Les Actes des Apôtres/Texte entier

Librairie de L. Hachette et Cie.




LES


ACTES LES APÔTRES






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IMPRIMERIE GÉNÉRALE DE CH. LAHURE


Rue de Fleurus, 9, à Paris


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Jésus instituant St Pierre Chef de l’Église



LES


ACTES DES APÔTRES


PAR
MME LA COMTESSE DE SÉGUR
NÉE ROSTOPCHINE



OUVRAGE ILLUSTRÉ
DE 10 GRAVURES SUR ACIER
ET FAISANT SUITE
à l’évangile d’une grand’mère
DU MÊME AUTEUR


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PARIS
LIBRAIRIE DE L. HACHETTE ET CIE

BOULEVARD SAINT-GERMAIN, No 77



1867
Tous droits réservés




À MES CHERS PETITS-ENFANTS



PIERRE, HENRI, MARIE THÉRÈSE DE SÉGUR

VALENTINE, LOUIS, MATHILDE DE SÉGUR-LAMOIGNON CAMILLE, MADELEINE, LOUIS, GASTON DE MALARET ÉLISABETH, SABINE, HENRIETTE, ARMAND FRESNEAU JACQUES, JEANNE, MARGUERITE, PAUL ET FRANÇOISE

DE PITRAY.



Chers petits-enfants, je vous offre aujourd’hui les Actes des Apôtres, suite de l’Évangile que je vous ai raconté l’année dernière. J’espère que vous lirez ce second livre avec le même intérêt que le premier. Les petits Anges qui sont au ciel, vous aideront à le bien comprendre ; ils vous inspireront le désir d’imiter la ferveur des premiers chrétiens, ces grands saints qui ont sacrifié leur vie pour la gloire de Jésus-Christ, notre Seigneur et notre Dieu.

Votre Grand’mère qui vous aime,
Comtesse DE SÉGUR,
Née Rostopchine.




LES


ACTES DES APÔTRES


D’UNE GRAND’MÈRE




PERSONNAGES


La Grand’mère, 67 ans.

Camille, 18 ans.

Madeleine, 16 ans.

Élisabeth, 14 ans.

Pierre, 13 ans.

Henri, 11 ans.

Louis, 10 ans.

Jacques, 9 ans.

Henriette, 8 ans.

Jeanne, 8 ans.

Valentine, 7 ans.

Marie-Thérèse, 7 ans.

Armand, 5 ans.

Louis (dit Petit-Louis), 5 ans.



INTRODUCTION.


Les enfants sont tous réunis dans la chambre de leur grand’mère qui écrit et qu’ils interrompent à chaque instant. Valentine prend un livre, l’ouvre et lit : Actes des Apôtres.

Valentine. Grand’mère, qu’est-ce que c’est : Actes des Apôtres. Est-ce amusant ? Puis-je le lire ?

Grand’mère. Oui, chère petite ; tu peux le lire ; mais je crois que tu n’y comprendras pas grand’chose.

Valentine. De quoi parle-t-on ?

Grand’mère. On parle des Apôtres et de ce qu’ils ont fait après l’Ascension de Notre-Seigneur.

Valentine. Eh bien ! mais c’est très-amusant ça. [Valentine, ouvre le livre et lit. Au bout de peu d’instants, elle ferme le livre et dit :] Cela m’ennuie ; je ne comprends pas.

Henriette. Grand’mère te l’avait bien dit. Tu as voulu faire la savante, et voilà.

Valentine. C’est que je voudrais bien savoir ce qu’ont fait les Apôtres.

Henriette. Tu le sauras quand tu seras grande.

Valentine. Ce sera trop long à attendre. Pense donc que j’ai sept ans. Et à quel âge serai-je grande ?

Henriette, réfléchissant. Tu seras grande… dans… dans… quatre ans.

Valentine. Quatre ans ? Ça fait… onze ans. Comme Henri ? Ce n’est pas grand ça.

Grand’mère avait écouté la conversation de ses petites-filles.

Grand’mère. Écoute, Titine, puisque tu as si envie d’apprendre et de savoir, je viendrai à ton secours ; je te raconterai les Actes des Apôtres comme je vous ai raconté l’Évangile.

Valentine. Merci, merci ma bonne Grand’mère ; je serai bien contente.

Et nous, et nous, s’écrièrent tous les autres ; nous pourrons écouter, n’est-ce pas, Grand’mère ?

Grand’mère. Oui, mes chers enfants ; tous ceux qui le voudront pourront écouter, comme pour l’Évangile.

Armand. Et moi, Grand’mère ?

Grand’mère. Toi aussi, mon petit chéri.

Armand. Et je pourrai demander ce que je ne comprends pas ?

Grand’mère. Certainement ; il faut même le demander.

Armand. Et Henriette ne me grondera pas ?

Henriette. Non, non, mon petit Dinet, je ne te dirai rien du tout ; je serai douce et patiente comme l’enfant Jésus.

Armand. À la bonne heure ! Je serai bien content que tu sois douce.

Grand’mère. Sois tranquille, mon petit Armand ; je réponds d’elle est déjà très-bonne et elle deviendra douce comme toi.

Le lendemain, Camille et Madeleine, en tête de la bande des enfants, arrivèrent chez leur grand’mère qui les attendait. Après les avoir tous embrassés, elle prit sa place accoutumée ; les enfants l’entourèrent et elle commença à leur raconter : Les Actes des Apôtres.


I

LES ACTES DES APÔTRES.


Madeleine. Pardon, Grand’mère, si je vous interromps avant que vous ayez commencé ; mais je ne me rappelle plus qu’est-ce-qui a écrit les Actes des Apôtres.

Grand’mère. C’est saint Luc, le même qui a fait un des quatre Évangiles.

Madeleine. Mais saint Luc n’était pas un des Apôtres.

Grand’mère. Non ; quelques auteurs disent que saint Luc ne s’est converti qu’après la mort et l’Ascension de Notre-Seigneur ; d’autres pensent que saint Luc fut un de ces disciples qui suivaient habituellement Jésus, et qu’il était un de ces deux disciples auxquels Notre-Seigneur apparut sur le chemin d’Emmaüs, le jour de sa Résurrection. Ce qui est certain, c’est qu’il fut le fidèle compagnon de saint Paul, dont je vous raconterai la conversion miraculeuse, un peu plus tard, et qu’il eut en outre le bonheur d’être aimé tout particulièrement de la Sainte-Vierge.

Camille. Grand’mère, n’y a-t-il pas à Rome un portrait de la Sainte-Vierge peint par saint Luc, et qui est dans la chapelle Borghèse à Sainte-Marie-Majeure ?

Grand’mère. Oui, ce portrait est, dit-on, peint par saint Luc…

Louis. Comment ? saint Luc savait peindre ?

Grand’mère. On sait qu’il peignait ; on croit savoir qu’il était de plus médecin très-habile. Mais il n’est pas certain que ce tableau soit de saint Luc. Ce qui est tout à fait certain, c’est que ce tableau est une des images de la Sainte-Vierge qui a fait le plus de miracles et qui est la plus vénérée par les fidèles.

Élisabeth. Avez-vous vu ce portrait, Grand’mère ? Il doit être magnifique.

Grand’mère. Oui, je l’ai vu, mais il est tellement noirci par le temps que je n’ai pu rien distinguer. Et à présent que nous connaissons l’auteur des Actes des Apôtres, nous allons commencer à connaître son livre qui est un des livres inspirés de la Sainte-Écriture.

Henri. Qu’est-ce qu’un livre inspiré ?

Grand’mère. Un livre inspiré est un livre que le Saint-Esprit a dicté intérieurement, soit à un Prophète, soit à quelque autre saint homme, et qui, par conséquent, ne dit rien que la vérité.

Louis. Comment sait-on qu’un livre est inspiré ?

Grand’mère. On ne le sait que par l’enseignement de l’Église ; or, l’Église, toujours éclairée par le Saint-Esprit, a décidé que les Actes des Apôtres était un livre inspiré aussi bien que les quatre Évangiles.

Saint Luc dit donc que Jésus-Christ, avant de quitter le monde, apparut aux Apôtres et aux disciples pendant quarante jours, mangeant avec eux.

Jacques. Pourquoi mangeait-il avec eux ? Il ne devait plus avoir jamais faim puisqu’il était ressuscité et qu’il avait prouvé qu’il était le bon Dieu ?

Grand’mère. Notre-Seigneur mangeait avec eux pour leur prouver avec plus de certitude qu’il était bien vraiment ressuscité, que son corps ressuscité était son vrai corps et qu’il était près d’eux, homme et Dieu tout à la fois, comme avant sa mort.





II

ASCENSION DE NOTRE-SEIGNEUR.


Les Apôtres et les disciples qui se trouvaient un jour avec Notre-Seigneur avant son Ascension…

Armand. Qu’est-ce que c’est Ascension, Grand’mère ? J’ai oublié.

Grand’mère. Ascension veut dire, qui monte. On appelle fête de l’Ascension, le jour où Notre-Seigneur est remonté au Ciel.

Jacques. Je trouve qu’on n’aurait pas dû faire une fête de ce jour, où Notre-Seigneur nous a quittés pour toujours ; c’était fort triste, au contraire.

Grand’mère. L’Église a très-bien fait, cher enfant, parce que ce jour terminait la mission de Notre-Seigneur en ce monde et achevait l’œuvre de la Rédemption…

Louis. Qu’est-ce que c’est que Rédemption ?

Grand’mère. Rédemption veut dire rachat. Notre-Seigneur avait racheté les hommes de la puissance du démon, en payant notre salut et notre bonheur éternel par les souffrances de toute sa vie, et surtout par celles de sa Passion et de sa mort. Après sa Résurrection, son œuvre, la Rédemption des hommes, ne fut tout à fait accomplie que lorsqu’il eut apparu assez de fois aux disciples pour les convaincre tous parfaitement de sa Résurrection.

Et j’achève de répondre à Jacques, en disant que Notre-Seigneur, tout en remontant au Ciel, ne nous quittait pas ; il reste et restera toujours avec nous comme il l’a dit lui-même dans l’Évangile : « Je serai avec vous tous les jours, jusqu’à la fin des siècles. »

Il reste avec nous par sa grâce dans nos cœurs, et par le Sacrement de l’Eucharistie que je vous ai expliqué dans l’Évangile. Et puis, dans les fêtes de Notre-Seigneur, il ne s’agit pas seulement de nous, mais encore et surtout de lui. Or, son Ascension a été son jour de triomphe. C’est donc réellement un jour de fête que celui où Jésus-Christ, notre Dieu, notre Père, notre Frère, notre Sauveur, termine l’œuvre de notre salut. Je reprends mon récit.

Les Apôtres demandèrent à Notre-Seigneur : Est-ce dans le temps où nous serons baptisés dans l’Esprit-Saint que vous rétablirez le royaume d’Israël ?

Jésus leur répondit : Ce n’est pas à vous de connaître les moments que le Père a réservés pour sa puissance. Mais vous recevrez la vertu (c’est-à-dire la force) de l’Esprit-Saint qui viendra en vous, et vous serez mes témoins en Jérusalem, dans toute la Judée, et en Samarie et jusqu’aux extrémités de la terre.

En parlant ainsi, Notre-Seigneur étendit les mains sur eux, et pendant qu’il les bénissait, les disciples le virent s’élever vers le Ciel, et une nuée l’enveloppa et le cacha à leurs regards.

Jeanne. Comme ils ont dû Être tristes en voyant Notre-Seigneur disparaître à leurs yeux !

Valentine. Et sans pouvoir l’arrêter ni le rejoindre !

Grand’mère. Certainement qu’ils ont eu beaucoup de peine de leur séparation extérieure avec leur bon Maître, mais ils en ont eu encore plus de joie, parce qu’ils avaient un grand amour pour Notre-Seigneur et qu’ils étaient heureux de sa gloire. Et puis ils avaient déjà assez de foi pour comprendre que la mission de Notre-Seigneur, comme homme, était finie et que c’était à eux qu’il confiait le soin de le faire connaître dans le monde entier.

Henriette. Pourquoi, Grand’mère, dites-vous qu’ils avaient déjà assez de foi ? Est-ce qu’ils en ont eu davantage plus tard ?

Grand’mère. Oui, sûrement. Quand le Saint-Esprit est descendu sur eux, ils ont reçu le don d’une foi parfaite et de la science des choses de Dieu ; ils ont tout compris et tout cru.

Louis. Pourquoi le bon Dieu leur a-t-il donné tout cela et pas à nous ? Je trouve que ce n’est pas juste.

Grand’mère. Cher petit, le bon Dieu, dont la justice égale la bonté, ne peut jamais rien faire que de très-juste. Il ne doit rien à personne ; et s’il donne plus aux uns qu’aux autres, personne n’a le droit de réclamer. En second lieu, les grâces extraordinaires que les Apôtres ont reçues, leur ont été données bien plus pour nous que pour eux-mêmes. Enfin, chargés de prêcher l’Évangile à tous les hommes, les Apôtres avaient besoin d’une force et d’une foi extraordinaires pour consacrer leur vie à de si rudes travaux ?

Valentine. En quoi étaient-ils rudes ?

Grand’mère. Ils étaient rudes, parce que pour faire connaître Jésus-Christ dans le monde, il fallait d’abord supporter de grandes fatigues pour parcourir des pays éloignés ; il fallait avoir le courage de tout quitter, de braver les dangers de toute espèce, d’aller partout sans soutien, sans moyens d’existence ; il fallait braver les persécutions des ennemis de Dieu, les souffrances de la prison, les tortures et même une mort cruelle comme vous le verrez plus tard. Les Apôtres et les disciples devaient prêcher la charité à des hommes durs, égoïstes et avares ; l’humilité, à des hommes remplis d’orgueil et qui ne cherchaient que les honneurs et la gloire ; l’amour des privations et des souffrances, à des hommes qui ne vivaient que pour le plaisir et les richesses ; le pardon des injures, la bonté et la douceur, à des méchants qui ne songeaient qu’à se venger et à opprimer les faibles. Vous pensez bien que ces conseils devaient irriter ceux qui ne voulaient pas les suivre, ni changer de vie.

Voilà pourquoi le bon Dieu a envoyé à ses Apôtres des grâces extraordinaires qu’il ne nous accorde pas, à nous qui n’avons heureusement pas de si grands obstacles à surmonter.

Pendant que les Apôtres et les disciples regardaient encore la nuée dans laquelle avait disparu Notre-Seigneur, ils virent tout à coup devant eux deux hommes, debout, vêtus de blanc, qui leur dirent :

« Hommes de Galilée, pourquoi vous tenez-vous là, regardant en haut ? Ce Jésus qui est monté au Ciel en votre présence en redescendra de même tel que vous l’avez vu monter.

Marie-Thérèse. Comment : Il en redescendra ? Quand donc ?

Grand’mère. Notre-Seigneur descendra sur la terre, avec tous ses Anges, dans toute sa majesté, à la fin du monde. C’est ce qu’on appelle le second avènement de Jésus-Christ. Il est de foi que Notre-Seigneur reviendra de la sorte : il appellera à lui tous les bons, et il repoussera loin de lui tous les méchants, c’est-à-dire ceux qui sont morts en état de péché mortel.


III

MATTHIAS EST NOMMÉ APÔTRE POUR REMPLACER JUDAS.



Alors, les Apôtres et les disciples descendirent du mont des Oliviers et revinrent à Jérusalem. Étant entrés au Cénacle où Notre-Seigneur avait fait avec eux la sainte Cène…

Armand. Qu’est-ce que c’est la sainte Cène ?

Grand’mère. Tu as oublié ce que nous avons vu dans l’Évangile, que la sainte Cène était le dernier repas que fit Notre-Seigneur avec ses Apôtres avant sa Passion, et que dans ce repas il institua le Sacrement de l’Eucharistie.

Armand. Ah ! oui ; je me souviens.

Grand’mère. Les Apôtres montèrent au Cénacle où se réunirent Pierre et Jean, Jacques et André, Philippe et Thomas, Barthélemy et Matthieu, Jacques fils d’Alphée, Simon et Judas fils de Jacques.

Jacques. Comment ce coquin de Judas était-il là, puisqu’il était mort après avoir trahi le bon Jésus ?

Grand’mère. Ce n’était pas Judas fils de Jacques qui avait trahi Notre-Seigneur, mais Judas Iscariote. Pour distinguer le bon du mauvais, on ne l’appelle plus Judas, mais Jude ou bien encore Thadée ; c’était un surnom qu’on lui avait donné.

Jacques. Comment compte-t-on douze Apôtres, puisqu’il n’y en avait que onze depuis la trahison du méchant Judas ?

Grand’mère. Aussi il n’y en avait que onze dans ce moment-là ; plus tard, les Apôtres en élurent un douzième, comme vous le verrez tout à l’heure.

Louis. Qu’est-ce que c’est élurent ?

Grand’mère. Élu veut dire choisi.

Valentine. Et comment fait-on pour élire ?

Grand’mère. Chacun écrit le nom de celui qu’il a choisi. On compte celui qui a le plus de voix et c’est celui-là qui est élu.

Les Apôtres étaient donc tous réunis avec la Sainte-Vierge Marie, Mère de Jésus, avec les saintes femmes et avec les parents de Jésus.

Saint Pierre, se levant au milieu des disciples qui étaient au nombre de cent vingt environ, leur parla à peu près ainsi :

« Mes frères ! L’Esprit-Saint a parlé par la bouche du Roi David qui a prédit que Judas trahirait Jésus, et qu’il serait à la tête de ceux qui viendraient saisir notre Maître. Ce Judas était compté parmi nous ; il était le douzième Apôtre. Il a acheté un champ avec l’argent de sa trahison ; il s’est pendu de désespoir dans ce même champ ; son ventre s’est crevé par le milieu et toutes ses entrailles se sont répandues sur la terre. »

Louis. Pourquoi donc son ventre a-t-il crevé ? C’est horrible !

Grand’mère. Sans doute, c’est horrible ; mais tout était horrible en cet homme. Son ventre s’est ouvert par suite d’une malédiction particulière de Dieu, car habituellement le ventre des pendus ne crève pas. L’âme de Judas était du reste encore plus horrible que son corps.

« Tous les habitants de Jérusalem ont su ces choses ; ils ont appelé ce champ : Haceldama, c’est-à-dire Champ du sang. Je dis donc, que nous devons choisir, pour le remplacer, un de ceux qui ont déjà été avec nous tout le temps que le Seigneur Jésus a passé parmi nous, depuis son baptême par Jean-Baptiste jusqu’au jour où il nous a été enlevé pour monter dans le Ciel. Qu’un de ceux-là devienne avec nous le témoin de sa Résurrection. »

Et ils prirent deux des disciples qui avaient toujours suivi Jésus ; l’un appelé Joseph, le Juste ; et l’autre, Matthias.

Et tous se mirent à prier, disant :

« Seigneur, vous qui connaissez les cœurs de tous, montrez-nous qui de ces deux vous avez choisi pour recevoir le Ministère et l’Apostolat duquel l’indigne Judas est sorti pour aller dans son lieu. »

Marie-Thérèse. Grand’mère, qu’est-ce que c’est Ministère ?

Grand’mère. On appelle Ministère, un office, un emploi. Le Ministère dont devait être chargé le remplaçant de Judas, était de prêcher Notre-Seigneur Jésus-Christ en parcourant le monde au milieu des persécutions et de mille dangers, comme les autres Apôtres.

Henriette. Grand’mère, qu’est-ce que c’est Apostolat ?

Grand’mère. Apostolat est précisément la mission ou le Ministère des Apôtres. C’est l’Apostolat qui donnait aux Apôtres le droit d’enseigner tous les hommes et de leur commander au nom de Dieu.

Jeanne. À qui pouvaient commander les Apôtres ? Ils étaient si pauvres, si dédaignés !

Grand’mère. Les Apôtres étaient appelés à commander au monde tout entier, à tous les hommes ; car tous les hommes sont appelés à connaître le vrai Dieu qui est Notre-Seigneur Jésus-Christ ; le Dieu que prêchaient les Apôtres.

Jacques. Quand donc Notre-Seigneur leur a-t-il donné ce pouvoir ?

Grand’mère. C’est quand il leur a dit : « Recevez le Saint-Esprit. De même que mon Père m’a envoyé, moi je vous envoie. Allez donc. Enseignez tous les peuples ; baptisez-les au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit, et apprenez-leur à observer mes lois. Prêchez l’Évangile à toute créature. Celui qui vous croira sera sauvé ; celui qui ne vous croira pas sera condamné. Celui qui vous écoute, m’écoute. Celui qui vous méprise, me méprise. Et voici que je suis avec vous jusqu’à la fin du monde. »

Louis. Grand’mère, dans quel lieu est allé Judas ? Saint Pierre dit qu’il est allé dans son lieu.

Grand’mère. Le lieu du malheureux et infâme Judas est l’enfer où il s’est précipité en se tuant, au lieu de se repentir et de compter sur la miséricorde de son bon Maître.

Armand. Grand’mère, vous voyez que ce n’est pas moi qui parle : ils vous interrompent tous ; et moi, pauvre petit, tout jeune, je ne dis pas un seul mot.

Grand’mère, l’embrassant. Mon pauvre petit, tu peux parler comme les autres ; quand tu ne comprends pas, tu fais très-bien de demander comme les autres.

Armand. Bon, alors je demanderai comme pour l’Évangile.

Grand’mère. Certainement, cher enfant. Mais continuons l’histoire des Apôtres.

Quand Pierre eut fini sa prière, ils commencèrent à écrire le nom du disciple qui devait être choisi pour remplacer Judas, et le sort tomba sur Matthias.

Armand. Est-ce qu’il a été content ?

Grand’mère. Cher enfant, je n’en sais rien ; mais il a dû être heureux de partager les travaux et les dangers des onze Apôtres.



IV

LA DESCENTE DU SAINT-ESPRIT.



Grand’mère. Lorsque arriva le jour désigné par Notre-Seigneur, pour la Pentecôte, les Apôtres et les disciples se trouvant tous réunis dans le même lieu…

Armand. Quel lieu ?

Grand’mère. La salle du Cénacle où demeuraient la Sainte-Vierge et les saintes femmes et où ils se réunissaient tous pour prier. Étant donc tous réunis, ils entendirent soudain…

Armand. Qu’est-ce que c’est : soudain ? (Henriette regarde Armand avec indignation.)

Grand’mère. Soudain veut dire, tout d’un coup. Ils entendirent un grand bruit venant du ciel, comme un vent impétueux.

Armand. Qu’est-ce que c’est : impétueux ? (Henriette se contient avec peine.)

Grand’mère. Impétueux veut dire, très-violent, très-fort. Et il remplit toute la maison. Et ils virent apparaître comme des langues de feu, qui, se séparant, s’arrêtèrent sur chacun d’eux.

Marie-Thérèse. Ça a dû les brûler.

Grand’mère. Non, parce que ce feu n’était pas un feu qui brûle, mais seulement une marque extérieure de l’amour et du zèle que le Saint-Esprit faisait entrer dans leurs cœurs.

Louis. N’était-ce pas tout simplement le tonnerre ?

Grand’mère. Non, mon enfant, Les Apôtres et les Juifs de Jérusalem savaient bien ce que c’était qu’un orage et ce qu’était le tonnerre. Le livre des Actes ne parle pas d’orage ; il raconte au contraire ce qui s’est passé au Cénacle comme un prodige extraordinaire que les Apôtres, les disciples et les Juifs eux-mêmes regardèrent tous comme un miracle évident. C’était l’accomplissement solennel de la promesse faite par le Sauveur au moment de l’Ascension :

Allez à Jérusalem et attendez-y le Saint-Esprit que je vous enverrai au nom de mon Père.

Le Saint-Esprit lui-même, troisième personne de la Sainte-Trinité, descendit alors sous cette forme de langue de feu en saint Pierre et dans les autres Apôtres. Il leur donna toutes les grâces du bon Dieu, la parfaite connaissance des mystères de la religion, la force d’accomplir parfaitement la mission dont Notre-Seigneur les avait chargés. Il les rendit ainsi infaillibles, c’est-à-dire, qu’en prêchant la foi, ils ne pouvaient plus se tromper.

Les Apôtres furent donc tous remplis du Saint-Esprit ; ils commencèrent à parler miraculeusement plusieurs langues, selon que le Saint-Esprit leur donnait la facilité de les parler et de les comprendre.



V

PREMIÈRE PRÉDICATION DE S. PIERRE.



Grand’mère. Il y avait à Jérusalem des Juifs de tous les pays.

Le bruit extraordinaire qui avait ébranlé le Cénacle au moment de la descente du Saint-Esprit attira aussitôt une grande foule de peuple ; et en entendant parler ainsi toutes les langues, ils étaient dans la stupéfaction.

Tous s’étonnaient et admiraient, disant :

Ces hommes qui parlent ici, ne sont-ils pas tous Galiléens ? Et comment se fait-il que nous les entendons parler chacun la langue du pays où nous sommes nés ? Parthes, Mèdes, Arabes, Égyptiens, Grecs, Romains, etc. ? Nous les entendons chacun parler en notre langue des merveilles de Dieu.

Louis. Mais comment cela se faisait-il, Grand’mère ?

Grand’mère. C’était un grand miracle, cher enfant ; le premier miracle public des Apôtres depuis qu’ils avaient reçu le Saint-Esprit.

C’était le premier grand miracle par lequel le bon Dieu voulait montrer aux hommes que l’Église est Divine et que sa puissance ne vient pas des hommes.

Élisabeth. Comment les Apôtres avaient-ils le courage de
St Pierre
parler en public à Jérusalem où Notre-Seigneur avait tant d’ennemis ?

Grand’mère. Nouveau miracle du Saint-Esprit. Ces hommes si timides, si craintifs, qui se sauvèrent tous quand ils virent leur divin Maître arrêté par les soldats, et qui restèrent cachés pendant sa Passion et même après sa mort, ces hommes qui s’obstinaient à ne pas croire à la Résurrection, cessèrent tout à coup d’avoir peur. Malgré Pilate et les Romains, malgré Caïphe et les Princes des prêtres, malgré les Scribes et les Pharisiens, ils parlèrent hardiment sur les places publiques et proclamèrent la Divinité de Jésus-Christ.

Les hommes qui les écoutaient parler, s’étonnaient, admiraient et se demandaient les uns aux autres : Qu’est-ce que ce peut être ?

Mais d’autres se moquaient d’eux et disaient : Ils sont ivres.

Alors saint Pierre se levant, entouré des onze Apôtres, éleva la voix et leur parla.

Jacques. Je remarque que c’est toujours saint Pierre qui parle ; pourquoi ne laisse-t-il pas parler les autres ?

Grand’mère. Parce que c’est lui comme chef de l’Église qui doit parler, commander et défendre les siens quand on les attaque. On accusait les Apôtres d’être ivres ; il se leva pour défendre les siens, qu’il devait diriger et protéger par l’ordre de son Divin Maître. C’est ce que fait encore dans l’Église notre Saint-Père le Pape, successeur de saint Pierre et chef des Évêques.

Voici donc ce que dit saint Pierre :

« Hommes de Judée, et vous tous habitants de Jérusalem, sachez ceci et que vos oreilles reçoivent mes paroles. »

Louis. Qu’est-ce que ça veut dire ?

Grand’mère. Cela veut dire : Écoutez et croyez ce que je vais vous dire. « Ceux-ci ne sont pas ivres comme vous le pensez ; car il n’est que la troisième heure du jour. »

Louis. Qu’est-ce que cela prouve ? Est-ce qu’on n’a pas le temps de s’enivrer jusqu’à trois heures de l’après-midi ?

Grand’mère. La troisième heure dont parle saint Pierre veut dire neuf heures du matin ; comme je vous l’ai expliqué dans l’Évangile, les Romains et les Juifs avaient différentes manières de compter les heures.

Louis. Mais, Grand’mère, même avant neuf heures, on a bien le temps de s’enivrer.

Grand’mère. Certainement. Mais, chez les Juifs, l’usage général était de ne rien boire ni manger avant midi ; c’est à cela que saint Pierre veut faire allusion.

Saint Pierre continua en leur citant les Prophètes et en leur rappelant que Dieu avait prédit par ses Prophètes qu’au temps du Messie, le Saint-Esprit serait donné à tous les hommes, sans distinction de Juifs ni de Païens. Que les envoyés du Messie prêcheraient et enseigneraient la vraie religion à tous les peuples, qu’il se ferait alors de grands miracles et que quiconque croirait et adorerait le Messie, le Christ, le Seigneur Dieu serait sauvé.

Henri. Grand’mère, je ne comprends pas bien pourquoi saint Pierre dit tout cela et pourquoi il parle des prophéties ?

Grand’mère. Parce qu’il veut montrer à ceux qui écoutaient, que les disciples qu’ils accusaient d’être ivres, n’inventaient rien, mais expliquaient les prophéties que le Saint-Esprit leur avait fait connaître et comprendre ; et qu’en expliquant ces prophéties, il leur ferait voir que ce Jésus que les Juifs avaient fait mourir, était le Messie, le Sauveur du monde, le Dieu qu’ils devaient adorer.

Hommes d’Israël, continua saint Pierre, écoutez ces paroles : Jésus de Nazareth, qui a fait les miracles et les prodiges, dont vous avez tous eu connaissance, ce Jésus que vous avez mis à mort, le crucifiant par les mains de Pilate, Dieu l’a ressuscité et l’a fait son égal. Et nous sommes tous témoins de sa Résurrection.

Pierre leur parla longtemps de toutes ces choses que je vous ai redites en partie…

Jeanne. Pourquoi pas tout, Grand’mère ?

Grand’mère. Parce que vous n’auriez pas compris, mes chers enfants, du moins les petits.

Camille. Moi aussi, Grand’mère, quoique je sois la plus grande, je suis bien aise d’entendre vos explications ; elles me font bien mieux comprendre ce que je ne comprenais qu’à moitié.

Grand’mère. Et tu liras les livres saints avec plus de profit à l’avenir, chère enfant.

Quand Pierre eut fini de parler, ceux qui l’avaient entendu, touchés par le Saint-Esprit, se sentirent tout émus et repentants, et ils dirent à Pierre et aux autres Apôtres :

« Que devons-nous faire ? »

Faites pénitence de vos péchés, leur répondit Pierre ; et que chacun de vous soit baptisé au nom de Jésus-Christ, en rémission de ses péchés. Et vous recevrez le don de l’Esprit-Saint.

Louis. Qu’est-ce que c’est : Rémission ?

Grand’mère. Rémission des péchés veut dire pardon ; ainsi, quand on dit : remettre une dette, cela veut dire effacer une dette comme si elle était payée. Notre-Seigneur a payé nos dettes par sa Passion et par sa mort, mais à la condition que nous nous repentirions de nos péchés et que nous serions baptisés.

Valentine. Pourquoi faut-il être baptisé ?

Grand’mère. Notre-Seigneur Jésus-Christ l’a ordonné. Le baptême est le signe du Chrétien ; l’eau du baptême accompagné du Saint-Esprit efface les péchés et nous permet de profiter de la Rédemption de Notre-Seigneur Jésus-Christ.

Saint Pierre continua à les exhorter et à leur commander de sauver leurs âmes au milieu des méchants qui les entouraient. Et il y eut ce jour-là environ trois mille hommes qui crurent à sa parole et qui reçurent le baptême.

Remarquez, mes enfants, que ce fut là le premier sermon qui ait été prêché dans l’Église catholique. Il est prêché par le premier Pape, en présence de tous les Apôtres qui représentaient là les Évêques ; en présence de soixante-douze disciples qui étaient les premiers prêtres ; en présence de la très-sainte Vierge, Mère et Reine de l’Église.

Les nouveaux Chrétiens se mirent tous à vivre très-saintement ; ils communiaient tous les jours, et persévéraient dans la prière. Ils ne faisaient tous qu’un cœur et qu’une âme, et ils obéissaient à saint Pierre et aux Apôtres.



VI

IL FAUT PRIER POUR LES MÉCHANTS ET AVOIR DE LA CHARITÉ POUR TOUS.



Grand’mère. Les Apôtres faisaient beaucoup de prodiges et de miracles dans Jérusalem et toute la ville était dans la crainte.

Jacques. Mais pourquoi ont-ils toujours peur ces méchants Juifs ? De quoi ont-ils peur ?

Grand’mère. Ils avaient peur, précisément parce qu’ils étaient méchants, comme tu le dis très-bien. Les miracles annonçaient la puissance de Dieu à laquelle ces méchants sentaient ne pas pouvoir échapper. Et ils avaient peur d’être punis, car ils sentaient aussi qu’ils étaient coupables et qu’ils méritaient une punition.

Jeanne. Mais pourquoi ne se corrigeaient-ils pas ?

Grand’mère. Par la même raison qui fait qu’un voleur continue à voler, quoiqu’il ait peur des gendarmes et qu’il sache très-bien que si les gendarmes le prennent, ils le mèneront en prison pour être jugé et condamné. Tous les méchants font de même ; ils savent qu’ils font mal, qu’ils seront punis, et ils continuent à mal faire.

Henriette. C’est bien bête.

Grand’mère. Oui, c’est bête et triste de préférer Le démon au bon Dieu, d’écouter les conseils du démon qui mènent à l’enfer, au lieu de suivre les conseils de notre bon Sauveur qui mènent au paradis.

Élisabeth. Mais comment faire, Grand’mère, pour leur démontrer combien ils sont bêtes ?

Grand’mère. Il n’y a qu’un moyen, chère enfant ; c’est de prier beaucoup pour eux et leur donner de bons exemples.

Jeanne. Je prierai tous les jours, Grand’mère, pour ces pauvres méchants ; ils me font pitié.

Grand’mère. C’est un très-bon sentiment, chère petite ; la charité est la vertu qui plaît le plus au bon Dieu.

Valentine. Alors le bon Dieu doit détester la méchanceté.

Grand’mère. Certainement ; aussi la foi nous apprend que le bon Dieu punit très-sévèrement dans l’autre monde les gens qui ont été durs, qui ont fait pleurer ceux auxquels ils avaient droit décommander.

Valentine. Vois-tu, Loulou, qu’il ne faut pas me faire pleurer ; hier, tu n’as pas voulu me prêter ton couteau et tu m’as donné un coup de poing. Tu sais comme j’ai pleuré.

Louis. Et toi, donc, tu m’as griffé ; j’ai pleuré aussi, moi !

Grand’mère, souriant. Ce n’est pas ce genre de méchanceté, mes chers petits, qui déplaît tant au bon Dieu. Vous vous disputez, vous vous mettez en colère et vous avez grand tort ; mais après, vous vous embrassez et vous vous aimez beaucoup. Ce n’est pas là la méchanceté et la dureté d’un chef, d’un maître, qui a tout pouvoir sur ses subordonnés.

Armand. Qu’est-ce que c’est : subordonnés ?

Grand’mère. Subordonné est celui qui est obligé d’obéir, ou comme soldat, ou comme ouvrier, ou comme serviteur. Continuons nos Actes des Apôtres.

Tous ces Chrétiens ne faisaient qu’un par le cœur ; tout ce qu’ils avaient était en commun. Les riches vendaient volontairement ce qu’ils avaient et partageaient leurs biens avec les pauvres, selon les besoins de chacun. Tous les jours aussi ils persévéraient dans la prière, se réunissant dans le Temple…

Henri. Comment ? le temple des Juifs ? Ils devaient avoir peur des Pharisiens et des méchants qui avaient fait mourir Notre-Seigneur.

Grand’mère. Depuis qu’ils avaient reçu le Saint-Esprit, ils n’avaient plus peur de rien ni de personne ; leur devoir était de faire connaître et aimer Notre-Seigneur ; ils remplissaient ce devoir en toutes occasions et de toutes manières, ne craignant plus les moqueries ni les persécutions. D’ailleurs le Temple, dont le parvis était immense, était le lieu de prière pour tout le monde.

Ils priaient et ils prenaient leurs repas en commun, vivant comme des frères, avec la joie et la charité au fond de leurs cœurs, louant Dieu, admirés et aimés du peuple. Aussi chaque jour le nombre des Chrétiens augmentait.



VII

GUÉRISON DU PERCLUS.



Grand’mère. Un jour, Pierre et Jean montaient au Temple à l’heure de la prière, vers la neuvième heure.

Louis. Pourquoi montaient-ils ?

Grand’mère. Parce que le temple de Jérusalem était bâti sur la montagne de Sion, le lieu le plus élevé de la ville.

Armand. Quelle heure est-ce, la neuvième heure ?

Grand’mère. La neuvième heure est, comme je vous l’ai déjà dit, trois heures de l’après-midi. C’était la neuvième heure depuis le lever du jour, c’est-à-dire depuis six heures du matin.

J’ai dit que Pierre et Jean montaient au Temple pour la prière. Et pendant qu’ils montaient, on portait un homme perclus depuis sa naissance…

Louis. Qu’est-ce que c’est : perclus ?

Grand’mère. Perclus veut dire qui ne peut pas se servir de ses membres ; les jambes sont trop faibles et trop tordues pour soutenir le corps ; les bras et les mains n’ont pas la force de porter des choses un peu lourdes. Et ce pauvre homme était dans ce triste état. Et chaque jour on le portait à la grande porte du Temple, appelée la Belle-Porte, pour qu’il demandât l’aumône à ceux qui entraient.

Cet homme, voyant arriver saint Pierre et saint Jean, leur demanda l’aumône,

Pierre et Jean le regardèrent ; et Pierre lui dit :

« Regarde-nous. »

Et l’homme les regardait, espérant qu’ils lui donneraient quelque chose.

Mais Pierre lui dit :

« Je n’ai ni or ni argent à te donner ; mais ce que j’ai, je te le donne : Au nom de Jésus-Christ de Nazareth, lève-toi et marche. »

Et prenant la main droite du perclus, il le fit lever ; aussitôt les jambes de cet homme ainsi que son corps s’affermirent ; et se levant, il marcha. Il entra avec eux dans le Temple, marchant, sautant et louant Dieu.

Camille. Il me semble, Grand’mère, que ce n’était pas très-respectueux de sauter dans le Temple.

Grand’mère. C’est vrai, chère enfant ; mais il faut dire, pour excuser ce pauvre homme, qu’il se sentait si content, si heureux de se trouver guéri, qu’il était comme fou de joie. Cet homme louait Dieu du miracle dont il avait été l’objet. Sa reconnaissance bruyante attira l’attention de ceux qui allaient, et venaient, et fit remarquer davantage le pouvoir miraculeux de saint Pierre.

Tout le peuple reconnut aussitôt le pauvre perclus qui jadis était toujours étendu près de la Belle-Porte pour demander l’aumône. On fut stupéfait de cette guérison miraculeuse. Et comme le perclus tenait par la main Pierre et Jean, qu’il ne se lassait pas de remercier, personne ne put douter que ce ne fût eux qui eussent opéré ce miracle. Alors Pierre leur dit :

« Hommes d’Israël, pourquoi vous étonnez-vous, comme si c’était nous, qui par notre seul pouvoir, avions guéri cet homme ? C’est au nom de Jésus, le Saint et le Juste, que vous avez renié, que vous avez fait mourir, que Dieu a ressuscité d’entre les morts et qui est avec Dieu, l’auteur de la vie, c’est par son nom et en son nom que nous avons rendu la santé parfaite à cet homme qui était perclus. »

Henri. Comment Jésus est-il avec Dieu, l’auteur de la vie ?

Grand’mère. Tu sais, cher enfant, que Notre-Seigneur tout en étant vraiment homme est aussi vraiment Dieu. Il est par conséquent le Créateur de toutes choses. Ainsi, à Bethléem, la Sainte-Vierge, en portant l’enfant Jésus, tenait dans ses bras son Créateur, son Dieu. Ainsi, encore, au Saint-Sacrement, nous adorons non-seulement notre Sauveur, mais encore notre Créateur et notre Dieu. Jésus est avec le Père et le Saint-Esprit, le seul vrai Dieu vivant.

Saint Pierre prêcha longtemps, leur rappelant les prophéties, et leur démontrant que tout ce que Jésus-Christ avait accompli, avait été prédit par les Prophètes ; et que ce Jésus qu’ils avaient méconnu, était le Messie, le Fils de Dieu annoncé dès l’origine.

De même que saint Pierre a le premier prêché Jésus-Christ et converti des âmes à la foi, de même il a été le premier à faire des miracles. Dieu l’a voulu ainsi pour honorer en sa personne la dignité du chef de l’Église.



VIII

S. PIERRE ET S. JEAN DEVANT LE GRAND CONSEIL.



Grand’mère. Pendant que Pierre parlait, des prêtres, des employés du Temple et des Saducéens arrivèrent.

Ils furent très en colère des choses que Pierre et Jean enseignèrent au peuple, et se jetant sur eux, ils les mirent en prison jusqu’au lendemain, car il était déjà tard.

Louis. Comment ? Ils mirent en prison ces pauvres Apôtres pour avoir fait un miracle et pour avoir parlé de Notre-Seigneur.

Grand’mère. Oui, mon cher enfant. Ils firent pour les Apôtres comme ils avaient fait pour Notre-Seigneur ; ils virent avec rage ce miracle et les nombreuses conversions qu’il pouvait amener ; et en effet, il y eut ce jour-là cinq mille hommes qui se convertirent.

Le lendemain, les Pharisiens, les Princes des prêtres et les Scribes s’assemblèrent pour délibérer sur ce qu’il fallait faire. Anne, prince des prêtres, et Caïphe, grand prêtre, étaient avec eux.

Henri. Étaient-ce le même Anne et le même Caïphe qui avaient insulté et condamné Notre-Seigneur ?

Grand’mère. Oui, les mêmes ; ils conservaient pour Notre-Seigneur les mêmes sentiments de haine diabolique ; ils avaient espéré que l’ayant fait mourir, il ne serait plus question de lui et de sa doctrine, et ils étaient furieux de voir ses envoyés continuer ses prédications et ses miracles et convertir des milliers de Juifs chaque fois qu’ils parlaient en public.

Madeleine. En effet, ils devaient être furieux ; huit mille hommes en deux prédications !

Pierre. Et probablement que ces huit mille nouveaux Chrétiens en convertissaient d’autres à leur tour.

Grand’mère. Certainement, car ces nouveaux Chrétiens étaient pleins de zèle ; tout remplis du Saint-Esprit, ils aidaient les Apôtres à répandre la foi.

C’est ainsi que nous devrions faire tous ; nous devrions ne pas laisser une occasion de faire du bien à ceux qui vivent avec nous, et aider de la sorte nos prêtres à sauver les âmes. Il y a malheureusement bien peu de Chrétiens assez fervents pour le faire.

Les ennemis de l’Église, étant donc réunis, firent venir saint Pierre et saint Jean. Et les plaçant au milieu d’eux, ils les interrogèrent.

« Par quelle puissance et au nom de qui avez-vous guéri cet homme perclus ? » leur demandèrent-ils.

Jacques. Les coquins ! Comment osaient-ils le demander ?

Grand’mère, souriant. Tu as bien raison ; mais de tout temps les méchants ont été impudents et hypocrites, comme ils le sont encore aujourd’hui.

Saint Pierre, rempli du Saint-Esprit, leur répondit que c’était au nom de Jésus, leur divin Sauveur, qu’ils guérissaient et qu’ils enseignaient ; il leur rappela les miracles qui attestaient la Divinité du Seigneur Jésus, les persécutions dont vivant il était l’objet, les souffrances et la mort cruelle à laquelle ils l’avaient condamné, sa Résurrection qu’ils avaient voulu cacher, mais dont les disciples et des milliers de Juifs avaient été témoins, par suite des nombreuses apparitions de Jésus-Christ et de son Ascension au Ciel dont plus de mille hommes pouvaient témoigner.

Les Princes des prêtres et les Pharisiens, voyant la hardiesse de Pierre et de Jean, et surpris de leur éloquence, s’informèrent d’où ils venaient. Ils furent encore plus stupéfaits quand ils surent que les Apôtres étaient des hommes simples et sans instruction.

Voyant aussi debout, près d’eux, l’homme que Pierre et Jean avaient guéri, ils ne savaient que dire. Ils leur ordonnèrent de sortir de la salle du conseil et ils se mirent à délibérer entre eux sur ce qu’il y avait à faire, disant :

« Que ferons-nous de ces hommes ? Un miracle connu de tous les habitants de Jérusalem a été fait par eux, et nous ne pouvons le nier. »

Jacques. Comment ? ils ont osé l’avouer ?

Grand’mère. Il le fallait bien ; comment faire autrement ? L’homme paralytique de naissance était là devant eux solide sur ses jambes.

Ils ajoutèrent : « Pour que le bruit de ce miracle ne se répande pas davantage parmi le peuple, défendons-leur de parler à l’avenir au nom de ce Jésus. Effrayons-les en les menaçant de punitions terribles. »

Élisabeth. Mais pourtant, ils convenaient eux-mêmes que le perclus avait été guéri ? Puisqu’ils reconnaissaient le miracle de saint Pierre et de saint Jean, comment pouvaient-ils s’empêcher de croire au pouvoir extraordinaire du nom de Notre-Seigneur.

Grand’mère. Aussi le croyaient-ils, mais en conservant l’espoir de continuer à dominer le peuple et de conserver leur puissance.

C’était l’orgueil de Satan qui remplissait leurs âmes et les rendait indignes de la grâce de la foi.

La foi est, en effet, une grâce que Dieu donne aux hommes de tonne volonté, c’est-à-dire aux âmes droites et sincères ; pour avoir la foi, il faut aimer la vérité.

Le conseil rappela donc Pierre et Jean, il leur défendit sous les peines les plus graves, de parler ni d’enseigner à l’avenir au nom de Jésus.

Jeanne. C’était bien pénible pour ces pauvres Apôtres, auxquels Notre-Seigneur avait ordonné de le faire connaître au monde entier.

Grand’mère. Aussi n’eurent-ils pas peur des menaces des méchants Juifs et ils répondirent :

« Voyez vous-mêmes s’il est juste de vous obéir plutôt qu’à Dieu ; nous ne pouvons pas ne point parler de ce que nous avons vu et entendu. »

Alors le conseil les chassa avec de nouvelles menaces, mais ils n’osèrent ni les punir ni les garder en prison à cause du peuple qui se serait révolté, car tous savaient le miracle de saint Pierre et de saint Jean, et personne ne pouvait en douter ; le perclus avait plus de quarante ans et tout le monde dans Jérusalem le connaissait.

C’est ici que commencent les persécutions de l’Église. Le premier Pape est persécuté, emprisonné et menacé de mort dès qu’il prêche Jésus-Christ, dès qu’il fait du bien au nom de Jésus-Christ, Saint Pierre a donc été le premier Pape persécuté ; et saint Jean, son fidèle compagnon, partagea ses épreuves comme l’ont fait depuis tous les bons Évêques qui partagent les souffrances et les persécutions du Pape.


IX

UNION DES PREMIERS CHRÉTIENS.

Grand’mère. Pierre et Jean, se trouvant libres, rentrèrent au Cénacle, et racontèrent à leurs frères ce qui était arrivé.

