Les Dieux antiques/Avant-propos de l’éditeur
a littérature française ne possède,
à l’exception de dictionnaires
d’une lecture toujours difficile,
aucun travail mythologique disposé
comme un livre, avec lien et sur
un plan d’ensemble.
Quel répertoire intact et riche offrent,
cependant, les documents accumulés
depuis le commencement du siècle
par des savants dont les noms viennent
en foule à la pensée : Niebuhr, Grimm,
Moir, Walker, H. H. Wilson, Cornwall, Kuhn, Preller,
Lewis, Grote, Thirlwall, à l’étranger ; et chez
nous, Bréal, Baudry et Louis Ménard !
Les recherches de ces maîtres ont renouvelé, absolument, l’ancienne Mythologie ; la génération actuelle sait même que, depuis ses années de collège, les personnages galants de la fable ont été transformés en phénomènes naturels.
L’absence de tout Traité, contemporain et définitif, vient de ce que les ouvrages composés selon la routine n’osent depuis longtemps se produire. Constatons, d’un autre côté, une hésitation pareille, dans l’apparition d’un recueil résumant les connaissances modernes.
Telle était justement notre pensée, quand M. Mallarmé, professeur d’un des Lycées de Paris, en quête d’ouvrages scientifiques accessibles à la Jeunesse, nous parla avec admiration d’un petit livre anglais, inconnu encore en France et qu’une étude récente faite par lui des œuvres de l’illustre George Cox l’avait amené à feuilleter et à lire.
— Un manuel, renfermé dans quelques centaines de pages, qui résume tous les travaux, parus ou préparés, du savant, impatient de faire jouir du fruit de ses recherches quelques enfants aimés. —
Alors qu’existe une œuvre excellente, fallait-il en tenter une autre à côté, qui manquerait certainement de quelques-unes des qualités de l’original ?
Non.
Pourquoi ne pas rendre au savant anglais qui est, pour la Mythologie, ce qu’est son compatriote Grote pour l’Histoire antique, un hommage dû, en traduisant son œuvre appelée à un succès universel ? Il n’y a point de rivalités devant la science.
Impossible, même dans un travail de traduction, que la présence de l’esprit français ne se fasse remarquer. L’ordonnance toute différente des matières, avec des raccords nombreux et nécessaires, jette une véritable clarté sur l’ouvrage presque métamorphosé.
Qui comparerait avec l’original cette libre adaptation reconnaîtrait de nombreux points de divergence dans le groupement, en tête du volume, des mythes congénères, Hindous, Perses, Norses, qui ne sont point classiques, et dans la mise hors page, comme appendice, des théogonies égyptienne et assyrienne, étrangères à la race aryaque. Dieux grecs et latins sont ici juxtaposés, selon l’analogie connue.
Le volume qui, dans l’Anglais, était un questionnaire, offre maintenant un texte suivi : autre remaniement fondamental, mais qui ne va jusqu’à faire perdre au style de l’auteur toute une bonhomie exquise d’intonations et de discours.
Délivrer de leur apparence personnelle les divinités, et les rendre, comme volatilisées par une chimie intellectuelle, à leur état primitif de phénomènes naturels, couchers de soleil, aurores, etc., voilà le but de la Mythologie moderne.
Des reproductions de l’Antique ne peuvent toutefois qu’ajouter puissamment à l’attrait de l’ouvrage : elles sont même nécessaires pour fixer un instant en l’esprit la figure des dieux avant leur évanouissement. Ainsi se fait bien sentir, dans les gravures et le texte, la différence entre les mythes incarnés par l’art et les mythes expliqués par la science.
Pour y arriver, il a suffi de ne point mettre notre illustration, puisée aux sources les plus pures, en contradiction avec l’esprit du texte ; c’est-à-dire de la placer à propos.
Laissant au texte toute sa valeur, nous employons les dessins non comme venant à l’appui de la doctrine qu’ils nient jusqu’à un certain point, mais comme ajoutant, par leur choix, à l’intérêt et à la beauté du livre.
L’illustration traitée ainsi d’une façon toute décorative et ornementale, par fleurons et culs-de-lampe, semble demeurer un peu en dehors de l’écrit, tout en se mêlant à l’architecture même de l’ouvrage.
Pas une de ces figures qui ne soit la reproduction stricte d’une des grandes œuvres de la sculpture antique. Statues, bas-reliefs célèbres, qu’il sied à tout lettré de connaître aujourd’hui, ou médailles rares et camées, ont été recherchés scrupuleusement, à cause du commentaire artistique qu’ils apportent à notre œuvre.
Embelli et d’accord avec ses propres principes, le livre ainsi gagne doublement, aux yeux de l’amateur et de l’étudiant.
Non moins précieuses, pour l’intelligence moderne de la Fable, sont les citations de quelques-uns d’entre leurs plus beaux vers mythologiques, qu’ont bien voulu nous
permettre de faire, à la fin de cet ouvrage, deux
maîtres de la poésie contemporaine, MM. Leconte de
Liste et Théodore de Banville. Nous les remercions
de cette faveur, au nom de la jeunesse studieuse.
On peut avec assurance présenter ce nouveau volume au public comme le seul traité scolaire de Mythologie existant aujourd’hui en France.
Sérieux et simple, il passera, dans la famille, des mains des parents, qui y surprendront avec charme la rénovation d’une étude un peu surannée dans leur temps, aux mains de l’enfant ravi d’apprendre quelque chose de vivant et qui ne soit point abstrait.
L’étude de la Mythologie, trop fréquemment, trop continuellement nécessaire pour qu’on l’assigne à un âge spécial, n’est point prescrite pour tel trimestre ou telle année de l’enseignement classique. Un traité bien fait de cette science est un ouvrage que l’écolier doit garder sous la main (avant qu’il ne l’ait dans la mémoire) tout le temps qu’il met à connaître les chefs-d’œuvre de l’Antiquité, c’est-à-dire des premières années jusqu’au dernières de son éducation. C’est autant un livre de lecture qu’un livre de classe ; autant qu’un maître, un ami.
Il y a lieu de nous féliciter que cet ouvrage ait été mis en avant par un professeur de l’Université, et nous acceptons de ce fait l’augure que la Mythologie nouvelle reçue dans les distributions de prix ou empruntée à la bibliothèque de l’étude, deviendra un des livres ordinaires des Lycées et des Collèges, des Pensionnats et des Écoles.