Les Dieux antiques/Le Zeus grec et le Jupiter latin
LES DIEUX
LE ZEUS GREC OU LE JUPITER LATIN.
Zeus. — Figure suprême dans la mythologie des Grecs, Zeus, avant le temps où l’Iliade et l’Odyssée furent composées, était déjà regardé comme le père de tous les dieux et des hommes. Toutefois il n’a pas toujours été le plus haut des dieux : suivant quelques histoires, un temps fut où Cronos son père régnait, supérieur à lui ; mais Cronos même n’était pas le premier dans l’ordre des dieux.
Quoi ! n’ai-je point, par ces derniers mots, reconnu
que les dieux étaient disposés dans quelque ordre fixe ?
Antérieurement, non ; mais, dans des temps plus avancés,
les poètes comparèrent entre elles les différentes histoires
racontées à propos des divers dieux, puis rangèrent
ceux-ci en raison du degré de parenté indiqué par chaque
histoire. Plusieurs traits diffèrent tant les uns des
autres, qu’il est souvent impossible de les faire s’accorder.
Pas autre chose à dire ici ou là, sinon que chaque
pays ou chaque cité a suivi sa propre version. Tel est
précisément le cas des légendes de Zeus et celui qui s’applique aux dieux qui vinrent avant lui. Dans un
récit, les premiers êtres sont Chaos et Gê, de qui sortent
Ouranos et les Grands-Monts et le Pont ou la mer. Dans
Fig. 22. — Cronos ou Saturne.
un autre, Gê (la Terre) est la femme d’Ouranos ; et leurs
enfants, Hypérion, Japet, et maints autres, sont nés
avant Cronos, père de Zeus. Cet Ouranos est le ciel qui
s’étend comme un voile au-dessus de la terre ; bref, le
même que le vieux dieu hindou Varuna (dont le nom vient d’une racine var, signifiant voiler ou celer). Pour
Cronos, il a sa légende. On dit qu’Ouranos précipita les
Cyclopes avec Bronté, Stéropé (le Tonnerre et les Éclairs)
et d’autres enfants de Gê (la Terre) dans l’abîme appelé
Tartare ; et que Gê, dans son chagrin et sa colère,
Fig. 23. — Buste de Cronos ou Saturne.
poussa ses autres enfants à mutiler leur père et à mettre
Cronos (fig. 22 et 23) sur le trône, à la place du premier
maître.
L’acte de Cronos, devenu roi, est célèbre et étrange :
on dit qu’il avala ses enfants aussitôt après la naissance
de chacun. Comment cela se doit-il expliquer ? En tant
qu’une image de l’action du temps, lequel engloutit. chacun à son tour, les jours qui viennent. Un lien s’établit
entre l’acte de Cronos et l’histoire de Zeus. Rhée,
femme de Cronos et mère de Zeus, anxieuse de sauver
l’un de ses enfants, donna une pierre à avaler à son mari :
Zeus naissait et était nourri dans la caverne de Dicté ou
sur l’Ida. Expliquons ce nom de Zeus ; il se trouve dans
la mythologie hindoue. Zeus y est Dyaus, le dieu du ciel
brillant ou du ciel spirituel, d’un mot qui signifie
briller. Les contes d’autres nations admettent cette divinité.
Comme les Hindous parlaient de Dyaus-pitar, et les
Grecs de Zeus-pater, ainsi les Latins et les Romains l’appelaient
Jupiter, qui signifie « père Zeus ». Les vieux
Hauts-Allemands le connaissaient sous le nom de Zio.
Quant au sens primitif du nom, le voici : le ciel bleu
pur, la demeure de la lumière située loin et au-dessus des
nuages ou de tout ce qui peut en ternir la pureté. Étymologie
qui explique la fable grecque, car elle nous
montre pourquoi Jupiter est né dans la caverne de Dicté,
un de ces mots désignant l’approche de la lumière, tout
comme la Délos, où naquit Phoibos, est la terre brillante.
