Les Dieux antiques/Io avec Prométhée
IO AVEC PROMÉTHÉE, DÉITÉS GRECQUES ET LATINES.
(Grec : Io, Prometheus.)
Io passe pour la fille d’Inachos, roi du territoire d’Argos ;
on dit qu’elle fut aimée de Jupiter, qui la changea
en génisse pour la protéger contre la jalousie d’Héré. Io,
cependant, tomba au pouvoir d’Héré : cette déesse obtint
de Zeus qu’il céderait à toute demande faite par elle ; or
elle donna Io à garder à Argos Panoptès, « celui qui voit
tout », l’Argus latin. Personne n’avait pu surprendre
Argos, dont les yeux ne se fermaient jamais, avant
que Hermès, le messager de Zeus, s’approchât avec une
douce musique endormante et le tuât, prêt à céder
enfin au sommeil. Héré, pour venger ce meurtre, envoya
un taon, qui piqua la génisse Io et pourchassa son agonie
de terre en terre par Thèbes et la Thrace ; la malheureuse
atteignit les hauteurs du Caucase, où le titan
Prométhée pendait enchaîné à un roc, un vautour lui
rongeant le foie. Qu’était-ce que ce Prométhée ? L’être
puissant qui aida Zeus dans sa guerre contre Cronos
et qui enseigna aux hommes à bâtir des maisons et à obéir à la loi, puis leur rapporta du ciel le
feu. Cet acte éveilla le courroux de Zeus, qui, oublieux
de toute reconnaissance, fit enchaîner Prométhée aux
rocs, bornés par les glaces, du Caucase. Le grand supplicié
apprit à Io qu’elle avait à peine commencé d’errer ;
qu’elle devait aller du lieu de leur rencontre à la terre
des Amazones (fig. 112) par delà le détroit qui, d’après
Fig. 112. — Reine des Amazones.
elle, s’appellerait le Bospore (Bosporos) ; en Asie enfin,
et de là dans la terre d’Éthiopie, où elle deviendrait mère
d’Épaphos, dont naîtrait, par la suite, Héraclès ; et que
par Héraclès, lui, Prométhée, serait enfin ravi à son terrible
châtiment : prédictions qui s’accomplirent, d’après
les légendes accréditées généralement.
Les Grecs regardaient ce conte comme dénotant un lien
entre la Grèce et l’Égypte : Io identifiée à Isis, et Épaphos
au bœuf-dieu Apis. Mais cette notion n’est, dans le cas présent et dans celui du Sphinx, qu’imagination d’un
Fig. 113. — Amazone à l’Arc.
Fig. 114. — Statue d’Amazone au repos.
âge postérieur. Détails : Hermès,
en tant que tueur d’Argos, s’appela
Argéiphontès, juste comme Hipponoüs
s’appela Bellérophon ou Bellérophontès,
parce qu’il extermina
Belléros. Quant aux Amazones
(fig. 113), c’était une tribu de femmes
guerrières qu’on supposait
vivre sur les rivages du Thermodon,
ne souffrant qu’aucun homme
y habitât. Leur nom vint, selon
une croyance répandue, de la coutume
de se couper le sein droit afin d’acquérir une
liberté plus grande de manier l’arc
(fig. 114). Cette explication n’est pas
correcte : pareille histoire se fit jour
simplement parce que la signification
du mot avait été oubliée comme dans
le cas de Lycaon, d’Arctos, d’Œdipe,
et dans bien d’autres.
Revenons à Prométhée, ainsi qu’à l’errante Io. Le nom de Prométhée se retrouve dans quelques autres traditions ; c’est (nous l’avons dit déjà) le Pramantha des Hindous, qui servait encore à désigner le morceau de bois, pareil au manche de la baratte, qu’on tournait vivement pour allumer des fragments de bois sec. Très-différemment, enfin, Hérodote nous conte l’histoire d’Io : il dit qu’un vaisseau marchand venant à Argos, elle alla à bord choisir des objets et les acheter ; que le capitaine du vaisseau l’emmena, contre son gré ou point, et que cette offense poussa les Grecs par représailles à enlever Medée de Colchis. Cette version n’a aucune ressemblance avec la première : le seul point d’analogie qui existe entre elles, c’est qu’on mena Io en Asie. Le narrateur grec parla cependant de la même Io, car il l’appelle fille d’Inachos. Voici comment il faut entendre la leçon postérieure. Quand les incidents merveilleux des vieilles légendes vinrent à paraître incroyables, Hérodote et d’autres écrivains s’imaginèrent pouvoir tout arranger en écartant ce qu’il y avait de merveilleux dans chaque histoire et en continuant à la tenir pour la même. C’est ainsi que, selon lui, Io ne fut pas changée en génisse et ne parla jamais à Prométhée. L’historien Thucydide fait de la même façon un récit très-plausible de la guerre de Troie, en laissant de côté tout ce qu’il est dit d’Hector, d’Hélène, d’Achille et des autres personnages de l’époque. Cette méthode n’est ni plus ni moins digne de foi que le serait un nouveau conte, qui affirmerait que « la Belle au bois dormant » n’a pas dormi cent ans, parce qu’il est difficile que l’on dorme cent ans ; et que quant au pouvoir de la fée de Mataquin, qui versa cet enchantement, il n’y faut certainement pas croire, le royaume de Mataquin n’existant ni dans les traités d’histoire, ni dans les atlas de géographie. — « Toutefois, continuerait le conte moderne, il est plus que probable (et rien là qui ne rentre dans l’ordre de faits pouvant se passer encore journellement sous nos yeux) que le jeune prince a réveillé la charmante princesse attardée dans un château qu’entoure un bois domanial ; c’est même le sujet du récit offert à l’attention du lecteur, etc. »
Acceptons avec leur merveilleux les fables anciennes, ou rejetons-les tout entières.