Et tous se mirent à prier, à louer Dieu, à le remercier d’avoir délivré Pierre et Jean. Ils résolurent de ne pas craindre les menaces des Pharisiens, de continuer à braver leur colère et à annoncer la parole de Dieu au nom de leur Seigneur Jésus, qui leur donnerait le courage et la force contre la fureur de ses ennemis.

Jacques. C’est bien cela ; c’est beau et courageux.

Grand’mère. Aussi le bon Dieu les en récompensa ; car aussitôt qu’ils eurent prié ainsi, le lieu où ils étaient trembla ; ils furent tous remplis du Saint-Esprit, et ils annonçaient la parole de Dieu avec encore plus de force et de puissance.

Henriette. Pourquoi le Saint-Esprit est-il revenu une seconde fois, puisqu’il les avait déjà remplis la première fois.

Grand’mère. Cette fois-ci ce n’était pas comme au jour de la Pentecôte, pour inaugurer solennellement le règne de l’Église ; c’était seulement une consolation et une grande grâce que Notre-Seigneur envoyait à ses fidèles.

Louis. Qu’est-ce que c’est : inaugurer ?

Grand’mère. Inaugurer veut dire établir, déclarer qu’une chose commence.

Et toute cette multitude n’avait qu’un cœur et qu’une âme…

Armand. Comment ? à eux tous ils n’avaient qu’un cœur et qu’une âme ? Ainsi, quand l’un mourait, tous mouraient à la fois ?

Grand’mère, riant. Non, cher enfant ; on ne parle pas du cœur de chair, nécessaire à la vie du corps, en disant : un cœur et une âme. On veut dire que tous avaient les mêmes pensées de foi, les mêmes sentiments d’amour pour le bon Dieu, et pour les hommes ; et tous n’avaient qu’une âme, c’est-à-dire le même zèle, le même désir de servir Jésus-Christ, le même courage pour braver les dangers.

Henri. Tu demandes toujours des bêtises, Armand.

Henriette. Tu as bien raison, Henri ; je ne disais rien, par douceur, mais je pensais comme toi.

Armand. Pas du tout, je ne dis pas de bêtises ; et j’ai bien fait de demander, parce que toi non plus tu ne comprenais pas.

Henriette. Ah ! par exemple !

Armand. Certainement ; je l’ai vu à ta figure.

Grand’mère. Voyons, mes enfants, ne vous disputez pas et continuez à demander ce que vous ne comprenez pas. Les petits rendent quelquefois service aux plus grands qui n’osent pas demander de peur de paraître ignorants.

Camille. C’est bien vrai ce que vous dites là, Grand’mère ; Armand et le petit Louis ont souvent fait des questions que j’aurais faites moi-même si je n’avais pas eu peur qu’on se moquât de moi.

Grand’mère. Alors, mes chers enfants, tout est pour le mieux et nous allons continuer.

Nous parlions de l’union qui régnait parmi les Apôtres, les disciples et les nouveaux Chrétiens. Tous leurs biens étaient en commun, comme nous l’avons dit, et tous ne cherchaient qu’à augmenter le nombre des Chrétiens en racontant la vie de Jésus-Christ, en expliquant et surtout en pratiquant sa morale.

Louis. Quelle morale ?

Grand’mère. La pratique de toutes les vertus chrétiennes ; la charité, l’humilité, la douceur, la bonté, la patience, la complaisance, enfin tout ce qui rend les hommes agréables au bon Dieu et aux autres hommes.

Tous les nouveaux Chrétiens apportaient aux pieds des Apôtres tout ce qu’ils possédaient, pour être partagé entre tous.

Valentine. Pourquoi mettaient-ils tout cela aux pieds des Apôtres ? Il aurait mieux valu le mettre sur une table ou sur une chaise.

Grand’mère. C’est une manière de parler, chère enfant. Quand on dit mettre aux pieds, cela veut dire, en faire un don respectueux, un hommage pour le Chef de L’Église. Ainsi on ne pouvait pas mettre aux pieds des Apôtres des maisons, des champs, des bœufs, des meubles, mais on leur en faisait don pour être distribués comme ils le voulaient, et on les consacrait à Dieu entre leurs mains. Quant à eux, ils employaient ces offrandes volontaires, d’abord pour les besoins du culte Divin, puis pour subvenir au besoin des Prêtres, et enfin pour assister les veuves, les orphelins et les pauvres.


X

ANANIE ET SAPHIRE.



Grand’mère. Or, un certain homme nommé Ananie et Saphire sa femme, qui s’étaient faits Chrétiens, vendirent un champ. Ananie, d’accord avec sa femme, cacha une partie de l’argent qu’on leur avait payé pour ce champ ; et Ananie, apportant l’argent qui restait, le déposa devant les Apôtres. Saint Pierre, inspiré de Dieu, lui dit :

« Ananie, pourquoi as-tu laissé Satan entrer dans ton cœur ? Pourquoi as-tu menti à l’Esprit-Saint ? Pourquoi as-tu gardé une partie de l’argent de ton champ ? Ce champ était à toi ; personne ne t’obligeait à le vendre : et lorsque tu l’as vendu, l’argent était à toi. Pourquoi ne le gardais-tu pas, au lieu de faire semblant de tout donner, de te dépouiller de tout ce que tu possédais ? Tu l’as fait pour avoir l’air d’un homme
Mort d’Ananie
généreux, bienfaisant, détaché des biens de ce monde. En le faisant, tu n’as pas menti aux hommes, mais à Dieu. »

Entendant ces paroles, Ananie tomba et mourut.

Élisabeth. Ah ! mon Dieu ! quelle terrible punition pour un mensonge !

Grand’mère. Ce n’était pas un mensonge ordinaire, chère enfant ; c’était une tromperie mêlée d’orgueil et d’hypocrisie. Il voulait se faire passer pour un saint homme, plus parfait que les autres ; car on n’était pas obligé, en se faisant Chrétien, de donner ses biens ; cela était tout à fait volontaire et provenait d’un détachement complet des biens de ce monde. De plus, il mentait à saint Pierre, au chef de l’Église, et par conséquent, au Saint-Esprit, dont saint Pierre était rempli. La punition fut terrible, comme tu dis, mais le crime était grand. Et puis, dans ces premiers temps du Christianisme, il fallait de grandes punitions et de grandes récompenses pour établir l’autorité des Apôtres.

Il y eut une grande crainte parmi ceux qui virent et entendirent ces choses. Des jeunes hommes de l’assemblée s’approchèrent, et voyant qu’Ananie était réellement mort, ils enlevèrent son cadavre, l’emportèrent et l’ensevelirent.

Environ trois heures après, sa femme, ignorant ce qui s’était passé, entra, et saint Pierre lui dit :

« Dis-moi si tu as vendu ton champ tel prix ? » Et Pierre lui dit le compte de l’argent qu’Ananie avait apporté.

« Oui, répondit Saphire, c’est le prix que vous dites.

— Pourquoi vous êtes-vous concertés ensemble ? » lui répondit saint Pierre.

Armand. Qu’est-ce que c’est : concerté ?

Grand’mère. Se concerter veut dire s’arranger ensemble, convenir ensemble de quelque chose.

« Pourquoi, lui dit saint Pierre, vous êtes-vous concertés ensemble pour mentir et tromper l’Esprit-Saint ? Voilà des hommes qui ont enseveli ton mari ; ils attendent à la porte pour t’emporter à ton tour. »

Et aussitôt Saphire tomba aux pieds de saint Pierre et mourut. Les jeunes gens qui rentraient, la trouvant morte, l’emportèrent et l’ensevelirent auprès de son mari.

Ce second châtiment augmenta encore la crainte qu’avait causée la mort d’Ananie et inspira un respect plus profond pour la parole des Apôtres. Ils firent beaucoup de miracles au milieu du peuple. Les douze Apôtres, tous unis ensemble, se tenaient habituellement dans le portique du Temple.

Armand. Comment, les Apôtres étaient tous attachés l’un à l’autre ?

Grand’mère, souriant. Mais non, cher petit, ils étaient unis de cœur et non par des cordes. Je crois que cette fois-ci tu as réellement dit une petite bêtise.

Armand. C’est vrai, Grand’mère ; je n’ai pas réfléchi.

Grand’mère. Bon, une autre fois tu réfléchiras un peu. Les Apôtres se tenaient donc tous les douze dans le portique du Temple, où ils faisaient beaucoup de miracles et de guérisons. Le peuple accourait en foule et le nombre des Chrétiens augmentait de jour en jour.

On apportait des malades en foule sur les places publiques, les posant par terre ou sur des grabats.

Louis. Qu’est-ce que c’est : grabat ?
Mort de Saphire

Grand’mère. Un grabat est un lit de pauvre. On portait donc ainsi les malades sur les places publiques, pour que saint Pierre venant à passer, son ombre pût les guérir.

On accourait même des villes voisines de Jérusalem, apportant des infirmes et des possédés ; et tous étaient guéris.

Louis. Comment ? l’ombre seule de saint Pierre guérissait tous les malades ? Mais, Grand’mère, on ne dit pas même cela de Notre-Seigneur dans l’Évangile !

Grand’mère. Non, mais Notre-Seigneur l’avait prédit expressément en disant à ses disciples : « Ceux qui croiront en moi, feront les miracles que je fais et de plus grands encore. »


XI

LES APÔTRES EN PRISON, DÉLIVRÉS PAR UN ANGE.



Grand’mère. Anne, le Prince des prêtres, et ceux qui étaient avec lui, furent remplis de colère en apprenant ces nouvelles. Et faisant saisir les Apôtres, ils les firent jeter en prison.

Mais un Ange du Seigneur apparut la nuit dans la prison, brisa et fit tomber leurs chaînes…

Valentine. Comment a-t-il pu les briser sans faire de bruit, pour ne pas éveiller les gardiens ?

Grand’mère. L’Ange a fait tomber les chaînes par le simple effet de la toute-puissance de Dieu. Il était envoyé par Notre Seigneur pour délivrer les Apôtres. Il voulut qu’ils fussent libres, ils l’ont été ; il a voulu que les gardes dormissent d’un profond sommeil, et ils ont si bien dormi qu’ils n’ont rien entendu.

L’Ange, ayant donc brisé les chaînes des Apôtres, marcha droit devant eux ; les grilles et les portes s’ouvrirent d’elles-mêmes et les Apôtres se trouvèrent libres dans la rue. L’Ange leur dit :

« Allez, montez au Temple, annoncez au peuple les paroles de vie. »

Jeanne. Quelles paroles ? Comment des paroles peuvent-elles faire vivre ?

Grand’mère. Les paroles ne peuvent pas donner la vie au corps, mais elles font vivre l’âme, c’est-à-dire qu’elles nourrissent l’âme de vérités saintes et de bons sentiments qui la mènent à la vie éternelle.

Les Apôtres, écoutant les paroles de l’Ange, entrèrent de grand matin dans le Temple, et ils y enseignaient.

Marie-Thérèse. Comment ? ils enseignaient dans le Temple ? Mais c’était très-dangereux pour eux !

Grand’mère. Chère enfant, les Apôtres ne redoutaient plus aucun danger, depuis qu’ils avaient reçu le Saint-Esprit. Ils se tinrent courageusement comme d’habitude dans le portique ou le vestibule du Temple.

Pendant ce temps, Anne, Prince des prêtres et quelques-uns du conseil s’étant assemblés, ils convoquèrent tout le conseil et les anciens ; et ils envoyèrent à la prison pour qu’on amenât les Apôtres.

Les gardes étant venus, ils entrèrent dans la prison et, n’ayant plus trouvé les Apôtres, ils revinrent l’annoncer, disant :

« Nous avons trouvé la prison fermée avec beaucoup de soin, et les gardes étaient debout, en dehors, gardant la porte. Mais ayant ouvert, nous n’avons trouvé personne dedans. »

Après avoir entendu ces paroles, le chef des gardes du Temple et les Princes des prêtres ne surent plus ce qu’ils devaient faire.

Pendant qu’ils se consultaient entre eux, quelqu’un accourut et leur dit :

« Voilà que les hommes que vous aviez mis hier en prison sont dans le Temple, enseignant et convertissant. »

Alors le chef des gardes y alla et les emmena sans violence, car il avait peur qu’en les voyant emmenés de force, le peuple ne s’ameutât et ne les lapidât.

Ils firent entrer les Apôtres dans le conseil ; et le Prince des prêtres les interrogea et leur dit :

« Ne vous avions-nous pas défendu sous les peines les plus sévères d’enseigner au nom de ce Jésus ? Et voilà que vous avez rempli Jérusalem de votre doctrine, et que vous voulez rejeter sur nous le sang de cet homme ! »

Saint Pierre et les Apôtres répondirent :

« Il faut mieux obéir à Dieu qu’aux hommes. Le Dieu de nos pères a ressuscité Jésus, que vous aviez tué en le suspendant à une croix. Le Dieu Sauveur l’a placé à sa droite, pour donner à Israël, par la pénitence, la rémission des péchés. Nous sommes témoins de ces choses, et nous les attestons ; et le Saint-Esprit les atteste avec nous. Dieu donne son Esprit à fous ceux qui ont un cœur docile. »

Ayant entendu ces paroles, les Juifs du grand conseil frémissaient de rage et ils se consultaient entre eux pour les faire mourir. Mais l’un d’eux, nommé Gamaliel, fort honoré du peuple, se levant dans le conseil, commanda qu’on fît sortir un moment les Apôtres. Et il dit :

« Hommes d’Israël, prenez bien garde à ce que vous ferez à l’égard de ces hommes. Car avant notre temps, il y eut un nommé Théodas qui voulut se faire passer pour un grand esprit, et il eut environ quatre cents disciples ; il fut tué et ses disciples se dispersèrent ; on n’entendit plus parler de lui.

« Plus tard, se fît connaître un autre homme, Judas le Galiléen, il fit de même ; il attira le peuple, il périt et ses amis se dispersèrent.

« Et maintenant je vous dis : ne vous mêlez pas de ces hommes et laissez-les aller. Car si leur œuvre et leur doctrine vient de l’orgueil ou du mensonge, elle tombera d’elle-même ; et si elle vient de Dieu, vous ne pourrez pas la détruire ; peut-être alors est-ce contre Dieu même que vous combattriez. »

Ils trouvèrent que Gamaliel avait raison, et ayant rappelé les Apôtres, ils les firent fouetter…

Jacques. Comment ! ces méchants hommes font fouetter les pauvres Apôtres qui n’ont rien fait de mal, et que Gamaliel leur conseille de laisser aller ! Mais c’est injuste, c’est abominable.

Grand’mère. Certainement ; mais Pilate en avait fait autant pour Notre Seigneur, qu’il avait fait flageller cruellement, après avoir publiquement proclamé son innocence. Ici, les Juifs voulaient tout simplement exercer une vengeance contre les amis de Notre-Seigneur, qu’ils haïssaient plus que jamais.

Mais comment Gamaliel les a-t-il laissés faire ?

Grand’mère. D’abord, seul contre tous, il n’aurait pu les en empêcher. Ensuite, cela lui était bien égal qu’on fit souffrir les Apôtres. Le conseil qu’il avait donné était bon, mais il ne l’avait pas donné dans l’intérêt des Apôtres ni de la doctrine de Notre-Seigneur, mais dans son propre intérêt et dans celui de ses méchants amis, parce que la mort des Apôtres aurait exaspéré le peuple, qui se serait révolté et aurait peut-être massacré tous les membres du conseil.

Lorsque les Apôtres eurent été fouettés, on les renvoya, leur défendant de parler au nom de Jésus.

Ils sortirent du conseil plein de joie d’avoir été jugés dignes de souffrir cet outrage pour le nom de Jésus.

Louis. Est-ce qu’on les avait fouettés fort ? Leur a-t-on fait du mal ?

Grand’mère. Certainement ; d’abord parce que les fouets des Juifs étaient faits en lanières ou bandes de cuir tressées, ce qui emporte la peau à chaque coup ; ensuite parce que la haine des juges et des bourreaux contre Jésus-Christ leur faisait exécuter ce supplice avec un redoublement de cruauté.

Jeanne. Pauvres Apôtres ! Ils faisaient pourtant une belle action eu désobéissant aux méchants Juifs !

Grand’mère. Oui ; eux les premiers ont montré le courage que pouvait donner la foi ; et bien loin de se plaindre du supplice qu’ils avaient souffert, ils ont été joyeux et heureux de verser leur sang pour le Divin Maître qui avait répandu tout le sien pour leur salut. C’est ainsi qu’ont fait et que font encore tous les Martyrs.

Les douze Apôtres continuèrent donc à enseigner tous les jours dans le Temple et dans les maisons particulières pour faire connaître de plus en plus Notre-Seigneur Jésus-Christ et sa Divine religion.


XII

ÉTIENNE ET SIX AUTRES DIACRES VEILLENT À LA DISTRIBUTION DES AUMÔNES.



Grand’mère. Tous les jours on voyait augmenter le nombre des Chrétiens. La plupart des fidèles continuaient à mettre leurs biens en commun ; on prenait les repas en commun. Les Apôtres faisaient faire, tous les jours et à chaque repas, des distributions aux familles indigentes.

Armand. Quelles distributions ?

Grand’mère. Des distributions d’argent, d’aliments, de vêtements.

Depuis quelque temps il y avait des murmures parmi les Juifs de Grèce, convertis à la foi. Ils se plaignaient qu’on ne donnait pas une quantité suffisante d’aliments et d’aumônes aux veuves de leur nation.

Les Apôtres avaient cherché à calmer ces mécontentements, en recommandant la plus grande justice dans la distribution des vivres, mais les plaintes continuaient.

Les douze Apôtres, ayant alors convoqué, c’est-à-dire réuni la multitude des disciples, leur dirent :

« Nous ne pouvons pas veiller à tout sans perdre le temps que nous devons consacrer à la prière et à nos prédications. Il n’est pas juste que nous abandonnions la parole de Dieu pour surveiller vos tables. Cherchez donc parmi vous sept hommes très-justes, pleins de la sagesse de Dieu et de l’Esprit-Saint, afin que nous puissions les charger de cette œuvre de charité. Et nous autres, nous nous occuperons alors bien plus librement de la prière et de l’enseignement de la parole de Dieu. »

Cet avis plut à tout le monde ; ils choisirent Étienne, homme plein de foi et animé par l’Esprit-Saint ; et six autres avec lui. Ils les présentèrent aux Apôtres, et ceux-ci, ayant prié, leur imposèrent les mains.

Marie-Thérèse. Pourquoi ont-ils prié et ont-ils imposé les mains ?

Grand’mère. C’était pour les consacrer au service de Dieu et des pauvres. Notre-Seigneur, au Cénacle, avait également prié et imposé les mains sur ses Apôtres lorsqu’il a voulu les faire Prêtres. Il avait lui-même ordonné à ses Apôtres d’imposer les mains à ceux qu’ils voudraient dans la suite consacrer au service de Dieu en qualité d’Évêques, de Prêtres ou de Diacres. C’est ce qui s’est toujours fait dans l’Église, et aujourd’hui comme au temps des Apôtres, c’est par l’imposition des mains que sont consacrés les Diacres, les Prêtres et les Évêques.

Saint Étienne et les six autres auxquels les Apôtres imposèrent les mains dans cette circonstance, furent faits Diacres pour le service des autels et pour le service des pauvres.

Valentine. Et après cela, les Grecs se sont-ils encore plaints des Juifs, pour leur nourriture ?

Grand’mère. Je crois que non, car les Actes des Apôtres n’en parlent plus.


XIII

MARTYRE DE SAINT ÉTIENNE.



Grand’mère. Le nombre des Chrétiens augmentait de jour en jour, les Pharisiens étaient plus en colère que jamais, car même parmi les prêtres du Temple il y en eut plusieurs qui se firent Chrétiens.

Étienne, plein de la grâce de Dieu et de la force de la foi, faisait beaucoup de miracles parmi le peuple. Et les Juifs de la Synagogue s’élevèrent contre Étienne et se mirent à disputer contre lui. Mais Étienne leur répondait si bien et prouvait si clairement les miracles, la Résurrection et la Divinité de Notre-Seigneur, que les Anciens et les Scribes et Pharisiens ne savaient que répondre.

Ils firent alors comme ils avaient fait pour Notre-Seigneur ; ils payèrent des témoins qui assurèrent, avec serment, avoir entendu Étienne blasphémer contre Moïse et contre Dieu.

Louis. Qu’est-ce que c’est : blasphémer ?

Grand’mère. C’est dire des paroles injurieuses contrôle bon Dieu ou contre les choses saintes.

Ils soulevèrent ainsi le peuple contre Étienne ; alors les Anciens et les Scribes se jetèrent sur lui, l’entraînèrent et le conduisirent devant le conseil. Et ils firent venir leurs faux témoins qui les accusèrent ainsi :

« Cet homme ne cesse de parler contre le Dieu saint et la loi. Car nous l’avons entendu dire que Jésus de Nazareth détruirait ce lieu et changerait les lois que Moïse nous a données. »

Et les hommes qui siégeaient dans le conseil, regardant Étienne, virent sa face comme la face d’un Ange.

Armand. Comment est la face d’un Ange ?

Grand’mère. Je n’en ai jamais vu, de sorte que je ne peux pas te le dire exactement ; mais d’après ce que nous disent les Livres saints, le visage d’un Ange, quand il prend une forme humaine, est tout resplendissant de lumière et de beauté.

Valentine. Comment, de lumière ? Est-ce que son visage est en feu ?

Grand’mère. Non, c’est un éclat extraordinaire et céleste qui sort de l’Ange et qui éclaire toute sa personne.

Et Anne, le Prince des prêtres, demanda à Étienne :

« Les choses sont-elles ainsi ? »

Étienne répondit en leur rappelant beaucoup de faits de l’Ancien Testament et en leur montrant comme quoi, dès le commencement, les Juifs avaient été presque toujours ingrats et rebelles. Ceux qui avaient rejeté Jésus-Christ et avaient crucifié leur Sauveur, n’avaient fait qu’imiter leurs pères.

Marie-Thérèse. Grand’mère, vous disiez tout à l’heure : l’Ancien Testament : Qu’est-ce que c’est : l’Ancien Testament ?

Grand’mère. C’est l’histoire de la création de l’homme ; de la chute, c’est-à-dire de son premier péché, et de tous les événements importants qui se sont passés jusqu’à la venue de Notre-Seigneur Jésus-Christ dans le monde.

En entendant ce beau récit, les méchants frémissaient de rage et grinçaient des dents contre lui. Mais Étienne, rempli de l’Esprit-Saint, leva les yeux au ciel. Il vit la gloire de Dieu

Jeanne. Qu’est-ce que c’est : la gloire de Dieu ?

Grand’mère. C’est la gloire et la splendeur du Paradis.

Élisabeth. Grand-mère, que ce doit être beau ! Que je serais heureuse de voir ce qu’a vu saint Étienne !

Grand’mère. Nous le verrons tous, chère petite, après notre mort, si nous vivons chrétiennement, de manière à gagner le Paradis.

Madeleine. Grand’mère, ce n’est pas facile de gagner le Paradis.

Grand’mère. C’est vrai, chère petite, ce n’est pas facile ; si c’était facile, il n’y aurait pas de mérite à le gagner, et la récompense ne serait pas si grande.

Jeanne. Comment est-ce difficile de gagner le Ciel ? Je ne trouve pas ça.

Grand’mère. Ce n’est pourtant pas facile, chère petite ; pense donc que dix fois, cent fois par jour, il faut faire le contraire de ce qui plaît et repousser des sentiments ou des désirs mauvais.

Jeanne. Quels sentiments mauvais ?

Grand’mère. Tous ceux qui sont contre la charité, l’humilité, la douceur, l’obéissance, etc.

Valentine. Comment faire alors ?

Grand’mère. Il Faut ne pas se fâcher ; il faut retenir sa colère quand on vous impatiente ; il faut obéir et rester tranquille ou travailler, quand on a envie de courir et de jouer ; il faut céder et ne pas disputer quand on croit avoir raison ; et ainsi toute la journée ; je t’assure que ce n’est pas facile. Mais continuons l’histoire de saint Étienne qui voyait le bon Dieu dans sa gloire.

Et il s’écria :

« Voilà que je vois les Cieux ouverts et le Fils de l’homme à la droite de Dieu. »

Henriette. Quel Fils de l’homme ?

Grand’mère. Notre-Seigneur, qui s’appelle souvent ainsi lui-même dans l’Évangile.

Henriette. Comment est-il assis à la droite de Dieu ? Je croyais que Dieu était un esprit, qui n’a ni droite ni gauche.

Grand’mère. C’est très-vrai. Ces paroles signifient simplement que Notre-Seigneur Jésus-Christ règne dans la paix du Ciel, et qu’il partage pleinement la gloire et la toute-puissance de Dieu son Père.

Les Juifs alors, poussant de grands cris et se bouchant les oreilles se jetèrent tous ensemble sur lui.

Armand. Et pourquoi les Juifs se bouchaient-ils les oreilles ?

Grand’mère. Pour faire croire à leur indignation de ce qu’ils appelaient les blasphèmes d’Étienne. Quant à lui, il louait et bénissait Dieu, de la grâce qu’il lui accordait d’être le martyr de Jésus-Christ.

Armand. Qu’est-ce que c’est : martyr ?

Henriette. Oh ! ma bonne grand’mère, dites, je vous prie, à Armand, de ne pas toujours vous interrompre. Il me met dans une colère ! Si je ne me retenais je le taperais à chaque interruption.

Grand’mère. Ma pauvre petite, il faut pourtant qu’Armand comprenne comme vous autres ; et pour cela, il faut qu’il demande des explications, étant avec Loulou le plus jeune de vous tous. Quant à toi, je suis très-contente de ce que tu me dis de tes colères retenues…

Henriette. Comment, Grand’mère, vous êtes contente que je sois méchante ?

Grand’mère. Non, chère petite, non pas que tu sois méchante, mais que tu ne le sois pas ; ton impatience n’a pas paru au dehors ; tu l’as toujours contenue ; tu as donc pratiqué deux vertus bien difficiles, la patience et la douceur, et c’est ce qui me fait grand plaisir.

Henriette, enchantée, embrasse Armand et se jette au cou de grand’mère qui l’embrasse et qui continue.

Martyr veut dire témoin. Étienne, en mourant pour Jésus-Christ, rendait devant Dieu et devant les hommes, un témoignage solennel à la Divinité de son Divin Rédempteur.

Les Juifs poussèrent Étienne hors de Jérusalem, et commencèrent à le lapider.

Armand, timidement et avec hésitation. Qu’est-ce que c’est : lapider ?

Grand’mère. Ne crains pas de demander, cher petit. Henriette comprend très-bien que tu lui rends un grand service, en exerçant sa patience ; elle ne se fâchera pas, je te réponds d’elle.

Henriette, souriant. Merci, Grand’mère ; je tâcherai de ne jamais m’impatienter et d’être douce comme un agneau.

Grand’mère, souriant. Ce sera très-beau ; et si tu continues, nous t’appellerons Agnella. Je réponds à Armand : lapider c’était tuer à coups de pierres.

Armand. Est-ce que ça faisait mal ?

Grand’mère. Je crois bien. Très-mal. Tu sais comme cela fait mal de se cogner fort ou de recevoir un coup ; c’était bien pis quand on recevait sur la figure, sur la tête, sur tout le corps, des grosses pierres coupantes, pointues ; à chaque pierre le sang jaillissait. Et c’est pourquoi ceux qui lapidèrent saint Étienne ôtèrent leurs vêtements pour qu’ils ne fussent pas tachés de sang, et ils les donnèrent à garder à un jeune homme nommé Saül.

Et pendant que les Juifs lapidaient Étienne, celui-ci priait et disait :

« Seigneur, Jésus, recevez mon esprit. »

Et s’étant mis à genoux, il cria d’une voix forte :

« Seigneur, ne les punissez pas du péché qu’ils commettent ; pardonnez-leur. »

En disant ces mots, il s’endormit dans le Seigneur, c’est-à-dire il mourut, ayant, comme son Divin Maître, demandé pardon pour ses bourreaux.

Jacques. Ces misérables Juifs ! Je ne comprends pas que le bon Dieu ne les ait pas punis ? Si j’avais été le bon Dieu, je les aurais fait mourir après des années de tortures !

Grand’mère. Cher petit, le bon Dieu, étant infiniment bon, a voulu leur donner tout le temps nécessaire pour se repentir ; plusieurs se sont en effet convertis et ont amèrement pleuré leurs crimes, comme tu vas le voir pour Saül, ce jeune homme qui gardait les habits des meurtriers d’Étienne. Ceux qui sont restés méchants, ont pourtant dû mourir ; ils ont été précipités en enfer, où ils souffrent encore et souffriront toujours des tortures bien plus cruelles que toutes celles qu’ils ont fait souffrir ; ainsi tu vois que le bon Dieu, dans sa justice infiniment parfaite, punit et récompense mieux que ne peut le faire le plus puissant des hommes.


XIV

PREMIÈRE PERSÉCUTION CONTRE LES PREMIERS CHRÉTIENS.



Grand’mère. La rage des Juifs ne pouvait plus se contenir ; tous leurs efforts pour arrêter la multiplication des Chrétiens devenaient inutiles ; leurs menaces contre les Apôtres et les disciples restaient sans effet. Pierre et les Apôtres continuaient à prêcher publiquement la religion sainte de Notre Seigneur Jésus-Christ. Ils résolurent donc d’employer contre les Chrétiens les tortures et la mort. Alors les fidèles, à l’exception des Apôtres, se dispersèrent hors de Jérusalem, dans toute la Judée et la Samarie.

Élisabeth, Pourquoi se sauvaient-ils ? Ils n’avaient donc pas le courage de souffrir pour Jésus-Christ ?

Grand’mère. Tous ne se sentaient pas encore la force de braver les souffrances et la mort ; mais la vraie raison pour laquelle ils se sont dispersés fut le commandement même qu’avait donné Jésus-Christ :

« Si les hommes vous persécutent dans une ville, enfuyez-vous dans une autre. »

Comme le bon Dieu n’exige pas des hommes qu’ils recherchent les dangers et les souffrances, ils se cachaient et attendaient que la fureur des Juifs fût calmée.

C’est ainsi que, sans le savoir et sans le vouloir, les Juifs persécuteurs furent la cause que l’Évangile se répandit au loin, beaucoup plus rapidement.

Pierre. Est-ce que ce n’est pas un peu lâche de se sauver, Grand’mère ?

Grand’mère. Non, mon enfant ; ce n’est que prudent ; la prudence n’empêche pas le courage. De même qu’on n’est pas coupable, quand on est malade, de chercher à se guérir par des remèdes, de même il est très-permis d’éviter une persécution ou un danger quelconque par la fuite. Ces mêmes Chrétiens qu’on pourrait soupçonner de lâcheté pour s’être sauvés, ont souffert la mort avec courage, plus tard, quand la persécution est devenue plus acharnée.

Louis. Mais pourtant les Apôtres sont restés ? Ils n’ont pas eu peur, eux ?

Grand’mère. C’est vrai ; mais les autres Chrétiens n’ont pas fui parce qu’ils ont eu peur. Saint Pierre et les Apôtres étaient les chefs de l’Église naissante. Tout en se dérobant le mieux possible à la fureur des Juifs, il était nécessaire qu’ils restassent à Jérusalem, où le troupeau de Jésus-Christ était le plus menacé. Jérusalem était alors le centre de l’Église ; c’était naturellement le poste de saint Pierre, chef de l’Église.

Louis. Qu’est que c’est : centre ?

Grand’mère. Le centre est le milieu d’une chose. Il fallait donc que le chef de la nouvelle Église restât au centre afin qu’on pût toujours revenir à lui et le consulter sur ce qu’on devait faire.

Marie-Thérèse. Et tous les autres Chrétiens se sauvèrent de Jérusalem ?

Grand’mère. Non pas tous ; quelques-uns même allèrent enlever le corps du premier martyr Étienne et l’ensevelirent ; ils déposèrent ensuite son très-saint corps dans un endroit caché. On commença dès ce temps à l’honorer comme une précieuse relique. On a depuis transporté à Rome les ossements de saint Étienne, premier martyr de la religion chrétienne, et ils y sont encore aujourd’hui.



XV

SIMON LE MAGICIEN.



Grand’mère. Saül, le jeune homme qui avait gardé les habits des meurtriers d’Étienne, cherchait tous les moyens possibles de détruire le Christianisme naissant ; il poursuivait partout les fidèles, entrait dans les maisons, en arrachait les hommes et les femmes qu’on lui dénonçait comme Chrétiens, et les jetait en prison.

Pierre. Comment un jeune homme seul pouvait-il faire tout cela ?

Grand’mère. Outre que Saül n’était plus un tout jeune homme, car il avait alors environ trente ans, il était citoyen romain et d’une naissance distinguée. Puis, il était déjà connu par sa grande science ; enfin, il était un des membres les plus influents et les plus ardents de la secte des Pharisiens, qui l’appuyaient dans toutes ces entreprises contre les Chrétiens.

Pour échapper à cette persécution, les fidèles se dispersaient et passaient de ville en ville.

L’Apôtre saint Philippe, étant allé à Samarie, y prêcha ; la foule accourait et voyait les miracles qu’il faisait ; elle l’écoutait attentivement.

Beaucoup de paralytiques et de boiteux furent guéris ; beaucoup de possédés furent délivrés des démons qui les tourmentaient, ce qui excita une grande joie parmi le peuple

Or, il y avait dans la ville de Samarie un homme nommé Simon, qui y avait autrefois exercé la magie.

Louis. Qu’est-ce que c’est : la magie ?

Grand’mère. La magie est une science et un pouvoir surnaturels qui viennent du démon, avec lequel certaines gens très-coupables ne craignent pas de se mettre en rapport. Il est inutile de vous dire que c’est un grand péché et qu’on perd son âme en s’alliant au démon.

Jeanne. Qu’est-ce que c’est : surnaturel ?

Grand’mère. Surnaturel veut dire qui est au-dessus des forces naturelles de l’homme. La magie est donc un pouvoir extraordinaire que de méchants hommes reçoivent du démon pour faire des choses extraordinaires. Ce ne sont pas des miracles, mais cela en a l’air. Le démon, en effet, n’a pas le pouvoir de faire des miracles.

Louis. Quels sont les faux miracles que peuvent faire les démons et les magiciens ?

Grand’mère. Ils peuvent, par exemple, faire apparaître des fantômes ou des flammes, ou faire entendre de grands bruits, ou bien encore s’enlever dans les airs, et d’autres choses très-merveilleuses.

Henriette. Mais alors on pouvait croire que les Apôtres aussi exerçaient la magie ?

Grand’mère. Aussi n’a-t-on pas manqué d’accuser de magie Notre-Seigneur et ses Apôtres, et en général tous les Chrétiens qui faisaient des miracles ; mais les gens éclairés et de bonne foi ne pouvaient pas s’y tromper ; les miracles des magiciens n’amenaient aucun bien et n’avaient aucun caractère de sainteté ; les magiciens liés aux démons, étaient des gens intéressés, avides, égoïstes, inhumains, ivrognes, etc., tandis que les Chrétiens menaient une vie très-innocente ; ils étaient pleins de charité, d’abnégation, et vivaient dans l’amour de Dieu et de tous les hommes.

Pourtant ce Simon le magicien séduisait beaucoup de monde à Samarie et se faisait passer pour un homme juste et annonçant la parole de Dieu. Tous l’écoutaient, depuis les pauvres jusqu’aux riches. Les faux prodiges qu’il faisait les séduisaient et faisaient croire à ses paroles.

Mais ayant entendu Philippe, ils reconnurent bientôt la différence de sa conduite et de ses enseignements avec ceux de Simon, et ils voulurent être baptisés, hommes et femmes, au nom de Jésus-Christ.

Alors Simon, lui aussi, entrevit la vérité ; ayant demandé à être baptisé, il suivait Philippe et ne le quittait plus ; voyant les grands miracles qu’il faisait, il s’étonnait et admirait.

Camille. C’est singulier, Grand’mère, qu’un homme qui s’était donné au démon et à la magie se soit converti.

Grand’mère. Aussi sa conversion n’était-elle ni bien solide, ni très-sincère, comme tu vas le voir tout à l’heure ; il croyait plus avantageux pour lui de suivre Philippe, espérant qu’il lui en reviendrait de grands biens, mais saint Pierre découvrit le fond de sa pensée et la noirceur de son âme.

Les apôtres qui étaient à Jérusalem, ayant appris les nombreuses conversions que faisait saint Philippe à Samarie, décidèrent que saint Pierre et saint Jean iraient le rejoindre.

Madeleine. Grand’mère, comment les Apôtres ont-ils pu envoyer saint Pierre qui était plus qu’eux ? Il me semble qu’ils n’en avaient pas le droit.

Grand’mère. Parmi les Apôtres tout se faisait dans l’humilité et la charité. Saint Pierre n’allait pas à Samarie, comme un inférieur envoyé par son supérieur, mais comme un Apôtre de Jésus-Christ qui ne cherchait en cela, comme en tout, que le salut des âmes et la gloire de son Divin Maître. Dans nos missions, nos Évêques agissent encore avec cette simplicité ; ils travaillent comme les plus humbles de leurs prêtres, allant partout où on a besoin de leur saint ministère.

Saint Pierre et saint Jean arrivèrent donc à Samarie ; ils prièrent pour les nouveaux disciples afin qu’ils fussent dignes de recevoir l’Esprit-Saint ; car il n’était encore descendu sur aucun d’eux ; ils n’avaient reçu que le baptême au nom de Notre-Seigneur Jésus-Christ.

Alors Pierre et Jean leur imposèrent les mains et ils reçurent l’Esprit-Saint visiblement.

Valentine. Grand’mère, comment recevaient-ils visiblement le Saint-Esprit.

Grand’mère. Visiblement veut dire que toutes les personnes présentes le voyaient.

Louis. Et qu’est-ce qu’on voyait ?

Grand’mère. On voyait une flamme céleste comme au jour de la Pentecôte.

Simon le magicien ayant vu que par l’imposition des mains des Apôtres, l’Esprit-Saint était donné, il leur offrit de l’argent, disant : « Vendez-moi la puissance que donne l’imposition des mains pour faire venir l’Esprit-Saint, afin que je puisse le donner comme vous. »

Saint Pierre lui répondit avec indignation :

« Que ton argent périsse avec toi, parce que tu as cru que le Saint-Esprit pouvait s’acheter à prix d’argent. Fais pénitence de cette méchanceté, et prie Dieu pour qu’il te pardonne ta mauvaise pensée. Car je vois que l’orgueil et l’avarice remplissent ton cœur et que tu es dans les liens du démon. »

Simon répondit :

« Priez vous-même pour moi, afin que ce que vous avez dit n’arrive pas. »

Pierre. Mais c’est très-bien à Simon de parler si humblement.

Grand’mère. Ce n’était pas par humilité que Simon demandait à Pierre de prier pour lui, mais par crainte du pouvoir de Pierre, qui lui avait dit : « Que ton argent périsse avec toi ! »

Nous retrouverons plus tard ce détestable Simon, que l’Apôtre saint Pierre poursuivit sans relâche ; qu’il obligea à quitter la Syrie ; et qui, s’étant rendu à Rome, devint plus tard le favori du cruel Empereur Néron.

Les trois Apôtres, Pierre, Jean et Philippe, continuèrent quelques jours encore à prêcher dans la ville de Samarie ; ensuite ils revinrent à Jérusalem, prêchant Jésus-Christ dans toutes les villes par lesquelles ils passaient.



XVI

CONVERSION DE L’ÉTHIOPIEN.



Grand’mère. Un jour un Ange du Seigneur parla à Philippe et lui dit :

« Lève-toi et va vers le midi sur le chemin qui descend de Jérusalem à Gaza. »

Le diacre saint Philippe (qu’il ne faut pas confondre avec Philippe l’Apôtre), s’étant levé, marcha comme l’Ange lui avait dit. Et voilà qu’un riche Juif Éthiopien…

Louis. Qu’est-ce que c’est : un Éthiopien ?

Grand’mère. C’est un habitant de l’Éthiopie, grand royaume de l’Afrique.

Marie-Thérèse. Et comment était cet Éthiopien ? Qu’est-ce qu’il faisait en Judée ?

Grand’mère. Il était noir comme tous les Éthiopiens ; il était gardien des trésors de Candace, Reine d’Éthiopie ; et il était très-puissant parce que la Reine avait grande confiance en lui. Il était venu à Jérusalem pour adorer Dieu dans le Temple qui était fameux dans tout l’Orient par ses richesses et par sa splendeur.

L’Éthiopien s’en retournait dans son pays, assis sur un char, et lisant tout haut le livre du Prophète Isaïe.

L’Esprit-Saint dit à Philippe :

« Approche près de ce char. »

Philippe, suivant l’ordre de l’Esprit, accourut près du char et entendit l’Éthiopien lisant le Prophète Isaïe. Philippe lui dit :

« Comprends-tu bien ce que tu lis ? »

L’Éthiopien répondit :

« Comment puis-je comprendre, si quelqu’un ne me l’explique ? » et il pria Philippe de monter et de s’asseoir près de lui.

Jacques. Pourquoi lisait-il, puisqu’il ne comprenait pas ?

Grand’mère. Parce qu’il était pieux et que les livres des Prophètes étaient une sainte lecture très-recommandée aux fidèles de l’ancienne loi. C’est comme nous maintenant, lorsque par un bon sentiment de foi et de piété nous lisons l’Évangile.

Philippe monta dans le char et il vit que le passage que lisait l’Éthiopien sans le comprendre, était celui-ci : Il a été mené à la boucherie comme une brebis ; et comme un agneau est sans voix devant celui qui le tond ; ainsi, il n’a pas ouvert la bouche, etc. Et l’Éthiopien dit à Philippe :

« De qui, je te prie, le Prophète dit-il tout cela ? »

Alors Philippe, commençant à parler, lui expliqua cet endroit de l’Écriture et beaucoup d’autres encore ; il lui parla des mystères de Jésus-Christ, et après qu’il eut parlé longtemps, ils vinrent à passer près d’une rivière et l’Éthiopien dit :

« Voilà de l’eau. Qui empêche que je sois baptisé ? »

Philippe répondit :

« Si tu crois de tout ton cœur, cela se peut.

— Je crois, dit l’Éthiopien, que Jésus-Christ est le Fils de Dieu. »

Et il commanda d’arrêter le char ; tous deux descendirent ; ils entrèrent dans l’eau, et Philippe le baptisa.

Lorsqu’ils furent sortis de l’eau, l’Esprit-Saint enleva Philippe. L’Éthiopien, ne le voyant plus, remonta dans son char et continua sa route, le cœur plein d’admiration et de joie. Étant de retour en Éthiopie, il y prêcha l’Évangile de Jésus-Christ comme le lui avait appris Philippe.

Philippe, ayant été ainsi miraculeusement enlevé par le Seigneur, se trouva dans la ville d’Azot. Il y prêcha, ainsi que dans toutes les villes où il passa, jusqu’à ce qu’il fût arrivé à Césarée.

Louis. Qu’est-ce que c’est : Azot et Césarée ?

Grand’mère. C’étaient deux, villes de la Palestine au bord de la mer ; c’est Hérode qui avait presque entièrement bâti Césarée, et il l’avait nommée ainsi pour flatter l’empereur César-Tibère, le tyran de Rome et du monde.


XVII

CONVERSION DE SAÜL.



Grand-mère. Saül était toujours exaspéré contre les Chrétiens, disciples de Jésus. Il alla trouver le Prince des prêtres et lui demanda des lettres pour les synagogues de Damas.
St Paul

Armand. Qu’est-ce que c’est : synagogues ?

Henriette. Tu le sais bien, grand’mère nous l’a déjà dit en racontant L’Évangile.

Armand. Non, je ne sais pas, j’ai oublié.

Henriette. Ah bien ! si tu oublies tout, c’est ennuyeux à la fin.

Grand’mère. Ma petite Agnella, prends garde de perdre ce nom et de mériter celui de Lionette.

Henriette. Pardon, Grand’mère, je me suis un peu impatientée ; mais c’est la première fois, et Armand est si impatientant avec ses questions !

Grand’mère. Chère petite, pense qu’il a cinq ans.

Henriette. C’est vrai, Grand’mère, mais pourquoi oublie-t-il ce que vous avez dit ?

Grand’mère. Parce qu’il n’a que cinq ans comme le Petit-Louis.

Henriette. Je ne dirai plus rien, Grand’mère, je ne veux pas que vous m’appeliez Lionette.

Grand’mère. Très-bien, mon enfant ; reste la petite Agnella, le bon Dieu t’en aimera davantage et moi aussi.

Henriette embrasse sa grand’mère, qui l’embrasse aussi et continue son récit.

Je réponds d’abord à Armand que les synagogues étaient les lieux consacrés, chez les Juifs, à la prière et aux réunions religieuses. Saül demanda donc des lettres qu’il devait montrer aux magistrats et aux chefs de la synagogue de Damas, afin de pouvoir arrêter et faire mettre en prison tous ceux qui lui seraient signalés comme Chrétiens. Il avait le projet de les conduire enchaînés à Jérusalem.

Jacques. Quoi méchant homme ! J’espère que le bon Dieu l’en empêchera.

Grand’mère. Oui, tu vas voir comment le bon Dieu va l’en empêcher.

Il était en route, accompagné de beaucoup de soldats, et il approchait de Damas, quand tout à coup une éclatante lumière du ciel brilla autour de lui.

Jeanne. C’était un éclair ?

Grand’mère. Oui, mais un éclair comme le bon Dieu seul peut en faire et comme on n’en a jamais vu depuis. C’était une lumière miraculeuse, plus brillante que le soleil. Saül tomba par terre et entendit une voix qui lui disait en hébreu :

« Saül, Saül, pourquoi me persécutes-tu ? Il te sera dur de regimber contre l’aiguillon. » Ce qui veut dire : Il te sera difficile de lutter contre moi.

« Qui êtes-vous, Seigneur ? » dit Saül épouvanté.

La voix répondit :

« Je suis Jésus de Nazareth, que tu persécutes. »

Saül, tremblant et effrayé, dit :

« Seigneur, que voulez-vous que je fasse ? »

Et le Seigneur lui répondit :

« Lève-toi, et va dans la ville ; je t’ai apparu afin de t’établir l’apôtre et le témoin des choses que tu as vues et de celles que tu verras lorsque je t’apparaîtrai de nouveau. Et je te délivrerai de ce peuple qui te persécutera, et des nations auxquelles je t’enverrai pour leur faire connaître la vérité, afin qu’elles se convertissent, qu’elles quittent le démon, qu’elles reviennent à moi. Par la foi qu’ils auront en moi, ils recevront le pardon de leurs péchés et seront dans le ciel avec les Saints. Lève-toi donc, va à Damas. On te dira ce que tu dois faire. »

Armand, tristement. Mon Dieu, mon Dieu, je ne comprends rien de ce que dit la voix.

Grand’mère, souriant. Mon pauvre petit, je vais te l’expliquer. La voix, qui était celle de Notre-Seigneur Jésus-Christ, dit à Saül qu’il va changer son cœur, qu’il fera de lui un grand Chrétien, un Apôtre ; qu’il lui donnera la mission de convertir beaucoup de peuples, et qu’il le protégera contre tous les méchants.

