Les Dieux antiques/L’Hermès grec et le Mercure latin
Hermès. — Hermès, fils de Zeus et de Maïa (fig. 89), naquit de grand matin, dans une caverne de la colline Cyllénienne, et sommeilla paisiblement dans son berceau pendant deux ou trois heures. Sortant de la caverne, il trouva une tortue, la tua et de son écaille se fit une lyre, en fixant transversalement les cordes prises aux entrailles d’un mouton.
Son premier exploit, quand il eut fait sa lyre, fut d’aller,
à l’heure où se couchait le soleil, aux collines pierriennes ;
là paissait le troupeau de Phoïbos et il se prépara à emmener
les bêtes à Cyllène, Craignant que leurs traces sur
le sable ne trahissent son rapt, il les conduisit par des sentiers
tortueux, de façon à ce qu’elles parussent retourner
vaguement au lieu d’où il les ravissait ; ses propres pas,
il les couvrit de feuilles de myrte et de tamaris. Un jour,
rencontrant un pauvre vieillard travaillant dans une vigne
près d’Onchestos, ce malin lui chuchota à l’oreille l’avertissement
« de prendre garde de trop se rappeler ce qu’il
venait de voir ». Hermès atteignit, quand se montra l’aube
suivante, le fleuve Alphée ; et là, réunissant des morceaux
de bois, il les frotta jusqu’à ce qu’une flamme éclatât. Ce fut le premier feu allumé sur terre, et c’est pourquoi
on appelle le dieu « celui qui donna le feu aux mortels ».
Le jeune voyageur prit ensuite deux des bêtes du
troupeau et coupa leur viande en douze parts, mais ne
mangea pas cette chair rôtie, bien que pressé cruellement
Fig. 89. — Statue de Hermès.
par la faim. Il éteignit le feu,
foula de toute sa force les cendres
et, se hâtant vers Cyllène, pénétra
dans la caverne par le trou de
la serrure, doucement et légèrement
ainsi qu’une brise d’été. Il
se coucha comme un petit enfant,
jouant d’une main avec
ses drapeaux, pendant que sa
droite y tenait cachée la lyre d’écaille.
Le vol fut découvert.
Phoïbos, quand vint à poindre le
matin, arrivant à Onchestos, vit
qu’on lui avait volé ses troupeaux ;
retrouvant à son tour
le vieillard à l’ouvrage dans sa
vigne, il lui demanda s’il savait
qui les avait pris : mais celui-ci
se rappela l’avertissement d’Hermès,
et ne put se remémorer autre chose, sinon qu’il
avait vu le bétail en marche et un petit enfant à côté. Que
fait Phoïbos entendant cela ? drapé d’une brume de pourpre,
il va vers le beau Pylos, sur les traces confuses du
bétail qu’il suivit à la caverne de Maïa. En y entrant, il
aperçoit l’enfant Hermès endormi ; et, l’éveillant rudement,
demande le bétail. L’enfant plaide son jeune âge. Un enfant d’un jour ne peut voler un troupeau ni même savoir ce
que c’est que des vaches. Hermès, en faisant cette réponse,
cligna malicieusement de l’œil et fit entendre un
rire pareil à un doux et long sifflement, tout comme si
les paroles de Phoïbos l’avaient puissamment amusé.
Phoïbos n’accepta pas cette excuse, il saisit l’enfant dans
ses bras ; mais Hermès fit un si grand vacarme, qu’il
le laissa vivement choir. Phoïbos voyant dans ce fait un
signe qu’il retrouverait ses vaches, dit à Hermès d’ouvrir
la marche. Hermès, se levant de peur, tira les drapeaux
par dessus ses oreilles, et reprocha à Apollon sa
dureté. « Je ne sais rien d’une vache, dit-il, que son nom.
Zeus doit, dans cette querelle, décider entre nous. » Voici
le jugement de Zeus. Quand le dieu souverain eut entendu
la plainte d’Apollon et écouté Hermès, lequel, clignant
toujours des yeux et haussant les draps à ses épaules,
protestait qu’il ne savait point faire un mensonge, et ne
savait que jouer, comme les autres petits enfants, dans
son berceau, Zeus rit et ordonna à Phoïbos et au nouveau-né
de rester amis : et le dieu souverain inclina la tête.
