieuse, baigne chaque jour dans le feu pour le rendre
immortel. Sa mère, Métanéira, le voyant dans le bain
de flammes, cria de peur ; et Déméter lui dit que, sans
ses cris, ce fils n’aurait connu ni la vieillesse ni la mort,
tandis que maintenant il devait vieillir et mourir comme
les autres hommes. Autre conte ou nouvelle version : il
paraîtrait que, lors du cri d’alarme que jeta Métanéira,
Déméter permit que les flammes consumassent l’enfant
Démophoon ; mais qu’en compensation elle donna au
frère de la victime, Triptolème, un chariot traîné par
des dragons ailés et lui apprît à labourer la terre et
à semer le froment. Continuons à suivre la voyageuse
dans sa course. La sécheresse terrible et la famine causées
par la colère de Déméter convainquirent Zeus que
tout mourrait sur terre s’il ne calmait la peine de la
déesse. Celle-ci ne voulait entendre aucune prière que sa
fille ne lui fût rendue ; et Zeus envoya enfin Hermès, qui revint de chez Hadès avec Perséphone. La rencontre
eut lieu à Éleusis et, le chagrin de Déméter changé maintenant
Fig. 44. — Statue de Déméter ou Cérès.
en une joie plus profonde encore, la terre et tout
ce qui y naît partagea ce contentement : la paix et l’abondance
revinrent partout. Perséphone, toutefois, ne resta
pas avec Déméter : Hadès avait fait manger à la jeune
femme, avant qu’elle fût enlevée par Hermès, quelques pépins de grenade, et elle fut par cela contrainte à retourner
aux domaines lugubres du roi. Obligée d’y consentir et ne
pouvant pas garder toujours sa fille avec elle, Déméter
convint que Perséphone passerait un certain nombre de
mois de chaque année (les uns disent quatre, d’autres
six) avec Hadès. Souvenir de sa présence à Éleusis : elle
ordonna à Kéléos de bâtir un temple de son culte, et
initia ce prince, ainsi que le peuple, aux grands mystères
éleusiniens qui se célébrèrent régulièrement en son honneur
dans ce lieu. Cette légende, pour les gens d’Éleusis,
impliquait des événements qu’ils croyaient réellement
arrivés dans le pays ; mais l’origine en est tout autre :
elle dérive de phrases anciennes, ayant d’abord désigné le
retour différent de l’été et de l’hiver.
Qu’est-ce donc que Déméter (fig. 44) ? C’est la terre, qu’on appelait « la mère de toutes choses » et plus particulièrement la mère des « vierges » (Korè) : invocations qui préparaient son fondement à la Fable racontée.
Exemple : les hommes avaient dit autrefois, quand
venait l’heure du printemps, que « voici revenir la fille de
la Terre dans toute sa beauté » ; et quand se flétrit l’été
devant l’hiver, que « la belle enfant avait été dérobée à sa
mère par de sombres êtres qui la tenaient prisonnière
sous le sol ». Ainsi le chagrin de Déméter n’est autre
chose que l’obscurité qui tombe sur la terre pendant
les tristes mois de l’hiver. Cette histoire se trouve au
nombre des légendes d’autres nations, et présente même
beaucoup de variantes, spécialement dans les chants des
contrées septentrionales. Perséphone y est une belle
vierge qui, pendant que la terre est morte et froide au
dehors, gît enveloppée de sommeil et cachée à tous les yeux mortels. Autre ressemblance avec la légende grecque :
comme Déméter est la terre, pleine des trésors minéraux
et des semences fruitières, l’idée de santé s’attacha
à son nom ; et la perte de Perséphone fut la disparition de
ces richesses. Ainsi dans les contes norses, les Niflungs
(ou les enfants de la brume) cachent les trésors de la
terre jusqu’au moment où il leur faut les céder et se
soumettre, comme le fait Hadès sur l’ordre de Hermès. Si
maintenant nous revenons à ces lieux, Enna et Éleusis,
il y a certes une Enna en Sicile et une Éleusis en Attique ;
mais l’Enna et l’Éleusis de la légende sont des
noms de même sorte que Délos, Lycie et Ortygie, la
terre de lumière où naquit Phoibos Apollon. Le mot
Éleusis signifie une venue ou une approche ; il s’appliqua
naturellement et au retour du printemps et au lieu
où l’on pouvait supposer que la mère avait rencontré son enfant.
Cérès. — Voyez dans Cérès un nom qu’on appliquait à la terre, en tant que productrice des fruits : d’où la déesse s’identifiait par cela même à la Déméter grecque. Quelques-uns ont regardé ce mot comme signifiant « celle qui fait » ; d’autres y trouvent seulement une forme du grec Kora ou Korè (la vierge), appellation de Perséphone. Somme toute, il est probablement dérivé de la racine qui donne au sanscrit sarad, automne (v. Sri ou srî, faire cuire, faire mûrir).
Athéné. — Athéné est la fille de Zeus, qui surgit toute
cuirassée du front de son père, ouvert, selon quelques
poètes, par un coup de la hache de Héphaistos. Comment
expliquer ce conte étrange ? Par la comparaison du conte
grec avec celui de l’Inde qui en donne la forme antérieure,
elle nous enseigne qu’Athéné est un nom de l’Aurore,
appelée dans les poèmes indiens Ahanâ et Dahanâ. Voici
maintenant comment se produit chez la déesse l’acte
extraordinaire de surgir du front de son père : Zeus était
un nom à la fois du Ciel visible et du Ciel spirituel, et
l’on disait que l’Aurore s’élance du front du Ciel, en
d’autres mots, de l’Est. Reste la hache de Héphaistos.
Cette particularité de l’histoire provient d’une expression
disant simplement que la lumière du matin ouvre, c’est-à-dire
illumine, la face ou le front obscur du ciel. Tel
est le sens d’une fable qui valut à Athéné différents surnoms :
on l’appela, dans quelques États grecs, Coryphasia
(de Koryphê, tête, et Acria, haut sommet) ; chez
les Romains, Capta (de caput, tête) (fig. 48). Quant à
l’appellation de Tritogénéia, quelques-uns crurent y voir, que la déesse naquit le troisième jour, de trita, troisième
(mais pareil commentaire n’a aucun sens) ; d’autres ont
songé au mot Trito, qui dans un dialecte grec voulait dire
tête ; il en est enfin pour qui Tritogénéia ne signifie que
« née sur les bords du lac libyen Tritônis ou de la rivière
Triton ». Toutefois nulle de ces explications n’est suffisante ;
Fig. 48. — Athéné ou Minerve (camée).
il existait beaucoup de rivières
appelées Triton, et
ce fait même nous engage à
rechercher ce que signifie le
mot Triton. Voyons ! Dans
les plus vieux hymnes hindousou
sanscrits nous lisons
qu’il y a un dieu appelé
Trita, qui règne sur les airs
et les eaux. Ce Trita est en
réalité le même dieu que
Dyu ou Zeus, le Ciel ; et
Tritogénéia est la fille du
ciel, ou en d’autres termes, le
matin. Ainsi l’étude d’une
étymologie nous apprend combien est ancienne l’origine
du mythe d’Athéné. Sa fonction primitive fut d’éveiller les
hommes de leur sommeil : de là, à côté du hibou, le coq,
l’oiseau du matin, qui lui est consacré. Athéné est aussi
la déesse de la sagesse (fig. 49). Car dans les anciennes
langues de l’Inde le mot qui signifie « s’éveiller » désigne
encore « savoir » ; et l’on prit la déesse, qui faisait s’éveiller
les hommes, pour la déesse qui fait que les hommes
savent quelque chose. Variantes à la légende d’Athéné :
selon quelques-uns, elle est l’enfent, non de Zeus, mais du géant ailé Pallas, ou de Poséidon, ou de Héphaistos.
Fig. 49. — Statue de Pallas Athéné on Minerve.
Tandis que plusieurs parlent d’elle enfin comme de celle qui est toujours vierge, d’autres disent qu’Apollon est
son fils (fig. 50). Cela vient toujours de source antique :
Apollon, parce qu’il suit l’aurore, peut être appelé le fils
d’Athéné ; mais si on le considère en tant que s’élançant de
Fig. 50. — Statue d’Athéné mère.
la nuit, il est le fils de Léto (appelée
à tort, en français, d’après le latin
exclusivement : Latone). Athéné
vis-à-vis de Zeus se tient généralement
sur le pied d’une harmonie
et d’une soumission parfaites.
Comme chez Héré, il y a des interruptions
dans cette attitude : la
déesse prit part à la conspiration
de Héré précisément et de Poséidon,
pour détrôner ou emprisonner
Zeus ; et elle aida Prométhée
à voler au ciel le feu, contre
la volonté du dieu souverain ;
par suite d’un amour passionné
qu’elle éprouva pour Prométhée,
disent les uns ; tandis qu’on la
dépeint le plus souvent insensible à pareil sentiment. Tout
le long de l’Iliade, Athéné apparaît comme la déesse qui
connaît le plus profondément l’esprit de Zeus, et comme
le guide et l’aide d’Achille, d’Odyssée (l’Ulysse latin) et
d’autres héros. Les légendes qui la montrent agissant selon
des motifs indignes ou mauvais sont rares ; mais, dans
le conte de Pandore, elle prit part au complot dont le
résultat est d’accroître la misère des hommes.
Une cité porte le nom de cette déesse, Athènes, que l’on dit avoir été nommée d’après Athéné, quand celle-ci produisit l’olivier : don meilleur pour l’homme que le cheval créé par Poséidon, qui désirait que la cité s’appelât Poséidonia.
Athéné est représentée comme une beauté aux yeux
brillants ou Glaukopis, ayant sur son égide ou manteau
la face de la Gorgone Méduse, qui changeait en pierre
tous ceux qui y portaient les yeux. Sa figure sereine se
trouve reproduite devant le temple célèbre qui lui fut
dédié, le Parthénon, situé sur l’Acropole d’Athènes.
Cette statue colossale fut faite d’or et d’ivoire par le grand
sculpteur Phidias, ami de Périclès, qui vécut au cinquième
siècle avant Jésus-Christ.
Minerve. — Athéné n’était point connue des Romains et des Latins sous ce nom, mais la déesse Minerve lui ressemble de si près, que toutes deux peuvent être regardées comme la même déité. Différence entre Athéné et Minerve : l’idée de la déité latine est bien plus élevée que celle de la grecque. Tandis que le nom d’Athéné comporte simplement une notion de splendeur extérieure, et non pas mentale, celui de Minerve, comme le latin mens, le grec menos, indique la « pensée » ou la « sagesse » ; il se rattache, à vrai dire, aussi au latin mane, le matin, et matuta, l’aurore. Antérieurement, dès les hymnes védiques, on parle de l’Aurore qui éveille chaque mort et le fait marcher, et reçoit les louanges de tout « penseur ». Comme telle, c’est strictement parlant la Moneta, nom que les Latins donnaient à Junon.
Arès. — Arès, fils, selon certains contes, de Zeus et de Héré, est le dieu du bruit et du tumulte des combats, plutôt que de la guerre elle-même, à moins qu’on ne regarde la guerre simplement comme le désir de combattre, car il n’entre pas d’idée plus haute dans la notion générale d’Arès. Ce dieu change capricieusement de camp, et prend même plaisir à infester les hommes de maux et d’épidémies. La figure d’Arès ne nous apparaît pas d’une vraie hauteur dans la tradition grecque ; non : Arès a fréquemment le dessous et, quand il est blessé, sa clameur est aussi vaste que celle de neuf ou dix mille guerriers. Sa stature physique est donc énorme, et il possède une grande dimension corporelle : abattu sur le champ de bataille, son corps couvre, dit-on, de nombreux arpents de terrain (fig. 54).
Étudions comme toujours le nom du dieu : il vient de
la même racine que le mot latin Mars et que les Maruts
de la mythologie indienne, et signifie « moudre » ou
« écraser ». À quoi ce nom s’appliqua-t-il d’abord ? Aux
orages qui jettent la confusion dans les cieux et la terre ; et c’est de là que l’idée d’Arès se limite au simple désordre
et au tumulte. Le nom d’Arès est principalement lié
au nom d’une déesse, Aphrodite, de qui l’on dit qu’il
Fig. 54. — Statues d’Arès ou Mars.
obtint l’amour (fig. 55). Mais celle-ci semblant favoriser
Adonis, jaloux, il se changea, selon quelques versions,
en un sanglier qui meurtrit le malheureux jeune homme.
Un tribunal à Athènes portait le nom d’Arès : celui de l’Aréopage, parce qu’il était bâti sur la colline elle-même
qui portait le nom de ce dieu (fig. 56). La légende
veut en effet qu’Arès, meurtrier de Halirrhothios, fils de
Poséidon, ait été accusé par ce dernier devant les dieux
olympiens. Le guerrier céleste se vit acquitté, et le tribunal
reçut son nom.
Fig. 55. — Mars et Vénus.
Mars. — Mars, lui, est le dieu latin de la guerre ;
mais bien qu’on l’identifie avec l’Arès grec et bien que
le nom appartienne à la même racine, l’idée du Mars
latin est de beaucoup la plus noble et la plus haute en
dignité. Détails : les Osques et les Sabins l’appelaient
Mamers, et la forme romaine de Mars est une contraction
de Mavors ou Mavers. Une légende a trait
à ce dieu : on parle de lui comme du père de Romulus et de Rémuss, fils jumeaux de la vestale Ilia ; mais
ne voyez là que deux noms qui sont des formes différentes
du même mot. Les fables relatives à ces frères
illustres s’accordent particulièrement avec celles qu’on
Fig. 56. — Buste d’Arès ou Mars.
raconte d’Œdipe, de Télèphe et d’autres héros. Quoi !
Romulus et Rémus n’auraient point existé réellement.
Nous n’avons aucune raison de penser qu’il y ait dans
leur fait quoi que ce soit d’historique : c’est simplement
l’Éponyme de Rome ; en d’autres termes, un être, double ici, inventé pour justifier le nom d’une cité, tout
comme Pélasge, Lélex, Sparte, Orchomène et une légion
d’autres, le furent par les Grecs. Semblable à Héraclès
et à d’autres héros, ce couple s’évanouit dans le tonnerre
et les éclairs de l’orage, et pour cela, dit-on, il fut adoré
sous le nom de Quirinus.
L’APHRODITE GRECQUE ET LA VÉNUS LATINE.
(Grec : Aphroditè.)
Aphrodite
[22]. — On dit qu’elle jaillit de la brillante écume
de la mer, et fut, en conséquence, appelée Aphrodite
(aphros, mousse) et Anadyomène (celle qui se lève). Toutefois
une autre naissance, plus humaine, lui a été assignée :
selon certains contes, elle était l’enfant d’Ouranos (les cieux)
et de Héméra (le jour) ; mais dans l’Iliade on l’appelle la
fille de Zeus et de Dioné. Qu’est-elle originairement ? Un
nom de l’aurore, qui se lève de la mer, à l’Est ; et comme
l’aurore est le plus charmant spectacle de la nature, Aphrodite
devint naturellement pour les Grecs la déesse de la
beauté et de l’amour. Rien là qui ne s’accorde avec les
légendes d’autres pays ; car dans les plus vieux hymnes
védiques des Hindous, le matin s’appelle Duhitâ Divah,
la fille de Dyaus, exactement comme Aphrodite est la fille
de Zeus. Un autre nom désigne aussi l’heure du matin
dans ces hymnes : Arjunô, la « brillante » ou l’ « étincelante »,
qui se retrouve dans la mythologie grecque sous la forme d’Argynnis, ayant trait à une jeune femme
aimée d’Agamemnon. Nouvelle histoire produite simplement
parce qu’on avait oublié la signification réelle du
Fig. 60 et 61. — Triomphe d’Éros.
nom de cette Argynnis, et qu’on s’était souvenu seulement
de la notion de sa beauté. Argynnis fut donc vis-à-vis
d’Agamemnon, ce qu’était Hélène vis-à-vis de Ménélas.
Revenons à Aphrodite. Les Horaï, ou les Heures latines, et, plus spécialement, les Charites, ou les Grâces
latines, formaient sa suite charmante. Ces Charites on les
retrouve dans d’autres légendes que les grecques : dans les
hymnes védiques il est parlé d’elles comme des Harits,
chevaux de l’Aurore. Harit, ce nom signifie l’éclat luisant
que prend un corps oint de graisse ou d’huile : d’où
l’idée de splendeur. Très-étrangement, il se trouva que
les chevaux de l’Aurore devinrent, dans l’esprit des Grecs,
les suivantes aimables d’Aphrodite. Quant à la déesse
elle-même, voici quelques-uns de ses autres noms : Énolia
et Pontia, signifiant l’un et l’autre qu’elle appartenait à
la mer ; puis Urania et Pandémos, ou la déesse de
l’amour pur aussi bien que sensuel. Ainsi le charme du
matin suggéra l’idée de tendresse et d’amour, qui passa
par mille formes, selon l’âme des nations auxquelles
arrivèrent ces traditions. Le culte d’Aphrodite était général
(fig. 62, 63, 64) ; on le trouve partout ; mais ses
temples les plus célèbres s’élevaient à Cythère et à
Cypre, à Gnide, Paphos et Corinthe, Divinité grecque,
elle se rattache au conte de Troie. À la fête donnée pour
les noces de Thétis et de Pélée, Éris (la dispute) jeta une
pomme d’or, offerte à la plus charmante des déesses. Le
prix fut réclamé par Héré, Athéné et Aphrodite ; et Zeus
décréta que le juge serait Pâris, fils de Priam. Pâris
donna la pomme à Aphrodite, qui lui suggéra la tentation
d’enlever Hélène à Sparte ; et cette insulte faite à
Ménélas, le mari d’Hélène, causa la guerre de Troie.
Cette scène, esquissée déjà dans l’histoire d’Athéné, s’appelle,
dans la Mythologie, le Jugement de Pâris. Si nous
continuons à étudier Aphrodite dans les poèmes homériques,
nous l’y voyons femme d’Héphaïstos ; ceci ayant pour signification ancienne que l’aurore est l’épousée de
la lumière. La déesse eut de nombreux adorateurs et
des enfants nombreux, dont les noms, dans la plupart
des cas, s’expliquent d’eux-mêmes. Comme se levant de
Fig. 62. Aphrodite ou Vénus.
Fig. 63. Vénus Anadyomène.
Fig. 64. Aphrodite ou Vénus.
la mer, elle se vit aimée de Poséidon, et d’Arès comme
suscitant un tumulte passionné dans le cœur ; et fut la
mère de Déimos, Harmonia et Éros (la Peur, l’Harmonie
et l’Amour), Bien des contes circulent à son sujet :
on dit qu’elle agréa Anchise et donna le jour à Énée,
l’ancêtre de Romulus ; mais peut-être voit-on plus particulièrement en elle celle qui aima Adonis, Le nom
de ce dernier personnage n’appartient pas à la mythologie
grecque : c’est un mot syrien ou hébraïque, signifiant
Seigneur, quoique le dieu fût adoré en Syrie sous l’invocation
de Tammuz
[23]. Voici l’histoire d’Adonis. Sa
grande beauté charma Aphrodite, mais il ne paya pas
cette passion de retour ; et au printemps encore de son
adolescence, l’éphèbe mourut déchiré par un sanglier sauvage
[24]. Ce conte ressemble à un grand nombre d’autres,
où le héros meurt jeune, est blessé par les défenses d’une
bête, par la lance, par une épine, une flèche. Ainsi dans
la fable perse, Isfendiyar périt d’une épine que Rustem
lui enfonce en l’œil ; et dans la légende norse, Sigurd
est percé par une lance, comme dans la légende grecque,
Pâris, par les flèches empoisonnées d’Hercule. Une signification
bien connue de nous déjà se cache sous le
conte d’Aphrodite et d’Adonis, n’est-ce pas ? Aphrodite
pleurant Adonis, c’est le chagrin de Déméter, lors de la
perte de Perséphone
[25].
La terre, dans le dernier cas, est en deuil du départ de
l’été ; dans le premier, l’aurore ou le crépuscule se désole
de la mort du trop bref soleil. Toutefois des fables
relatives à Aphrodite ne se dégage pas une idée qu’incarne
pleinement la déesse : on la représente en effet de
façons multiples, quelquefois pure, parfois douce et
aimante, d’autres fois forte et véhémente, tantôt indolente
et distraite, et tantôt respirant la victoire. Aux temples de
Sparte, elle apparaissait comme une déesse conquérante et revêtue d’une armure, juste comme les derniers poètes
dirent Éros (l’Amour) (fig. 60 et 61) invincible dans la
bataille.
Vénus. — Vénus est la déesse latine de la beauté et de l’amour, sur le compte de laquelle on mit toutes les histoires relatives à l’Aphrodite grecque. Cette dernière passant pour mère d’Énée, ancêtre de Romulus, on supposa que Vénus était la protectrice spéciale de l’État de Rome.
Le nom dérive d’une racine qui signifie « faveur », trouvée dans le mot latin venia, grâce ou pardon, aussi bien que dans notre mot vénéré. La Vénus latine ne représente donc pas autre chose qu’une simple appellation ; ses adorateurs peuvent l’invoquer tour à tour en tant que Vénus, Myrta, Cloacina ou Purificatrix, Barbata, Militaris, Equestris, etc. [26]
éphaistos. — Ce dieu nous apparaît
comme l’artisan qui forge des armes
irrésistibles, mais est laid et boiteux
(fig. 67). Pourquoi ? Parce que Héphaistos
est strictement « l’éclat de la
flamme » ; et comme la flamme provient
d’une petite étincelle, on représenta
le dieu chétif et difforme à sa naissance,
mais fort et puissant, une fois grand.
La légende est belle. Fils de Zeus et
de Héré, voilà l’enfant ; et quelquefois
de Héré seulement. Sa laideur déplut
tant à sa mère, qu’elle pensa le rejeter de l’Olympe ; et
c’est plus tard, quand il prit le parti de la déesse dans
une querelle, que Zeus le précipita du ciel. Il tomba,
blessé et estropié, à Lemnos, où les Sintiens le traitèrent
avec bonté. Tout en forgeant, il resta le porte-coupe
des dieux, et il faisait des cuirasses et des armes.
Quand Hector eut dépouillé de l’armure d’Achille le corps de Patrocle, Héphaïstos, à la prière de Thétis, fit
un nouvel habit de guerre, brillant comme un soleil et
Fig. 67. — Statue d’Héphaïstos ou Vulcain.
ravissant le héros comme le ferait l’aile d’un oiseau. Cent
œuvres d’art nous montrent, épouse du rude forgeron,
Aphrodite elle-même ; mais certaines légendes donnent ce titre à Charis, et d’autres à Aglaïa ; trois leçons voulant
dire une seule et même chose, à savoir que la flamme
du feu est apparentée à l’éclat de la lumière du soleil.
Héphaistos se retrouve dans des traditions étrangères à
celles des Grecs, mais point sous ce nom. Des Latins et
Fig. 68. — Buste de Vulcain.
des Romains d’époque avancée, il
était connu en tant que Vulcain
(fig. 68). Dans les poèmes védiques
il s’appelle Agni, le même mot
qu’en latin Ignis, le feu. Les
Latins semblent, dans cette légende
et dans d’autres, avoir emprunté
un grand nombre de notions
grecques ; mais les poètes
hindous insistaient plutôt sur la
force de la flamme nouvellement
allumée que sur son aspect chétif.
Au lieu de dire, comme nous, que
le feu brûle et que le bois fume,
je les entends chanter : « Hennissant
d’ardeur à se nourrir, il
s’avance hors de sa forte prison ; puis le vent, après cette
explosion, souffle, et le sentier d’Agni (le feu) est tout
de suite obscur. » La même idée se rencontre dans la
mythologie du nord de l’Europe.
Rappelez-vous l’histoire de Sigurd, qui est l’Achille ou
le Persée des légendes norses ; Régin, l’artisan de Hialprek,
roi de Danemark, répond exactement à Héphaistos,
et, pareil à lui, forge des armes auxquelles nul ennemi
ne peut résister.
Vulcain. — Vulcain est donc le dieu latin du feu, qu’on identifiait avec l’Héphaistos grec. Aussi le dit-on l’époux de Vénus, nom apparenté au vieux mot sanscrit ulkâ, un « brandon de feu », un « météore ».
PHOÏBOS OU PHŒBUS APOLLON, DIEU GREC ET LATIN.
(Grec : Phoïbos-Apollon.)
Ce mythe est un fils de Zeus et de Léto (la Latone
latine) nommé ainsi : Phoïbos ou Phœbus, comme étant
le dieu de la lumière, et Apollon, à cause du sens de
« destructeur » que plusieurs donnent à ce mot, les
rayons du soleil pouvant, après l’avoir développée, détruire
la vie des animaux et des plantes. Phoïbos ou
Phœbus n’est donc qu’un nom du soleil, rien de plus
d’abord ; mais à des époques postérieures on regarda le
dieu comme celui de la lumière, et il ne fut pas confiné
à son habitacle, le soleil. (Cette situation solaire, on la
réserve spécialement à Hélios (fig. 73), qui demeure vis-à-vis
de Phœbus dans la situation de Nérée vis-à-vis de
Poséidon.) Et Phoïbos, le mythe ici vivant et point le
simple nom, est fils de Zeus, parce que le soleil, comme
Athéné ou l’aurore, s’élance, le matin, du ciel ; et fils
de Léto, parce qu’on peut regarder la nuit, qui en précède
le lever, comme la mère de cet astre. Le nom de
Léto ou Latone reparaît, du reste, sous quelque autre
forme. C’est le même mot que Léthé, le fleuve qui faisait oublier aux hommes le passé, et Latmos, la terre des
ombres, dans laquelle dort Endymion. La même racine se
montre aussi dans le nom de Léda, la mère des jumeaux
Dioscures. Un beau conte, celui de la naissance du dieu :
écoutez. Létô (ou Latone), par mainte terre, cherchait en
vain un lieu de repos (fig. 74) ; elle vint à Délos et dit que,
si elle y pouvait trouver abri, l’endroit deviendrait glorieux
comme lieu de naissance de Phoïbos ou Phœbus ;
Fig. 73. — Quadrige d’Hélios (bas-relief).
les hommes arriveraient des différents pays, enrichissant de
leurs présents son temple sacré. C’est donc là que naquit
Phoïbos ou Phœbus ; et, à sa naissance, rit la terre et
sourirent les cieux. Délos, quoique de soi terre dure et
pierreuse, se couvrit de fleurs d’or. Les nymphes enveloppèrent
l’enfant d’une robe sans tache et Thémis le nourrit
de nectar et d’ambroisie ; il prit en mains la harpe et
proclama sa fonction, qui est de dire aux hommes la volonté
de Zeus. Tout cela parce que Délos signifie « la terre
brillante ». Cependant toutes les légendes ne s’accordent
pas à dire le dieu né à Délos : non ; il s’appelle Lukègénès,
comme étant né en Lycie ; et, par quelques versions, Ortygie est mentionnée comme le lieu de naissance
à la fois de Phoïbos et de sa sœur Arlémis. Où
sont la Lycie et Ortygie ? Il y avait une Lycie en Asie,
et une Ortygie près d’Éphèse, aussi bien qu’en Sicile ;
mais il faut chercher la Lycie et l’Ortygie de ces légendes
dans le beau pays des nuages. Sachons la signification de
Fig. 74. — Latona ou Léto et ses enfants Apollon et Artémis (bas-relief).
ces noms. Lycia est un mot qui, comme Délos, signifie
la terre de lumière, et reparaît dans les mots latins lux,
la lumière, luceo, je brille, et Lucna ou Luna, la lune.
Ortygia est la terre de la caille, que l’on dit être le premier
oiseau du printemps : la terre de la caille devint un
des noms de l’Est, où le soleil se lève. Je continue. Un
changement se fit bientôt après la naissance de Phoïbos. L’enfant fut emmailloté d’abord dans des bandelettes
d’or, ce qui désigne la douce et aimable lumière du soleil
nouvellement levé ; mais voici qu’il devint le Chrysaor,
ou dieu à l’épée d’or, et son carquois se remplit de
flèches qui ne manquent jamais leur but. Armes irrésistibles
que celles-là, données à des dieux multiples :
Persée, Thésée, Bellérophon, Héraclès, Philoctète,
Achille, Odyssée (l’Ulysse latin), Méléagre, Sigurd,
Rustem, à beaucoup d’autres, Phoïbos ou Phœbus ne
resta pas longtemps à Délos : il quitta bientôt cette terre
pour faire route vers l’Ouest, vers Pytho ou Delphes. Vous
comprenez ? C’est parce que le soleil ne peut pas s’attarder
dans l’Est quand il s’est levé. Oui, et c’est pourquoi les
poètes ont dit comment Apollon alla de terre en terre, et
comment il aimait les grandes falaises et tout promontoire
saillant, ainsi que les fleuves qui hâtent leur course vers
la vaste mer : quoique le dieu revînt avec un charme toujours
nouveau à sa Délos natale, de même que le soleil reparaît
de matin en matin, glorieux comme toujours,
à l’Est. Plusieurs incidents marquent le voyage d’Apollon
vers le Python occidental. Il vint, passant par des
terres nombreuses, à la fontaine de Telphusa, où il voulut
se construire une demeure ; mais Telphusa dit que
sa vaste plaine ne pouvait lui donner un asile paisible,
et le força à continuer son voyage vers la terre plus
favorisée de Crisa. Phoïbos continua son voyage, et
arrivé à Crisa, se bâtit un temple au pied du mont
Parnasse ; il y tua le Python qui gardait Typhaon,
l’enfant d’Héré. Quel est ce Python ? Le grand dragon
ou serpent qui paraît dans toutes les légendes solaires.
C’est le Vitra du conte indien, l’Échidna dans l’histoire d’Hercule, le Sphinx dans celle d’Œdlpe, et le dragon
Fafnir de la bruyère étincelante qu’on voit au conte de
Sigurd. Telle est la légende ; mais revenons au temple que
l’on dit avoir été élevé par Phoïbos, à Delphes. Chacun
sait qu’il devint célèbre en des temps postérieurs : le
plus grand de tous les oracles de Grèce y résidait, et
sa renommée s’étendait par tous les pays. Quand Xerxès
envahit la Grèce, les armées qu’envoya ce prince pour
piller le sanctuaire de Delphes auraient été écrasées par
Phoïbos-Apollon, qui précipita dessus plusieurs grands
rochers arrachés au sommet même du Parnasse. Les
prêtres de ce temple passent pour des Crétois, dont Apollon
guida, sous la forme d’un dauphin étincelant, le vaisseau
autour du Péloponèse et vers le rivage de Crisa ;
puis le dieu sortit de la mer comme une étoile, et remplit
les cieux de la splendeur de sa gloire. Le feu immortel
allumé par lui sur son autel, il enseigna aux Crétois les
rites sacrés d’un culte, enjoignant aux habitants de se
comporter avec loyauté et droiture à l’égard de tous ceux
qui viendraient, chargés d’offrandes, à son sanctuaire.
La légende de Phoïbos ou Phœbus est multiple ; on
dit notamment qu’il fut épris de Daphné, et que celle-ci,
pour échapper à sa poursuite, plongea dans les eaux du
Pénée, son père. Signification de ce conte : Phoïbos, comme
dieu-soleil, est un amant de l’Aurore, appelée de façons
variées : Ahanâ, Dahanâ, Athéné et Daphné. L’évanouissement
de Daphné dans le courant est la disparition
d’Eurydice, quand Orphée se retourne trop tôt pour la
regarder. Voici une autre histoire du même genre : Apollon
obtint l’amour de Coronis, devenue mère d’Asclépios
(l’Esculape latin) et l’abandonna, comme Héraclès quitte Iole, et Pâris et Sigurd délaissent Œnone
et Brunehilde. Ces abandons, vous savez comment il
faut les expliquer : le soleil, qui ne peut s’attarder dans
son voyage, paraît oublier l’aurore aimable et belle pour
le brillant et fastueux midi, et tous les dieux et les héros,
dont les noms furent d’abord simplement des noms du
Fig. 75. — Triple Hécata.
soleil, se présentent à nous
comme délaissant celle à
qui ils avaient donné leur
foi première.
Autant qu’Héraclès, Persée et Bellérophon, Apollon est forcé de se donner du mal pour d’autres, sans obtenir de récompense (c’est toujours pour les enfants des hommes) : ainsi il doit servir, pendant une année, dans la maison du roi Admète. Détail particulier enfin à cette légende : le dieu est regardé comme le père d’Asclépios ou d’Esculape, parce que la chaleur du soleil peut nous préserver de maladies ou amoindrir peine et souffrance, aussi bien qu’infliger ces maux.
Maintenant on connaît Apollon sous maints autres
noms, notamment Hécatos et Hécaèrgos, dénominations
qui signifient l’action des rayons du soleil à distance du
soleil lui-même. Hécate (fig. 75), la lune, autre déité de
ce nom, répond à Hécatos, juste comme Téléphassa répond à Téléphos. Les qualités du dieu sont nombreuses :
Fig. 76. — Statue d’Apollon joueur da Lyre.
il est le maître des prophéties et de la sagesse. Les rayons de Hélios pénètrent, en effet, l’espace et épient toute chose
cachée, bientôt mise par eux au grand jour ; aussi l’idée
de savoir s’allia de bonne heure au nom du dieu-soleil.
Apollon passa encore pour lire en l’esprit de Zeus plus
intimement qu’aucun dieu ; et quoiqu’il puisse vous faire
part de maints secrets, il en existe certains qu’il ne doit
jamais révéler. Ne l’appelle-t-on pas aussi le dieu du chant
et de la musique ? sang doute (fig. 76) ; mais la leçon la
plus primitive de la légende veut qu’il ait acquis ces dons
d’Hermès, à qui ils appartenaient par droit de naissance.
Le culte d’Apollon fut en Grèce de tous le plus largement répandu, et eut la plus grande influence sur la formation du caractère grec. Le Conseil des Amphictions, la grande association religieuse des Grecs, tint ses réunions à l’ombre du temple du dieu, dans la ville de Delphes ; et l’on dit des réponses données par les prêtresses delphiennes, qu’elles ont plus d’une fois changé le cours de l’histoire grecque.
Apollon ou Phœbus-Apollon n’est pas un dieu latin. Ce nom est emprunté aux Grecs et tout ce qu’on rapporté du personnage est grec également. Rappelons-nous que le nom de sa mère Latone n’est qu’une forme latine du grec Léto, lequel, à son tour, est simplement une forme du nom de Léda, la mère des deux Dioscures. L’idée du dieu de la lumière est exprimée par le mot Lucérios ou Lucessius, le vieux nom osque de Jupiter.