Armand, joyeux. Ah ! merci, Grand’mère, je comprends très-bien.

Madeleine. Mais comment Notre-Seigneur est-il si bon pour Saül, qui était si méchant pour les Chrétiens ?

Grand’mère. Parce que Notre-Seigneur, qui voit toutes les pensées des hommes, a vu que Saül, en persécutant les Chrétiens, ne le faisait par aucun mauvais sentiment.

Henri. Comment ? aucun mauvais sentiment. Ce n’est pas mauvais de mettre en prison et de faire souffrir de pauvres innocents ? de faire pleurer ceux qui restaient abandonnés ?

Grand’mère. Si fait, tout cela est mauvais, très-mauvais. Je veux dire seulement que Saül était un ignorant et pas un impie. Bien loin de là ! Saül était très-zélé pour la religion juive ; il croyait que c’était servir Dieu que d’empêcher une nouvelle religion de détruire l’ancienne. Il regardait les Chrétiens comme des sacrilèges, et c’est pour cela seulement qu’il les poursuivait. En le faisant, il croyait de bonne foi remplir un devoir sacré.

Ce Saül est le même que le grand Apôtre saint Paul. Vous verrez plus tard à quelle occasion il a changé de nom. Nous l’appellerons Paul à l’avenir. Maintenant, pourquoi le bon Dieu l’a-t-il choisi de préférence à tant d’autres pour en faire l’Apôtre des nations ? C’est le secret de sa Providence ; il choisit qui il veut, il est le maître de ses dons.

Les hommes qui accompagnaient Paul dans son voyage avaient entendu une voix, mais ils n’avaient pas compris ses paroles ; ils avaient vu la lumière, mais ils n’avaient distingué personne et ils restaient stupéfaits.

Paul se leva de terre, et, quoiqu’il eût les yeux ouverts, il ne voyait rien.

Jeanne. Pourquoi cela ?

Grand’mère. Parce qu’il était devenu subitement aveugle ; la lumière céleste l’avait ébloui, et Notre-Seigneur lui faisait ainsi sentir sa toute-puissance.

Les compagnons de Paul le prirent donc par la main et le conduisirent à Damas ; il y resta trois jours sans y voir, ne mangeant ni ne buvant.

Jeanne. Pauvre homme ! comme il devait être malheureux !

Grand’mère. Non, il était pénétré de repentir ; la foi en Jésus-Christ remplissait son cœur ; la douleur d’avoir persécuté les fidèles serviteurs du vrai Dieu, lui faisait accepter avec amour la punition que lui envoyait le Seigneur, et lui inspirait le désir de souffrir davantage encore pour être pardonné.

Or, il y avait à Damas un disciple nommé Ananie…

Marie-Thérèse. Comment, celui qui était tombé mort ?

Grand’mère. Non, celui-là était mort et enterré ; c’était un autre disciple du même nom. Le Seigneur lui apparut et
Conversion de St Paul
l’appela : « Ananie ! — Me voici, Seigneur, » répondit Ananie. « Lève-toi, lui dit le Seigneur, va dans une rue qui s’appelle la rue Droite, cherche dans la maison de Jude un homme nommé Saül, de la ville de Tarse, car il est là en prière. »

Et dans ce même moment, Paul voyait en esprit…

Louis. Comment, en esprit ?

Grand’mère. En esprit, c’est-à-dire intérieurement, par une vision surnaturelle, et non pas avec les yeux du corps. Paul vit donc en esprit un homme nommé Ananie qui entrait et lui imposait les mains, afin qu’il recouvrât la vue.

Ananie répondit au Seigneur :

« Seigneur, j’ai appris de plusieurs Chrétiens combien cet homme a fait de mal à vos fidèles de Jérusalem. Il a même reçu du Prince des prêtres le pouvoir d’enchaîner et d’emprisonner tous ceux qui invoquent votre nom. »

Le Seigneur lui répondit :

« Va, car cet homme portera partout la gloire de mon nom ; il est l’instrument que j’ai choisi pour me faire connaître et devant les peuples et devant les Rois et devant les enfants d’Israël… »

Valentine. Qu’est-ce que c’est : les enfants d’Israël ?

Grand’mère. Ce sont les Juifs, qu’on appelait aussi Israélites.

« Et je lui montrerai, ajouta le Seigneur, combien il faudra qu’il souffre pour la gloire de mon nom. »

Alors Ananie sortit et entra dans la maison où était Paul et, lui imposant les mains, il dit :

« Saül, mon frère, le Seigneur Jésus, qui t’a apparu dans le chemin par où tu venais, m’a envoyé vers toi, afin que tu voies et que tu sois rempli de l’Esprit-Saint. »

Et aussi tôt il tomba des yeux de Paul comme des écailles et il recouvra la vue.

Et Ananie lui dit que Jésus-Christ l’avait choisi entre tous pour connaître sa loi et la faire connaître à toutes les nations.

« Et maintenant, lui dit-il, qu’attends-tu ? Lève-toi, sois baptisé, et purifie-toi de tes péchés en invoquant le nom du Seigneur. »

Paul se leva, fut baptisé, et, ayant mangé, il reprit des forces.

Jeanne. Je crois bien ! Il devait mourir de faim ; trois jours sans boire ni manger !

Grand’mère. Le bon Dieu lui avait donné des forces pour supporter ce long jeûne. Il demeura quelques jours avec les disciples qui étaient à Damas ; aussitôt après, il se mit à parler dans les synagogues, disant hautement que Jésus-Christ était le Fils de Dieu. Tous ceux qui l’écoutaient étaient dans un grand étonnement et disaient : « N’est-ce pas là celui qui persécutait si cruellement, dans Jérusalem, ceux qui invoquaient le nom de Jésus ? et qui est venu à Damas pour les conduire, chargés de fers, au Prince des prêtres ? Comment ce même homme prêche-t-il comme ceux qu’il persécutait encore tout dernièrement ? »

Mais Paul ne faisait aucune attention à ces paroles, et réduisait au silence les Juifs qui étaient à Damas, leur démontrant que Jésus était le Christ, le Messie annoncé par les Prophètes.

Henriette. Comment les Juifs ne l’ont-ils pas arrêté et mis en prison, comme il voulait le faire lui-même pour les Chrétiens ?

Grand’mère. Parce que le bon Dieu n’a pas permis que dès le commencement de sa conversion Paul fût soumis à une si rude épreuve. Puis Paul se méfiait des Juifs plus qu’un autre ; il ne se laissait pas prendre.

Après avoir passé quelque temps encore à Damas, Paul alla dans les déserts de l’Arabie.

Louis. Qu’est-ce que c’est : l’Arabie ?

Grand’mère. L’Arabie est un pays voisin de la Judée.

Henri. Pourquoi a-t-il été dans le désert ?

Grand’mère. Pour y vivre dans une retraite plus profonde, pour y faire une pénitence plus parfaite et pour se préparer ainsi à son Apostolat. Après y avoir passé quelque temps, Paul revint à Damas et y fit un assez long séjour.

Valentine. Combien est-ce un long séjour ?

Grand’mère. On ne dit pas combien de temps au juste il y resta, mais je pense que c’est plusieurs années, car il est dit que trois ans après sa conversion, les Juifs ne pouvant plus le souffrir, à cause de sa hardiesse à prêcher la divinité de Notre-Seigneur, et aussi à cause des nombreuses conversions qu’il opérait, ils résolurent de le tuer.

Ils voulaient faire au disciple ce qu’ils avaient fait au Maître. De peur qu’il ne leur échappât, ils obtinrent du gouverneur qui gardait la ville pour Arétas, Roi des Arabes, de faire fermer les portes de Damas et d’y mettre des gardes.

Arétas, Roi des Arabes, était en guerre avec Hérode, Tétrarque ou gouverneur de la Galilée. Les Juifs de Damas allèrent donc dénoncer Paul comme un espion d’Hérode, et ils obtinrent facilement du gouverneur un ordre pour arrêter l’espion.

Mais Paul fut averti de leur mauvais dessein. Les disciples le prirent, le mirent dans un grand panier, attaché avec une longue corde, et le descendirent par une fenêtre pendant la nuit, en dehors des murs de la ville ; car Damas était entourée de hautes murailles. Ainsi il se sauva et alla à Jérusalem.

Louis. C’est bien fait d’avoir attrapé ces méchants Juifs. Mais pourquoi Paul alla-t-il à Jérusalem ? C’était là qu’étaient les plus grands ennemis des Chrétiens !

Grand’mère. Il y alla, comme il l’a dit lui-même, pour voir Pierre et pour conférer avec lui comme avec le Vicaire de Jésus-Christ. Il y alla pour lui rendre hommage comme au chef de l’Église, comme à celui auquel il devait respect et obéissance. Il n’avait pas besoin de s’instruire près de Pierre, car Dieu lui-même l’avait miraculeusement éclairé et instruit, mais pour donner aux siècles futurs l’exemple de la déférence, de la soumission que tous, même les plus savants, doivent au Pape, chef de l’Église.


XVIII

PAUL À JÉRUSALEM.



Grand’mère. Quand Paul fut venu à Jérusalem, il chercha à se réunir aux autres disciples ; mais tous le craignaient et le fuyaient, croyant encore qu’il venait pour les persécuter et les livrer au Prince des prêtres. Alors, saint Barnabé, qui le connaissait, l’ayant pris avec lui, le conduisit aux Apôtres et leur raconta comment Paul avait vu le Seigneur, ce que lui avait dit Jésus dans son apparition, ci comment à Damas, devenu fervent Chrétien, il avait enseigné publiquement et courageusement le nom de Jésus. — Pierre le reçut et Paul demeura chez lui pendant quinze jours, ne voyant aucun des autres Apôtres, sinon Jacques, cousin du Seigneur.

Henriette. Pourquoi ne vit-il pas les autres Apôtres ?

Grand’mère. Probablement parce que les Apôtres se réunissaient rarement, par prudence, pour ne pas attirer sur eux l’attention des ennemis de Notre-Seigneur ; et puis les Apôtres étaient tous très-occupés à prêcher, à baptiser, à instruire les nouveaux Chrétiens et à soutenir les faibles qui n’étaient pas encore affermis dans leur foi.

Jacques. Il me semble que les Apôtres étaient un peu trop prudents ; ils auraient dû avoir plus de courage.

Grand’mère. Cher enfant, la prudence est une vertu qui n’empêche pas le courage.

Les Apôtres étaient prêts à tout souffrir et à mourir plutôt que d’abandonner leur foi ; mais en attirant sur eux-mêmes les persécutions des Juifs, ils les attiraient aussi sur les nouveaux Chrétiens qui auraient peut-être faibli devant les tortures et la mort. Les Apôtres devaient protéger et ménager ces nouveaux disciples du Seigneur, qui, un peu plus tard, obtiendraient la force qui leur manquait encore.

Madeleine. C’est vrai cela. Si on avait tué les Apôtres, que seraient devenus les autres ? Il n’y aurait plus eu personne pour instruire et convertir.

Grand’mère. Ce qui est certain c’est que les Apôtres étaient inspirés par le Saint-Esprit et qu’ils ont agi d’après cette inspiration ; nous ne devons donc pas blâmer leur conduite.

Un jour que Paul priait dans le Temple, il fut ravi en extase…

Valentine. Qu’est-ce que c’est : ravi en extase ?

Grand’mère. Ravi en extase veut dire que son âme se trouva tellement absorbée par le bon Dieu, qu’elle était au Ciel pendant que son corps seul était sur la terre. Il vit Jésus, qui lui dit :

« Dépêche-toi, et sors vite de Jérusalem, car les Juifs ne croiront pas à ton témoignage sur moi. »

Paul répondit : « Mais, Seigneur, ils savent tous que c’est moi qui mettais en prison et qui faisais fouetter dans les synagogues ceux qui croyaient en vous. Ils savent que lorsqu’on répandait le sang de votre premier martyr Étienne, j’étais présent, que je consentais à sa mort, et que je gardais les vêtements de ceux qui le lapidaient. »

Louis. Comment ? Je ne comprends pas ce que veut dire saint Paul.

Grand’mère. C’est comme s’il disait : Ma conversion est tellement inexplicable sans votre apparition et votre Divinité, qu’ils seront forcés de croire à mon témoignage.

Mais le Seigneur lui dit :

« Va, car je t’enverrai bien loin, vers des nations étrangères. »

En effet, les Juifs-Grecs présents à Jérusalem, contre lesquels Paul disputait pour les faire croire en Jésus-Christ, cherchaient à le faire mourir. Les fidèles, l’ayant su, le conduisirent à Césarée, d’où ils l’envoyèrent à Pierre en Cilicie. De là, il revint en Syrie. Les Chrétiens de Judée ne le connaissaient pas de figure, mais ils savaient qu’il avait autrefois persécuté l’Église, leurs frères les Chrétiens, et que maintenant il prêchait la même foi qu’il s’était efforcé de détruire.

Vers ce temps, les persécutions contre les Chrétiens cessèrent…

Marie-Thérèse. Quel bonheur ! Et pourquoi cela ? Est-ce que tous les Juifs se sont convertis ?

Grand’mère. Non, malheureusement pour eux. Mais il arriva que Pilate, suivant la coutume des gouverneurs de la Judée, avait envoyé à Tibère, Empereur des Romains, l’histoire de Notre-Seigneur et de tout ce qui avait rapport à lui. Après avoir lu cet écrit, Tibère, considérant Jésus-Christ comme un Dieu, proposa au Sénat…

Armand. Qu’est-ce que c’est : le Sénat ?

Grand’mère. Le Sénat était une réunion de personnages importants, que les Empereurs nommaient Sénateurs pour récompenser leurs services.

Tibère proposa donc au Sénat de déclarer que Jésus était Dieu, Mais le Sénat refusa pour plaire à Tibère.

Jacques. Comment cela ? Puisque Tibère le proposait lui-même ?

Grand’mère. C’est vrai, mais peu de temps auparavant, le Sénat avait déclaré que l’Empereur Tibère était un Dieu. Tibère avait refusé d’accepter la Divinité proclamée par le Sénat, et on craignit qu’il ne fût pas content de voir Jésus proclamé Dieu, tandis qu’il avait refusé de l’être lui-même.

Tibère n’insista pas pour la Divinité de Jésus-Christ, mais il persista dans son idée qu’il méritait les honneurs Divins et il défendit sévèrement de tourmenter ses disciples. Voilà pourquoi les Chrétiens vivaient en paix dans ce temps.

Pierre. C’est dommage que le bon Dieu n’ait pas fait défendre plus tôt qu’on persécutât les Chrétiens.

Grand’mère. Le bon Dieu permit la persécution dès le commencement du christianisme, pour répandre dans les pays qui environnaient la Judée, la connaissance du vrai Dieu et la foi nouvelle.

Marie-Thérèse. Comment cela ?

Grand’mère. Parce que les premiers Chrétiens et les disciples fuyaient la persécution en se dispersant dans les pays voisins de la Judée, et à mesure que la persécution les poursuivait, ils allaient se réfugier plus loin encore. Tu vois que ce mal a produit un grand bien, puisque partout où arrivaient les Chrétiens, ils convertissaient beaucoup de monde. Et saint Luc dit, dans les Actes des Apôtres, qu’on bâtissait partout un grand nombre d’églises et que les fidèles Chrétiens y accouraient en foule et s’y remplissaient de grandes forces et consolations données par le Saint-Esprit.



XIX

SAINT PIERRE GUÉRIT ÉNÉE.



Grand’mère. Or, il arriva que Pierre, visitant de ville en ville tous les disciples, vint chez des saints hommes qui demeuraient à Lydda.

Jeanne. Où est ce Lydda ?

Grand’mère. C’est en Palestine.

Il y trouva un homme nommé Énée, qui depuis huit ans était couché dans son lit, car il était paralytique et il ne pouvait pas bouger. Pierre lui dit :

« Énée, le Seigneur Jésus-Christ te guérit. Lève-toi, et fais toi-même ton lit. »

Énée se leva aussitôt. Et tous ceux qui habitaient Lydda et la campagne aux environs se convertissaient à Jésus-Christ.

Louis. À la bonne heure ; les miracles de saint Pierre ne sont pas perdus ; ce n’est pas comme ceux de Notre-Seigneur qui ne faisaient rien sur ces méchants Juifs.

Grand’mère. Il y a plusieurs raisons pour cela, cher enfant. D’abord Notre-Seigneur les faisait chez les méchants Juifs comme tu les appelles, avec grande raison. Ensuite, Notre-Seigneur faisait ces miracles moins pour convertir ces Juifs, qui ne voulaient pas même croire ce qu’ils voyaient, que pour laisser à ses Apôtres et à ses disciples des témoignages éclatants de sa puissance. Et puis, Notre-Seigneur ne voulait pas que ses miracles eussent trop de retentissement, afin que les prophéties et la Rédemption des hommes s’accomplissent et qu’il pût subir sa Passion et la mort. Si tous les Juifs avaient cru en lui, ils ne l’auraient pas crucifié. Et enfin, le sang de Notre-Seigneur a porté ses fruits et a facilité la conversion des pécheurs par les grâces plus grandes que le bon Dieu a accordées aux hommes rachetés par ses souffrances et sa mort.

Camille. Et puis, Grand’mère, je pense que Notre-Seigneur a voulu encourager les Apôtres en leur donnant le don de toucher les pécheurs ; c’était la première récompense de leurs travaux.

Grand’mère. Oui, chère petite, c’est très-probable ; le salut de tant d’âmes, qu’ils avaient opéré par leurs prédications, devait certainement remplir leurs cœurs de joie et leur donner du courage pour continuer.


XX

MIRACLES DE SAINT PIERRE.



Grand’mère. Il y avait aussi à Joppé, autre ville près de Lydda, une femme nommée Tabithe, surnommée Dorcas.

Elle était très-charitable ; elle aidait beaucoup les pauvres, non-seulement par ses aumônes, mais aussi en travaillant pour eux et en les soignant, les consolant dans leurs maladies et leurs peines. Cette sainte femme tomba malade et mourut. Et après que les femmes qui l’entouraient eurent lavé son corps…

Henriette. Pourquoi lavée, puisqu’elle était morte ?

Grand’mère. Parce que partout, dans tous les pays, il est d’usage de rendre ce dernier service aux morts ; on veut que le dernier regard jeté sur un mort n’inspire pas de sentiment de dégoût ni de répulsion.

Quand donc les femmes eurent lavé le corps, elles le portèrent dans une chambre haute…

Louis. Pourquoi haute ? il ne lui fallait pas beaucoup de place, puisqu’elle était morte.

Grand’mère, souriant. Chambre haute veut dire ici au haut de la maison. Les disciples, voyant la désolation des pauvres gens que secourait Dorcas, et apprenant que le grand Apôtre saint Pierre était à Lydda, tout près de Joppé…

Armand. Où est Joppé ?

Grand’mère. Joppé est un petit port de la Syrie, situé sur le bord de la mer Méditerranée, à treize ou quatorze lieues de Jérusalem.

Ils lui envoyèrent deux hommes, pour le prier de venir auprès d’eux.

Pierre, se levant, vint les rejoindre. Et les disciples le conduisirent dans la chambre haute. Et là, toutes les veuves pauvres de Joppé s’assemblèrent autour de lui, pleurant et montrant les manteaux et les vêtements que leur faisait Dorcas.

Pierre, ayant fait sortir tout le monde, se mit à genoux et pria ; puis, se tournant vers le corps, il dit : « Tabithe, lève-toi ! » Elle ouvrit les yeux, et, ayant vu Pierre, elle s’assit. Alors Pierre, lui donnant la main, l’aida à se lever ; et, ayant appelé les disciples et les veuves, il la leur rendit pleine de vie…

Jeanne. Grand’mère, pourquoi, quand on vient chercher saint Pierre, dit-on, qu’il se leva ? il était donc toujours couché ?

Grand’mère. Non, chère petite ; il se couchait et il se reposait probablement bien peu ; mais il priait beaucoup, et quand on dit : Il se leva, c’est qu’il priait à genoux.

Jacques. Et pourquoi a-t-il fait sortir tout le monde ? C’eût été bien mieux de faire ce miracle devant tout le monde.

Grand’mère. En faisant sortir tout le monde et en restant seul avec la morte, saint Pierre a voulu faire voir que pour obtenir de grandes grâces du bon Dieu, il fallait du recueillement et du silence, ce qui est bien difficile quand on est dans le tourbillon du monde et de ses agitations. Quand il est seul, il se met à genoux, il se recueille, il prie, et alors seulement il ressuscite Dorcas.

Louis. Pourquoi saint Pierre se met-il à genoux ? Notre-Seigneur faisait ses miracles, même les plus grands, comme de ressusciter les morts, debout et sans prier.

Grand’mère. Parce que saint Pierre tenait son pouvoir de Notre-Seigneur ; par lui-même il ne pouvait rien, il n’était rien ; tandis que Jésus-Christ tenait sa puissance de lui-même, de sa Divinité. Pierre n’était qu’un homme ; Jésus-Christ était Dieu.

Valentine. Et pourquoi Dorcas, étant redevenue vivante, attend-elle pour se lever tout à fait que saint Pierre lui donne la main ?

Grand’mère. Parce que, quoique ressuscitée, elle avait encore besoin de l’aide du saint Apôtre pour se dégager tout à fait de l’engourdissement de la mort.

Ce miracle fit, comme vous le pensez, un grand bruit dans Joppé et amena beaucoup de conversions. Et saint Pierre y demeura plusieurs jours chez un corroyeur chrétien nommé Simon.

Armand. Qu’est-ce que c’est : corroyeur ?

Grand’mère. C’est un homme qui travaille des peaux de bêtes.

Louis. Comment travaille-t-on des peaux de bêtes ? Et quelles bêtes ?

Grand’mère. Toutes espèces de bêtes, dont la peau peut faire du cuir, comme vaches, chevaux, moutons, veaux, chiens même. Quand l’animal dont on veut avoir la peau est mort, on arrache sa peau, et pour qu’elle ne devienne pas sèche, dure et roide, on la saupoudre et on l’arrange dans ce qu’on appelle du tan, qui est l’écorce sèche de différents arbres. En Russie on enterre les peaux avec du tan ou écorce de bouleaux ; c’est ce qui donne au cuir de Russie cette odeur qu’on aime beaucoup en France et qui en Russie est très-dédaignée.

Mais ne nous éloignons pas des Actes des Apôtres, revenons à saint Pierre. Remarquez bien que saint Pierre a été le premier à enseigner et à convertir les Juifs, le premier à recevoir les Gentils, c’est-à-dire les hommes des nations païennes ; le premier à faire des miracles ; le premier à ressusciter un mort, le premier partout. Nous verrons tout à l’heure que c’est également saint Pierre qui, le premier, a reçu dans le sein de l’Église les premiers païens.

Louis. Qu’est-ce que c’est : Païens ?

Grand’mère. On appelle païens les hommes qui ne connaissaient pas le vrai Dieu ; ils adoraient les faux dieux. Les faux dieux des païens étaient des dieux voleurs, ivrognes, gourmands ; les païens adoraient aussi des chiens, des oiseaux, des pierres, des légumes, des fleurs, etc. Il y a encore dans le monde des millions de païens, comme les Chinois, les Indiens, les sauvages.

Henri. Qu’ils sont bêtes, ces pauvres gens !

Grand’mère. Ignorants et malheureux surtout, de ne pas connaître le bon Dieu et de ne pas avoir les consolations de la vraie foi ; saint Pierre et les autres Apôtres en ont converti des milliers.


XXI

VISION DU CENTURION CORNEILLE.



Grand’mère. Il y avait à Césarée un homme nommé Cornélius, ou Corneille, qui était centurion…

Armand. Qu’est-ce que c’est : centurion ?

Grand’mère. Un centurion était un officier qui commandait cent soldats.

Ce Cornélius était donc centurion dans ce qu’on appelait la légion italienne, laquelle faisait partie des armées romaines. Il était religieux et craignant Dieu ; il faisait beaucoup d’aumônes et priait Dieu sans cesse.

Jeanne. Il était donc Chrétien !

Grand’mère. Non, mais il désirait connaître la vérité, et il vivait aussi religieusement que pouvait le faire un honnête païen. Il vit un jour très-distinctement dans une vision miraculeuse…

Louis. Qu’est-ce que c’est : vision ?

Grand’mère. Une vision est une chose merveilleuse, que Dieu vous fait voir et que les autres ne voient pas. Il vit donc un Ange qui vint à lui et qui l’appela par son nom : « Corneille ! » Lui, regarda l’Ange, et saisi d’une respectueuse frayeur, répondit : « Que voulez-vous, Seigneur ? »

« Tes prières, répondit l’Ange, et tes aumônes sont montées vers le Seigneur et lui ont été agréables. — Envoie de suite à Joppé, et fais venir un certain Simon surnommé Pierre. Il est logé chez Simon le corroyeur, dont la maison est près de la mer. C’est lui qui te dira ce que tu dois faire. »

Et lorsque l’Ange qui lui parlait eut disparu, Cornélius appela deux de ses serviteurs et un de ses soldats, païens, mais comme lui craignant Dieu ; et après leur avoir tout raconté, il les envoya à Joppé.

Le lendemain, pendant que les hommes de Cornélius étaient en route et approchaient de la ville, Pierre monta sur le haut de la maison, vers la sixième, heure du jour, c’est-à-dire vers midi, pour prier.

Valentine. Pourquoi montait-il sur le toit pour prier ? C’est un peu drôle cela.

Grand’mère. Les toits des maisons de la Judée n’étaient pas faits comme les nôtres ; ils étaient plats avec une balustrade pour empêcher de tomber, et on les appelait des plates-formes ou terrasses. Dans ce pays si chaud on montait par un escalier intérieur sur la plate-forme après le coucher du soleil et on respirait mieux l’air frais de la nuit. Dans tout l’Orient cela se passe encore ainsi.

Pierre étant donc à prier sur la plate-forme, il eut faim et voulut manger. Pendant qu’on lui préparait son modeste repas, il eut une extase. Je vous ai expliqué l’autre jour ce que c’est qu’une extase.

Henriette. Oui, oui, Grand-mère, nous savons ; n’est-ce pas, Armand, que tu sais ?

Armand hésite, et après avoir vu l’air inquiet d’Henriette, il répond : « Oui, je sais. » Henriette l’embrasse et lui dit tout bas : « Je te l’expliquerai ce soir. » Armand est content ; et grand’mère, qui a vu et entendu, sourit et continue.

Saint Pierre eut donc une extase, c’est-à-dire, il vit des choses qu’on ne voit pas dans l’état ordinaire.

Armand. Ah ! grand’mère explique extase. J’en suis bien content, parce que j’avais un peu oublié.

Grand’mère. Je l’ai expliqué à ton intention, cher petit, pour récompenser ta douceur et ton désir de ne pas contrarier les autres. Henriette aussi a été très-gentille en faisant l’effort de te demander si tu savais.

Dans son extase, saint Pierre vit le Ciel ouvert, et une grande nappe suspendue aux quatre coins, qui descendait du Ciel sur la terre, et où il y avait toutes sortes de bêtes des champs, et des bêtes sauvages, des reptiles et des oiseaux. Et une voix lui dit :

« Lève-toi, Pierre, immole (c’est-à-dire tue) ces animaux et mange. »

Mais Pierre répondit : « Je n’ai garde, Seigneur, car je n’ai jamais rien mangé qui fût impur ou immonde. »

Et la voix lui dit une seconde fois :

« N’appelle pas impur ce que Dieu a purifié. »

Cela fut dit par trois fois, et aussitôt après, la nappe fut remontée dans le Ciel.

Madeleine. Grand’mère, pourquoi saint Pierre n’a-t-il pas voulu manger ?

Grand’mère. Parce qu’il ne voulait pas manger de ces bêtes que la loi Juive interdisait comme immondes. Pierre suivait encore les usages des Juifs pour les choses extérieures, afin de ne pas choquer ceux au milieu desquels il vivait.

Madeleine. Mais puisque c’était le bon Dieu qui les lui envoyait et qui lui disait d’en manger, il me semble qu’il n’y avait plus d’inquiétude à avoir.

Grand’mère. Non, sans doute, mais saint Pierre craignit que ce ne fût une tentation du démon, et comme il avait une très-grande et humble méfiance de lui-même, il préféra s’en tenir à la loi, plutôt que de croire à une vision contraire à cette même loi, et dont il ne comprenait pas encore le sens ; et il aima mieux souffrir de la faim que déplaire au bon Dieu.

Pierre. Mais que signifie cette vision ?

Grand’mère. Elle signifie d’abord, que la loi ancienne étant abolie, il ne fallait plus avoir égard à ces défenses que le bon Dieu lui-même détruisait ; elle signifiait surtout pour saint Pierre que les païens qu’il était défendu jadis aux Juifs de fréquenter, ayant été comme les Juifs rachetés de la puissance du démon par le sang de Notre-Seigneur Jésus-Christ, devaient être instruits et considérés autant que les Juifs, par tous les Chrétiens et par les hommes que Notre-Seigneur avait chargés de faire connaître la vérité. De même qu’à l’avenir les hommes pouvaient manger toutes les bêtes considérées jusqu’alors comme immondes, de même cela signifiait que saint Pierre et les Apôtres, que le chef et les ministres de l’Église, devaient prêcher Jésus-Christ aux païens comme aux Juifs, afin de réunir les deux peuples en un seul, qui serait le peuple chrétien.

Louis. Quelles bêtes a vues saint Pierre ?

Grand’mère. Des pourceaux, des boucs, des lièvres, des lapins, des chiens, des chats, des serpents, des anguilles, des lézards, des grenouilles, des corbeaux, et d’autres bêtes qu’il serait trop long de nommer et dont j’oublie une partie, je dois l’avouer.



XXII

PREMIERS PAÏENS BAPTISÉS PAR SAINT PIERRE.



Grand’mère. Pendant que Pierre hésitait sur ce que signifiait la vision qu’il avait eue, les hommes envoyés par Corneille se présentèrent à la porte, et ayant appelé quelqu’un, ils demandèrent si ce n’était pas là que demeurait Simon, surnommé Pierre.

Or, Pierre réfléchissait à sa vision, et l’Esprit-Saint lui dit intérieurement :

« Voici trois hommes qui te demandent. Lève-toi donc, descends, et n’hésite pas à les suivre, car c’est moi qui les ai envoyés. »

Aussitôt Pierre, descendit vers ces hommes et leur dit :

« Me voici ; je suis celui que vous cherchez ; quelle est la cause pour laquelle vous êtes venus ? » Ils répondirent :

« Corneille, centurion, homme juste et craignant Dieu, selon le témoignage que lui rend toute la nation des Juifs, a été averti par un saint Ange de vous faire venir chez lui et d’écouter ce que vous avez à lui dire. »

Pierre donc les fit entrer et les logea chez lui. Le jour suivant, il partit avec eux, et quelques-uns des frères demeurant à Joppé, au nombre de six, accompagnaient le saint Apôtre. Le jour d’après ils arrivèrent à Césarée.

Élisabeth. Grand’mère, je trouve que c’eût été plus poli à Corneille d’aller lui-même chez saint Pierre, au lieu de le déranger, lui qui était le chef de l’Église.

Grand’mère. Chère enfant, il fallait avant tout obéir exactement à la parole de l’Ange. Corneille respectait la parole de Dieu, quoiqu’il ne fût pas Chrétien ; il devait croire que la volonté de Dieu était que Pierre vînt à lui ; il exécuta l’ordre du Seigneur, et il ne pouvait plus être question de politesse, quand le bon Dieu avait parlé.

Cela signifiait en outre que saint Pierre, et avec lui les autres Apôtres, devaient aller trouver les peuples infidèles, pour les convertir.

Corneille, qui attendait saint Pierre, avait rassemblé ses parents et ses amis. Quand donc Pierre entra, Corneille vint au-devant de lui, et se jetant à ses pieds, l’adora.

Jacques. Comment, l’adora ? On n’adore que Dieu ; on n’adore même pas la Sainte-Vierge.

Grand’mère. C’est très-vrai, cher enfant ; mais le mot adorer veut souvent dire, dans les langues anciennes, se prosterner par respect. Ce n’était donc pas de la part de Corneille l’adoration qu’on ne rend qu’à Dieu seul. Aussi Pierre le releva et lui dit :

« Lève-toi ! moi aussi je ne suis qu’un homme comme tous les autres hommes. »

Et s’entretenant avec Corneille, il entra dans la maison, où il trouva un grand nombre de personnes assemblées. Et il leur dit :

« Vous savez combien il est odieux à un Juif d’aller chez un païen. Mais Dieu m’a appris à n’appeler aucun homme profane et impur. C’est pourquoi, dès que vous m’avez appelé, je suis venu sans hésiter. Je vous demande à présent, pourquoi vous m’avez fait venir. »

Corneille répondit : « Il y a quatre jours qu’étant en prières dans ma maison, un homme vêtu de blanc s’est présenté devant moi et a dit : « Corneille, ta prière est exaucée, et Dieu s’est souvenu de tes aumônes. Envoie donc à Joppé et fais venir Simon surnommé Pierre. Quand il sera venu, il te parlera. » J’ai envoyé vers vous aussitôt, et vous m’avez fait la grâce de venir. Maintenant donc, nous voilà tous devant Dieu et devant vous pour entendre ce que le Seigneur Dieu vous a ordonné de nous dire. »

Alors Pierre ouvrit la bouche et dit :

Henri. Pourquoi dit-on que Pierre ouvrit la bouche ? on sait bien qu’il ne pouvait pas parler la bouche fermée.

Grand’mère. C’est une manière de s’exprimer, pour faire comprendre que sa parole était une chose très-solennelle, comme l’est encore la parole du Pape.

En effet, saint Pierre leur parla longtemps, leur expliquant la vie et la mort de Notre-Seigneur, et comment lui et ses frères les Apôtres étaient chargés de prêcher la parole de Dieu et de faire connaître Jésus-Christ au monde entier.

Quand Pierre eut parlé, l’Esprit-Saint descendit visiblement sur eux tous qui écoutaient la parole de l’Apôtre, et qui étaient frappés d’étonnement et d’admiration. Alors Pierre dit :

« Peut-on refuser l’eau du Baptême à ceux qui ont déjà reçu le Saint-Esprit de même que nous ? »

Et il commanda qu’on les baptisât au nom du Seigneur. Et ils le prièrent de rester quelques jours avec eux.

Jacques. Comment Corneille n’était-il pas encore, baptisé ?

Grand’mère. Parce qu’il ne connaissait pas encore la vérité, et parce que Notre-Seigneur a voulu que ce fût Pierre, premier en tout, qui baptisât le premier païen, le premier homme de guerre romain. C’est Pierre qui lui ouvre la porte du Ciel, et qui commence l’union et la fraternité des Juifs et des peuples appelés Gentils ou païens.

Valentine. Pourquoi les appelait-on Gentils ?

Grand’mère. Les Juifs les appelaient ainsi pour les distinguer du peuple de Dieu. C’est un mot qui veut dire les nations, les peuples. C’est comme les Romains, qui appelaient Barbares tous les peuples qui leur étaient étrangers.


XXIII

SAINT PIERRE BLÂMÉ D’AVOIR BAPTISÉ DES PAÏENS.



Grand’mère. Les Apôtres et les Frères qui étaient dans la Judée apprirent que les Gentils même avaient reçu la parole de Dieu ; lorsque Pierre fut arrivé à Jérusalem, les fidèles, qui trouvaient mauvais qu’il eût baptisé des Gentils, discutaient avec lui, disant : « Pourquoi avez-vous reçu des incirconcis ? »

Armand. Qu’est-ce que c’est : des incirconcis ?

Grand’mère. C’étaient les hommes qui n’étaient pas Juifs de naissance. Tu te souviens que la circoncision était une cérémonie de la loi juive ; elle était la marque distinctive du peuple de Dieu, comme est chez nous le baptême. Ceux qui disputaient avec Pierre voulaient qu’on ne reçût au baptême que les Juifs, et qu’on ne cherchât même pas à convertir les Gentils ou païens.

Mais saint Pierre, qui avait des lumières que quelques autres n’avaient pas, leur raconta sa vision et ce que Dieu lui avait dit. Ensuite il leur exposa comment les choses s’étaient passées avec Corneille, et que c’était le Saint-Esprit qui lui avait ordonné d’y aller. Il résultait des ordres mêmes du Seigneur, que les Gentils étaient appelés à la grâce de la foi et du baptême aussi bien que les Juifs. « Je me suis souvenu, dit Pierre, de cette parole de notre Divin Maître :

« Jean a baptisé dans l’eau ; mais vous, vous serez baptisés dans le Saint-Esprit ! »

« Si donc Dieu a fait aux Gentils la même grâce qu’à nous, les baptisant comme nous dans le Saint-Esprit, qu’étais-je, moi, pour m’opposer à Dieu ? »

Les Apôtres et les disciples, ayant entendu Pierre, s’apaisèrent et glorifièrent Dieu, disant : « Le Seigneur a donc aussi fait part aux autres nations du don de la pénitence, qui donne la vraie vie ! »

Camille. Grand’mère, comment les Apôtres et les disciples ont-ils osé discuter avec saint Pierre, et le blâmer de ce qu’il avait fait, lui qui était reconnu par eux-mêmes comme leur chef, le chef de l’Église établie par Notre-Seigneur ?

Grand’mère. Chère enfant, les Apôtres s’étonnaient de ce qu’avait fait saint Pierre, parce qu’ils ignoraient ce que Dieu lui avait révélé touchant la vocation des Gentils. Quant aux disciples, ils avaient des faiblesses et des jalousies nationales, des préjugés comme tout homme vivant dans ce monde ; ils avaient, en qualité de Juifs, une grande répulsion pour les Infidèles. Ils ne voyaient en eux que des Infidèles, et ils ne comprenaient, pas que. Dieu voulût les admettre à son service avec la même faveur que les Juifs.

Et puis, dès l’origine de l’établissement du christianisme, il y a eu des désobéissants, des révoltés, des disputeurs qui ont blâmé les pasteurs de l’Église sans comprendre ce qu’ils blâmaient. Tu admireras, comme tous les vrais Fidèles, que l’Église de Jésus-Christ ait pu s’étendre et s’établir solidement, malgré tous ces dissentiments intérieurs qui ont dû beaucoup gêner les successeurs de saint Pierre dans leur autorité et dans le gouvernement de l’Église.

Les Apôtres, ayant reconnu que saint Pierre avait bien fait, se dispersèrent parmi les Gentils pour les convertir ; c’était la douzième année depuis l’Ascension. Ils prêchèrent partout la vraie foi, et ils convertirent un grand nombre de Gentils.



XXIV

DISPERSION DES APÔTRES.



Grand’mère. Saint Matthias, saint Jude, saint Simon et saint Matthieu prêchèrent dans différents pays en Asie.

Saint Matthieu alla en Arabie et en Éthiopie ; mais, avant de quitter la Judée, il écrivit, à la prière des Chrétiens de Jérusalem, son Évangile en hébreu : c’était la langue savante des Juifs. L’Évangile de saint Matthieu est celui des quatre Évangiles qui a été écrit le premier.

Saint Barnabé, qui, sans être des douze, est considéré comme Apôtre, alla en Asie, dans la Grande-Arménie.

Saint Thomas alla chez les Parthes et jusque dans les Indes, en Asie.

Saint Philippe prêcha dans la haute Asie, au delà des Indes, et mourut en Phrygie.

Saint André alla chez les Scythes, d’où il passa en Grèce.

Saint Jacques le Mineur, fils d’Alphée et cousin germain de Notre-Seigneur, resta à Jérusalem, dont il avait été nommé Évêque.

Saint Jean prêcha dans l’Asie-Mineure. Quelques auteurs ont pensé qu’il avait emmené avec lui la très-sainte Vierge dans toutes ses courses apostoliques ; mais il paraît plus probable que, ne voulant pas exposer cette sainte Mère aux fatigues de si longs voyages, il la laissa longtemps à Jérusalem. Elle-même aimait à y rester, afin de ne pas s’éloigner du lieu où avait souffert, où était mort son Divin Fils. Elle parcourait souvent, dit-on, la Voie douloureuse qu’avait suivie Notre-Seigneur en portant sa croix et en montant au Calvaire, où devait s’achever l’œuvre de la Rédemption ou salut des hommes.

Madeleine. Je croyais que la Sainte-Vierge était morte à Éphèse.

Grand’mère. Il paraît tout à fait certain que la Sainte-Vierge est allée à Éphèse, et y a même séjourné assez longtemps. Une tradition, également certaine et fort ancienne, dit que la Sainte-Vierge mourut à Jérusalem, entourée des douze Apôtres, qui avaient été miraculeusement avertis de sa mort prochaine. Il est de foi dans l’Église, qu’après avoir été mise dans un sépulcre au jardin de Gethsémani, appelé jardin ou montagne des Oliviers, la Sainte-Vierge fut ressuscitée par son Divin Fils et transportée au Ciel en corps et en âme. Et c’est ce qui fait que personne n’a jamais trouvé de trace de son corps, et que son tombeau fut trouvé vide quand on l’ouvrit deux ou trois jours après sa mort.

Quant à saint Pierre, dont je vous raconterai la vie après avoir fini les Actes des Apôtres, il établit d’abord, cinq ans après la mort de Notre-Seigneur, l’Église d’Antioche, dont il fut le premier Évêque. Ensuite il vint à Rome, l’an 42 de Jésus-Christ, y prêcha l’Évangile, douze ans après la mort de Notre-Seigneur, et en fut le premier Évêque.

Ces deux Épiscopats ou Évêchés de saint Pierre sont restés célèbres dès les premiers temps de l’Église ; on les fête encore sous le nom de Chaire de saint Pierre à Antioche, et Chaire de saint Pierre à Rome.

Pierre. Combien de temps saint Pierre est-il resté Évêque d’Antioche ?

Grand’mère. On croit généralement qu’il resta sept ans Évêque d’Antioche et vingt-cinq ans Évêque de Rome. Il fut martyrisé à Rome, trente-sept ans après la Résurrection de Notre-Seigneur. Cela ne veut pas dire qu’il resta à Antioche sept ans et à Rome vingt-cinq ans sans en sortir. On voit par ses Épîtres…

Armand. Qu’est-ce que c’est : Épître ?

Grand’mère. Une Épître, c’est une lettre. On voit donc par ses Épîtres que saint Pierre a quitté Antioche et Rome plusieurs fois pour aller prêcher dans des pays éloignés jusqu’en Asie-Mineure et jusqu’à Jérusalem, comme nous le verrons un peu plus loin.

Louis. Grand’mère, qu’est-ce que c’est que tous ces pays dont vous parlez ? Je ne les connais pas.

Grand’mère. Tu les connaîtras, cher petit, quand tu seras un peu plus grand, quand tu apprendras la géographie ancienne.

Louis. Qu’est-ce que c’est : la Géographie ?

Grand’mère. C’est l’étude de tous les pays de la terre.

Quand nous aurons fini les Actes des Apôtres et l’histoire de saint Pierre, je vous raconterai aussi l’histoire de saint Paul.

Jeanne. Qui est-ce, saint Paul ?

Grand’mère. J’allais vous le dire. Saint Paul était ce même Saül, ce disciple si zélé et si particulièrement protégé de Dieu ; il fut nommé Paul depuis la conversion d’un consul romain nommé Paulius. Ce consul aimait tendrement saint Paul, et selon un usage romain, il changea de nom avec lui en signe d’amitié. Saint Paul fut le principal aide et ami de saint Pierre pour répandre la foi et faire connaître Notre-Seigneur. Saint Luc, celui qui a écrit l’Évangile et les Actes des Apôtres, le suivit dans tous ses voyages et fut son compagnon fidèle jusqu’à la fin ; c’est pourquoi, dans la dernière partie des Actes des Apôtres, il parle de saint Paul beaucoup plus que de saint Pierre. »


XXV

SAINT PIERRE, ENCHAÎNÉ, EST DÉLIVRÉ PAR UN ANGE.
PUNITION D’HÉRODE.



Grand’mère. Il y avait un fervent Disciple nommé Barnabé, qui prêcha et convertit beaucoup de monde dans plusieurs contrées ; ensuite il vint chercher saint Paul à Tarse, et tous deux allèrent passer un an à Antioche.

Or, en ce temps, un Prophète nommé Agabus, inspiré du Saint-Esprit, vint dans cette même ville ; il prédit qu’il y aurait une grande famine par toute la terre ; les Disciples de différents pays qui crurent en cette prophétie résolurent d’envoyer d’avance des aumônes, selon leur pouvoir, à leurs Frères de Judée qui étaient pauvres. Ils le firent en effet et envoyèrent leurs aumônes à Paul et à Barnabé.

Henriette. Est-ce que la famine est arrivée ?

Grand’mère. Oui certainement, à l’époque indiquée par Agabus, sous le règne de l’Empereur Claude, successeur de l’Empereur Tibère. C’était sous le règne de Tibère que fut crucifié Notre-Seigneur. Cette famine dura deux ans, pendant lesquels les aumônes des Chrétiens riches secoururent une foule de leurs Frères pauvres et les empêchèrent de mourir de faim.

Pendant que saint Barnabé et saint Paul étaient à Jérusalem, arriva le martyre de saint Jacques le Majeur, et l’emprisonnement de saint Pierre ; voici comment.

Il y avait eu en Judée plusieurs changements de gouverneurs. Pilate, sur une accusation d’infidélité, fut obligé d’aller se justifier à Rome ; mais au lieu de l’écouter, on l’envoya en exil. Caïphe le Grand-Prêtre fut aussi destitué et renvoyé.

Jacques. C’est bien fait ! ces lâches.

Louis. Combien de temps après la mort de Notre-Seigneur ?

Grand’mère. Deux ans à peine. Le châtiment ne s’est pas fait attendre. Ce fut la première punition que leur envoya le bon Dieu pour leur infâme jugement. Hérode-Agrippa fut jeté en prison par l’Empereur Tibère. Caligula, le successeur de Tibère, fit sortir de prison cet Hérode-Agrippa, lui donna une chaîne d’or aussi lourde que les chaînes de fer qu’il avait portées et le nomma Roi de Judée.

Hérode-Agrippa, en arrivant à Jérusalem, chercha à gagner la faveur des Juifs. Connaissant leur haine contre les Chrétiens, il commença une nouvelle persécution, et fit couper la tête à L’Apôtre saint Jacques, frère de Jean.

L’historien Eusèbe raconte que l’homme qui avait dénoncé saint Jacques fut si frappé de son courage et de sa constance, qu’il se fit Chrétien lui-même. Il fut condamné immédiatement à avoir la tête tranchée avec saint Jacques.

Quand on le conduisit au lieu du supplice, avec le saint Apôtre, il lui demanda pardon de l’avoir livré à ses bourreaux. L’Apôtre, s’étant arrêté un instant, se tourna vers lui et lui dit en l’embrassant : « La paix soit avec toi. »

Jacques. C’est très-beau à saint Jacques d’avoir pardonné et béni son ennemi !

Grand’mère. Saint Jacques ne voyait plus en cet homme qu’un frère repentant. Il fit comme son Divin Maître. Il bénit l’auteur de sa mort. C’est ainsi que doit agir un vrai Chrétien.