Revenons à l’histoire du dieu : les actes attribués à
Zeus, quand il fut en possession de toute sa force, sont
nombreux. Il délivra les Cyclopes du Tartare, puis obtint
la coopération des géants aux cent mains dans sa
guerre contre les Titans (fig. 24). Selon l’histoire suivie
par Eschyle, il fut aidé aussi par Prométhée, fils de
Deucalion, avec le secours de qui il détrôna Cronos ;
mais, fâché plus tard contre son allié, qui enseigna
l’usage du feu aux hommes, il l’enchaîna sur les rocs
déchirés du Caucase. L’empire de Cronos fut divisé.
Quelques histoires veulent que les Cyclopes aient donné à Zeus la foudre, et à ses frères Hadès et Poséidon le
casque et le trident ; les trois dieux, ayant reçu ces dons,
tirèrent au sort, et la souveraineté du ciel échut en partage
à Zeus (fig. 25), celle de la mer à Poséidon, et celle
des régions inférieures à Hadès, Qui étudie le caractère
de Zeus dans les poèmes homériques, l’y voit dépeint
çà et là de façons si différentes, qu’il croira certes à deux
Fig. 24. — Jupiter combat les Titans, camée.
mythes appelés de ce nom. Quelquefois représenté comme
partial, injuste, ami du plaisir et de l’oisiveté, changeant
dans ses affections et infidèle dans son amour, glouton,
sensuel et impur, le dieu, en des heures de peine réelle
et de chagrin, apparaît à Achille et à d’autres Achéens
qui l’implorent et le prient, plein non-seulement d’une
puissance irrésistible, mais encore de justice et de droiture.
Si l’on compare les diverses mythologies, il n’est
pas impossible de se rendre compte de ce contraste.
Voyons : le mot indien Dyaus semble avoir été originairement le nom de l’unique être sacré, et les Grecs et
Fig. 25. — Statue de Zeus.
d’autres peuples apparentés le gardèrent pour exprimer
tout ce qu’ils ressentaient à l’égard de la divinité. Mais comme le mot signifiait encore le Ciel visible avec ses
nuages et ses vapeurs, quelques-unes des phrases qui
parlaient des variations du firmament, en vinrent à
indiquer, quand leur signification s’oblitéra, des actions
viles ou honteuses. Exemple : on avait présenté la Terre
comme la fiancée du Ciel, et dit du Ciel qu’il couvait la
Terre de son amour dans tout pays ; or tout ceci, désignant
par la suite une déité à passions et à forme humaines,
s’accrut des faits étranges d’une licence effrenée.
Cette conclusion est justifiée par la poésie grecque de
temps avancés, et y puise une force nouvelle. Par cela
même que, dans Hésiode, la descente des dieux sur terre,
leurs amours terrestres et leurs actes grossiers acquièrent
un relief plus grand, le poète peut se détourner de telles
hontes, plus vivement, vers la pensée de ce Zeus pur et
sacré qui regarde du haut des cieux pour voir si les
hommes pratiquent la justice et s’inquiètent de la divinité.
Les chantres et les philosophes d’un âge plus avancé
ont bien senti ce contraste. Aux yeux de quelques-uns,
la pensée que les dieux doivent être bons semblait une
raison suffisante pour ne pas croire toutes ces histoires
qui en discréditaient la sainteté ; chez d’autres, pareils
contes servaient à réfuter la divinité des dieux, ainsi que
dit Euripide : « Si les dieux ne font rien d’inconvenant,
c’est alors qu’ils ne sont plus dieux du tout. »
Mais plusieurs chez les anciens demeurèrent satisfaits
de savoir que Zeus était un pur nom, à la faveur de
quoi il leur fût possible de parler de la divinité, inscrite
au fond de notre être ; nom incapable absolument d’en
exprimer (comme l’était l’esprit de la concevoir) l’infinie
perfection. Zeus (fig. 26) était pour eux le représentant de la divinité. Le nom de Zeus a passé par plus d’une
autre forme, car il est dérivé de la même racine que le
Fig. 26. — Buste de Zeus.
grec theos et le latin deus, qui tous les deux signifient
un dieu ou le Dieu.
