Les Dieux antiques/La Déméter grecque ou la Cérès latine

J. Rothschild, éditeur (p. 73-78).

Déméter ou Cérès.



LA DÉMETER GRECQUE OU LU CÉRÈS LATINE.


Déméter. — Déméter, fille de Cronos et de Rhée et sœur de Zeus, Poséidon, Hadès, Hestia et Héré, est connue, principalement dans les contes mythiques, comme la mère navrée de la perte de sa fille Perséphoné.

Zeus avait, à l’insu de Déméter, promis à Hadès que Perséphoné serait sa femme. Pendant que la jeune fille était à cueillir des fleurs dans les champs d’Enna, la terre s’ouvrit, et Hadès, apparaissant dans un chariot traîné par des chevaux noirs comme le charbon, emporta l’innocente vers ses sombres demeures (fig. 43). Déméter ne put supporter cette perte ; elle mit une robe couleur de deuil et, refusant toute consolation, erra, une torche à la main, pendant neuf jours et neuf nuits, cherchant sa Fig. 43. — Enlèvement de Perséphone ou Proserphine (bas-relief).
fille, quand elle reçut du secours dans sa poursuite désespérée ! Le dixième jour, en effet, ayant rencontré Hécate, qui ne put lui dire où était la vierge (car cette déité n’avait fait que l’entendre crier lorsque Hadès la ravissait). Déméter alla vers Hélios, lequel voit toutes choses. « Perséphone », ainsi qu’elle l’apprit de lui, « était maintenant reine du sombre royaume de dessous terre ». Cette mère triste et que pareille nouvelle ne satisfit point, refusa de visiter Olympos, et erra par la terre dans la douleur et pleurant son enfant. L’effet de son égarement et de sa colère fut terrible ! Les laboureurs se donnèrent un mal vain : pas une semence ne leva hors du sol, pas une fleur ne se montra sur les arbres, et il sembla que toute chose mortelle dût bientôt mourir. Vaguant devant elle dans cette agonie, elle vint, enfin, à Éleusis et s’assit près d’une fontaine, où elle fut saluée avec bonté par les filles du roi Kéléos, alors que celles-ci s’apprêtaient à tirer de l’eau, et, sur leur prière, élut domicile dans leur maison. Son mal ne se modéra pas. Pendant un séjour d’une année à Éleusis, la terre partagea encore le chagrin de Déméter, et ne donna aucun fruit, Cette mère affligée récompensa du moins les bontés qu’elle reçut dans la maison de Kéléos, et on raconte à ce sujet plus d’une histoire. L’une veut que la déesse ait nourri Démophoon, fils de Kéléos ; l’enfant, par ses soins, devint d’une beauté glorieuse, baigne chaque jour dans le feu pour le rendre immortel. Sa mère, Métanéira, le voyant dans le bain de flammes, cria de peur ; et Déméter lui dit que, sans ses cris, ce fils n’aurait connu ni la vieillesse ni la mort, tandis que maintenant il devait vieillir et mourir comme les autres hommes. Autre conte ou nouvelle version : il paraîtrait que, lors du cri d’alarme que jeta Métanéira, Déméter permit que les flammes consumassent l’enfant Démophoon ; mais qu’en compensation elle donna au frère de la victime, Triptolème, un chariot traîné par des dragons ailés et lui apprît à labourer la terre et à semer le froment. Continuons à suivre la voyageuse dans sa course. La sécheresse terrible et la famine causées par la colère de Déméter convainquirent Zeus que tout mourrait sur terre s’il ne calmait la peine de la déesse. Celle-ci ne voulait entendre aucune prière que sa fille ne lui fût rendue ; et Zeus envoya enfin Hermès, qui revint de chez Hadès avec Perséphone. La rencontre eut lieu à Éleusis et, le chagrin de Déméter changé maintenant Fig. 44. — Statue de Déméter ou Cérès.
en une joie plus profonde encore, la terre et tout ce qui y naît partagea ce contentement : la paix et l’abondance revinrent partout. Perséphone, toutefois, ne resta pas avec Déméter : Hadès avait fait manger à la jeune femme, avant qu’elle fût enlevée par Hermès, quelques pépins de grenade, et elle fut par cela contrainte à retourner aux domaines lugubres du roi. Obligée d’y consentir et ne pouvant pas garder toujours sa fille avec elle, Déméter convint que Perséphone passerait un certain nombre de mois de chaque année (les uns disent quatre, d’autres six) avec Hadès. Souvenir de sa présence à Éleusis : elle ordonna à Kéléos de bâtir un temple de son culte, et initia ce prince, ainsi que le peuple, aux grands mystères éleusiniens qui se célébrèrent régulièrement en son honneur dans ce lieu. Cette légende, pour les gens d’Éleusis, impliquait des événements qu’ils croyaient réellement arrivés dans le pays ; mais l’origine en est tout autre : elle dérive de phrases anciennes, ayant d’abord désigné le retour différent de l’été et de l’hiver.

Qu’est-ce donc que Déméter (fig. 44) ? C’est la terre, qu’on appelait « la mère de toutes choses » et plus particulièrement la mère des « vierges » (Korè) : invocations qui préparaient son fondement à la Fable racontée.

Exemple : les hommes avaient dit autrefois, quand venait l’heure du printemps, que « voici revenir la fille de la Terre dans toute sa beauté » ; et quand se flétrit l’été devant l’hiver, que « la belle enfant avait été dérobée à sa mère par de sombres êtres qui la tenaient prisonnière sous le sol ». Ainsi le chagrin de Déméter n’est autre chose que l’obscurité qui tombe sur la terre pendant les tristes mois de l’hiver. Cette histoire se trouve au nombre des légendes d’autres nations, et présente même beaucoup de variantes, spécialement dans les chants des contrées septentrionales. Perséphone y est une belle vierge qui, pendant que la terre est morte et froide au dehors, gît enveloppée de sommeil et cachée à tous les yeux mortels. Autre ressemblance avec la légende grecque : comme Déméter est la terre, pleine des trésors minéraux et des semences fruitières, l’idée de santé s’attacha à son nom ; et la perte de Perséphone fut la disparition de ces richesses. Ainsi dans les contes norses, les Niflungs (ou les enfants de la brume) cachent les trésors de la terre jusqu’au moment où il leur faut les céder et se soumettre, comme le fait Hadès sur l’ordre de Hermès. Si maintenant nous revenons à ces lieux, Enna et Éleusis, il y a certes une Enna en Sicile et une Éleusis en Attique ; mais l’Enna et l’Éleusis de la légende sont des noms de même sorte que Délos, Lycie et Ortygie, la terre de lumière où naquit Phoibos Apollon. Le mot Éleusis signifie une venue ou une approche ; il s’appliqua naturellement et au retour du printemps et au lieu où l’on pouvait supposer que la mère avait rencontré son enfant.

Cérès. — Voyez dans Cérès un nom qu’on appliquait à la terre, en tant que productrice des fruits : d’où la déesse s’identifiait par cela même à la Déméter grecque. Quelques-uns ont regardé ce mot comme signifiant « celle qui fait » ; d’autres y trouvent seulement une forme du grec Kora ou Korè (la vierge), appellation de Perséphone. Somme toute, il est probablement dérivé de la racine qui donne au sanscrit sarad, automne (v. Sri ou srî, faire cuire, faire mûrir).