Hérode, voyant que ces condamnations plaisaient aux Juifs, fit encore arrêter saint Pierre. Il le fit mettre en prison et le fit garder par quatre bandes de soldats, de quatre hommes chacune, de peur qu’il ne fût délivré par ses frères. Il voulait le faire mourir en présence de tout le peuple après les fêtes de Pâques, qui devaient se célébrer dans peu de jours.

Saint Pierre était donc gardé en prison et on ne permettait à personne d’en approcher ; mais l’Église entière, c’est-à-dire, tous les Chrétiens, priaient pour lui.

La nuit qui précédait son supplice, Pierre dormait entre deux soldats, lié à eux par deux chaînes. Les autres soldats faisaient la garde à la porte. Et voilà qu’un Ange du Seigneur parut, et une vive lumière éclaira la prison. Et touchant
St Pierre en prison
légèrement saint Pierre, il le réveilla et lui dit : « Lève-toi promptement. » Les chaînes de Pierre tombèrent de ses mains. El l’Ange lui dit : « Mets ta ceinture et attache tes sandales. » Pierre fit comme il lui était commandé. L’Ange ajouta : « Prends ton vêtement et suis-moi. »

Pierre sortant, le suivit, et il ne savait pas que ce qui se faisait fût réel, car il croyait que tout cela n’était qu’un rêve.

Quand ils eurent passé au milieu de la première et de la seconde garde, ils vinrent à la porte de fer de la prison, qui conduisait à la ville ; elle s’ouvrit d’elle-même devant eux. Étant sortis, ils s’avancèrent jusqu’au bout de la rue. Et l’Ange le quitta.

Alors Pierre revint tout à fait à lui ; et il dit : « C’est à présent que je vois que le Seigneur a envoyé son Ange, et qu’il m’a délivré des mains d’Hérode et du peuple Juif. »

Réfléchissant où il irait, il vint à la maison de Marie, mère de saint Marc, Évangéliste, où un grand nombre de fidèles étaient assemblés et priaient.

Comme il frappait à la porte, une fille nommée Rhode ou Rose vint pour écouter et savoir qui frappait. Ayant reconnu la voix de saint Pierre, elle en eut une si grande joie, qu’au lieu de lui ouvrir, elle courut dire dans toute la maison que Pierre était à la porte.

Marie-Thérèse. Comment ! elle le laisse à la porte ?

Grand’mère. La joie et l’étonnement lui avaient fait perdre la tête, ou plutôt le bonheur d’annoncer de suite une si grande nouvelle lui avait fait oublier que saint Pierre attendait à la porte.

On lui répondit : « Tu as perdu l’esprit. »

Elle, au contraire, assurait que c’était bien lui. À quoi ils répondaient : « C’est son Ange. »

Cependant Pierre continuait à frapper. Lorsqu’ils eurent enfin ouvert, ils le virent, et furent stupéfaits. Mais lui, leur faisant signe de la main de se taire, raconta comment le Seigneur l’avait tiré de prison. Il ajouta : « Faites savoir ceci à Jacques et aux frères. » Et sortant, il s’en alla dans un autre lieu.

Louis. Il a bien fait ce pauvre saint Pierre. Des gens qui le laissaient frapper à la porte, sans lui ouvrir, ne méritaient pas de l’avoir chez eux.

Grand’mère. Ce n’est pas pour les punir, cher enfant, que saint Pierre s’est retiré ; c’était pour ne pas attirer sur eux les persécutions dans le cas où on aurait su qu’il était dans cette maison. Par une prudente charité, il ne voulut pas les exposer à ce danger.

Cependant lorsqu’il fît jour, les soldats chargés de la garde de saint Pierre furent dans un grand trouble et une grande frayeur quand ils virent que leur prisonnier avait disparu. On le chercha partout sans pouvoir le trouver. Hérode, ayant appris ce qui était arrivé, fit donner la question aux gardes…

Marie-Thérèse. Qu’est-ce que c’est : la question ?

Grand’mère. C’est faire souffrir des tortures affreuses aux gens auxquels on veut faire dire quelque chose.

Valentine. Quelles tortures fait-on souffrir ?

Grand’mère. Le fouet, le feu ; on brûle les pieds, les membres ; on pince les chairs avec des tenailles ; on arrache les ongles ; on déchire le corps avec des peignes de fer ; et bien d’autres supplices qu’inventait la méchanceté des hommes.

Je disais donc qu’Hérode fit donner la question aux pauvres soldats, qu’il soupçonnait d’avoir aidé à la fuite de saint Pierre ; n’ayant pu en obtenir aucun renseignement, il leur fit couper la tête.

Louis. Cet Hérode est horriblement méchant ; j’espère que le bon Dieu l’a puni.

Grand’mère. Oui, la punition l’atteignit à son tour. « Un jour qu’il célébrait des jeux publics et qu’il avait ordonné de grandes réjouissances pour fêter le rétablissement de l’Empereur Claude, il voulut recevoir les ambassadeurs des Tyriens et des Sidoniens, auxquels il voulait faire la guerre et qui lui envoyaient une ambassade pour avoir la paix. »

Hérode fit dire aux ambassadeurs qu’il les recevrait au théâtre, le second jour des fêtes ; il arriva, vêtu d’une robe royale, toute d’argent, que le soleil faisait briller d’un éclat éblouissant. Et s’étant assis sur son trône, il fit un grand discours savant. Le peuple l’admirait et s’écriait pour le flatter : « C’est la voix d’un Dieu et non d’un homme. »

Mais au même instant, le Seigneur le frappa d’une affreuse maladie. Tout son corps fut rempli de vers qui le dévoraient. Hérode poussait des cris lamentables ; on l’emporta ; les médecins employèrent tous les remèdes possibles sans pouvoir le guérir, ni même le soulager. Il mourut en peu de temps, dévoré tout vivant par les vers. Après sa mort, la Judée devint province romaine, et eut un gouverneur romain.



XXVI

PUNITION DU FAUX PROPHÈTE ÉLYMAS.



Grand’mère. Quelque temps après, Barnabé et Paul, ayant terminé leur mission, retournèrent à Antioche.

Depuis ce temps, saint Luc, qui ne cessa de suivre saint Paul, ne parle presque plus de saint Pierre. Quand j’aurai fini de vous raconter les Actes des Apôtres, je continuerai l’histoire de saint Pierre et celle de saint Paul que saint Luc n’a pas finie.

Marie-Thérèse. Pourquoi ne l’a-t-il pas finie ?

Grand’mère. On ne le sait pas, mais on croit que saint Luc n’a pas continué son livre des Actes des Apôtres, à cause de ses voyages continuels, et qu’il mourut sans avoir eu le temps de l’achever.

Le Saint-Esprit donna ordre à saint Paul et à Barnabé de se séparer de saint Pierre et des autres Apôtres, d’aller dans un pays appelé la Séleucide et ensuite dans l’île de Chypre. Ils obéirent, se séparèrent de saint Pierre et des Apôtres, et partirent immédiatement comme le Seigneur le leur avait ordonné. Ils parcoururent tous ces pays, prêchant l’Évangile et convertissant.

Après avoir parcouru toute l’île de Chypre jusqu’à Paphos, ils y trouvèrent un certain Juif, faux prophète…

Valentine. Comment faux prophète ? Comment était-il faux prophète ?

Grand’mère. En faisant semblant d’être inspiré du Saint-Esprit, en faisant de fausses prophéties, en vivant publiquement comme un Saint de Dieu, ne mangeant ni ne buvant, et menant en cachette la vie d’un homme gourmand, avare, gardant pour lui-même l’argent qu’on lui donnait pour de bonnes œuvres.

Ce faux prophète s’appelait Bar-Jésus ou Élymas. Il était magicien, c’est-à-dire vendu au démon, qui l’aidait à tromper tout le monde. Cet Élymas avait beaucoup d’empire sur le proconsul ou gouverneur romain, nommé Sergius-Paulus, homme juste, honnête, et qui aimait à entendre la parole de Dieu. On lui avait parlé des Apôtres, il les connaissait et il aimait à les entendre.

Élymas cherchait de tout son pouvoir à détruire le bien que Paul et Barnabé faisaient au proconsul et à ceux qui les entendaient. Mais un jour, saint Paul, le regardant, lui dit :

« Ô toi, plein de malice et de mensonge, fils du diable, ennemi de toute justice, ne cesseras-tu pas d’empêcher les hommes de bien de connaître la vérité, qu’ils aiment et qu’ils veulent pratiquer ! La main du Seigneur est sur toi. Tu seras aveugle pendant un temps et tu ne verras pas le soleil. »

Et tout à coup, Élymas se trouva dans l’obscurité, ne voyant plus, quoiqu’il fît grand jour. Il allait à droite et à gauche, cherchant quelqu’un qui lui donnât la main pour le conduire. Le proconsul, voyant ce miracle que venait de faire saint Paul, crut en Notre-Seigneur Jésus-Christ. C’est en souvenir de cette conversion du proconsul Paulus que Saül changea son nom en celui de Paul.

Henri. Combien de temps Élymas est-il resté aveugle ?

Grand’mère. Les Actes des Apôtres ne le disent pas ; probablement quelques mois ou quelques années, jusqu’à ce qu’il se fût repenti de sa vie passée, qu’il eût rompu avec le démon, et qu’il fût devenu meilleur.

Madeleine. Grand’mère, est-ce que saint Paul n’a pas manqué de charité, en traitant si sévèrement Élymas ?

Grand’mère. Non, mon enfant ; la charité ne consiste pas à être indulgent pour le mal. Saint Paul a traité Élymas comme Notre-Seigneur a traité les Pharisiens. La charité qui voit le mal sans le blâmer n’est plus de la charité ; c’est de l’indifférence, ou bien de la faiblesse, quelquefois même de la trahison.


XXVII

LES APÔTRES CHASSÉS D’ICONIUM.



Grand’mère. Paul et ceux qui étaient avec lui s’embarquèrent pour aller à Pergès, ville de l’Asie-Mineure, d’une province qui s’appelait la Pamphylie. Les chefs de la synagogue, sachant que saint Paul était arrivé, lui envoyèrent demander de leur prêcher la parole de Dieu. Saint Paul vint donc, et prêcha très-longuement devant les Juifs de ce pays ; il leur parla des prophéties, de la venue de Notre-Seigneur, de sa mort, de sa Résurrection prédites par les Prophètes. Le peuple L’écouta avec admiration, et tous lui demandèrent de continuer sa prédication le sabbat suivant.

Après l’assemblée, beaucoup de Juifs et d’autres suivirent Paul et Barnabé, qui, leur parlant encore, les exhortèrent à persévérer dans la vérité et dans la foi de la loi juive.

Les Rabbins, c’est-à-dire les Docteurs, voyant cette foule vivement émue des paroles de saint Paul, se mirent à le contredire, et cela aux applaudissements du peuple. Alors saint Paul leur répliqua avec hardiesse :

« D’après l’ordre de Dieu, il fallait que sa parole vous fût annoncée d’abord ; mais, puisque vous la rejetez, que vous ne voulez pas y croire, nous allons vous laisser dans votre ignorance, et nous enseignerons chez les Gentils. »

Les Gentils auxquels prêchèrent les Apôtres reçurent, au contraire, leurs paroles avec joie, et il y eut beaucoup de conversions dans toute la contrée. Les Juifs qui étaient restés incrédules, ayant vu ce grand nombre de conversions parmi les Gentils, en furent très-irrités ; ils imaginèrent d’exciter contre les Apôtres les femmes dévotes juives ; elles se réunirent, ameutèrent le peuple, et on chassa du pays les Apôtres et leurs disciples.

Henriette. Quelles mauvaises femmes !

Grand’mère. Les femmes dévotes sont très-dangereuses quand elles ne sont pas très-bonnes ; elles s’occupent avec passion de choses qui ne les regardent pas, et, sous prétexte de zèle religieux, elles font souvent beaucoup de mal.

Les Apôtres quittèrent Pergès en secouant la poussière de leurs pieds.

Valentine. Pourquoi secouaient-ils la poussière ?

Grand’mère. Pour témoigner qu’ils ne voulaient plus rien avoir de ces mauvais Juifs, pas même la poussière de leur ville.

Saint Paul et ses compagnons allèrent ensuite à Iconium.

Louis. Où est Iconium, Grand’mère ?

Grand’mère. C’était une ville de l’Asie-Mineure, en Phrygie, près de la Cilicie. Ils entrèrent ensemble dans la synagogue, et parlèrent si bien qu’un grand nombre de Juifs et de Gentils crurent en Notre-Seigneur.

Là aussi, comme à Pergès, les Juifs restés incrédules excitèrent une émeute contre les deux Apôtres. Pourtant ils ne réussirent pas à les faire partir. Paul et Barnabé continuèrent, malgré les émeutiers, à prêcher hardiment en public, faisant des miracles.

Le peuple d’Iconium se divisa et forma deux partis : les uns étaient pour les Juifs, les autres pour les Apôtres. Jésus-Christ avait dit jadis à ses Apôtres : « Je n’apporte pas la paix, mais la guerre. »

Jeanne. Pourquoi n’apportait-il pas la paix ? c’est bien plus agréable !

Grand’mère. Oui, certainement, chère petite ; mais pour que tous les hommes vécussent en paix, il faudrait qu’ils fussent tous du même avis, tous bons, aimant Dieu, le servant comme il veut être servi, s’aimant tous comme des frères.


Armand. Certainement, ce serait bien mieux. Moi, je veux bien aimer tout le monde.

Grand’mère. Oui, mon petit ; mais tout le monde ne ferait pas comme toi, et on se disputerait, parce que l’esprit du mal règne dans le monde, et parce qu’il y a eu depuis Adam, et il y aura jusqu’à la fin du monde, beaucoup plus de mauvais que de bons. Or, il y est impossible que les bons vivent en paix avec les mauvais ; ils ne sont jamais du même avis : le bon aime le bon Dieu et cherche à lui plaire ; le méchant l’oublie et l’offense du matin au soir ; le bon aime ses semblables, il cherche à les rendre heureux, à soulager leurs misères ; le méchant, toujours égoïste, opprime les faibles, les laisse souffrir sans y penser, ne les aime que pour lui-même, pour en tirer quelques services. Comment veux-tu qu’on s’accorde avec des sentiments si opposés ?

Maintenant, comme du temps des Apôtres, l’esprit du mal, c’est-à-dire le démon, cherche à détruire tout ce qui est bon et chrétien ; il cherche à détruire l’Église de Jésus-Christ ; il voudrait se débarrasser de tous les serviteurs de Dieu, qui défendent l’Église, à commencer par le Pape. Les bons, aidés de Dieu, leur résistent et leur résisteront toujours. Mais les méchants attaqueront toujours, et leur feront toujours le plus de mal qu’ils pourront. Voilà dans quel sens Notre-Seigneur et son Église, bien que très-bons, apportent sur la terre, non la paix, mais la guerre. C’est la guerre du bien contre le mal. Il y avait donc une division complète entre les mauvais Juifs d’Iconium, qui cherchaient à faire renvoyer les Apôtres, et les bons, qui chassaient les émeutiers et qui aimaient saint Paul.

Armand. Qu’est-ce que c’est : émeutiers ?

Grand’mère. Les émeutiers sont des gens qui font du désordre, qui se rassemblent pour crier, injurier, tuer même, s’ils sont les plus forts.

Les deux Apôtres apprirent que les mauvais Juifs, les Gentils et leurs chefs s’apprêtaient à se jeter sur eux et sur les nouveaux Chrétiens pour les lapider ; ils s’enfuirent donc à Lystra, puis à Derbe, villes de Lycaonie, toujours en Asie Mineure. Et ils restèrent là, prêchant, comme toujours, la foi et le Saint Évangile.

Élisabeth. Quelle vie terrible menaient ces pauvres Apôtres !

Grand’mère. Terrible, en effet, pour la nature humaine, qui n’aime ni les persécutions, ni les fatigues, ni les dangers, ni les insultes, ni la pauvreté, ni les humiliations, ni les souffrances. Mais ils souffraient tout cela avec ferveur pour l’amour de Notre-Seigneur Jésus-Christ, et pour l’amour des pauvres âmes qu’ils sauvaient aux dépens de leur repos et de leur vie. C’est ce qu’ont fait et ce que font encore aujourd’hui nos Évêques et nos Prêtres Missionnaires ; ils éclairent et ils sauvent le monde, et bien souvent ils meurent comme les Apôtres, martyrs de Jésus-Christ.



XXVIII

LE PEUPLE VEUT SACRIFIER DES TAUREAUX À PAUL ET À BARNABÉ, COMME À DES DIEUX.



Grand’mère. Il y avait à Lystra un homme perclus des pieds, boiteux dès sa naissance, et qui n’avait jamais pu marcher ; il se tenait accroupi par terre. Il entendit prêcher saint Paul. Paul, le regardant, et voyant qu’il avait la foi, lui dit d’une voix forte :

« Lève-toi droit sur tes pieds ! »

Aussitôt l’estropié se leva, et il marchait comme les autres hommes.

La foule, ayant vu ce qu’avait fait saint Paul, se mit à dire : « Des dieux, sous la figure d’hommes, sont descendus parmi nous. » Ils appelaient Barnabé, Jupiter, et Paul, Mercure, parce que c’était lui qui parlait.

Armand. Qu’est-ce que c’est : Jupiter et Mercure ?

Grand’mère. Jupiter était le Roi des dieux des païens ; le dieu le plus puissant de tous leurs dieux. Mercure était un autre dieu, moins puissant ; il portait les messages, c’est-à-dire les commissions des dieux ; c’est pourquoi on le représente toujours avec des ailes aux pieds, pour se transporter plus vite d’un endroit à l’autre.

Henriette. Est-ce que c’est vrai, Grand’mère, qu’il y avait des dieux comme cela ?

Grand’mère. Non, mon enfant. Les faux dieux qu’adoraient les païens étaient des démons plus ou moins puissants, qui trompaient les hommes, qui se faisaient rendre un culte comme s’ils étaient le vrai Dieu ; ils avaient partout des temples, des autels, des prêtres et des adorateurs. Il ne faut pas s’étonner que des dieux pareils fussent méchants, voleurs, querelleurs, mauvais sujets, comme l’étaient tous les dieux du monde païen. Mais ces pauvres païens ne connaissaient pas le vrai Dieu, notre Dieu infiniment bon, infiniment juste, infiniment puissant, infiniment parfait.

Et pourtant ils sentaient qu’il devait y en avoir un. C’est pourquoi ils furent si contents d’entendre saint Paul et saint Barnabé leur expliquer si bien le vrai Dieu, qu’ils cherchaient sans l’avoir encore trouvé.

Un de leurs prêtres, qui était près de la ville, amena des taureaux à saint Paul et à saint Barnabé, pour les leur offrir en sacrifice. Ce que voyant, Paul et Barnabé s’élancèrent dans la foule, criant :

« Mes frères, que faites-vous là ? Nous sommes des hommes, mortels comme vous, des hommes semblables à vous ; nous sommes venus vous faire connaître le vrai, le seul Dieu, qui a créé le ciel et la terre et tout ce qui est dans le monde. C’est lui qui fait mûrir vos moissons, pousser vos arbres, qui vous donne tous les biens de la terre. »

Malgré tout ce que disaient Paul et Barnabé, ils avaient bien de la peine à empêcher le peuple de leur sacrifier comme à des dieux.
St Paul guérissant les malades

Pendant ce temps, quelques Juifs d’Antioche et d’Iconium arrivèrent à Lystra ; ils ameutèrent le peuple contre les Apôtres ; ils saisirent le pauvre saint Paul, le lapidèrent et le traînèrent hors de la ville, le croyant mort.

Les Disciples entourèrent son corps. Aussitôt Paul se leva et rentra avec eux dans la ville.

Élisabeth. Est-ce que saint Paul est ressuscité, ou bien n’était-il pas mort tout de bon ?

Grand’mère. On n’en dit rien. Il est probable que saint Paul n’était qu’évanoui. Saint Luc, écrivant ce livre, n’aurait pas gardé le silence sur la résurrection du grand Apôtre. Un si grand miracle eût été aussi surprenant que la résurrection de Lazare par Notre-Seigneur.

Mais ce qui est surnaturel et tout à fait miraculeux, c’est que saint Paul se trouva subitement guéri après un supplice si affreux.


XXIX

ON CHOISIT DES ANCIENS.



Grand’mère. Le jour suivant, saint Paul et saint Barnabé partirent pour la ville de Derbe. Ayant prêché et converti beaucoup de gens, ils revinrent à Lystra, à Iconium et à Antioche. Saint Paul raconta le martyr qu’il avait subi à Lystra, enseigna et prêcha encore quelque temps dans chacune de ces villes ; il y établit des Anciens.

Marie-Thérèse. Qu’est-ce que c’est : des Anciens ?

Grand’mère. C’étaient des Chrétiens pieux, plus sages et plus éclairés que les autres ; ils formaient un Conseil ; ils étaient comme des Juges. Là où il n’y avait pas encore de prêtres, on s’adressait à eux quand on était embarrassé sur ce qu’on devait faire pour tout ce qui regardait la conduite religieuse.

Marie-Thérèse. Sur quoi, par exemple ?

Grand’mère. Par exemple, s’il y avait une persécution, les nouveaux Chrétiens pouvaient ne pas savoir s’il était permis de se cacher, de s’enfuir ; ou bien s’il valait mieux se dénoncer soi-même, pour être martyrisé ; ou bien encore si l’on pouvait, en conscience, continuer à faire semblant d’être païens, pour ne pas attirer la persécution sur soi et sur sa famille. Dans toutes ces difficultés ils allaient consulter les Anciens, qui leur disaient ce qu’ils devaient faire.

Les Apôtres saint Paul et saint Barnabé partirent encore pour parcourir plusieurs villes et provinces de l’Asie-Mineure ; ils vinrent ensuite à Antioche, où ils racontèrent aux frères, c’est-à-dire aux Chrétiens (car tous les Chrétiens vivaient entre eux comme des frères dans cet heureux temps de vraie charité), ils racontèrent donc à leurs frères tout ce qu’ils avaient fait depuis leur départ. Ils demeurèrent à Antioche assez longtemps.



XXX

DISPUTE ENTRE LES JUIFS ET LES PAÏENS CONVERTIS.
LES APÔTRES PRENNENT S. PIERRE POUR JUGE.



Grand’mère. Quelque temps après, Paul et Barnabé discutèrent vivement avec des Juifs convertis venus de Judée, qui prétendaient que, pour être chrétien, il ne suffisait pas d’être baptisé, il fallait encore être circoncis comme l’étaient tous les Juifs.

Plusieurs disciples juifs qui avaient conservé l’orgueil de leur nation…

Jacques. Pourquoi étaient-ils orgueilleux ? Il n’y avait pas de quoi pourtant.

Grand’mère. Ils se croyaient la nation la plus favorisée du monde et ils l’avaient été réellement, puisque leur nation avait été choisie entre toutes pour donner au monde le Messie. Si les Juifs sont tombés si bas, c’est qu’ils ont méconnu et crucifié le Messie.

Quoi qu’il en soit, ces Juifs venus de la Judée voulaient que tous les Chrétiens fussent circoncis ; et les nouveaux baptisés ne le voulaient pas.

Henriette. Pourquoi cela ? Qu’est-ce que cela leur faisait ?

Grand’mère. Parce qu’étant baptisés, étant parfaitement chrétiens, ils jugeaient inutile de mêler une cérémonie juive à une cérémonie chrétienne. D’ailleurs, ils n’avaient pas grande confiance dans des hommes qui leur disaient le contraire de ce que leur avaient enseigné Paul et Barnabé.

Saint Paul et saint Barnabé approuvaient et soutenaient vivement leurs disciples, ne voulant pas imposer aux païens convertis une cérémonie inutile et pour laquelle ils témoignaient de la répugnance.

Jacques. C’est très-bien à saint Paul et à saint Barnabé ; j’aime bien mieux cela ; ils avaient raison et ils ne devaient pas céder ! Des mauvaises gens qui ne savent rien et qui veulent faire les maîtres !

Grand’mère, souriant. Tu as bien vite tranché la question, toi. Il paraît qu’elle n’était pas si facile puisque saint Paul et saint Barnabé n’ont pas pu les convaincre.

Élisabeth. Mais pourquoi ne demandaient-ils pas à saint Pierre ? Ils auraient été bien vite d’accord, puisqu’il était leur maître à tous.

Grand’mère. C’est précisément ce qu’ils ont fait plus tard. Après s’être bien disputés, personne ne croyant devoir céder, on résolut de soumettre la question à saint Pierre. Il fut décidé que ce serait saint Paul, saint Barnabé et quelques autres qui iraient à Jérusalem.

Quand ils arrivèrent, ils furent reçus avec une grande joie par Pierre et par tous les Chrétiens. Quand Paul et Barnabé rendirent compte de leurs voyages dans les villes de l’Asie-Mineure, et qu’ils parlèrent du sujet principal de leur retour, quelques Pharisiens convertis à la foi de Notre-Seigneur, se levèrent, disant qu’il fallait que les infidèles fussent circoncis et qu’on devait leur imposer de garder toutes les cérémonies de la loi de Moïse.

Les Apôtres et les Anciens se rassemblèrent pour se consulter sur cette question.

Camille. Grand’mère, je trouve que les Pharisiens ont été bien peu respectueux pour saint Pierre ; ils devaient attendre ses ordres, avant de décider eux-mêmes une question si difficile.

Grand’mère. Sans doute, chère petite ; l’esprit pharisaïque, qui est tout orgueil, ne les avait pas entièrement quittés à ce qu’il paraît. Ils auraient dû, comme tu le juges fort bien, attendre respectueusement l’avis de saint Pierre et ne pas donner le leur avant qu’on le leur eût demandé.

Leurs paroles donnèrent lieu à une vive discussion. Pierre alors se leva, et leur parla à peu près ainsi :

« Mes Frères, vous savez que le Seigneur m’a choisi pour parler le premier aux Gentils, afin que par ma bouche, ils puissent entendre la parole de Dieu, et connaître Notre-Seigneur Jésus. Ils ont cru en lui, et Dieu, qui connaît les cœurs, les a reçus parmi les siens, en leur envoyant l’Esprit-Saint comme à nous. Il n’a fait aucune différence entre eux et nous, purifiant leurs cœurs par la foi.

« Pourquoi donc voulez-vous faire ce que Dieu n’a pas fait ? Pourquoi voulez-vous leur imposer une cérémonie qu’il n’a pas ordonnée ? Nous croyons nous autres, que nous serons sauvés et eux aussi, par la grâce de Notre-Seigneur Jésus-Christ. »

Quand Pierre eut parlé, toute la multitude se tut.

Pierre. À la bonne heure ! Voilà de la vraie obéissance.

Grand’mère. Sans doute ; c’est ainsi qu’ont toujours fait depuis et que feront toujours les vrais catholiques. Dès que le souverain Pontife a décidé une question, ils se soumettent respectueusement ; ils croient, et tout est fini.

Les fidèles assemblés écoutaient Paul et Barnabé qui racontaient combien de prodiges Dieu avait faits par leurs mains parmi les Gentils.

Saint Jacques parla ensuite et termina en disant que son avis était celui de saint Pierre, qu’il ne fallait pas inquiéter et repousser ceux des Gentils qui se tournaient vers le Seigneur et qui croyaient en lui. Mais qu’il fallait leur écrire qu’ils devaient persévérer dans la foi, et s’abstenir de tout péché.

Alors les Apôtres et les Anciens décidèrent qu’on choisirait quelques disciples et qu’on les enverrait avec Paul et Barnabé à Antioche ; qu’on écrirait, au nom des Apôtres et des Anciens, une lettre pour les rassurer et les affermir dans la foi. Qu’on ne leur imposerait aucune chose inutile, qu’on ne leur ferait faire que les choses nécessaires, comme de s’abstenir de toute mauvaise action, de ne pas manger des mets consacrés aux idoles. Saint Pierre et les Apôtres ayant approuvé ce que disait Jacques, on écrivit la lettre et les envoyés partirent ; étant arrivés à Antioche, ils assemblèrent les nouveaux Chrétiens, et leur remirent la lettre. L’ayant lue, ils se réjouirent beaucoup. Les envoyés des Apôtres leur parlèrent et les fortifièrent par leurs bonnes paroles.

Ces disciples restèrent quelque temps à Antioche ; ils revinrent ensuite à Jérusalem auprès de saint Pierre.



XXXI

PAUL ET BARNABÉ SE SÉPARENT.



Grand’mère. Paul et Barnabé demeurèrent à Antioche, enseignant et convertissant. Mais quelques jours après le départ des envoyés, Paul dit à Barnabé :

« Retournons visiter les frères dans toutes les villes où nous avons prêché la parole de Dieu ; nous verrons s’ils sont restés fermes dans la foi et s’ils ont besoin de nous. »

Barnabé y consentit ; et il voulut prendre avec lui saint Marc.

Mais Paul le priait de ne pas emmener ce disciple, disant que celui qui les avait déjà quittés en Pamphylie, et qui n’avait pas voulu aller plus loin avec eux pour prêcher la parole de Dieu, ne devait pas être repris une seconde fois.

Il y eut entre eux discussion à ce sujet, et ne pouvant se mettre d’accord, ils se séparèrent.

Louis. Grand’mère, pourquoi saint Paul et saint Barnabé se sont-ils disputés ? Je ne trouve pas que ce soit bien.

Grand’mère. Cher enfant, ils discutaient sans se fâcher. Seulement, chacun avait son idée et ne voulait pas l’abandonner. Ils croyaient agir pour la plus grande gloire de Dieu.

Valentine. Vous cherchez à les excuser, Grand’mère, mais je crois que saint Paul et saint Barnabé n’avaient pas de très-bons caractères.

Grand’mère, souriant. Ce n’est pas moi, chère petite, qui cherche à les excuser ; c’est l’Église qui les a glorifiés en les ayant déclarés Saints ; saint Paul principalement est regardé comme étant presque l’égal de saint Pierre, par la ferveur de sa foi, son zèle, son courage, son dévouement, ses innombrables et rudes travaux pour la gloire de Dieu Notre-Seigneur.


XXXII

VOYAGES DE SAINT PAUL ET DE SAINT LUC.
ON LES ARRÊTE À PHILIPPE.



Grand’mère. J’ai dit que Paul et Barnabé se séparèrent. Barnabé, ayant pris avec lui saint Marc, s’embarqua pour l’île de Chypre. Saint Paul partit avec deux compagnons : saint Luc l’évangéliste, auteur du livre des Actes, puis le disciple Silas.

Au moment de leur départ, tous les frères, c’est-à-dire les fidèles, priaient pour eux et les recommandaient à la garde de Dieu.

Saint Paul et ses compagnons parcoururent les pays que Paul avait jadis traversés avec Barnabé ; saint Paul évangélisa de nouveau les Églises qu’il avait fondées et les confirma dans la foi,

Il arriva ainsi à Derbe, puis à Lystra, où il trouva un jeune disciple nommé Timothée, fils d’une femme juive, et d’un père grec qui était païen. Les Chrétiens de Lystra rendirent un bon témoignage de Timothée. Saint Paul le prit chez lui, il le circoncit, à cause des Juifs qui savaient que son père était païen.

Henriette. Ah ! saint Paul a désobéi à saint Pierre qui ne voulait pas qu’on fît circoncire les Gentils.

Grand’mère. Saint Pierre n’avait pas défendu la circoncision ; il avait dit qu’il ne fallait pas obliger les Gentils à cette cérémonie, mais il ne l’avait pas interdite à ceux qui la demandaient ou qui ne s’y opposaient pas. S’il l’avait défendu, saint Paul ne l’aurait certainement pas fait.

Les Églises s’affermissaient de plus en plus ; elles s’étendaient au loin et le nombre en augmentait tous les jours. Étant venus en Mysie, pays de l’Asie-Mineure, saint Paul et ses compagnons voulurent ensuite aller prêcher la foi en Bythinie, mais l’Esprit de Jésus ne le leur permit pas.

Louis. Pourquoi cela ? Et qu’est-ce que c’est : l’Esprit de Jésus ?

Grand’mère. C’est le Saint-Esprit que nous donne Notre-Seigneur Jésus-Christ. Le Saint-Esprit conduisait et inspirait les Apôtres. Dans cette circonstance, il ordonna à saint Paul d’aller dans la Troade ; puis ensuite en Grèce.

Armand. Où est la Troade ?

Grand’mère. En Asie-Mineure, prés de la mer Égée, qu’on appelle à présent l’Archipel, et qui est un golfe de la Méditerranée. Plus tard la Bythinie fut visitée par saint Paul.

Saint Paul descendit donc vers la Troade, et la nuit il eut une vision. Il vit devant lui un homme de la Macédoine.

Armand. Où c’est, la Macédoine ?

Henriette. Comme tu parles mal, Armand ; est-ce qu’on dit : « où c’est ? »

Armand. Et comment veux-tu que je dise ?

Henriette. Dis : « où est la Macédoine ? »

Armand. Moi, j’aime mieux dire où c’est ; c’est plus facile.

Henriette. Grand’mère, dites-lui, je vous en prie, de dire, où est, et pas où c’est.

Grand’mère, riant. Chère petite, quand il sera plus grand, il ne dira pas où c’est ; c’est très-mal parlé, il est vrai ; mais à son âge, il vaut mieux le laisser dire comme il veut et ne pas interrompre le récit ; après la leçon, tu lui feras tes observations.

Henriette. Ah ! vois-tu que tu as mal parlé !

Armand. Et vois-tu que je peux dire comme je veux !

Grand’mère, souriant. Vous avez raison tous les deux, petits querelleurs, et vous avez tort tous les deux ; à présent c’est moi qui vais parler et répondre à Armand : « où c’est la Macédoine. »

Tout le monde rit. Armand est un peu rouge. Les yeux d’Henriette étincellent de joie ; la grand’mère rit aussi et continue.

La Macédoine est en Europe ; c’est une province de la Grèce qui fait aujourd’hui partie de la Turquie.

Armand. Et, où… où est la Grèce ?

Grand’mère, embrasse Armand. La Grèce est au midi de l’Europe ; et la Macédoine est au nord de la Grèce.

Armand. Qu’est-ce que c’est : au midi et au nord ?

Grand’mère. Dans les cartes de géographie, le midi est en bas, et le nord est en haut.

Ainsi, saint Paul vit un habitant de la Macédoine devant lui, qui le priait, disant : « Passe en Macédoine, pour nous secourir. » Aussitôt que saint Paul eut vu cette vision, il chercha à partir avec saint Luc pour la Macédoine, étant bien sûr que le Seigneur les y appelait, pour prêcher et pour convertir ce peuple.

Ils s’embarquèrent donc et ils arrivèrent en trois jours à Philippe, qui est la première ville de cette partie de la Macédoine. Ils s’y arrêtèrent quelques jours.

Le jour du sabbat, ils sortirent hors de la ville près d’un fleuve où se faisait la prière, et s’arrêtant là, ils parlèrent aux femmes qui s’y étaient assemblées.

Il y avait une femme nommée Lydia, marchande de pourpre dans la ville voisine ; quoique païenne, elle servait Dieu comme le bon centurion Corneille. Le Seigneur ouvrit son cœur aux paroles de saint Paul, pour la récompenser de ses bons sentiments.

Jeanne. Qu’est-ce que c’est : marchande de pourpre ?

Grand’mère. Le pourpre était une très-belle couleur rouge très-rare et très-chère.

Les Apôtres baptisèrent Lydia avec toute sa famille. Elle les priait, disant : « Si vous m’avez jugée digne d’être des vôtres, entrez dans ma maison et demeurez-y. » Et elle les força à y entrer.

Un jour qu’ils étaient à l’endroit où on priait, ils rencontrèrent une jeune fille qui avait l’esprit de prophétie, mais c’était l’esprit du démon qui la remplissait et non pas l’esprit de Dieu. Elle faisait gagner beaucoup d’argent à ses maîtres parce qu’elle devinait l’avenir, et beaucoup de gens venaient la consulter. Cette fille suivait saint Paul et saint Luc en criant : « Ces hommes sont des serviteurs du Dieu très-haut ; ils vous annoncent la voie du salut. »

Elle fit cela plusieurs jours de suite.

Pierre. Mais, Grand’mère, je trouve que c’était très-bien à elle ; ce que je ne comprends pas, c’est comment l’esprit du démon lui faisait crier des choses excellentes.

Grand’mère. Parce que le démon savait qu’en proclamant comme envoyés du Seigneur, ces hommes qui prêchaient la doctrine de Jésus-Christ, cette fille irriterait le peuple qui détestait les Juifs. Le démon est souvent obligé de rendre malgré lui hommage à la vérité. Combien de fois n’avons-nous pas vu dans l’Évangile, le démon forcé de déclarer que Jésus-Christ était le Fils de Dieu ! Ici, il rendait témoignage à l’Apôtre, comme jadis il avait rendu témoignage au Maître. Saint Paul, voyant que cette fille ne cessait de les poursuivre de ses cris, en fut contristé…

Valentine. Pourquoi contristé ? Qu’est-ce que cela lui faisait ?

Grand’mère. Il lui était pénible de se voir appelé devant tout le monde un Saint homme, un envoyé de Dieu. Quand on est humble, on n’aime pas les louanges.

Saint Paul se retourna donc vers la possédée et dit à l’esprit : « Je te commande au nom du Seigneur Jésus-Christ de sortir de cette fille. »

Et au même instant, l’esprit abandonna la fille qui perdit le don de prophétie, Ses maîtres voyant leur gain perdu à l’avenir, saisirent saint Paul, saint Silas, et les conduisirent devant les magistrats.

Jeanne. Et le pauvre saint Luc, qu’est-il devenu ?

Grand’mère. Saint Luc ne le dit pas ; il ne parle presque jamais de lui-même ; mais il est certain qu’il fut arrêté avec Paul et Silas.


XXXIII

SAINT PAUL ET SAINT LUC SONT BATTUS DE VERGES,
JETÉS EN PRISON ET MIRACULEUSEMENT DÉLIVRÉS.



Grand’mère. Quand ils furent devant les magistrats, les hommes qui les avaient saisis les accusèrent de mettre le trouble dans la ville, « car, dirent-ils, ce sont des Juifs, des gens qui enseignent une manière de vivre qu’il ne nous est pas permis de suivre, à nous qui sommes des citoyens romains. »

Le peuple, entendant ces accusations, se jeta sur saint Paul pour le maltraiter. Les magistrats, partageant la colère du peuple, ordonnèrent qu’on les battît de verges. Et, après les avoir déchirés de coups, ils envoyèrent en prison saint Paul, en recommandant au gardien de l’enfermer soigneusement avec ses compagnons pour qu’ils ne pussent s’échapper.

Le gardien, ayant reçu cet ordre, les mit dans une prison souterraine, et serra leurs pieds dans des ceps.

Marie-Thérèse. Qu’est-ce que c’est : des ceps ?

Grand’mère. Des ceps sont des espèces de planches en bois avec deux trous, dans lesquels on fait passer les pieds ; de sorte qu’on ne peut faire aucun mouvement.

Au milieu de la nuit, saint Paul et ses compagnons priaient et louaient Dieu ; ceux qui les gardaient, et qui étaient en dehors de la prison, les entendaient.

Tout à coup il se fit un grand tremblement de terre, de sorte que les fondements de la prison en furent ébranlés ; et aussitôt les portes s’ouvrirent, et les liens de tous les prisonniers furent brisés.

Le geôlier, réveillé par le bruit et les secousses, voyant la prison toute grande ouverte, crut que les prisonniers s’étaient échappés, et il tira son épée pour se tuer.

Valentine. Pourquoi voulait-il se tuer ? Ce n’était pas de sa faute si les prisonniers s’étaient sauvés.

Grand’mère. Non, certainement, ce n’était pas de sa faute ; mais il connaissait la dureté des magistrats, et il craignait qu’on ne l’accusât d’avoir aidé à la fuite des Chrétiens, et qu’on ne le fît mourir dans d’affreux supplices.

Saint Paul, voyant sa terreur et son désespoir, lui cria d’une voix forte :

« Ne te fais pas de mal, car nous sommes tous ici. »

Jacques. Saint Paul est beaucoup trop bon pour ce méchant gardien.

Grand’mère. Saint Paul avait, la charité parfaite ; il eut pitié de la terreur de ce pauvre homme, et il aima mieux se sacrifier avec les siens que de laisser cet homme perdre son âme en se tuant. Cette action généreuse de saint Paul amena la conversion du gardien, comme tu vas le voir.

Le gardien, ayant demandé de la lumière, entra dans la prison, et voyant saint Paul et les Chrétiens dégagés de leurs liens, il revint tout tremblant et tomba aux pieds du saint Apôtre.

Il les fit sortir de prison, et leur dit : « Que faut-il que je fasse pour être sauvé ? »

Ils lui répondirent : « Crois au Seigneur Jésus, et tu seras sauvé toi et tous les tiens. » Ils lui expliquèrent ce qu’était le Sauveur. Ce bon gardien lava leurs plaies ; ensuite il fut baptisé lui et toute sa famille.

Et les ayant conduits à sa demeure, il leur servit à manger ; et il se réjouit avec tous les siens d’avoir cru.

Quand il fit jour, les magistrats envoyèrent des licteurs…

Louis. Qu’est-ce que c’est : des licteurs ?

Grand’mère. Les licteurs étaient des gardes qui accompagnaient les magistrats et les grands personnages quand ils passaient au milieu du peuple ; ils marchaient toujours devant, et portaient des paquets de verges et des haches pour préserver leurs chefs de tout danger, et pour exécuter leurs sentences.

Les magistrats envoyèrent donc des licteurs au gardien de la prison pour qu’il rendît la liberté à ses prisonniers. Le geôlier vint l’annoncer à Paul, disant : « Les magistrats ont envoyé l’ordre, de vous relâcher ; sortez donc maintenant, et allez en paix. » Mais Paul leur dit :

« Ils nous ont battus de verges en public, sans jugement, nous qui sommes citoyens romains ; ils nous ont mis en prison ; et à présent ils nous renvoient en secret. Nous ne le voulons pas ainsi. Qu’ils viennent eux-mêmes nous délivrer. »

Louis. Pourquoi saint Paul dit-il : Nous, citoyens romains ?

Grand’mère. Parce que chez les peuples conquis par les Césars on portait un grand respect à tous les hommes qui étaient Romains de naissance, ou qui avaient obtenu le titre de citoyens romains. Et les Césars, ou Empereurs, ne souffraient pas qu’on maltraitât les leurs.

Henri. Alors pourquoi n’ont-ils pas dit qu’ils étaient Romains avant d’avoir été battus de verges ? Ils le disent après, quand c’est inutile.

Grand’mère. Parce que saint Paul et ses compagnons étaient heureux de souffrir pour l’amour de Notre-Seigneur, et de donner aux nouveaux fidèles l’exemple du courage dans les persécutions.

Les licteurs rapportèrent ces paroles aux magistrats, qui furent saisis de crainte en apprenant que saint Paul et ses compagnons étaient citoyens romains. Ils vinrent aussitôt leur faire des excuses et les délivrer de la prison ; ils les prièrent ensuite de quitter leur ville.

En sortant de prison, saint Paul et ses amis allèrent chez Lydia. Ils y trouvèrent leurs nouveaux frères, auxquels ils annoncèrent leur départ ; ils les consolèrent, les affermirent dans la foi, et ils partirent.



XXXIV

SUITE DES VOYAGES DE SAINT PAUL ET DES PERSÉCUTIONS DES JUIFS.

Grand’mère. Ils vinrent à Thessalonique, ville de la Macédoine ; Paul y prêcha pendant trois semaines, le jour du sabbat. Quelques-uns crurent et se joignirent à saint Paul et à ses compagnons.

Les Juifs zélés prirent avec eux quelques hommes méchants, et, selon leur habitude, ils les excitèrent contre Paul et contre les Chrétiens, ce qui amena une émeute dans la ville. La foule se dirigea vers la maison de Jason, où demeuraient saint Paul et saint Luc, saint Silas et les autres Disciples. Ils entourèrent la maison, pour y entrer de force en brisant tout. Ils cherchèrent saint Paul et Silas, et ne les trouvèrent pas ; alors ils se saisirent du maître de la maison, qui était chrétien et qui s’appelait Jason ; et ils l’emmenèrent devant les magistrats, ainsi que quelques fidèles qu’on avait trouvés avec lui. Ils criaient :

« Ces hommes troublent la ville. Ils attaquent l’autorité de César, en disant qu’il y a un autre Roi, qu’ils appellent Jésus. »

En entendant ces paroles, les magistrats et le peuple s’effrayèrent ; mais Jason leur ayant donné de l’argent pour répondre de lui et des Chrétiens, ils les laissèrent aller.

Dans la nuit, les fidèles firent partir saint Paul pour Béroée, ville de la Macédoine.

Aussitôt après leur arrivée, saint Paul et ses compagnons allèrent prêcher à la synagogue.

Louis. Mais, Grand’mère, pourquoi allaient-ils donc dans les synagogues ? C’était là qu’étaient toujours leurs ennemis.

Grand’mère. C’est vrai ; mais les Juifs connaissant déjà le vrai Dieu et les prophéties touchant le Messie, la moitié de la besogne était faite quand saint Paul leur parlait de la religion chrétienne. Ceux qui étaient de bonne foi n’avaient plus grand’chose à faire pour devenir chrétiens. Chez les pauvres païens, au contraire, il fallait tout expliquer. Les Juifs de Béroée étaient bien meilleurs que ceux de Thessalonique ; ils écoutèrent avec beaucoup d’empressement les enseignements de saint Paul ; tous les jours ils examinaient les prophéties et les Saintes-Écritures pour voir si elles s’accordaient avec ce que leur disaient les Apôtres. Et plusieurs d’entre eux crurent. Parmi les païens, il y en eut aussi qui se firent chrétiens, et quelques-uns même appartenaient à des familles riches et honorables.

Jeanne. Est-ce que les premiers Chrétiens étaient donc ordinairement des pauvres gens ?

Grand’mère. Pas tous, mais la plupart. Le bon Dieu le voulait ainsi pour faire bien voir que les âmes des pauvres étaient aussi précieuses que celles des riches, et qu’il n’avait besoin, pour établir son Église, ni des grands personnages, ni des riches, ni des savants.

Quand les Juifs de Thessalonique surent que saint Paul prêchait la parole de Dieu à Béroée, ils y vinrent en grand nombre pour exciter et soulever le peuple.

Jacques. Oh ! les méchants hommes ! Pourquoi cette haine contre les excellents Chrétiens, qui ne leur faisaient aucun mal ?

Grand’mère. Cher enfant, c’est la haine du démon contre Notre-Seigneur Jésus-Christ et contre sa douce et bienfaisante doctrine ; c’est le désir ardent qu’a toujours eu et qu’aura toujours Satan d’empêcher les hommes par tous les moyens possibles d’aller à leur Sauveur ; c’est toujours la même haine contre ceux qui cherchent à connaître et à démontrer la beauté et la bonté de la sainte et consolante doctrine du Sauveur.

Valentine. En quoi est-elle consolante, Grand’mère ?

Grand’mère. En ce que toutes les douleurs, toutes les peines y trouvent une grande consolation.