À ce signe Hermès n’osa désobéir ; mais courant vers les
bords de l’Alphée, il ramena le bétail du clos où il l’avait
parqué. La querelle ne finit pas là, non. Phoïbos vit le
lieu où avait été allumé le feu, et les peaux et les os des
bêtes mises à mort ; s’émerveillant qu’un bambin pût
écorcher des vaches entières, il saisit de nouveau celui-ci
et le lia de bandelettes de saute, que l’enfant brisa autour
de son corps comme du chanvre. Hermès, dans sa terreur,
pensa à sa lyre d’écaille, et en fit jaillir une musique
si suave et pleine de paix, qu’Apollon, oubliant sa
colère, le supplia de lui enseigner cet art prodigieux. Hermès y consentit, lui qui aussi enviait la sagesse
et le savoir cachés d’Apollon, car Phoïbos voit tout
jusqu’aux abîmes les plus profonds de la verte mer ; il
promit de donner la lyre, en retour de cette sagesse qui
peut suavement discourir de toutes choses et bannir tout
mal et tout souci. « Prenez la lyre, dit-il, car vous saurez
vous en servir ; mais à ceux qui y touchent, sans savoir
en tirer le langage qui convient, elle est capable de faire
débiter d’étranges non-sens, divaguant alors ou n’exhalant
que des gémissements incertains. » Cet échange ne se fit
qu’en partie. Il n’était pas au pouvoir de Phoïbos de révéler
le secret célé des ans, mais tout ce qu’il put donner à
Hermès, il le donna. Il lui mit dans les mains une verge
étincelante ; et, lui attribuant la haute charge de garder
les troupeaux et le grand bétail, ordonna qu’il visitât,
dans leurs vallons cachés et dans leurs cavernes, les Thriaï
aux têtes chenues, qui lui enseigneraient des secrets soustraits
à tous les mortels. Hermès, en retour, promit de
ne jamais endommager le temple de Phoïbos à Delphes.
Comment expliquer cette étrange histoire ! Voici : nous
trouvons, la comparant à de vieux contes hindous ou
védiques, que le nom d’Hermès appartient à la même
racine que celui de Saramâ, et que celui de Saramâ est
l’aurore lorsqu’elle rampe par le ciel, regardant partout
avec curiosité si elle ne voit pas les vaches brillantes (ou
nuages), volées par la nuit et par elle cachées dans ses
cavernes secrètes. Ce nom de Saramâ se retrouve enfin
sous une autre forme : il est prouvé que c’est le même
nom qu’Hélène, ravie par Pâris de Sparte. Le mot vient
de la racine sar, qui veut dire ramper, et reparaît dans
les noms d’Érinnys (la Saranyu védique) et de Sarpédon, fils de Zeus, ainsi que dans notre mot " « serpent »", ce
qui rampe. Maintenant comment l’idée de Saramâ, ou
l’Aurore, nous conduit-elle à celle du Hermès grec ?
Dans les hymnes, Saramâ, cherchant les vaches, traverse,
dit-on, le ciel avec une brise légère. Elle représente le
matin et la douce haleine des vents d’été, chuchotant
çà et là, tandis qu’elle se meut, puis avance. Dans l’esprit
des Grecs, cette idée de la brise remplaça graduellement
l’idée du matin, et c’est ainsi qu’Hermès vint à représenter
le vent ou l’air en mouvement. Ne voyez-vous
pas que cela explique l’histoire d’Hermès jusque dans ses
moindres traits ? Le vent, qui chuchote doucement lors
de ses premiers commencements, peut fraîchir en brise
de mer, avant d’être âgé d’une heure, et balayer devant
lui les nuages gros d’une pluie qui renouvellera la terre.
Il fouille, invisible, dans les trous et les fissures, il tournoie
dans les coins obscurs, il plonge dans les antres et
les cavernes ; et quand les gens sortent pour voir quels
méfaits il a commis, ils entendent son rire moqueur,
alors il se hâte par voies et par chemins. L’esprit et
l’humour de ce conte sont fort anciens : il se trouva, si
l’on veut, tout fait entre les mains des poètes grecs (mais
on peut en dire autant de tout ce que l’homme a jamais
inventé). Nous découvrons simplement ce qui existe :
encore faut-il chercher patiemment et sincèrement. Or le
charme du conte d’Hermès ressort de l’examen, fait avec
soin par les poètes, de l’action variable du vent.