PHAÉTON, DIEU GREC ET LATIN.
(Grec : Phaéton.)
haéton est un fils d’Hélios et de
Clymène. Hélios, ce mot a la
même origine que le latin Sol et
est un nom du soleil, le mythe se
tenant vis-à-vis de Phoïbos dans le même
rapport que Nérée, de Poséidon. Quant
au personnage, on le représente vivant
dans un palais d’or, conduisant journellement à travers les cieux son char traîné
par des chevaux resplendissants (fig. 78) ;
et ayant des troupeaux vastes de gros
bétail, qui ne sont autres que les nuages brillants que
Hermès mène par le firmament. Aux temps postérieurs,
quand la signification d’anciennes paroles était partiellement
oubliée, on supposait que c’étaient des vaches nourries
dans l’île de Trinacrie. Il ne se présente que peu de cas
où la signification d’un conte mythologique soit plus claire ;
car ces vaches sont dirigées quotidiennement vers leurs pâturages par Phaétuse et Lampétie, les filles « brillantes » et
« étincelantes » de Nérée, la première aube. Vous rappelez-vous,
dans l’Odyssée, que des compagnons du héros tuèrent
et mangèrent quelques bêtes de ces troupeaux ? Pour
les punir, Hélios les fit mourir. La vénération avec laquelle
le poète homérique parle de ces vaches n’indique
pas, toutefois, que les compatriotes du rhapsode se livrassent
à l’adoration d’animaux, mais seulement qu’il fallait
regarder le bétail du soleil paissant notre terre comme chose
Fig. 78. — Phaéton.
que ne doit profaner un contact
vulgaire. Voyez là un
reste de l’origine symbolique :
dans les premiers poèmes hindous,
les chevaux d’Hélios
sont les Harits, que la Grèce
changea en de belles femmes
appelées Charites, les Grâces
latines.
Tous ces détails élucidés, arrivons à l’histoire de Phaéton.
On dit que, dans un instant de malheur, il demanda à son père de le laisser conduire son char une seule journée. Hélios, bien à contre-cœur, lui permit de prendre les rênes. Après s’être un peu élevés dans les cieux, les chevaux, conscients de la faiblesse de leur cocher, plongèrent sur terre ; et le sol, avec tous ses fruits, ses cours d’eau, sa verdure, fut desséché et brûlé. Zeus, voyant cela et comprenant que, si rien n’arrêtait cette course, toute vie ici-bas périrait bientôt, frappa Phaéton de sa foudre ; et les filles d’Hespéros lui bâtirent un sépulcre au rivage où il était tombé. Si vous voulez étudier cette légende, demandez-vous d’abord ce que signifie le nom de Phaéton : or il veut dire l’éclatant ou le brillant, et répond à Phaétusa, comme Téléphos à Téléphassa. Phaéton, en effet, possède une partie de l’éclat de son père, toutefois sans le même pouvoir, et, sous ce rapport, ressemble à tel autre héros. L’analogie qu’il présente, c’est avec Patrocle, que l’Iliade peint vêtu de l’armure d’Achille et monté sur son char, traîné aussi par des chevaux immortels du nom de Xanthos et Balios, le « doré » et le « tacheté ». Patrocle, comme Phaéton, reçoit des instructions auxquelles il néglige d’obéir, et, comme Phaéton, il est exterminé. Dans l’Odyssée, Télémaque est à Ulysse ce que Patrocle, dans l’Iliade, est à Achille, et ce qu’est Phaéton à Hélios.
Origine, enfin, de toute cette histoire : elle est issue de phrases qui parlaient de la sécheresse causée par le char d’Hélios, si quelqu’un le mène qui ne sait pas guider les chevaux du dieu ; et Phaéton frappé par les tonnerres de Zeus, c’est le temps de la sécheresse finissant par un orage survenant à l’improviste.
Artémis. — Artémis est la sœur de Phoïbos-Apollon, selon quelques légendes la sœur jumelle, tandis que, d’après d’autres, elle naquit avant lui. Possédant presque tous les pouvoirs de son frère et en montrant toutes les qualités, c’est ainsi qu’on la dépeint : comme lui, elle guérit des maladies et envoie les fléaux et, comme lui, darde des flèches qui ne manquent jamais leur but (fig. 82).
Mille impressions poétiques, qui se résument toutes en celle d’une pureté farouche convenant à une habitante des bois sacrés, environnent cette figure (fig. 83), dont la mythologie récente a fait la patronne de la chasse.
À proprement parler, Artémis n’a pas d’histoire mythique,
bien qu’elle soit mêlée à beaucoup de ce qui arrive
aux autres dieux. Ainsi elle donne à Procris son levrier
avec sa lance irrésistible et guérit Énée, blessé dans la
guerre de Troie. C’est elle encore qui envoie le sanglier de
Calydon en retour d’un affront qui lui est fait ; et, pour un
motif semblable, insiste sur le sacrifice d’Iphigénie, fille
d’Agamemnon. La particularité qui se dégage de ces
contes, la voici : Atalante, la vierge qui frappe la première le sanglier de Calydon, est un dédoublement de la vierge
déesse elle-même ; Iphigénie, enfin, sauvée du jugement
Fig. 82. — Statue d’Artémis ou Diane chasseresse.
d’Artémis, devint la prêtresse de l’un de ses temples, et
fut, dans quelques lieux, adorée pour elle.
Le lieu de naissance d’Artémis est Délos, dans quelques
histoires ; dans d’autres, Ortygie, noms qui entrent dans
la légende de Phoïbos. Quant à l’idée qui s’attacha au Fig. 83. — Char d’Artémis ou Diane (bas-relief).
Fig. 84. — Diane.
Fig. 85. — Janus (camée).
nom d’Artémis, elle n’a point
été partout la même. L’Artémis
grecque, par exemple,
diffère de celle présentée par
l’Artémis éphésienne, autant
que l’Adonis syrien diffère
de l’Achille grec.
Diane. — Qu’est-ce que Diane ? La forme féminine du nom Dianus, ou Janus, qui, à son tour, est apparenté à Juno : elle vient du grec Zeus et du sanscrit Dyaus, le ciel. On l’identifia avec l’Artémis grecque, et c’est pourquoi on l’appela en latin sœur d’Apollon, Janus ou Dianus, lui, fut représenté par les Romains avec deux visages, regardant de deux côtés différents (fig. 85) — interprétation issue de ce que le peuple confondit à tort ce mot avec dis, duo, deux, dénotant : divisions. Qui ne sait qu’on tenait la porte de Janus, à Rome, ouverte en temps de guerre et fermée en temps de paix, et qu’elle ne fut fermée que six fois dans l’espace de huit cents ans ?
Hermès. — Hermès, fils de Zeus et de Maïa (fig. 89), naquit de grand matin, dans une caverne de la colline Cyllénienne, et sommeilla paisiblement dans son berceau pendant deux ou trois heures. Sortant de la caverne, il trouva une tortue, la tua et de son écaille se fit une lyre, en fixant transversalement les cordes prises aux entrailles d’un mouton.
Son premier exploit, quand il eut fait sa lyre, fut d’aller,
à l’heure où se couchait le soleil, aux collines pierriennes ;
là paissait le troupeau de Phoïbos et il se prépara à emmener
les bêtes à Cyllène, Craignant que leurs traces sur
le sable ne trahissent son rapt, il les conduisit par des sentiers
tortueux, de façon à ce qu’elles parussent retourner
vaguement au lieu d’où il les ravissait ; ses propres pas,
il les couvrit de feuilles de myrte et de tamaris. Un jour,
rencontrant un pauvre vieillard travaillant dans une vigne
près d’Onchestos, ce malin lui chuchota à l’oreille l’avertissement
« de prendre garde de trop se rappeler ce qu’il
venait de voir ». Hermès atteignit, quand se montra l’aube
suivante, le fleuve Alphée ; et là, réunissant des morceaux
de bois, il les frotta jusqu’à ce qu’une flamme éclatât. Ce fut le premier feu allumé sur terre, et c’est pourquoi
on appelle le dieu « celui qui donna le feu aux mortels ».
Le jeune voyageur prit ensuite deux des bêtes du
troupeau et coupa leur viande en douze parts, mais ne
mangea pas cette chair rôtie, bien que pressé cruellement
Fig. 89. — Statue de Hermès.
par la faim. Il éteignit le feu,
foula de toute sa force les cendres
et, se hâtant vers Cyllène, pénétra
dans la caverne par le trou de
la serrure, doucement et légèrement
ainsi qu’une brise d’été. Il
se coucha comme un petit enfant,
jouant d’une main avec
ses drapeaux, pendant que sa
droite y tenait cachée la lyre d’écaille.
Le vol fut découvert.
Phoïbos, quand vint à poindre le
matin, arrivant à Onchestos, vit
qu’on lui avait volé ses troupeaux ;
retrouvant à son tour
le vieillard à l’ouvrage dans sa
vigne, il lui demanda s’il savait
qui les avait pris : mais celui-ci
se rappela l’avertissement d’Hermès,
et ne put se remémorer autre chose, sinon qu’il
avait vu le bétail en marche et un petit enfant à côté. Que
fait Phoïbos entendant cela ? drapé d’une brume de pourpre,
il va vers le beau Pylos, sur les traces confuses du
bétail qu’il suivit à la caverne de Maïa. En y entrant, il
aperçoit l’enfant Hermès endormi ; et, l’éveillant rudement,
demande le bétail. L’enfant plaide son jeune âge. Un enfant d’un jour ne peut voler un troupeau ni même savoir ce
que c’est que des vaches. Hermès, en faisant cette réponse,
cligna malicieusement de l’œil et fit entendre un
rire pareil à un doux et long sifflement, tout comme si
les paroles de Phoïbos l’avaient puissamment amusé.
Phoïbos n’accepta pas cette excuse, il saisit l’enfant dans
ses bras ; mais Hermès fit un si grand vacarme, qu’il
le laissa vivement choir. Phoïbos voyant dans ce fait un
signe qu’il retrouverait ses vaches, dit à Hermès d’ouvrir
la marche. Hermès, se levant de peur, tira les drapeaux
par dessus ses oreilles, et reprocha à Apollon sa
dureté. « Je ne sais rien d’une vache, dit-il, que son nom.
Zeus doit, dans cette querelle, décider entre nous. » Voici
le jugement de Zeus. Quand le dieu souverain eut entendu
la plainte d’Apollon et écouté Hermès, lequel, clignant
toujours des yeux et haussant les draps à ses épaules,
protestait qu’il ne savait point faire un mensonge, et ne
savait que jouer, comme les autres petits enfants, dans
son berceau, Zeus rit et ordonna à Phoïbos et au nouveau-né
de rester amis : et le dieu souverain inclina la tête.
À ce signe Hermès n’osa désobéir ; mais courant vers les
bords de l’Alphée, il ramena le bétail du clos où il l’avait
parqué. La querelle ne finit pas là, non. Phoïbos vit le
lieu où avait été allumé le feu, et les peaux et les os des
bêtes mises à mort ; s’émerveillant qu’un bambin pût
écorcher des vaches entières, il saisit de nouveau celui-ci
et le lia de bandelettes de saute, que l’enfant brisa autour
de son corps comme du chanvre. Hermès, dans sa terreur,
pensa à sa lyre d’écaille, et en fit jaillir une musique
si suave et pleine de paix, qu’Apollon, oubliant sa
colère, le supplia de lui enseigner cet art prodigieux. Hermès y consentit, lui qui aussi enviait la sagesse
et le savoir cachés d’Apollon, car Phoïbos voit tout
jusqu’aux abîmes les plus profonds de la verte mer ; il
promit de donner la lyre, en retour de cette sagesse qui
peut suavement discourir de toutes choses et bannir tout
mal et tout souci. « Prenez la lyre, dit-il, car vous saurez
vous en servir ; mais à ceux qui y touchent, sans savoir
en tirer le langage qui convient, elle est capable de faire
débiter d’étranges non-sens, divaguant alors ou n’exhalant
que des gémissements incertains. » Cet échange ne se fit
qu’en partie. Il n’était pas au pouvoir de Phoïbos de révéler
le secret célé des ans, mais tout ce qu’il put donner à
Hermès, il le donna. Il lui mit dans les mains une verge
étincelante ; et, lui attribuant la haute charge de garder
les troupeaux et le grand bétail, ordonna qu’il visitât,
dans leurs vallons cachés et dans leurs cavernes, les Thriaï
aux têtes chenues, qui lui enseigneraient des secrets soustraits
à tous les mortels. Hermès, en retour, promit de
ne jamais endommager le temple de Phoïbos à Delphes.
Comment expliquer cette étrange histoire ! Voici : nous
trouvons, la comparant à de vieux contes hindous ou
védiques, que le nom d’Hermès appartient à la même
racine que celui de Saramâ, et que celui de Saramâ est
l’aurore lorsqu’elle rampe par le ciel, regardant partout
avec curiosité si elle ne voit pas les vaches brillantes (ou
nuages), volées par la nuit et par elle cachées dans ses
cavernes secrètes. Ce nom de Saramâ se retrouve enfin
sous une autre forme : il est prouvé que c’est le même
nom qu’Hélène, ravie par Pâris de Sparte. Le mot vient
de la racine sar, qui veut dire ramper, et reparaît dans
les noms d’Érinnys (la Saranyu védique) et de Sarpédon, fils de Zeus, ainsi que dans notre mot " « serpent »", ce
qui rampe. Maintenant comment l’idée de Saramâ, ou
l’Aurore, nous conduit-elle à celle du Hermès grec ?
Dans les hymnes, Saramâ, cherchant les vaches, traverse,
dit-on, le ciel avec une brise légère. Elle représente le
matin et la douce haleine des vents d’été, chuchotant
çà et là, tandis qu’elle se meut, puis avance. Dans l’esprit
des Grecs, cette idée de la brise remplaça graduellement
l’idée du matin, et c’est ainsi qu’Hermès vint à représenter
le vent ou l’air en mouvement. Ne voyez-vous
pas que cela explique l’histoire d’Hermès jusque dans ses
moindres traits ? Le vent, qui chuchote doucement lors
de ses premiers commencements, peut fraîchir en brise
de mer, avant d’être âgé d’une heure, et balayer devant
lui les nuages gros d’une pluie qui renouvellera la terre.
Il fouille, invisible, dans les trous et les fissures, il tournoie
dans les coins obscurs, il plonge dans les antres et
les cavernes ; et quand les gens sortent pour voir quels
méfaits il a commis, ils entendent son rire moqueur,
alors il se hâte par voies et par chemins. L’esprit et
l’humour de ce conte sont fort anciens : il se trouva, si
l’on veut, tout fait entre les mains des poètes grecs (mais
on peut en dire autant de tout ce que l’homme a jamais
inventé). Nous découvrons simplement ce qui existe :
encore faut-il chercher patiemment et sincèrement. Or le
charme du conte d’Hermès ressort de l’examen, fait avec
soin par les poètes, de l’action variable du vent.
Quelqu’un, dans la légende antique, mérite également qu’on dise de lui qu’il a, le premier, donné le feu aux hommes, Prométhée, et aussi Phoronée {mais Phoronée, le Bhuranyu indien, n’est qu’un simple nom du feu). Quant à l’histoire de Prométhée, elle se rapporte à la flamme apportée du ciel, tandis que le feu allumé par Hermès est l’ignition produite dans les forêts par le frottement, au grand vent, de leurs branches.
Étudions chacun des détails fournis par le récit fait
plus haut : tous sont de quelque intérêt. Ainsi Hermès
ne mangea pas de la viande rôtie par le feu qu’il avait
allumé, parce que, quoique le vent produise la flamme,
il ne peut, lui-même, consumer ce que dévore le feu.
Le retour d’Hermès à la caverne où il est né n’est autre
chose que l’apaisement de l’orage, avant qu’il s’endorme
enfin dans les bruits charmants. Il faut voir en la défense
que Hermès présente à Zeus de sa cause, ce semblant
d’abandon montré par la douce brise, incapable de se faire
ouragan. Le bruit fait par Hermès, quand Apollon le
saisit entre ses bras, expliquez-le par la mélodie des vents,
capable d’éveiller des sentiments de joie ou de tristesse,
de regret ou de désir, de crainte ou d’espoir, d’aise véhémente
ou de suprême désespoir. Si Phoïbos refuse de faire
part de sa sagesse à Hermès, c’est que les rayons du
soleil peuvent descendre au-dessous de la surface de la
mer et de la darder leur éclat à travers le pur espace
du ciel, lieu où l’haleine du vent ne peut se faire sentir.
Phoïbos confie à Hermès en retour de sa lyre certains
pouvoirs : il le fait gardien des coursiers du soleil ; l’enfant
reçoit aussi une verge pour les conduire. Les
nuages brillants doivent, en d’autres termes, se mouvoir
à travers le ciel quand le vent les conduit. La musique
d’Hermès réjouit enfin et calme les enfants des hommes,
et son souffle élève les esprits des morts à leur demeure
invisible. Hermès possède, en sa qualité de guide des morts à la terre d’Hadès, un titre spécial : il est le
Psychopompe ou conducteur des âmes. Une autre charge
qui lui incombe est d’être le messager des dieux, et principalement
de Zeus (fig. 90). S’il reçoit l’ordre d’aller aux
Fig. 90. — Statue de Hermès ou Mercure aux pieds ailés.
Thriaï pour avoir la sagesse, la cause en est qu’on peut
parler du vent, quand les souffles pénètrent dans les antres
et les cavernes et dans tous les lieux secrets, comme de
quelqu’un qui cherche à découvrir les trésors cachés de la
terre et à gagner un savoir auquel jamais l’homme n’atteindra, Hermès cependant n’est point toujours l’ami de
l’homme : non ! Le poète termine les hymnes homériques
en disant que la bonté du dieu pour les hommes n’est pas
l’égale de son amour pour le Soleil, et qu’il a sa façon de
commettre, à leur égard, des méfaits pendant qu’ils
dorment. Explication : les tempêtes soudaines qui se
lèvent pendant la nuit ; et comme le méfait commis là
à l’égard des hommes l’est contre leur vœu, on appelle
Hermès voleur et prince des voleurs ; et Apollon prévoit
qu’il fera irruption dans plus d’une maison et sera cause
que plus d’un pasteur souffrira dans ses troupeaux. Un
dernier mot : on représente ordinairement Hermès un
bâton à la main, comme le messager des dieux et le
guide des morts, et avec des sandales d’or qui le portent
aussi promptement qu’un oiseau dans les cieux. Ces sandales
étaient aussi aux pieds de Persée, quand il se mit en
voyage pour tuer la gorgone Méduse.
Hermès ou Mercure.
Fig. 92. — Statue de Mercure coiffé du pétase et portant le caducée.
Mercure. — Mercure est un dieu latin du trafic et du gain (merx, commerce) (fig. 92). On l’a identifié avec l’Hermès grec, avec lequel il n’a aucune ressemblance, et les Fétiaux romains ou hérauts refusaient d’admettre que tous deux fussent le même dieu.
Dionysos. — Dionysos est le dieu de la vigne et des fruits de cette plante (fig, 95), Chaque incident qui se rattache à l’histoire de ce mythe comporte un nombre presque infini de versions. Quelques auteurs le disent fils de Zeus et de Déméter, d’Io ou de Dioné ; d’autres en font l’enfant d’Ammon et d’Amalthé, chèvre-nourrice de Zeus dans la caverne de Dicté. Mais la version la plus populaire est celle qui veut qu’il soit né de Zeus et de Sémélé, fille de Cadmos, le Cadmus latin, roi de Thèbes ; il y a plus d’une histoire encore relative à sa naissance. Un conte rapporte que Cadmos ou Cadmus, apprenant que sa fille était mère de Dionysos, la mit, avec son enfant, dans un coffre, que la mer jeta aux rives de Brasies. Sémélé fut retirée morte ; l’enfant sauvé et nourri par Ino : incident qui se répète dans l’histoire de Persée (Perseus) et de Danaé. Autre récit : Héré, jalouse de Sémélé, tente sa ruine. Sémélé, pressée par les mauvais desseins de la déesse, demande à Jupiter de la visiter dans sa splendeur de dieu olympien, et, comme il approche, elle est brûlée par les éclairs. Dionysos naît au milieu des coups de tonnerre enflammés, et Sémélé part pour un long séjour dans la terre d’Hadès.
Sur l’éducation du jeune homme on est incertain :
Fig. 95 et 96. — Statues de Dionysos ou Bacchus.
quelques-uns disent qu’elle se fit à Naxos ; d’autres, au
mont Nysa ; mais il y avait plusieurs montagnes de ce
nom, comme il y avait plus d’une Ortygie et plus d’un
fleuve Triton, où l’on dit que naquirent Phoïbos et
Athéné. La carrière du dieu est moins trouble. Comme Fig. 97. — Voyage de Bacchus ou Dionysos (bas-relief).
Héraclès, Persée, Thésée et tous les autres héros, il eut
à traverser un temps de labeur pénible et de danger avant
d’atteindre au renom et à la gloire. Mais il mena à fin
ces dures besognes ; voici comment. Dionysos, dit-on,
résolut de quitter Orchomène, lieu où il avait passé une
Fig. 98. — Bacchante (bas-relief).
partie de sa jeunesse. Il voyagea du côté de la mer, et se
tint sur un roc en saillie ; les boucles noires de ses cheveux
se répandaient sur ses épaules, tandis que sa robe de
soie frémissait sous la brise. La splendeur de sa forme attira
les regards de quelques Tyrrhéniens qui naviguaient
(fig. 96). Ils vinrent au roc, quittant leur vaisseaux. Fig. 99. — Dionysos ramène Sémélé des enfers (bas-relief).
saisirent Dionysos et
l’enlacèrent de liens
très-forts, bruns et
gris, tombant autour
de lui comme les
feuilles d’un arbre en
automne. En vain le
timonnier les avertit
de n’avoir rien de
commun avec quelqu’un
appartenant à
la race des dieux immortels :
quand l’équipage
s’éloignait à
la voile avec Dionysos,
voici que coula
soudain sur le pont un
flot pourpre de vin et
qu’un parfum de bouquet
céleste remplit
l’air. Une vigne grimpa
par dessus les mâts
et les vergues : autour
des agrès, des masses
confuses de lierre se
mêlèrent à des grappes
étincelantes, une
splendide guirlande
se suspendant comme
un joyau à chaque
coup de rame. À la vue de ces merveilles, les marins, frappés de peur,
entouraient le timonnier, quand un grand rugissement
se fit entendre et un lion fauve avec un ours se tinrent
en face d’eux. Les hommes sautent par dessus bord,
changés en dauphins ; Dionysos, reprenant alors sa
forme humaine, remercie le timonnier de sa bonté, et
fait souffler un vent du nord, qui conduit le vaisseau aux
rivages d’Égypte, dont Protée était roi. Le Dieu ne resta
pas longtemps en Égypte : il voyagea par des terres
nombreuses, par l’Éthiopie et l’Inde, et d’autres contrées,
suivi partout d’une foule de femmes, qui l’adoraient
avec des cris farouches et des chants (fig. 97). Revenu
enfin à Thèbes, où Cadmos avait fait roi son fils Penthée,
il fut mal vu par Penthée, qui le tint en grande
suspicion relativement aux rites étranges dont il instruisait
les femmes et à la frénésie qu’il leur inspirait ;
mais le prince ne réussit pas à conjurer cette folie.
Grimpant dans un arbre pour voir l’orgie des Bacchantes
(fig. 98), il fut découvert et déchiré par elles, sa mère
Agavé, la première, portant la main sur le profane.
Traits omis de l’histoire de Dionysos : il ramena Sémélé
d’Hadès, et la conduisit à l’Olympe, où on la connut
sous le nom de Thyoné (fig. 99).
Bacchus. — Bacchus est le même mythe que le dieu grec Dionysos, appelé aussi Iacchos ou Bacchos, peut-être (comme plusieurs l’ont pensé) à cause des clameurs et des cris avec lesquels on l’adorait.
Héraclès. — Héraclès est le fils de Zeus et d’Alcmène. Sa vie, considérée d’une façon générale, apparaît comme une longue servitude aux ordres d’un maître vil et faible, ainsi qu’un sacrifice continuel de soi-même au bien des autres : trait commun à plusieurs mythes. Une force corporelle irrésistible, qu’il emploie toujours à aider les souffrants et les faibles et à la destruction de toute chose nuisible, caractérise ce dieu. Notez enfin la signification du nom d’Héraclès, qui désigne, comme celui d’Héré, une déité solaire. Zeus se vanta à Héré, le jour de la naissance d’Héraclès, que l’enfant qui sortirait de la famille de Persée serait, par sa volonté, le plus puissant des hommes. Ce que sachant, Héré fit naître Eurysthée avant Héraclès. L’origine de ce détail remonte à de très-anciennes phrases parlant du soleil comme s’il se donnait du mal pour une créature aussi pauvre et aussi faible que l’homme. La vie d’Héraclès sera en effet un sommaire de la marche quotidienne et annuelle du soleil : fort simplement, chaque trait des nombreuses légendes attachées à son nom peut être ramené à des dictons montrant l’astre né pour une vie de labeur, débutant en ses tâches pénibles à la suite d’une courte mais heureuse enfance ; et se plongeant finalement dans le repos, après une rude bataille contre les nuages qui l’empêchèrent dans sa marche. Les travaux d’Héraclès ont commencé pour lui au berceau ; on assigne toutefois les labeurs connus sous le nom des Douze Travaux d’Héraclès (fig. 103, 104, 105 et 106) à des périodes postérieures de sa vie. Mais le nombre en a été fixé par les poètes d’un âge relativement avancé, qui recueillirent maintes et maintes traditions locales, quelques-unes basées sur des faits, d’autres purement fictives, et les attribuèrent toutes à Héraclès. Les poètes homériques n’essayent nullement de classifier ses exploits et ses peines.
Enfant donc, comme il était endormi dans son berceau,
deux serpents s’enroulèrent autour de lui ; s’ éveillant,
il mit ses mains sur leur cou et les dompta, dans une
étreinte toujours plus ferme, jusqu’à ce qu’ils tombassent
morts sur le sol. Ce sont les serpents de la nuit ou
de l’obscurité, sur qui l’on peut dire que le soleil pose
les mains quand il se lève, et qu’il tue à mesure qu’il se
hausse plus avant dans les cieux. Pays natal, Argos :
pourquoi ? parce qu’Argos est un mot qui signifie
« splendeur ». Argos est en conséquence la même chose
que Délos et Ortygia, le lieu de la naissance de Phoïbos
et de sa sœur Artémis, Le précepteur d’Héraclès fut le
sage Chiron, un des Centaures ou êtres à buste et tête
d’homme avec la croupe d’un cheval (fig. 107). Semblable
notion vint apparemment de certaines légendes indiennes,
qui parlaient des Gandharvas ou nuages brillants, comme Fig. 103. — Bas-relief des Douze Travaux d’Hercule.
Fig. 104. — Autre bas-relief des Travaux d’Hercule.
Fig. 105. — Autre bas-relief des Travaux d’Hercule.
Fig. 106. — Autre bas-relief des Travaux d’Hercule.
montant à cheval dans les cieux. Le sophiste Prodicos,
qui a traité la légende d’Héraclès comme illustrant la victoire
de la droiture sur l’iniquité, nous montre le dieu,
adolescent, accosté par deux jeunes filles, l’une habillée
d’une robe séante et d’un blanc pur, l’autre mesquinement
vêtue et la face rougie, les yeux inquiets. Cette dernière,
qui s’appelle le Vice, le tente par des offres d’aise
et de plaisir ; l’autre, la Vertu, lui commande de travailler
Fig. 107. — Centaures.
virilement pour une récompense future et peut-être
éloignée. Héraclès suit le conseil de la Vertu, et
entreprend d’un cœur brave ses labeurs. À côté de ces
figures allégoriques il est une autre jeune fille que l’on dit
avoir gagné l’amour juvénile d’Héraclès : Iole, fille d’Eurytos,
roi d’Œchalie ; mais il fut bientôt séparé d’elle ! Toujours
parce que tous les héros qui représentent le soleil
sont séparés de leur premier amour, juste comme le soleil
laisse la belle aurore derrière lui quand il s’élève dans les
cieux. (Voyez du reste ce que signifie le nom d’Iole : la couleur
violette, et il désigne les nuages couleur violet qu’on
ne voit qu’au lever ou au coucher. Ce nom apparaît en d’autres légendes sous les formes d’Iamos, d’Iolaos et de
Iocaste.)
Vint l’âge des grands exploits, dont je dirai les principaux : le dieu extermina l’hydre aux cent têtes ou serpent d’eau du lac de Lerne, le sanglier sauvage d’Eurymanthe et les harpies des marécages de Stymphale [27].
Toutefois ces exploits ressemblent pleinement à ceux d’autres héros. N’est-ce pas que, pour vous déjà comme pour moi, tant de hauts faits représentent purement le meurtre de Python par Phoïbos, de Fafnir par Sigurd, du Sphinx par Œdipe, du dragon libyen par Persée, du Minotaure par Thésée, et de Vritra par Indra ? Maintenant, les autres actes que conte de lui la légende ! Héraclès cueillit les pommes d’or du jardin des Hespérides, en d’autres mots, les nuages couleur d’or qui se groupent autour du soleil quand il se plonge dans le ciel occidental. Couronnement de ces grands triomphes : il épousa Déjanire, fille d’Œnée, chef de Calydon. Savez-vous ce qu’est Déjanire vis-à-vis d’Iole ? Ce qu’est Hélène vis-à-vis d’Œnone, dans l’histoire de Pâris. Sigurd épouse de la même façon Gudrun, après avoir délaissé Brunehilde ; et Achille, Odyssée (l’Ulysse latin), Thésée (Theseus) et Céphale (Kephalos) sont de la même façon séparés de celles à qui ils avaient engagé leur foi, ou consomment eux-mêmes cet abandon. Aussi Héraclès ne demeura pas avec Déjanire pendant le reste de sa vie. Un jour il tua de sa lance infaillible Eunome, fils d’Œnée ; et rien après ce meurtre ne put l’empêcher de poursuivre sa marche occidentale. Le meurtre d’Eunome n’est lui-même qu’un de ces incidents qu’on retrouve dans divers contes : une autre forme par exemple de l’histoire qui représente Tantale tuant son propre fils.
Déjanire avait quitté sa maison avec son mari et elle alla avec lui aussi loin que Trachis, ayant reçu, sur sa route, du centaure Nessos (le Nessus latin) que tua Héraclès, une coupe remplie du sang de ce personnage. Ce don n’était pas sans objet : « Elle pourrait, avait dit Nessos, en répandant ce sang sur une robe portée par Héraclès, regagner à tout moment son amour, si elle venait à la perdre. » Déjanire eut à craindre ce malheur, du moins elle s’en crut menacée ; car, résidant à Trachis, elle entendit parler de la capture faite en Œchalie par le héros et dire qu’il ramenait avec lui l’aimable vierge Iole. Elle lui envoya en conséquence la robe ointe du sang de Nessos (ou Nessus). Le messager le trouva sur le point d’offrir un sacrifice, et Héraclès revêtit la robe, qui lui brûla promptement la chair et fit jaillir son sang en ruisseaux sur le sol. Héraclès ordonna au messager de le porter sur le sommet du mont Œta, et le dieu mourut au milieu du tonnerre et de l’orage, considérant Iole qui se tenait, pleurante, à son côté. Cette scène magnifique a un sens profond : reconnaissez le dernier incident de ce qui a été plus haut appelé la Tragédie de la Nature, — la bataille du Soleil avec les nuages qui se rassemblent autour de lui comme de mortels ennemis, à son coucher. Comme il s’enfonce, les brumes ardentes l’étreignent et les vapeurs de pourpre se jettent par le ciel, ainsi que des ruisseaux de sang qui jaillissent du corps du mythe ; tandis que les nuages violets couleur du soir semblent le consoler dans l’agonie de sa disparition.
Relevons quelques particularités omises dans l’ensemble du récit précédent. À propos des armes d’Héraclès, d’abord : il se sert quelquefois d’une massue, d’autres fois d’une lance, et parfois de flèches empoisonnées. Les Grecs n’employèrent jamais de flèches empoisonnées : il n’y a du moins aucun témoignage qu’ils l’aient jamais fait. Quelle peut être l’origine de ce détail ; est-il quelques héros qui employèrent de semblables armes ? oui, Philoctète et Odyssée (ou Ulysse). Comment donc ces modes inhumains de combattre ont-ils été attribués par les Grecs à leurs héros les plus grands ? Parce que le mot ios, lance, est le même, pour le son, que le mot ios, poison. Les deux idées se confondirent ; et l’on dit que Hélios, Héraclès et plusieurs autres combattirent avec des lances ou des flèches empoisonnées. Autre chose. Les pérégrinations d’Héraclès ne se bornèrent pas à la Grèce : il voyage par tout le monde, mais, comme le soleil, se meut toujours de l’Est à l’Ouest. Étudions enfin si le caractère d’Héraclès est simplement fait de dévouement ou de sacrifice de soi-même. Si l’on parle du soleil comme se donnant du mal pour autrui, on peut en parler aussi comme jouissant, dans chaque terre, des fruits qu’il a mûris. Héraclès devint donc quelqu’un avide de manger et de boire : et lorsqu’il apprend dans la maison d’Admète que son hôte vient de perdre sa femme, il ne regarde pas ceci comme une raison suffisante pour perdre son dîner. Le même esprit bouffon distingue le conflit avec Thanatos (ou la mort), dans lequel Héraclès délivre Alceste de l’étreinte funèbre.
Je n’ai rien dit de l’aventure d’Héraclès et d’Échidna,
voulant la traiter à part en raison de son importance
générale. Le dieu errait en Scythie, quand il rencontra
Échidna, qui le garda dans sa caverne quelque temps,
avant de vouloir le laisser partir. Histoire n’ayant pas
de trait qui lui soit particulier : Héraclès vient à la
demeure d’Échidna, cherchant son bétail qui lui a
été volé, juste comme Phoïbos cherche les vaches dérobées
par Hermès, ou comme Indra se met en quête
des vaches ravies par le Panis. La terre obscure qu’habite
Échidna est simplement le pays lugubre des
Grées, où va Persée quand il recherche Méduse. La
détention d’Héraclès dans la caverne dénote simplement
le temps qui se passe entre le coucher et le lever du
soleil. Quand ce héros quitte Échidna, il lui donne des
armes qu’elle ne doit céder qu’à celui-là seul qui est
capable de s’en servir, incident que répètent précisément
les légendes de Thésée et de Sigurd. Avant de finir il
nous reste à déterminer ceci : Héraclès est-il un héros
particulier à la mythologie grecque ? Point. Sous le
même nom et sous d’autres noms, nous trouvons un
héros d’espèce semblable dans les légendes mythiques
de presque chaque contrée, et, dans toutes, nous
avons un groupe analogue d’incidents qui toujours nous
fait remonter à de très-anciennes légendes, disant la
marche du soleil de son lever à son coucher.