Valentine. Comment cela ?

Grand’mère. Voici comment. La foi nous apprend à offrir au Seigneur nos souffrances comme expiation de nos fautes, comme acte de soumission à sa volonté. — Elle remplit nos cœurs d’espérance dans l’avenir éternel. — Elle nous donne la certitude d’une protection continuelle. — Elle nous apporte, pour ce Dieu si bon, cet ami si fidèle, un amour plein de douceur, qui nous donne la force de tout souffrir pour lui. — Elle nous apporte l’assurance d’une réunion éternelle avec ceux que la mort nous a enlevés, mais que nous retrouverons, pour ne plus jamais nous en séparer.

Camille. C’est vrai, Grand’mère ! Et combien sont à plaindre les pauvres gens qui se privent de toutes ces consolations !

Grand’mère. Et que mettent-ils à la place, ces pauvres aveugles ! Des plaisirs qui passent bien vite et qui sont presque toujours mêlés de peines. Des satisfactions de vanité aussi ridicules que coupables. Ils vivent sur la terre comme des étourdis, sans réfléchir à ce qu’il y a de plus sérieux, de plus important. Ils sont comme des fous qui se mettent en voyage sans savoir où ils vont, et sans vouloir s’en occuper. Aussi, quand ils ont des peines (et tout le monde en a sur la terre), ils n’ont aucune vraie consolation. Et puis la jeunesse et la santé passent vite ; la vieillesse et ses infirmités viennent rappeler la mort, dont la pensée seule épouvante, et à laquelle il faut bien arriver pourtant. Et puis on meurt, et on comparaît devant Dieu, qu’on a oublié, méprisé, offensé toute sa vie. Maintenant, Dieu est le Sauveur bon et miséricordieux ; après la mort, il sera le juge sévère et inexorable dans sa justice.

Élisabeth. Oh ! Grand’mère ! c’est terrible ce que vous dites !

Grand’mère. Ce n’est pourtant que la simple vérité, chère enfant. Elle n’est terrible que pour les coupables ; et j’espère qu’aucun de vous n’aura à redouter ainsi le jugement de Dieu.

Revenons à saint Paul et aux méchants Juifs qui ont fait tout exprès le voyage de Thessalonique à Béroée pour satisfaire leur haine contre saint Paul, Disciple fidèle de Jésus.

Les frères, craignant pour Paul, le firent partir bien vite du côté de la mer, où il pouvait facilement s’embarquer. Mais Silas, et Timothée, le disciple bien-aimé de saint Paul, restèrent, à Béroée.

Ceux qui accompagnaient saint Paul le conduisirent jusqu’à Athènes, grande ville au midi de la Grèce ; ils repartirent de suite pour porter a Silas et à Timothée un ordre de l’Apôtre de venir le rejoindre immédiatement. Ils obéirent sans retard.

Pendant que Paul les attendait à Athènes, il réfléchissait aux moyens de faire connaître la vérité aux Athéniens, qui étaient idolâtres comme tous les Gentils, et aux Juifs qui demeuraient dans la ville. Il discutait avec les Juifs dans la synagogue, et avec les païens sur la place publique, où il les rencontrait. Quelques savants, qu’on appelait des philosophes, discutaient aussi avec lui ; et plusieurs disaient : « Que veut dire ce semeur de paroles ? » Et d’autres disaient : « Il paraît annoncer des dieux nouveaux. » Parce que Paul leur parlait de Jésus et de sa Résurrection.

Ayant pris Paul, ils le conduisirent devant l’Aréopage.

Louis. Qu’est-ce que c’est : l’Aréopage ?

Grand’mère. L’Aréopage était une assemblée de gens instruits, d’Anciens, qui discutaient et décidaient les questions difficiles.

Ils dirent à Paul : « Pouvons-nous savoir quelle est cette nouvelle doctrine dont tu parles ? Car tu dis des choses étranges, que nos oreilles n’ont jamais entendues. Nous voudrions bien savoir ce que cela peut être ? »

Paul, debout au milieu d’eux, leur dit :

« Habitants d’Athènes, je vous vois tous religieux, plus religieux même peut-être que vous ne le croyez. Car en passant devant vos idoles, j’ai vu un autel où il est écrit : Au Dieu inconnu. Ce Dieu qui vous est inconnu, que vous adorez sans le connaître, c’est celui que je vous annonce. »

Alors il leur raconta comment le seul vrai Dieu, vivant et éternel, avait fait le monde et le premier homme ; comment de cet homme étaient venus tous les hommes habitant sur la terre. Il leur expliqua les prophéties, la venue du Messie, qui est Jésus-Christ, Notre-Seigneur et le vrai Fils de Dieu. Il leur parla des miracles de Jésus, de sa Passion, de sa mort, de sa Résurrection, et enfin du Jugement dernier et de la résurrection des morts. Lorsqu’ils l’entendirent parler de la résurrection des morts, quelques-uns se moquèrent de lui ; d’autres dirent : « Nous t’entendrons là-dessus une autre fois. »

Marie-Thérèse. Pourquoi lui disent-ils cela ?

Grand’mère. Pour lui faire comprendre qu’il était inutile qu’il continuât, parce qu’ils ne le croyaient pas, et ne voulaient pas le croire.

Alors Paul se retira d’au milieu d’eux.

Quelques-uns pourtant crurent à sa parole, entre autres Denys l’Aréopagite.

Valentine. Qu’est-ce que c’était que Denys l’Aréopagite ?

Grand’mère. C’était un très-savant homme qui présidait alors le tribunal de l’Aréopage. Après avoir été converti à la foi par saint Paul, il fut nommé par lui Évêque d’Athènes, puis Évêque de Paris ; il écrivit plusieurs livres très-estimés ; et à l’âge de 110 ans, il eut la tête tranchée à Montmartre près de Paris, pendant une persécution contre les Chrétiens.

Jeanne. C’est horrible d’avoir coupé la tête à un vieillard ! Comment les anciens Français Gaulois ont-ils été aussi cruels ?

Grand’mère. C’étaient plutôt des soldats romains que des Gaulois, et puis rien ne rend aussi cruel que les haines religieuses. Dans les nombreuses persécutions qu’ont subies les Chrétiens, ils ont été soumis aux tortures les plus atroces et à la mort la plus cruelle. J’ai vu à Rome, dans une des galeries du Vatican, palais du Pape, beaucoup d’instruments de torture inventés contrôles Chrétiens ; c’est horrible à regarder. Et il y a une quantité d’armoires pleines de ces divers instruments.

Jeanne. Faut-il être méchant pour tourmenter de pauvres gens qui ne font mal à personne !

Grand’mère. Comme nous l’avons déjà dit, c’est le démon qui y poussait les persécuteurs pour faire apostasier saint Denis et les nouveaux Chrétiens, mais presque tous sont morts dans les supplices, plutôt que de renoncer à leur foi.

Saint Paul convertit aussi ce jour-là, à Athènes, une femme nommée Damaris et plusieurs autres encore.


XXXV

SAINT PAUL À CORINTHE.



Grand’mère. Saint Paul partit ensuite pour Corinthe, autre grande ville de la Grèce.

Henriette. Je la connais.

Louis. Comment la connais-tu ? Tu n’y as jamais été.

Henriette. Je n’y ai pas été ; mais je sais qu’on y fait du raisin sec excellent que j’aime beaucoup.

Henri. Tu appelles cela connaître une ville ? Alors je les connais toutes, parce que j’ai mangé des choses qui viennent de partout.

Grand’mère. Laissons le raisin de Corinthe, mes enfants, et parlons du séjour qu’y fit saint Paul.

Il y trouva un Juif nommé Aquila, qui venait d’Italie avec Priscille sa femme. Ils avaient quitté Rome parce que l’Empereur Claude avait ordonné à tous les Juifs de sortir. Il confondait sous le nom général de Juifs, et les Juifs proprement dits et les Chrétiens. Saint Pierre avait converti tant de monde à Rome, que l’Empereur Claude eut peur et qu’il leur ordonna à tous de quitter Rome sous peine de mort.

Marie-Thérèse. Est-ce que les Juifs et les Chrétiens faisaient du mal ?

Grand’mère. Les Chrétiens non, mais les Juifs oui, parce qu’ils y causaient du trouble comme à Thessalonique, à Philippe, à Béroée, et partout. Ils excitaient le peuple contre les Chrétiens qui s’y trouvaient, ce qui amenait du tumulte et des désordres continuels. Claude, pour avoir la paix, bannit les uns et les autres. C’est alors qu’Aquila et sa femme furent obligés de quitter Rome.

Saint Paul vint donc loger chez Aquila, dont l’industrie était de faire des tentes ; saint Paul connaissait ce travail, et il aidait Aquila dans son commerce.

Marie-Thérèse. C’est un métier qui ne devait pas rapporter beaucoup ; à quoi peuvent servir des tentes ?

Grand’mère. C’était au contraire un très-bon état ; chacun avait sa tente qu’il emportait en voyage. Dans ce temps-là, il n’y avait ni chemins de fer, ni diligences, ni même des routes bien entretenues.

Louis. Et comment voyageait-on ?

Grand’mère, Les riches voyageaient à cheval ou en char découvert ; les gens du peuple et autres voyageaient à pied, ayant tout au plus un mulet ou un âne pour porter leurs provisions et leurs tentes.

Valentine. Pourquoi emporter des tentes ?

Grand’mère. Pour coucher la nuit. Il n’y avait pas d’auberges ni d’hôtels pour y manger et pour y dormir ; quand la nuit arrivait, on choisissait un emplacement commode ; on tendait la tente ou bien les tentes, si on était plusieurs, on mangeait des provisions qu’on avait emportées et on dormait sous la tente.

Jeanne. Et saint Paul voyageait comme cela ?

Grand’mère. Oh non ! saint Paul n’avait ni tente, ni provisions, ni âne, ni mulet ; lui qui était citoyen romain, qui avait été riche, il voyageait comme un pauvre, demandant un asile et du pain quand il rencontrait une maison habitée.

Jacques. C’est beau ça ! c’est très-beau ! se priver de tout par amour du bon Dieu !

Henri, riant. Je parie que tu ne le ferais pas !

Jacques. J’espère que si. Je demanderais du courage au bon Dieu, et je partirais.

Grand’mère. Et le bon Dieu te donnerait le courage, cher enfant, comme il le donne à tout Chrétien humble et modeste qui ne compte pas sur ses propres forces, mais sur celles qu’il demande au bon Dieu ; comme il le donne à nos pauvres religieux Capucins et à tous nos Missionnaires. Aujourd’hui encore, ces missionnaires mènent une rude et sainte vie pour l’amour de Notre-Seigneur Jésus-Christ.

Saint Paul aidait donc son ami Aquila à faire des tentes. Les jours de sabbat, il prêchait dans les synagogues ; et il convertissait des Juifs et des païens.

Il apprit que les Chrétiens de Thessalonique avaient beaucoup à souffrir ; les Juifs ne cessaient d’exciter contre eux les magistrats. Saint Paul leur envoya Silas et Timothée, qui étaient venus le rejoindre à Athènes. Ils y allèrent et ne tardèrent pas à revenir, lui apportant des nouvelles sur les persécutions.

Saint Paul ayant jugé qu’ils avaient besoin d’être encouragés, leur écrivit sa première Épître ou lettre, qui est pleine de charité et de tendresse. Quand vous serez plus grands (je ne parle qu’aux petits), vous lirez cette belle lettre connue sous le nom de Première Épître aux Thessaloniciens.

Elle fait partie de l’Écriture-Sainte, et a été inspirée du Saint-Esprit.

Saint Paul continua ses enseignements dans la synagogue ; il discutait avec les Juifs et les Grecs qui ne croyaient pas à sa parole, et il continuait à leur prêcher Notre-Seigneur et la religion du Christ.

Et comme malgré tout ce qu’il leur disait, ils continuaient à le contredire et à blasphémer le nom de Jésus-Christ, il secoua ses vêtements et leur dit :

« Que votre sang soit sur votre tête ; pour moi je vais désormais vers les Gentils. » Et secouant encore ses vêtements, il sortit.

Armand. Pourquoi secoua-t-il ses vêtements ?

Grand’mère. C’était, dans ce temps là, une manière de déclarer qu’on ne voulait plus avoir aucune relation avec les gens qu’on quittait et qu’on ne voulait même pas emporter de leur poussière.

En quittant la synagogue, il entra dans la maison de Titus-Justus, qui était un serviteur de Dieu et qui demeurait tout près de la synagogue. Cryspus, chef de la synagogue, crut en Notre-Seigneur avec toute sa maison. Et plusieurs autres Corinthiens, ayant entendu parler Paul, crurent aussi et furent baptisés.

La nuit, saint Paul eut une vision ; il vit le Seigneur qui lui dit :

« Ne crains rien, parle et ne te tais point, car je suis avec toi ; et nul ne pourra te nuire, parce que j’ai un peuple nombreux dans cette ville. »

Saint Paul écouta la parole du Seigneur et il demeura un an et six mois à Corinthe, enseignant la religion de son Divin Maître.


XXXVI

SAINT PAUL À ÉPHÈSE. VŒU DES NAZARÉENS.



Grand’mère. Au bout de ce temps, les Juifs, fort irrités de la conversion d’un certain Sosthène, qui avait succédé à Cryspus comme chef de la synagogue, se concertèrent entre eux, et s’élevant tous contre Paul, ils l’amenèrent au Proconsul Gallion.

Louis. Qu’est-ce que c’était : un Proconsul ?

Grand’mère. Un Proconsul était le gouverneur d’une province. Les Juifs accusèrent Paul de prêcher une religion nouvelle, contraire à la religion juive qui était autorisée par les lois romaines.

Saint Paul allait répondre, lorsque le Proconsul Gallion l’arrêta, et s’adressant aux Juifs : « S’il s’agissait de quelque injustice ou de quelque crime, leur dit-il, je vous écouterais volontiers et avec patience. Mais s’il n’est question que de doctrine religieuse ou de quelque faute légère, examinez cela vous-mêmes ; moi, je ne veux pas m’en mêler. »

Les Juifs, mécontents du refus du Proconsul, déchargèrent leur colère sur Sosthène, Prince et chef de leur synagogue ; ils excitèrent les employés du tribunal à le battre sous les yeux même de Gallion, qui, ne se souciant pas de leurs querelles, les laissa faire sans daigner y faire attention.

Saint Sosthène souffrit cet affront public, avec une admirable patience ; il s’unit ensuite plus étroitement à Paul et le suivit à Éphèse, où le saint Apôtre se retira ; saint Paul lui fit l’honneur de joindre son nom au sien au commencement de la première lettre qu’il écrivit d’Éphèse aux fidèles de Corinthe et qui est appelée Première Épître de saint Paul aux Corinthiens.

Après avoir échappé à ce danger, Paul, pour rendre grâce à Dieu, fit le vœu des Nazaréens.

Louis. Qu’est-ce que c’est que le vœu des Nazaréens ?

Grand’mère. Ceux qui faisaient ce vœu, devaient pendant tout le temps de leur Nazaréat, un mois, deux mois, six mois ou plus, selon la promesse qu’ils avaient faite à Dieu, ne pas boire de vin, ni rien de ce qui enivre, et de plus laisser croître leurs cheveux. C’était chez les Juifs une marque de deuil et de pénitence. Ils devaient, à la fin de leur Nazaréat, offrir un sacrifice, se couper les cheveux et les faire brûler dans le feu du sacrifice.

Paul resta longtemps à Corinthe. Il s’embarqua ensuite pour la Syrie, province de l’Asie-Mineure, après s’être fait couper les cheveux selon le vœu qu’il avait fait.

Henriette. Pourquoi avait-il fait un vœu, puisqu’il était sauvé ?

Grand’mère. Parce que saint Paul voulait démontrer aux Juifs qu’il ne dédaignait pas leurs usages religieux dans ce qu’ils avaient d’innocent et de conforme à l’Évangile ; il faisait de même pour les Gentils, espérant rendre ainsi les uns et les autres moins défavorables aux Chrétiens.

Armand. Mais qu’est-ce que c’est : un vœu ?

Grand’mère. Un vœu est une promesse qu’on fait au bon Dieu, ou à la Sainte-Vierge, ou à un Saint, pour obtenir une faveur quelconque, ou pour rendre grâce comme a fait saint Paul. Quand on y manque, on commet un péché et on est puni dans ce monde ou dans l’autre. Ainsi il ne faut pas faire de vœu légèrement et sans avoir la possibilité et la ferme volonté de le remplir, c’est-à-dire de l’exécuter.

Saint Paul emmena avec lui Aquila et Priscille à Éphèse, en Asie-Mineure.

Il fit à Éphèse comme toujours, il alla à la synagogue, où il prêcha, enseigna et discuta contre les Juifs. Mais il ne voulut pas y rester longtemps, malgré les Juifs, qui n’étaient pas méchants et qui le priaient de demeurer avec eux.

Henri. C’est singulier que les Juifs lui aient demandé de rester ! Et pourquoi saint Paul les a-t-il refusés ? Il les aurait peut-être convertis.

Grand’mère. Saint Paul agissait toujours d’après l’inspiration de l’Esprit-Saint. Il est probable qu’il sentit qu’il ferait plus de bien en allant dans d’autres pays qu’en restant à Éphèse. Mais il leur laissa Aquila et Priscille, qui purent continuer les enseignements de Paul. Les Juifs d’Éphèse étant beaucoup plus doux que les autres, Aquila et Priscille ne couraient aucun danger en expliquant la foi et en prêchant l’Évangile.

On croit généralement que ce fut vers cette époque que saint Luc écrivit l’Évangile. Quelques auteurs ont pensé que c’était saint Paul qui le lui avait dicté ; mais il est plus probable que saint Luc a écrit lui-même et seul son Évangile, d’après les récits des Apôtres et des Disciples qui avaient vécu avec Notre-Seigneur et qui avaient été témoins de sa vie, de sa mort et de sa Résurrection. Il est également probable que c’est là, à Éphèse, qu’il vit plus souvent la très-sainte-Vierge, ainsi que l’Apôtre saint Jean, et qu’il apprit de la Mère de Dieu les détails si intéressants de l’Annonciation, de la Visitation, de la naissance et de l’enfance de Jésus, qui sont rapportés dans son Évangile.



XXXVII

APOLLO CONVERTIT BEAUCOUP DE MONDE PAR SON ÉLOQUENCE.



Grand’mère. Après avoir quitté Éphèse, saint Paul alla à Jérusalem pour saluer saint Pierre et recevoir ses ordres. Puis il se rendit à Antioche et dans toute la Palestine et l’Asie-Mineure, porter aux fidèles de la Syrie les grandes aumônes qu’il avait recueillies pour eux à Corinthe.

Pendant ce voyage de saint Paul à travers les Églises de la Palestine et l’Asie-Mineure, un Juif nommé Apollo, homme instruit et éloquent, vint à Éphèse. Il croyait déjà que les prophéties touchant le Messie s’étaient accomplies dans la personne de Jésus-Christ, et il avait reçu le baptême de saint Jean-Baptiste. Il vint à Éphèse et entra dans la synagogue pour convaincre les Juifs que Jésus était bien réellement le Christ, le Messie qu’ils avaient méconnu, persécuté et mis à mort comme l’avait prédit les Prophètes. Il parlait avec beaucoup d’éloquence, mais n’ayant pas vu Notre-Seigneur et n’ayant pas connu les Apôtres et les Disciples qui l’avaient vu et entendu et qui avaient été témoins de ses actions, de ses paroles et de ses miracles, il n’était pas très-instruit de ces choses et ne parlait que d’après les prophéties.

Aquila et Priscille, voyant qu’il ignorait les détails de la vie de Notre-Seigneur et de sa doctrine, se mirent à les lui raconter ; quand il fut pleinement instruit, Apollo alla en Achaïe afin de travailler à affermir les Chrétiens dans la foi et à confondre les Juifs opiniâtres. Il y fit en effet un si grand bien, et sa réputation s’étendit tellement que plusieurs le firent l’égal de saint Paul ; d’autres préféraient le grand Apôtre, ce qui amena une division de laquelle se formèrent deux partis qui exaltaient chacun son Apôtre en abaissant l’autre.

Pendant qu’Apollo prêchait à Corinthe, saint Paul revint à Éphèse pour y fonder une Église, et ne la quitter que lorsqu’elle serait bien affermie. Il s’y trouvait beaucoup de Disciples qui avaient cru, qui avaient reçu le baptême, mais qui n’avaient pas eu le temps ni les moyens d’avoir une instruction suffisante. Ils n’avaient vu à Éphèse aucun Apôtre, ni aucun Évêque qui pût faire descendre sur eux l’Esprit-Saint, par le sacrement de la Confirmation ou par l’imposition des mains.

Saint Paul leur demanda s’ils avaient reçu l’Esprit-Saint ; ils lui répondirent qu’ils ne savaient seulement pas qu’il y eût un Esprit-Saint. Cette réponse surprit beaucoup saint Paul. — Quel baptême avez-vous donc reçu ? leur demanda-t-il. — Celui de Jean. — Alors saint Paul ordonna qu’on leur donnât le vrai baptême de Jésus-Christ. Ensuite il leur imposa les mains lui-même et le Saint-Esprit descendit visiblement sur eux comme il avait fait dans le Cénacle, au jour de la Pentecôte.

Jacques. Quelle différence y avait-il entre le baptême de Jean et celui de Jésus-Christ ?

Grand’mère. Je l’ai déjà dit ; le baptême de Jean était simplement une pratique de pénitence et d’humilité, tandis que le baptême qu’institua Notre-Seigneur est un Sacrement, qui par lui-même efface le péché originel et tous les autres péchés ; il donne à l’âme la grâce du bon Dieu, s’unit à Jésus-Christ et change les hommes en Chrétiens.


XXXVIII

DES NOMBREUX MIRACLES QUI SE FAISAIENT DANS LES PREMIERS TEMPS DE L’ÉGLISE.



Grand’mère. Aussitôt que ces Disciples d’Éphèse eurent reçu le sacrement de Confirmation et l’imposition des mains, ils reçurent les mêmes grâces qu’avaient reçues les premiers Apôtres ; ils comprirent les Saintes-Écritures, ils reçurent le don des langues, le don de prophétie, c’est-à-dire le don de parler saintement de Dieu, de manière à convertir les infidèles et les pécheurs.

Élisabeth. Pourquoi à présent ne reçoit-on pas les mêmes dons à la Confirmation et à l’imposition des mains des Évêques ?

Grand’mère. Parce que, dans les premiers temps du christianisme, il fallait des moyens extraordinaires pour vaincre les difficultés qui s’élevaient de tous côtés pour l’établissement de l’Église ; une œuvre si merveilleuse ne pouvait se fonder que par des secours extraordinaires et par des miracles évidents et répétés ; même avec tous ces miracles qui durèrent près de trois siècles, l’Église de Jésus-Christ eut grand’peine à s’établir solidement au milieu des passions des hommes. Juge un peu ce que c’eût été s’il n’y avait pas eu de miracles.

Ces miracles aidaient beaucoup les Apôtres à persuader les incrédules de la vérité d’une foi appuyée sur des preuves pareilles.

À mesure que l’Église s’est affermie et a pris un si grand développement qu’elle règne dans tout l’univers, les moyens extraordinaires sont devenus inutiles ; et comme le bon Dieu ne fait rien d’inutile, il n’a plus donné à ses Ministres, les Évêques et les Prêtres, les grâces extraordinaires qui étaient nécessaires aux premiers Évêques, aux premiers Prêtres et aux premiers Chrétiens.

Nos Évêques et nos Prêtres ont maintenant les grâces extraordinaires qui suffisent pleinement pour sauver et sanctifier les âmes.

Henriette. Pourtant, Grand’mère, je crois que quelques petits miracles de temps en temps feraient un très-bon effet.

Grand’mère. Tu as bien raison ; aussi la bonté de Dieu a-t-elle voulu que dans tous les siècles et maintenant encore, il y eût des miracles, et beaucoup de miracles, pour consoler de pauvres affligés, pour augmenter la foi des peuples et pour faire aimer davantage le Saint-Sacrement, ou la Sainte-Vierge, ou les Saints.

Henriette. Mais, Grand’mère, est-ce qu’il s’en fait donc ?

Grand’mère. Certainement, mon enfant, et beaucoup plus qu’on ne croit. Va à Paris à Notre-Dame des Victoires et informe-toi de ce qui s’y passe ; va dans les grands sanctuaires de la Sainte-Vierge ; va à Notre-Dame de Lorette en Italie, à Notre-Dame de Fourvières à Lyon, à Notre-Dame de la Garde à Marseille, etc. Et tu te convaincras bien vite qu’il se fait encore bien des miracles de nos jours ; il ne se passe pas d’année que le Pape et les Évêques ne proclament vrais et tout à fait certains, des miracles opérés, soit par le Saint-Sacrement, soit par la très-sainte-Vierge, soit par les Saints déjà canonisés, ou par les Bienheureux que l’on canonise.

Armand. Qu’est-ce que c’est : canonisé ?

Grand’mère. Cela veut dire déclaré Saint. Espérons qu’un beau jour tu seras canonisé, mon petit Armand. (Tous les enfants rient.)

Disons cependant en finissant, pour ne pas confondre ce qu’on est obligé de croire avec ce qui n’est pas de foi, qu’on ne pèche pas en ne croyant pas les récits miraculeux, même bien prouvés, qu’on entend ; tandis qu’on pécherait gravement contre la foi si on se refusait à croire un seul des miracles que rapporte l’Évangile ou les Saintes-Écritures, ou bien ceux que l’Église a solennellement reconnus.

Jeanne. Alors on ne peut pas dire qu’il n’y a plus de miracles ?

Grand’mère. Non, certainement ; moi-même j’en connais plusieurs autres aussi certains ; mais je ne vous les raconterai pas à présent, parce qu’il nous faut revenir aux Actes des Apôtres.



XXXIX

NOMBREUX MIRACLES DE SAINT PAUL.
LES EXORCISTES PUNIS.



Grand’mère. Nous en étions aux disciples d’Éphèse qui avaient reçu les dons du Saint-Esprit, après l’imposition des mains de saint Paul.

Cette imposition des mains, des Apôtres, n’était pas le sacrement de Confirmation ; c’était plus encore, c’était la Confirmation jointe à un miracle. Pendant trois mois de suite, saint Paul prêcha tous les jours et disputa avec les Juifs qui blasphémaient Notre-Seigneur. Saint Paul, ne pouvant plus supporter leurs blasphèmes et voyant que ses prédications ne faisaient que les irriter de plus en plus, abandonna leur synagogue et en retira les nouveaux disciples.

Il se logea chez un chrétien nommé Tyran, dans l’école duquel il fit ses prédications pendant deux ans. De sorte que tout le monde pouvait y entrer et l’entendre, Juifs et Gentils.

Pendant ces deux années, il fit souvent des courses apostoliques, dans l’Ionie et l’Asie, revenant toujours à Éphèse, qui était le lieu de réunion de tous les habitants des pays environnant l’Asie-Mineure, à cause du grand commerce qui s’y faisait. Les païens y venaient de tous les pays du monde pour y voir le fameux temple de Diane qui, par sa beauté et ses richesses, était réputé l’une des merveilles du monde.

Armand. Qui était Diane ?

Grand’mère. Diane était une des déesses des païens ou des Gentils ; elle était la patronne des chasseurs, disaient les païens. Les adorateurs de cette Diane adoraient la lune. Voyez comme le démon trompait ces pauvres hommes.

Le bon Dieu, pour récompenser le zèle de saint Paul et pour le glorifier, lui fit faire, à Éphèse, plusieurs miracles éclatants. Il permit que les linges mêmes qui avaient touché au corps de son Apôtre, eussent la vertu de guérir des maladies et des infirmités et de chasser les démons du corps des possédés.

Dans ce temps comme aujourd’hui, les impies se moquaient des miracles ; ils les niaient, donnant des raisons absurdes pour démontrer que ces guérisons miraculeuses étaient très-naturelles et étaient produites par l’imagination des malades.

Pierre. Mais les résurrections, les paralysies guéries, ne pouvaient pas être l’effet de l’imagination.

Grand’mère. Les résurrections n’étaient, disaient-ils, que des léthargies ; les paralysies étaient des maladies nerveuses, guéries par des impressions nerveuses, et ainsi de suite.

Armand. Qu’est-ce que c’est : léthargie ?

Grand’mère. Une léthargie est un sommeil si profond, qu’il ressemble à la mort ; mais on reconnaît la mort à des signes certains, à moins qu’on n’y mette de la légèreté et qu’on ne se donne pas la peine d’y regarder de près.

Les Juifs avaient des exorcistes, c’est-à-dire des hommes qui chassaient les démons du corps des possédés ; ils allaient de ville en ville, faisant leurs exorcismes pour de l’argent, et ils en gagnaient beaucoup.

Il y avait parmi ces faux exorcistes les sept fils d’un Juif nommé Scéva. Ils arrivèrent à Éphèse. Voyant que saint Paul avait un grand pouvoir sur les démons par le nom de Jésus-Christ, ils voulurent aussi les conjurer par le nom de Jésus, quoiqu’ils ne crussent ni en Jésus-Christ ni en saint Paul. Mais le bon Dieu ne voulut pas permettre un pareil sacrilège. Car un jour qu’ils exorcisaient ainsi un pauvre possédé, le démon leur dit :

« Je connais Jésus, et je sais qui est Paul ; mais vous, je ne vous connais pas. »

En même temps, il se jeta sur eux, et les traita si mal, les battit si fort, qu’ils furent obligés de s’enfuir nus et blessés.

Jacques. C’est bien fait ! J’en suis enchanté.

Grand’mère. C’est ainsi que Dieu punit ces méchants hommes. La nouvelle s’en répandit partout. Juifs et païens furent saisis de crainte et ils glorifiaient le nom du Seigneur Jésus. Il y eut plusieurs exorcistes qui se convertirent ; ils apportèrent leurs livres de magie inspirés par le démon pour les brûler devant tout le monde, de même que l’argent qu’ils avaient gagné en exorcisant. On compta cinquante mille pièces d’argent.

Henri. Combien cela faisait-il, une pièce d’argent ?

Grand’mère. Cela dépendait de la grosseur de la pièce ; probablement ces pièces d’argent valaient, l’une dans l’autre, deux, ou trois francs, ce qui faisait cent à cent cinquante mille francs que le diable avait fait gagner à tout ce vilain monde.

Marie-Thérèse. Qu’a-t-on fait de l’argent ?

Grand’mère. On ne le dit pas, mais il est probable qu’on le distribua aux pauvres.


XL

DES FAUX APÔTRES CHERCHENT À DISCRÉDITER SAINT PAUL.



Saint Paul, durant son séjour en Galatie, avait été traité comme un envoyé de Dieu, comme un Ange du Seigneur et comme Jésus-Christ lui-même. Mais pendant qu’il était à Éphèse, il reçut la fâcheuse nouvelle qu’il était survenu un grand changement chez les Galates, depuis l’arrivée de faux apôtres, anciens Juifs mal convertis, qui soutenaient la nécessité indispensable de la circoncision et des autres cérémonies judaïques.

Comme saint Paul était de tous les Apôtres celui qui avait le plus vivement et éloquemment combattu cette erreur, la première que saint Pierre avait été appelé à juger, les faux apôtres cherchaient autant que possible à diminuer l’autorité de saint Paul et la confiance qu’il inspirait.

Ils disaient que Paul était un Apôtre de second rang, choisi et instruit par les Apôtres proprement dits ; qu’il fallait, par conséquent, le considérer moins que Pierre, Jacques et Jean, qui avaient vécu avec Jésus-Christ. Si donc ceux-ci, au lieu de défendre les cérémonies de la loi juive, les permettaient même, il était évident qu’il fallait faire peu de cas du jugement de Paul, et ne pas imiter son peu de respect pour les anciennes cérémonies de la loi juive.

Quand saint Paul eut appris ces discours des faux prophètes, il jugea nécessaire d’écrire aux Chrétiens de Galatie avec grande force pour les faire revenir à la vérité. Il leur écrivit qu’il était Apôtre non par l’enseignement des hommes, mais par la volonté de Jésus-Christ ; qu’il avait été instruit non par les hommes, non par les Apôtres, mais par Jésus-Christ lui-même. Qu’après sa conversion, il n’alla pas à Jérusalem pour se faire instruire par les Apôtres, mais qu’il commença de suite ses voyages pour convertir les Gentils et les Juifs. Qu’il ne se rendit à Jérusalem que trois ans après pour rendre hommage à Pierre, auprès duquel il ne resta que quinze jours, sans voir d’autres Apôtres que Jacques, parent de Jésus-Christ. Qu’il n’y retourna qu’après quatorze années de voyages en Asie-Mineure, et que lorsqu’il exposa à Pierre et aux autres Apôtres la doctrine qu’il enseignait, ils n’y trouvèrent rien à redire. Enfin que lorsque Pierre s’était retiré, à Antioche, de la table des Gentils, lui Paul n’avait pas craint de l’en blâmer publiquement.

Élisabeth. Comment a-t-il osé blâmer saint Pierre, et devant tout le monde encore ? Cela m’étonne de la part de saint Paul.

Jacques. Moi aussi, je trouve que c’est très-mal.

Grand’mère. C’eût été très-mal, cher enfant, s’il avait attaqué l’autorité de saint Pierre, s’il l’avait blâmé avec colère et orgueil ; mais saint Paul avait le droit d’avoir son opinion sur une chose qui n’était qu’une question d’usages juifs ; il avait même, comme Apôtre et comme Frère, le devoir de représenter à saint Pierre le tort que pouvaient faire parmi les Gentils convertis, une si grande sévérité et une preuve si visible de son éloignement pour eux. Saint Pierre envisageait cette conduite au point de vue des Juifs, et saint Paul au point de vue des païens ; ils ont discuté là-dessus sans y mettre d’amour-propre ni d’aigreur. Et saint Pierre a trouvé que les raisons de saint Paul étaient plus importantes encore que les siennes. Il céda, donnant ainsi à tous les Souverains Pontifes, ses successeurs, une leçon d’humilité, de douceur et de bonté.

Quant à la question en elle-même, saint Pierre croyait qu’en irritant les Juifs, qui détestaient et méprisaient les Gentils, il attirerait une persécution sur tous les Chrétiens, et qu’il valait mieux éviter tout ce qui pouvait troubler l’union dans l’Église.

Valentine. Et saint Paul, qu’est-ce qu’il croyait ?

Grand’mère. Saint Paul croyait qu’il valait mieux braver les Juifs orgueilleux, ne pas faire attention à leurs colères, et se tenir prêts à souffrir la persécution, si elle arrivait.

Jeanne. Et vous, Grand’mère, qu’est-ce que vous croyez ?

Grand’mère. Je ne crois rien du tout, chère petite, parce que je ne suis pas en état de juger la question, ne connaissant ni les hommes ni les choses au milieu desquels se trouvaient saint Pierre et saint Paul. Ce que je sais, c’est que tous deux étaient de très-fidèles et parfaits serviteurs de Jésus-Christ et que tous deux ont versé leur sang pour lui.



XLI

VIE MORTIFIÉE DE SAINT PAUL.



Grand’mère. Saint Paul, après avoir encore expliqué aux Galates l’artifice des faux apôtres qui ne cherchaient qu’à désunir les vrais Chrétiens, finit en disant humblement :

« Quant à moi, Dieu me garde de me glorifier, si ce n’est dans la croix de mon Seigneur Jésus-Christ, en portant sur mon corps les marques et les cicatrices des coups que j’ai endurés pour lui. »

Pendant que les faux apôtres cherchaient à lui nuire et à l’abaisser, il faisait des conversions innombrables. L’exemple du saint Apôtre, ses rares vertus, son désintéressement, ses prières et ses larmes, sa patience constante y contribuaient autant que ses miracles. Sans jamais accepter de personne ni or, ni argent, ni vêtements, il faisait vivre ses nombreux compagnons par le travail de ses mains.

Non-seulement il ne prenait aucun repos tout le long du jour, mais encore il prêchait la nuit, allant de maison en maison, exhortant, suppliant les Juifs et les Gentils de croire à la parole de Dieu et de sauver leurs âmes.

Madeleine. Quel admirable homme que saint Paul !

Grand’mère. Je le crois bien ! Aussi l’Église l’appelle-t-elle « le grand Apôtre ; » ou même l’Apôtre tout court. Il n’y en a pas un seul qui ail fait autant que lui pour l’établissement du Christianisme dans le monde.

Rien ne put arrêter son ardeur et ses prédictions, ni la fatigue, ni la maladie, ni les périls auxquels l’exposait souvent la méchanceté de ses ennemis. Il en parle dans sa première Épître ou lettre aux Corinthiens.

« À chaque instant, je suis en danger, dit-il ; et il n’est pas de jour où je ne sois près de la mort. » Il ajoute même qu’il avait combattu contre les bêtes féroces, avant été exposé dans les amphithéâtres pour être dévoré, et Notre-Seigneur l’avait toujours préservé.

Henri. Vous dites, Grand’mère, que saint Paul a combattu contre les bêtes féroces ? Est-ce qu’il se battait avec elles ?

Grand’mère. Non, c’eût été impossible sans armes. Quand on jetait les pauvres Chrétiens aux bêtes féroces, on appelait cela combattre, parce que dans les jeux ordinaires des amphithéâtres qui avaient lieu pour amuser le peuple, on faisait combattre contre les lions, les tigres, les ours et les panthères, des esclaves armés qu’on nommait Gladiateurs. Ces gladiateurs parvenaient souvent à tuer les bêtes féroces. Quant aux Chrétiens, ils se laissaient déchirer et dévorer sans autres armes que leur sainteté et leurs prières.

Quand saint Paul eut prêché trois années de suite à Éphèse et dans les villes voisines, il résolut de faire une nouvelle visite en Macédoine et à Corinthe, puis d’aller à Jérusalem et de là à Rome. Il y avait bien longtemps qu’il désirait voir Rome, non pas à cause des richesses et des magnificences de cette capitale du monde, mais parce que Rome était déjà le siège principal de l’Église, ayant Pierre pour Évêque ; elle était, dès ce temps-là, le rendez-vous des Chrétiens qui venaient se prosterner aux pieds du chef de l’Église et lui demander des directions sur les difficultés qui se présentaient.

Saint Paul priait toujours le Seigneur de lui offrir une occasion favorable d’aller à Rome ; il eut la consolation d’être averti par Jésus-Christ lui-même dans une vision, qu’il irait à Rome après avoir passé en Macédoine et en Achaïe, où il avait déjà été établir des Églises.

En attendant qu’il pût y aller lui-même, il envoya en Macédoine deux de ses fidèles disciples, Éraste et Timothée.


XLII

SECONDE ÉPITRE DE SAINT PAUL AUX CORINTHIENS.



Après le départ de saint Timothée, saint Paul reçut des nouvelles affligeantes de Corinthe. Il apprit qu’il y avait beaucoup de divisions et de rivalités dans l’Église, dans les écoles des philosophes où chacun blâmait et approuvait, sans reconnaître aucune autorité ; on s’y disputait, il se commettait des désordres surtout dans les repas ; quelques-uns même attaquaient des articles de foi qui faisaient partie du Dogme, comme la résurrection des morts. Toute l’Église de Corinthe avait pourtant consulté saint Paul sur plusieurs de ces questions importantes.
St Paul prêchant à Athènes

Paul leur écrivit une lettre où, après leur avoir parlé avec beaucoup d’affection, il leur demandait instamment de ne pas avoir de querelles ni de divisions, de rester tous unis dans la même foi et dans le même esprit de charité qui est le véritable esprit de Dieu. Qu’ils ne s’en aillent pas, disant : « Moi je suis à Paul. — Et moi je suis à Pierre. — Et moi je suis à Apollo. — Et moi je suis à Jésus-Christ. — Jésus-Christ est-il donc divisé ? Et tous ne doivent-ils pas être dans l’esprit d’union de Jésus-Christ, en Jésus-Christ ! Paul, Pierre, Apollo, que sont-ils, sinon les ministres de Jésus-Christ, prêchant la même foi, les mêmes vertus ?

Il répond ensuite à plusieurs questions qui les divisaient. Il leur dit entre autres que le mariage, loin d’être défendu aux Chrétiens, est accompagné pour eux de grandes bénédictions de Dieu. Il est certainement plus beau, plus méritoire, de se consacrer entièrement à Dieu ; mais pourtant, si un homme ou une femme trouvait trop pénible, trop triste, de vivre seul, sans ménage, sans famille, il pouvait se marier sans déplaire à Dieu, et il pouvait même acquérir de grands mérites en vivant dans l’union conjugale et en se dévouant à la sanctification de la famille.

Il leur donne ensuite des règles pour le choix des aliments, leur défendant seulement de manger des viandes qu’on leur présenterait comme des viandes bénies, parce qu’elles auraient été offertes aux idoles des faux Dieux.

Et il ajoute : soit que vous mangiez, soit que vous buviez, faites tout pour la gloire de Dieu, c’est à-dire, faites tout saintement, le cœur uni à Jésus-Christ.

Il leur parle enfin des principales vertus chrétiennes que doit pratiquer l’homme et qu’on doit pratiquer dans le sein de la famille.


XLIII

RÉVOLTE À ÉPHÈSE.
SAINT PAUL VA EN MACÉDOINE, PUIS À CORINTHE :
IL ÉTABLIT LA COMMUNION À JEUN.



Grand’mère. Il y avait à Éphèse un orfèvre nommé Démétrius.

Louis. Qu’est-ce que c’est : orfèvre ?

Grand’mère. Un orfèvre est un homme qui travaille l’or, l’argent et d’autres métaux.

Ce Démétrius gagnait beaucoup d’argent en faisant des bijoux qui représentaient des petites statues et de petits temples de Diane ; tous les pèlerins de Diane en achetaient pour avoir un souvenir de ce temple magnifique, célèbre dans le monde entier. Démétrius employait une quantité considérable d’ouvriers pour la fabrication de ces petits temples. À mesure que le nombre des Chrétiens augmentait, le nombre des acheteurs diminuait. Les Chrétiens ne rendaient plus aucun culte à Diane : ils n’allaient pas visiter son temple ; ils n’achetaient pas les bijoux fabriqués par Démétrius. Le commerce et le gain de l’orfèvre diminuaient de jour en jour.

Voyant les grands progrès du Christianisme, Démétrius rassembla ses ouvriers, Leur représenta avec beaucoup d’exagération les bénéfices que leur rapportait la fabrication de ces petits temples, la perte considérable que leur faisaient éprouver les Chrétiens, la ruine qui les menaçait tous, maître et ouvriers, la diminution certaine de l’importance d’Éphèse et de la grande Diane, leur déesse.

Alors, tous ces ouvriers entrèrent en fureur et se mirent à crier :

« Vive la grande Diane d’Éphèse ! »

En peu d’instants, toute la ville fut dans un tumulte effroyable. Ils coururent au théâtre, lieu ordinaire des assemblées du peuple, traînant avec eux deux des disciples de l’Apôtre saint Paul. Paul voulut aller lui-même parler au peuple. Mais ses disciples, craignant pour sa vie, l’en empêchèrent, le retenant de force. On le pria instamment de rester enfermé.

Les Juifs qui avaient, comme les Chrétiens, horreur des idoles, eurent très-peur que les révoltés ne se tournassent aussi contre eux ; ils se voyaient déjà livrés au pillage et au massacre comme les Chrétiens. Ils voulurent faire parler en leur faveur un certain Alexandre qui avait de l’empire sur les ouvriers ; mais ceux-ci, ayant reconnu qu’Alexandre était juif, se mirent à crier pendant deux heures, sans vouloir rien entendre :

« Vive la grande Diane des Éphésiens ! »

Enfin un homme sage et puissant apaisa les clameurs de la multitude et les engagea, si on leur avait fait du tort, à aller se plaindre au Proconsul qui leur ferait rendre justice. Il finit par les calmer et les disperser.

Lorsque le tumulte fut apaisé, Paul rassembla ses disciples et leur dit qu’il était résolu à partir pour la Macédoine. Il écrivit encore une Épître aux Corinthiens. Il la fit porter par Tite, qu’il envoyait à Corinthe pour y faire une collecte ou quête pour les pauvres de la Judée. Puis il partit pour la Macédoine, d’où il passa en Grèce ; il retourna une troisième fois à Corinthe ; c’est alors qu’il ordonna que la communion ne pourrait plus être reçue qu’à jeun, c’est-à-dire avant d’avoir mangé.

Pierre. Est-ce qu’avant on pouvait manger avant de communier ?

Grand’mère. Oui, on communiait et on disait la Messe, indifféremment avant ou après les repas.

Pierre. C’était bien plus commode.

Grand’mère. Oui ; mais saint Paul trouva des inconvénients graves à cet usage. Il y avait parmi les nouveaux Chrétiens, peu instruits encore, des gens qui mangeaient ou buvaient avec excès ; il pouvait en résulter des choses fâcheuses, ou tout au moins une disposition peu recueillie qui faisait recevoir avec irrévérence le corps de Notre-Seigneur Jésus-Christ. Depuis, l’usage de ne communier qu’à jeun se répandit dans toute l’Église ; il a toujours été conservé.



XLIV

ÉPITRE DE SAINT PAUL AUX ROMAINS.



Avant de quitter Corinthe, l’Apôtre saint Paul écrivit sa grande Épitre aux Romains baptisés. Il leur recommanda de cesser leurs querelles avec les Juifs également baptisés, au sujet de la circoncision et des autres cérémonies juives.

Madeleine. Pourquoi donc se disputent-ils toujours pour les cérémonies juives ? Pourquoi ne se cèdent-ils pas les uns aux autres ?

Grand’mère. Parce qu’ils avaient tous l’orgueil qui les empêchait de céder. Les Juifs disaient qu’ils étaient le seul peuple qui ait vu et donné au monde le Christ Sauveur ; que seuls ils avaient été dès l’origine le peuple choisi de Dieu, que seuls ils avaient connu le vrai Dieu, et qu’ainsi dans l’Église, ils étaient supérieurs aux autres Chrétiens.

Les Gentils disaient que s’ils n’avaient pas eu l’avantage de connaître le vrai Dieu, ils avaient eu au moins le mérite d’avoir cru en lui aussitôt qu’on le leur avait fait connaître. Que s’ils n’avaient pas eu, comme les Juifs, le bonheur d’avoir vu et connu Notre-Seigneur, ils n’avaient pas commis le sacrilège de le méconnaître et de le faire mourir d’une mort cruelle et infâme.

Toutes ces accusations les irritaient les uns contre les autres, et c’est pourquoi saint Paul cherchait à les calmer et les suppliait de vivre en bon accord comme de vrais frères. Il recommanda aux Juifs de ne pas vouloir forcer les Gentils à adopter les cérémonies juives qui leur répugnaient ; et aux Gentils il demandait de ne pas dédaigner ces cérémonies qu’ils ne connaissaient pas et auxquelles ils n’étaient pas obligés, mais que leurs frères d’origine juive pratiquaient et respectaient encore.