Quelqu’un, dans la légende antique, mérite également qu’on dise de lui qu’il a, le premier, donné le feu aux hommes, Prométhée, et aussi Phoronée {mais Phoronée, le Bhuranyu indien, n’est qu’un simple nom du feu). Quant à l’histoire de Prométhée, elle se rapporte à la flamme apportée du ciel, tandis que le feu allumé par Hermès est l’ignition produite dans les forêts par le frottement, au grand vent, de leurs branches.
Étudions chacun des détails fournis par le récit fait
plus haut : tous sont de quelque intérêt. Ainsi Hermès
ne mangea pas de la viande rôtie par le feu qu’il avait
allumé, parce que, quoique le vent produise la flamme,
il ne peut, lui-même, consumer ce que dévore le feu.
Le retour d’Hermès à la caverne où il est né n’est autre
chose que l’apaisement de l’orage, avant qu’il s’endorme
enfin dans les bruits charmants. Il faut voir en la défense
que Hermès présente à Zeus de sa cause, ce semblant
d’abandon montré par la douce brise, incapable de se faire
ouragan. Le bruit fait par Hermès, quand Apollon le
saisit entre ses bras, expliquez-le par la mélodie des vents,
capable d’éveiller des sentiments de joie ou de tristesse,
de regret ou de désir, de crainte ou d’espoir, d’aise véhémente
ou de suprême désespoir. Si Phoïbos refuse de faire
part de sa sagesse à Hermès, c’est que les rayons du
soleil peuvent descendre au-dessous de la surface de la
mer et de la darder leur éclat à travers le pur espace
du ciel, lieu où l’haleine du vent ne peut se faire sentir.
Phoïbos confie à Hermès en retour de sa lyre certains
pouvoirs : il le fait gardien des coursiers du soleil ; l’enfant
reçoit aussi une verge pour les conduire. Les
nuages brillants doivent, en d’autres termes, se mouvoir
à travers le ciel quand le vent les conduit. La musique
d’Hermès réjouit enfin et calme les enfants des hommes,
et son souffle élève les esprits des morts à leur demeure
invisible. Hermès possède, en sa qualité de guide des morts à la terre d’Hadès, un titre spécial : il est le
Psychopompe ou conducteur des âmes. Une autre charge
qui lui incombe est d’être le messager des dieux, et principalement
de Zeus (fig. 90). S’il reçoit l’ordre d’aller aux
Fig. 90. — Statue de Hermès ou Mercure aux pieds ailés.
Thriaï pour avoir la sagesse, la cause en est qu’on peut
parler du vent, quand les souffles pénètrent dans les antres
et les cavernes et dans tous les lieux secrets, comme de
quelqu’un qui cherche à découvrir les trésors cachés de la
terre et à gagner un savoir auquel jamais l’homme n’atteindra, Hermès cependant n’est point toujours l’ami de
l’homme : non ! Le poète termine les hymnes homériques
en disant que la bonté du dieu pour les hommes n’est pas
l’égale de son amour pour le Soleil, et qu’il a sa façon de
commettre, à leur égard, des méfaits pendant qu’ils
dorment. Explication : les tempêtes soudaines qui se
lèvent pendant la nuit ; et comme le méfait commis là
à l’égard des hommes l’est contre leur vœu, on appelle
Hermès voleur et prince des voleurs ; et Apollon prévoit
qu’il fera irruption dans plus d’une maison et sera cause
que plus d’un pasteur souffrira dans ses troupeaux. Un
dernier mot : on représente ordinairement Hermès un
bâton à la main, comme le messager des dieux et le
guide des morts, et avec des sandales d’or qui le portent
aussi promptement qu’un oiseau dans les cieux. Ces sandales
étaient aussi aux pieds de Persée, quand il se mit en
voyage pour tuer la gorgone Méduse.
Hermès ou Mercure.
Fig. 92. — Statue de Mercure coiffé du pétase et portant le caducée.
Mercure. — Mercure est un dieu latin du trafic et du gain (merx, commerce) (fig. 92). On l’a identifié avec l’Hermès grec, avec lequel il n’a aucune ressemblance, et les Fétiaux romains ou hérauts refusaient d’admettre que tous deux fussent le même dieu.