À l’histoire de Zeus maintenant, souvent interrompue par d’utiles digressions ! Ce père a pour enfants Apollon et Artémise, dont la mère s’appelait Léto (selon le latin Latone) ; Arès, Hermès et Athéné, qui, avec Poséidon, Héra, Héphaistos, Hestia, Déméter, Aphrodite et Zeus lui-même, formaient le corps divin adoré aux jours de Thucydide comme « les douze dieux » de l’Olympe. Se bien rappeler que plusieurs des déités ne sont pas, dans les poèmes homériques, à beaucoup près si importantes qu’elles le deviendront dans les âges postérieurs, tandis que le caractère d’autres s’amoindrit dans les traditions avec le temps. À ces épopées il faut joindre les chants qui décrivent principalement la naissance et les attributs des dieux ; on les appelle théogonies, les plus connues étant la théogonie d’Hésiode et celle qui reçut son nom d’Orphée.
Les temples, après les livres : les sanctuaires de Zeus les plus célèbres dans l’ancienne Hellas ou la Grèce étaient : le temple bâti sur le Mont-Lycée (mot qui désigne simplement l’éclat) en Arcadie ; celui de Dodone, qui d’abord fut en Thessalie et dans la suite en Épire ; et celui d’Olympie, en Élis, où les grands jeux Olympiques se célébraient à la fin de tous les quatre ans. L’importance mythologique de ces lieux d’adoration, c’est que de plusieurs d’entre eux le dieu tire une appellation nouvelle. Le nombre des surnoms se trouve si grand, qu’il est inutile de les énumérer tous : le Dodonéen ou le Pélasgique, et Zeus Crétois.
Toutefois c’est comme source de l’ordre, de la justice,
de la loi et de l’équité que Zeus était le plus communément
invoqué, en dehors de toute allusion tirée du culte.
Héphestios, il présidait à la vie de famille ; Horkios, il veillait
aux contrats, et Xénios protégea les étrangers. Chacune
de ces invocations spéciales ne fait qu’exprimer une ou plusieurs de ces belles qualités que l’on sentait bien
devoir accompagner la nature, non pas de Zeus, fils de
Cronos, mais de la divinité pure, noble et paternelle.
Jupiter. — Jupiter, ce nom qui correspond exactement au Zeus-pater du grec et au Dyaus-pitar de l’hindou, désigne le Dieu suprême ; mais pour les premiers Latins il n’évoquait aucun conte mythique pareil à ceux de la mythologie grecque. Le mot garda du reste pour les Latins sa signification originelle de Ciel ou de firmament visible : on parlait d’être « sous le frais et clair Jupiter » ; et le nom osque Lucerius ou Lucesius (parent de Lycégène, appellation de Phoibos) désigne le firmament brillant et lumineux. Quant au dieu même, on l’invoquait à la faveur de différentes épithètes, suivant le motif qui faisait désirer son aide. Ainsi, en tant qu’appelant la foudre sur la terre, il était Jupiter Élicius ; en tant que donnant la pluie, Jupiter Pluvius ; en tant que protégeant les bornes des territoires ou des propriétés, Jupiter Terminus (le Zeus Horios des Grecs).
J’ai parlé de Cronos à propos de Zeus, de même à propos de Jupiter je parlerai de Saturne. Toutefois ce dieu latin, qu’on a identifié au dieu grec, n’a pas avec lui de trait vraiment commun. Le nom de Saturnus désigne quelqu’un qui sème le grain, répondant ainsi entièrement au Triptolème des Grecs. La femme du dieu, Ops, déesse de la richesse et de la fertilité, a été, sans plus de fondement, identifiée à Rhéa. Saturne passa pour s’être évanoui des régions de la terre après avoir accompli son œuvre ; et l’on crut que le pays du Latium tira ce nom de ce qu’il était le lieu de retraite du dieu. L’origine vraie du mot de Latium n’est pas là : il faut voir en ce pays la contrée des Latins ou Lavini, dont Neebuhr a, dans son Histoire de Rome, identifié le nom avec celui des Daunii et des Danaï, Danaens, qui suivent Agamemnon à Troie.