Hercule. — Qu’est-ce qu’Hercule (fig. 138) ? Comme Fig. 108. — Statue d’Héraclès ou Hercule.
dieu latin, il semble se rapporter aux bornes des territoires
et propriétés ou palissades, ainsi que Jupiter Terminus,
le Zeus Hokios des Grecs ; et comme tel, son nom
était probablement Herclus ou Herculus. La similitude
du nom simplement amena les Romains à identifier leur
Hercule avec l’Héraclès grec. Cette façon de voir acquit
une nouvelle force de ce fait qu’un héros, nommé Garanus
ou Recaramus, passait pour avoir tué un grand voleur
nommé Cacus, et que ce héros ressemblait non-seulement
à Héraclès, mais à Persée, Thésée, Œdipe, et à tous
les autres destructeurs de monstres et de malfaiteurs. L’histoire
de ce Cacus est racontée de diverses façons ; mais la
version la plus populaire dit que quand Hercule atteignit
les bords du Tibre, Cacus, fils à trois têtes de Vulcain,
vola de son bétail, et pour qu’on ne le découvrît pas, tira
les bêtes par derrière jusque dans sa caverne. Mais leurs
mugissements parvinrent aux oreilles d’Hercule, qui, se
frayant par la force un chemin vers l’antre du voleur, y
recouvra non-seulement son troupeau, mais tous les trésors
ravis qui y avaient été amassés. Cacus vomit des
flammes et de la fumée sur son ennemi, qui le tua bientôt
de ses traits infaillibles. Personne qui ne puisse se rendre
compte de la formation de cette histoire : c’est simplement
une autre version des fables nombreuses qui disent le
conflit des cieux et du soleil avec les puissances de la
nuit et des ténèbres, Récaranus qui tue le monstre,
comme Sancus, dont le nom était inscrit également sur
l’Ara maxima ou le grand autel d’Hercule, n’est autre
chose que Jupiter, appelé ainsi parce qu’il était le faiseur
ou le créateur : le mot de Récaranus se rattache enfin,
ainsi que l’ont pensé plusieurs mythographes, à Cérès. Qu’est-ce alors que Cacus ? Comme monstre à trois tétes,
il répond exactement au Géryon et au Cerbère grecs ou
Sarvara indien. Volant les vaches d’Hercule, c’est Vritra
qui enferme la pluie dans la nue d’orage, puis est percée
par la lance d’Indra. Il se montre encore dans le Panis
qui dérobe les vaches d’Indra. Les flammes par lui lancées
de sa caverne sont les éclairs précédant cette averse
de pluie que désignent les vaches reprises à Cacus. À
Fig. 109. — Cœculus.
tort l’on rattacherait le nom de Cacus au mot grec, kakos,
mauvais : la quantité de la première syllabe, qui est longue,
se refuse à cette étymologie. D’autres formes existent
de ce nom, Cakias et Cœculus (fig. 109), qui, dans la
mythologie de Præneste, ville voisine de Rome, était fils
de Vulcain, et, de plus, un voleur vomissant le feu. Maintenant
Aristote parle d’un vent appelé Caikias, qui a
le pouvoir d’attirer les nuages, et il cite le proverbe :
« que les hommes attirent à eux les malheurs comme
Caikias attire les nuages ». Partout au moins, les nuages
ce sont les vaches ou le bétail d’Indra, d’Hélios, de
Phoïbos et d’Héraclès, et au proverbe succéderait un conte ayant sa racine dans la phrase « Cœculus volant les
vaches d’Hercule ». Le combat est la lutte d’Indra et de
Vritra, qui finit par la victoire des puissances de la
lumière.
IO AVEC PROMÉTHÉE, DÉITÉS GRECQUES ET LATINES.
(Grec : Io, Prometheus.)
Io passe pour la fille d’Inachos, roi du territoire d’Argos ;
on dit qu’elle fut aimée de Jupiter, qui la changea
en génisse pour la protéger contre la jalousie d’Héré. Io,
cependant, tomba au pouvoir d’Héré : cette déesse obtint
de Zeus qu’il céderait à toute demande faite par elle ; or
elle donna Io à garder à Argos Panoptès, « celui qui voit
tout », l’Argus latin. Personne n’avait pu surprendre
Argos, dont les yeux ne se fermaient jamais, avant
que Hermès, le messager de Zeus, s’approchât avec une
douce musique endormante et le tuât, prêt à céder
enfin au sommeil. Héré, pour venger ce meurtre, envoya
un taon, qui piqua la génisse Io et pourchassa son agonie
de terre en terre par Thèbes et la Thrace ; la malheureuse
atteignit les hauteurs du Caucase, où le titan
Prométhée pendait enchaîné à un roc, un vautour lui
rongeant le foie. Qu’était-ce que ce Prométhée ? L’être
puissant qui aida Zeus dans sa guerre contre Cronos
et qui enseigna aux hommes à bâtir des maisons et à obéir à la loi, puis leur rapporta du ciel le
feu. Cet acte éveilla le courroux de Zeus, qui, oublieux
de toute reconnaissance, fit enchaîner Prométhée aux
rocs, bornés par les glaces, du Caucase. Le grand supplicié
apprit à Io qu’elle avait à peine commencé d’errer ;
qu’elle devait aller du lieu de leur rencontre à la terre
des Amazones (fig. 112) par delà le détroit qui, d’après
Fig. 112. — Reine des Amazones.
elle, s’appellerait le Bospore (Bosporos) ; en Asie enfin,
et de là dans la terre d’Éthiopie, où elle deviendrait mère
d’Épaphos, dont naîtrait, par la suite, Héraclès ; et que
par Héraclès, lui, Prométhée, serait enfin ravi à son terrible
châtiment : prédictions qui s’accomplirent, d’après
les légendes accréditées généralement.
Les Grecs regardaient ce conte comme dénotant un lien
entre la Grèce et l’Égypte : Io identifiée à Isis, et Épaphos
au bœuf-dieu Apis. Mais cette notion n’est, dans le cas présent et dans celui du Sphinx, qu’imagination d’un
Fig. 113. — Amazone à l’Arc.
Fig. 114. — Statue d’Amazone au repos.
âge postérieur. Détails : Hermès,
en tant que tueur d’Argos, s’appela
Argéiphontès, juste comme Hipponoüs
s’appela Bellérophon ou Bellérophontès,
parce qu’il extermina
Belléros. Quant aux Amazones
(fig. 113), c’était une tribu de femmes
guerrières qu’on supposait
vivre sur les rivages du Thermodon,
ne souffrant qu’aucun homme
y habitât. Leur nom vint, selon
une croyance répandue, de la coutume
de se couper le sein droit afin d’acquérir une
liberté plus grande de manier l’arc
(fig. 114). Cette explication n’est pas
correcte : pareille histoire se fit jour
simplement parce que la signification
du mot avait été oubliée comme dans
le cas de Lycaon, d’Arctos, d’Œdipe,
et dans bien d’autres.
Revenons à Prométhée, ainsi qu’à l’errante Io. Le nom de Prométhée se retrouve dans quelques autres traditions ; c’est (nous l’avons dit déjà) le Pramantha des Hindous, qui servait encore à désigner le morceau de bois, pareil au manche de la baratte, qu’on tournait vivement pour allumer des fragments de bois sec. Très-différemment, enfin, Hérodote nous conte l’histoire d’Io : il dit qu’un vaisseau marchand venant à Argos, elle alla à bord choisir des objets et les acheter ; que le capitaine du vaisseau l’emmena, contre son gré ou point, et que cette offense poussa les Grecs par représailles à enlever Medée de Colchis. Cette version n’a aucune ressemblance avec la première : le seul point d’analogie qui existe entre elles, c’est qu’on mena Io en Asie. Le narrateur grec parla cependant de la même Io, car il l’appelle fille d’Inachos. Voici comment il faut entendre la leçon postérieure. Quand les incidents merveilleux des vieilles légendes vinrent à paraître incroyables, Hérodote et d’autres écrivains s’imaginèrent pouvoir tout arranger en écartant ce qu’il y avait de merveilleux dans chaque histoire et en continuant à la tenir pour la même. C’est ainsi que, selon lui, Io ne fut pas changée en génisse et ne parla jamais à Prométhée. L’historien Thucydide fait de la même façon un récit très-plausible de la guerre de Troie, en laissant de côté tout ce qu’il est dit d’Hector, d’Hélène, d’Achille et des autres personnages de l’époque. Cette méthode n’est ni plus ni moins digne de foi que le serait un nouveau conte, qui affirmerait que « la Belle au bois dormant » n’a pas dormi cent ans, parce qu’il est difficile que l’on dorme cent ans ; et que quant au pouvoir de la fée de Mataquin, qui versa cet enchantement, il n’y faut certainement pas croire, le royaume de Mataquin n’existant ni dans les traités d’histoire, ni dans les atlas de géographie. — « Toutefois, continuerait le conte moderne, il est plus que probable (et rien là qui ne rentre dans l’ordre de faits pouvant se passer encore journellement sous nos yeux) que le jeune prince a réveillé la charmante princesse attardée dans un château qu’entoure un bois domanial ; c’est même le sujet du récit offert à l’attention du lecteur, etc. »
Acceptons avec leur merveilleux les fables anciennes, ou rejetons-les tout entières.
ÉPIMÉTHÉE AVEC PANDORE, DÉITÉS GRECQUES ET LATINES.
(Grec ; Epimetheus, Pandora.)
piméthée est le frère de Prométhée.
C’est, selon la signification du
nom, « Celui qui forme la pensée
d’après les événements, » tandis
que Prométhée (Prometheus) est « celui
qui considère toutes choses à l’avance ».
Avant qu’eût été réglée la partie de
chaque victime sacrifiée qu’on donnerait
aux dieux, Prométhée tua un bœuf, et,
plaçant les entrailles et la viande sous
la peau, mit les os sous la graisse,
et dit à Zeus de prendre ce qui lui
plaisait. Zeus mit la main sur le mauvais morceau et fut
courroucé de s’apercevoir que sa part n’était que graisse
et os. Quand Prométhée s’en fut allé, le maître souverain
résolut de punir Épiméthée, que son frère avait prévenu
de ne recevoir des dieux aucun don. Épiméthée se laissa
tenter par le dieu et négligea l’avertissement fraternel.
Zeus commanda à Héphaistos de prendre de la terre et de la modeler en forme de femme (fig. 117), Cette image d’argile,
Athéné l’habilla d’une belle robe, tandis qu’Hermès
lui donna le pouvoir de proférer des paroles et un esprit
fait pour jouer et décevoir l’humanité. Zeus conduisit
ensuite Pandore (elle fut ainsi nommée) à Epiméthée, qui
la reçut dans sa maison. Pandore vit un grand coffre sur
Fig. 117. — Pandore.
le seuil et souleva le couvercle :
la Dispute et la Guerre, la Peste
et la Maladie en sortirent, ainsi
que tous les autres maux. Elle
laissa, dans sa frayeur, retomber
le couvercle sur le coffre, de sorte
que les hommes n’eurent rien
pour rendre supportable leur misère.
Toutefois il est différents
commentaires de l’histoire de la
boîte de Pandore. Quelques-uns
pensent que l’Espoir y fut enfermé
par miséricorde à l’égard des hommes
et pour ne pas aggraver leurs
maux. Mais telle n’est pas la
signification de l’histoire d’Hésiode,
car Pandore ne porte pas
le coffre avec elle, mais le trouve dans la maison d’Épiméthée.
Or les souffrance et les misères ne peuvent
faire de mal avant qu’on les ait lâchées ; et l’Espérance,
enfermée là, ne rend les choses que pires et non meilleures.
Une autre légende existe, avec laquelle ne s’accorde pas l’histoire de Prométhée, mais qui la contredit entièrement : c’est l’histoire hésiodique des cinq Âges — d’or, d’argent, de bronze, l’héroïque et celui de fer. Dans cette tradition on suppose que les hommes vivaient d’abord libres de tous besoins et de la douleur, de la maladie, avant que Pandore vînt à lâcher tous les maux.
La fable de Prométhée, elle, donne à supposer que l’état très-primitif de l’homme était une misère excessive, et sa vie, celle des bêtes brutes, jusqu’à ce que ce héros lui donnât les maisons et le feu et le fît vivre dans l’ordre et avec décence. Cette notion se rencontre aussi dans l’histoire de Phoronée.
Esculape et le Centaure Chiron.
Asclépios ou Esculape, dans Homère, apparaît en tant que fils ou descendant de Païéon (le guérisseur) ; mais, dans l’histoire communément reçue, c’était le fils d’Apollon et de la nymphe Coronis, une fille de Phlégyas, qui habitait les bords du lac Bœbéis. Esculape n’est pas une divinité d’origine latine parallèle : ce nom, une simple forme d’Asclépios, a été, avec le caractère et l’histoire mythique du dieu, importé tout entier de la mythologie grecque.
Une fable grecque a trait à la naissance du personnage. Avant que l’enfant vînt au jour, Apollon quitta son amante, la suppliant de lui demeurer fidèle ; mais lorsqu’il fut parti, un bel étranger nommé Ischys arriva d’Arcadie et obtint l’amour de la jeune femme. La nouvelle en fut apportée à Apollon, dont la sœur, Artémis, frappa Coronis de sa lance infaillible. Mais Phoïbos sauva le petit enfant Asclépios, et le confia aux soins du centaure Chiron, qui le fit savant dans l’art de guérir et dans le secret des vertus possédées par les herbes. La suite de ce conte est : qu’Asclépios plus tard gagna une renommée aussi vaste que le monde et l’amour de tous, en tant que guérisseur de douleurs et de maux. Mais le pouvoir qu’avait le sage de ressusciter les morts éveilla la fureur d’Hadès, qui se plaignit à Zeus que son royaume serait bientôt dépeuplé, si Asclépios continuait à rendre les êtres au monde supérieur. Zeus frappa Asclépios de sa foudre, et cela provoqua la colère d’Apollon au point de lui faire tuer le géant Cyclope. Zeus, pour cette offense, bannit le jeune dieu dans la terre strygienne ; mais sur la prière de Léto ou Latone, sa mère, ce châtiment fut changé en un an de service dans la maison d’ Admète, qui régnait à Phères. Plusieurs racontent différemment l’histoire d’Asclépios, et, suivant leurs versions, Coronis elle-même, peu après la naissance de son enfant, l’exposa sur le flanc d’une colline, répétant ainsi le conte de Pâris, de Télèphe, d’Œdipe et d’autres héros. L’enfant fut nourri par une chèvre, comme Kuros (notre Cyrus latin) le fut par un chien, et Romulus par un loup. Un berger le trouva, que guidait vers le lieu la clarté d’une lumière entourant l’enfant. Asclépios fut de là appelé Aglaer, « celui qui brille », nom simplement soleil.
Quant à Coronis, je vois en elle un être qui, par sa vie et sa mort, ressemble de près à Procris. Comme cette dernière, la jeune femme est charmée par un étranger qui vient, vêtu d’une beauté pareille à Phoïbos, de la terre arcadienne ou « brillante », de même aussi qu’Apollon de Délos ; et toujours comme Procris, elle périt de la lance d’Artémis. Le châtiment d’Apollon : voyez là une autre forme de l’idée qui représente Héraclès et Poséidon peinant au service d’êtres plus faibles qu’eux-mêmes. La notion de ce pouvoir de guérir attribué à Asclépios se trouve en germe dans beaucoup de légendes. On regardait naturellement le soleil comme « celui qui restaure toute vie végétale » après le long sommeil de l’hiver, et, comme tel, il est doué d’un pouvoir s’étendant à la guérison des souffrances humaines, et finalement à la vie elle-même réparatrice de la mort.
DEUCALION, DIEU GREC ET LATIN.
(Grec : Deucalion.)
l’époque de Deucalion, chef de
Phthia, et fils de Prométhée et de
Clymène, Zeus résolut de punir
la méchanceté des hommes, l’iniquité
de Lycaon et de ses fils y ayant mis
le comble. Il envoya donc un déluge
à la terre, et, comme les eaux s’élevaient,
Deucalion ordonna à sa femme
Pyrrha d’apprêter l’arche qu’il avait
construite sur l’avertissement de son
père Prométhée. Or y entrant, lui et
sa femme, ils furent portés sur les eaux
pendant huit jours, et le neuvième, l’arche demeura sur
les hauteurs du Parnasse. Ils laissèrent cette nef sur la
cime, et offrirent un sacrifice à Zeus, lequel envoya
Hermès pour exaucer toute prière faite par Deucalion.
Le juste demanda la restauration de la race humaine ;
Hermès dit que lui et sa femme avaient à se couvrir la
face de leurs manteaux, et à jeter derrière eux les os de leur mère sur le chemin. La sagesse qui venait à ce géant
de son père Prométhée lui enseigna que sa mère, c’était
la terre ; il fallait donc jeter simplement des pierres derrière
soi pendant la descente du Parnasse. Les cailloux ainsi
semés devinrent des hommes et des femmes, et commencèrent
aussitôt cette dure vie de labeurs, qui est
depuis le lot de l’humanité.
Quand eut lieu ce déluge ? Quelques-uns le fixent au
règne d’Ogygas, roi mythique d’Athènes, mais il y a
maintes variantes à ce conte : telle disant que tous les
hommes périrent ; une autre, que ceux de Delphes échappèrent.
Ainsi, dans l’histoire babylonienne de Xisuthros,
le déluge épargne les mortels qui sont pieux. Dans quelques
leçons du conte indien, Manu entre en l’arche ainsi
que les sept sages ou Rishis, qui restent avec lui jusqu’à
l’atterrissement sur un pic appelé Naubandhana (des
liens du vaisseau). Les noms de cette légende se peuvent
expliquer : donc, lecteurs, à l’œuvre ! Le nom de
Deucalion d’abord n’est pas sans se rattacher à celui de
Polydéikès ou le Pollux latin, le fils « brillant » de Léda
(autre forme de Léto). Sa femme Pyrrha, la rouge (en
tant que désignant peut-être la terre rouge), appartient à
cette même classe, ainsi qu’Iole, Iocaste, Iam « de couleur
violette », et Phœnix « pourpre ». Reliez enfin ce
conte à beaucoup d’autres. La légende de Prométhée se
rattache à celle d’Io et d’Héraclès, d’Épiméthée, de Pandore,
d’Athéné et à plus d’une encore. Deucalion est
aussi le père de Minos, le Manu indien « le penseur, ou
l’homme » ; et Minos, père d’Ariane, que Thésée conduit
à Naxos après avoir tué le Minotaure, est de plus apparenté
avec Nisos et Skulla, en latin Nisus et Scylla.
D’autres enfants passent pour issus de Deucalion : on appelle ce géant le père d’Hellène (de qui l’on dit que descendirent les Hellènes), et de Protogénéia « le grand matin », enfant premier-né du soleil. Légendes qui procèdent du même esprit. Protogénéia, l’aube, devient mère d’Aéthlios, le soleil peinant et s’efforçant, qui, comme Héraclès et Achille, travaille pour d’autres, non pour soi : et Aéthlios est le père d’Endymion le beau, qui s’enfonce, pour y dormir, dans la caverne de Latmos comme le soleil plonge dans la mer occidentale. Toujours l’acte solaire.
Ajoutons que l’histoire de Deucalion a été conservée par la tradition d’un autre peuple. Les Indiens Macusi de l’Amérique du Sud racontent, dit-on, que le dernier homme qui survécut au déluge repeupla la terre en changeant des pierres en hommes. Selon les Tamanaks d’Orinoko, ce fut un couple d’êtres humains qui jeta derrière lui le fruit de certain palmier, et du noyau naquirent des hommes et des femmes.
ADMÈTE, DIEU GREC ET LATIN.
(Grec : Admètos.)
dmète, ce chef de Phères, était
l’heureux époux d’Alceste. Le
jour de son mariage il avait,
hélas ! courroucé Artémis, la négligeant
dans un sacrifice. La déesse promit
cependant que, l’heure de la mort
arrivant, il échapperait à toute condamnation,
si son père, sa mère ou sa
femme mourait pour lui. Alceste y
consentit, et fut conduite au Hadès ;
mais Héraclès trouva Thanatos (la
mort) sur son chemin vers la terre invisible, et, après une
longue lutte, délivra la jeune femme et la ramena. Songez
un instant à cette histoire et vous verrez qu’elle n’est
point sans jeter quelque lumière sur celle d’Asclépios : elle
montre Héraclès ramenant les morts, après la dispute
terrible avec Thanatos ou la mort. Mais l’idée de la sagesse
de Phoïbos-Apollon, qui apparaît dans la légende d’Hermès,
présente aisément cette suggestion que lui ou son
fils savaient rendre les malades à la santé, ou rappeler les
morts à la vie, sans ces violents combats.
TANTALE, DIEU GREC ET LATIN.
(Grec : Tantalos.)
antale était un roi de Lydie, qui
avait un palais flamboyant d’or,
sous le Xipylos, mont où les larmes
de Niobé changèrent en pierre
cette mère malheureuse, Il était aussi
connu pour sa sagesse et son pouvoir,
que sa femme Euryanassé l’était pour
sa beauté. Oui, Tantale était admis à
participer aux conseils secrets de Zeus ;
et, de la sorte, il acquit un savoir supérieur
au degré atteint par les meilleurs
des mortels. Mais dans le cours des
temps il vola quelque peu de la nourriture et du breuvage
des dieux, et les donna à son peuple. Il refusa aussi d’abandonner
le chien Pandarée, qui avait gardé Zeus dans la
caverne de Dicté. Zeus et tous les dieux venant festoyer
dans la salle du banquet, il découpa enfin son propre fils
Pélops, un enfant, et en plaça les membres rôtis devant eux comme un mets d’un repas. Zeus rendit Pélops à la
vie, et condamna Tantale à contempler de beaux fruits
auxquels il ne pouvait pas toucher, et des eaux claires
qu’il ne pouvait goûter : s’il avançait la main pour prendre
le fruit, les branches s’évanouissaient, et un vaste rocher
paraissant au-dessus de sa tête, menaçait de l’écraser et
de le réduire en poussière. Voilà une des légendes grecques
les plus transparentes. Le palais de Tantale n’est autre
chose que la maison d’or d’Hélios, d’où s’élance aussi
Phaéthon, dans sa course infortunée. Sa sagesse est la
sagesse de Phoïbos, d’Œdipe et d’Odyssée (l’Ulysse latin).
Les rapports fréquents avec Zeus représentent les visites
d’Hélios aux hauteurs du ciel. Le vol du nectar et
de l’ambroisie répond au vol du feu par Prométhée, et
l’abondance dont Tantale comble le peuple est la richesse
que la chaleur du soleil fait sortir de la terre. Comme le
soleil, sa chaleur devenue trop forte, brûle les fruits, et
les hommes, dans le mal de la sécheresse, dirent : « Tantale
tue et rôtit son propre enfant ». Pélops rendu à la vie,
voilà l’action de la vertu puissante qui rend à la terre la
fraîcheur après des temps arides : elle se trouve aux
mains d’Asclépios et de Médée. La sentence édictée contre
Tantale se rapporte parfaitement à la même idée : quand
l’infortuné se penche pour boire l’eau et manger les fruits
qui l’environnent, c’est la dessiccation des cours d’eau et
les herbages flétris sous les violents rayons du soleil. Le
rocher qui va écraser le dieu représente la sombre nuit
d’orage qui s’appesantit comme le sphinx au-dessus de la
terre, ou la menace à la façon de Polyphème et d’Odyssée.
Et comme la terre est brûlée à proportion que le soleil
semble s’y abaisser, l’expression « souffrir comme Tantale » s’applique à tous les désappointements éprouvés lorsque
la récompense qu’on désire semble tout près de notre
étreinte. Euryanassé signifie le jour qui règne au loin —
nom qui correspond à Euryméduse, Euryphassa, Europe,
et à tous les noms du matin de la journée.
IXION, DIEU GREC ET LATIN.
(Grec ; Ixiôn.)
xion, que quelques-uns disent fils
de Phlégyas (l’enflammé), épousa
Dia, fille d’Hésionée, à qui il promit
de riches présents ; mais il refusa de
les lui envoyer après son mariage. Hésionée
prit mal ce refus ; il vola les chevaux
immortels qui emportaient le char
brillant d’Ixion. L’époux dit donc de
venir chercher les dons, s’il les voulait
avoir, à ce père, qui vint en conséquence :
or, tandis qu’il accentuait sa revendication
devant le logis renfermant l’amas des présents, Ixion ouvrit
la porte, et Hésionée tomba dans une fosse pleine de feu.
Ce meurtre fut suivi d’un temps de sécheresse et de misère,
jusqu’à la purification du coupable, décrétée par
Zeus, Ixion reconnut cette bonté, devinez comment ? par
l’offre de son amour à Héré, la reine du ciel, Zeus fit face
à ce nouveau danger en faisant prendre à un nuage l’apparence
d’Héré, décevant ainsi Ixion, qui devint le père des centaures. Pour le punir davantage enfin, il le lia à
une roue à quatre jantes qui roule avec lui à tout jamais
(fig. 124). Ce conte, comme celui de Tantale, illustre
quelque phase de l’action du soleil dans sa course à travers
le ciel. Voir en Dia un être qui représente la belle
Aurore, et qui répond à Dahanâ, Daphné, Iole, Jocaste
et Eurydice. Comme Héraclès abandonne Iole, et Sigurd
Fig. 124. — Sisyphe, Ixion et Tantale.
quitte Brunehilde ; comme Œdipe et Orphée sont séparés
de Jocaste et d’Eurydice, et comme Thésée délaisse
Ariane : ainsi Ixion quitte Dia, et est épris des charmes
d’Héré. Le père, Hésionée, c’est l’obscurité d’où jaillit
Dia, l’aurore. Quant au logis et au trésor d’Ixion, j’y
reconnais, et vous aussi, le palais d’Hélios et de Tantale,
l’abîme de splendeur où la nuit se consume. La seconde
partie du conte n’est pas moins explicable : par exemple
ce fait qu’Ixion aime, entre toutes, l’illustre Héré. Tout
vient, n’est-ce pas ? de ce que le soleil, quand il s’élève
dans le ciel, semble courtiser le ciel bleu, ou la demeure spéciale d’Héré et de Zeus. Le séjour d’Ixion dans la
maison de Zeus représente alors la longue pause que
semble faire l’astre au haut des cieux, à midi. Fantôme
qui se joue d’Ixion, un beau nuage repose sur l’azur bleu
et profond : et, les Centaures (fig. 125), Gandharvas
hindous, ce sont ses enfants, vapeurs que répand ce
nuage, en temps de pluie, sur les terres de l’Est. Reste la
roue à quatre jantes d’Ixion. C’est la croix de feu,
Fig. 125. — Centaures.
les rayons transversaux
et vibrants que
voient, dans le ciel,
ceux qui regardent
le soleil, à midi. Le
nom d’Ixion peut enfin s’expliquer,
quoique dans ce cas
nous finissions (au
lieu de commencer)
par demander aide à
la science étymologique ;
mais rien de très-frappant ne s’impose à notre
recherche. Voici : certains ont identifié ce nom avec le
mot sanscrit Akshanah, lequel désigne quelqu’un qui est
attaché à une roue ; le vocable Ixion étant de la sorte
regardé comme apparenté au grec axôn et au latin axis.
Les vieux poèmes contiennent le germe de l’histoire
d’Ixion, si on sait l’y retrouver. Dyaus (le ciel) lutta
pour arracher la roue du soleil à l’étreinte de la nuit.
De phrases semblables vint aussi la notion des obscures
Gorgones, poursuivant Persée qui se hâte vers les jardins
hyperboréens.
BRIARÉE, DIEU GREC ET LATIN.
(Grec : Briaréos.)
riarée est le fils aux cent mains
d’Ouranos et de Gée ; autrement
appelé Ægœon. Lorsqu’Héré, Poséidon
et Athéné allaient charger de
liens Zeus, voici que Thétis avertit
du danger le souverain des dieux ; qui,
appelant à ses côtés Briarée, effraya les
conspirateurs, prompts à abandonner
leur tentative.
Gorgones.
LES HÉROS
ET
LE PAYS DE L’IMMORTALITÉ
PERSÉE, MYTHE GREC ET LATIN.
(Grec : Perseus.)
Persée est le grand héros d’Argos et le fondateur mystique de la dynastie des Perséides ou enfants de Persée. Héraclès appartenait à la famille de Persée : on nous présente sa mère Alcmène comme la petite-fille du héros.
L’histoire d’Héraclès a été, cependant, racontée avant
celle de Persée, parce qu’Héraclès n’est le descendant de
Persée que dans la seule mythologie d’Argos. Chaque
État ou chaque cité avait son propre fonds de traditions,
dont aucune ne s’accordait de tous points avec celles des
autres États ou des autres cités, et les légendes d’Héraclès
se connaissaient au loin plus que celles de Persée ; elles
servirent de fondement à l’histoire non seulement de ce
dernier, mais de beaucoup d’autres héros. Vous voici
donc prévenus que le conte de Persée est véritablement la répétition du conte d’Héraclès (fig. 128), quoique
le peuple d’Argos, jadis, n’ait point eu vent de cela. Des
différences dans les noms des personnes et des lieux mentionnés
obscurcirent les points de contact suffisamment
pour faire paraître ces contes très-différents aux yeux de
gens que rien ne portait à les examiner avec minutie
ou plutôt avec un esprit critique. Héros particuliers à
chaque cité, qui les honorèrent comme leur défenseur,
Thésée à Athènes et Œdipe à Thèbes répondaient à
Fig. 128. — Héraclès.
Persée d’Argos. Les hommes
de Thèbes, d’Argos et d’Athènes
regardaient leurs légendes
héroïques comme des histoires
distinctes véritablement.
Le sont-elles ? Point. Mais
simplement la répétition du
même conte, les noms des lieux
et des personnes changés, et
quelques-uns des accidents altérés.
Revenons à Persée, et d’abord à la fable de sa naissance.
Acrisios, roi d’Argos, fut averti, par l’oracle de
Delphes, que si sa fille Danaé avait un fils, il serait, lui,
tué par cet enfant. Aussi enferma-t-il Danaé dans une
tour, mais Zeus y entra sous forme de pluie d’or ; et
Danaé devint mère de Persée. Acrisios plaça Danaé et son
nouveau-né dans un coffre que les vagues de la mer portèrent
à l’île de Sériphos. La jeune femme et l’enfant,
sauvés, furent traités avec bonté par Dictys, frère de
Polydccte, roi de l’île. Persée grandit, doué d’une beauté
et d’une force plus qu’humaines. Ses yeux étincelants et
ses cheveux d’or le faisaient pareil à Phoïbos, seigneur de la lumière. La destinée qui échut à Persée fut toutefois
un lot de dur labeur, de peine et de danger, terrible
enfin ; mais que devait suivre une grande récompense.
Voici. Le cruel Polydecte chercha à gagner l’amour de
Danaé ; et comme Danaé refusait, ce roi mit à son tour
la princesse en prison, disant qu’elle n’en sortirait pas, à
Fig. 129. — Tête de Méduse.
moins que Persée n’apportât la tête de la gorgone Méduse,
l’une des trois filles de Phorcos et de Célo (fig. 129). Ses
sœurs, Stheino et Euryale, étaient immortelles : mais,
elle, était mortelle. La légende est belle : on dit que Méduse
vivait, avec ses sœurs, dans l’Ouest lointain, bien au-delà
des jardins des Hespérides, où le soleil ne brillait jamais :
rien de vivant ne s’y faisait voir. Altérée d’amour
humain et de sympathie, elle visita ses parentes les Grées,
qui ne voulurent l’aider. Aussi quand Athéné vint du pays libyen, implora-t-elle son aide ; mais la déesse la
lui refusa, alléguant que les hommes reculeraient devant
la sombre mine de la Gorgone. Méduse avait dit qu’à la
lumière du soleil sa face pouvait être aussi belle que celle
d’Athéné ; et la déesse, dans sa colère, répliqua que tout
mortel qui regarderait ce visage serait changé en pierre.
C’est ainsi que l’aspect de la malheureuse devint autre, et
que ses cheveux furent des serpents qui s’enroulèrent et
s’enlacèrent autour de ses tempes. Persée parvint à trouver
le refuge de Méduse et plus tard à la tuer : pour cela
les dieux l’aidèrent.
Mais n’anticipons point. Persée dormait encore sur
le sol argien qu’Athéné se tint devant lui et lui donna un
miroir dans lequel il vit, réfléchie, la face de Méduse ;
ainsi il était possible au héros de la reconnaître, car,
Méduse elle-même, il ne pouvait la contempler et vivre.
Quand il s’éveilla, il trouva le miroir à son côté, et
sut que ce n’était pas un songe. Il voyagea vers l’Ouest
avec bon espoir et, la nuit suivante, reconnut, dans son
sommeil, Hermès, le messager céleste, qui lui donna l’épée
tuant tout mortel qu’elle frappe : le dieu lui ordonna en
outre d’obtenir le secours des Grées dans sa recherche ultérieure.