Il les engagea tous à offrir en sacrifice toute leur personne, leur volonté, leurs actions, au Dieu Sauveur, au lieu de lui offrir des animaux qui n’ont ni volonté, ni mérite. Et il leur montre que c’est la foi en Notre-Seigneur Jésus-Christ qui seule peut sauver les hommes, qu’ils soient juifs ou païens d’origine, peu importe. Cette lettre de saint Paul est très-longue et très-belle ; vous la lirez un jour dans le livre des Épitres.


XLV

SAINT PAUL RESSUSCITE EUTYCHUS.



Depuis longtemps saint Paul désirait aller à Rome ; il voulait n’y rester que peu de temps et revenir à Jérusalem et dans tous les pays de l’Asie qu’il avait déjà convertis. Il partit donc avec saint Luc et, après avoir traversé la Macédoine, ils s’embarquèrent pour La Troade, où ils arrivèrent après cinq jours de navigation.

Armand. Où c’est la Troade ?

Grand’mère. La Troade est une petite contrée de l’Asie-Mineure qui est séparée de la Turquie par l’Hellespont, qu’on appelle aujourd’hui le détroit des Dardanelles. Constantinople, la capitale de la Turquie, est en face de la Troade. Tu sais maintenant où c’est la Troade, et tu vois qu’Henriette est bien gentille, qu’elle ne t’a rien dit.

Armand. Oui, Grand’mère, aussi je l’aime beaucoup, et je tâcherai de ne plus dire où c’est.

Henriette et Armand s’embrassent.

Grand’mère. Très-bien, mes chers petits ; vous êtes de bons enfants.

Saint Paul et son ami saint Luc arrivèrent donc dans la Troade où ils restèrent sept jours. Un soir, une foule de fidèles était rassemblée dans une grande salle qui se trouvait au troisième étage.

Saint Paul prêchait et la foule se pressait pour mieux entendre. Un jeune homme nommé Eutychus, se trouvant presque écrasé par la foule, était monté sur une fenêtre et s’y était assis. Fatigué de la longueur du discours de saint Paul, qui parlait depuis le commencement de la soirée…

Valentine. Comment, Grand’mère, saint Paul prêchait comme cela toute une nuit ? cela devait être bien ennuyeux.

Grand’mère. Ennuyeux, non ; mais fatigant, oui. Ces premiers Chrétiens étaient plus fervents que nous, quand il s’agissait du service et de la parole de Dieu.

Le pauvre Eutychus s’était donc endormi vers le lever du soleil et, malheureusement pour lui, il tomba par la croisée dans la cour, et resta étendu roide mort.

Saint Paul, ayant été prévenu de cet accident, descendit aussitôt, s’étendit sur le cadavre, l’embrassa, et dit aux assistants : « Ne vous effrayez pas, car son âme est en lui. » Et, au même instant, le jeune homme se releva n’ayant aucun mal.

Saint Paul remonta dans la salle, célébra les saints mystères, c’est-à-dire la sainte Messe, distribua la communion. Puis, il acheva sa prédication. Les fidèles s’en allèrent le cœur plein de joie et d’admiration de la résurrection du jeune Eutychus.


XLVI

SAINT PAUL FAIT SES ADIEUX AUX FIDÈLES
DE L’ASIE MINEURE
ET LEUR PRÉDIT QU’ILS NE LE VERRONT PLUS.



Grand’mère. Le lendemain de ce jour, Paul partit, et après avoir passé par plusieurs villes, il arriva à Milet, près d’Éphèse. Il fit dire aux prêtres qui étaient à Éphèse de venir le voir, ne voulant pas y aller lui-même, de peur d’y être retenu par les fidèles et de n’avoir pas le temps d’arriver à Jérusalem avant la fête de la Pentecôte.

Il parla longuement aux prêtres, leur rappela ce qu’ils devaient croire, ce qu’ils devaient éviter ; il leur dit que l’Esprit-Saint lui avait appris que des chaînes et des persécutions l’attendaient à Jérusalem…

Jacques. Et pourquoi y allait-il, puisque vous avez dit, Grand’mère, que le bon Dieu n’ordonnait pus de chercher les persécutions, et puisque saint Pierre, avait quitté Jérusalem pour ne pas être mis en prison ?

Grand’mère. Saint Paul voulait aller à Jérusalem, cher enfant, parce qu’il savait par l’Esprit-Saint que c’était la volonté de Dieu. Il savait aussi que les Chrétiens de Jérusalem avaient besoin d’être encouragés et fortifiés contre les persécutions des Juifs endurcis. Et saint Paul, qui avait consacré sa vie à Jésus crucifié, ne craignait ni la souffrance, ni la mort pour le service de son Divin Maître.

Il dit aussi aux Anciens d’Éphèse qu’ils ne le reverraient plus, qu’il mourrait loin d’eux ; il les conjura de se garder contre les loups ravisseurs…

Valentine. Comment ? Il y avait des loups à Éphèse ?

Grand’mère. Saint Paul ne parlait pas des loups à quatre pattes qui mangent les hommes ; il voulait dire par là qu’il y aurait des loups à deux pieds, c’est-à-dire des hommes méchants qui font périr les âmes en leur donnant de mauvais conseils, en leur enseignant des mensonges sur Notre-Seigneur Jésus-Christ, en cherchant à leur faire croire que Jésus-Christ n’était pas le Fils de Dieu, qu’il n’était qu’un homme de beaucoup d’esprit, et qu’ainsi il ne fallait pas croire ce qu’il avait enseigné. Ce sont ces hommes méchants et impies que saint Paul leur demandait de ne pas écouter et de chasser de leur pays.

Il leur dit beaucoup de choses sages et touchantes ; ayant fini de parler, il se mit à genoux et pria avec eux. Eux pleuraient tous, se jetant à son cou et l’embrassant. Ils le conduisirent ainsi jusqu’au vaisseau sur lequel il devait s’embarquer. Remarquez, mes enfants, que saint Paul et tous les bons fidèles nous sont montrés ici, comme se mettant à genoux pour prier, même en plein air. Les sectes séparées de l’Église se trompent donc évidemment quand elles viennent nous blâmer de nous mettre à genoux pour prier Dieu, et quand elles prétendent, en restant debout, prier comme les Apôtres et les premiers Chrétiens.


XLVII

RÉVOLTE CONTRE SAINT PAUL À CÉSARÉE.
LE TRIBUN ROMAIN LE MET EN PRISON.



Grand’mère. Après s’être arrêté en plusieurs endroits, saint Paul arriva à Césarée. Pendant qu’il y était, il vint un Prophète nommé Agapus. Le Prophète, s’étant approché, prit la ceinture de Paul, et se liant les pieds et les mains, il dit :

Voici ce que dit le Seigneur : « L’homme auquel appartient cette ceinture sera lié ainsi par les Juifs, à Jérusalem ; ils le livreront aux Gentils. »

Marie-Thérèse. Comment cet Agapus pouvait-il savoir cela ?

Grand’mère. C’est le Saint-Esprit qui le lui avait révélé, parce que c’était un très-saint homme.

Les Chrétiens, ayant entendu les paroles du Prophète, conjurèrent Paul de ne point aller à Jérusalem. Mais l’Apôtre leur répondit : « Que faites-vous ? Pourquoi pleurer et affliger mon cœur ? Moi je suis prêt, non-seulement à être lié, mais encore à mourir à Jérusalem pour le nom de Jésus. »

Ils le supplièrent longtemps avec larmes, mais voyant qu’ils ne pouvaient le faire céder à leurs instances, ils le laissèrent aller, disant : « Que la volonté du Seigneur soit faite ! »

Saint Paul partit donc pour Jérusalem, avec son fidèle saint Luc et d’autres disciples de Césarée. Les frères de Jérusalem reçurent saint Paul avec grande joie ; ils allèrent le jour suivant chez saint Jacques ; les prêtres et les Anciens s’y étant rassemblés, saint Paul leur raconta ses voyages et ce que Dieu avait fait pour les Gentils, par son ministère. Tous glorifièrent Dieu et lui dirent : « Tu vois, frère, combien il y a de Juifs qui ont cru ; et cependant ils veulent tous pratiquer les cérémonies de l’ancienne loi. Or, ils ont entendu dire que tu enseignes aux Juifs des autres nations de renoncer à Moïse et à ses cérémonies, de ne pas faire circoncire leurs enfants, de ne pas vivre selon les anciennes coutumes. Que faire donc ? Ils vont apprendre que tu es arrivé, ils vont s’assembler contre toi. »

Louis. Pourquoi les Anciens disaient-ils cela ? Pourquoi avaient-ils l’air d’avoir peur ?

Grand’mère. Parce qu’ils savaient bien combien les Juifs convertis tenaient à leurs anciens usages, et parce qu’ils craignaient pour saint Paul. En outre, ils avaient peur que les Juifs ne s’emparassent de saint Paul et ne le jetassent en prison, pour le faire mourir secrètement.

Les Anciens de Jérusalem lui donnèrent donc ce conseil :

« Nous avons ici quatre hommes qui ont fait vœu de Nazaréens. Prends-les avec toi, purifie-toi avec eux, et paye la cérémonie pour qu’ils se fassent raser la tête. Alors tous penseront que ce qu’on a dit de toi est faux, quand on t’a représenté devenu ennemi de la loi de Moïse. »

Louis. Pourquoi les Anciens disent-ils à saint Paul de payer pour les autres ?

Grand’mère. Parce qu’ils savaient sans doute que ces quatre Juifs étaient pauvres ou fort avares, et qu’ils défendraient saint Paul auprès des leurs, en reconnaissance du service qu’il leur aurait rendu.

Les Anciens ajoutèrent : « Quant aux Gentils qui ont cru, nous avons écrit qu’ils n’étaient pas obligés d’observer ces choses, mais qu’ils devaient s’abstenir de manger des viandes immolées aux idoles, de se nourrir du sang des bêtes étouffées, et de commettre aucune mauvaise action. »

Paul suivit le conseil des Anciens ; il se purifia avec les quatre hommes et entra dans le Temple pour demander aux prêtres quel jour se ferait la cérémonie des cheveux rasés et des animaux offerts à Dieu.

Henri. Comment se purifiait-on ?

Grand’mère. Au moyen de certaines ablutions ; on se lavait le visage, les mains et les pieds avant d’entrer dans le Temple. C’était le symbole de la pureté qu’on avait demandée pour son âme.

Les Prêtres indiquèrent le septième jour.

Mais ce jour-là, des Juifs d’Asie-Mineure, ayant reconnu saint Paul dans le Temple, soulevèrent tout le peuple contre lui, en s’écriant : « Au secours, Israélites ! Voici cet homme qui enseigne partout contre notre nation, contre la loi de Moïse et contre Dieu ; il a profané le. Temple en introduisant des infidèles dans le lieu saint. »

Jeanne. Ces méchants hommes mentaient, n’est-ce pas, Grand’mère ?

Grand’mère. Ils ne mentaient pas tout à fait, ils se trompaient ; car ils avaient vu avec Paul, dans la ville, Trophime d’Éphèse, qui était Grec ; et voyant saint Paul dans le Temple, ils crurent sans doute que Trophime l’y avait accompagné.

Aussitôt, toute la ville fut en révolution ; le peuple accourut en foule. On se saisit de Paul, on l’emmena hors du Temple, dont on ferma les portes ; et comme ils se disposaient à lapider le saint Apôtre, le tribun de la cohorte romaine…

Louis. Qu’est-ce que c’est que le tribun et la cohorte ?

Grand’mère. Le tribun était le chef des soldats romains qui gardaient la ville ; la cohorte était le régiment ou le bataillon de soldats commandés par le tribun.

Le tribun, ayant appris que la ville était dans le trouble et la confusion, prit avec lui des soldats et des centurions, et courut du côté où était l’émeute. Quand les Juifs aperçurent le tribun et les soldats, ils cessèrent de frapper saint Paul. Alors, le tribun s’approchant, se saisit de lui ; et, l’ayant fait lier avec des chaînes, il demanda qui était cet homme et ce qu’il avait fait.

Jacques. Ce tribun est bien injuste ; pourquoi a-t-il fait enchaîner ce pauvre saint Paul, avant de savoir seulement qui il était ni ce qu’il avait fait ?

Grand’mère. Il était certainement fort injuste ; mais les Romains étaient durs, et ils n’y regardaient pas de si près, surtout quand il s’agissait d’un pays conquis, comme était la Judée.

Le tribun, ne pouvant savoir ce qui en était, à cause des cris de tous ces gens qui se contredisaient et qui faisaient un tumulte effroyable, commanda qu’on emmenât Paul au camp romain. C’était la forteresse Agrippa qui se trouvait près du Temple. Lorsque saint Paul fut arrivé sur les marches de la forteresse, il fallut que les soldats le portassent pour le préserver de la violence du peuple en fureur, qui suivait en criant : « Tuez-le, tuez-le ! » Comme vous le voyez, mes enfants, le Disciple était traité comme le Maître.

Lorsque saint Paul allait entrer dans le camp, il dit au tribun :

« M’est-il permis de dire quelques mots ? »

Le tribun lui dit : « Sais-tu parler Grec ? N’es-tu pas cet Égyptien qui, ces jours derniers, a excité une révolte, et qui a conduit dans le désert quatre mille insurgés ? »

Saint Paul répondit : « Non. Je suis Juif, né à Tarse, en Cilicie, et citoyen de cette ville, qui est très-connue. Permettez-moi, je vous prie, de parler au peuple.

— Parle, » lui répondit le tribun.

Paul, se tenant debout sur les marches, fit signe au peuple qu’il voulait parler. Il se fit aussitôt un grand silence. Paul leur parla en Hébreu, ils furent encore plus attentifs, et il leur dit : Qu’il était Juif comme eux, qu’il avait été instruit dans la religion juive par un homme connu de tous, nommé Gamaliel ; qu’il était attaché à la loi et zélé comme eux tous pour la défendre ; qu’il avait jadis, par respect pour la loi, persécuté, emprisonné, enchaîné et fait fouetter tous les Chrétiens qu’il pouvait découvrir ; que c’était lui qui avait gardé les habits de ceux qui avaient lapidé Étienne. Il leur raconta sa conversion et comment le Seigneur lui avait dit : « Va, car je t’enverrai au loin pour prêcher la foi et le salut aux Gentils. »

Jusque-là, les Juifs l’avaient écouté en grand silence ; mais quand il eut prononcé le mot de Gentils, ils se remirent à crier : « À bas ! À bas ! Tuez-le ! Il doit mourir ! »

Jeanne. Ces vilains Juifs ! Ils sont comme des bêtes féroces !

Grand’mère. Ils étaient encore ce qu’ils avaient été pour Notre-Seigneur. Les Juifs de tous les temps depuis Jésus-Christ, ont conservé cette haine aveugle inspirée par le démon, contre les Chrétiens serviteurs de Jésus.

Le tribun, voyant la fureur de ces Juifs qui criaient, qui jetaient leurs manteaux à terre, et faisaient voler des flots de poussière, ordonna que Paul fût mené dans la forteresse, et qu’on le battît de verges jusqu’à ce qu’il avouât pourquoi le peuple était si irrité contre lui.

Quand Paul fut attaché avec des courroies, il dit au centurion :

« Vous est-il permis de fouetter un homme qui est citoyen romain et qui n’a pas été condamné ? »

Le centurion, entendant Paul parler ainsi, alla trouver le tribun et lui dit que Paul se disait citoyen romain, qu’il fallait prendre garde à ce qu’on allait faire. Aussitôt le tribun vint à Paul et lui dit : « Dites-moi, est-il vrai que vous soyez citoyen romain ? — Je le suis, répondit Paul ; je le suis non comme vous qui avez acheté ce droit fort cher, mais par droit de naissance, étant né à Tarse, dont les habitants ont reçu de César-Auguste le titre de citoyens romains. »

Les soldats qui devaient le fouetter se retirèrent. Le tribun eut peur, voyant que Paul était réellement citoyen romain, et qu’il l’avait fait lier, ce qu’il n’avait pas le droit de faire.


XLVIII

LE TRIBUN ROMAIN ASSEMBLE LE SANHÉDRIN POUR JUGER SAINT PAUL.



Grand’mère. Le lendemain, le tribun, qui avait fait enlever les chaînes de Paul, assembla le Sanhédrin, ou grand Conseil des Juifs ; il leur amena saint Paul et le plaça au milieu d’eux.

Paul, regardant d’un œil ferme et assuré les hommes du Sanhédrin, leur dit :

« Mes frères, jusqu’à ce jour, je me suis conduit devant Dieu comme un homme qui a une bonne conscience et qui veut agir avec justice. »

Au même instant, le Grand-Prêtre Ananie commanda à ceux qui étaient près de lui de frapper Paul sur la bouche. Alors Paul lui dit :

« Dieu te frappera lui-même, sépulcre blanchi. Quoi ! Tu es assis pour me juger, et, contre la loi, tu commandes qu’on me frappe ! »

Ceux qui étaient présents lui dirent : « Oses-tu bien maudire le Grand-Prêtre de Dieu ? » Saint Paul répondit : « Je ne savais pas, mes frères, que ce fût le Grand-Prêtre. Car il est écrit : Vous ne maudirez pas le Prince de votre peuple. »

Jacques. Je suis bien fâché que saint Paul réponde si doucement ; j’étais enchanté de ce qu’il avait dit à ce méchant Grand-Prêtre.

Grand’mère. Saint Paul a voulu témoigner par sa réponse douce et humble, de son respect pour les autorités instituées par Dieu lui-même ; et de celui que nous devons avoir pour les prêtres et tous les ministres du bon Dieu.

Élisabeth. Grand’mère, est-ce que saint Paul n’a pas un peu menti, en disant qu’il ne savait pas que ce méchant homme fût le Prince des prêtres ? Puisqu’il avait le Saint-Esprit et qu’il faisait même des miracles, il devait savoir à qui il parlait.

Grand’mère. Saint Paul n’a jamais menti, chère petite. Quoiqu’il eût le Saint-Esprit, il ne savait que ce que le Saint-Esprit lui permettait de savoir. Le bon Dieu aura permis ce moment d’ignorance, pour que saint Paul put exhaler librement son mécontentement contre ce juge injuste et oppresseur, et aussi pour faire rentrer en eux-mêmes le Grand-Prêtre et ceux qui jugeaient avec lui. Enfin, saint Paul, ne connaissant pas Ananie, pouvait s’y tromper, parce que le Sanhédrin s’était réuni non pas dans le Temple, comme d’habitude, mais dans l’appartement particulier du tribun, et aucun d’eux n’avait les ornements qu’ils portaient dans le Temple et qui faisaient reconnaître leurs différentes dignités.

Saint Paul savait qu’il y avait dans le Sanhédrin des Pharisiens et des Saducéens. Il dit donc aussitôt exprès pour les désunir :

« Mes frères, je suis Pharisien et fils de Pharisien ; et c’est parce que je crois comme les Pharisiens, à la résurrection des morts et à une autre vie, qu’on veut me condamner. » À peine eut-il prononcé ces paroles, qu’il s’éleva une grande discussion dans l’assemblée, entre les Pharisiens et les Saducéens.

Armand. Pourquoi cela ?

Grand’mère. Parce que les Pharisiens croyaient à la résurrection des corps, et les Saducéens n’y croyaient pas, et que tous étaient très-acharnés à soutenir leur opinion.

Il se fit donc un grand tumulte ; tous se disputaient et criaient. Les Pharisiens, voyant que saint Paul était de leur parti, disaient : « Nous ne voyons pas de mal en cet homme, il faut le laisser aller. » Les Saducéens criaient au contraire qu’il fallait le tuer pour l’empêcher d’enseigner une doctrine fausse et mauvaise.

Le tribun, craignant qu’ils ne missent saint Paul en pièces, fit entrer des soldats pour l’enlever et le conduire dans la forteresse. La nuit suivante, Notre-Seigneur apparut à saint Paul, et lui dit :

« Aie bon courage, Paul ! Tu m’as rendu témoignage à Jérusalem, ainsi faut-il que tu me rendes témoignage à Rome. »



XLIX

LE TRIBUN FAIT ÉVADER SAINT PAUL ET L’ENVOIE AU GOUVERNEUR ROMAIN FÉLIX.



Grand’mère. Le lendemain, quarante Juifs, encore plus exaltés que les autres, vinrent se présenter devant le Prince des prêtres et les Sénateurs, et leur dirent :

« Nous avons fait vœu de ne boire ni de manger que nous n’ayons tué Paul. Nous vous prions donc de faire savoir au tribun que vous lui demandez d’amener Paul demain devant vous, pour mieux connaître son affaire. Nous, de notre côté, nous sommes prêts à le tuer avant qu’il n’arrive. »

Paul fut averti de ce qui se passait, par son neveu fils de sa sœur. Il fit conduire ce jeune homme au tribun par un centurion.

« Le prisonnier Paul, dit-il, m’a prié de vous amener ce jeune homme. Il a quelque chose à vous communiquer. »

Le tribun, le prenant par la main, le tira à l’écart et lui demanda ce qu’il avait à lui dire. Le jeune homme lui expliqua la conspiration tramée contre Paul. Le tribun le renvoya, lui défendant d’en parler à personne. Puis, ayant fait venir deux centurions, il leur commanda de tenir prêts pour la troisième heure de la nuit, deux cents soldats, soixante-dix cavaliers et deux cents porte-lances ainsi que des chevaux pour Paul et ses amis, afin que, pendant la nuit, on les fît tranquillement partir pour Césarée ; là, on les remettrait entre les mains du gouverneur Félix.

Jeanne. C’est un brave homme ce tribun ; je l’aime beaucoup !

Grand’mère. C’est pourtant ce même homme qui avait fait enchaîner saint Paul, sans seulement savoir s’il était coupable ; et qui voulait le faire fouetter jusqu’à, ce qu’il avouât les crimes dont on l’accusait. Remarque que ce tribun n’a pris la défense de saint Paul que lorsqu’il eut appris qu’il était citoyen romain. Il craignit sans doute de perdre sa place s’il ne préservait de la fureur des Juifs un citoyen Romain.

Il y a bien des gens qui font de bonnes actions par des motifs tout-à-fait humains, et qui dès lors n’ont aucun mérite devant le bon Dieu.

Les soldats prirent Paul d’après l’ordre de leur chef, et le conduisirent cette nuit même à moitié chemin de Césarée. De là, les soldats s’en retournèrent à Jérusalem, les cavaliers continuèrent seuls leur route, et le lendemain ils amenèrent Paul au gouverneur Félix, avec une lettre du tribun qui expliquait pourquoi il envoyait Paul et ses compagnons. Le gouverneur, ayant lu cette lettre, demanda à saint Paul de quelle province il était : « De Cilicie, répondit-il. — Je vous entendrai, dit le gouverneur, quand vos accusateurs seront venus. » Et il commanda qu’on gardât les prisonniers dans le prétoire du palais d’Hérode.



L

FÉLIX TRAITE BIEN SAINT PAUL, RECONNAÎT SON INNOCENCE, MAIS N’OSE LE RELÂCHER.



Grand’mère. Cinq jours après, le méchant Ananie, Prince des prêtres, accompagné d’un orateur éloquent nommé Pertullas et de quelques anciens, arriva à Césarée ; ils comparurent devant le gouverneur Félix pour accuser Paul.

Saint Paul, ayant été appelé à son tour, écouta les calomnies que débitèrent contre lui ses accusateurs. Ils prétendirent qu’il était chef d’une secte de Nazaréens, qu’il excitait les peuples à la révolte dans le monde entier ; qu’il avait profané le temple des Juifs à Jérusalem, qu’il y avait causé des séditions et un grand tumulte ; qu’ils l’avaient saisi, mais que le tribun Lysias l’avait arraché de force de leurs mains.

Le gouverneur ayant fait signe à Paul de se justifier, le saint Apôtre répondit avec calme, avec dignité et avec force ; il raconta ce qui s’était passé à Jérusalem et fit voir clairement son innocence.

Le gouverneur Félix, après avoir entendu saint Paul, ne le trouvant pas coupable, renvoya Ananie et ceux qui l’accompagnaient, disant : « Quand le tribun Lysias sera venu, je vous écouterai. »

Valentine. À la bonne heure ! Le pauvre saint Paul va s’en aller bien vite, j’espère.

Grand’mère. Non ; il fut retenu en prison.

Jeanne. Comment, en prison ! Puisque le gouverneur le trouve innocent !

Grand’mère. Il aurait certainement dû le relâcher, mais il fit un peu comme Pilate ; il avait peur des Juifs, qui se révoltaient pour un rien ; et quoiqu’il ne voulût pas, comme Pilate, leur livrer un innocent, il n’osa pas non plus lui rendre une entière justice en le laissant en liberté. Mais il commanda au centurion qui devait garder saint Paul, de lui donner une prison meilleure, de le bien traiter et de n’empêcher aucun de ses compagnons de le voir et de le servir.

Quelques jours après, Félix et sa femme Drusille vinrent visiter saint Paul en sa prison et ils l’entendirent parler de tout ce que la loi de Jésus-Christ enseigne. Quand il leur parla de la justice, de la pureté, de la charité et du jugement dernier, ils eurent peur et s’en allèrent.

Valentine. Pourquoi eurent-ils peur ?

Grand’mère. Parce qu’ils entrevoyaient la vérité sans l’aimer. Ils eurent peur d’une religion qui condamnait leur vie. C’est pour cette même raison qu’une quantité de prétendus honnêtes gens ne veulent pas, maintenant encore, mettre les pieds à l’Église, lire des livres religieux, ni se rencontrer avec des prêtres. Félix continua pourtant à faire souvent venir Paul pour s’entretenir avec lui, mais il le garda en prison avec ses compagnons pendant deux ans.

Louis. Pendant deux ans ! pauvres gens ! Comme ils ont dû s’ennuyer !

Grand’mère. Ils ne s’amusaient certainement pas ; mais c’était pour la foi et pour l’amour de Jésus-Christ qu’ils souffraient les ennuis de la prison. Et cela leur suffisait pour garder la paix et pour être heureux de ce grand bonheur que Dieu donne à ses généreux serviteurs, même au milieu de leurs peines. Au bout de ces deux années, Félix fut remplacé par un autre gouverneur nommé Faustus.


LI

LE NOUVEAU GOUVERNEUR FAUSTUS ENTEND SAINT PAUL, QUI EN APPELLE À CÉSAR.



Grand’mère. Faustus, étant nommé gouverneur à Césarée, voulut voir Jérusalem. Le Prince des prêtres et les principaux d’entre les Juifs allèrent le trouver pour accuser Paul. Ils le prièrent instamment de le faire amener à Jérusalem ; car ils avaient payé des assassins pour le tuer en chemin.

Valentine, Jacques, Marie-Thérèse, Louis, Henriette, Jeanne.

Les coquins !

Les scélérats !

Les misérables !

Les abominables gens !

Grand’mère. Mais Faustus répondit que Paul était gardé à Césarée et que lui-même allait y retourner) qu’ils n’avaient donc qu’à l’y accompagner pour accuser Paul en sa présence des crimes dont ils le disaient coupable.

Lorsque Faustus fut revenu à Césarée et que les accusateurs de saint Paul furent réunis, il s’assit sur son tribunal et le fit amener devant eux. Les Juifs se mirent immédiatement à l’accuser de beaucoup de crimes dont il n’était pas coupable, et qu’ils ne pouvaient pas prouver. Saint Paul se défendait, disant :

« Je n’ai commis aucun crime, ni contre la loi des Juifs, ni contre le Temple, ni contre César. »

Faustus, voulant complaire aux Juifs, dit à Paul : « Veux-tu aller à Jérusalem, et y être jugé sur ces choses, devant moi ? »

Paul, qui savait que les Juifs avaient demandé de le faire juger à Jérusalem pour pouvoir le tuer en chemin, répondit :

« Je suis devant le tribunal de César et je dois y être jugé. Je n’ai rien fait de mal contre les Juifs, comme tu le sais toi-même. Si je leur ai fait quelque mal, si j’ai commis quelque crime digne de mort, je ne refuse pas de mourir. Mais s’il n’y a rien de vrai dans ce dont ils m’accusent, personne n’a le droit de me livrer à eux. J’en appelle à César. »

Alors, Faustus, en ayant causé avec le conseil, répondit :

« Tu en as appelé à César, tu iras à César. »

Élisabeth. Pauvre saint Paul ! le voilà sauvé pour le moment !

Pierre. Pas du tout, puisqu’on lui a coupé la tête à Rome.

Grand’mère. C’est vrai, mais il s’est encore passé un assez long temps entre sa prison de Césarée et son martyre à Rome. Ceci se passait en l’année 61, et il ne fut martyrisé avec saint Pierre que l’année 67. Le César qui régnait alors à Rome était le cruel Néron.


LII

SAINT PAUL DEVANT LE ROI AGRIPPA.
BELLE DÉFENSE DE SAINT PAUL.



Grand’mère. Quelques jours après, le Roi Agrippa et sa femme Bérénice arrivèrent à Césarée pour saluer Faustus.

Henri. Est-ce que Faustus était plus qu’Agrippa ? Il me semble pourtant qu’un Roi est plus qu’un gouverneur.

Grand’mère. Tu as parfaitement raison. Mais dans cette circonstance, il ne faut pas oublier que la Judée était un pays conquis par les Romains, que les rois de Judée n’étaient nommés qu’avec le consentement de l’Empereur romain. Ils étaient donc dans la dépendance de Rome, et le gouverneur, qui représentait César, pouvait leur nuire s’il le voulait et leur faire perdre leur couronne. Le roi Agrippa était donc bien aise de venir le saluer le premier pour flatter sa vanité.

Pendant la visite d’Agrippa, Faustus lui parla de Paul que Félix avait laissé en prison ; il raconta ce qu’il savait de l’acharnement des Juifs contre saint Paul, à cause de sa doctrine et d’un certain Jésus que les Juifs disaient mort, et que Paul soutenait être vivant ; il lui parla de son innocence qui lui semblait évidente et de son appel à César.

« Et moi aussi, dit Agrippa, je serais curieux d’entendre cet homme.

— Demain, dit Faustus, tu l’entendras. »

Henri. Comment Faustus ose-t-il tutoyer un roi ?

Grand’mère. D’abord ce roi était un roi Juif, presque dépendant de Faustus. Ensuite, il était d’usage dans les temps anciens que tout le monde se tutoyât. Maintenant on ne tutoie plus que des inférieurs ou des gens qu’on aime beaucoup. Faustus ne risquait pas de mécontenter Agrippa en le tutoyant, puisqu’Agrippa le tutoyait aussi.

Le jour suivant, Agrippa et Bérénice vinrent en grande pompe et entrèrent dans le prétoire où se faisaient les jugements du gouverneur ; les tribuns et les principaux de la ville étant rassemblés, Faustus donna ordre qu’on amenât le prisonnier Paul.

Faustus dit alors : « Roi Agrippa et vous tous ici présents, vous voyez cet homme au sujet duquel tout le peuple juif s’est ému et m’a interpellé à Jérusalem, criant qu’il devait mourir. Moi, j’ai reconnu qu’il n’avait rien fait qui méritât la mort ; mais lui, en ayant appelé à César, j’ai décidé de l’y envoyer.

« Ne pouvant rien écrire de certain à l’Empereur, je l’ai fait venir devant vous, et surtout devant toi, roi Agrippa, afin que, l’ayant entendu, vous me disiez ce que je dois écrire ; car il me semble déraisonnable d’envoyer à Rome un homme chargé de liens, sans savoir de quoi on l’accuse. »

Agrippa dit à Paul : « On te permet de parler pour ta défense.

« Alors Paul, étendant la main, commença à plaider sa sainte cause. Ce discours est magnifique. Il est au chapitre vingt-sixième des Actes des Apôtres.

Il raconta sa vie, sa haine et ses persécutions contre les Chrétiens, le martyre de saint Étienne, la vision sur la route de Damas, sa conversion miraculeuse, ses enseignements ; il parla des prophéties accomplies en la personne de Jésus-Christ, par sa vie, sa Passion, sa mort et sa Résurrection.

Faustus l’interrompit alors, en disant :

« Tu t’égares, Paul ; ta grande science te fait perdre le sens.

— Je ne m’égare pas, très-puissant Faustus, répondit Paul. Je dis des paroles de sagesse et de vérité. Le Roi devant lequel je parle hardiment, le sait ; car je pense qu’il n’ignore rien de ce que je dis, aucune de ces choses ne s’étant passées dans le mystère. Crois-tu aux Prophètes, Roi Agrippa ?… Je sais que tu y crois. »

Agrippa dit à Paul : « Peu s’en faut que tu ne me persuades d’être chrétien.

— Plût à Dieu, s’écria Paul, que non-seulement toi, mais tous ceux qui m’entendent aujourd’hui fussent tout à fait tel que je suis…, sauf ces chaînes !… » ajouta-t-il avec une admirable douceur.

Le Roi se leva ; le gouverneur, Bérénice et tous ceux qui étaient assis avec lui, se levèrent aussi. Et s’étant retirés, ils se parlaient et disaient : « Cet homme n’a rien fait qui mérite la mort ni les chaînes. »

Agrippa dit à Faustus : « On aurait pu le mettre en liberté, s’il n’en avait appelé à César. »



LIII

FAUSTUS ENVOIE SAINT PAUL À ROME
SOUS LA GARDE DU CENTURION JULIUS ;
UNE VIOLENTE TEMPÊTE LES JETTE SUR LE RIVAGE
DE L’ÎLE DE MALTE.



Grand’mère. Lorsqu’on eut décidé que saint Paul irait par mer en Italie, on le remit avec saint Luc et quelques autres prisonniers entre les mains d’un centurion nommé Julius, de la cohorte Augusta ; on s’embarqua et on navigua jusqu’à Sidon. Julius traitait Paul avec humanité ; il lui permit d’aller à Sidon chez ses amis et de demeurer avec eux.

Ils se rembarquèrent quelques jours après, et continuèrent leur voyage, s’arrêtant dans plusieurs villes et laissant passer le beau temps. Le mois d’octobre approchait. Saint Paul, qui avait souvent navigué sur ces mers, engageait le centurion Julius à ne pas perdre de temps, à hâter son voyage, parce que la navigation deviendrait dangereuse dans l’automne, non-seulement pour le vaisseau, mais pour leurs vies à tous.

Mais le centurion n’écoutait pas ce que lui disait Paul, croyant plus au maître du vaisseau et au pilote qui assuraient qu’ils ne couraient aucun danger.

Peu de temps après les avertissements de Paul, il s’éleva une tempête violente qui emportait le vaisseau de côté et d’autre sans qu’il fût possible de lutter contre les vagues. Ils eurent beaucoup de peine à retenir un esquif qui était attaché au vaisseau…

Louis. Qu’est-ce que c’est : un esquif ?

Grand’mère. Un esquif est un petit bateau qu’on attachait aux grands navires pour se transporter à terre quand on ne pouvait pas approcher du rivage.

La tempête avait brisé les liens qui retenaient l’esquif ; ils le rattrapèrent avec beaucoup de difficultés avec des crocs et l’attachèrent au vaisseau avec leurs ceintures.

Le lendemain, la tempête continuant, ils furent obligés, pour alléger le bâtiment, de jeter à la mer les marchandises qu’ils avaient embarquées. Le troisième jour, ils furent obligés de jeter encore à la mer les cordages et les mâts du vaisseau.

La tempête ayant duré ainsi pendant plusieurs jours, ils avaient perdu tout espoir de salut ; ils ne savaient plus où ils étaient ; roulés par les vagues furieuses, ils ne mangeaient plus par excès de frayeur.

Le quatorzième jour Paul leur dit :

« Il fallait, frères, passer la mauvaise saison dans l’île de Crète, comme je vous le conseillais. Maintenant, je vous exhorte au courage, car aucun de vous ne perdra la vie, le vaisseau seul périra ; un Ange de Dieu m’a apparu cette nuit et m’a dit :

« Paul, ne crains rien. Tu comparaîtras devant César ; et Dieu t’a donné la vie de tous ceux qui sont avec toi ; en ta faveur, ils ne périront pas. »

Quand le jour fut venu, saint Paul les exhorta à prendre quelque nourriture, les assurant de nouveau que pas un cheveu de leur tête ne tomberait ; ce qui veut dire qu’il ne leur arriverait aucun mal.

Paul, ayant dit cela, prit du pain ; il rendit grâces à Dieu devant eux tous, et il commença à manger. Tous les autres reprirent courage et mangèrent aussi. Ils étaient, en tout, deux cent soixante-seize dans le vaisseau.

Se trouvant rassasiés, et la tempête devenant de plus en plus furieuse, ils allégèrent encore le navire en jetant le blé dans la mer. Après avoir été ballottés pendant plusieurs heures, craignant d’être engloutis par chaque vague qui venait se briser contre leur vaisseau et qui passait même par-dessus, ils furent jetés dans un petit bras de mer qui formait comme un canal entre deux terres. Un bout du navire s’enfonça dans la terre par la force de la secousse ; et l’autre bout, la poupe, qui est la partie d’arrière d’un vaisseau, fut soulevée et brisée par la violence des vagues. Les soldats pensèrent alors à tuer les prisonniers, de peur que l’un d’eux ne pût s’enfuir à la nage. Mais le centurion, qui aimait Paul, ne le voulut pas ; il ordonna à ceux qui savaient nager, de se jeter à l’eau pour gagner le rivage qui était peu éloigné ; aux autres de se cramponner à des planches et aux débris du bâtiment ; ce qui réussit si bien que personne ne périt et que tous furent jetés sains et saufs sur le rivage.



LIV

ILS SONT BIEN TRAITÉS PAR LES HABITANTS.
MIRACLES DE SAINT PAUL.



Grand’mère. Les habitants du pays étaient bons ; ils s’empressèrent de venir à leur secours. Ils leur apprirent qu’ils étaient dans l’île de Malte.

Armand. Où est Malte ?

Grand’mère. Dans la mer Méditerranée, du côté de la Sicile. L’île de Malte appartient aujourd’hui aux Anglais.

Les habitants de l’île de Malte emmenèrent chez eux les pauvres naufragés ; les voyant transis de froid, car on était dans le mois d’octobre et l’eau de la mer les avait trempés, ils allumèrent un grand feu pour les sécher et les réchauffer.

Saint Paul, ayant ramassé lui-même une quantité de sarments de vigne, les jeta au feu, lorsque tout à coup une vipère, qui avait été engourdie par le froid, fut subitement réveillée par la chaleur ; elle lui sauta à la main et le mordit. Quand les habitants virent Paul piqué par une vipère dont la morsure est mortelle dans ces pays-là, ils dirent entre eux que cet homme était sans doute un meurtrier, puisque après avoir échappé à la mer, les Dieux ne lui permettaient pas de vivre.

Marie-Thérèse. Comment les Dieux ? puisqu’il n’y a qu’un seul Dieu.

Grand’mère. Nous n’en adorons qu’un ; mais les païens ignorants en adoraient une quantité. Tu verras cela quand tu apprendras la mythologie ou histoire de la Fable.

Saint Paul, secouant la vipère et la faisant retomber dans le feu, n’en ressentit aucun mal.

Ceux qui étaient là, le regardaient, croyant qu’il allait enfler, tomber par terre et mourir. Après avoir attendu longtemps, voyant qu’il ne mourait pas, qu’il n’enflait même pas, ils changèrent de pensée et dirent qu’il était un Dieu.

Élisabeth. Grand’mère, je trouve que tous ces païens et Gentils sont un peu bêtes ; ils changent d’idée comme des enfants ; tantôt ils vous portent au Ciel comme des dieux, tantôt ils veulent vous tuer comme des scélérats.

Grand’mère. C’est ce qui arrive, chère petite, à tous ceux qui ne connaissent pas la vérité ; ils ne savent sur quoi appuyer leur esprit, et ils passent d’une erreur à l’autre. Il n’en est pas de même pour nous ; les Chrétiens ont trouvé la vérité ; ils ont foi en l’Église ; ils s’appuient sur elle et ils sont sûrs de n’être jamais trompés par elle, puisqu’elle est l’œuvre du Saint-Esprit, c’est-à-dire de Dieu.

Camille. Certainement ; si on a besoin d’un conseil, d’une explication, on s’adresse au prêtre, ministre de Dieu, qui est lui-même instruit et éclairé par le Pape, successeur de saint Pierre. Rien n’est plus simple.

Louis. Comment ? chaque prêtre va à l’école chez le Pape ?

Grand’mère. Non, cher enfant, le Pape n’a pas d’école ; les hommes qui veulent être prêtres font leurs études dans des écoles qu’on appelle des Séminaires, où on leur enseigne la théologie, c’est-à-dire la science de la religion, de la seule vraie religion dont le. Pape est le Chef et qu’il préserve de toute erreur. Quand le Pape juge à propos d’enseigner quelque chose ou de condamner une erreur, il envoie son jugement à tous les Évêques. Les Évêques le transmettent aux prêtres, et par les prêtres, à tous les fidèles.

Revenons à saint Paul, si persécuté, si courageux, si fidèle.

Il y avait en cet endroit de l’île de Malte des terres appartenant au plus grand seigneur de l’île ; il s’appelait Publius et il reçut saint Paul et ses compagnons pendant trois jours ; il fut très-bon pour eux. Le père de Publius était dans son lit, souffrant beaucoup d’une maladie qu’on appelle la dyssenterie. Paul entra chez lui ; il s’agenouilla et pria ; ensuite il lui imposa les mains et il le guérit subitement.

Ce miracle fut connu de tous les habitants de l’île ; les malades accouraient en foule près de saint Paul qui les guérissait tous. Ils en témoignèrent beaucoup de reconnaissance et donnèrent à saint Paul et à tous ses compagnons tout ce qui leur était nécessaire pour reprendre leur navigation.



LV

ILS ARRIVENT À ROME, ON PERMET À SAINT PAUL DE PRENDRE UN LOGEMENT SOUS LA GARDE D’UN SOLDAT.



Grand’mère. Après trois mois de séjour à Malte, ils se rembarquèrent sur un navire loué et arrivèrent à Rome au commencement de l’année 62, après avoir passé quelques jours à Naples et dans plusieurs autres villes. On voit encore à Rome le chemin par lequel saint Paul passa pour y entrer. On appelle ce chemin la Via-Appia. Ce sont les mêmes dalles sur lesquelles il a marché.

Les Chrétiens, qui avaient appris l’arrivée de saint Paul et de saint Luc, vinrent au-devant d’eux à quelque distance de Rome. Saint Paul fut heureux de les voir et en rendit grâces à Dieu.

Le centurion Julius alla trouver le Préfet du Prétoire, nommé Burrhus, qui avait été avec Sénèque le gouverneur de l’empereur Néron, et qui était connu pour ses talents militaires et sa sagesse. Ce fut à lui que Julius remit saint Paul et ses compagnons. Il les avait traités avec beaucoup d’égards pendant le voyage. Ce fut à sa recommandation que saint Paul dut la permission de demeurer où il voudrait sous la garde d’un soldat qui, suivant l’usage, avait la main gauche attachée par une longue chaîne, à la main droite du prisonnier.

Henri. Comme cela devait être incommode pour tous les deux !

Grand’mère. C’était un grand assujettissement ; mais saint Paul s’y soumettait avec joie, heureux de souffrir pour Notre-Seigneur. Quant au gardien, on le changeait souvent.

Saint Paul convertit beaucoup de monde dans le logement qu’il avait loué et où il resta deux ans. Je l’ai vu quand j’ai été à Rome ; le terrain s’étant exhaussé avec le temps, il est dans les souterrains d’une église qu’on appelle Sancta Maria in via Lata, pas très-loin du Capitole.

Camille. Grand’mère, comment est ce logement de saint Paul ?

Grand’mère. Il est petit ; assez bas et voûté ; il y a une première petite pièce au milieu de laquelle est une espèce de colonne de trois pieds de haut environ, et la tradition rapporte que saint Paul, saint Luc et les autres Chrétiens, célébrèrent souvent la Sainte Messe dans cette petite chambre qui ne donnait pas sur la rue.

À côté est une chambre carrée et plus grande où il couchait ainsi que son garde ; on y voit des chaînes accrochées au mur, et on dit qu’elles ont servi à un soldat nommé Martial, qui fut converti par saint Paul et martyrisé. Les deux pièces sont pavées et assez sombres. Dans cette même chambre, saint Pierre, saint Marc, saint Luc, saint Clet et saint Clément, qui lurent les trois premiers Papes après saint Pierre, vinrent souvent visiter saint Paul, saint Luc et les autres frères. C’est là aussi que saint Luc a écrit le livre des Actes des Apôtres. Là aussi saint Paul a écrit plusieurs de ses Épîtres : l’Épître aux Colossiens, l’Épître aux Éphésiens, l’Épître aux Hébreux et deux ou trois autres encore.

Madeleine. Je voudrais bien voir Rome. C’est si beau, tous ces souvenirs !

Grand’mère. C’est non-seulement beau, c’est bon et sanctifiant plus qu’on ne peut dire. On voit encore la porte par laquelle entraient et sortaient tous ces grands Saints.


LVI

LE SYMBOLE DES APÔTRES.



Grand’mère. C’est ici, chers enfants, que finissent les Actes des Apôtres, mais je vous raconterai la fin de la vie de saint Paul ; et celle de saint Pierre, et des autres Apôtres. Saint Luc ne nous a pas rapporté la fin de leur histoire ; nous en connaissons les intéressants détails par les antiques traditions de Rome, et comment chacun des Apôtres a consommé son martyre. Je ne vous dirai ici que ce qui paraît tout à fait certain.

Élisabeth. Grand’mère, où était saint Pierre, quand saint Paul l’a quitté avec saint Luc ?

Grand’mère. Il était à Jérusalem. Il venait, avec ses frères et les Apôtres, de composer la grande profession de foi appelée le Symbole des Apôtres

Valentine. Qu’est-ce que c’est : le Symbole des Apôtres.

Grand’mère. Symbole veut dire abrégé de la foi. Le Symbole des Apôtres est une prière qui indique en abrégé aux Chrétiens tout ce qu’ils doivent croire sous peine de ne pas être Catholiques ; on appelle cette prière le Credo ; vous la dites tous, tous les jours.

Armand. Non, Grand’mère, je ne la, dis pas.

Grand’mère. Comment ? tu ne la dis pas : Je crois en Dieu

Armand. Oui, oui, Grand’mère ; tous les matins. Pas le soir, par exemple, parce que j’ai trop envie de dormir ; je dis seulement Notre Père ; Je vous salue Marie, et d’autres petites prières pour tout le monde.

Grand’mère. Eh bien ! Je crois en Dieu est précisément le Credo ; mais il faut aussi dire le Credo autant que possible, le soir comme le matin.

Armand. Et pourquoi l’appelez-vous Credo ?

Grand’mère. Parce que Credo est le mot latin qui veut dire Je crois ; et comme c’est le premier mot de la prière, on l’appelle le Credo.

Jeanne. Et ce sont les Apôtres qui ont fait eux-mêmes cette prière ?

Grand’mère. Oui, saint Pierre et les autres.

Henriette. C’est bienheureux qu’ils l’aient faite.

Jacques. Pourquoi cela ?

Henriette. Parce que, sans cette prière, on n’aurait su que croire. Et comme on a confiance dans les Apôtres, on croit ce qu’ils ont dit.

Jacques. On l’aurait su tout de même, puisque l’Évangile le dit.

