Les Dieux antiques/La Déméter grecque ou la Cérès latine
Déméter. — Déméter, fille de Cronos et de Rhée et sœur de Zeus, Poséidon, Hadès, Hestia et Héré, est connue, principalement dans les contes mythiques, comme la mère navrée de la perte de sa fille Perséphoné.
Zeus avait, à l’insu de Déméter, promis à Hadès que
Perséphoné serait sa femme. Pendant que la jeune fille
était à cueillir des fleurs dans les champs d’Enna, la terre
s’ouvrit, et Hadès, apparaissant dans un chariot traîné
par des chevaux noirs comme le charbon, emporta l’innocente
vers ses sombres demeures (fig. 43). Déméter ne put
supporter cette perte ; elle mit une robe couleur de deuil
et, refusant toute consolation, erra, une torche à la
main, pendant neuf jours et neuf nuits, cherchant sa Fig. 43. — Enlèvement de Perséphone ou Proserphine (bas-relief).
fille, quand elle reçut
du secours dans sa
poursuite désespérée !
Le dixième jour, en
effet, ayant rencontré
Hécate, qui ne put
lui dire où était la
vierge (car cette déité
n’avait fait que l’entendre
crier lorsque Hadès
la ravissait). Déméter
alla vers Hélios,
lequel voit toutes
choses. « Perséphone »,
ainsi qu’elle l’apprit
de lui, « était maintenant
reine du sombre
royaume de dessous
terre ». Cette mère
triste et que pareille
nouvelle ne satisfit
point, refusa de visiter
Olympos, et erra par
la terre dans la douleur
et pleurant son
enfant. L’effet de son
égarement et de sa
colère fut terrible !
Les laboureurs se
donnèrent un mal
vain : pas une semence ne leva hors du sol, pas une fleur ne se montra sur les
arbres, et il sembla que toute chose mortelle dût bientôt
mourir. Vaguant devant elle dans cette agonie, elle
vint, enfin, à Éleusis et s’assit près d’une fontaine,
où elle fut saluée avec bonté par les filles du roi Kéléos,
alors que celles-ci s’apprêtaient à tirer de l’eau, et,
sur leur prière, élut domicile dans leur maison. Son
mal ne se modéra pas. Pendant un séjour d’une année
à Éleusis, la terre partagea encore le chagrin de Déméter,
et ne donna aucun fruit, Cette mère affligée récompensa
du moins les bontés qu’elle reçut dans la maison
de Kéléos, et on raconte à ce sujet plus d’une histoire.
L’une veut que la déesse ait nourri Démophoon, fils de
Kéléos ; l’enfant, par ses soins, devint d’une beauté
glorieuse, baigne chaque jour dans le feu pour le rendre
immortel. Sa mère, Métanéira, le voyant dans le bain
de flammes, cria de peur ; et Déméter lui dit que, sans
ses cris, ce fils n’aurait connu ni la vieillesse ni la mort,
tandis que maintenant il devait vieillir et mourir comme
les autres hommes. Autre conte ou nouvelle version : il
paraîtrait que, lors du cri d’alarme que jeta Métanéira,
Déméter permit que les flammes consumassent l’enfant
Démophoon ; mais qu’en compensation elle donna au
frère de la victime, Triptolème, un chariot traîné par
des dragons ailés et lui apprît à labourer la terre et
à semer le froment. Continuons à suivre la voyageuse
dans sa course. La sécheresse terrible et la famine causées
par la colère de Déméter convainquirent Zeus que
tout mourrait sur terre s’il ne calmait la peine de la
déesse. Celle-ci ne voulait entendre aucune prière que sa
fille ne lui fût rendue ; et Zeus envoya enfin Hermès, qui revint de chez Hadès avec Perséphone. La rencontre
eut lieu à Éleusis et, le chagrin de Déméter changé maintenant
Fig. 44. — Statue de Déméter ou Cérès.
en une joie plus profonde encore, la terre et tout
ce qui y naît partagea ce contentement : la paix et l’abondance
revinrent partout. Perséphone, toutefois, ne resta
pas avec Déméter : Hadès avait fait manger à la jeune
femme, avant qu’elle fût enlevée par Hermès, quelques pépins de grenade, et elle fut par cela contrainte à retourner
aux domaines lugubres du roi. Obligée d’y consentir et ne
pouvant pas garder toujours sa fille avec elle, Déméter
convint que Perséphone passerait un certain nombre de
mois de chaque année (les uns disent quatre, d’autres
six) avec Hadès. Souvenir de sa présence à Éleusis : elle
ordonna à Kéléos de bâtir un temple de son culte, et
initia ce prince, ainsi que le peuple, aux grands mystères
éleusiniens qui se célébrèrent régulièrement en son honneur
dans ce lieu. Cette légende, pour les gens d’Éleusis,
impliquait des événements qu’ils croyaient réellement
arrivés dans le pays ; mais l’origine en est tout autre :
elle dérive de phrases anciennes, ayant d’abord désigné le
retour différent de l’été et de l’hiver.
Qu’est-ce donc que Déméter (fig. 44) ? C’est la terre, qu’on appelait « la mère de toutes choses » et plus particulièrement la mère des « vierges » (Korè) : invocations qui préparaient son fondement à la Fable racontée.
Exemple : les hommes avaient dit autrefois, quand
venait l’heure du printemps, que « voici revenir la fille de
la Terre dans toute sa beauté » ; et quand se flétrit l’été
devant l’hiver, que « la belle enfant avait été dérobée à sa
mère par de sombres êtres qui la tenaient prisonnière
sous le sol ». Ainsi le chagrin de Déméter n’est autre
chose que l’obscurité qui tombe sur la terre pendant
les tristes mois de l’hiver. Cette histoire se trouve au
nombre des légendes d’autres nations, et présente même
beaucoup de variantes, spécialement dans les chants des
contrées septentrionales. Perséphone y est une belle
vierge qui, pendant que la terre est morte et froide au
dehors, gît enveloppée de sommeil et cachée à tous les yeux mortels. Autre ressemblance avec la légende grecque :
comme Déméter est la terre, pleine des trésors minéraux
et des semences fruitières, l’idée de santé s’attacha
à son nom ; et la perte de Perséphone fut la disparition de
ces richesses. Ainsi dans les contes norses, les Niflungs
(ou les enfants de la brume) cachent les trésors de la
terre jusqu’au moment où il leur faut les céder et se
soumettre, comme le fait Hadès sur l’ordre de Hermès. Si
maintenant nous revenons à ces lieux, Enna et Éleusis,
il y a certes une Enna en Sicile et une Éleusis en Attique ;
mais l’Enna et l’Éleusis de la légende sont des
noms de même sorte que Délos, Lycie et Ortygie, la
terre de lumière où naquit Phoibos Apollon. Le mot
Éleusis signifie une venue ou une approche ; il s’appliqua
naturellement et au retour du printemps et au lieu
où l’on pouvait supposer que la mère avait rencontré son enfant.
Cérès. — Voyez dans Cérès un nom qu’on appliquait à la terre, en tant que productrice des fruits : d’où la déesse s’identifiait par cela même à la Déméter grecque. Quelques-uns ont regardé ce mot comme signifiant « celle qui fait » ; d’autres y trouvent seulement une forme du grec Kora ou Korè (la vierge), appellation de Perséphone. Somme toute, il est probablement dérivé de la racine qui donne au sanscrit sarad, automne (v. Sri ou srî, faire cuire, faire mûrir).