Quand il s’éveilla, il prit avec lui l’épée et alla à la
terre des Grées, où Atlas supporte les piliers des hauts
cieux : là, dans une caverne, il trouva les trois sœurs qui
avaient un œil à elles trois, qu’elles se passaient l’une
à l’autre. Cet œil, Persée le saisit ; et par ce fait obligea les
Grées à le guider vers la demeure de Méduse. Sur leur
avis, il alla jusqu’au bord du fleuve océan coulant autour
de la terre entière : où les nymphes lui donnèrent le
casque d’Hadès, qui accorde à qui le porte le pouvoir d’aller invisible, et un sac où mettre la tête de
Méduse ; puis les sandales d’or d’Hermès qui l’emporteraient
plus prompt qu’un rêve sur la trace des sœurs
Gorgones. Armé de la sorte, Persée s’approcha de la
demeure de la Gorgone ; et pendant le sommeil des trois
sœurs, l’épée infaillible frappa et acheva la funeste vie de
Méduse. Quand les immortelles Gorgones s’éveillèrent et
virent l’une d’elles assassinée, elles s’élancèrent, dans une
poursuite folle, après Persée ; mais avec la coiffure d’Hadès,
il voyagea invisible ; et les sandales d’or le portèrent comme
un oiseau par les airs. Il alla devant lui jusqu’à ce qu’il
entendît une voix lui demander s’il avait apporté la
tête de Méduse. C’était la voix du vieillard Atlas, supportant
de ses épaules les piliers des cieux, à qui il tardait
d’être soulagé de son terrible labeur. À sa prière,
Persée lui montra la face de la Gorgone ; et les membres
rudes du vieillard se raidirent aussitôt, comme les arêtes
aux flancs d’une colline ; sa chevelure éparse ressembla à
la neige qui couvre un sommet de montagne. Persée
se dirigea vers la terre des Hyperboréens, qui ne connaissent
ni jour ni nuit, ni orage, ni sécheresse, ni la
mort ; mais vivent joyeusement parmi de beaux jardins,
où les fleurs ne se fanent et ne disparaissent jamais.
Le héros ne séjourna pas longtemps dans cette terre heureuse ;
il se rappela sa mère Danaé, en prison à Sériphos,
et, une fois de plus, avec ses sandales ailées, fuit aux
bords libyens. Sur un roc, il vit une belle jeune fille
enchaînée, un grand dragon s’approchant pour la dévorer.
Mais avant que le monstre saisît sa proie, l’infaillible
épée l’abattit ; et, ôtant sa coiffure, Persée se tint
devant Andromède (fig. 130). On célébra bientôt après des noces, où siégeait la jeune fille, épouse de Persée : mais
un accident marqua cette fête. Phinéas, qui avait souhaité
d’épouser Andromède, injuria Persée ; le fiancé, dévoilant
la face de la Gorgone, changea Phinéas et tous ses compagnons
Fig. 130. — Andromède et Persée (bas-relief).
en pierre. Persée ne demeura point en Libye.
Céphée, père d’Andromède, le supplia de rester ; mais il fit
hâte vers Sériphos et délivra sa mère Danaé de la prison ;
avec la face de la Gorgone il changea encore en pierre le
tyran Polydecte. Ainsi se termina l’œuvre ; et Persée rendit
à Hermès le casque d’Hadès, et les sandales et l’épée. Athéné prit la tête de la Gorgone et la plaça sur son
égide. Si l’on se souvient, il reste à faire s’accomplir
l’avertissement donné par l’oracle de Delphes au roi Acrisios.
Quand Persée retourna avec Danaé à Argos, Acrisios,
qui avait grand’ peur, s’enfuit à Larisse, où il fut reçu par
le chef Teutamidas. Persée y vint aussi, pour participer
aux jeux célèbres qui devaient se donner en la plaine,
devant la cité. D’un bout à l’autre il triompha ; mais
pendant qu’il jetait ses disques, l’un d’eux dévia et tua
Acrisios. Certaines légendes veulent que le chagrin de
cette mort qu’il avait causée involontairement l’ait amené
à céder à son parent Mégapenthès la souveraineté d’Argos ;
il aurait alors été mourir dans la cité de Tiryns, entourée
par lui d’énormes murailles.
Voyez-vous à quelles histoires cette légende ressemble surtout ? À celles d’Héraclès, nous l’avons dit ; puis à d’autres que nous verrons : exploits de Thésée, de Bellérophon, de Céphale et d’Œdipe. L’avertissement donné à Acrisios se trouve dans plus d’un conte : Laios est averti, à Thèbes, qu’il sera tué par son fils ; Priam, dans Troie, est averti que son enfant causera la ruine de cette ville. Même prophétie est aussi faite aux parents de Télèphe, de Kuros (le Cyrus des Latins), de Romulus, et de bien d’autres.
Suites ordinaires de cet avertissement : les enfants sont
exposés, quelques-uns sur le flanc d’une colline, tels
qu’Œdipe, Pâris et Télèphe ; plusieurs sur la mer, tels
que Dionysos et Persée ; ou dans un berceau sur le bord
d’une rivière, comme Romulus. Dans les différents cas,
ils sont sauvés ; et l’époque de leur croissance, jusqu’à
l’âge d’homme, est généralement décrite avec les mêmes traits. Revenons maintenant aux détails premiers de la
légende. Qu’est-ce que la pluie d’or dans la prison de
Danaé ? La lumière du matin qui coule sur les ténèbres de
la nuit. Que montre l’assujettissement de Persée à Polydecte ?
Une autre forme de l’assujettissement d’Héraclès à
Eurysthée, de Poséidon à Laomédon, et d’Apollon
Fig. 131. — Vase montrant les Grées.
à Admète. Qu’est Polydecte ?
La même chose que
Polydegmon, ou Hadès,
roi de la terre obscure, lequel
saisit gloutonnement
tout ce qui se met à sa
portée. Enfin Méduse et
ses sœurs ? Méduse est la
nuit étoilée, solennelle
dans sa beauté, et condamnée
à mourir quand
vient le soleil ; ses sœurs
représentent les ténèbres
absolues que l’on supposait
impénétrables au soleil.
Voir dans le voyage de
Persée à la terre des Grées
la contre-partie du voyage d’ Héraclès à la terre des Hespérides.
Les Grées personnifient le crépuscule ou l’obscurité,
la région des ombres douteuses et des obscurs brouillards
(fig. 131). Comparez aussi le dragon libyen tué par Persée
avec ses autres formes en tant que Python, Fafnir,
Vritra, le Sphinx et la Chimère. Le mariage d’Andromède
ressemble, du reste, à ceux d’autres héroïnes mythiques :
il suit le meurtre d’un monstre, comme celui d’Ariane, de Brunehilde, de Déjanire, de Médée, de Jocaste et de toutes.
Le retour de Danaé à Argos, c’est la restitution d’Iole à
Héraclès, de Briséis à Achille, d’Antigone à Œdipe, et de
Brunehilde à Sigurd. Qui n’a reconnu en l’épée que porte
Persée les rayons perçants du soleil qui est invincible
dans sa force ? Bien d’autres êtres mythiques sont en
possession de ces armes irrésistibles, n’est-ce pas ? Tous
ces héros dont la vie, au fond, ressemble à celle d’Héraclès
et de Phoïbos. Ainsi nul autre ne peut manier la
lance d’Achille ou l’arc d’Odyssée (l’Ulysse latin) ; et
les flèches d’Héraclès et de Philoctète portent la mort en
leurs plumes.
La signification du nom de Persée est typique : il veut dire le Destructeur. Nombre de héros ont des noms qui viennent des monstres qu’ils tuent, tel que Bellérophontès ou Bellérophon, le tueur de Belléros, et Arguéiphontès, le tueur d’Argos Panoptès « qui voit tout ».
Par cette première légende relative à un Héros nous apprenons qu’il en sera de même que dans le cas des Dieux. Persée, Bellérophon, Héraclès, Thésée, Achille, Apollon, Odyssée, Sigurd, Rustem, et une légion d’autres, ne sont que des formes différentes d’une seule et même personne ; et l’idée de cette personne est issue de phrases qui décrivaient originairement la marche du soleil dans son orbe annuel et quotidien.
NIOBÉ, MYTHE GREC ET LATIN.
(Grec : Niobé.)
resque chaque incident de l’histoire
de Niobé se raconte de diverses
façons. C’est ainsi que certains
auteurs disent cette déité mère de
Phoronée et femme d’Inachos ; tandis
que la version la plus populaire en fait
une fille de Tantale et la femme d’Amphion,
roi de Thèbes. Niobé compara
le nombre de ses six fils et de ses six
filles aux deux seuls enfants dont Léto,
la Latone latine, était mère ; et elle
éveilla le courroux de cette déesse qui commanda à Phoïbos
et à Artémis de venger son affront. À eux deux ils
tuèrent en conséquence tous les enfants de Niobé (fig. 133)
avec les flèches qui ne manquent jamais leur but ; et
Niobé, allant à la montagne de Lipylos, y pleura jusqu’à
se changer en pierre.
Étudions cette histoire. La rivalité entre Niobé et Léto
ou Latone se reproduit dans celle qui existe entre Méduse et Athéné, et les nombreux enfants de Niobé sont les
nombreux enfants de la brume : en d’autres termes des
Fig. 133. — Niobédes.
nuages qui, bien qu’aussi beaux que Phoïbos et Artémis,
sont desséchés par les rayons brûlants du soleil. Tandis
que Niobé elle-même se dissout en une pluie de larmes,
durcie bientôt en glace sur le sommet de la montagne.
THÉSÉE, MYTHE GREC ET LATIN.
(Grec : Théseus.)
hésée est le grand héros d’Athènes,
correspondant (nous l’avons
vu) à Persée d’Argos et à Œdipe
de Thèbes. Son père est Œgée et
sa mère est Ætra, l’air pur. Adolescent,
il vécut à Trézènes, où il dut rester
jusqu’à ce qu’il fût capable de soulever
une grosse pierre : dessous, Œgée avait
placé son épée et ses sandales. Vous
reconnaissez en ces sandales celles
d’Hermès ; l’épée est l’arme d’Apollon
Chrysaor, et correspond aux flèches de
Phoïbos et d’Odyssée et à la lance d’Achille. La manière
dont Thésée les doit gagner se retrouve dans plusieurs
autres histoires : en le conte d’Héraclès et d’Échidna, et
dans la légende qui, plus tard, devint le Lai des Nibelungen
ou enfants de la brume (le Nibelungenlied). Odin,
enfonçant jusqu’à la poignée dans un tronc de chêne
l’épée Gram, la laisse à l’homme qui pourra l’en retirer : c’est Sigmund qui l’en retire ; et plus tard, lorsqu’elle est
cassée, Régin, l’artisan, qui correspond à Héphaïstos,
le Vulcain latin, la forge de nouveau pour Sigurd.
Cette épée gagnée par lui et par nous reconnue, suivons
les exploits qu’accomplit Thésée : il tue le géant Périphètes
(fig. 135), le voleur Sinnis, la truie de Crommyon ;
et le cruel Procuste, qui torturait ses victimes en étirant
Fig. 135. — Thésée tue Périphètes.
leurs membres jusqu’à ce que mort s’ensuivît. Tant de
hauts faits ne servirent pas à exempter ce héros de labeurs
ultérieurs. Comme Persée et Héraclès, Thésée est voué
à une vie de peines ; et d’Athènes il fut envoyé pour tuer
le monstre, avec le vaisseau qui portait au Minotaure un
tribut d’enfants à dévorer. Cette bête chimérique avait la
forme d’un taureau, qu’on disait né de Pasiphaé, la femme
de Minos. Explication simple : le nom de Pasiphaé désigne
« quelqu’un qui donne la lumière à tous » ; et le taureau,
dans les hymnes védiques les plus vieux, est toujours
mentionné conjointement avec le soleil et le char d’Indra et de Dahana. Europe aussi est née en mer sur un
taureau sans tache et blanc. La déviation de l’idée a sa
cause dans l’oubli de ceci, que Pasiphaé, comme Téléphassa
et Argynnis, était simplement un nom pour : le Matin.
Fig. 136. — Thésée et le Minotaure, bas-relief.
Le Minotaure avait sa demeure dans le labyrinthe de
Crête, Qu’est-ce que ce labyrinthe ? Le même lieu que la
chambre nuptiale qu’Odyssée a, de ses mains, faite pour
Pénélope : il reparaît aussi dans le méandre des jardins
hyperboréens, que le Soleil dispose pour sa fiancée,
l’Aurore. Avec l’aide d’Ariane, fille de Minos, le héros
enfin tua le Minotaure, tout juste comme avec l’aide de Médée, Jason tua les taureaux soufflant des flammes de
Colchide (fig. 136). Sachons ce qu’il advint d’Ariane. Thésée
l’emmena avec lui dans la lointaine Naxos, et la délaissa
(fig. 137). Mais Dionysos vint, en fit sa femme et
plaça sa demeure dans la constellation qui s’appelle la
Chevelure d’Ariane. Médée, de son côté, fut, elle aussi,
délaissée comme Ariane : Jason la quitta pour épouser
Fig. 137. — Ariane.
Glaucé, fille du roi Créon. Toujours, n’est-ce pas ? l’abandon
d’Iole par Héraclès, d’Œnone par Pâris et de Brunehilde
par Sigurd ; et qui ne veut dire autre chose sinon
que le soleil ne peut pas s’attarder dans l’Est avec l’aurore.
Mais d’autres accidents attendent Thésée. Comme
d’Œdipe et de Persée, on dit de lui qu’il fut la cause
involontaire de la mort de son père, en négligeant de
descendre la voile noire qui ne devait être déployée que
pour le voyage en Crète. Aussi : qu’il prit part à la chasse du sanglier de Calydon et au voyage des Argonautes, et
a ramené Perséphone de l’Hadès.
À Athènes on regardait ce héros comme le fondateur de l’État. Thésée passe en effet pour avoir réuni tous les territoires (ou dèmes) de l’Attique en un seul État, avec Athènes pour cité. Mais, de fait, les Athéniens, voyant en lui un homme, firent petit à petit sortir de son existence mythique une vie réelle ou pareille à celle des hommes, laissant de côté toute histoire merveilleuse. Quelques mythographes même dirent que le tueur du Minotaure n’était pas le même que le fondateur de la république athénienne : mais ils n’avaient pas plus de motifs de s’exprimer ainsi, que n’en eurent d’autres de dépouiller l’histoire de Thésée, fils d’Æthra, de tous ses incidents miraculeux.
ŒDIPE, MYTHE GREC ET LATIN.
(Grec : Oïdipous.)
e grand héros de Thèbes en Béotie
est Œdipe, correspondant (nous le
savons) à Persée d’Argos et à la
Thésée d’Athènes. L’histoire de sa
naissance et de sa première enfance dit
que son père Laios, en latin Laius, reçut
de l’oracle de Delphes le même avertissement
qui fut donné à Acrisios. Œdipe
fut en conséquence exposé, immédiatement
après sa naissance, sur le flanc du
mont Cithéron (Kithairon). Ajoutons
que, comme Dionysos et Persée, il fut
placé dans un coffre, qu’on jeta à la mer. Sauvé
comme les deux héros précités, et mené à Corinthe,
il y passa pour le fils de Polybe et de Mérope. Mais
l’avertissement de l’oracle s’accomplit. Voyageant de
Corinthe à Thèbes, Œdipe rencontra sur la route un
vieillard dans un char, qui lui ordonna de quitter le chemin ; sur son refus, le vieillard le frappa, et fut
immédiatement tué par lui : c’était Laios, son père. Le
héros, poursuivant sa carrière, trouva les Thébains en
proie à une grande détresse, la sécheresse causée par le
Sphinx, qui, assis sur le sommet de la colline dominant
la cité, proférait de sombres énigmes, et ne pouvait être
vaincu que par celui qui en expliquerait le mystère
(fig. 139). Œdipe sauva la cité, en expliquant l’obscur
Fig. 139. — Œdipe et le Sphinx.
énoncé du Sphinx, qui se jeta
avec un farouche rugissement
du haut des falaises ; et le sol
brûlé fut rafraîchi par une
pluie abondante. Une récompense
attendait le jeune homme :
on avait proclamé que
quiconque délivrerait la ville
du monstre épouserait la belle
Jocaste, laquelle se trouvait
être la mère d’Œdipe. Ce mariage
eut lieu : car Œdipe ignorait
quels étaient ses parents :
mais l’Érinnys, qui tire vengeance du meurtre, lança une
peste sur la ville, à cause de la mort de Laios ; et l’oracle de
Delphes imposa aux habitants le devoir de se débarrasser
du coupable. Quand, après de longues recherches, il se découvrit
que c’était Œdipe qui avait tué le vieillard, et qu’il
était marié à sa propre mère, ce héros s’arracha les yeux,
afin de ne pas voir le malheur par lui perpétré ; et Jocaste
mourut dans la chambre nuptiale. Tant de deuil ne mit
pas fin à ces maux terribles ; Até, qui punit les fautes des
enfants envers leurs parents, n’avait pas encore accompli son œuvre. Œdipe erra hors de Thèbes, misérable exilé,
conduit par sa fille Antigone ; puis ses fils Étéocle et Polynice
se disputèrent à qui régnerait sur Thèbes, et allumèrent
une guerre civile. Se rencontrant dans la lutte, ils
se tuèrent l’un l’autre. La destinée effroyable d’Œdipe
touchait à son terme. Venu au bosquet des Euménides,
près d’Athènes, il reçut de Zeus l’avertissement que sa
mort était proche, et envoyant chercher Thésée, lui dit
qu’Athènes serait grande et puissante aussi longtemps
que personne ne saurait où Œdipe gisait enterré. Aussi,
sous le sillon des éclairs et les grondements du tonnerre,
le héros se reposa de sa peine et de ses maux, consolé
jusqu’au dernier instant par le tendre amour de sa fille
Antigone.
Origine de l’histoire. Tout vient de cette idée de
labeurs exécutés au bénéfice d’autrui, laquelle distingue
les légendes d’Héraclès, de Persée, de Thésée, de Bellérophon,
et nombre d’autres ; et de phrases anciennes
parlant du soleil comme s’unissant le soir à celle dont
il était issu le matin. Le récit dut finir d’abord au
mariage d’Œdipe avec Jocaste, juste comme dans les
hymnes sanscrits Indra s’appelle le mari de l’Aurore, et
quelquefois son fils : parce que l’Aurore vient avant que
se lève le Soleil, Indra paraissant l’enfant de Dahana ;
mais vu à son côté, il peut aussi passer pour son mari.
De fait, toute la nature des dieux transparaît dans ces
très-anciens poèmes. « Il n’y a pas de généalogies ou de
mariages en règle entre les dieux et les déesses. Le père
est quelquefois le fils, le frère est le mari, et celle qui
dans un hymne est la mère, est dans l’autre la femme
[28].» Remarque : la dernière partie de l’histoire d’Œdipe ne
s’est pas produite dans l’Inde ; pourquoi ? Parce qu’on
n’avait pas oublié la signification réelle de noms tels
qu’Œdipe et Jocaste. Mais, chez le Grec voyant en
Œdipe et en Jocaste des êtres vivants, l’idée d’un mariage
entre eux devint choquante ; et les horreurs qui en résultent
sont des inventions ayant une cause très-naturelle.
Œdipe se montre comme dominé par une puissance à
laquelle il ne peut pas résister. C’est que le Soleil ne peut
se reposer dans sa marche : l’astre n’agit pas librement ;
et il faut qu’il s’unisse le soir à l’Aurore, de qui il s’est
séparé le matin. Cette notion, appliquée à des actions
humaines, devint l’idée de la Nécessité, appelée par les Grecs
Ananké, ou de la Destinée qu’ils nomment Moïra. Sens
de ce dernier mot Moïra : littéralement une portion ; et
dans Homère, c’est l’être qui assigne aux hommes leur
part de la vie, soumis strictement à Zeus. Aux poèmes
postérieurs, ce personnage devient plus puissant que Zeus
et tous les dieux ; et, selon quelques versions, il y avait
trois sœurs appelées les Moires
[29] (en latin, Fates) : nommément
Clotho, celle qui file le fil de la vie, Lachésis celle
qui le dévide aussi long qu’elle veut, et Athropos, la déité
inexorable qui le coupe. Quant à Até, cause des disputes
mortelles entre les fils d’Œdipe, son nom signifie « folie
malfaisante » ; et dans les poèmes homériques elle n’est
rien de plus : comme telle, Zeus la précipite du ciel, pour
avoir fait naître Eurysthée avant Héraclès. Dans des
temps plus récents, Até devint un sort ou un arrêt
demeurant sur une maison, après l’effusion de sang innocent.
Étudions la parenté d’Œdipe. Jocaste, comme Iole et Iam, est un mot qui désigne la couleur violette, et signifia d’abord les teintes délicates des nuages du matin, ou celles du matin lui-même. Laios représente l’obscurité d’où sort le soleil, et répond à Léto ou Latone, mère de Phoïbos. Le mot est le même que le Dasyu indien, ennemi ; nom appliqué fréquemment à Vritra, l’ennemi d’Indra. Le nom d’Œdipe excite des controverses : quelques-uns croyaient qu’il venait du mot signifiant « aux pieds enflés » ; d’autres s’imaginaient qu’il voulait dire « qui sait l’énigme des pieds », parce que l’on raconte que le Sphinx demandait : « Quelle est la créature qui va sur quatre pieds le matin, sur deux pendant le jour, et sur trois le soir ? » Toutefois aucune de ces notions n’est correcte : et l’on ne connaît pas d’une façon certaine l’origine de cette appellation. Elle peut venir des verbes qui veulent dire enfler ou savoir : mais les deux modes d’explication que l’on vient de mentionner sont les fantaisies d’époques récentes. Les faits ici nous guident seuls, comparés aux vieilles croyances. Ainsi cette exposition d’Œdipe dans son bas âge vient d’une phrase disant originairement : « Les rayons du soleil, à sa naissance, reposent au niveau de la terre, ou sur le flanc de la colline. » Pâris de la sorte est exposé sur l’Ida ; mais l’Ida, dans les vieux poèmes védiques, est un nom de la terre, qu’on appelle la femme de Dyaus, le ciel visible. Ida et Dyaus répondent donc à l’Ouranos et à la Gaia grecs. Poursuivons. Le Sphinx est une créature qui emprisonne la pluie dans les nuages et, de cette façon, cause une sécheresse ; et, son nom signifiant « qui attache ferme » (du mot grec sphingo), cet être, en conséquence, répond exactement à Ahi, ou Échidna, le serpent étouffeur des ténèbres. Longtemps la notion en apparut comme importée d’Égypte, et « sphinx », passa même pour un mot égyptien : explication erronée des âges postérieurs. Les Grecs avaient l’idée et le nom du Sphinx (qu’on appelait aussi Phix, d’un mot apparenté au latin figo, fixer), cela des siècles avant que l’Égypte fût ouverte aux marchands et aux voyageurs helléniques. Le Sphinx grec a la tête d’une femme avec le corps d’une bête, les griffes d’un lion, les ailes d’un oiseau et une queue de serpent, et il peut être représenté dans toute attitude. Seulement, quand les Grecs vinrent en Égypte et trouvèrent des figures présentant la tête d’une femme unie au corps d’un lion, ils les appelèrent du même nom et s’imaginèrent dans la suite tenir l’idée même des Égyptiens. La notion de l’énigme du Sphinx fut suggérée par le murmure et le grondement du tonnerre, que les hommes ne peuvent pas comprendre. Œdipe, lui, devait les comprendre, parce qu’il tient de Phoïbos, le dieu de la lumière, cette sagesse qu’Hermès chercha aussi à obtenir. Ne voyez enfin autre chose dans la mort de ce Sphinx que la victoire d’Indra qui tue son ennemi Vritra ; et immédiatement apporte la pluie à la terre altérée : une averse se répand sur Thèbes, aussitôt que le Sphinx se précipite de la falaise. Inutile, étant donnée l’intuition acquise par le lecteur, de citer les formes sous lesquelles le Sphinx apparaît dans d’autres histoires, comme le Python et Fafnir : il se montre aussi en tant que Typhon et Polyphème.
Détails curieux : le lieu où meurt Œdipe est le bois
sacré des Euménides. Le nom Euménides signifie littéralement
« les êtres bons » : elles sont la même chose que les Erinnyes (Alecto, l’implacable, Mégæra, l’envieuse,
et Tisiphone, vengeresse du sang, celles que l’on connaît
d’ordinaire comme les Furies (fig. 140), Employée par
antiphrase, pareille appellation sert à détourner le courroux
de ces êtres mauvais. Quant au nom des Erinnyes, il
ne veut cependant point dire Furies ; et c’est l’un de ceux
Fig. 140. — Furies.
qu’on ne peut expliquer en
grec (à coup sûr le même mot
que le Saranyû indien, qui est
un nom de l’aurore). Comment
se fit-il que l’aimable Saranyû,
ou le matin, pût se changer en
l’obscur Erinnys des Grecs ?
Voici. Aussi longtemps qu’on
se rappela la signification du
mot, on dit des malfaiteurs
« Saranyû découvrira votre péché »,
voulant dire que la lumière
révélerait leur perversité.
D’où l’Erinnys fut d’abord
l’être qui fait le jour sur les
mauvais actes ; on la représenta
après sous de sombres et terribles couleurs, comme
une personnalité vengeresse.
À la faveur d’explications, multiples et non confuses, dans le méandre desquelles vous ne vous êtes point égarés, proclamons d’un commun accord ce qu’est la mort d’Œdipe ! La mort du soleil, dans les beaux bosquets du Crépuscule (ou jardins des Hyperboréens) représentant le réseau féerique des nuages ; et qui sont les premiers à recevoir et les derniers à perdre la lumière de l’astre, le matin et le soir. Quoique Œdipe expire dans la foudre et l’orage, les Euménides cependant sont bonnes pour lui ; et sa dernière heure est une heure de paix et de tranquillité. Un seul d’entre ses enfants reste jusqu’à la fin avec Œdipe, Antigone, dont le nom désigne la lumière pâle qui naît ou jaillit, à l’opposé du soleil, quand il se couche. Que devint-elle ? Les deux frères s’étant tués l’un l’autre, le corps de Polynice fut rejeté sans sépulture ; et, défiant Créon et ses ordres, Antigone le brûla. Créon ordonna que la jeune fille fût à son tour brûlée vivante ; et quand Hamon, fils de ce prince, la trouva morte, il se tua sur le cadavre virginal.
Éos et Céphale.
Procris est la fille d’Érechthée, roi fabuleux d’Athènes, et de Hersé. Cet Érechthée ou Érichtonios (car les deux noms n’en sont qu’un) est regardé comme le fils d’Héphaïstos et de Gê, la terre : il naquit ayant la forme d’un serpent, et Athéné l’éleva. Son enfant, Procris, être d’une beauté merveilleuse, gagna l’amour de Céphale, qui la trouva sur le mont Hymète ; venant, lui, du rivage blanc d’Eubée. Mais Éos fut jalouse de voir Procris mariée à Céphale ; elle tenta Céphale, et le fit douter de la foi de son épouse. Céphale, parti, revint sous un déguisement (comme Sigurd, dans le conte Volsung, revient vers Brunehilde), et gagna l’amour de Procris par ce changement de forme. Procris découvrant la ruse, s’en fut en Crète ; elle y resta dans un profond chagrin, jusqu’à la visite d’Artémis, qui lui donna la lance ne manquant jamais son but et le chien qui toujours dépiste sa proie. Procris, avec cette arme et le limier, revint à Athènes, et sans cesse triompha dans les chasses. Son mari, que ce succès remplit d’envie, demanda la lance et le chien, mais elle refusa de les lui céder autrement qu’en retour de son amour. Céphale lui donna cet amour, et découvrit immédiatement qu’il avait devant lui sa première femme, Procris. Craignant encore la jalousie d’Éos, Procris dans la chasse se tenait près de Céphale, mais la lance de celui-ci la transperça, cachée par un fourré. Le prince, navré de cette mort, quitta Athènes et aida Amphitryon à débarrasser ses terres de bêtes nuisibles : puis, voyageant à l’Ouest, il atteignit le cap Leucade, où sa force l’abandonna, et il tomba dans la mer.
Origine de cette histoire. Elle est issue de trois simples phrases, dont l’une disait « le soleil aime la rosée », tandis que la seconde dit « le matin aime le soleil » ; la troisième ajoutait que « le soleil est la mort de la rosée ». Un détail nous le prouve : on appelle Procris l’enfant d’Hersé, mot qui, même en grec, signifie « rosée » ; et le nom de Procris lui-même vient d’un mot grec signifiant « scintiller ». Éos, encore, est la déesse de l’Est ou du matin ; et Céphale, un mot qui veut dire la «tête » du soleil.
Poursuivons et traduisons. Comme le soleil regarde de grand matin la rosée, Céphale de même gagne l’amour de Procris en sa première jeunesse : cependant l’amour de l’aurore pour le soleil se change en la jalousie qu’Éos ressent de Procris. Mais chaque goutte de rosée réfléchit le soleil ; on disait pour cela de Procris qu’elle accorda son amour à Céphale, restant à travers son changement toujours le même. Elle meurt de la lance d’Artémis qui représente les rayons du soleil quand il gagne de la force et sèche la rosée. Céphale donne cette mort involontairement, tandis que la jeune femme s’attarde dans un fourré (lieu où la rosée persiste longtemps), juste comme Phoïbos ou Phœbus perd Daphné, et comme Orphée est séparé d’Eurydice. Toujours, ayant tué son épousée, Céphale doit voyager à l’occident, comme Héraclès, Persée et d’autres héros. Comme eux il peine pour les autres ; et, comme eux, meurt, au loin, dans l’Ouest, après sa tâche accomplie.
Orphée.
ORPHÉE, MYTHE GREC ET LATIN.
(Grec : Orpheus.)
Orphée passe pour fils du fleuve Éagre et de la muse Calliope. Son histoire est des plus belles. Ce mythe brillant gagna l’amour de la belle Eurydice, qui mourut bientôt après de la morsure d’un serpent. Orphée, malheureux de cette perte, n’eut plus le cœur d’éveiller sur sa lyre d’or la musique, qui faisait que bêtes, arbres et hommes le suivaient avec délices. Il se détermina donc à chercher Eurydice dans la terre des morts ; et, ayant adouci le chien d’Hadès, Cerbère, par son chant, il fut conduit devant Polydegmon et Perséphone, qui lui permirent d’emmener sa femme : à condition qu’il n’en regarderait pas le visage aimé avant qu’elle eût atteint la terre. Orphée, oubliant sa promesse, se retourna trop tôt ; et Eurydice lui fut ravie presque avant qu’il pût la voir. La douleur d’Orphée imposa de nouveau silence à sa musique, cela jusqu’aux temps où il mourut sur les bords de l’Hébre. Son nom est le même, Orpheus, que l’indien Ribhu, appellation qui paraît avoir été, à une époque très-primitive, donnée au soleil. On l’applique, dans les Védas, à de nombreuses déités.
Le sens primitif semble avoir marqué l’énergie et le
pouvoir créateurs. Orphée représente, dans l’opinion de
quelques-uns, les vents qui arrachent les arbres dans leur
course prolongée, en chantant une sauvage musique.
Aussi faut-il voir comme le mélange de deux notions qui
viennent aboutir à la légende d’Orphée : l’idée du matin,
avec sa beauté de courte durée, s’y fond comme dans
l’histoire d’Hermès, avec l’idée de la brise qui accompagne
ordinairement l’aurore. Le nom d’Eurydice vient
du mot qui a donné leiir forme aux noms comme Europe,
Eurytos, Euryphassa, et beaucoup d’autres : tous dénotant
le vaste jaillissement de l’aurore dans le ciel. Alors
qu’est-ce que le serpent qui mord Eurydice ? Le serpent
des ténèbres, qui tue le beau crépuscule du soir. Le pèlerinage
d’Orphée enfin représente le voyage que, pendant
les heures de la nuit, le Soleil passait pour accomplir afin
de ramener, au matin, l’Aurore, dont il cause la disparition
par sa splendeur éblouissante. Réminiscences : voir
dans ce départ final d’Eurydice une autre forme de la
mort de Daphné et de celle de Procris.
EUROPE, MYTHE GREC ET LATIN.
(Grec ; Europè.)
Europe, selon l’histoire connue, est la fille d’Agénor et de Téléphassa, et la sœur de Cadmos (le Cadmus latin) et de Phœnix. Née en Phénicie, elle fut, dans sa première jeunesse, conduite à Delphes, par Zeus, qui avait pris la forme d’un taureau blanc.
Terminons cette histoire. Agénor ordonna à ses fils
de partir à la recherche de leur sœur, et Téléphassa,
allant avec eux, voyagea à l’Ouest jusqu’en Thessalie.
Arrivée là, Théléphassa tomba de faiblesse et mourut ;
et Cadmos, continuant, rencontra Phoïbos ou Phœbus.
Le dieu lui dit qu’il aurait des nouvelles de sa sœur à
Delphes : et qu’après l’avoir trouvée, il suivrait une
vache, qui le mènerait en un lieu où il devait bâtir une
ville. Il quitta Delphes, ayant trouvé sa sœur ; et comme
ils passaient, une vache se leva et alla devant eux, ne se
couchant, pour se reposer, que lorsqu’ils atteignirent l’endroit où Cadmos bâtit la ville de Thèbes. Cadmos
passa le reste de sa vie, voici à quoi : il tua d’abord un
dragon près du puits d’Arès (fig. 144) ; et, après une année
Fig. 144. — Cadmos tue le Dragon.
d’autres labeurs, reçut
de Zeus pour femme Harmonia.
Cadmos et Harmonia
donnèrent le jour
à Ino, à Sémélé et à
Agave ; et, finalement,
se virent amenés par Zeus
dans l’Élysée, le paradis
des bons. Ainsi ce nom
d’Europe, comme Euryphassa,
Eurynome, et
beaucoup d’autres, exprime
le vaste jaillissement
de l’aurore, laquelle est
ravie de l’Est à l’Ouest
par Zeus (Dyaus, le ciel),
représenté dans les très-vieux
poèmes sous la
forme d’un taureau. Et
les autres noms s’expliquent
bien d’eux-mêmes :
la Phénicie, où est née
Europe, est la terre de pourpre du matin, comme Délos,
la Lycie et Ortygie, tous pays où Phœbus et Artémis
voient le jour. Phœnix, frère de l’héroïne, est le maître
du grand héros Achille, amant de Briséis ; et Téléphassa
(celle qui brille de loin) est, comme Télèphe et Télémaque,
un nom de la lumière de l’aurore, qui, éclatant à travers le ceel, meurt dans l’Ouest. On a identifié ce nom de
Cadmos avec le mot syrien Kédem, l’Est ; et c’est de la
sorte un nom du dieu Soleil. Comme Phœbus, Thésée et
Œdipe, il extermine les monstres ; et, comme eux, reçoit
ensuite en récompense une belle épouse.
Que d’explications éclatent à la fois, pour qui approche des ombres de la légende la clarté étymologique ! Toutefois, moins clairvoyante que nous, l’antiquité finit par considérer ce conte comme fournissant une preuve évidente que la Béotie a été colonisée par la Phénicie syrienne ; mais une telle preuve d’un tel fait est à peine suffisante, et ne peut, dans aucun cas, dériver de la fable.