Louis. Mais on ne peut pas relire tout l’Évangile tous les matins.

Jacques. Non, mais on se rappelle bien à peu près.

Louis. Et si tu comprends une chose d’une manière et moi d’une autre ?

Jacques. Alors, nous demanderons à maman.

Louis. Et si maman n’y est pas ? ou bien si c’est une maman pauvre qui ne sait pas lire ?

Jacques. Alors on demande au curé.

Louis. Et si le curé se trompe ? et si tu es dans un pays où on se dispute pour les choses de la religion, comme en Angleterre ou en Russie ?

Jacques. Alors on demanderait à l’Évêque.

Pierre. Mais l’Évêque peut aussi se tromper. Il y en a qui se sont trompés et qui ont été condamnés par les Papes ?

Jacques. Ah ! ce serait bien embarrassant.

Pierre. Tu vois bien qu’il faudrait aller jusqu’au Pape pour ne pas se tromper, puisque le Pape seul ne peut jamais se tromper dans les affaires religieuses. Et comment veux-tu que chacun aille courir chez le Pape pour savoir ce qu’il doit croire ?

Grand’mère. Mes chers petits, je vous ai laissés débattre cette question pour vous faire comprendre combien il est nécessaire que tous les articles de foi soient clairement expliqués par ceux qui continuent la Divine mission des Apôtres. Pierre a raison ; et le raisonnement de Louis est très-juste ; si nous n’avions pas la foi que les Apôtres ont résumée dans le Credo, nous serions comme les hérétiques ; ils n’ont pas de chef ; ils refusent de croire à l’autorité du Pape, successeur de saint Pierre, et chef de l’Église ; ils comprennent et expliquent chacun à leur manière les livres saints, comme la Bible, l’Évangile, les Actes des Apôtres et les Épîtres des Apôtres ; et comme chacun croit avoir mieux compris que les autres, ils se disputent ; ils se séparent, ils forment une quantité de Sectes qui se trompent toutes et qui se détestent entre elles ; et ils n’ont personne pour les mettre d’accord.

Louis. Qu’est-ce que c’est : Secte ?

Grand’mère. Une Secte est une réunion de gens qui n’ont pas les mêmes croyances.

Nous autres catholiques, grâce à notre chef unique qui est notre Saint-Père le Pape, nous avons tous la même croyance ; nous sommes tous unis dans la même foi, nous croyons ce que croient les Catholiques Anglais, Allemands, Espagnols, Chinois, Américains, etc. Et nous obéissons tous au même chef. C’est comme une armée commandée par un seul général ; soldats, lieutenants, capitaines, colonels, généraux, tous obéissent au même commandement, suivent les ordres qui leur sont donnés et s’adressent à leur Chef dans toutes les difficultés du service. C’est enfin la tête qui commande aux membres, et les membres qui obéissent à la tête.



LVII

SUITE DE L’APOSTOLAT DE SAINT PIERRE.



Grand’mère. Après avoir fait le Symbole, les Apôtres décidèrent qu’ils se disperseraient par toute la terre pour faire connaître Notre-Seigneur Jésus-Christ. C’est alors que saint Paul alla avec saint Luc en Asie Mineure, que saint Thomas alla dans les Indes. Saint Pierre alla à Borne, d’abord pour convertir les peuples de Rome et de l’Italie, et puis pour tâcher de détruire la puissance de Simon le Magicien dont je vous ai déjà parlé, qui avait eu l’air d’abandonner ses sortilèges et de vouloir suivre saint Pierre. Vous vous rappelez comment saint Pierre le renvoya avec indignation quand Simon lui offrit de l’argent pour qu’il lui vendît le don des miracles. Simon le Magicien était allé à Rome ; il s’était de plus en plus donné au démon qui l’aidait à faire des sortilèges ; il avait séduit les Romains par ses enchantements.

Saint Pierre ne put agir ouvertement contre lui dans les premiers temps de son arrivée à Rome, de peur d’exciter l’Empereur contre les Chrétiens. Il n’y en avait pas encore beaucoup et ils étaient timides dans leur foi ; saint Pierre convertit beaucoup de monde pendant les quatre ou cinq premières années qu’il resta à Rome. Il était descendu chez un sénateur nommé Pudens, qui se convertit à la foi avec toute sa famille. Le palais de Pudens, où demeurait saint Pierre, fut ainsi la première église chrétienne de Rome. On voit encore près de la grande église de Sainte-Marie-Majeure, une partie des ruines de ce palais si sanctifié. On vénère tout particulièrement une partie de l’ancien pavé sur lequel saint Pierre marchait souvent, ainsi qu’une table de bois sur laquelle il offrait souvent le saint sacrifice de la Messe. Le sénateur Pudens avait donné à saint Pierre pour lui servir de siège quand il prêchait, sa Chaise curule de sénateur. Cette chaise de Pudens et de saint Pierre est en ivoire, en ébène et en or. Elle est conservée comme une précieuse relique au fond de la grande Église de Saint-Pierre de Rome.

Saint Pierre fut obligé de quitter Rome pour obéir à l’édit, c’est-à-dire à l’ordre, de l’Empereur Claude qui chassait de Rome tous les Juifs. Ce fut alors qu’il retourna à Jérusalem pour apaiser les querelles qui s’étaient élevées entre les Juifs chrétiens et les Gentils convertis au sujet des cérémonies juives. Vous vous rappelez que saint Paul vint le rejoindre à Jérusalem pour ce même motif, et qu’il reprocha à saint Pierre publiquement d’avoir été trop condescendant en refusant, de manger avec les Gentils pour ménager les susceptibilités des anciens Juifs.

Au reste, cette réprimande de saint Paul, bien loin de diminuer le respect qu’avaient les Chrétiens pour saint Pierre, fit mieux encore ressortir son humilité et sa douceur. Loin de se fâcher et de rappeler qu’il était le Chef de l’Église et qu’on lui devait respect et obéissance, il s’humilia devant saint Paul, se rendant à ses remontrances, se bornant à expliquer modestement et doucement les raisons qui l’avaient fait agir comme le lui reprochait saint Paul.

Camille. Grand’mère, j’ai entendu dire que cette réprimande de saint Paul à saint Pierre prouve que saint Pierre pouvait se tromper, tout Pape qu’il était. Est-ce vrai ?

Grand’mère. Non, chère enfant ; ceux qui le disent oublient d’abord que cette question n’était pas du tout une question de foi, mais une simple affaire de conduite, sans importance au point de vue de la doctrine. Ensuite ils oublient que saint Pierre était infaillible, non-seulement en sa qualité de Chef de l’Église, mais en sa qualité d’Apôtre. Saint Pierre, comme les autres Apôtres et comme les Papes ses successeurs, n’était infaillible que dans ce qui regarde le gouvernement de l’Église et dans l’enseignement de la foi. Il pouvait se tromper comme les autres hommes dans les détails de sa vie privée.

Continuons l’histoire de saint Pierre.



LVIII

SAINT PIERRE PROUVE DEUX FOIS DEVANT LE PEUPLE ASSEMBLÉ L’IMPOSTURE DE SIMON LE MAGICIEN.

Grand’mère. On ne sait pas au juste ce que fit saint Pierre après avoir quitté Jérusalem ; on pense qu’il parcourut divers royaumes pour y établir de nouvelles Églises et pour travailler à étendre la foi de Jésus-Christ. Il revint à Rome pendant le règne de l’Empereur Néron, le plus féroce, le plus méchant des Empereurs romains, qui persécuta constamment les Chrétiens ; lorsque saint Pierre revint à Rome, ce fut pour ranimer le courage des fidèles contre la cruelle persécution de Néron, et pour s’opposer ouvertement à l’impiété de Simon le Magicien. Ce dernier avait gagné la confiance de Néron par ses artifices diaboliques ; il se faisait passer à Rome pour un Dieu descendu du Ciel. Lorsque saint Pierre fut à Rome, il prouva clairement à tous que Simon n’était qu’un imposteur, et il écrivit à tous les fidèles sa seconde Épître contre les hérésies, c’est-à-dire les erreurs qui commençaient à se répandre dans les différentes Églises du monde. Il annonça aux fidèles sa mort prochaine, qui lui avait été révélée par Notre-Seigneur.

Il soutint contre Simon plusieurs disputes dans lesquelles il le confondit ; et enfin, il lui proposa de décider la question de sa prétendue Divinité par la résurrection d’un mort. Simon accepta la proposition de saint Pierre, comptant sur l’aide du démon.

On apporta le corps d’un jeune homme qui était mort, et on l’exposa devant tout le peuple ; chacun put voir et toucher le corps pour se bien assurer que c’était bien réellement un cadavre. Simon, en présence de la foule assemblée, commença ses sortilèges ; mais malgré tous ses efforts, Satan ne réussit qu’à lui faire un peu remuer la tête. Aussi tôt les amis de Simon, s’écrièrent que l’homme était ressuscité, que Simon était véritablement un Dieu.

Louis. Mais c’est vrai que l’homme était un peu ressuscité, puisqu’il a remué la tête.

Grand’mère. Non, un seul mouvement du corps ne prouve pas qu’un mort soit revenu à la vie. Ce pouvait être l’effet de ce qu’on appelle l’Électricité et le Galvanisme ; quand tu seras plus grand, tu apprendras et tu connaîtras ces effets. Tu vas voir tout à l’heure que le mort de Simon resta mort, et que ce fut Pierre qui le ressuscita. Ressusciter un mort, c’est le rendre tout à fait à la vie.

Saint Pierre s’avançant, démontra au peuple que le léger mouvement de la tête que Simon avait obtenu de la puissance du démon, n’était pas une résurrection, puisque le corps était redevenu immobile, et que le mort restait privé de vie. Lorsque la chose fut bien certaine et que le peuple eut reconnu l’impuissance de Simon, Pierre se recueillant, pria ; puis élevant la voix il dit :

« Jeune homme, Lève-toi ; c’est moi qui te le dis ; Notre-Seigneur Jésus-Christ te rend la vie. »

Aussitôt le jeune homme se leva, parla, marcha, en présence de tous les assistants. Puis saint Pierre le rendit à sa mère. On demanda alors à Pierre de lui conserver la vie, puisqu’il la lui avait rendue. Pierre répondit :

« Que le Seigneur Jésus-Christ, dont je ne suis que le serviteur, le conserve ! » — Puis se tournant vers la mère : « Sois sans inquiétude pour ton fils, ô mère ! Ne crains pas ; il a un gardien qui le conservera. »

Le peuple plein de joie et d’admiration voulut aller lapider Simon le Magicien. Mais Pierre leur dit : « Il est assez puni d’avoir été forcé de reconnaître devant tous, qu’il n’est qu’un imposteur et que son pouvoir lui vient du démon. Qu’il vive donc et qu’il voie croître, malgré sa colère et ses efforts, le règne du Christ ! »

Jeanne. C’est bien bon et bien généreux à saint Pierre !

Grand’mère. Un vrai Chrétien est toujours bon ; il imite en cela Notre-Seigneur, qui met la charité au premier rang de toutes les vertus.

Simon souffrit beaucoup dans son orgueil, quand il se vit vaincu par saint Pierre, dont la gloire le torturait. Il se retira pour évoquer de nouveau le démon, et lui demander une plus grande puissance qui pût écraser celle de saint Pierre.

Henri. Comment ! il venait de voir saint Pierre ressusciter un mort et il ne croyait pas ?

Grand’mère. Cher enfant, la foi ne vient pas par les yeux. Pour croire, nous l’avons déjà dit, il ne suffit pas d’être témoin de miracles, il faut en outre avoir un cœur bien disposé, il faut aimer la vérité et avoir le courage de faire les sacrifices qu’impose la foi en Jésus-Christ. Simon le Magicien n’avait aucune de ces dispositions.

Il assembla donc encore une fois le peuple, il se plaignit d’avoir été offensé par les Galiléens, c’était ainsi qu’il appelait par mépris les Chrétiens, et il menaça de quitter la ville de Rome, qu’il avait aimée et protégée jusque-là. Il fixa un jour où on le verrait s’envoler au Ciel, dont l’entrée lui était toujours ouverte, d’où il leur enverrait des châtiments terribles.

Le jour qu’il devait accomplir ce grand prodige correspondait à notre dimanche. Saint Pierre, voyant le mal que ce nouveau sortilège pouvait faire à plusieurs fidèles peu affermis encore dans leurs croyances, ordonna la veille un jeûne général accompagné de prières. Quelques auteurs pensent que ce fut l’origine du maigre du samedi de chaque semaine.

Au jour marqué, Simon alla au Capitole, colline située au centre de Rome, et sur laquelle s’élevait le temple de Jupiter-Tonnant, le plus puissant dieu de Rome. Une foule immense couvrait la montagne et les environs. Simon s’élança dans les airs et se mit à voler. Le peuple commençait à l’admirer et à dire : Voler ainsi vers le Ciel avec son corps, ce n’est pas d’un homme ; c’est vraiment la puissance d’un Dieu. On ne dit pas que le Christ ait jamais rien fait de semblable.

Alors, Pierre s’écria du milieu de la foule :

« Seigneur Jésus, montrez votre force, et ne laissez pas tromper un peuple qui est à vous. Que le séducteur tombe, Seigneur, mais qu’il vive encore assez pour connaître qu’il n’a pu rien contre votre puissance ! »

Ainsi pria l’Apôtre avec larmes, puis il ajouta : « Je vous adjure, au nom de Jésus-Christ, vous démons qui soutenez en l’air cet impudent, lâchez-le ! Je vous l’ordonne ! »

Et aussitôt, à la voix de Pierre, au nom de Jésus-Christ, les démons perdirent toute force et lâchèrent Simon, qui tomba à terre. Son corps fut fracassé et ses jambes furent rompues et brisées, et pourtant, comme l’avait demandé saint Pierre, il ne mourut pas tout de suite. On le transporta dans un petit hameau près de Rome, nommé Arezzo, où il mourut comme un réprouvé, c’est-à-dire comme un ennemi de Dieu, en maudissant Pierre, le Christ et les Chrétiens, et sans donner aucun signe de repentir de ses crimes et de son abominable pacte avec Satan. Néron avait été présent à tout ce spectacle.

Armand. C’est très-intéressant cela ; mais qu’est-ce que c’est : un pacte ?

Grand’mère. Un pacte est un engagement mutuel de deux ou plusieurs personnes, qui se promettent l’une à l’autre un avantage quelconque ; ainsi, Simon avait promis au démon de faire tout le mal possible aux serviteurs de Jésus-Christ, à condition qu’il l’aidât et qu’il lui fît avoir beaucoup de gloire et d’argent. Le démon promit de son côté à Simon de lui accorder ce qu’il demandait, à condition qu’il n’épargnerait rien pour détruire la religion chrétienne. C’est ce qui s’appelle faire un pacte.

Madeleine. Je trouve, Grand’mère, que les Romains n’avaient pas si tort de croire à la divinité de Simon, puisqu’il faisait des choses si merveilleuses. Comment ces gens qui adoraient des pierres, des bêtes, des fontaines, et je ne sais quoi encore, pouvaient-ils deviner que Simon fût un imposteur ?

Grand’mère. Ils auraient pu facilement le deviner, en voyant la vie que menait ce prétendu dieu. De plus, à côté des prétendus prodiges du magicien, ils pouvaient voir presque chaque jour les vrais miracles de saint Pierre et de ces premiers Chrétiens, dont la vie était si admirable. Il est vrai que ces pauvres païens étaient bien ignorants, et c’est ce qui les excuse un peu. C’est par compassion pour leur âme que saint Pierre, saint Paul et les autres Apôtres se sont dispersés dans tout le monde païen, pour les éclairer. Voyons maintenant ce qu’a fait Néron pour venger son ami Simon.


LIX

NÉRON FAIT JETER S. PIERRE DANS LA PRISON MAMERTINE. FONTAINE MIRACULEUSE.



Grand’mère. L’empereur Néron fut très-affligé et encore plus furieux du malheur arrivé à son détestable ami. Il ne songea pas un instant à reconnaître la toute-puissance de Jésus-Christ, au nom duquel saint Pierre avait obtenu la démonstration publique de l’imposture de Simon. Il ne pensa qu’à se venger de Pierre et des Chrétiens. Il fit saisir saint Pierre et le fit jeter dans la prison Mamertine ; saint Pierre resta neuf mois enchaîné au mur de la prison. Au bout de ce temps, ayant converti les deux capitaines de ses gardes, Proculus et Martinien, ils le firent évader et il se tint caché chez des Chrétiens. Quand vous irez à Rome, vous irez voir cette prison Mamertine, horrible, mais sanctifiée par le souvenir du grand Apôtre, du premier Chef de l’Église, du Vicaire de Notre-Seigneur.

Marie-Thérèse. L’avez-vous vue, Grand’mère ? Comment est-elle ?

Grand’mère. Oui, chère enfant, je l’ai vue. C’est une espèce de caverne ronde et voûtée, haute de six à sept pieds environ, longue et large de huit à neuf pieds, taillée dans un rocher, à trois étages sous terre, sans air, sans jour. Autrefois, sous la république Romaine, on n’y descendait que par un trou rond assez large pour le passage d’un homme ; ce trou était fermé par une pierre. À l’étage au-dessus est une seconde prison, un peu plus élevée et plus grande. Celle-ci n’avait pas non plus d’air ni de jour, et on y descendait également par un trou rond semblable au premier.

La prison Mamertine était la prison du Sénat romain ; c’est là qu’on mettait les grands prisonniers. Longtemps avant l’emprisonnement de saint Pierre, on avait construit des escaliers taillés dans le roc, qui descendaient dans les deux cachots. Saint Pierre était dans celui d’en bas ; les gardes se tenaient dans les deux autres.

Jeanne. Est-ce qu’il n’y a rien dans la prison du pauvre saint Pierre ?

Grand’mère. Rien du tout, excepté la chaîne qui a servi dit-on à l’attacher, et à deux pas en avant, la fontaine qui a jailli à l’ordre de saint Pierre, quand il demanda au Seigneur de lui fournir de l’eau pour baptiser les soldats qu’il convertissait ; car il y avait toujours un soldat de garde dans sa prison, et il les a convertis presque tous.

La source qui jaillit alors a toujours été regardée comme une fontaine miraculeuse, et de tout temps on l’a vénérée à Rome comme provenant de saint Pierre. Ce qui est certain et très-étrange, c’est qu’on n’a jamais pu découvrir d’où vient cette eau, ni où elle va, et que l’on a fait d’inutiles efforts pour l’épuiser, quoique son bassin soit très-petit. Il contient à peine un seau d’eau. Des incrédules qui l’ont visitée ont avoué qu’ils n’y comprenaient rien, et qu’il y avait quelque chose de merveilleux qu’ils ne pouvaient s’expliquer.


LX

MARTYRE DE SAINT PIERRE. VÉNÉRATION QU’INSPIRENT SES VERTUS.



Grand’mère. Peu de jours après que saint Pierre eut ainsi échappé à Néron, les fidèles vinrent le supplier de se sauver bien vite, parce que Néron songeait à le faire mourir. Des soldats devaient venir le prendre. Saint Pierre refusa de quitter son cher troupeau ; mais les Chrétiens insistèrent tellement, le suppliant avec larmes de se conserver pour eux tous, afin de consolider l’Église de Rome, qu’il céda à leurs instances.
Martyre de St Pierre
Il partit tout seul au milieu de la nuit. À peine arrivé à la porte de la ville, il se trouva en présence de Notre-Seigneur. Pierre se prosternant, lui dit : « Où allez-vous, Seigneur ? » Le Seigneur lui répondit :

« Je vais à Rome, pour y être crucifié de nouveau. »

Pierre comprit que Notre-Seigneur voulait être crucifié en la personne de son Vicaire. Il revint donc à la ville, où il fut pris par les soldats qui le cherchaient, et enfermé, ainsi que saint Paul, dans cette même prison Mamertine dont je viens de parler. Néron, étant revenu d’un voyage qu’il avait fait en Achaïe, donna ordre que saint Pierre fût crucifié comme l’avait été son maître. On le fouetta cruellement auparavant, selon l’usage des Romains.

Le peuple, ayant su qu’on allait crucifier saint Pierre, se souleva avec menaces contre Néron, et voulut délivrer l’Apôtre pendant qu’on l’emmenait. Ils craignaient, disaient-ils, que Dieu ne vengeât par toutes sortes de maux, la condamnation et la mort d’un innocent. Saint Pierre réussit à calmer le peuple en l’exhortant à ne pas troubler l’ordre et à se soumettre.

On mena saint Pierre et saint Paul hors de Rome par la porte d’Ostie, qu’on appela depuis Porte de Saint-Paul. Ce fut près de là qu’on sépara les deux Apôtres.

Cet endroit est encore aujourd’hui l’objet de la vénération des pèlerins. On y a élevé une petite chapelle.

Au-dessus de la porte, on y voit, représentée en un joli bas-relief de marbre blanc, la scène de la séparation des Apôtres.

La tradition rapporte que saint Paul dit à son bienheureux Frère, en l’embrassant pour la dernière fois :

« Va, Pasteur du troupeau du Christ, va rejoindre ton Seigneur en cueillant la glorieuse palme du martyre. »

Et saint Pierre lui répondit :

« Et toi aussi, entre dans la gloire, précieux vase d’élection et Prédicateur de la foi dans le monde entier. »

Saint Paul fut emmené plus loin, à une lieue environ, pour avoir la tête tranchée par le glaive. C’était le supplice des citoyens romains. La croix était un des supplices réservés aux gens du peuple.

Saint Pierre fut conduit dans les jardins de Néron, au pied du mont Vatican, là où on voit la grande place de l’Église de Saint-Pierre, et une partie du quartier appelé Transtévère. On montre encore dans une petite cour voisine de la grande basilique, la place où fut plantée sa croix. Il fut crucifié avec cent cinquante autres Chrétiens, en présence de Néron, dans le cirque Impérial. L’immense obélisque égyptien qui orne le milieu de la place de Saint-Pierre était déjà à cette époque le milieu du cirque de Néron.

Le Prince des Apôtres fut donc attaché sur une croix comme son Divin Maître. Mais il demanda, par esprit d’humilité, d’y être cloué les pieds en haut et la tête en bas, ne se trouvant pas digne de mourir la tête haute, comme Notre-Seigneur.

Lorsqu’il fut attaché à la croix et qu’elle fut enfoncée en terre, saint Pierre parla au peuple, l’exhortant à croire en Jésus-Christ, bénissant Dieu, lui témoignant sa joie et son amour d’avoir été jugé digne de souffrir pour la gloire de son nom ; il termina ainsi :

« Seigneur Jésus, vous m’êtes toutes choses, et en tout ; il n’y a rien pour moi que vous seul, qui êtes Dieu vous-même, Dieu plein de bonté, vous à qui est dû avec le Père éternel et l’Esprit-Saint, l’honneur et la gloire à jamais, dans les siècles des siècles. »

Tous les Chrétiens présents répondirent Amen, et le saint Apôtre expira aussitôt.

C’était le 29 juin de l’année 67.

Le soir même de ce jour, une multitude de Chrétiens, hommes, femmes, enfants, vieillards, eurent la gloire de mourir pour Jésus-Christ. On les attacha à des poteaux, de distance en distance, on les enduisit de résine, et, quand la nuit fut venue, on mit le feu à ces flambeaux vivants.

Néron et son cortège parcouraient les allées à la lueur de ces torches d’un nouveau genre. Ce fut le signal de la première grande persécution de l’Église. Le monde entier fut comme inondé du sang des martyrs.

Un des disciples chéris de saint Pierre, nommé Marcel, détacha lui-même pendant la nuit le corps de son maître, encore attaché à la croix ; il l’embauma de précieux parfums et le déposa dans le tombeau qu’il s’était fait préparer pour lui-même, dans une galerie souterraine du mont Vatican. C’est à la même place que reposent encore les reliques de saint Pierre, sous le maître-autel de cette église magnifique, qui est le monument le plus vénéré du monde entier, à cause des restes précieux qu’il renferme.

La vénération de tous les Chrétiens, Évêques, Prêtres, simples fidèles, depuis près de dix-huit cents ans, est une preuve éclatante de l’antiquité de la foi de tous les siècles chrétiens au grand dogme de la Papauté.

Les autres Apôtres ont été saints comme Pierre, martyrs comme lui, et pourtant aucun n’a été glorifié dans ce monde comme l’a été et comme l’est encore saint Pierre ; aucun n’a laissé une suite de successeurs comme saint Pierre. Depuis saint Pierre, aucun des Évêques de Rome n’est resté inconnu ; tous ont gouverné l’Église universelle, et tous ont été les chefs des Évêques comme saint Pierre a été le chef des Apôtres.

Élisabeth. Ont-ils tous été des saints ?

Grand’mère. Non ; les quarante premiers successeurs de saint Pierre ont été martyrs, beaucoup d’autres ont été saints. Cependant, sur ce grand nombre de deux cent cinquante-huit Papes, il y en a deux ou trois qui ont déshonoré leur dignité par une mauvaise conduite privée, mais Dieu n’a pas permis qu’ils enseignassent la moindre chose contraire à la foi et aux mœurs. Aucun Pape n’a jamais approuvé une erreur, et n’a cédé sur aucun point qui concerne la foi et le bien général de l’Église.



LXI

MARTYRE DE SAINT PAUL ; IL APPARAÎT À NÉRON APRÈS AVOIR EU LA TÊTE TRANCHÉE.



Grand’mère. Maintenant que nous avons fini les Actes de saint Pierre, nous allons reprendre les Actes, c’est-à-dire l’histoire de saint Paul, à l’endroit où l’a laissée saint Luc.

Louis. Je crois que saint Paul était arrivé à Rome après avoir fait naufrage.

Grand’mère. Précisément, et grâce à la protection du bon centurion Julius, il fut presque en liberté.

Pierre. En liberté, avec un soldat enchaîné à sa main droite !

Grand’mère. C’est vrai, mais au moins il pouvait demeurer où il voulait, sortir, rentrer quand il voulait, recevoir qui il voulait, etc., et surtout prêcher librement la foi.

Henriette. Grand’mère, comment faisaient les Apôtres pour vivre ? ils n’avaient pas un sou, et pourtant il fallait bien manger et se vêtir.

Grand’mère. Les fidèles riches avaient soin de leur donner le nécessaire ; dans ce temps-là, les Chrétiens riches n’étaient pas égoïstes et indifférents pour le service de Dieu, comme le sont malheureusement beaucoup aujourd’hui ; ils donnaient beaucoup et ils avaient soin de pourvoir aux nécessités des prêtres et des pauvres.

Madeleine. Mais à présent, Grand’mère, il me semble qu’on donne beaucoup.

Grand’mère. Non, chère petite. Les petites fortunes donnent plus que les grandes ; mais généralement on donne très-peu, trop peu en proportion de ce que l’on a.

Élisabeth. Et quelle est la proportion dans laquelle on doit donner, Grand’mère ?

Grand’mère. C’est assez difficile à déterminer, chère petite ; pourtant il y avait jadis une règle établie ou plutôt conseillée par l’Église, qui était de donner pour les choses de bienfaisance, le dixième de son revenu ; on ne l’observe plus maintenant ; dans les temps anciens, tout le monde y obéissait. Au temps actuel, il y a des familles qui vivent de leur travail et qui ne pourraient pas donner le dixième de leur revenu. Tu penses qu’un ouvrier qui gagne six ou huit cents francs par an, et qui a une femme et des enfants à nourrir, ne peut pas prendre là-dessus soixante à quatre-vingts francs, sous peine de manquer de pain ou de vêtements ; il donnera beaucoup en donnant dix francs ; tandis que l’homme qui a quatre-vingt mille francs de revenu ne donne pas assez en en donnant huit mille, et celui qui a quatre ou cinq cent mille francs de revenu ne donne pas assez en donnant cent mille francs.

Mais pour en revenir à saint Paul, lui et les Chrétiens pauvres vivaient de ce que leur donnaient les riches. Dans ce temps de véritable fraternité, les pauvres ne craignaient pas d’être repoussés ; les riches venaient au-devant de leurs besoins ; ils envoyaient à la recherche des nécessiteux, et ils ne se contentaient pas de leur envoyer une aumône, ils continuaient à Les secourir sans jamais se lasser. Au reste, les pauvres comme saint Paul n’abusaient pas de la générosité de leurs frères ; ils vivaient de très-peu et ils étaient pauvrement vêtus.

Saint Paul était, comme nous l’avons vu, logé dans une maison qui est maintenant une église souterraine. Il y resta deux ans. Au bout de ce temps on lui rendit la liberté ; il en profita pour faire de nouveaux voyages et fonder de nouvelles Églises. Plusieurs auteurs anciens, entre autres saint Jean Chrysostôme, croient qu’il a été en Espagne, comme il en avait témoigné le désir, et enfin en France, où il fonda, croit-on, les Églises d’Arles, d’Avignon, de Vienne et de Narbonne »

Valentine. Comment ! il a été à Vienne ? Mais ce n’est pas en France.

Grand’mère. Vienne, capitale de l’Autriche, n’est pas en France, mais Vienne en Dauphiné est dans le midi de la France et pas éloigné de ces autres Églises établies par saint Paul.

Il resta absent pendant huit ans, après lesquels il revint à Rome où régnait le cruel Néron. Saint Paul réussit à convertir plusieurs personnes d’un rang élevé ; ce fut alors que Néron le fit saisir et jeter dans la prison Mamertine où était déjà saint Pierre. Ils en furent retirés ensemble le vingt-neuf juin pour être exécutés, selon la condamnation que venait de prononcer Néron au retour de son voyage à Antioche.

Les soldats emmenèrent les Apôtres, mais quand le peuple vit qu’on les menait au supplice, il se fit un grand tumulte et on se mit à crier qu’il n’y avait que trop de sang chrétien répandu déjà. Les soldats, forcés de ramener leurs prisonniers, firent comparaître saint Paul devant Néron. Celui-ci, furieux de le voir encore vivant, s’écria :

« Qu’on enlève, qu’on fasse disparaître de la terre ce malfaiteur ! C’est lui qui sème le trouble partout. Qu’on lui tranche la tête ! Il est indigne de vivre. »

Paul répondit : « Néron, mon supplice sera court ; mais je vivrai éternellement avec mon Dieu, Jésus-Christ, qui viendra juger le monde. »

Néron, plus furieux encore, dit à ses officiers : « Hâtez-vous de lui trancher la tête, et lui qui croit avoir une vie éternelle, qu’il comprenne que c’est moi qui suis le maître invincible, moi qui l’ai chargé de chaînes et qui triomphe aujourd’hui par sa mort. »

Paul reprit : « Afin que tu saches, ô César, qu’après que ma tête sera tombée sous le fer, je vivrai éternellement pour mon invincible Maître, et que toi, qui te crois vainqueur, tu n’es réellement que le vaincu, je t’apparaîtrai vivant après mon supplice, et tu pourras connaître que la vie et la mort dépendent de Jésus-Christ mon Seigneur. Car à lui appartient tout pouvoir et lui seul est le Roi invincible pour l’éternité. »

Après ces paroles, saint Paul fut emmené et réuni à saint Pierre pour marcher avec lui au supplice. En route, les officiers de Néron, qui s’appelaient Longin, Mégiste et Aceste, interrogèrent Paul sur le Roi dont il parlait. Saint Paul leur parla avec tant de force et d’éloquence, que leurs cœurs furent touchés ; ils crurent en Jésus-Christ et ils supplièrent Paul de les recevoir comme chrétiens, pour échapper aux flammes de l’enfer et partager sa gloire.

« Père, nous te rendrons à la liberté, dirent-ils, et nous t’obéirons et te suivrons partout jusqu’à (a mort.

— Mes frères, répondit Paul, je ne suis pas un déserteur de l’armée de mon Seigneur Jésus-Christ, mais un soldat soumis à ses lois. S’il ne s’agissait que de mourir sans arriver par la mort à la vie et à la gloire éternelles, j’accepterais votre offre de me rendre à la liberté ; mais, après tous les travaux que j’ai soufferts avec joie, il me reste à recevoir la couronne de la victoire, des mains de celui à qui j’ai donné ma foi. J’ai l’assurance que je vais à lui et que je viendrai avec lui lorsqu’il apparaîtra dans la gloire et la splendeur du Père et des Anges, pour juger le monde. C’est pourquoi je méprise la mort, et je ne puis écouter le conseil que vous me donnez de fuir. »

Alors les officiers lui dirent en pleurant :

« Que ferons-nous donc ? Et si tu meurs, comment vivrons-nous ? Et comment pourrons-nous parvenir à celui dont tu veux nous faire adopter la foi ? »

Jeanne. Ces pauvres gens ! Ils me font pitié. Comment saint Paul ne les baptise-t-il pas tout de suite ? Il ne leur répond même pas sur ce qu’ils lui demandent.

Grand’mère. Chère petite, les soldats qui accompagnaient saint Paul ne lui auraient pas permis de s’arrêter, et surtout pour une cérémonie chrétienne ; ensuite il n’y avait pas d’eau pour baptiser, le long du chemin que suivait saint Paul ; enfin, en baptisant ces trois officiers, devant les soldats et devant la foule rassemblée pour être témoins de son martyre, il les eût livrés aux bourreaux et à la mort. Tu verras tout à l’heure que non-seulement il leur répond quand il voit que leur foi est sincère, mais qu’il leur indique le moyen de recevoir le baptême immédiatement.

Avant que saint Paul ait pu leur répondre, deux officiers envoyés par Néron accoururent pour voir si Paul était exécuté. Le trouvant encore en vie, ils le poussèrent et le traînèrent rudement pour pouvoir retourner au plus vite annoncer sa mort à César. Une grande foule de peuple suivait l’Apôtre.

Quand ils furent arrivés aux portes de la ville, une noble dame romaine nommée Plautille, très-attachée aux Apôtres Pierre et Paul, et pleine de foi, se présenta à saint Paul, et lui demanda avec instance et avec larmes de prier pour elle. Paul lui dit :

« Va, Plautille, fille du salut éternel ; prête-moi le voile qui couvre ta tête, et retire-toi un peu à l’écart, à cause de la foule. Tu m’attendras jusqu’à ce que je revienne vers toi, et que je te rende ce voile que je demande à ta charité. Il servira de bandeau pour me couvrir les yeux ; après quoi je le remettrai à ta pieuse tendresse comme un gage de mon amour pour le nom du Christ, quand je monterai vers lui. »

Plautille lui présenta aussitôt ce voile malgré les insultes des deux officiers envoyés par Néron, qui lui disaient : « Comment peux-tu croire un magicien et un imposteur ! Et pourquoi lui donner un voile si précieux ? »

Mais Paul ajouta :

« Ma fille, attends mon retour ; et tout à l’heure, vivant avec Jésus-Christ, je t’apporterai, sur ce même voile, les signes de mon martyre. »

Henri. Comment Plautille a-t-elle eu le courage de parler à saint Paul et de lui donner un voile devant tout le monde ?

Grand’mère. D’abord, rien ne donne du courage comme la foi ; ensuite, en qualité de grande dame romaine, elle était respectée ; les soldats n’osèrent pas la repousser. Enfin, tu remarqueras que saint Paul lui recommande de s’éloigner à cause de la foule.

On était près d’arriver à la place où saint Paul devait avoir la tête tranchée ; Longin, Mégiste et Aceste redoublaient courageusement leurs instances et demandaient comment ils pouvaient arriver à la véritable vie.

« Mes enfants et mes frères, répondit saint Paul, lorsque le glaive aura tranché ma tête et que vous et les autres vous serez retirés, des Chrétiens fidèles viendront enlever mon corps. Vous remarquerez le lieu de ma sépulture, vous y viendrez demain de grand matin et vous y trouverez deux hommes en prières, Tite et Luc. Vous leur direz pourquoi je vous ai envoyés, et ils vous donneront le baptême du salut en Notre-Seigneur. Alors vous croirez, et lorsque vous aurez été plongés dans la fontaine de salut, vos péchés seront effacés. »

En parlant ainsi, ils arrivèrent au lieu du supplice. Là, se tournant vers le côté où se lève le soleil, et levant les mains au ciel, Paul rendit grâces au Seigneur. Il pria longtemps à haute voix, en langue hébraïque, et pleura beaucoup.

Louis. Pourquoi pleurait-il, puisqu’il savait qu’il allait dans le Ciel ?

Grand’mère. Il pleurait d’émotion et de reconnaissance pour lui-même, et de compassion pour l’Église qu’il laissait dans une si terrible persécution.

Henriette. Comment les soldats de Néron, qui étaient si pressés, lui permirent-ils de prier longtemps ?

Grand’mère. Parce que, pendant qu’il priait, les bourreaux préparaient ce qui était nécessaire pour l’exécution.

Quand saint Paul eut fini sa prière, il dit adieu à ses frères et les bénit. Puis il se banda lui-même les yeux avec le voile de Plautille ; il se mit à genoux et présenta le cou au bourreau. Celui-ci, élevant les bras, brandit son glaive et abattit à ses pieds, d’un seul coup, la tête sacrée de l’Apôtre.

Quand la tête fut détachée du corps, on dit que la bouche répéta encore en hébreu, d’une voix claire, le nom de Notre-Seigneur Jésus-Christ. On dit aussi que la tête bondit trois fois en roulant et qu’immédiatement trois fontaines jaillirent de terre en ce même lieu. Cette tradition est très-ancienne dans l’Église de Rome. À la place où saint Paul a subi le martyre il y a une église appelée : Saint Paul aux trois Fontaines.

Jacques. Et le voile de Plautille, le lui a-t-on rendu ?

Grand’mère. Quelques personnes voulurent l’enlever, mais on ne le trouva plus.

Louis. Qu’est-ce qu’il était devenu ?

Grand’mère. Tu vas voir. Les officiers que Néron avait envoyés pour hâter l’exécution, trouvèrent, en rentrant à Rome, Plautille, qui louait et glorifiait Dieu de la faveur qu’elle venait de recevoir du saint Apôtre. Ils lui demandèrent, en se moquant d’elle, pourquoi elle ne couvrait pas sa tête du voile qu’elle avait prêté à Paul. Plautille leur répondit avec dignité :

« Hommes vains et misérables, qui ne voulez pas croire même ce que vos yeux ont vu, ce que vos mains ont touché ! Je l’ai ce même voile que je lui ai donné ! Arrosé du sang de ce martyr, je le garde comme un trésor. Car Paul lui-même est venu du Ciel, accompagné d’une foule innombrable de Saints, vêtus de robes d’une éclatante blancheur. En me le remettant de sa main, il m’a remercié de ce signe d’attachement que je lui avais donné et il m’a dit :

« Sur la terre, ô Plautille, tu m’as assisté ; et moi, en retour, je serai ton guide et ton appui, dans la route de ce royaume céleste où tu vas entrer. »

Alors Plautille tira de son sein le voile rougi du sang de Paul, et le montra aux officiers. Ceux-ci, saisis d’une grande frayeur, s’enfuirent et se hâtèrent d’annoncer à César ce qu’ils avaient vu et entendu.

À ce récit, Néron frappé, lui aussi, de stupeur, réunit ses philosophes, ses favoris, ses conseillers, ses ministres et tous les sénateurs qu’on put rassembler. Il les interrogeait et les pressait de questions auxquelles ils ne pouvaient répondre. La crainte, la terreur avaient bouleversé ses sens, quand tout à coup, vers la neuvième heure, qui est pour nous trois heures de l’après-midi, les portes de la salle où ils se trouvaient tous réunis, étant fermées, saint Paul apparut glorieux au milieu d’eux, et se tenant devant César :

« César Néron, lui dit-il, reconnais-moi. Je suis Paul, le soldat du Roi éternel et invincible. Et maintenant, malheureux Prince, sache que je ne suis pas mort, mais que je vis pour mon Dieu. Quant à toi, encore un peu de temps, et d’affreux malheurs vont te frapper ; et ensuite le plus grand des supplices, la mort éternelle t’est réservée, parce que, ajoutant des crimes à tant d’autres crimes, tu as injustement versé par torrents le sang des justes. »

Après ces paroles, Paul disparut. Néron était dans une terreur épouvantable. Tout hors de lui-même, il ne savait quel parti prendre. Enfin, suivant le conseil de ses amis, il rendit plus tard la liberté à quelques malheureux Chrétiens qui étaient encore en prison.

Jacques. À la bonne heure ! Ces pauvres gens du moins ont été sauvés du martyre.

Élisabeth. Eh bien ! je crois que c’eût été plus heureux s’ils avaient été martyrisés.

Henri. Pourquoi donc ? C’est terrible d’être martyrisé.

Élisabeth. Oui, terrible pendant quelques heures ; mais après, quel bonheur de se trouver dans le Ciel avec la Sainte-Vierge, avec les Anges, et tous les Saints, pour toujours, toujours ! N’est-ce pas, Grand’mère ?

Grand’mère. C’est vrai, chère enfant ; mais n’est pas martyr qui veut. La vie comme la mort est un bienfait pour ceux qui aiment Dieu. Redevenant libres, ces Chrétiens ont sans doute vécu saintement et ont converti d’autres personnes. Ainsi il faut se réjouir de leur délivrance.

Le lendemain, de grand matin, les trois officiers, Longin, Mégiste et Aceste, vinrent au tombeau, comme le leur avait ordonné l’Apôtre. Ils y trouvèrent les deux hommes en prières et Paul debout au milieu d’eux. À cette vue, saisis d’admiration et de crainte, ils n’osaient approcher. En même temps, saint Tite et saint Luc, sortant de l’extase de leur prière…

Armand. Qu’est-ce que c’est : extase ?

Grand’mère. Je t’ai déjà expliqué que l’extase est un état extraordinaire pendant lequel on ne sait où on est ; on n’entend pas, on ne voit pas ce qui se passe autour de soi. Les grands Saints sont sujets à ces extases, et se sentent comme transportés dans le Ciel près de Dieu, de la Sainte-Vierge et des Anges.

Saint Tite et saint Luc, revenant donc à eux, reconnurent les officiers qui avaient assisté au supplice de Paul. Effrayés à leur tour, ils commencèrent à fuir, et saint Paul disparut.

Alors les officiers leur crièrent : « Bienheureux hommes de Dieu, cessez de craindre ! Nous ne venons pas ici pour vous poursuivre et pour vous faire mourir ; nous venons chercher la foi et avec elle l’eau du baptême qui doit nous ouvrir la vie éternelle comme nous l’a promis le grand Docteur Paul, que nous avons vu tout à l’heure debout et priant avec vous, »

À ces mots, Tite et Luc, remplis d’une grande joie, s’arrêtèrent et leur imposèrent les mains. Et le soir, après les avoir fait jeûner toute la journée, ils les baptisèrent au nom du Seigneur, Dieu, Père, Fils et Saint-Esprit.

Voilà tout ce qu’on sait du martyre de saint Paul, qui eut lieu pendant la première grande persécution générale, sous le règne du cruel et abominable Néron.

Je vais maintenant vous raconter ce qu’on sait de la vie et de la mort des autres Apôtres, grâce aux recherches et aux écrits des auteurs approuvés par l’Église.



LXII

MARTYRE DE L’APÔTRE SAINT ANDRÉ.



Grand’mère. Après le martyre de saint Pierre et de saint Paul, mes enfants, je vais vous raconter celui non moins admirable de saint André.

Vous vous souvenez, sans doute, que saint André était le frère aîné de saint Pierre, et qu’il suivait saint Jean-Baptiste.

Les plus jeunes enfants répondent les uns oui ; les autres non.

Grand’mère. Je crois que je ferai mieux de recommencer ; ceux qui ne savent pas y gagneront ; ceux qui savent n’y perdront rien.

Henriette, riant. Si fait, Grand’mère, nous y perdrons du temps.

Grand’mère, souriant. Non, votre temps ne sera pas perdu, car vous l’aurez employé à un acte de complaisance et de douceur.

Jeanne. C’est vrai ; Grand’mère a raison ; écoutons avec patience, quoique nous sachions.

Grand’mère. Saint André était donc le frère aîné de saint Pierre. Ayant entendu parler des prédications extraordinaires de saint Jean-Baptiste, il alla l’entendre et devint un de ses disciples. Mais saint Jean-Baptiste lui ayant fait voir un jour Notre-Seigneur, dit : « Voilà l’Agneau de Dieu. » Cette parole frappa vivement André ; il quitta saint Jean-Baptiste avec un autre disciple qu’on croit être saint Jean pour suivre le Sauveur du monde.

« Qui cherchez-vous ? lui demanda Notre-Seigneur.

— Maître, répondirent-ils, où demeurez-vous ?

— Venez et voyez, » dit le Seigneur.

Ils y vinrent et restèrent avec Jésus, toute la journée et la nuit suivante. André fut si plein d’admiration des paroles de Notre-Seigneur qu’il en parla à son frère Simon-Pierre ; il l’amena à Jésus qui les garda tous deux pour être ses disciples. « Suivez-moi, leur dit-il, suivez-moi, et je vous ferai pêcheurs d’hommes. »

À partir de ce jour, Pierre et André ne quittèrent plus leur Divin Maître. Après la Passion, la Résurrection et l’Ascension de Notre-Seigneur, saint André resta près de saint Pierre et des autres Apôtres. Il reçut avec eux le Saint-Esprit le jour de la Pentecôte.

Quand les Apôtres se dispersèrent pour prêcher l’Évangile, saint André eut pour sa part les pays qui se trouvent au nord du Pont-Euxin…

Louis. Qu’est-ce que c’est : le Pont-Euxin ?

Grand’mère. Le Pont-Euxin est une mer au-dessus de la mer Méditerranée et de l’Archipel.

Saint André commença par l’Achaïe où saint Paul se rendit plus tard. Après l’Achaïe, saint André alla dans un pays barbare qui s’appelait la Scythie. Les habitants de ce pays étaient renommés pour leur férocité, mais le saint Apôtre leur prêcha l’Évangile avec tant de bonté, de douceur ; il fit des miracles si nombreux et si frappants, qu’il en convertit une quantité prodigieuse. Entre autres conversions, il en opéra une qui paraissait impossible. C’était un vieillard de soixante-quatorze ans qui avait passé sa vie dans la débauche et la crapule ; il s’appelait Nicolas.

Armand. Qu’est que c’est : crapule ?

Grand’mère. Cela veut dire une vie abominable, remplie de mauvaises actions, d’ivrognerie, de saletés, de méchancetés de toutes sortes. Ce Nicolas était très-lié avec une femme aussi méchante, aussi mauvaise que lui. Un jour, il se trouva avoir sur lui, par hasard, le livre de l’Évangile écrit par saint Matthieu.

Louis. Comment un si mauvais homme pouvait-il avoir un si bon livre ?

Grand’mère. C’était probablement quelque nouveau Chrétien qui le lui avait donné. Il avait donc ce livre dans sa poche sans y penser, et il alla voir cette mauvaise femme pour se divertir et s’enivrer avec elle.

Mais aussitôt qu’il fut entré, la femme lui dit de s’en aller bien vite, parce qu’il avait sur lui quelque chose de divin dont elle ne pouvait supporter la présence. Nicolas, tout ému et surpris, alla trouver saint André et lui raconta ce qui venait de lui arriver. Il en était si troublé que le saint Apôtre profita de cette terreur pour lui faire honte de sa vie passée et pour le presser de se convertir. Nicolas y consentit, mais il ne voulut pas s’y décider tout de suite.