MÉLÉAGRE, DIEU GREC ET LATIN.
(Grec : Méléagros.)
éléagre (fig. 146) est le fils d’Œnée,
chef de Calydon, et d’Althée.
Petit, comme il dormait dans son
berceau, les Moires se présentèrent
soudain à sa mère ; et, désignant
une bûche de bois brûlant dans le
foyer, lui dirent qu’aussitôt le brandon
consumé, Méléagre mourrait. Le
jeune être grandit, fort, brave et beau,
comme Œdipe, Persée, Bellérophon,
et les autres grands héros. Ainsi qu’eux
il accomplit de grands exploits, et fut
notamment de l’expédition des Argonautes, entreprise dans
le but de recouvrer la toison d’or possédée par la Colchide ;
et aussi de la grande chasse de Calydon, tendant à détruire
un sanglier monstrueux. Artémis avait envoyé ce
fléau pour punir Œnée, lequel avait négligé de donner à la
déesse une part dans un sacrifice. À cette chasse du sanglier assistaient encore nombre des héros qui participèrent
à l’expédition des Argonautes : le principal fut Atalante,
fille de Schœnéos, chef d’Arcadie. Cette belle vierge perça
la première le sanglier, qui fut ensuite tué par Méléagre.
Le partage de la dépouille venu, Méléagre désirait la tête ;
et les Curètes de Pleuron, qui avaient aidé les Calydoniens
Fig. 146. — Méléagre et Atlante.
dans leur chasse, ne furent point contents, eux, de
n’avoir que la peau ! Une querelle surgit, où Méléagre
tua le chef des Curetés, qui était le frère d’Althée.
Guerre alors entre les gens de Pleuron et ceux de
Calydon : à laquelle, au bout de peu de temps, Méléagre
refuse de prendre part, parce qu’Althée, dans le
chagrin de la perte de son frère, lui donne sa malédiction.
Conséquence de l’inaction de Méléagre : ceux de Calydon perdirent du terrain et furent constamment
défaits, jusqu’à ce que la femme de Méléagre, Cléopâtre,
le décida à se produire. Aussitôt qu’il apparut, les ennemis
se mirent en déroute : mais les hommes de Calydon
ne voulurent pas lui donner de prix ; et Méléagre se
retira de nouveau dans ses appartements secrets. Althée,
que l’humeur taciturne de son fils rendait plus courroucée
encore, alla chercher le brandon et le jeta dans le
feu. Comme le bois se consumait, la force de Méléagre
déclina ; et la dernière étincelle éclatant, il mourut. La
mort d’Althée et de Cléopâtre suivit de près celle de ce
grand héros.
La vie de Méléagre, c’est la vie du soleil, ou l’existence unie à cette torche du jour ; quand la torche se consume, il meurt. Cette histoire, elle aussi, ressemble à d’autres. Méléagre est identique à Persée, à Phoïbos, à Céphale, etc., en beauté et en force, dans ses actes bienveillants et dans la brièveté de sa vie ; ainsi que par ses accès d’action et d’inaction, il ressemble tout à fait à Achille et à Pâris. Qu’est-ce que cette inaction ? Le temps que le soleil passe derrière le voile des nuages, d’où il surgit soit pour gagner la victoire, comme Achille et Odyssée (l’Ulysse latin), soit pour mourir comme Méléagre et Héraclès. Alors qu’est-ce qu’Atalante ? Un être que l’on peut comparer à Daphné et à Artémis, mythes dont elle porte la lance infaillible : elle vient censé d’Arcadie, parce que, comme Délos, Lycie, Phénicie, et d’autres termes, le nom de cette terre est un mot qui, originairement, désigna éclat et splendeur. Althée, maintenant, pourquoi devait-elle, après avoir retiré le brandon du feu, l’y rejeter ? Les vieilles légendes disant que, de même que le soleil est l’enfant de la nuit (c’est-à-dire de Léto, la Latone latine, ou de Léda, ou d’Althée) c’est aussi des ténèbres qu’il reçoit la mort, quand il a achevé son cours.
LYCAON ET CALLISTO, MYTHES GRECS ET LATINS.
(Grec : Lukaon, Kallisto.)
ycaon passe pour fils de Pélasge ;
et on ajoute qu’il construisit Lycosure,
en Arcadie. Voici l’histoire
qui se raconte, Zeus vint visiter
Lycaon ; lui et ses vingt ou cinquante
fils placèrent devant le dieu un mets qui
était de la chair humaine. Le dieu souverain,
dans le courroux causé par l’offense,
changea toute cette famille en
loups, Seulement il ne faut interpréter
ce récit étrange que comme le résultat
d’une tentative faite pour expliquer le
nom de Lycaon, dont la signification avait été oubliée ;
et qui, autant que Délos, Ortygie, la Phénicie, et la
Lycie, veut dire lumière et splendeur. Le personnage est,
par suite, un habitant de l’Arcadie, pays dont le nom a
pour sens, également, la terre brillante (rappelez-vous).
Quelqu’un demande d’où la notion des loups ? Le mot grec Lucos, un loup, est le même, quant au son,
que Leucos « blanc ou étincelant » : d’où vinrent les
noms de Lycios et Lycogène, pour Phoïbos ; et Lucna,
Luna, pour la lune. Mille exemples de semblables
confusions, bien communes. Ainsi Callisto « la plus
belle » est fille d’Arcas « le brillant » ; mais la racine d’où
vient Arcas est la même que la racine du mot Arctos,
ours ; et de là naquit l’histoire de Callisto, éveillant le
courroux d’Artémis, et changée en ourse. La constellation
connue à présent sous le nom latinisé d’Arctus
ou d’Arcturus, a tiré ce nom de la racine qui veut
dire : briller. Mais pour la même raison que Callisto est
changée en ourse, il se dit que ces étoiles étaient, elles,
habitées par des ours : et c’est de là que vinrent les
noms de la Grande et de la Petite Ourse. Fait curieux :
le nom a été changé dans l’Inde aussi, pas de la
même façon qu’en Grèce, mais exactement dans le même
esprit. La racine ark, briller, y entra, dans le mot Rishi,
qui signifie un sage : et de là les sept Arkshas ou « choses
brillantes » furent changés en la demeure des sept Rishis
ou Sages. Encore : le mot astre veut dire « qui répand
la lumière », et ce mot est le même que le mot hindou
târâ ; mais on le confondit avec un pareil, qui signifiait
le bœuf d’un chariot ; et la constellation s’appela en
conséquence « le Chariot ». On dit de la même façon de
Phoïbos et d’Héraclès qu’ils combattaient avec des armes
empoisonnées, parce que le même son servait à exprimer
les notions de flèche et de poison, etc., etc.
Vol de Dédale et Chute d’Icare.
DÉDALE, MYTHE GREC ET LATIN.
(Grec : Daïdalos.)
Les fables que l’on raconte au sujet de Dédale ne s’accordent pas entre elles. La version reçue ordinairement en fait un fils ou un descendant d’Érechthée, père de Procris ; et dit qu’il fut banni à cause du meurtre de Calos, qui le surpassait, comme ouvrier, pour l’habileté apportée à son travail. Dédale alla donc en Crète, où il fit la vache en bois de Pasiphaé, et construisit le labyrinthe du Minotaure. Pour ce faire, Minos le tint captif ; et comme on ne laissa point de vaisseaux sur la côte, Dédale se façonna une paire d’ailes et en fit une autre pour son fils Icare, les assemblant avec de la cire. Dédale s’échappa ainsi en Sicile ; mais Icare monta trop près du soleil et, y fondant la cire de ses aîles, tomba dans la mer et se noya. On ne rapporte pas autre chose de Dédale, si ce n’est qu’il exécuta maints grands travaux d’art dans l’Occident. Que signifie son nom ? Simplement l’ouvrier rusé ou sage : et la même idée se retrouve dans l’épithète palamétis, appliquée constamment à Odyssée (l’Ulysse latin), lequel fit aussi de ses mains une belle chambre nuptiale à sa femme Pénélope. La sagesse de Dédale n’est, de fait, qu’une autre forme de la sagesse de Phoïbos et d’Œdipe. Quant à Icare, voyez en lui un reflet faible de son père, comme Phaéton l’est d’Hélios, et Télémaque, d’Odyssée.
Dédale et Icare.
Bellérophon tue la Chimère (bas-relief).
BELLÉROPHON, MYTHE GREC ET LATIN.
(Grec : Bellérophôn.)
Le mot Bellérophon veut dire le tueur de Belléros (comme Hermès s’appelle Arguéiphontès, parce qu’il tue Argos) ; et pareil nom fut donné à Hipponoös fils de Glaucos (l’éclatant ou le brillant). Le père de Glaucos c’était Sisyphe, le hautain, dont le châtiment, dans le Tartare, est de rouler vers la cime d’une colline une pierre qui retombe immédiatement : de même que le soleil doit descendre aussitôt qu’il a atteint le plus haut lieu de sa course par les cieux.
La légende de Bellérophon est intéressante. Après avoir
tué Belléros, le héros s’enfuit à la cour de Proïtos, dont
la femme, Anté, se prit d’amour pour lui : mais il ferma
l’oreille à ses insinuations. Anté se plaignit à Proïtos d’une tentative faite par Bellérophon pour la corrompre,
et Proïtos envoya le jeune homme à Iobatès, roi de
Lydie, avec des lettres chargeant ce prince de mettre le
Fig. 151. — Amazones (bas-relief).
porteur à mort. Ce qu’Iobatès ne voulut faire : mais il
imposa à Bellérophon maints durs travaux. Bellérophon
tua en conséquence la Chimère (Chimiæra) qui avait la
tête d’un lion, le corps d’une chèvre et la queue d’un
dragon. L’exploit se fit avec l’aide du cheval ailé Pégase, que Bellérophon avait pris buvant à la fontaine de
Piréne.
Autres hauts faits : il vainquit les Solymes et les Amazones (fig. 151), et épousa ensuite la fille d’Iobatès, après quoi il essaya de s’élever au ciel sur Pégase ; mais Zeus envoya un taon qui piqua le cheval et lui fit jeter bas son cavalier. Bellérophon ne se tua pas sur-le-champ, mais ses forces furent brisées, et il mourut après avoir erré seul, pendant quelque temps, dans la plaine aléienne. Voyons ! se souvient-on de quelque autre histoire à laquelle ressemble celle-ci ? Les tâches imposées à Bellérophon répondent exactement aux travaux d’Héraclès, de Persée, de Thésée, et à ceux d’autres héros. L’amour d’Anté qu’il repousse, c’est le délaissement de Brunehilde par Sigurd, ou d’Œnone par Pâris. Après avoir tué la Chimère, il gagne son épouse, comme Œdipe gagne Jocaste après avoir conquis le Sphinx, et Persée se marie à Andromède après avoir tué le dragon libyen. La tentative de voler au ciel est la tentative faite par Phaéton de conduire le char d’Hélios, et celle faite par Ixion de posséder Héré. Le taon qui pique Pégase reparaît dans l’histoire d’Io. La chute de Bellérophon est la descente rapide du soleil vers le soir ; et la plaine aléienne représente cette vaste diffusion de lumière sombre à travers laquelle on voit quelquefois voyager le soleil, taciturne et solitaire, à son coucher.
Les détails abondent en la mémoire du lecteur et se
relient tous en son esprit, au point où nous en sommes
de notre étude générale ; cela, on le voit, à propos du
moindre cas, le présent, par exemple.
SCYLLA, MYTHE GREC ET LATIN.
(Grec : Skulla.)
cylla passe pour fille de Nisos,
roi de Mégare. Ce qu’on raconte
d’elle, le voici. Elle s’éprit d’amour
pour Minos, alors qu’il vint
tirer vengeance de la mort de son fils
Androgée. Minos échoua dans tous
ses efforts pour prendre la cité ; et
Scylla coupa sur la tête de Nisos les
boucles vermeilles de cheveux, d’où
dépendait la sécurité de la cité. Aussitôt
que Minos eut les boucles en sa
possession, Mégare fut prise ; mais loin
de payer de retour l’amour de la jeune femme, Minos
la noya dans la mer ; selon une autre histoire, elle fut
changée en un poisson, que Nisos, changé en aigle, poursuivit
aussitôt. Parlons de Minos : c’est un fils d’Europe et
de Zeus, qui, dit-on, a été roi de Crète. Après sa mort, il
devint avec Éaque et Radamanthe l’un des juges des
morts. Le même que le Manu indien, fils de Brahma Pour la boucle magique de Nisos ou Nisus, elle représente
les rayons d’or de Phœbus, le dieu-soleil, qu’on
appelle Akersékcomès, ou l’être dont la tête n’a pas été
touchée par le rasoir.
IAM.
(Grec : Iamos.)
am est un fils de Phoïbos et d’Évadné,
lequel vit le jour sur les
bords de l’Alphée.
À la naissance d’Iam, Évadné, craignant le courroux de son père Æpyptos, chef de Phaïsana, s’enfuit ; et Phoïbos envoya deux serpents qui le gardèrent et le nourrirent de miel. Æpyptos trouva, après de longues recherches, ce nourrisson couché sur un lit de violettes ; et l’enfant se montra bientôt possesseur d’une merveilleuse sagesse : car, Phoïbos lui touchant les oreilles, il put comprendre le chant des oiseaux. Sous les eaux de l’Alphée, Iam avait acquis le savoir de choses cachées à l’esprit de l’homme. Sa descendance, les Iamides, furent les voyants ou prophètes fameux à Olympie.
Cette légende ressemble à d’autres par plus d’un trait, n’est-ce pas ? L’exposition d’Iam, petit, est la même que celle d’Œdipe, de Persée, de Télèphe, et d’autres héros. Les serpents sont ici, tout comme autre part, les serpents de la nuit ; mais, dans les phrases anciennes, la nuit apparaissait tantôt obscure et assombrie, tantôt aimable et charmante : et c’est ainsi que les reptiles, qui cherchent à piquer Héraclès, sont représentés nourrissant Iam. La signification du nom d’Iam a été parfaitement conservée dans l’histoire du personnage ; comme Iole, Jocaste et d’autres, ce mot indique les teintes violettes du matin. Quant à la sagesse du héros, c’est la sagesse de Phoïbos, dont ce dieu fit don à son fils Asclépios et, d’une façon restreinte, à Hermès ; Médée en a sa part également.
mphiaraos ou Amphiaraus est un
descendant du sage voyant Mélampe,
dont les oreilles, purifiées
par des serpents, furent à même de
saisir le langage des oiseaux. Ce pouvoir
a-t-il été accordé à quelque autre ?
Oui, à Iam ; nous l’avons vu à la page
précédente.
Exploits attribués au héros : il prit
part à la chasse du sanglier de Calydon
et à l’expédition des Argonautes, enfin
à la guerre fraternelle faite, dans Thèbes,
par Polynice à Étéocle (fig. 156). Amphiaraos
voulait n’avoir rien à faire dans cette dispute ; mais sa femme
Ériphyle, gagnée par le collier que Cadmos donna à
Harmonia, trahit la retraite de son mari. Au combat
suivant la mort des fils d’Œdipe, Amphiaraos se
trouva pressé de près, et invoqua Zeus ; la terre s’ouvrit
et dévora son char. Ériphyle, terrible châtiment de sa trahison, fut tuée par son fils Alcméon, qui, après de longs
détours, trouva le repos dans des îles à l’embouchure du
fleuve Achéloüs. L’histoire veut qu’Alcméon ait auparavant
Fig. 156. — Combat d’Étéocle et Polynice (bas-relief).
mené les Épigones (les fils des chefs qui s’étaient
battus dans la guerre susdite) à l’attaque de Thèbes,
qui ne finit qu’avec la destruction de la cité.
ARÉTHUSE, MYTHE GREC ET LATIN.
(Grec : Arèthouça.)
réthuse est une des Néréides, ou
filles de Nérée ; elle tient vis-à-vis
de Zeus la situation d’Hélios vis-à-vis de Phoïbos.
L’histoire qu’on raconte à son sujet est charmante. Le chasseur Alphée la poursuivit, comme Apollon, Daphné ; et, ainsi que Daphné, Aréthuse, pour échapper, se jeta dans le courant, les nymphes de la mer la portant jusqu’aux rives d’Ortygie. Alphée l’y suivit ; et poussée au désespoir, Aréthuse plongea dans la fontaine qui porte son nom. Alphée, impuissant à supporter cette perte, plongea aussi dans les eaux, au fond desquelles il obtint cet amour que la nymphe lui avait refusé pendant sa vie. Ce conte n’est pas sans quelque signification, ni sans rapport avec un autre. Voyez-y la séparation d’Héraclès et d’Iole, laquelle retrouve le dieu seulement quand ses labeurs sont finis. Le rivage où se rencontrent Aréthuse et Alphée est la terre des crépuscules du matin et du soir.
yro est la fiancée du fleuve Énipée
et la mère de Pélias et de Nélée.
Légende de Tyro : quand naquirent
ses enfants, son père Salmonée,
qui avait épousé Sidéro au cœur
de fer, ordonna qu’on les tuât ; ils furent
en conséquence exposés sur les bords
du fleuve, où un berger les secourut.
Devenus grands, ils mirent à mort
Sidéro, et délivrèrent Tyro du donjon
où elle était emprisonnée par Salmoné,
pour avoir refusé d’être la femme de
Créthée. Ne voyez là qu’une autre forme de la légende
de Danaé. Pélias, Nélée, sont exposés comme Persée,
et secourus de la même façon que Kuros (notre Cyrus),
Romulus et Rémus. Comme Danaé refuse d’épouser
Polydecte, de même Tyro repousse la main de Créthée ;
et comme Persée ramène Danaé à Argos, après l’avoir
vengée de ses persécuteurs, de même Pélias et Nélée
délivrent leur mère, après avoir tué son bourreau Sidéro.
Comparaisons aisées maintenant pour nous.
NARCISSE, MYTHE GREC ET LATIN.
(Grec : Narkissos.)
arcisse, ce fils du fleuve Céphise,
fut aimé de la nymphe
Écho, qui ne put obtenir son
amour à lui et mourut de
chagrin. Némésis (fig. 160), pour le
punir, le fit tomber
amoureux de sa propre
image ; et le jeune
homme, à son tour,
languit dans une attente
vaine. Sur le
lieu de sa mort, naquit
la fleur qui s’appelle de son nom.
Des versions postérieures disent qu’il
fut changé en narcisse : comme elles
disent encore que Daphné fut changée
en laurier. L’amour d’Écho pour Narcisse est seulement
une autre version de l’amour de Séléné pour Endymion, le soleil, alors qu’il plonge dans la mer. Comme
Endymion dort dans Latmos, la terre de l’oubli, de même
le nom de Narcisse signifie le mutisme ou la surdité du
profond sommeil, et exprime l’idée que représente déjà
la légende d’Endymion.
Nous avons, aux premières pages, présenté une description de l’Olympe, habité par les dieux et les déesses. L’étude serait incomplète si, à la fin du livre qui décrit les héros, nous ne parlions des Pays de l’Immortalité, fortunés ou mauvais, habités par les ombres des êtres qui ne vivent plus. La déité qui règne sur ce monde spécial est, on se le rappelle, Hadès ; et ce régent des lieux infernaux s’identifiait avec son royaume au point que maître et états portèrent le même nom. Des fleuves fameux arrosaient l’Hadès : le Styx, qui l’enveloppait de sept replis ; puis l’Achéron, le Cocyte, le Phlégéthon ou Pyriphlégéthon, et le Léthé. Aucun de ces noms qui n’ait sa signification. Achéron, comme l’Achéloüs, l’Axios, l’Axé, l’Exe, l’Usk, et maint autre courant, signifie simplement l’Eau. Le Cocyte est le fleuve des gémissements et des larmes ; le Styx, le fleuve haïssable ; le Phlégéthon ou Pyriphlégéthon, celui du feu : et le Léthé appartient comme Léto, la Latone latine, et Léda, à la terre de Latmos ou celle de l’oubli et de la mort. Le seul détail poétique relatif à ces cours d’eau funèbres, c’est que les ombres les traversaient dans la barque du sombre passeur Charon (fig. 163), fils d’Érèbe et de la Nuit : pour se rendre vers la demeure souterraine à la porte de laquelle veillent les deux chiens, l’un Orthros, et l’autre Cerbère aux trois têtes. À tout jamais on entrait là, sur le verdict des trois juges Minos, Éaque, Radamanthe.
Où commence, où finit ici la légende : point curieux à
discerner. Ces rivières n’étaient pas imaginaires : non loin
de l’Épire existait le fleuve Achéron, avec son affluent le
Cocyte ; on fit, de toute antiquité, sur leurs bords, des
sacrifices pour les morts. Il y a donc, on le voit, quelque-chose
d’historique mêlé à ces fables. Exemple encore :
l’Averne ; ce nom appartenant à un lac italien près de
Naples, que l’on supposait donner accès aux régions
infernales : et la sybille de Cumes habitait une caverne
sur ses bords. Ce n’était pas toutefois un nom d’origine
latine, mais une forme latinisée du grec Aornos, qui
indique un lieu sans oiseaux : on croyait qu’aucune aile
ne pouvait le traverser, à cause des vapeurs mortelles qui
s’élevaient à sa surface. Quant à la valeur morale de lieux comme le Tartare, noir gouffre des méchants, situé
sous l’Hadès, à une profondeur pareille à la distance qui
sépare du ciel la mer ; ou l’Élysée, loin dans l’Ouest, hors
Fig. 163. — Charon et les Âmes.
des bornes de la terre et
là où descend le soleil,
archipel qu’Éos égayé en
y versant les teintes violettes
à la chute du jour :
ni ces îles des bienheureux,
où ceux-là seuls
sont admis qui comptèrent
au rang des héros et
des nobles de l’humanité,
ni l’abîme désespéré des
ténèbres, ne dépendent,
à proprement parler, de
la Mythologie, car ils
expriment surtout des
idées morales et des concepts
empruntés à une théologie.
La mythologie du Tartare comme lieu de tourments, et de l’Élysée comme repos fortuné des sages parmi les asphodèles (les Latins le placèrent cependant sous la terre), est artificielle à l’égal de la fable évoquant de la mer les nymphes néréides et les nymphes océanides. Ce que nous devons retenir d’un regard jeté sur ces sites, dénués de tout sens allégorique apparenté à la Nature, c’est l’idée même qui nécessite leur création : à savoir celle d’un châtiment pour le mal et d’une récompense réservée au bien.
Cerbère.
Les Heures (bas-relief).
Les noms mentionnés précédemment ne forment pas la liste complète des personnages connus de la Mythologie des Grecs. Outre ceux des dieux olympiens et des héros dynastiques des cités grecques, il y a un grand nombre d’appellations qu’on peut parfois grouper ensemble, quoiqu’il soit impossible de les rattacher à aucune histoire mythique.
Pour mentionner quelques êtres de cette sorte, voici
les Hamadryades, nymphes que l’on supposait vivre et
mourir avec les arbres dont elles étaient les déités ; et les
Oréades ou nymphes des montagnes. Qui ne connaît les
Hyades ? ces filles d’Atlas et d’Æthra, qui est aussi la
mère de Thésée ? Elles pleurèrent jusqu’à mourir, dit-on,
et forment un groupe d’étoiles, qui présage la pluie. Les
Pléiades, leurs sœurs, inconsolables de cette perte, eurent
un sort pareil. Ainsi les Héliades, filles d’Hélios, versèrent
des larmes d’ambre sur la mort de leur frère
Phaéton.
Fig. 166. — Géants (bas-relief).
Arrivons aux Géants (fig. 166).
Dans les poèmes
homériques, ce sont
les Cyclopes qui
habitent en Trinacrie ;
dans Hésiode,
ce sont des êtres
produits par le sang
d’Ouranos, le ciel
tombant sur Gê, la
terre. Ils répondent
aux Trolls, aux
géants des gelées,
dans les mythologies
du Nord. Deux
géants, Otos et
Éphialtès, fils de
Poséidon, s’appelaient
du nom d’Aloades
(aloê, aire),
en tant que possédant
la force de
meules à moulins.
Connaissez-vous ce
nom : les Miolones,
signifiant « ceux qui
s’occupent à moudre » ?
il a été donné
à Euryton et Actor,
fils de Poséidon, qui répondent, par leur caractère, au
Thor Miölnir de la mythologie des Norses.
Qu’était-ce que Borée (fig. 167) ? le fils d’Astraïos et
d’Éos, connu comme le dieu du Vent du Nord. Sa femme
Fig. 167. — Borée.
Fig. 168. — Clio.
était Oreithya, fille d’Érechthée et sœur de Procris.
Érèbe, rejeton du Chaos, habitait l’espace obscur à travers lequel les âmes vont vers l’Hadés.
Ényo était, dans la théogonie d’Hésiode, l’une des Grées. Tels la donnent pour la déesse qui accompagne Arès et se réjouit du carnage et du sang versé.
Les Harpies sont les vents d’orage. Elles sont présentées
comme les belles-filles de Thaumas et d’Électre,
par Hésiode ; mais décrites comme des êtres odieux ou
repoussants, par Virgile.
Fig. 169. — Euterpe.
Fig. 170. — Érato.
Les Muses représentent les déesses de la musique, de
la poésie, de l’art et de la science. Elles semblent avoir
d’abord été au nombre de trois, qui s’est ensuite accru
jusqu’à neuf. On les appelait encore Piérides, de Piérie,
près d’Olympe ; mais une autre légende dit que les Piérides
étaient des filles de Piéros, roi d’Émathie, et que,
venant à lutter avec les Muses, elles furent battues par
elles et changées en oiseaux. Les noms des neuf Muses
sont : Clio ou Cléio (fig. 168) « le héraut ». Muse de l’histoire ; Euterpe (fig. 169) « la charmeuse ». Muse de
la poésie lyrique ; Érato (fig. 170) « l’aimable », Muse
de la poésie aimable et de l’art mimique ; Thalie (fig. 171)
« la joyeuse », Muse de la comédie et de la poésie idyllique ;
Melpomène (fig. 172) la « chanteuse », Muse de
la tragédie ; Terpsichore (fig. 173) « qui se réjouit dans
Fig. 171. — Thalie.
Fig. 172. — Melpomène.
les danses », Muse de la danse mêlée au chant ; Polymnie
(fig. 174) « qui aime les chants ». Muse des
hymnes sublimes ; Uranie (fig. 175) « la céleste », Muse de
l’astronomie, et Calliope (fig. 176) « à la belle voix », Muse
de la poésie épique. On représentait ces neuf Muses, assises
ou debout, chacune avec quelque attribut différent.
Un grand chasseur, aimé d’Artémis et d’Éos et placé
après sa mort au nombre des étoiles, s’appelle Orion.
Pan est une déité qui présidait aux troupeaux de petit
Fig. 173. — Terpsihore.
Fig. 174. — Polymnie.
Fig. 175. — Uranie.
Fig. 176. — Calliope.
et de gros bétail ; quelques auteurs en ont fait le fils d’Hermès, né en Arcadie. On le représente avec la tête et
la poitrine d’un homme et les membres inférieurs d’un
Fig. 177. — Pan (bas-relief).
Fig. 178. — Pan (camée).
bouc (fig. 177 et 178). On dit qu’il voyagea
dans l’Inde avec Dionysos ; et qu’une fois,
entouré et captif, il fut délivré par la clameur
de ses hommes qui dispersèrent
l’ennemi (c’est de là que le mot panique
indique une soudaine et vague terreur). Le
nom de Pan est parent du mot sanscrit le
vent, Pavana, et probablement du latin
Pavonius. Syrinx, la nymphe aimée du
dieu, nom de flûte, est elle-même le vent
dans les roseaux
[31].
Le dieu Pan a acquis, dans les temps modernes, une grande importance : il représente souvent à notre pensée le paganisme tout entier dans son crépuscule. On connaît l’histoire de ces mariniers latins qui aux dernières heures du monde impérial entendirent, une fois, par l’air, ces paroles considérables : « Pan est mort ! » [32].
Éros (fig. 179) est le dieu de l’amour. Hésiode en fait une des puissances primitives, avec le Chaos, Gaia et le Tartare. Les poètes postérieurs le disent fils d’Hermès ou d’Arès, d’Artémis ou d’Aphrodite.
L’Odyssée montre Protée comme un vieillard qui
Fig. 179. — Statue d’Éros.
accompagne les phoques de Poséidon et sort de la mer à
midi pour dormir sur le rivage. Il avait le pouvoir de se
changer en quelque forme que ce fût, comme le « fermier
Weathersky » dans les contes des Norses.
Priape (fig. 180) est fils de Dionysos et d’Aphrodite :
on l’adorait en tant que cause de la fertilité et des fruits et
des troupeaux.
Délicieuse et admirable histoire que celle de Psyché
(fig. 181) ! Ce mot désigne le souffle des êtres vivants,
mais la légende d’Éros et de Psyché parle d’une
Fig. 180. — Priape.
Fig. 181. — Psyché.
Fig. 182. — Dioscures (camée).
vierge qui se croit mariée à
un monstre : prenant une
lampe pour regarder l’époux dans les ténèbres, elle le
trouve beau. Or une goutte d’huile tombant
de la lampe évellle, en ce monstre,
qui ? Éros, lequel s’évanouit et disparaît…
Psyché, après des années de douleur,
s’unit à lui de nouveau. — Le récit
est, en partie, le même que dans la Belle
et la Bête ; et les contes du foyer
(Grimm, etc.) le donnent sous plusieurs autres formes
populaires.
Zagréos semble être un des noms de Dionysos : on présente ce personnage comme l’enfant à cornes de Zeus et
Fig. 183. — Statue de Cybèle.
de Perséphone.
Hespéros, ce dieu du ciel occidental, est le père des Hespérides, qui, avec le dragon Ladon, gardaient les pommes d’or d’Héré.
Castor et Polydeukès (appelé par nous, d’après le latin, Pollux) sont les deux Dioscures (fig. 182) ou fils de Zeus. Dans l’Iliade et l’Odyssée ce sont les frères d’Hélène ; mais il y a beaucoup d’autres versions de leur parenté.
Les Cabires apparaissent comme des déités mystiques, que quelques-uns disaient les enfants de Héphaïstos et de Cabéira, fille de Protée.
Les Caribautes et les
Dactyles, eux, sont des
êtres vraisemblablement
de la même sorte que
les Cabires, On parle des
Carybautes comme de fils d’Apollon. Les prêtres phrygiens
de Cybèle s’appelaient Dactyles.
Qu’était-ce que Cybèle (fig. 183) ? On suppose que
Fig. 184. — Hébé (camée).
Fig. 185. — Iris.
Fig. 186. — Morphée.
c’était originairement la déesse
phrygienne de la terre. Les
Grecs l’identifiaient avec Rhé
et les Latins avec Ops.
Qu’était-ce que Hébé (fig. 184) ? La déesse de la jeunesse, répondant à la Juventas latine.
Qu’était-ce que Hymen ? Un dieu grec du mariage, que quelques-uns disent fils d’Apollon.
Qu’était Iris (fig. 185) ? Dans
la mythologie homérique, comme Hermès, une messagère
des dieux. Dans
Hésiode, c’est la sœur
des Harpies. Suivant
d’autres, elle était femme de Zéphyre, vent d’ouest, et la
mère d’Éos, l’aurore.
L’artisan des songes est Morphée (fig. 186) : on le nomme fils d’Hypnos, le sommeil.
Ganymède (fig. 189) est présenté, dans la mythologie
Fig. 187. — Silène (statue).
homérique, comme un
bel adolescent troyen, qui
fut enlevé par un aigle
et devint dans l’Olympe
l’échanson de Zeus.
Silène (fig. 187) est un serviteur de Dionysos et un chef des Satyres, êtres qui, de même que Pan, sont représentés comme ayant la tête, les bras et le buste des hommes, avec les membres inférieurs d’un bouc [33]. Nous ne pouvons pas ne point voir dans les Satyres (fig. 190) le phénomène de vie qui semble animer les bois et faire danser les branches des arbres, au tronc noueux effrayant les voyageurs. Les Nymphes (fig. 188), charmées de la cour qui leur est faite, ce sont les nuages blancs arrêtés dans les cieux au-dessus du bouquet d’arbres.
Le fondateur mythique d’Athènes est Cécrops, qu’on
représente comme un héros autochtone ou indigène : la Fig. 188. — Nymphe (statue).
Fig. 189. — Ganymède (statue).
Fig. 190. — Satyres (bas-relief).
partie supérieure de son corps étant celle d’un homme, et
les parties inférieures, celles d’un dragon ; Hersé, la rosée, passe pour sa fille. Bref, c’est un personnage parallèle
à Érechthée. Les imaginations d’un âge comparativement
avancé le font venir de Saïs, en Égypte ; mais il n’y
a rien dans la mythologie grecque qui indique un rapport
quelconque avec ce pays pendant les siècles mythopiques
ou « ceux qui font les mythes ».
DÉITÉS LATINES
NON IDENTIFIÉES AVEC DES DIEUX GRECS.
Les Lares, d’abord : ce sont des déités domestiques, qu’on paraît avoir regardées comme les âmes des ancêtres défunts ; il y avait ceux non-seulement des familles, mais de la cité, de la contrée, des routes. Ils forment un groupe de la classe plus vaste, connue sous le nom de Pénates, ou dieux de la maison ; dont le nom semble dérivé de panus, une provision de nourriture. Des Pénates publics existaient, aussi bien que les Pénats privés. Connaît-on les Lares (fig. 193) sous quelque autre nom ? certes ; on les invoque communément en tant que Mânes, nom général donné aux esprits des morts. Ce mot signifie « les bons », et se retrouve dans le nom de Mana, divinité italique (et dans le mot immanis, cruel).
Des esprits qu’on supposait capables de nuire aux
vivants s’appelaient Lémures : les spectres des morts,
généralement Larves.
Les Palici sont deux déités jumelles, adorées en Sicile,
dont on ne sait guère autre chose que le nom ; lequel
peut se rattacher, non sans quelque probabilité, à celui
Fig. 193. — Les Lares.
Fig. 194. — Génie (médaille).
de Palès, déité rurale honorée
particulièrement par les
bergers.
Les Parques, selon les poètes des périodes avancées, sont trois sœurs qu’on identifiait avec les Moires grecques, Clotho, Lachésis et Atropos.
Le nom des Fatès, qui signifie les Sorts, servait à désigner les Parques. Le mot fatum, le Destin, veut dire « une chose proférée » ; et répond à l’Aïsa des Grecs, qui est le ’nom proféré de Jupiter, c’est-à-dire la Nécessité ou la Destinée.
Il y avait des Génies (fig. 194) : êtres surhumains, dont la vie, selon la croyance des vieilles races italiques, cessait avec celle des personnes qu’ils gardaient.
Le titre latin de dieux Indigètes était accordé aux héros mythiques de la contrée (fig. 195), qu’après leur mort on classait parmi les dieux.
Les Dii Consentes, nom marquant accord ou harmonie,
désignaient dans les temps avancés les Douze Dieux de l’Olympe. Originairement ils consistaient en six déités
Fig. 195. — Latinus, héros mythique romain.
Fig. 196. — Statuette de la Fortune.
mâles et six déités féminines, qu’on
ne saurait déterminer avec certitude.
Bellone était la déesse latine de la guerre (bellum, guerre) comme Victoria (fig. 197), la Victoire, ou Fortuna (fig. 196), la Fortune.
La Bona dea, ou la bonne déesse, nous est présentée comme la sœur ou la fille de Faunus(fig. 198 et 199), et adorée seulement par les femmes. Elle s’appelle d’elle-même Fauna ; mais Faunus et Fauna signifient simplement ceux qui accordent des faveurs, et c’étaient les déités rurales des vieux Latins.
Les Camènes sont des divinités de qui les noms, dans la forme Carmentes ou Carmenæ, se rattachent à Carmen,
un chant. Aussi les identifia-t-on avec les Muses grecques.
Fig. 197. — La Victoire (camée).
Fig. 198. — Faunus.
Égérie est l’une des Camènes que l’on dit avoir été la
conseillère secrète du roi mythique Numa.
Laverna, déesse patronne des voleurs.
Pilumnus, Picumnus, et
Sémo Sancus : les deux premiers,
Pilumnus et Picumnus,
étaient des frères adorés
comme déités rurales. Ces
noms sont de simples épithètes,
Pilumnus étant le mouleur du blé ; et Picumnus le
remueur de terre. Ces mots Sémo Sancus se joignent en un seul nom pour désigner la même déité ; je vois réellement
Fig. 199. — Faunus.
Fig. 200. — Triomphe de l’Aurore (bas-relief).
deux personnages, Sancus
étant le dieu qui ratifie les serments
et les contrats, et Sémo,
le semeur des graines.
Pomone personnifie la déesse latine des fruits et des arbres fruitiers. On dit qu’elle fut aimée de Sylvain, déité des bois ; de Picus (qui, comme Picumnus, est le remueur du sol) et de Vertumne, le dieu des changements de saisons
Anna Pérenna était la dispensatrice de l’abondance au retour des saisons de l’année. Les poètes postérieurs l’ont identifiée avec Anna, sœur de Didon, fondatrice mythique de Carthage.
De Consus, déité, on ne sait rien autre chose sinon que la fête appelée Consualia se célébrait en son honneur.
(On peut rattacher ce nom à celui des dieux Consentès.)
Fig. 201. — Zéphyre.
Fig. 202. — Eurus.
Qu’est-ce que Gradivus et Mulciber ? Gradivus est un
nom de Mars, en tant que « le dieu aux vastes enjambées »,
et Mulciber, de Vukain, en tant que « celui qui adoucit
le fer chaud ». Enfin Favonius ? un nom du vent
d’Ouest ou de Sud-ouest appelé par les Grecs Zéphyre
(fig. 201). Eurus (fig. 202) et Nautus (fig. 203) : autres
vents.
Inutile de dire qu’Aurore (fig. 200) est la déesse du
matin, identifiée avec le grec Éos, la femme de Tithon.
Remarquez seulement que ce nom correspond à quelque
Fig. 203. — Nautus.
chose dans la mythologie orientale : il se rattache au
sanscrit Ushas, un nom de l’aurore, issu d’une racine
commune au latin aurum, l’or, et urere, brûler.
LES
GRANDES ÉPOPÉES ARYAQUES
LES ARGONAUTES.
LE CONTE DE TROIE.
ous les peuples de race aryaque
ont possédé, à une époque plus
ou moins jeune, leur grande
épopée. Nous ne nous occupons
pas dans ce moment de la forme littéraire.
Que l’épopée soit un recueil de
chants brefs, reliés par la parenté qui
existe entre des événements célèbres,
c’est l’Iliade, œuvre multiple des aëdes,
chanteurs errants. Œuvre des rhapsodes,
poètes habiles et scolastiques,
comme l’Odyssée, elle peut présenter un
poème long et merveilleusement ordonné, mais qui date
toutefois des temps primitifs ayant suivi la période des
hymnes. Dans un cas et dans l’autre, ou même quand ces
légendes rythmées seraient récentes autant que le Cycle
d’Arthur et de Charlemagne, le Lai de Béhowulf, le
Shanameh de Firdusi, l’inspiration qui les anime ou le style qui les fixe ne fait pas actuellement l’objet de notre étude.
L’intérêt, alors qu’on s’occupe de Mythologie, sera sollicité
par une comparaison attentive entre les éléments qui
composent ces grandes épopées communes à la race,
et satisfait par une découverte, à savoir qu’elles sont
indiscutablement empruntées à un fond commun. Excluons,
au même titre que la question littéraire, la
question historique : certes l’Iliade et l’Odyssée, attribuées
à un personnage multiple que la légende nomme
Homère ; le Ramayânâ et le Mahabâratâ, œuvres d’un
Valmîki et d’un Vyasi allégoriques ; les Nibelungen et
les Saga, enfin, illustrent, avec une authenticité incontestable,
les époques féodales de la Grèce primitive, l’Inde
farouche et héroïque des régions septentrionales, et nous
initient à des mœurs réelles : mais ces armes, ces parures,
ces costumes, tout le décor, appartiennent à des personnages
imaginaires, réductibles, comme les dieux, en quelque
phénomène naturel. Qu’on serait étonné, menant une
pareille étude au-delà des grandes épopées, et jusqu’aux
légendes populaires, de trouver que non-seulement ces
amples récits faits pour les demeures illustres ou de vastes
réunions, mais les contes de fées qui ont égayé le foyer
séculaire, ne sont jamais « QU’UNE DES NOMBREUSES NARRATIONS
DU GRAND DRAME SOLAIRE ACCOMPLI SOUS NOS YEUX
CHAQUE JOUR ET CHAQUE ANNÉE »
[35]. Inconsciente, à coup
sûr, lors de sa composition par le poète, mais authentique.
Ne nous y trompons pas : « la guerre de Troie a été
livrée dans toute terre aryâque. Partout on voit la
recherche de la brillante jeune fille volée, et, partout, le long effort pour la recouvrer ». Roland, du Roman, c’est Achille, comme Blanche-Flor, dans Garin le Lorrain, demeure l’Hélène grecque. Berthe au grand pied, Cendrillon, on vous reconnaît : vous êtes Pénélope.
L’expédition des Argonautes est le voyage d’un grand nombre de chefs achéens pour recouvrer la Toison d’Or, ou celle du bélier d’or de Phrixos. Qu’est-ce Phrixos ? un fils d’Athamas et de Néphèle. À la mort de Néphèle, Athamas épousa Ino ; et Phrixos, avec sa sœur Hellé, vécut dans le malheur, avant qu’un bélier, à toison d’or, les ravît l’un et l’autre. Comme le bélier s’élevait dans l’air, Hellé tomba du dos de l’animal et se noya dans l’Hellespont, qui porte son nom. Phrixos alla plus loin, au palais d’Ætés, roi de Colchis, et sacrifia à Zeus, protecteur des fugitifs, le bélier qui l’avait porté. On suspendit la toison d’or dans la maison d’Ætès, jusqu’à l’heure où vinrent la réclamer les chefs achéens, pressés par Athamas.
L’expédition fut concertée comme il suit (mais disons
d’abord qu’il existe des versions nombreuses de cette histoire) :
La plus communément reçue constate que Pélias,
neveu de Jason, avait été averti de se tenir sur ses gardes
« contre un homme chaussé d’un seul soulier » ; Jason parut au sacrifice ayant perdu l’une de ses sandales dans
un fleuve, et Pélias lui ordonna d’aller chercher la toison
d’or en Colchide. Jason rassemble en conséquence tous
les grands chefs d’alentour et navigue sur la nef Argo,
qui possédait le don de la parole (fig. 208). Au nombre
de ceux qui l’accompagnent, Héraclès, Méléagre, Amphiarée,
Fig. 208. — Construction de la Nef d’Argo.
Adméte, et d’autres héros (fig. 209). Voguant à
l’Est, ils s’engagèrent dans les rocs périlleux nommés les
Symplegades, qui s’ouvraient et se fermaient continuellement,
avec une promptitude telle, qu’un oiseau avait à
peine le temps de les traverser. Tiphys gouverna le vaisseau
de manière à passer sauf par les rocs, qui se fixèrent
après ce fait. On traversa la terre des Amazones, et l’on
atteignit enfin la Colchide, où Jason (fig. 210) demanda
la Toison à Ætès, lequel refusa de la donner avant que Jason eût labouré la terre avec les taureaux soufflant la
flamme, et l’eût ensemencée des dents du dragon. Ce que
Médée, par son aide, le mit à même de faire : elle lui
Fig. 209. — Argonautes.
Fig. 210. — Jason et la Toison.
oignit le corps d’un onguent qui protégeait de l’haleine
violente des taureaux, et lui dit de jeter une pierre aux
hommes armés qui naîtraient des dents du dragon.
Qu’advint-il ? Jason jeta la pierre,
et les hommes commencèrent aussitôt
à se battre entre eux et jusqu’à
leur totale extermination. Alors Médée
charma et endormit le dragon
gardien de la Toison ; et Jason, tuant
le monstre, fut maître du trésor et
se hâta Je revenir dans la nef Argo.
Incidents qui appartiennent au retour de ce voyage :
Ætès poursuivit le vaisseau dans une hâte furieuse ; et
Médée, qui avait fui avec Jason, coupa son propre frère
Apsyrtos en morceaux, et jeta ses membres, un par un, dans la mer. Ætès s’arrêta pour les recueillir : la nef
échappa à son atteinte. Lors du retour de Jason à Iolcos,
Médée persuada aux filles de Pélias de couper aussi le
corps de leur père, et d’en apporter les membres dans un
chaudron, disant qu’elle rendrait ce vieillard à la vie,
tel qu’il était dans sa jeunesse. Elles obéirent : mais
Médée, prétendant regarder les astres afin de savoir à
Fig. 211. — Médée.
quel moment user de ses sortilèges,
laissa les membres se consumer :
c’est ainsi que l’avertissement à
Pélias s’accomplit. Jason ne resta
pas à Iolcos : Médée, dans son char
à dragons, l’emmena à Argos, où
il s’éprit de la beauté de Glaucé,
fille de Créon. Médée parut tout
supporter patiemment, comme si
même la chose lui plaisait ; et elle
envoya à Glaucé, pour cadeau de
noces, la belle robe que lui donna,
à elle, Hélios, avant de quitter la
maison de son père. La jeune fille
n’eut pas plus tôt mis la robe, que ce vêtement commença
à lui brûler la chair ; et le vieux Créon, qui essaya de
le déchirer, périt avec son enfant. Médée s’évanouit
ensuite d’Argos dans le char à dragons. Se rappelle-t-on
encore quelque chose de cette magicienne (fig. 211) ?
On dit qu’elle tua ses deux enfants, les fils de Jason.
Voici comment toute cette étrange et terrible histoire a pris naissance. Quelques phrases décrivaient les changements du jour et de la nuit : et le soleil, qui s’appelle Hélios Hypérion (le gravisseur), passait pour descendre, le soir, dans une coupe ou un vase d’or, qui le portait au cours du fleuve Océan, dans la demeure noire de la Nuit : il y trouvait sa mère, sa femme et ses enfants, et c’est de cette coupe qu’il s’élevait encore le matin.
Si vous voulez retrouver, de temps immémoriaux, l’histoire des Argonautes, écoutez les plus vieux poèmes indiens. Le départ du soleil laissant les hommes dans la peine et la crainte, l’idée d’une recherche de cet Ami perdu se présenta d’elle-même à leur pensée primitive ; on supposa donc que toutes les choses que l’astre avait choyées de sa chaleur, dans le courant du jour, le cherchaient, réussissant enfin à le trouver et à le ramener.
Qu’est-ce alors que la nef Argo ? Un symbole de la terre, en tant que génératrice : elle contient en soi les germes de toutes les choses vivantes. Cette nef porte tous les chefs achéens, qui reviennent avec une force et une vigueur nouvelles, quand leur mission est accomplie. Génératrice de toutes choses, la terre apparaissait aux anciens comme un être conscient, possédant le don de la pensée, de la vue, et même du langage : aussi la nef parle. Quant à la toison d’or, voyez-y le vêtement d’or (ou les rayons) du soleil, lequel réapparaît dans la robe donnée par Hélios à Médée : ces rayons peuvent ou chauffer ou brûler ceux qu’ils viennent à toucher. C’est la même robe que donne Nessos à Déjanire, et qui consume le corps d’Héraclès.
Médée, enfin, incarne un être possédant cette sagesse, qui appartient à Phoïbos Apollon par droit de naissance. Cette sagesse, Asclépios et Tantale en héritent, en tant que représentant les secrets cachés de Zeus (le ciel) : appliquée à Médée comme à une femme sage ou instruite, elle suggère une idée de sorcellerie et de magie. Tout cela n’explique guère l’histoire du dragon ! N’y voir en effet qu’une autre version, rapportée ici, des pierres changées en hommes dans l’histoire de Deucalion.
Détails. Ætès poursuit Argo dans sa retraite, parce que les Gorgones chassent Persée, comme on peut dire des ténèbres qu’elles chassent le soleil ; et il les laisse derrière soi quand il s’élève dans le ciel. Ces pouvoirs dispensateurs de la vie que possède Médée, s’expliquent ; car le même soleil qui cause une sécheresse mortelle, rappelle aussi les choses à la vie après l’assoupissement de la nuit et le long sommeil de l’hiver.
Aussi Médée, comme Tantale et Lycaon, est-elle capable de tuer ; et, comme Asclépios et Héraclès, de rendre les morts à la vie. Le char à dragons de Médée demeure bien le même que le char d’Indra, d’Hélios et d’Achille. Celui d’Indra est traîné par les Harits (qui dans les légendes occidentales deviennent les Grâces) ; celui d’Hélios et d’Achille, par des chevaux immortels : au char de Médée s’attellent des dragons, parce que le mot dragon signifiait « quelqu’un à la vue perçante » : et ce nom s’appliquait naturellement à des créatures que l’on supposait convoyer le soleil à travers les cieux.
Rapt d’Hélène.
La Guerre. — Le conte de Troie ou d’Ilion consiste en cette série de légendes dont l’ensemble forme l’histoire mythique de Pâris, d’Hélène, d’Achille et d’Odyssée, l’Ulysse latin. Sachez bien qu’il n’est point, tout entier, contenu dans l’Iliade et l’Odyssée, appelées généralement les poèmes de Homère ; mais certaines expressions et des allusions semées tout le long des poèmes, semblent indiquer que les poètes savaient nombre d’incidents dont ils ne se souciaient pas toujours de parler.
Le début de cette légende, c’est la naissance de Pâris, dont la mère, Hécabé ou Hécube (fig. 213), rêva que son fils était « une torche destinée à détruire la terre d’Ilion ». Conséquence de ce rêve : l’enfant fut exposé sur le flanc couvert de bruyère du mont Ida, mais un berger le sauva ; grandissant beau, brave et généreux, il fut appelé Alexandre, le secours des hommes.
La reconnaissance de Pâris par sa famille offre un épisode d’une grande beauté. Le père du héros, Priam, ordonna qu’on offrît un sacrifice pour le repos de Pâris dans l’Hadès ; et les serviteurs choisirent le taureau favori de Pâris : or le jeune homme les suivit et fut le vainqueur à ses propres jeux funéraires. Personne ne le reconnaissant, sa sœur Cassandre, à qui Phoïbos avait accordé le don de seconde vue avec cette restriction, qu’on ne croirait pas à ses prophéties, dit à tous quel était le vainqueur.
Pâris ne resta pas à Troie ; il refusa de demeurer avec
Fig. 213. — Hécube.
ceux qui l’avaient traité si
cruellement dans sa première
enfance, et c’est dans
les cavernes de l’Ida qu’il
gagna Œnone, la belle enfant
du cours d’eau le Cébrène,
et en fit son épouse.
L’adolescent demeura avec
Œnone, jusqu’à ce qu’il
partît pour Sparte avec Ménélas.
Voici comment. À la
fête des noces de Pelée et de
Thétis, mère d’Achille, Éris, la Discorde, que l’on
n’avait pas invitée avec les autres dieux, jeta sur la table
une pomme d’or, don à la plus belle des assistantes.
Héré, Athéné et Aphrodite prétendirent à la pomme ;
et Zeus fit Pâris arbitre. Par lui, le prix fut donné à
Aphrodite, qui, en retour, lui promit la plus aimable
de toutes les vierges, Hélène, pour femme. Une cruelle
disette échut à Sparte quelque temps après ; et l’oracle
de Delphes dit que les habitants ne seraient délivrés du
fléau que s’ils rapportaient les os des enfants de Prométhée. Ménélas, le roi, vint pour cela à Ilion, et s’en
Fig. 214. — Ménélas (bas-relief).
Fig. 215. — Nestor (bas-relief).
retourna avec Pâris ; celui-ci vit Hélène la belle à Sparte,
et, obtenant son amour, l’emmena à Troie.
Ménélas supporta mal la perte d’Hélène (fig. 214) : il résolut de l’arracher des bras de Pâris, et invita Agamemnon,
roi de Mycènes, et d’autres chefs à prendre
part à l’expédition. Mentionnons les noms de quelques-uns
de ces chefs. Nestor (fig. 215), le sage gouverneur de
Pylos ; Ajax, fils de Télamon (fig. 216) ; Ascalaphe et
Ialmène, fils d’Arès ; Diomède, fils de Tydée, et
Fig. 216. — Ajax (camée).
Admète, mari d’Alceste. Mais
les plus grands de tous étaient
Achille, fils de Pélée et de la
nymphe de mer Thétis, et
Odyssée ou Ulysse, fils de
Laertes, qui régnait sur Ithaque.
On alla à Troie par mer : mais la flotte subit une accalmie à Aulis ; et Calchas, le devin, affirmant que la cause de l’accalmie était la colère d’Artémis pour un cerf tué dans son bosquet sacré, déclara en outre que le sacrifice d’Iphigénie, fille d’Agamemnon, pouvait seul apaiser la déesse. Calchas prophétisa au sacrifice d’Iphigénie (fig. 217) : il dit que les Achéens combattraient en vain neuf années devant Ilion ; mais la dixième verrait la prise de la ville.
Troie fut défendue principalement par Hector, fils de
Priam et frère de Pâris, aidé des chefs des cités voisines,
entre qui : Énée (fig. 218), fils d’Anchise ; Pandaros, fils
de Lycaon, et porteur de l’arc d’Apollon ; et Sarpédon,
qui, avec son ami Glaucos, amena les Lyciens des bords
du Xanthe, connu pour ses tourbillons. Fig. 217. — Sacrifice d’Iphigénie (bas-relief).
Attardons-nous au sacrifice : eut-il lieu ? Oui, selon l’histoire homérique : mais tels racontent qu’Artémis elle-même sauva Iphigénie, qui devint la prêtresse de la déesse ; d’autres disent qu’Artémis et Iphigénie étaient un même personnage.
Conséquences :
Até, qui venge le
sang versé des innocents,
plana sur
la maison d’Agamemnon,
jusqu’à
ce qu’elle eût fait
mourir le roi de
la main de sa femme
Clytemnestre
(fig. 220), et Clytemnestre
de la
main de son fils
Oreste(fig. 219 et
222), meurtrier
encore d’Égysthe,
qui souillait la
couche royale d’Agamemnon.
Étudions, isolément, quelques héros. Sarpédon a son
histoire : comme Achille, Méléagre, Sigurd et d’autres
mythes, il est voué à une mort précoce, que Zeus, son
père, essaye en vain de détourner. Le voilà, combattant
bravement, percé par la lance de Patrocle, ami d’Achille ;
les larmes de Zeus (ou du Ciel) tombèrent en larges
gouttes de pluie, à cause d’un sort qui n’était pas celui
de cet âge. Phoïbos baigna enfin le cadavre de Sarpédon
dans les eaux pures du Simoïs ; et Hypnos et Thanatos
Fig. 218. — Énée.
(le Sommeil et la Mort), sur
l’ordre de Zeus, le portèrent,
à travers les heures tranquilles
de la nuit, dans sa demeure
lointaine de Libye.
Vous devinez la signification de cette histoire ? Sarpédon est un nom issu de la même racine qu’Hermès, Hélène, Erinnys, Saranya, et notre mot « serpent » ; et indique la lumière du matin quand elle rampe à travers le ciel. Ce guerrier est, comme Phoïbos, roi de Lycie (la terre brillante, nom qui appartient à la même famille que Délos, Ortygie, Argos, l’Arcadie, Athènes, la Phénicie et l’Éthiopie) : le Xanthe la traverse, fleuve doré de la lumière.
L’ami du héros s’appelle Glaucos, le brillant. La mort
de Sarpédon et l’enlèvement de son corps, pendant la
nuit, répondent au voyage nocturne d’Hélios dans sa
coupe ou son vaisseau d’or le long du fleuve Océan, qui
coule autour du monde des hommes : et la même idée,
légèrement altérée, se retrouve dans le voyage des Argonautes à la recherche de la Toison d’Or, ou de la clarté
du soleil dérobée.
Fig. 219. — Oreste tue Clytemnestre.
Fig. 220. — Clytemnestretue Agumemnon (bas-relief).
Un autre héros troyen qui ressemble de près à Sarpédon, c’est Memnon (fig. 222) : comme lui, ce fils d’Éos (le matin) dont la jalousie cause la mort de la belle Procris vient d’Éthiopie, la terre étincelante. Comme lui, il est voué à une mort précoce ; et quand la lance d’Achille le perce, les larmes d’Éos tombent du ciel en rosée matinale. Éos enfin va devant Zeus, et le supplie d’évoquer Memnon de l’Hadès ; Zeus exauce sa demande : en conséquence, Memnon s’élève avec Éos dans l’Olympe, comme le soleil du pays obscur de la nuit, au matin.
Qui était le père de Memnon ? Tithon, dont Éos, selon
Fig. 221. — Oreste (bas-relief).
la phrase mythique, quittait chaque matin la couche pour
rapporter la clarté du jour aux fils des hommes, Éos
obtint pour lui le privilège de l’immortalité ; mais comme
elle oublia de demander une jeunesse perpétuelle, Tithon
se décrépit et fut condamné à une vieillesse sans terme.
L’apparition d’Achille dans la guerre de Troie n’est pas
moins frappante. Quoique, par tous ses traits principaux,
connexe de celle de Méléagre, analogue encore à bien
d’autres contes, elle paraît avoir fourni son fondement à la légende homérique, telle que nous la connaissons, plus
classique et plus achevée. Quel est, en effet, le sujet de
l’Iliade ? Raconter la colère d’Achille. La cause de cette
Fig. 222. — Memnon.
Fig. 223. — Achille.
colère, la voici : Achille aime Briséis,
qu’Agamemnon, forcé de rendre Chryséis
à son père, enlève de la tente du
héros. Achille, furieux, fait le vœu
solennel de ne pas prendre part davantage
à la guerre, disant aux chefs
qu’ils ressentiraient promptement son
absence de la lutte. Prédiction qui ne
s’accomplit pas tout d’abord, suivant
le poème appelé maintenant dans son
ensemble l’Iliade : lequel continue et montre, au cours
de plusieurs livres, que les héros achéens se passèrent
parfaitement d’Achille et obtinrent de grandes victoires
sur les Troyens.
Parenthèse. Une conclusion résulte clairement de
pareille contradiction, et s’impose :
c’est que ce poème de
l’Iliade comprend deux poèmes
rattachés l’un à l’autre, et que
l’un rapporte les exploits des
chefs, et est véritablement l’Iliade,
tandis que l’autre dépeint
la colère d’Achille et serait véritablement
l’Achilléide. La colère d’Achille ne s’apaisa
point, toutefois, avant que les Achéens se vissent réduits
à une très-grande détresse, et obligés de solliciter humblement
l’aide du guerrier courroucé, alors en proie à sa
terrible manie. Odyssée et d’autres l’abordèrent, Phœnix à leur tête ; et Phœnix, qui avait été le précepteur d’Achille
dans son enfance, cita à celui-ci l’histoire de Méléagre
Fig. 224. — Combat de Patrocle.
comme un exemple des grands maux que porte en soi
une colère désordonnée.
Rien ne peut d’abord apaiser Achille (fig. 223) : il insiste pour qu’Agamemnon, qui lui a fait tort, fasse amende par une humble soumission et même par le renvoi de Briséis. Agamemnon, d’autre part, ne se soumet pas immédiatement : et les désastres des Achéens émurent Patrocle au point qu’il alla vers la tente du guerrier solitaire et le supplia de le laisser, lui, Patrocle, sortir sur le char d’Achille et avec l’armure d’Achille, et vaincre les Troyens (fig. 224). L’ami écouta la prière de l’ami, mais lui donna en même temps l’ordre exprès de combattre en plaine, et de ne pas mener le char contre la ville. Patrocle n’obéit pas entièrement à cet ordre : et c’est ainsi que, après avoir tué Sarpédon, il fut lui-même accablé et tué par Hector, qui dépouilla son corps de l’armure étincelante. Achille, à la nouvelle de cette mort, s’arracha les cheveux ; et, déchirant ses vêtements, se coucha en pleurant dans la poussière. Ce que les prières et les supplications avaient été impuissantes à obtenir, lui fut arraché par sa douleur accablante et sa rage. Achille jura de se venger d’Hector, et de sacrifier douze jeunes gens troyens sur le bûcher funèbre de son ami.
Mais comment aller combattre sans son armure ? À la prière de Thétis, Héphaïstos forgea pour Achille une nouvelle armure, qui le portait comme comme l’aile porte un oiseau. Quant à sa lance et à son épée, elles étaient encore dans sa tente : car aucune main mortelle ne pouvait manier ces armes que celle d’Achille.
Thétis donna à son fils cet avertissement quand il jura d’avoir la vie de Hector : que son propre trépas suivrait de près celui d’Hector. La réponse d’Achille fut qu’il serait très-content de mourir de la mort d’Héraclès, si seulement Hector mourait avant lui. Prophétique lui-même, le cheval Xanthos, quand le héros monta sur son char et commanda à ses coursiers immortels de le ramener sauf du champ de bataille, inclina la tête, et dit à son maître que celui-ci était presque au terme de sa vie.
L’effet produit par la réapparition d’Achille fut extraordinaire. À la lueur de ses yeux et au son de sa voix, les Troyens furent remplis de crainte ; et ils tremblèrent quand les Myrmidons, ou ceux qui suivaient Achille, s’élancèrent au combat comme des loups ayant des mâchoires couleur de sang et avides de carnage.
Issue du combat : Hector, après avoir bravement lutté, tomba percé par la lance infaillible d’Achille, qui foula son corps aux pieds. Liés à son char, il traîna avec fureur ces restes à terre, jusqu’à ce que personne ne pût reconnaître dans les traits mutilés le beau visage d’Hector.
Tant de deuil n’apaisa pas encore la colère d’Achille. La mort d’Hector et le retour de Briséis, pure comme à son enlèvement, ne le satisfirent même pas. Il fallut que son vœu s’accomplît : et le sang de douze jeunes Troyens coula et rougit l’autel du sacrifice dans les jeux funéraires en l’honneur de Patrocle. Le père d’Hector, l’antique Priam, guidé par Hermès, vint à Achille ; et embrassant ses genoux, implora du héros le corps de son enfant, sur lequel Phoïbos Apollon avait étendu son bouclier d’or pour voiler toute trace douloureuse. Le cadavre fut donc rapporté à Ilion, où la femme d’Hector, Andromaque, pleura amèrement sa perte, tandis que tous les Troyens gémirent sur celui qui avait si bravement combattu pour eux.
À ce point cesse le poème appelé l’Iliade ; mais dans l’Odyssée nous apprenons qu’Achille fut tué par Pâris et Phoïbos Apollon, aux portes Scée ou occidentales ; Thétis, avec ses nymphes de mer, s’éleva de l’eau, et enveloppa de robes brillantes le corps de son fils. Après de nombreux jours révolus, les Achéens placèrent le héros sur un bûcher. On déposa ses cendres dans une urne d’or, travaillée par Héphaïstos ; et, sur cette urne enfouie, on éleva un grand tertre, que les hommes pussent voir de loin quand ils navigueraient sur le vaste Hellespont.
Entre temps, ce mot de « vaste » appliqué à l’Hellespont nous montre ceci, que l’Hellespont de l’Iliade n’est pas le détroit resserré entre Sestos et Abydos ; mais que c’est le nom d’une ample mer, apparentée sans doute à un peuple appelé Helli ou Selli, qui habitait ses rivages ou le traversa dans une migration de l’Est à l’Ouest.
Revenons au poème : la mort d’Achille ne mit pas fin à la guerre : les Achéens eurent encore à se battre jusqu’à l’accomplissement de la dixième année. Ils prirent alors Ilion et la brûlèrent, et tuèrent Priam et son peuple. Pâris lui-même, percé par les flèches empoisonnées de Philoctète, s’enfuit vers l’Ida, où, lorsqu’il expirait, Œnone lui apparut, belle et aimante comme toujours. Mais quoique cet amour pût le consoler, il ne pouvait guérir d’une blessure faite par les armes d’Héraclès. Le héros mourant donc sur l’Ida, et Œnone sur son bûcher funèbre.
Alors qu’est-ce que ce merveilleux siège de Troie ? C’est : « une répétition du siège quotidien de l’Est par les puissances solaires, à qui, chaque soir, sont volés leurs trésors les plus brillants dans l’Ouest ». Le trésor volé de l’Iliade est Hélène, dont le nom est le même que le Sarama indien, pour l’Aurore ; d’où est également dérivé le mot d’Hermias ou d’Hermès. Le nom de Pâris se retrouve dans les vieux poèmes sanscrits, sous la forme du nom de Pani, le trompeur, qui, lorsque Saramâ vient chercher les vaches d’Indra, la supplie de rester avec lui. Cette Saramâ refuse, mais elle accepte de boire du lait : la désobéissance passagère de Saramâ aux ordres donnés est le germe de cette infidélité d’Hélène, qui cause la guerre de Troie.
Que d’autres noms communs encore aux légendes grecques et indiennes ! Achille est le héros solaire Aharyu : tandis que Briséis, qui est une des captives prises par les Achéens, est un rejeton de Brisaya, vaincue par les puissances brillantes, dans le Véda, avant d’avoir pu recouvrer les trésors volés par Pani.
Remarquons particulièrement dans ce Conte de la guerre de Troie, la fusion d’idées très-différentes. Car, en tant que dérobant Hélène à Sparte occidentale, ou aidant à ce vol, Pâris et tous les Troyens représentent le pouvoir ténébreux de la Nuit qui dérobe le beau crépuscule au ciel de l’Ouest, Mais dans la vie de beaucoup d’entre les chefs troyens, comme dans celle de Pâris lui-même, se trouve une répétition de la vie de Méléagre, de Sigurd, et d’autres héros solaires. Voici dans quel rapport se tiennent ces chefs, les uns vis-à-vis des autres. Rappelez-vous que comme Héraclès se voit forcé de servir Eurysthée et Persée, d’exécuter les ordres de Polydecte, de même Achille déclare qu’il ne se bat pas pour une querelle personnelle, mais que toutes les dépouilles conquises par sa lance sont à Agamemnon et à ses alliés. Ainsi que Phoïbos, Persée, Thésée et d’autres, ce héros a une lance infaillible, et son épée tue tous ceux sur qui elle s’abat. Il aime Briséis, mais bientôt il est séparé d’elle, comme Sigurd l’est de Brunehilde. Le vœu d’Achille quand on lui prend Briséis est frappant ! le guerrier jure de ne pas aider plus longtemps les Achéens : en d’autres mots, le soleil se voile la face derrière les nuages. On ne voit plus de rayons d’or quand le visage du soleil est voilé : et les Myrmidons ne paraissent plus sur le champ de bataille quand leur chef pend sa lance et son bouclier dans sa tente. Pourquoi les Myrmidons sont-ils comparés à des loups ? détail curieux : pour ce même motif qui suggéra l’idée que Lycaon et ses fils furent changés en loups. Le mot grec lukoï, loups, est le même, quant au son, que leukoï, brillants : et comme on traitait de « leukoï » les rayons du soleil, les Myrmidons, qui sont simplement les rayons du soleil, ont été, lorsque le sens de cette qualification s’oblitéra partiellement, comparés à des loups aux yeux luisants et aux mâchoires rouges comme le sang. Patrocle, lui, apparaît comme un faible reflet de la splendeur d’Achille ; et il est, vis-à-vis de lui, ce qu’est, précisément, Phaéthon à Hélios, ou Télémaque à Odyssée (ou Ulysse). Une analogie nous le montre : Phaéthon ne doit pas fouetter les chevaux du soleil, ainsi Patrocle ne doit pas conduire les chevaux d’Achille dans un chemin différent de celui qui lui a été indiqué. Tous deux désobéissent, et ils périssent tous deux.
La lutte qui suit la mort de Patrocle représente visiblement le combat que les nuages se livrent au-dessus du soleil, dont ils ont, pendant un moment, éteint la clarté. Et cette vengeance d’Achille, n’y voyez-vous pas la victoire du soleil, quand, à la fin d’un jour d’orage, il émerge des vapeurs et foule les nuages qui ont voilé ses splendeurs ? Les fleuves de sang humain versés sur l’autel du sacrifice, sont les nuages déchirés et cramoisis qui s’écoulent dans le ciel de pourpre, aux heures du soir. Je note que le corps de Patrocle est préservé de la corruption : ainsi, malgré qu’Héraclès meure dans les bras d’Iole, le conte parle toujours d’elle et de lui comme de nobles êtres, vainqueurs à la fin des puissances auxquelles ils semblent d’abord soumis. Pareillement, Thétis assure à Achille que, Patrocle resté sans sépulture une année, le visage de ce héros montrera, même après ce temps, une beauté qui sera plus glorieuse et plus touchante.
La restitution de Briséis, c’est le retour d’Iole à Héraclès, d’Œnone à Pâris et de Brunehilde à Sigurd. Un conflit précède la mort d’Hector ; voyez-y la bataille énorme des vapeurs et du soleil, lequel semble fouler l’obscurité, juste comme Achille foule le corps d’Hector tué ; enfin, comme la victoire du soleil a lieu quand l’astre s’enfonce dans la mer, on raconte de même que la mort d’Achille suit de très-près celle d’Hector. À la mort d’Achille, plus tard, Troyens et Achéens se battirent avec fureur sur son corps. Pourquoi ? L’idée qui suggéra cette légende est celle d’un soir d’orage, alors que les nuages semblent combattre sur le soleil mort.
Qu’avons-nous donc à apprendre de tout ceci ? Que les
principaux incidents de l’histoire, et même les principaux
traits de caractère des principaux héros, s’offrirent, tout
préparés, aux poètes homériques. Les chanteurs pouvaient
laisser de côté un incident, celui-ci ou celui-là ;
mais n’étaient libres d’altérer le caractère d’aucun. Oui,
ils doivent décrire Achille combattant dans une querelle qui ne lui est pas propre — frustré de Briséis —
fou de colère et de chagrin à cause de sa perte — se
cachant dans sa tente, — envoyant Patrocle au lieu de
paraître lui-même sur le champ de bataille — versant le
sang de victimes humaines près du bûcher funèbre de son
ami, et mourant de bonne heure après sa carrière brillante
et troublée. Ce dernier fait explique le caractère d’Achille
tout entier, qui, regardé comme le caractère d’un chef
achéen, ne serait point vrai : manquant de rapport non-seulement
avec le caractère national du peuple, mais encore
avec la nature humaine. Tel qu’il est dessiné dans l’Iliade,
le type n’est pas celui d’un Achéen, et de plus il est inhumain.
Nul n’a de preuve que les chefs achéens aient fait
expier aux innocents les méfaits des coupables, ou n’aient
eu aucun sens du devoir ni aucune sympathie pour les
souffrances de ceux qui ne leur avaient jamais fait injure :
qu’ils offrissent des sacrifices humains ni qu’ils mutilassent
les corps de braves ennemis tués par eux. Toutefois
pareilles histoires ne pouvaient manquer d’apparaître,
quand des phrases qui avaient d’abord désigné simplement
les actes variés du soleil, vinrent à être interprétées
comme les actes, bons ou mauvais, d’êtres humains.
Le Retour. — Que voir dans le retour de Troie, sinon un événement qui répond exactement au retour de Jason et de ses compagnons, quittant la Colchide : ceux-ci rapportent la toison d’or, comme Ménélas amène de Sparte Hélène. Les légendes sont identiques, sauf qu’elles représentent des héros revenant de l’Est dans l’Ouest : par exemple, les incidents, les noms des personnes et des lieux, changent presque à volonté. On montrait les tombes d’Odyssée (fig. 225), l’Ulysse latin, d’Énée et de beaucoup d’autres, en différents lieux ; car il était facile de faire voyager ces mythes dans une contrée ou dans l’autre. Le plus importants des chefs revenus de Troie est Odyssée (Ulysse), dont l’Odyssée, poème appelé de son nom, nous donne l’histoire et les pérégrinations ; cette histoire reproduit exactement celle d’Héraclès et de Persée. Or il en doit être ainsi, car le retour de Troie en Achaïe représente la marche du jour de l’Est à l’Ouest.
À quoi cela peut-il se reconnaître ?
Fig. 225. — Odyssée ou Ulysse.
me demandez-vous : à ce
qui suit. Comme Indra perd
bientôt Dahana de vue ; comme
Œdipe, dans sa première enfance,
est séparé de Jocaste ; comme
Sigurd doit laisser Brunehilde
presque immédiatement après
l’avoir conquise ; comme Orphée
se voit ravir Eurydice, et Achille,
Briséis ; ainsi Odyssée, bientôt
après avoir épousé Pénélope, doit la laisser pour aller
à la guerre de Troie ; et quand Hélène se laisse gagner
à quitter Pâris, ce voyageur se remet en route comme
le soleil, qui de l’Est va à son gîte en l’Ouest.
Voyage plein d’alternatives étranges de bonheur et de misère, de succès et de revers, finissant par une complète victoire ; comme les ombres et les éclaircies d’un jour orageux, sombre, lourd, sont parfois dispersées par le soleil, après avoir longtemps compromis sa gloire.
Ce que nous apprend ce récit, écoutez. Qu’Odyssée
est parallèle à Achille : de la carrière de qui celle du chef d’Ithaque offre une répétition exacte (la différence principale
étant qu’Achille est le soleil dans sa force, tandis que
le caractère d’Odyssée est celui de Phoïbos, d’Asclépios,
d’Iam et de Médée, possesseurs avant tout d’une sagesse
merveilleuse et surhumaine). L’idée dominante de
l’esprit d’Odyssée, l’intense désir qui devient son aspiration
constante, c’est d’être de nouveau près de sa
femme, laissée, il y a longtemps déjà, dans la fleur
de sa jeune beauté. Malgré que, voyageant vers l’île,
Fig. 226. — Lotophages.
sa patrie, il soit souvent
tenté de séjourner en route,
rien ne peut le faire départir
de son dessein. Pourquoi ?
Parce qu’Hélios ou le soleil
ne peut se détourner
de la marche qui lui est
assignée, que ce soit dans
son cours diurne ou nocturne.
Les premiers dangers rencontrés
par Odyssée à son retour à Ithaque naquirent
d’un conflit avec un peuple appelé les Cicones, qui détruisit
à sa flotte six hommes par vaisseau. Le navigateur
aborda ensuite à la terre des Lotophages (fig, 226),
qui passaient leur vie dans un songe délicieux, mangeant
le fruit du lotus, lequel fait oublier la patrie à ceux
qui en goûtent. Odyssée dut là attacher quelques-uns de
ses hommes qui désobéirent à son avertissement de ne
pas toucher au fruit, puis les tirer avec les cordes jusqu’à
leurs vaisseaux. Une terrible tempête porta ensuite la
flotte au pays des Cyclopes, géants n’ayant qu’un œil au milieu du front. Avec plusieurs de ses compagnons,
Odyssée franchit le seuil d’une caverne où étaient accumulées
d’amples provisions de fromage et de lait :
mais avant qu’ils pussent s’échapper, le cyclope Polyphème,
fils de Poséidon, entra, et ferma l’issue avec un
grand rocher qu’eux ne savaient mouvoir. Le feu qu’y
alluma ce personnage éclaira la forme d’Odyssée et de ses
Fig. 227. — Circé change en porces les compagnons d’Odyssée (Ulysse).
hommes, et Polyphème en fit cuire et en dévora deux.
Odyssée, à qui Polyphème demanda son nom, répondit :
Outis, en grec Personne. Lors donc que les autres
Cyclopes vinrent demander à Polyphème pourquoi il
rugissait si fort, il leur hurla qu’on lui faisait du mal ;
et qui lui faisait ce mal ? « Personne ». Croyant qu’il n’y
avait rien, ils s’en allèrent en leurs demeures.
L’aventure suivante n’est pas moins intéressante. Ayant échappé avec difficulté aux Trygoniens cannibales, le héros vint à Aïa, où la belle Circé changea nombre de ses hommes en porcs (fig. 227), mais se vit forcée par Odyssée de leur restituer leur forme première, celui-ci ayant reçu d’Hermès une herbe qui rendait sans puissance les charmes de la magicienne.
Les dangers ne cessent point là. Circé avertit le héros
du péril plus grand des Sirènes, qui, assises dans leurs
grottes vertes et fraîches, persuadaient aux marins de
passage de venir se reposer et d’oublier tout labeur et
leurs peines. Ceux qui cédaient au sortilège contenu dans
la douce musique de ces nymphes, voyaient leurs vaisseaux
lancés et mis en pièces contre les rochers. Odyssée,
en conséquence, boucha les oreilles de ses matelots
avec de la cire : comme il désirait entendre, lui, le
chant des charmeresses, il se fit attacher étroitement au
mât, et, de la sorte, conjura le péril. Toutefois il eut à
lutter ferme pour sa liberté, quand l’écho de la berçante
musique monta doucement dans l’air chaud et privé
de souffle. Perte, après cela, de beaucoup d’hommes,
dévorés par les deux monstres Scylla et Charybde, qui
les absorbèrent dans leurs horribles tourbillons. Le reste
de l’équipage disparut dans une tempête, après avoir tué
quelques têtes du bétail d’Hélios, que Phaétuse et Lampetie,
les filles brillante et étincelante, du premier Matin
menaient en Trinacrie. Odyssée, secoué pendant bien des
heures sur la mer, fut jeté à demi mort sur le rivage
d’Ogygie. La belle Calypso le mena avec amour dans sa
grotte, et l’y garda sept ans, bien qu’il lui tardât, cette
fois encore, d’être chez lui. Hermès, enfin, ordonna à la
nymphe de laisser aller son captif ; et elle l’aida à construire
un radeau, qui le mena à quelque distance sur la mer : mais une autre tempête l’entraîna, et il fut jeté,
sanglant et inanimé, sur le rivage de Phénicie. Plus tard il
entendit, en revenant à lui, les voix joyeuses des filles
qui jouaient sur la plage pendant que séchaient les vêtements
lavés par elles. C’étaient des vierges venues avec
Nausicaa, la belle enfant du roi Alcinoüs, et d’Arété, sa
femme. Odyssée, guidé par Nausicaa, vint au palais de ce
Fig. 228. — Pénélope.
prince, situé dans un glorieux
jardin où les feuilles ne se
fanaient jamais, et où des fruits
étincelaient toute l’année aux
branches. Mais plus charmante
que tout était Nausicaa, dans
sa jeunesse et sa pureté. Le
voyageur fut, en ce lieu,
traité avec bonté, et le roi lui
offrit sa fille en mariage. Odyssée
n’avait qu’un désir au
cœur, c’était de voir encore
Pénélope ; aussi fut-il conduit,
dans un vaisseau phéacien,
au rivage d’Ithaque,
qu’il aborda seul et sous un déguisement.
Voici dans quel état il trouva sa maison. Son père Laerte, selon le récit fait dès l’abord par le porcher Eumée, vivait dans une misère sordide : une foule de chefs venus pour faire leur cour à Pénélope, avaient élu domicile au logis, et quelques serviteurs se liguaient avec eux pour dévorer les biens de l’absent. Elle, Pénélope (fig. 228), enfin, qui a promis de donner à ces prétendants une réponse quand elle aura achevé sa toile, diffère toujours cet instant en défaisant, la nuit, la portion de la trame tissée pendant le jour.
Odyssée entra dans la salle de son propre palais déguisé en mendiant, et, provoqué par quelques-uns des prétendants, il les défia à bander un arc suspendu au mur. C’était l’arc même du héros, que lui seul était capable de bander. Ils s’essayèrent en vain à le ployer ; mais quand le mendiant y mit la main, on entendit dans les cieux le tonnerre de Zeus, et ces intrus commencèrent à tomber un à un sous les flèches infaillibles. Télémaque avait laissé la porte de sa chambre entrebâillée ; plusieurs des chefs, saisissant les armes trouvées dans ce lieu, serrèrent de près Odyssée. Ils ne purent frapper le maître lui-même, mais Télémaque fut blessé, non pas mortellement cependant, comme Patrocle. À ce moment critique, Athéné vint en aide aux deux héros, et dispersa leurs ennemis avec son aveuglante égide. On rejeta les cadavres comme une dépouille refusée ; mais Odyssée assouvit toute sa rage sur le fils de Dolios, Mélanthios, comme Achille foula aux pieds le corps d’Hector. Il appela en dernier lieu toutes les femmes qui avaient favorisé les prétendants, et les pendit par les pieds à une poutre en travers de la grande salle. Le héros fut de nouveau uni à Pénélope, pour qui il avait, mainte année auparavant, fait de ses mains la belle chambre nuptiale, lieu de son repos après le grand massacre.
Savez-vous une histoire à qui ce conte ressemble de près ? Vous n’évoquerez pas tout de suite, à cause de mainte altération, la légende d’Achille à laquelle cette légende est parallèle. On tire, dans l’une et dans l’autre, une vengeance excessive d’un tort comparativement léger : dans le cas d’Odyssée, vraiment, le tort se bornait à l’intrusion des prétendants en sa maison. Arrivons à de plus minutieux détails. Tous deux, les héros, ont des armes que, seuls, ils peuvent manier ; tous deux sont aidés par Athéné ; tous deux ont, l’un dans Patrocle, l’autre dans Télémaque, un faible reflet de leur force ; tous deux font vœu d’accomplir une vengeance mortelle, foulent aux pieds et défigurent leur ennemi massacré ; ils ont presque le dessous à un moment de la lutte, et ils ont leur temps de repos et de quiétude après un terrible conflit.
Réflexions faites déjà autre part. Odyssée se sert de flèches empoisonnées, il vise et tue un homme par derrière, sans l’avertir ; il dit des mensonges toutes les fois qu’il sied à son dessein de le faire, il extermine une bande entière de chefs qui ne lui avaient pas fait grand tort, et ensuite pend « comme des moineaux à une corde », dit le poète homérique, une troupe de femmes, simplement parce qu’elles n’ont pas résisté aux demandes des prétendants. Morale de tout ceci : ne persistons point à regarder comme un modèle humain un être dont l’histoire a pris naissance dans les phrases qui sont aussi le fondement de la légende d’Achille.
Quant à Pénélope avec sa toile, elle est la tisseuse, trait commun à elle et à Hélios dans l’histoire de Médée : mais la trame, bien que souvent commencée, ne peut être achevée jusqu’au retour d’Odyssée, en raison de ce fait que la trame des nuages du matin ne reparaît qu’à la tombée du soleil.
Si nous arrivons à la signiflcation des noms, nous verrons que celui d’Odyssée a un sens propre. Quand la vieille nourrice du héros le reconnaît, dans le bain, à la trace laissée à sa jambe droite par la morsure d’un sanglier en sa première jeunesse, elle lui dit qu’il reçut ce nom d’Odyssée comme exprimant la haine généralement ressentie pour son grand-père Autolycos. Interprétation peu correcte, quoique le nom puisse se rattacher à un verbe grec signifiant « être en colère ». La vieille nourrice ignorait l’étymologie de son propre nom : Euryclée, comme Euryanasse, Europe et nombre d’autres, est simplement un nom de l’Aurore, qui est nourrice du soleil ; et la blessure faite par le sanglier se répète, exactement, dans l’histoire d’Adonis. Le nom d’ Autolycos, à son tour, comme celui de Lycaon, désigne simplement la clarté, tandis qu’Odyssée est le soleil courroucé qui se cache derrière les nuages épais. Ainsi déguisé, il approche de sa demeure, c’est-à-dire que l’obscurité est plus grande avant le commencement même de sa dernière lutte. Beaucoup, sinon la plupart des noms de cette fable, s’éclairent entre eux ainsi : Odyssée a un chien, Argos (le blanc ou le brillant), l’animal même qui apparaît au côté d’Artémis dans la légende de Procris. Les serviteurs qui aident les prétendants portent des noms tels que Mélantho, le noir, ou les enfants de Dolios, l’obscurité traîtresse ; le mot enfin de Télémaque, comme ceux de Téléphos et Téléphasse, représente la lumière dardée au loin de Phoïbos Hecœrgos. Une fois de plus, il sied de répéter ce que nous apprennent généralement de telles ressemblances : que les phrases représentant les aspects infiniment variés du monde extérieur, fournissaient des matériaux inépuisables avec lesquels on put construire de splendides poèmes. Pour commencer, les poètes homériques travaillèrent, avec un succès merveilleux, sur ces matériaux, qui formeront aussi le cadre des grands poèmes d’autres contrées : ce fait se prouve par les coïncidences étonnantes des mêmes incidents, aussi bien que des noms et des caractères existant entre l’Iliade et l’Odyssée, le Chant des Nibelungen et l’Epopée perse de Firdusi. Qu’il y ait des faits réels mêlés à des contes de Pâris et d’Hélène, d’Achille et d’Odyssée, rien ne peut contredire à cette façon de penser. Nous savons que la plupart des incidents qui appartiennent à ces histoires n’ont jamais pu avoir lieu : nous savons qu’Aphrodite et Athéné ne se sont jamais mêlées à des combats entre les mortels, et que l’armure d’aucun chef achéen n’a jamais été forgée sur l’enclume d’Héphaïstos. Mais on peut (dira quelqu’un) écarter tous les événements merveilleux de l’histoire, et entreprendre de narrer une guerre sans Thétis et Hélène, ou Sarpédon et Memnon, ou Xanthos et Balios ? Soit. Vous aurez alors (comme dans la préface de Thucydide) le récit de quelque chose qui peut avoir eu lieu, mais qu’aucune garantie ne me permet d’envisager comme un fait historique. Les noms et les incidents du mythe appartiennent au beau pays des nuages, où Ilion, comme une vapeur, s’élevait avec ses tours ; et c’est peine perdue de chercher en Europe et en Asie, la Phénicie, Ortygie, la Lycie, la Phéacie, Délos, la Trinacie, l’Arcadie et l’Ethiopie où voyage Hélios dans l’orage et le calme, dans la splendeur et l’assombrissement, le long des mers bleues du ciel.
APPENDICE
Pourquoi les Mythes Égyptiens et Assyriens sont-ils classés à part dans cette étude, ou, s’ils n’en font aucunement partie, pourquoi y prêter attention ? Alternative. — Voici. Ils sont classés à part, parce que la Science ne nous permet pas jusqu’ici de les rattacher aux mythes de la race Aryaque, et nous les donnons parce que d’autre part ils ne participent pas visiblement des religions qui ont été le trésor de la race Sémitique.
Plusieurs demanderont s’il n’y a pas une troisième
race. Non : l’on ne reconnaît point, à proprement parler,
une troisième race, une race dont la notion jouisse,
parmi les savants modernes, de l’indiscutable autorité de
celles jusque maintenant citées à l’exclusion de toute
autre. Il faut confesser cependant que divers caractères
historiques, et d’autres, ethnographiques, ne sauraient aucunement être attribués à l’une des grandes races,
Aryaque et Sémitique. Quelques maîtres en ces matières
ont tenté de tout grouper ou presque tout dans une seule
race principale, qui serait cette troisième, ici négligée, à
savoir la race Touranienne. Les Égyptiens et les Assyriens
rentrent alors dans cette race Touranienne. Nous
n’avons pas à rechercher ce fait pour le moment ; bornons-nous
à constater les rapports qui peuvent exister
entre des Mythes propres à certains peuples et ceux de la
race aryaque, soit qu’ils résultent du commerce, ou
d’une parenté, ou qu’ils aient simplement pour cause une
certaine communauté d’impressions discernable dans les
dispositions légendaires ou religieuses de toutes les races.
Scarabées.
Caractère de la Mythologie Égyptienne : quelques-uns
des Mythes Égyptiens semblent avoir avec des faits d’astronomie
un rapport plus direct qu’on ne le voit ordinairement
dans la Mythologie Grecque. Mais il n’y a pas de
doute que, comme les Mythes Grecs, ceux des Égyptiens
ont leur racine dans des phrases qui décrivaient les
spectacles et les objets du monde extérieur. Les deux
systèmes se formèrent d’une façon tout indépendante l’un de l’autre, et la Mythologie des poèmes homériques
et de ceux d’Hésiode ne révèle aucune trace de la pensée
égyptienne. Mais après que l’Égypte se fut ouverte au
commerce grec, les Grecs furent (comme les premiers
d’entre les modernes qui étudièrent le sanscrit dans
Fig. 235 et 236. — Osiris.
l’Inde) frappés de la grandeur du pays et du mysticisme
élaboré du sacerdoce, au point qu’ils se virent tentés, non-seulement
d’identifier leurs propres déités avec celles de
l’Égypte, mais de croire que les noms de ces premières,
aussi bien que les actions qui leur sont attribuées, dérivaient
de l’Égypte. Le système des Égyptiens avait été,
lui, dans le cours des siècles, enté sur des mythes plus simples, correspondant essentiellement aux phrases qui sont
la racine des Mythologies hindoue, grecque et teutonique.
Fig. 237. — Isis.
Fig. 238. — Apis.
Ainsi : le sommeil d’Osiris (fig. 235 et
236) ou l’hiver, pour citer un exemple,
est, avant sa réapparition au printemps,
le sommeil de la belle jeune fille qu’éveille
Sigurd, et répond encore à l’emprisonnement
de Coré ou de Perséphone, dans
l’Hadès. Osiris a pour femme Isis, mère
d’Horos (fig. 237 et 239), et semble avoir
d’abord été la déesse de la terre, comme
la Déméter grecque. Osiris son mari ou
son fils (car il porte ce double titre) est
tué par un frère Seth ou Sethi, être dont le caractère répond
à celui du Vritra hindou. Les Grecs identifièrent le
bœuf Apis (fig. 238), objet d’un grand culte, avec Épaphos,
enfant d’Io. Ils identifièrent encore, sans aucune raison
cette fois, Neith, déesse couverte d’un voile, avec leur
déesse Athéné.
Ammon (fig. 240), est l’Amen-ra égyptien ou Kneph,
le dieu à tête et à cornes de bélier, qui réapparaît dans
le Zagréos orphique. Mais ce nom est tout grec : il
vient d’ammos, sable, parce que le temple du dieu,
situé dans l’Oasis, apparut aux voyageurs grecs entouré
Fig. 239. — Isis.
Fig. 240. — Ammon.
de sables. Les Grecs se contentèrent de lui donner un
nom grec (fig. 241).
Horos, fils d’Isis, représenté comme un jeune garçon
assis, un doigt sur la bouche, dans une fleur de lotus, a
pour nom Harp-pi-Chruthi, « Horos l’enfant » ; les Grecs
en firent leur Harpocrate (fig. 242). Dans ce cas, ils Fig. 241. — Zeus ou Jupiter Ammon, médaille.
Fig. 242. — Harpocrate.
Fig. 243. — Anubis.
Fig. 244. — Ra.
donnèrent un nom
grec au dieu égyptien, et, d’un autre
côté, placèrent le
dieu égyptien parmi
les leurs.
Anubis est représenté
avec la tête
d’un chien ou d’un
chacal (fig. 243) ;
quant à Ra (fig. 244), voir en lui simplement
le nom sous lequel les Égyptiens adoraient
le soleil. Ptah (fig. 245) et d’autres
divinités attireront notre attention au cours d’une étude
plus spéciale.
Quant au Phœnix, emblème égyptien de l’immortalité, sous la forme d’un oiseau qui renaît de ses cendres, les Grecs, sans se l’approprier, le connurent par les récits d’Hérodote.
Qu’est-ce que les déités assyriennes ? Des mythes dont
Fig. 245. — Ptha.
Fig. 246. — Bal ou Baal.
les noms étaient d’abord, pour la plupart, de pures épithètes
du soleil ; qui en vinrent, dans le cours du temps,
à désigner différents dieux. C’est ainsi que l’on adorait le
soleil en tant que Bal ou Baal (fig. 246), le Seigneur,
et en tant que Moloch, ou le Roi ; noms qui graduellement
s’appliquèrent à des déités diverses, juste comme Endymion, Hypérion, Apollon, Persée ; tous, originairement,
de simples noms d’Hélios, le soleil, devinrent
à la longue les noms de différents personnages.
La déesse assyrienne qui présente une analogie véritable
avec une déesse grecque, c’est Isthar, avec Aphrodite.
Fig. 247 et 248. — Astarté.
Les Grecs en parlent sous le nom d’Astarté (fig. 247
et 248). On sera probablement étonné d’apprendre que
c’est, d’un autre côté, l’Astaroth de la Bible. Il est facile de
retrouver, également dans le conte mythique de Perséphone
(et dans celui d’Osiris en Égypte), l’idée qui
préside à l’histoire de Tammuz, connu encore sous le
nom d’Adonis, le Seigneur : les femmes portaient le deuil
de sa mort en automne. Noter enfin Xisuthro, un juste. qui échappa, dans une arche, à un grand déluge inondant
toute la Babylonie. Oannès, le dieu-poisson de
Babylone, comme émergeant journellement de la mer et
possédant une sagesse mystérieuse, est, manifestement,
le même personnage que le Protée grec.
NOTES SUR LA TRANSCRIPTION DES NOMS
DE LA MYTHOLOGIE CLASSIQUE
[37]
Grave question que celle de la transcription des noms propres dans la Mythologie Classique : elle concerne tous les noms propres antiques.
Que deviendront-ils dans notre langue ?
Le lexique de ces mots n’y présente à première vue que disparate et confusion.
Le disparate est causé par ce premier fait que nombre est traduit, et nombre ne l’est pas.
La confusion provient de ce que plusieurs sont mal traduits.
Je comprends que, devant ce dernier fait particulièrement, on accepte le parti extrême qui consiste à rejeter toute traduction, quelle qu’elle soit, pour la remplacer par le nom original, même quand la langue étrangère dispose de caractères différents des nôtres ou que ceux-ci ne les rendent qu’avec quelque étrangeté. Oui, tel est le seul mode auquel on doive se conformer dans l’adaptation au parler français d’un chef-d’œuvre de l’antiquité. Notre grand poète Leconte de Lisle a tracé hardiment cette voie dans la traduction monumentale qu’il a entreprise des œuvres grecques ; et je ne doute pas qu’il agisse de même le jour où il initiera notre public à toute la poésie de Rome. Ces mots non traduits gardent le charme de bijoux authentiques, dont un sculpteur enrichirait ses marbres purs.
Mais le petit livre que l’on vient de parcourir suggère un devoir différent.
Quel plaisir se mêle à notre surprise de voir des
mythes connus lentement s’évaporer, par la magie même
qu’implique l’analyse de la parole antique, en l’eau,
la lumière ou le vent élémentaires ! Or, si nous risquons
à détruire chacune de ces personnalités anciennes
qui, pour nous, consistent notamment dans l’effet
familier que nous produit leur nom, la métamorphose
à laquelle on veut assister sera, pour ainsi dire,
commencée dès avant et ne causera pas toute l’impression
attendue. Maintenant je crois (indépendamment
d’une application de cette façon de voir au livre présent
qui l’invoque comme auxiliaire de son effort) que la
traduction française des noms grecs ou latins est propre
au génie même de la langue française : si je puis, principalement,
inférer quelque chose de ce fait que notre
langue est presque seule à user du privilège de traduire
ces noms. Mauvais génie peut-être, à de certains
moments, mais bienfaisant et habile à d’autres : car
combien de noms charmants nous gagnons, dont
plusieurs sont maintenant inhérents à la langue presque
usuelle au point qu’il ne serait pas licite de les annuler
sans qu’ils y fissent quelque vide regrettable ! Oui, c’est
parce que ceux-là sont des mots fréquemment proférés et bientôt intimes, que le Français se les est savamment
adjoints : à d’autres, très-nombreux, mais qui sont d’un
usage très-rare, est conservé leur caractère étranger avec
cette séduction presque barbare que prennent les appellations
de dieux ou de héros rendues à l’idiome originel.
Ne renonçons à aucun de ces deux bonheurs
échus à notre langue ; en un mot
Les noms des mythes plus célèbres par la noblesse ou la beauté, notre langue se les est appropriés afin d’enrichir, par une fréquente invocation, nos impressions quotidiennes : gardons les tels. Quant aux autres, ils demeurent avec leurs sons quelquefois intacts, groupe nécessaire qui conserve le lointain des parlers exotiques ; exemple : Phoïbos. Le plus souvent, je les francise d’après le génie même de notre langue, c’est-à-dire en suivant le travail de métamorphose à peine perceptible qu’elle a imposé depuis longtemps à des noms analogues. Théseus, Prométheus, etc. Thésée, Prométhée ? Bien : j’ai Odyssée, fait avec Odysseus, mais je dois m’arrêter, et ne vais point jusqu’à Zeus, Zée. Pourquoi ? parce qu’à de certains moments la logique la plus stricte la cède devant la crainte de dérouter l’ouïe ; dans vingt ans, peut-être, on osera. La réunion de ces deux classes le vocables, exactement comprise, forme dans le discurs un heureux mélange : et non plus un disparate !
Mais la confusion, où est-elle ? car nous avons, au début, lancé contre la transcription usuelle cette accusation. La voici. Tous les noms propres traduits en Français, excepté Aphrodite [38] et d’autres qui forment un cortège insuffisant à cette déité, ont été, même venant, comme ce mot, du Grec, traduits par l’intermédiaire du Latin. Quand le mot original est latin, c’est à merveille que le Latin se francise ; et je déclare que, dans ma langue, j’oublie à tout jamais Mercurius et ne connais que Mercure ; j’ajoute même que, tant que vivra cette langue, il faudra respecter ce nom, dont l’existence est un fait acquis. Mais où il siérait d’imposer silence à l’éloge, c’est dans le cas entrevu d’un mot grec qui, après avoir été régulièrement transcrit en Latin, a été, par la suite, non moins régulièrement transcrit du Latin en Français. Sans compter qu’il y eut, dans cette déplorable erreur traditionnelle, confusion non plus de simples noms, mais souvent de personnages : exemple, Artémis, que je choisis, n’a, scientifiquement, rien à faire avec Diane. La grande familiarité du Latin avait conduit les modernes à négliger, absolument, le nom grec des grands dieux dont le culte fut à peu près commun à la Grèce et à l’Italie. Pourquoi, par ce détour, infliger à ce nom une perte de sa saveur très-grande relativement à celle qu’il eût subie dans son passage immédiat de Grèce chez nous ? Ce pas est mauvais : je respecte l’empressement instinctif du Français à traduire, mais je blâme qu’il n’ait pas su prendre où traduire. Il faudra qu’on revienne sur ce pas : quand ? je ne sais, il m’est permis cependant de conjecturer ; et je présume que, des horizons différents s’ouvrant à l’étude mythologique, qui entre, avec des livres comme le présent, dans une phase nouvelle, plus d’un étudiant profitera du bon moment pour faire accomplir aux mots de son lexique une seconde évolution qui le rendra parfait ; à savoir : la traduction du Grec en Français, comme il y a déjà celle du Latin même en Français.
Je m’adresse à ce public spécial : loin de moi de croire qu’il suffise qu’un livre, celui-ci ou quelque autre, impose les noms régénérés, pour que la régénération soit durable ! Une portion, même restreinte et technique, d’une langue ne change pas en une heure, à moins qu’un groupe d’individus n’y trouve un intérêt immédiat, comme ce fut le cas, il y a un demi-siècle, à propos de la nomenclature des sciences physiques et naturelles. Or ne nous abusons pas : c’est une étude spéciale ou restreinte encore que celle des Mythes.
DIEUX
——
L’Olympe (gr. Olumpos). L’Empyrée (gr. Empuréion).
- Le nom de tout Mythe principal se trouve, s’il forme la titre d’un des chapitres, dans la première colonne ; sinon, dans la seconde colonne, à côté du Mythe à l’histoire duquel il se rattache.
Le Zeus grec et le Jupiter latin. | |
Zeus (Horkios, Xenios). | Cronos, Chaos, Gé (gr. Gaïa), Ouranos, Hypérion (gr. Huperiôn), Japet (gr. Iapétos), Rhée (gr. R[h]éa), l’un des Cyclopes (gr Kuklôps), l’un des Titans (gr. Titan). |
Jupiter (Elicius, Pluvius, Terminus). | Saturne, Ops. |
— | |
Le Poséidôn grec ou le Neptune latin. | |
Poséidôn (Gaiéthos, Enosikhos) | Laomédon (gr. Laomédôn), les chevaux Xanthos et Balios, Amphitrite (gr. Amphtritè), Triton (gr. Tritôn). |
Neptune. | Nérèe (gr. Néreus). |
— | |
La Déméter grecque ou la Cérès latine. | |
Déméter. | Perséphoné ou Koré, Hécate (gr. [H]écatè), Kéléos et Métanéira, et leurs fils Démophoôn et Triptolème (gr. Triptolèmos). |
Cérès. | Perserpine. |
L’Athèné greque et la Minerve latine. | |
Athène (Pallas, Akria, Tritôg[u]èneia, Koruphassa, Glaukôpis). | |
Minerve. | |
— | |
L’Arès grec ou le Mars latin. | |
Arès. | |
Mars. | Ilia et ses fils Romulus et Remus, Télèphe (gr. Télèphos). |
— | |
L’Aphrodite grecque et la Vénus latine. | |
Aphrodite (gr. Aphroditè). (Enalia, Pontia.) |
Héméra, Dioné, Arginnis (gr. Arg[u]innis). Les Heures et les Grâces (gr. [H]oraï, et Charitès), Déimos, [H]armonia et Erôs, Anchise (gr. Anchisès), Adonis. |
Vénus. (Myrtha, Cloacina, Purificatrix, Militaris, Barbata.) |
Énée (gr. Ainéas). |
— | |
L’[H]adès grec ou le Pluton latin. | |
[H]adès. (Aïdès, Aïdonéos, Ploutôn, et Polydegmôn.) |
Les chiens Orthros, Cerbère (gr. Kerbéros). |
Pluton. | |
— | |
L’[H]éré grecque ou la Junon latine. | |
[H]éré. | |
Junon. (Jugalis, Moneta, Regina.) |
|
— | |
L’[H]estia greque ou la Vesta latine. | |
[H]estia. | |
Vesta. | |
— | |
[H]éphaïstos grec ou le Vulcain latin. | |
[H]éphaïstos. | |
Vulcain. | |
— | |
Phœbus Apollon, Dieu grec et latin. | |
(gr. Phoïbos Apollôn.) (Lukeg[u]ènès, [H]ekatos, [H]ekaërgos en grec, et en latin Lucerius et Lucessius.) |
Létô ou Latone. Le serpent Python (gr. Puthôn), Daphné (gr. Daphnè), Téléphassa. |
Phaétoon, Dieu grec et latin. | |
(gr. Phaethôn.) | Clymène (gr. Klumènè), Hèlios Néère et ses filles, Phaéthuse et Lampeti (gr. Neaira, Phaethousa). |
— | |
L’Artémis grecque ou la Diane latine. | |
Artémis. | |
Diane. | Ianus ou Dianus. |
— | |
L’[H]ermès grec et le Mercure latin. | |
[H]ermès (gr. Psukhopômpos). | Les Thriaï, Erinnys. |
Mercure. | |
— | |
Le Dionysos grec ou le Bacchns latin. | |
Dionusos (gr. Jakkhos). | Amalthée (gr. Amalthéia), Ino (gr. Inô), Protée (gr. Proteus), Penthée (gr. Pentheus). |
Bacchus. | |
— | |
L’[H]éraclès grec ou l’Hercule latin. | |
[H]éraclès. | Alcmène (gr. Alcmènè), Eurysthée (gr. Eurusthèus), Chiron (gr. Kheirôn), les Centaures (gr. Kentauroi), Iole, l’Hydre (gr. [H]udôr), les Harpies (gr. [H]arpuiaï), Déjanire (gr. Déianéira), Eunome (gr. Eunomè), Nessos, Alceste (gr. Alkestis), Ekhidna. |
Hercule. | Garanus ou Recaranus et Cacus, ou Cœci Kakias et Cœculus. |
— | |
Io avec Prométhée, Déités grecques et latines. | |
(gr. Iô, Prométheus.) | Argos Panoptès ou Argus. L’une des Amazones (Amazôn). |
— | |
Épiméthée avec Pandore. Déités grecques et latines. | |
(gr. Epimétheus, Pandôra.) | |
— | |
Asclépios ou Esculape, Dieu grec et latin. | Coronis (gr. Koronis), Phlégyas Ischys (gr. (Iskhus). |
— | |
Deucalion, Dieu grec et latin. | Protagénéia, Aéthlios, Endymion (gr. Endumiôn.) |
— | |
Admète, Dieu grec et latin. | |
(gr. Admètos.) | Alkestis, Thanatos. |
Tantale, Dien grec et latin. | |
(gr. Tantalos.) | Euryanasse (gr. Euruanassè), Pélops, le cnien Pandorée (gr. Pandoréos), |
— | |
Ixion, Dieu grec et latin. | |
(gr. Ixiôn.) | Dia, Hésione (gr. [H]esionè). |
— | |
Briarée ou Égéon, dieu grec et latin. | |
(gr. Briaréos, Aegaiôn.) |
Persée, Mythe grec et latin. | |
(gr. Perséus.) | Acrisios, Danaé (gr. Danaè), Dictys (gr. Dictus), Polydecte (gr. Poludectès), Méduse (gr. Médouça). L’une des Gorgones (gr. Gorgô), Stèinhô, Euryale (gr. Eurualè), les Graïaï, Atlas, Cephée (gr. Képhéos), Andromède (gr. Andromèdè), Mégapenthès, Laios ou Laius. |
Niobé, Mythe grec et latin. | |
(gr. Niôbé.) | Amphion (gr. Amphiôn). |
— | |
Thésée, Mythe grec et latin. | |
(gr. Théséus.) | Ariane (gr. Ariadnè). Aetrha. Sinnis. La Truie de Cromyon (gr. Kromuôn), Pasiphaé (gr. Pasiphaè). |
— | |
Œdipe, Mythe grec et latin. | |
(gr. Oidipous.) | Laios ou Laius. Le Sphinx (gr. Sphinx), Jocaste (gr. Jocaste), Antigone (gr. Antigônè), Étéocle et Polynice (gr. (Etéoclès et Polineikès), les Moïraï, Clothô, Lachésis et Atropos. Atè. les Euménides (gr. Euménidès), et les Erinyes ou encore les Furies ; ce sont : Alecto, Mégère (gr. Megaira) et Tisiphone (gr. Tisiphonè). |
Procris, Mythe grec et latin. | Céphale (gr. Képhalos), Érechthée ou Érichtonios (gr. Erechtheus), Éos, Amphytrion (gr. Amphitrûon). |
— | |
Orphée, Mythe grec et latin. | |
(gr. Orpheus.) | Eurydice (gr. Eurudikè). |
Europe, Mythe grec et latin. | |
(gr. Europè.) | Agénor (gr. Ag[u]ènôr), Kadmos ou Cadmus, Inô, Sémélé et Agavé (gr. Sèmèlà, Agavè), Althée (gr. Althaïa), Atlante (gr. Atalantè). |
— | |
Méléagre, Mythe grec et latin. | |
(gr. Méléagros.) | |
— | |
Lycaon, Callisto, Mythe grec et latin. | |
(gr. Lnkaôn, Callistô.) | |
— | |
Dédale, Mythe grec et latin. | |
(gr. Daidalos.) | Icare (gr. Ikaros). |
— | |
Béllérophon, Mythe grec et latin. | |
(gr. Bellérophôn, Bellérophontès). | Sisyphe (gr. Sisuphos), Antée (gr. Anteïa), la Chimère (gr. Khimaïrà), Pégase (Pègasos). |
— | |
Scylla, Mythe grec et latin. | |
(gr. Skulla.) | |
— | |
Iam ou Iam, Mythe grec et latin. | |
— | |
Amphiaréos ou Amphiaraus, Mythe grec et latin. | Mélampe (gr. Mélampos), Ériphyle (gr. Eriphulè), Alcméon (gr. Alcmaïôn). |
— | |
Aréthase, Mythe grec et latin. | |
(gr. Aréthouça.) | Les Néréides (gr. Nèrèidès), Alphée (gr. Alpheus). |
— | |
Turô on Tyro, Mythe grec et latin. | |
— | |
Narcisse, Mythe grec et latin. | |
(gr. Narkissos.) | Écho (gr. Ècho), Nemèsis. |
L’Hadès. L’Achéron (gr. Akherôn). Le Cocyte (gr. Kokutos). Le Styx (gr. Stux). Le Phlégéthon ou Pyriphlégéthon (gr. Phlégéthôn ou Puriphlégéthôn). Le Léthé (gr. Léthaios). L’Axe (gr. Axé). |
Le passeur Charon (gr. Charôn), fils de l’Érèbe (gr. Erèbos). Minos, Éaque et Rhadamanthe, les trois juges (gr. R[h]adamanthos). L’Averne latin (Aornos). Le Tartare (gr. Tartaros). L’Élysée (gr. Elusion). |
Mythes inférieurs grecs et Mythes latins non identifiés avec les Mythes grecs.
MYTHES INFÉRIEURS GRECS.
Les Hamadryades (gr. Hama druadès). Les Hyades (gr. Huadès). Les Héliades (gr. Héliadès). Les Géants (gr. G[u]igantès). Les Aloades (gr. Aloadès). Les Miolones. Érato (gr. Eratô). Thalie (gr. Thaléia). Melpomène (gr. Melpoménè). Terpsichore (gr. Terpsichorè). Polymnie (gr. Polumnia). Uranie (gr. Ourania et Ouraniè). Calliope (gr. Calliopè). Orion (gr. Oriôn). Le dieu Pan (gr. Pan) et la nymphe Syrinx. Les Pléiades (gr. Pléiadès). Pallas (gr. Pallas), surnom d’Athéné. Éros (gr. Erôs). Protée (gr. Proteus). Priape (gr. Priapos). Psyché (gr. Psuk[h]é). |
Borée (gr. Boréas et Borras). Érèbe (gr. Erébos). Ényo (gr. Enuô). Les Harpies (gr. Harpuiaï). Les Muses (gr. Mouçai). Clio (gr. Clóio). Euterpe (gr. Euterpè). Zagréos. Hespéros. Castor et Pollux (Castôr et Poludéikès) ou les Dioscures (gr. Dioscuroï). Les Cabires (gr. Cabéiroï). Les Corybantes et les Dactyles (gr. Corubantès et Daktuloï). Iris. Zéphyre (gr. Zephuros). Ganymède (gr. Ganumédès). Silène (gr. Seilènos). Les Satyres (gr. Saturoï). Les Nymphes (gr. Numphaï). Cécrops (Kecrops). Hersé. |
Les Lares. Les Pénates. Les Mânes. Les Larnes. Les Sémures. Les Palici. Les Parques. Les Fates. Les Génies. Les dii Indigétès. Les dii Consentès. Bellone, ou Fauna, avec Faunus. Les Camènæ, ou les Carmentes. Égérie. |
Laverna. Pilumnus, Picumnus, Seuco, Saucus. Pomone. Sylvain. Picus. Vertumne. Anna Perenna. Consus. Gradivus. Mulciber. Favonius. L’Aurore. Tithon. |
Les Argonautes. | Le bélier Phrixos, Hellé (gr. Hellè), Athamas, Jason (gr. Iasôn), Tiphys (gr. Tiphus), Médée (gr. Mèdéia), Pélias, Ioléos, Glaucé (gr. Glaukè), la nef Argo (gr. Argô). |
Le Conte de Troie. (Tros ou Ilion.) |
Pâris, Hècube (gr. Hécabè), Œnone, Éris (gr. Éris). |
La Guerre. | Ménélas (gr. Ménélaos), Hélène (gr. [H]èlènè), Nestor (gr. Nestôr), Ajax (gr. Aiax), Ascalaphe et Ialmène (gr. Ascalaphos, Ialmènè), Diomède (gr. Diomèdès), Achille (gr. Achilleus), Odysseus, Calchas (gr. Kalkhas), Iphigénie (gr. Iphig[u]ènèia, Iphianassa), Énée (gr. Aineas), Pandaréos, Sarpédon (gr. Sarpédôn), Glaucos, Agamemnon (gr. Agamemnôn), Atè, Clytemnestra (gr. Clutemnestra), Égisthe (gr. Aig[u]isthos), Patrocle (gr. Patroclès, os), Memnon (gr. Memnôn), Briseis Chryseis, Phœnix, le Cheval Xanthos, Pryam, Hector, Andromaque (gr. Andromachè), |
Le retour de Troie. | Circé, Calypso (gr. Kalupsô), Nausicaa, Alkinoos, Arètè, Pénélope (Penélopeia, è), Télémaque (gr. Tèlèmachos), Eumée (gr. Eumaïos), Antolycos (gr. Antolukos), le Chien Argos. |
MYTHOLOGIE HINDOUE
SURYA
Ta demeure est aux bords des océans antiques,
Maître ! Les grandes eaux lavent tes pieds mystiques.
Sur ta face divine et ton dos écumant
L’abîme primitif ruisselle lentement.
Tes cheveux qui brûlaient au milieu des nuages,
Parmi les rocs anciens déroulés sur les plages,
Pendent en noirs limons, et la houle des mers
Et les vents infinis gémissent au travers.
Sûryâ ! Prisonnier de l’onde infranchissable,
Tu sommeilles couché dans les replis du sable.
Une haleine terrible habite en tes poumons ;
Elle trouble la neige errante au flanc des monts ;
Dans l’obscurité morne en grondant elle affaisse
Les astres submergée par la nuée épaisse,
Et fait monter en chœur les soupirs et les voix
Qui roulent dans le sein vénérable des bois.
Ta demeure est au bord des océans antiques,
Maître ! Les grandes eaux lavent tes pieds mystiques.
Elle vient, elle accourt, ceinte de lotus blancs,
L’Aurore aux belles mains, aux pieds étincelants ;
Et tandis que, songeur, près des mers tu reposes,
Elle lie au char bleu les quatre vaches roses.
Vois ! Les palmiers divins, les érables d’argent,
Et les frais nymphéas sur l’eau vive nageant,
La vallée où pour plaire entrelaçant leurs danses
Tournent les Apsaras en rapides cadences,
Par la nue onduleuse et molle enveloppés,
S’éveillent, de rosée et de flamme trempés,
Pour franchir des sept cieux les larges intervalles,
Attelle au timon d’or les sept fauves cavales,
Secoue au vent des mers un reste de langueur,
Éclate, et lève-toi dans toute ta vigueur !
Ta demeure est au bord des océans antiques,
Maître ! Les grandes eaux lavent tes pieds mystiques.
Mieux que l’oiseau géant qui tourne au fond des cieux,
Tu montes, ô guerrier, par bonds victorieux ;
Tu roules comme un fleuve, ô Roi, source de l’Être !
Le visible infini que ta splendeur pénètre,
En houles de lumière ardemment agité,
Palpite de ta force et de ta majesté.
Dans l’air flambant, immense, oh ! que ta route est belle
Pour arriver au seuil de la nuit éternelle.
Quand ton char tombe et roule au bas du firmament,
Que l’horizon sublime ondule largement !
Ô Sûryâ ! Ton corps lumineux vers l’eau noire
S’incline, revêtu d’une robe de gloire ;
L’abîme te salue et s’ouvre devant toi :
Descends sur le profond rivage et dors, ô Roi !
Ta demeure est au bord des océans antiques,
Maître ! Les grandes eaux lavent tes pieds mystiques !
Guerrier resplendissant, qui marches dans le ciel,
À travers l’étendue et le temps éternel ;
Toi qui verses au sein de la terre robuste
Le fleuve fécondant de ta chaleur auguste,
Et sièges vers midi sur les brûlants sommets,
Roi du monde, entends-nous, et protège à jamais
Les hommes au sang pur, les races pacifiques
Qui te chantent au bord des océans antiques !
- Leconte de Lisle
- (Poëmes antiques.)
MYTHOLOGIE SCANDINAVE
LA LÉGENDE DES NORNES
Première Norne.
Où, du vide fécond s’épandit l’univers !
Qu’il est loin, le matin des temps intarissables,
Où rien n’était encor, ni les eaux, ni les sables,
Ni terre, ni rochers, ni la voûte du ciel,
Rien qu’un gouffre béant, l’abîme originel.
Et les germes nageaient dans cette nuit profonde,
Hormis nous, cependant plus vieilles que le monde !
Et le silence errait sur le vide dormant,
Quand la rumeur brûlante éclata brusquement.
Du Nord, enveloppé d’un tourbillon de brume,
Par bonds impétueux quatre fleuves d’écume
Tombèrent, rugissants, dans l’antre du milieu.
Les blocs lourds qui roulaient se fondirent au feu :
Le sombre Ymer naquit de la flamme et du givre,
Et les géants, ses fils, commencèrent de vivre.
Pervers, ils méditaient, dans leur songe envieux,
D’entraver à jamais l’éclosion des dieux ;
Mais nul ne peut briser ta chaîne, ô destinée !
Et la Vache céleste en ce temps était née !
Blanche comme la neige, où, tiède, ruisselait
De ses pis maternels la source de son lait,
Elle trouva le roi des Ases, frais et rose,
Qui dormait, fleur divine aux vents du pôle éclose.
Baigné d’un souffle doux et chaud, il s’éveilla ;
L’aurore primitive en son œil bleu brilla,
Il rit, et, soulevant ses lèvres altérées,
But la vie immortelle aux mamelles sacrées !
Voici qu’il engendra les Ases bienheureux,
Les purificateurs du chaos ténébreux,
Beaux et pleins de vigueur, intelligents et justes.
Ymer, dompté, mourut entre leurs mains augustes ;
Et de son crâne immense ils formèrent les cieux,
Les astres, des éclairs échappés de ses yeux,
Les rochers, de ses os. Ses épaules charnues
Furent la terre stable, et la houle des nues
Sortit en tourbillons de son cerveau pesant.
Et, comme l’univers roulait des flots de sang,
Faisant jaillir, du fond de ses cavités noires,
Une écume de pourpre au fond des promontoires,
Le déluge envahit l’étendue, et la mer
Assiegéa le troupeau hurlant des fils d’Ymer,
Ils fuyaient, secouant leurs chevelures rudes,
Escaladant les pics des hautes solitudes,
Monstrueux, éperdus ; mais le sang paternel
Croissait, gonflait ses flots fumants jusques au ciel ;
Et voici qu’arrachés des suprêmes rivages,
Ils s’engloutirent tous avec des cris sauvages.
Puis, ce rouge océan s’enveloppa d’azur ;
La terre d’un seul bond reverdit dans l’air pur ;
Le couple hummn sortit de Vécorce du frên^
Et le soleil dora l’immensité sereine.
Hélas ! mes sœurs, ce fut un rêve éblouissant !
Voyez ! la neige tombe et va s’épaississant !
Et peut-être Yggdrasill, le frêne aux trois racines,
Ne fait-il plus tourner les neuf sphères divines !
Je suis la vieille Urda, l’éternel Souvenir ;
Mais le présent m’échappe autant que l’avenir,
- Leconte de Lisle
- (Poëmes Barbares.)
MYTHOLOGIE CLASSIQUE
L’OLYMPE
Le Satire
. . . . . . . . . . . . . . . . . .
Quoique à peine fût-il au seuil de la caverne
De rayons et d’éclairs que Jupiter gouverne,
Il contemplait l’azur, des pléiades voisin ;
Béant, il regardait passer, comme un essaim
De molles nudités sans fin continuées,
Toutes ces déités que nous nommons nuées.
C’était l’heure où sortaient les chevaux du soleil.
Le ciel, tout frémissant du glorieux réveil,
Ouvrait les deux battants de sa porte sonore ;
Blancs, ils apparaissaient formidables d’aurore ;
Derrière eux, comme un orbe effrayant, couvert d’yeux,
Éclatait la rondeur du grand char radieux ;
On distinguait le bras du dieu qui les dirige ;
Aquilon achevait d’atteler le quadrige ;
Les quatre ardents chevaux dressaient leur poitrail d’or
Faisant leurs premiers pas, ils se cabraient encor
Entre la zone obscure et la zone enflammée ;
De leurs crins, d’où semblait sortir une fumée
De perles, de saphyrs, d’onyx, de diamants,
Dispersée et fuyante au fond des éléments,
Les trois premiers, l’œil fier, la narine embrasée,
Secouaient dans le jour des gouttes de rosée ;
Le dernier secouait des astres dans la nuit.
. . . . . . . . . . . . . . . . . .
Soudain il se courba sous un flot de clarté,
Et, le rideau s’étant tout à coup écarté,
Dans leur immense joie il vit les dieux terribles.
Ces êtres surprenants et forts, ces invisibles,
Ces inconnus profonds de l’abîme, étaient là.
Sur douze trônes d’or que Vulcain cisela,
À la table où jamais on ne se rassasie
Ils buvaient le nectar et mangeaient l’ambroisie.
Vénues était devant et Jupiter au fond,
Reposait mollement, nue et surnaturelle,
Ceinte du flamboiement des yeux fixés sur elle,
Et, par moments, avec l’encens, les cœurs, les vœux,
Toute la mer semblait flotter dans ses cheveux.
Jupiter aux trois yeux songeait, un pied sur l’aigle ;
Son sceptre était un arbre ayant pour fleur la règle ;
On voyait dans ses yeux le monde commencé ;
Et dans l’un le présent, dans l’autre le passé ;
Dans le troisième errait l’avenir comme un songe ;
Il ressemblait au gouffre où le soleil se plonge ;
Des femmes, Danaé, Latone, Sémélé,
Flottaient dans son regard ; sous son sourcil voilé,
Sa volonté parlait à sa toute-puissance ;
La nécessité morne était sa réticence ;
Il assignait les sorts ; et ses réflexions
Étaient gloire aux Cadmus et roue aux Ixions ;
Sa rêverie, où l’ombre affreuse venait faire
Des taches de noirceur sur un fond de lumière,
Était comme la peau du léopard tigré ;
Selon qu’ils s’écartaient ou s’approchaient, au gré
De ses décisions clémentes ou funèbres,
Son pouce et son index faisaient dans les ténèbres
S’ouvrir ou se fermer les ciseaux d’Atropos ;
La radieuse paix naissait de son repos,
Et la guerre sortait du pli de sa narine.
Il méditait, avec Thémis dans sa poitrine,
Calme, et si patient que les sœurs d’Arachné,
Entre le froid conseil de Minerve émané,
Et l’ordre retoudable attendu par Mercure,
Filaient leur toile au fond de sa pensée obscure.
. . . . . . . . . . . . . . . . . .
Au-dessus de l’Olympe éclatant, au delà
Du nouveau ciel qui naît et du vieux qui croula,
Plus loin que les chaos, prodigieux décombres,
Tournait la roue énorme aux douze cages sombres,
Le Zodiaque, ayant autour de ses essieux
Douze spectres tordant leur chaîne dans les cieux ;
Ouverture du puits de l’infini sans borne ;
Cercle horrible où le chien fuit près du capricorne ;
Orbe inouï, mêlant dans l’azur nébuleux
Aux lions constellés les sagittaires bleus.
- Victor Hugo
- (Légende des Siècles.)
C’était auprès d’un lac sinistre, à l’eau dormante,
Enfermé dans un pli du grand mont Erymanthe,
Et l’antre paraissait gémir, et, tout béant,
S’ouvrait, comme une gueule affreuse du néant.
Des vapeurs en sortaient, ainsi que d’un Averne.
Immobile et penché pour voir dans la caverne,
Hercule regarda le sanglier hideux.
Les loups fuyaient de peur, quand il s’approchait d’eux,
Tant le monstre effaré, s’il grognait dans sa joie,
Semblait effrayant, même à des bêtes de proie.
Il vivait là, pensif, Lorsque venait la nuit,
Terrible, emplissant l’air d’épouvante et de bruit
Et cassant les lauriers au pied des monts sublimes,
Il allait dans les bois déchirer ses victimes ;
Puis il rentrait dans l’antre, auprès des flots dormants.
Couché sur la chair morte et sur les ossements,
Il mangeait, la narine ouverte et dilatée,
Et s’étendait parmi la boue ensanglantée.
Noir, sa tanière au front obscur lui ressemblait.
Les ténèbres et lui se parlaient. Il semblait,
Enfoui dans l’horreur de cette prison sombre,
Qu’il mangeait de la nuit, et qu’il mâchait de l’ombre.
Hercule, que sa vue importune lassait,
Se dit : « Je vais serrer son cou dans un lacet ;
Ma main étouffera ses grognements obscènes.
Et je l’amènerai tout vivant dans Mycènes. »
Et le héros disait aussi : « Qui sait pourtant,
S’il voyait dans les cieux le soleil éclatant,
Ce que redeviendrait cet animal farouche ?
Peut-être que les dents cruelles de sa bouche
Baiseraient l’herbe verte et frémiraient d’amour,
S’il regardait l’azur éblouissant du jour ! »
Alors, entrant ses doigts d’acier parmi les soies
Du sanglier courbé sur des restes de proies,
Il le traîna tout près du lac dormant. En vain,
Blessé par le soleil qui dorait le ravin,
Le monstre déchirait le roc de ses défenses.
Il fuyait. Souriant de ces faibles offenses,
Hercule, soulevant ses flancs hideux et lourds,
Le ramenait au jour lumineux. Mais toujours,
Attiré dans sa nuit par un amour étrange,
Le sanglier têtu retournait vers sa fange,
Et toujours, l’effrayant d’un sourire vermeil,
Le héros le traînait de force au grand soleil.
- Théodore de Banville
- (Les Exilés.)
- Théodore de Banville
Le beau monstre, à demi-couché dans l’ombre noire,
Laisse voir seulement sa poitrine d’ivoire,
Et son riant visage et ses cheveux ardents,
Et Thésée admirant la blancheur de ses dents,
Regardait ses bras luire avec de milles poses,
Et de ses seins aigus fleurir les boutons roses.
Au loin ils entendaient les aboiements des chiens,
Et la charmante voix du monstre disait : « Viens,
Car cet antre nous offre une retraite sûre.
Ami, je dénouerai moi-même ta chaussure,
J’étendrai ton manteau sur l’herbe, si tu veux,
Et tu t’endormiras le front dans mes cheveux,
Sans craindre la clarté d’une étoile importune. »
Mais comme elle parlait, un doux rayon de lune
Parut, et le héros, dans le soir triste et pur,
Vit resplendir avec ses écailles d’azur
Le corps mystérieux du monstre, dont la queue
De dragon vil, pareille à la mer verte et bleue,
Déroulant ses anneaux, et de blancs ossements
Brillèrent à ses pieds, sous les clairs diamants
De la lune. Alors, sourd à la voix charmeresse
Du monstre, et saisissant fortement une tresse
De la crinière d’or qui tombait sur ses yeux,
Il tira son épée avec un cri joyeux,
Et deux fois en frappa le monstre à la poitrine.
Et, hurlant comme un loup dans la forêt divine,
Crispant ses bras, tordant sa queue, horrible à voir,
L’Hydre au visage humain tomba dans son sang noir,
Tandis que le héros sous l’ombrage superbe,
Essuyant son épée humide aux touffes d’herbe,
S’en allait, calme ; et, sans que ce cri l’eût troublé,
Il regardait blanchir le grand ciel étoilé.
- Théodore de Banville
- (Les Exilés.)
- (Les Exilés.)
- Théodore de Banville
Une nuit, j’ai rêvé que l’amour était mort.
Au penchant de l’Œta, que l’âpre bise mord
Les Vierges dont le vent meurtri de ses caresses
Les seins nus et les pieds de lys, les chasseresses
Que la lune voit fuir dans l’antre souterrain,
L’avaient toutes percé de leurs flèches d’airain.
Le jeune Dieu tomba, meurtri de cent blessures,
Et le sang jaillissait sur ses belles chaussures.
Il expira. Parmi les bois qu’ils parcouraient
Les loups criaient de peur. Les grands lions pleuraient.
La terre frissonnait et se sentait perdue.
Folle, expirante aussi, la nature éperdue
De voir le divin sang couler en flots vermeil,
Enveloppa de nuit et d’ombre le soleil,
Comme pour étouffer sous l’horreur de ses voiles
L’épouvantable cri qui tombait des étoiles.
Laissant pendre sa main qui dompte le vautour,
Il gisait, l’adorable archer, l’enfant amour,
Comme un pin abattu vivant par la cognée.
Alors Psyché vint, blanche et de ses pleurs baignée :
Elle s’agenouilla près du bel enfant dieu,
Et sans repos baisa ses blessures en feu,
Béantes, comme elle eût baisé de belles bouches,
Puis se roula dans l’herbe et dit: « Ô Dieux farouches !
C’est votre œuvre, de vous je n’attendais pas moins.
Je connais là vos coups. Mais vous êtes témoins,
Tous, que je donne ici mon souffle à ce cadavre,
Pour qu’Éros, délivré de la mort qui le navre,
Renaisse, et dans le vol des astres, d’un pied sûr,
Remonte en bondissant les escaliers d’azur ! »
Puis, comprimant son cœur que brûlaient mille fièvres,
Dans un baiser immense elle colla ses lèvres
Sur la lèvre glacée, hélas! de son époux,
Et, tandis que la voix gémissante des loups
Montait vers le ciel noir sans lumière et sans flamme,
Elle baisa le mort, et lui souffla son âme.
Tout à coup le soleil reparut, et le Dieu
Se releva, charmé, vivant, riant. L’air bleu
Baisait ses cheveux d’or, d’où le zéphyr emporte
L’extase des parfums, et Psyché tomba morte.
Éros emplit le bois de chansons, fier, divin,
Superbe, et d’une haleine aspirant, comme un vin
Doux et délicieux, la vie universelle,
Mais sans s’inquiéter un seul moment de celle
Qui gisait à ses pieds sur le coteau penchant,
Et dont le front traînait dans la fange. Et, touchant
Les flèches dont Zeus même adore la brûlure,
Il marchait dans son sang et dans sa chevelure.
- Théodore de Banville
- (Les Exilés.)
- (Les Exilés.)
- Théodore de Banville
. . . . . . . . . . . . . . . . . .
La petite Naïade est pensive. Elle rit.
Devant ses pieds d’ivoire un narcisse fleurit.
Oiseaux, ne chantez pas ; taisez-vous, brises folles,
Car elle est votre joie, ailes, brises, corolles,
Verdures ! Le désert, épris de ses yeux bleus,
Écoute murmurer dans le roc sourcilleux
Son flot que frange à peine une légère écume.
En ouvrant dans l’éther son vol démesuré :
L’alouette vient boire au bassin azuré
Dont son aile timide agite la surface.
Quand la pourpre céleste à l’horizon s’efface,
Les étoiles des nuits silencieusement
Admirent dans le ciel son visage charmant
Qui rêve, et la montagne auguste est son aïeule.
Oh ! ne la troublez pas ! La solitude seule
Et le silence ami par son souffle adouci
Ont le droit de savoir pourquoi sourit ainsi
Blanche, oh ! si blanche, avec ses ravageurs d’églantine,
Debout contre le roc, la Naïade argentine !
- Théodore de Banville
- (Les Exilés.)
- Théodore de Banville
Pan d’Arcadie, aux pieds de chèvre, au front armé
De deux cornes, bruyant, et des pasteurs aimé,
Emplit les verts roseaux d’une amoureuse haleine.
Dès que l’aube a doré la montagne et la plaine,
Vagabond, il se plaît aux jeux, aux chœurs dansants
Des Nymphes, sur la mousse et les gazons naissants.
La peau du lynx revêt son dos ; sa tête est ceinte
De l’agreste safran, de la molle hyacinthe,
Et d’un rire sonore il éveille les bois.
Les Nymphes aux pieds nus accourent à sa voix,
Et légères, auprès des fontaines limpides,
Elles entourent Pan de leurs rondes rapides.
Dans les grottes de pampre, au creux des antres frais,
Le long des cours d’eau vive échappés des forêts
Sous le dôme touffu des épaisses yeuses,
Le Dieu fuit de midi les ardeurs radieuses ;
Il s’endort ; et les bois, respectant son sommeil,
Gardent le divin Pan des flèches du soleil.
Mais sitôt que la nuit, calme et ceinte d’étoiles,
Déploie aux cieux muets les longs plis de ses voiles,
Pan, d’amour enflammé, dans les bois familiers
Poursuit la vierge errante à l’ombre des halliers,
La saisit au passage ; et, transporté de joie,
Aux clartés de la lune, il emporte sa proie.
- Leconte de Lisle
- (Poëmes Antiques.)
- ↑ Quoique le Traducteur s’applique à dissimuler son immixtion
(trop fréquente, notamment dans l’ordonnance de ce livre), il est de
son devoir le plus strict envers l’Auteur de désigner les quelques
passages entièrement ajoutés au texte. Ces passages seront marqués
au bas de la page par cette briève indication : Le Traducteur.
Qu’il soit toutefois constaté à notre décharge, que nous avons toujours, avant de recourir à cette extrémité, cherché dans les écrits et principalement dans la grande œuvre postérieure de l’Auteur, s’il ne s’y rencontrerait pas les éléments nécessaires pour combler telle ou telle lacune causée par le remaniement qu’a subi l’ouvrage pendant la traduction. Les fragments transposés, soit de Préfaces, soit de la Mythologie des Nations Aryaques, portent l’une ou l’autre de ces indications : Préf. (Préface), Gde Myth. (Grande Mythologie), avec le chiffre du livre ou du chapitre : liv… ch… très-scrupuleusement.
- ↑ Gde Myth., liv. I, ch. 9.
- ↑ Extrait d’une Préface de Cox.
- ↑ Exirait d’une Préface de Cox.
- ↑ Extrait, en partie, d’une Préface de Cox.
- ↑ Le Traducteur, d’après l’Auteur.
- ↑ Extrait d’une Préface de Cox.
- ↑ Le Traducteur, d’après l’Auteur en général ; notamment d’après la Gde Myth., liv. I et II, ch. 1 et 2.
- ↑ Note particulière à la Traduction.
- ↑ Le Traducteur.
- ↑ Le Traducteur.
- ↑ Gde Myth., liv. I et II.
- ↑ L’Aêshmia daêva perse est l’Asmodée ou l’esprit malpropre du livre de Tobie, dans la Bible hébraïque.
- ↑ Voir aux Mythes grecs et latins, les chapitres relatifs à ces Héros et à ces Dieux.
- ↑ Voir aux Mythes grecs et latins les chapitres relatifs à ces personnages et à ces montres.
- ↑ Voir à l’Appendice : Mythes égyptiens et assyriens, et aux Mythes grecs les chapitres relatifs à ces personnages.
- ↑ Voir aux Mythes grecs et latins les chapitres relatifs à ces Héros.
- ↑ Voir aux Mythes grecs et latins les chapitres relatifs à ces Héros et à ces femmes légendaires.
- ↑ Voir aux Mythes grecs et latins les chapitres relatifs à ces femmes légendaires et à ces Héros.
- ↑ Voir aux Légendes grecques les chapitres relatifs à l’expédition des Argonautes.
- ↑ Le Traducteur.
- ↑ Ce nom de déité grecque possède, par exception, cette traduction française : Aphrodite, avec un e muet.
- ↑ Ezéchiel VIII, 14.
- ↑ Cf. Arès.
- ↑ Cf. Déméter.
- ↑ Gde Myth., liv. II, ch. 24.
- ↑ Le Traducteur. Pour compléler la série d’invention récente qui comprend les Douze Travaux classiques, il y aurait à ajouter enfin : le Combat contre le lion de Némée, la Prise du Cerf d’Arcadie, la Capture du Taureau de Crète et celle des Cavales de Diomède de Thrace, la Prise de la Ceinture de la Reine des Amazones, la Capture des bœufs de Gérion en Erythie, la Recherche des pommes d’or des Hespérides, Cerbère ravi à l’enfer, la Purification des Étables d’Augias.
- ↑ Introduction.
- ↑ Les Parques.
- ↑ La Traducteur d’après l’Auteur, Gde. Myh. et divers.
- ↑ Gde Myth., liv. II, ch. 5.
- ↑ Le Traducteur.
- ↑ Gde Myth., liv. II, ch. 8.
- ↑ Le Traducteur.
- ↑ Gde Myth., et jusqu’à la fin du chapitre.
- ↑ Le Traducteur.
- ↑ Le Traducteur.
- ↑ Au lieu d’Aphrodité.
- ↑ Les symboles mythiques ont été, par la Science, délivrés de la personnalité fabuleuse
où les enferma l’Antiquité. Rien ne reste plus, aux yeux de qui vient de regarder
ce livre, que l’apparence des dieux à jamais incarnée dans le marbre, puis leur
signification rendue à la lumière, aux nuées, à l’air.
Voilà où en est le savoir de notre temps ; mais à côte de l’étude il y a l’imagination.
De très grands poètes ont su (c’est leur devoir tant que l’humanité n’a pas créé des mythes nouveaux) vivifier à force d’inspiration et comme rajeunir par une vision moderne les types de la Fable. Si quelque esprit, imbu de préjugés, pensait que les divinités n’ont plus chez nous le droit à l’existence, il pourra, à la lecture de belles pages empruntées ici aux gloires des Lettres d’aujourd’hui, reconnaître, comme un fait, que rien n’est mort de ce qui fut le culte spirituel de la race. Magnifique et vivant prolongement qui doit se perpétuer aussi longtemps que notre génie littéraire !
Apprendre les superbes morceaux et fragments de Victor Hugo, Leconte de Lisle et Théodore de Banville extraits de la LÉGENDE DES SIÈCLES, des POÈMES BARBARES et des POÈMES ANTIQUES, des EXILÉS, et groupés ici selon l’ordre et les grandes divisions de notre ouvrage.