Saint André jeûna pendant cinq jours pour obtenir de son Divin Maître le salut de cette âme. Une voix du Ciel lui dit qu’elle lui serait accordée pourvu que Nicolas jeûnât pour lui-même et qu’il s’exerçât à vivre dans La pénitence.

Saint André exhorta Nicolas à le faire et lui parla avec tant de force que le vieillard se sentit enfin le cœur touché. Il consentit à écouter les avis du saint Apôtre. Malgré son grand âge, il jeûna pendant six mois au pain et à l’eau ; il vendit tous ses biens, distribua l’argent aux pauvres et mena jusqu’à sa mort une vie exemplaire.

Henri. Saint André était bien bon de se donner tant de mal pour un méchant vieillard.

Grand’mère. C’est précisément parce qu’il était méchant et vieux que saint André s’y intéressa si particulièrement. Nicolas n’avait pas de temps à perdre et le saint Apôtre désirait ardemment sauver cette pauvre âme pour laquelle Notre-Seigneur avait versé son sang et donné sa vie.

Élisabeth. Mais ce n’est pas seulement pour lui que Notre-Seigneur a donné son sang et sa vie ! C’est pour des millions et des milliards d’âmes.

Grand’mère. Certainement ; mais aussi pour chacune des âmes qui forment ces millions et ces milliards. Et chacune de ces âmes doit à Notre-Seigneur la même reconnaissance et le même amour que s’il n’était venu sur la terre que pour elle seule.

Après avoir fait une multitude de conversions dans tous ces pays éloignés, saint André revint à Patras, et il recommença avec une grande ferveur à prêcher l’Évangile et à conjurer les peuples de reconnaître la Divinité de Jésus-Christ.

Le proconsul ou gouverneur romain, Égée, ayant été averti des ravages que faisait saint André dans le culte des faux dieux, se rendit précipitamment à Patras, dans l’Achaïe, pour arrêter l’effet extraordinaire des prédications de l’Apôtre.

Aussitôt qu’André eut appris l’arrivée, du proconsul, il n’attendit pas d’être appelé par lui ; il se hâta d’aller le trouver.

« Égée, lui dit-il, toi qui as reçu le pouvoir de juger les hommes de cette province, tu devrais connaître ton juge à toi qui est dans le Ciel, afin que tu lui portes le respect et que tu lui rendes l’hommage qui sont dus à sa souveraine Majesté. Tu abandonnerais alors le culte impie de tes idoles. »

Jeanne. Comment saint André a-t-il eu le courage de parler ainsi à cet homme qui avait le pouvoir de le faire mourir ? Il me semble qu’il eût été plus prudent de rester tranquillement dans sa maison.

Grand’mère. Chère enfant, ce n’est pas ainsi que raisonnent les Apôtres et les vrais Chrétiens. Le saint Apôtre n’eût rien gagné à rester chez lui. Le proconsul arrivait tout exprès pour arrêter ses prédications ; il l’aurait fait amener de force en sa présence. Saint André a préféré lui faire voir tout de suite qu’il ne craignait ni lui, ni aucun homme sur la terre, et que personne ne l’empêcherait de prêcher l’Évangile de Jésus-Christ.

« Es-tu donc cet André, dit Égée, qui cherche à détruire les temples de nos dieux, et à persuader au monde que la seule religion vraie est celle qui a été condamnée et défendue par nos Empereurs ?

— Cette défense n’a été faite par les Empereurs, répondit André, que parce qu’ils n’ont pas connu le grand mystère du salut des âmes ; ils ignorent comment le Fils de Dieu est venu nous tirer de l’esclavage du démon.

— De semblables discours, dit Égée, n’ont pas empêché ton Christ d’être saisi par les Juifs et d’être attaché ignominieusement à une croix,

— Il est vrai, s’écria le saint Apôtre, qu’il a été attaché à une croix ; mais il n’y a été attaché que par amour pour nous et pour le salut de nos âmes. J’en suis témoin moi-même, ayant entendu souvent de sa propre bouche les prédictions qu’il nous faisait relativement à sa mort, et les assurances qu’il nous donnait de la nécessité de cette mort pour le salut du monde.

— Que m’importe, dit Égée, que ce soit par l’effet de sa propre volonté qu’il ait été crucifié ? Il suffit qu’il l’ait été pour que je ne l’adore pas. Comment reconnaître pour Dieu un homme crucifié ? »

Saint André lui expliqua alors les grands mystères de la Rédemption de Jésus-Christ. Mais Égée ne comprit rien aux paroles de l’Apôtre et lui signifia que, s’il ne mettait pas fin à ses prédications, et s’il ne sacrifiait promptement aux dieux de l’empire, il le ferait fustiger honteusement et ensuite attacher à une croix comme son Maître.

Louis. Quel méchant homme que cet Égée ! Et comme tous ces païens sont méchants !

Grand’mère. La charité était une vertu inconnue chez les païens. C’est ce qui distingue la religion de Jésus-Christ de toutes les autres religions. Notre-Seigneur a prêché la charité par ses paroles et par son exemple. Les Apôtres, de même que leur Divin Maître, prêchaient la charité comme le premier devoir de tous les Chrétiens, comme la source de toutes les vertus. Remarquez bien qu’un vrai Chrétien, bien qu’il soit inflexible dans sa foi et dans son amour pour la vérité, est néanmoins rempli de douceur, de bonté, d’indulgence, qu’il cherche à rendre heureux tous ceux qui dépendent de lui, qui vivent avec lui. Il soulage leurs misères, il leur épargne des souffrances, il les console dans leurs chagrins. Égée était comme tous les païens, orgueilleux, despote, égoïste, inhumain.

Élisabeth. Mais, Grand’mère, je connais des Chrétiens qui ont tous ces défauts et qui n’ont de charité pour personne.

Grand’mère. C’est que ce ne sont pas de vrais Chrétiens, chère enfant ; ils ne le sont que de nom. Ils feraient peut-être comme Égée, s’ils étaient à sa place.

Quoi qu’il en soit, la menace d’Égée n’effraya pas saint André, qui lui répondit : qu’il offrait tous les jours un sacrifice ; que ce sacrifice était celui de l’Agneau sans tache, de Jésus-Christ lui-même, qui, après avoir été reçu chaque jour par chacun des fidèles, restait toujours vivant et entier. « Car, ajouta-t-il, je ne reconnais vos dieux que comme des démons abominables, indignes d’honneur et de respect. Et quant au supplice de la croix dont vous me menacez, sachez que c’est là l’objet de mes désirs, et que je ne serai jamais plus joyeux que lorsque je m’y verrai attaché comme l’a été mon Divin Maître. »

Le proconsul, irrité de ce discours, fit enfermer le saint Apôtre dans une affreuse prison, espérant que les souffrances qu’il y endurerait, le feraient changer de sentiments.

Mais à peine y fut-il, qu’une multitude d’hommes qui avaient saint André en grande vénération se rassemblèrent pour briser les portes de la prison et pour mettre l’Apôtre en liberté.

Valentine. À la bonne heure ; ce sont de braves gens ! C’est très-bien ce qu’ils font.

Grand’mère. Mais saint André ne les laissa pas faire ; car aussitôt qu’il fut informé de leur projet, il fut rempli de douleur et il demanda à parler à cette foule irritée. Ne sachant quel autre moyen prendre pour calmer la fureur de ce peuple, Égée lui en accorda la permission.

L’Apôtre leur rappela que Notre-Seigneur avait enduré patiemment les tourments de sa Passion sans se défendre et sans permettre qu’on le défendît. Il les conjura par le sang et la mort de leur Divin Maître, de ne pas changer en une sédition diabolique la paix qu’il avait apportée au monde.

« Ce que vous devez faire, leur dit-il, c’est de vous préparer vous-mêmes à mourir. Le Chrétien ne devient pas victorieux en se défendant, mais en mourant. Les supplices qui sont à craindre ne sont pas ceux qu’on endure en cette vie, mais ceux qui sont préparés aux impies, en enfer. Au lieu de vouloir tuer Égée, vous devez avoir plutôt de la compassion pour lui, puisqu’il se rend digne de ces tourments éternels ; bientôt viendra le temps où nous serons récompensés de nos souffrances, et où, lui, sera rigoureusement puni de sa cruauté. »

Camille. Grand’mère, je trouve ce discours bien beau ! Et quelle générosité, quelle charité déploie ce grand Apôtre !

Grand’mère. Oui, chère petite, on sent que c’est l’homme de Dieu, l’Apôtre de Jésus-Christ qui parle. Aussi produisit-il un tel effet sur les milliers de Chrétiens qui l’entouraient, que tous se retirèrent calmes et tristes.

Henriette. Pourquoi tristes ?

Grand’mère. Parce qu’ils savaient qu’Égée ferait mourir saint André dans les tourments et qu’ils seraient privés à l’avenir de ce saint homme.

Jeanne. Égée aura été, sans doute, reconnaissant du grand service que lui avait rendu le bon saint André.

Grand’mère. Il a été aussi ingrat que méchant. Le lendemain de ce jour, il envoya chercher André, le fit comparaître devant son tribunal et lui dit :

« Je pense que tu as réfléchi cette nuit à mes paroles, et que tu as changé de sentiment et de résolution.

— Bien loin d’en avoir changé, répondit le saint Apôtre, je souhaite avec la même ardeur d’attirer tout le monde à mon Seigneur Jésus, et d’abolir entièrement le culte des idoles. C’est à quoi j’ai travaillé dans cette province, et j’ai la consolation d’avoir éclairé bien des gens et de les avoir gagnés à mon Sauveur.

— C’est de quoi je me plains, reprit Égée avec colère ; je veux que tu renonces à ta superstition et que tu répares le mal que tu as fait par tes folles prédications. Les temples de nos dieux sont déserts maintenant, leur culte est abandonné. C’est toi qui es l’auteur de cet abandon, il faut que tu y portes remède. Si tu continues à t’y refuser, le supplice de la croix t’est assuré, et personne ne pourra te sauver de ma colère.

— Ô fils de la mort, s’écria André, demeureras-tu toujours dans ton aveuglement ? Crois-tu que je craigne les tourments dont tu me menaces ? Sache au contraire que je les désire avec ardeur. Plus je souffrirai, plus la récompense que je recevrai des mains de mon Seigneur sera belle et précieuse.

La seule chose qui me peine, c’est de te voir si obstiné dans ton erreur. »

Égée ne comprit rien à cet amour ardent pour un Dieu crucifié et pour des hommes inconnus au saint Apôtre. Il le traita d’extravagant et d’insensé, et le fit fouetter cruellement.

Les bourreaux exécutèrent la sentence avec une grande barbarie ; le corps d’André fut tout déchiré. Ce supplice fut rendu plus cruel encore par le froid rigoureux qui entrait dans ses plaies, et qui lui causait des douleurs insupportables. Mais, loin de diminuer son courage, ces souffrances augmentèrent encore son désir de mourir pour son Divin Maître.

Ramené devant le proconsul, il lui parla avec le même courage, le suppliant d’ouvrir les yeux à la vérité et de sauver son âme.

« Pense, lui dit-il, à la peine terrible que tu te prépares dans l’enfer, vers lequel tu te précipites. Les souffrances dont tu me menaces ne peuvent durer qu’un jour ou deux, et seront suivies d’une gloire et d’un bonheur éternels ; mais tes souffrances à toi ne finiront et ne diminueront jamais. »

Égée, de plus en plus irrité, voyant qu’André restait inflexible dans ce qu’il appelait sa folie, ordonna enfin qu’il fût attaché à la croix. Mais pour rendre son supplice plus long, il commanda qu’on l’y attachât avec des cordes, en place des clous qui lui feraient perdre tout son sang et hâteraient sa mort.

Le peuple se rassembla en murmurant, et criant :

« Qu’a fait ce juste, cet ami de Dieu, pour être ainsi mis à mort ? Il ne faut pas souffrir que cet arrêt inique soit exécuté ! »

Mais André, qui ne se sentait pas de joie de se voir si près de souffrir le martyre pour son cher Maître, éleva la voix de toutes ses forces, et conjura cette foule de Chrétiens de ne point retarder son supplice.

Armand. Est-ce qu’ils ont obéi ?

Grand’mère. Il paraît que oui, car les livres qui racontent le martyre de saint André ne parlent plus de l’opposition du peuple.

Jacques. Je trouve qu’ils auraient dû le délivrer malgré lui.

Grand’mère. Ils ont préféré céder à ce vif désir de l’Apôtre ; les fervents Chrétiens l’ont mieux compris qu’on ne l’eût fait de nos jours.

Les soldats qui menaient saint André au supplice continuèrent donc leur marche. Dès que l’Apôtre aperçut la croix qui lui avait été préparée, il se sentit transporté de joie et s’écria :

« Je te salue, ô croix vénérable ! Avant que mon Seigneur eût été étendu sur toi, tu étais un signe d’horreur. Maintenant tu n’as plus que des charmes. C’est avec bonheur et confiance que je viens vers toi. Ô croix que j’ai toujours aimée ! Ô croix longtemps désirée ! Ô croix que j’ai cherchée avec ardeur, reçois-moi ! Rends-moi à mon Maître, afin que je passe de tes bras dans ceux de mon Seigneur, qui m’a racheté étant couché sur toi ! »

Madeleine. Grand’mère, ce sont des sentiments tellement beaux qu’ils sont presque incompréhensibles. Qu’on accepte avec résignation un affreux supplice, cela se comprend ; mais qu’on le recherche, qu’on le désire, j’avoue que je ne le comprends plus. Si je devais être crucifiée, je ferais des cris épouvantables et je demanderais grâce tant que je le pourrais.

Grand’mère. Mais si, pour prix de cette grâce, on t’ordonnait de renier Notre-Seigneur, l’accepterais-tu ?

Madeleine. Non, non, Grand’mère, non, jamais !

Grand’mère. Alors, tu serais dans les mêmes sentiments que saint André, sauf la force qui te manquerait pour souffrir avec joie comme lui ; ta nature humaine, plus faible que la sienne, moins aguerrie aux privations, aux souffrances, laisserait paraître une terreur bien naturelle.

Cette merveilleuse ardeur du saint Apôtre était la conséquence nécessaire et la juste récompense de ses rudes et continuels travaux pour la gloire de Notre-Seigneur.

Lorsqu’il fut près de la croix, il se déshabilla lui-même, donna ses vêtements aux bourreaux et monta tout seul sur la croix préparée pour lui. Il y fut attaché avec des cordes, d’après l’ordre du proconsul.

Henriette. Grand’mère, il me semble que les cordes devaient moins faire souffrir que les clous.

Grand’mère. Les premiers moments devaient être moins terribles en effet ; mais comme on était obligé de serrer très-fortement les cordes pour maintenir le corps sur la croix, il survenait bientôt un engourdissement qui devait être horriblement douloureux. De plus, comme le crucifié ne perdait pas de sang, il vivait plus longtemps.

Ainsi, saint André resta trois jours attaché sur la croix, et il ne cessa tout le temps d’exhorter les fidèles à rester fermes dans leur foi et à, mépriser les souffrances passagères pour arriver au bonheur éternel. Plus de vingt mille personnes furent témoins de son martyre. Parmi elles se trouvait Stratocle, frère d’Égée, qui disait hautement, avec tous les assistants, que c’était injuste et cruel de faire ainsi mourir un si saint homme.

Le peuple, affligé de le voir tant souffrir, alla chercher le pro-consul jusque dans son palais. On lui cria de tous côtés que c’était une impiété de tourmenter ainsi un si excellent homme, et qu’il fallait le détacher de la croix.

Égée craignit une sédition qui menaçait de devenir sérieuse. Il promit au peuple qu’André allait être détaché de la croix, et il vint au lieu du supplice.

Dès qu’André l’aperçut, il s’écria :

« Que viens-tu faire ici, Égée ? Si c’est pour croire en Notre-Seigneur Jésus-Christ et pour proclamer ta foi, il te sera fait miséricorde. Mais si tu viens pour me faire descendre de la croix, apprends que tu n’en viendras pas à bout, et que j’aurai la consolation de mourir pour mon cher Maître. Je le vois, je l’adore, et sa présence me comble de joie. Je n’ai d’autre regret que de voir perdre ton âme ; tu seras damné si tu ne te convertis maintenant que tu le peux encore ; plus tard, tu ne le pourras peut-être pas, lors même que tu le voudrais. »

Élisabeth. Comment cela ? Tant qu’on vit on peut toujours se convertir.

Grand’mère. Saint André voyait sans doute comment Égée devait périr ; vous allez voir tout à l’heure qu’il n’avait effectivement pas de temps à perdre pour se repentir de ses cruautés et de son abominable vie.

Égée, malgré les paroles d’André, commanda aux bourreaux de le détacher de la croix. Mais il leur fui impossible de le faire, parce qu’aussitôt qu’ils approchaient, les forces leur manquaient et leurs bras devenaient comme perclus.

Saint André, pendant ce temps, faisait à haute voix cette prière :

« Ne permettez pas, mon Seigneur, que votre serviteur, attaché à cette croix pour l’honneur de votre nom, en soit délié. Ne souffrez pas qu’Égée, qui est un homme corruptible, m’inflige l’humiliation de ne pouvoir mourir pour vous. Vous êtes mon cher Maître, que j’ai connu, que j’ai aimé, que je désire contempler éternellement. Il est temps que je me réunisse à vous, seul objet de tous mes désirs et de toutes mes affections. »

Comme il achevait ces paroles, il fut, à la vue de tout le monde, environné d’une lumière si resplendissante que personne ne pouvait en soutenir l’éclat. Une demi-heure après, cette lumière se dissipant peu à peu, saint André rendit le dernier soupir, et alla recevoir la récompense de son admirable vie.

Louis. Je suis content qu’il ne souffre plus, ce digne et courageux Apôtre !

Armand. Est-ce que son corps est resté sur la croix ?

Grand’mère. Non. Une dame de qualité, nommée Maximilla, femme d’un sénateur, ayant remarqué d’une grotte où elle était…

Marie-Thérèse. Pourquoi était-elle dans une grotte ?

Grand’mère. Parce qu’étant une grande dame, elle n’eût pas été convenablement placée au milieu de la foule.

Valentine. El pourquoi alors y allait-elle ? Grand’mère. Parce qu’elle était Chrétienne et qu’elle voulait assister au beau spectacle du martyre de ce saint Apôtre ; elle voulait y puiser du courage pour souffrir et mourir comme lui si le bon Dieu l’appelait au martyre. Mais pour ne pas avoir l’air de braver Égée, et pour ne pas attirer la persécution sur les Chrétiens, elle se mit à couvert dans une grotte, en face de la croix de saint André.

Maximilla, ayant donc remarqué que l’Apôtre avait cessé de vivre, alla, avec l’aide de ses serviteurs, détacher le corps de la croix. Elle l’embauma avec des parfums précieux, et l’ensevelit dans un tombeau qu’elle avait fait préparer pour elle-même.

Égée, l’ayant appris, fut très-irrité contre Maximilla. N’osant pas la faire arrêter, à cause de sa haute position, il résolut de porter plainte à l’Empereur. Mais pendant qu’il recevait la déposition des témoins, il fut saisi par un démon furieux qui l’entraîna sur la place publique et l’y étrangla.

Jacques. Je suis enchanté de cela. J’aime beaucoup ce démon-là ; il est juste, au moins.

Grand’mère, souriant. Cher enfant, je crois que ce démon ne mérite pas tes éloges. Le démon étant l’esprit du mal, ne peut rien faire de juste ni de bien. Il a étranglé Égée, non par esprit de justice, mais comme un bourreau terrible, pour le précipiter en enfer sans lui donner le temps de se repentir.

Stratocle, frère d’Égée, ne voulut pas hériter des biens de ce frère indigne. Il ne voulut même pas toucher à son argent ni à rien de ce qui lui avait appartenu. Il le fit cependant enterrer, mais dans un lieu isolé. Les habitants de Patras furent si épouvantés de cette terrible mort d’Égée, et si touchés du martyre de saint André, qu’ils se firent tous baptiser. Ce fut le 30 novembre que mourut l’Apôtre saint André, sous le règne de Néron. Ses reliques, après avoir été portées à Constantinople, furent transportées à Amalfi, dans le royaume de Naples.

Camille. On m’avait dit, Grand’mère, qu’elles étaient à Rome.

Grand’mère. En effet, sa tête est à Rome, un de ses bras est à Paris, à l’église de Notre-Dame, un de ses pieds est à Aix, en Provence ; d’autres églises ont quelques parcelles de ses membres, mais la plus grande partie de son corps est à Amalfi.

Jeanne. Comme ce martyre de saint André est intéressant ! Grand’mère,

Élisabeth. Moi, j’aime mieux celui de saint Pierre.

Henri. Pourquoi cela ?

Élisabeth. Parce que saint Pierre est le chef des Apôtres, et que tout ce qui vient de lui a un intérêt tout particulier.

Louis. C’est vrai ! Mais avec quel courage saint André a supporté son long martyre !

Grand’mère. Mes chers enfants, tous les Apôtres ont montré la même foi et le même courage, et tous ont souffert avec joie pour l’amour de leur Divin Maître. Ils sont également dignes de notre admiration et de notre respect. Je vais maintenant vous raconter ce qu’on sait de saint Jean, le disciple bien-aimé de Notre-Seigneur.



LXIII

SAINT JEAN L’ÉVANGÉLISTE, APÔTRE.



Henriette. Grand’mère, pourquoi appelle-t-on saint Jean, l’Évangéliste ?

Grand’mère. Parce qu’il a écrit l’Évangile.

Pierre. Mais saint Matthieu, saint Marc, saint Luc ont aussi écrit l’Évangile, et on ne les appelle pas Évangélistes.

Grand’mère. D’abord, on les appelle Évangélistes aussi bien que saint Jean. On donne plus particulièrement le surnom d’Évangéliste à l’Apôtre saint Jean, pour le distinguer de l’autre saint Jean, surnommé Baptiste, c’est à-dire Baptiseur.

L’Évangile de saint Jean a un intérêt tout particulier parce qu’il rapporte certains faits de la vie du Divin Maître, lesquels avaient été omis par les autres Évangélistes. Saint Jean écrivit plus de cinquante ans après saint Matthieu, saint Marc et saint Luc, et il raconta ce qui prouvait plus clairement la Divinité de Notre-Seigneur Jésus-Christ et son amour pour les hommes. C’est à saint Jean que nous devons, entre autres, l’admirable discours relatif à la Sainte Eucharistie, ainsi que les paroles toutes divines de Notre-Seigneur avant la Sainte Cène C’est encore lui qui raconte le grand miracle de l’aveugle-né, la résurrection de Lazare et l’histoire de la Samaritaine.

Il rend compte des prédications de Jésus-Christ, plus que de ses actions, qui avaient déjà été racontées.

L’Évangile de saint Jean est tout pénétré de l’amour de Notre-Seigneur ; il fait ressortir merveilleusement la beauté des paroles de son Divin Maître.

Et puis, saint Jean a vécu près de la Sainte-Vierge. La présence de cette Mère admirable a dû certainement donner à son cœur et à son esprit ce je ne sais quoi de céleste, de sublime, de tendre, qui perce dans ses écrits.

Il est certain que saint Jean a emmené la Sainte-Vierge dans quelques-unes de ses missions en Asie-Mineure ; elle est restée longtemps avec lui à Éphèse.

Après la mort de la Sainte-Vierge, saint Jean continua ses prédications en Asie-Mineure ; il fut arrêté par l’ordre du pro-consul romain en l’année 86, et envoyé chargé de chaînes à Rome, sous l’Empereur Domitien, grand et cruel ennemi des Chrétiens.

Valentine. Est-ce que Domitien a régné après Néron ?

Grand’mère. Oui, mais plusieurs années après ; il fut le sixième Empereur après Néron. Il a succédé à son frère Titus, qui avait été très-bon. Domitien était au contraire très-méchant.

Quand on lui amena saint Jean, il lui donna le choix de sacrifier aux dieux ou de périr par les plus cruels supplices.

Saint Jean lui répondit qu’il accepterait tous les supplices du monde plutôt que de renier son Seigneur Jésus-Christ, seul vrai Dieu tout-puissant.

Domitien ordonna que Jean fût fouetté et jeté dans une chaudière d’huile bouillante.

Saint Jean fut dépouillé de ses vêtements, cruellement fouetté et précipité dans la chaudière. Mais aussitôt le feu perdit sa chaleur, l’huile bouillante reprit une douce fraîcheur, et au lieu de brûler le saint vieillard, elle guérit les plaies causées par les coups de fouet.

Henriette. Grand’mère, pourquoi dites-vous le saint vieillard ? Il n’était pas vieux, saint Jean.

Grand’mère. Il était jeune du temps de Notre-Seigneur, mais à l’époque dont je parle, il y avait cinquante-cinq ou cinquante-six ans que Jésus-Christ avait quitté le monde à l’âge de trente-trois ans. Saint Jean, qui était à peu près du même âge que Notre-Seigneur, devait donc avoir quatre-vingt-huit ou quatre-vingt-neuf ans.

Valentine. Ah ! mon Dieu ! Comme c’est vieux !

Grand’mère. Les bourreaux, voyant la merveille qui se passait sous leurs yeux à tous, ne voulurent pourtant pas y croire ; ils se mirent à attiser le feu en y jetant toutes sortes de matières combustibles, mais les flammes s’élancèrent sur les bourreaux qui furent couverts de brûlures.

Armand. Qu’est-ce que c’est, des matières combustibles ?

Grand’mère. Ce sont des choses qui s’allument très-facilement et qui donnent une grande flamme.

On voit encore à Rome, près d’une porte appelée Porte-Latine, la place où saint Jean subit son martyre et fut préservé miraculeusement de la mort. Quant à ses chaînes, on les vénère dans une petite chapelle souterraine creusée par les ordres du pape Pie IX, sous le maître-autel de la célèbre église de Saint-Jean de Latran.

Pendant que les Chrétiens se réjouissaient de cette miraculeuse protection de Dieu ; les païens et l’Empereur lui-même en furent tellement effrayés qu’ils n’osèrent plus toucher à l’Apôtre saint Jean.

Domitien commanda qu’il fut envoyé en exil dans l’île de Pathmos.

Louis, Où est cette île, Grand’mère ?

Grand’mère. Dans l’Archipel, cher enfant, pas loin des côtes de l’Asie-Mineure.

C’est dans l’île de Pathmos que Saint Jean écrivit son beau livre de l’Apocalypse.

Louis. Qu’est-ce que c’est que cette Pocalypse ? De quoi parle-t-elle ?

Pierre. On ne dit pas Pocalypse, mais Apocalypse.

Grand’mère. Le mot Apocalypse veut dire Révélation. C’est une grande prophétie de la seconde venue dans ce monde de Notre-Seigneur Jésus-Christ et de la fin du monde. De plus, c’est un livre plein de mystères.

Henriette. Oh ! je voudrais bien le lire, Grand’mère.

Grand’mère. Tu n’y comprendrais rien, chère enfant ; cette partie de l’Écriture-Sainte n’est pas faite pour être lue par des enfants.

Saint Jean convertit, dit-on, presque tous les habitants de Pathmos. Il demeura avec eux jusqu’à la mort de Domitien. L’Empereur Nerva, qui n’était pas méchant, rappela les Chrétiens exilés et défendit qu’on les tourmentât.

Saint Jean voulut quitter Pathmos, mais les habitants lui ayant demandé d’écrire tout ce qu’il leur avait enseigné, le saint. Apôtre dicta son Évangile à saint Prochore, un des sept diacres qui l’avaient suivi dans son exil.

D’autres saints auteurs disent que saint Jean ne dicta son Évangile à saint Prochore qu’après avoir quitté Pathmos et à son retour dans Éphèse. Mais, ce qui est certain, c’est que saint Jean le dicta à saint Prochore à la fin de cet exil ; il avait près de cent ans.

Les habitants de l’Asie-Mineure, et particulièrement les Éphésiens, furent dans une grande joie quand ils vivent revenir leur saint Apôtre.

Il trouva à son retour quelques troubles excités par un abominable magicien nommé Apollonius de Thyane. Il s’était donné au démon comme Simon le Magicien, et, comme lui, il trompait les peuples par ses prétendus miracles et par la puissance qu’il tenait de Satan. Saint Jean triompha de cet imposteur comme saint Pierre avait triomphé à Rome de Simon le Magicien, par de vrais miracles accomplis en présence de tout le peuple. On ne sait pas au juste quels furent ces grands miracles ; on sait seulement qu’il ressuscita plusieurs morts.

Le seul fait certain des dernières années de saint Jean, est la conversion d’un jeune homme que saint Jean avait élevé, qu’il avait en grande affection, qu’il avait confié à un saint Évêque avant de partir pour Rome, et qui, s’étant corrompu, était devenu capitaine de voleurs. En revenant à Éphèse, il alla voir cet Évêque et lui redemanda le jeune homme.

« Je ne l’ai plus, je ne l’ai plus, répondit tristement l’Évêque. Il est mort.

— Mort ? répliqua saint Jean. Et de quelle manière ?

— C’est à Dieu qu’il est mort, dit l’Évêque, puisqu’il a abandonné sa foi pour se mettre à la tête d’une bande de brigands. »

La douleur de saint Jean fut grande, mais il ne perdit pas courage, Ne pouvant pas marcher à cause de son grand âge, il monta à cheval, et prenant un guide, il alla dans les montagnes à la recherche de son enfant perdu.

Il ne tarda pas à rencontrer les sentinelles des bandits, qui se saisirent de lui. « Je viens, leur dit saint Jean, pour parler à votre chef. Je vous supplie de me mener à lui, car j’ai une chose importante, à lui communiquer. »

Les bandits se sentirent saisis de respect devant le grand âge de l’Apôtre et son aspect majestueux. Ils le menèrent vers leur jeune chef.

Le capitaine reconnut tout de suite son ancien Maître, et ne pouvant supporter la honte de se trouver en face d’un si saint homme, qu’il aimait et vénérait encore, il se mit à fuir pour se cacher dans la montagne. Mais le Saint le poursuivit.

« Mon enfant, pourquoi fuis-tu devant ton Père ? Que crains-tu d’un vieillard désarmé ? Mon fils, vois mes cheveux blancs ; aie pitié de ta jeunesse. Arrête-toi, mon cher fils ; c’est Jésus-Christ lui-même qui m’envoie vers toi ! »

À ces paroles, le jeune homme s’arrêta. Il demeura quelques instants, les yeux baissés, sans oser même lever la tête. Puis, jetant à terre ses armes, il courut vers le Saint qui l’appelait. Il fondit en larmes, il jeta de grands cris de désespoir, et ne pouvant résister à la grâce qu’il sentait renaître dans son cœur, il se précipita dans les bras de saint Jean et osa l’embrasser. Seulement il eut soin de cacher sa main droite sous son vêtement, pour que cette main, souillée de sang et de vol, ne touchât pas cet homme vénérable. Saint Jean, de son côté, l’embrassa, le serra dans ses bras ; et prenant cette main qu’il cachait, il la baisa, la mouilla de ses larmes, lui promit le pardon de ses péchés, et le tirant de la société des bandits, il l’emmena à l’église.

Le jeune homme fit une pénitence sincère de ses crimes, et en témoigna un tel repentir que saint Jean le jugea digne du ministère sacerdotal.

Jeanne. Comme il était bon, saint Jean ! À son âge, se mettre à courir à cheval après un méchant voleur !

Grand’mère. Oui, chère enfant. Saint Jean a fait voir par là qu’il avait été digne d’appuyer sa tête sur le sein de Notre-Seigneur et d’avoir été chargé par lui de devenir le protecteur, le vrai Fils de la très-sainte Vierge. L’amour de Jésus-Christ pour les hommes avait passé dans son cœur. Aussi l’appelle-t-on souvent : l’Apôtre de l’Amour.

Voilà tout ce qu’on sait de bien certain sur saint Jean. On ne sait pas au juste quand, comment et dans quel lieu il mourut. Quelques auteurs sacrés disent qu’il revint à Rome sous le règne de l’Empereur Trajan, qu’il y fut martyrisé et qu’il mourut dans les tourments les plus cruels. D’autres pensent qu’il est mort paisiblement à Éphèse, le 27 décembre, l’année 101 ou 102, soixante-huit ans après la Passion de Notre-Seigneur Jésus-Christ ; il devait avoir environ quatre-vingt-quinze ans.

Camille. Pauvre saint Jean ! Comme il a dû être heureux d’aller rejoindre Notre-Seigneur dans le Ciel !

Grand’mère. Oui certainement. Plus sa vie a été longue et plus sa récompense est grande. Et personne maintenant ne peut la lui enlever.

Marie-Thérèse. Quel est l’Apôtre dont vous nous parlerez maintenant, Grand’mère ?

Grand’mère. Je vous raconterai le martyre de saint Thomas, nommé l’Apôtre des Indes.


LXIV

SAINT THOMAS, APÔTRE ET MARTYR.



Grand’mère. On n’a pas beaucoup de détails certains sur les actes de l’apostolat de saint Thomas. Je ne vous dirai que ce qui est généralement admis à ce sujet.

Après la dispersion des Apôtres, saint Thomas fut envoyé en Orient. Il alla dans le pays des Rois Mages qui étaient venus adorer l’Enfant Jésus à Bethléem. Ces mêmes Rois régnaient encore, et il leur fit le récit de tout ce qui s’était passé dans le cours de la vie de Notre-Seigneur, de sa Passion, de sa mort, de sa Résurrection et de son Ascension. Il les baptisa et leur donna la mission de prêcher l’Évangile et de convertir leurs peuples.

Ensuite saint Thomas alla chez les Éthiopiens ; un grand nombre d’entre eux crurent à sa parole et reçurent le baptême. Saint Thomas prêcha ensuite l’Évangile à plusieurs autres peuples de l’Orient. Il séjourna ensuite dans la Chine et de là dans les Indes. On trouve encore dans ces deux pays des traces de son passage.

Louis. Quelles traces trouve-t-on ?

Grand’mère. Des inscriptions gravées sur des pierres ; des restes d’églises ; une croix en fer qui pèse trois mille livres et qui était probablement sur le haut d’une église.

On dit qu’après avoir parcouru une multitude de villes qu’il est inutile de vous nommer…

Armand. Pourquoi inutile ?

Grand’mère. Parce que vous les oublieriez tout de suite ; ce sont des noms inutiles et difficiles à retenir.

Valentine. Oh si, Grand’mère ; dites-nous en quelques-uns seulement.

Grand’mère. Eh bien ! Saint Thomas visita et évangélisa les royaumes et villes de Crancanor, de Coulan, de Narsingue, de Candahar, de Cabut, de Caphurstan, de Cazatarat

Louis, riant. Assez, assez, Grand’mère. Nous ne nous rappellerons jamais tout cela.

Grand’mère, souriant. C’est ce que je disais à Armand. Je me bornerai donc à vous raconter le miracle arrivé dans la ville de Méliapour.

Saint Thomas, ayant converti une partie des habitants de Méliapour, voulut leur bâtir une église. Mais les prêtres nommés Brachmanes, qui adoraient des idoles, et le Roi Sagame, païen comme eux, s’y opposèrent de tout leur pouvoir ; ils défendirent qu’on donnât à saint Thomas le bois nécessaire pour son église, mais on trouva près de la ville, et sans qu’on sût d’où il pouvait venir, un tronc d’arbre si énorme, que le Roi voulut l’avoir pour un palais qu’il se faisait construire. Il envoya donc une multitude d’ouvriers et d’éléphants pour le lui amener.

Mais ni tous ces hommes, ni les animaux, ni les machines les plus puissantes ne purent parvenir à faire rouler ni même à soulever de terre cette pièce de bois immense.

« Je m’offre, dit alors saint Thomas, à la traîner moi seul jusqu’à la ville, si on me la donne pour construire mon église. »

Le Roi lui accorda bien volontiers la permission qu’il demandait, et il s’en moqua, croyant la chose impossible. Mais rien n’était impossible à ce fidèle serviteur de Dieu. Il attacha sa ceinture à un bout de la poutre ; il fit le signe de la croix, et prenant l’autre bout de sa ceinture, il traîna la poutre jusqu’aux portes de Méliapour avec autant de facilité que si elle n’avait rien pesé. Toute la ville fut témoin de ce miracle.

Le Roi Sagame se convertit avec toute sa cour ; les Princes, ses voisins, demandèrent aussi le baptême. L’église fut bâtie promptement avec l’aide du Roi et de tous les habitants ; saint Thomas plaça à quelque distance une grande croix de pierre qu’on voit encore, dit-on. Et il prédit que lorsque la mer, qui alors était éloignée de plusieurs lieues, viendrait mouiller le pied de cette croix, Dieu leur enverrait d’un pays éloigné, des hommes blancs qui leur prêcheraient de nouveau la vraie religion. En effet, quinze siècles après, la mer s’étant étendue jusqu’à la croix de pierre, les Portugais vinrent à Méliapour et amenèrent des prêtres missionnaires de la Compagnie de Jésus ; entre autres saint François Xavier. Ces nouveaux Apôtres prêchèrent le Christianisme.

Tant de succès mirent en fureur les Brachmanes. Voyant leur influence s’affaiblir, leurs richesses diminuer, ils résolurent de se débarrasser de saint Thomas. Un jour qu’il priait avec ferveur au pied de la croix, un de ces prêtres le tua d’un coup de lance. Des soldats qui accompagnaient ce sacrilége, pour l’aider à exécuter son crime, achevaient d’assommer leur ennemi à coups de pierres, et en le perçant de flèches. Son sang rejaillit sur la pierre et sur la croix qui en ont longtemps conservé les traces.

Les disciples de saint Thomas enlevèrent son corps et l’enterrèrent dans l’église qu’il avait fait bâtir ; ils déposèrent dans son sépulcre le fer de la lance qui avait percé l’Apôtre, le bâton dont il se servait pour ses voyages, et une urne pleine de terre imbibée de son sang.

Pierre. Où se trouvent maintenant ces reliques, Grand’mère ?

Grand’mère. Quand des missionnaires portugais arrivèrent dans l’Inde, en 1532, ils trouvèrent dans les ruines de Méliapour un oratoire qui était resté intact au milieu des débris de la ville et qui contenait les ossements de l’Apôtre saint Thomas. Ils y trouvèrent aussi la pierre sur laquelle il avait été massacré.

Les missionnaires emportèrent ces précieuses reliques à Goa, grande ville dans les Indes où se trouvait la maison principale de la mission portugaise. Depuis on a porté une partie de ces reliques en Syrie, dans la ville d’Édesse ; une autre partie dans le midi de l’Italie, à Ortone. En France, à Notre-Dame de Chartres, on possède un os du bras de saint Thomas ; à Rome, dans l’église de Sainte-Croix, on montre le doigt qui toucha les plaies des mains et des pieds et le côté du Sauveur ressuscité.

Armand. Pourquoi a-t-il touché le côté et les plaies de Notre-Seigneur ?

Grand’mère. Tu as oublié ce que je vous ai raconté dans l’Évangile de l’incrédulité de saint Thomas ?

Armand. Oui, Grand’mère, j’ai oublié.

Louis. Et moi aussi, Grand’mère, j’ai oublié.

Grand’mère. Alors je vais vous le redire.

Quand Notre-Seigneur fut ressuscité, il apparut plusieurs fois aux Apôtres réunis, en l’absence de saint Thomas. Celui-ci ne voulut pas croire à la Résurrection, disant :

« Si je ne mets les doigts dans les trous de ses pieds et de ses mains, et si je ne mets la main dans la plaie de son côté, je ne croirai pas. »

Huit jours après, Notre-Seigneur apparut aux Apôtres, saint Thomas étant avec eux. Jésus-Christ s’approcha de Thomas, lui fit voir ses mains et ses pieds et la plaie de son côté.

« Mets tes doigts dans les trous de mes pieds et de mes mains, mets ta main dans mon côté ; ne sois pas incrédule, mais fidèle. »

Thomas, tombant à genoux, s’écria :

« Mon Seigneur et mon Dieu ! »

Le Seigneur lui répondit :

« Tu as cru, Thomas, parce que tu as vu. Heureux ceux qui croient sans avoir vu. »

Armand. Merci, Grand’mère, je tâcherai de ne plus oublier.

Grand’mère. C’est très-bien, mon petit ; mais demande-moi toujours quand tu as oublié quelque chose. Et comme nous avons fini le martyre de saint Thomas, je vais vous raconter celui de saint Jacques le Mineur.



LXV

SAINT JACQUES LE MINEUR, APÔTRE ET MARTYR.



Saint Jacques était très-aimé et très-considéré des autres Apôtres ; nous voyons dans l’Évangile, que Notre-Seigneur l’emmène toujours avec saint Pierre et avec saint Jean, comme il l’a fait le jour de la Transfiguration, le soir de l’agonie au jardin des Oliviers. Il était cousin de Notre-Seigneur, sa mère étant cousine germaine de la Sainte-Vierge. Et il ressemblait tellement à Jésus-Christ, qu’en le voyant on croyait voir Notre-Seigneur, et qu’après l’Ascension, les Apôtres ne se lassaient pas de le contempler.

Le peuple le surnomma le Juste, à cause de sa grande sainteté. Saint Pierre lui témoignait une grande affection et une estime toute particulière. Il le nomma Évêque de Jérusalem aussitôt après la descente du Saint-Esprit, le jour de la Pentecôte. Lorsque saint Pierre fut délivré, par un Ange, des prisons d’Hérode, il le lui fit savoir aussitôt. Quand les Apôtres s’assemblaient, saint Jacques donnait son avis le second, immédiatement après saint Pierre.

Saint Paul en parle avec une grande considération dans le second chapitre de son Épître aux Galates ; il l’appelle comme saint Pierre et saint Jean, Colonne de l’Église.

Valentine. Pourquoi l’appelle-t-il colonne ? Qu’est-ce que cela veut dire ?

Grand’mère. Une colonne est un soutien, un appui. Les Apôtres étaient établis par Notre Seigneur pour être les soutiens de l’Église, l’appui de la foi de tous les fidèles. Saint Jacques, autant que les autres, et sous certains rapports, plus que les autres, soutenait l’Église naissante par sa prière continuelle et sa sainteté extraordinaire.

Saint Jacques vécut à Jérusalem ; il y prêchait tous les jours, et y faisait un bien merveilleux. Une foule de Juifs se convertissaient et venaient lui demander le baptême. Ananie, homme fier, jaloux et cruel, qui était alors Grand-Prêtre à la place de Caïphe, ne put voir sans colère l’influence et la réputation de saint Jacques s’accroître tous les jours et s’étendre au loin. Il tint conseil avec les prêtres et les lévites et ils résolurent de forcer saint Jacques à changer son langage, et s’il s’y refusait, de le faire mourir.

Jacques. Mon pauvre Patron ! Ces misérables Juifs vont le tuer comme ils ont fait pour Notre-Seigneur !

Grand’mère. Oui, cher enfant, mais en lui ôtant la vie, ils l’ont glorifié, et ils lui ont procuré un bonheur bien plus grand que s’ils l’avaient laissé mourir tranquillement dans son lit.

Jacques. Alors, c’est tant mieux, puisqu’ils lui ont fait du bien en voulant lui faire du mal. Mais tout de même, ils sont bien méchants.

Grand’mère. Tu as raison, ils ont été de vrais démons et ils en sont terriblement punis.

Ananie commença donc l’exécution de son détestable projet en appelant saint Jacques dans son conseil. Après l’avoir comblé de louanges sur sa vie austère, sur la haute réputation qu’il s’était acquise, il lui dit :

« Le nombre des Chrétiens s’accroît de jour en jour, et fait déserter le temple du Dieu vivant. Votre grande réputation de vertu et de sainteté me donne l’assurance que vous ferez tout ce qui sera en votre pouvoir pour remédier à ce grand désordre. Voici un nombre considérable de Juifs qui sont rassemblés à Jérusalem pour la fête de Pâques. Montez sur le lieu le plus élevé du Temple, parlez au peuple, dites-lui ce que vous pensez de Jésus le crucifié et de sa doctrine. Nul doute que vous ne les persuadiez, puisqu’ils vous appellent le Juste et le Saint. Nous mettons entre vos mains l’honneur de la Synagogue. »

Louis. Le pauvre saint Jacques a dû être embarrassé pour leur répondre.

Grand’mère. Pas du tout. Il accepta avec joie l’offre d’Ananie.

Jeanne. Comment ! Saint Jacques consentait à parler contre Jésus-Christ ?

Grand’mère. Pas du tout. Il vit là au contraire une belle occasion de prêcher la religion de Jésus-Christ devant cette multitude immense. On lui demandait de dire ce qu’il pensait de Jésus et de sa doctrine.

Il monta donc sur la terrasse du Temple. Les Prêtres lui dirent tout haut, de façon à ce que tout le peuple l’entendît :

« Juste dont nous honorons les sentiments, dites-nous ce que vous pensez de Jésus qui a été crucifié. »

Louis. C’est bon cela ! Ils vont être bien attrapés.

Grand’mère. Et bien furieux, car ils ne croyaient pas que saint Jacques eût la hardiesse de déclarer devant eux que Jésus était le Christ et le Messie. Mais saint Jacques, rempli du Saint-Esprit, s’écria :

« Pourquoi me demander mon avis touchant Jésus fils de l’homme ? N’ai-je pas déjà déclaré une infinité de fois devant tous ceux qui ont voulu m’entendre, que Jésus, fils de Dieu, le Christ, le Messie ressuscité est assis à la droite de Dieu, son Père, et qu’il viendra un jour juger les vivants et les morts. »

Les fidèles qui étaient mêlés à la foule entendirent ces paroles avec une grande joie. Mais les Prêtres, se voyant trompés, furent remplis de fureur. Ils montèrent précipitamment au haut du Temple, et saisissant l’Apôtre, ils le jetèrent en bas pour lui briser la tête.

Il ne mourut pourtant pas sur le coup ; il se mit à genoux et commença à prier pour ses persécuteurs, disant comme son Divin Maître sur la croix :

« Seigneur, pardonnez-leur, car ils ne savent ce qu’ils font. »

Un des Prêtres, entendant cette prière, en fut si touché, qu’il dit tout haut aux Juifs qui ramassaient des pierres pour achever le Saint :

« Que faites-vous ? N’entendez-vous pas que le Juste prie pour vous ? »

Mais on ne l’écouta pas et on commença à jeter des pierres. Un teinturier lui déchargea un coup de masse sur la tête. Saint Jacques mourut ; son crâne fut brisé. C’est ainsi que le frère du Seigneur (comme on l’appelait) termina son glorieux martyre le 1er  mai de l’année 63. Il avait été Évêque de Jérusalem pendant trente-trois ans.

Les fidèles ensevelirent son corps à l’endroit même où il était tombé. Plus tard, ses ossements furent apportés à Rome.

Au neuvième siècle, Charlemagne fit transporter une grande partie de ces reliques à Toulouse, dans l’église de Saint-Sernin. Une portion considérable de la tête fut emportée par les Espagnols à Compostelle. La plus grande partie du corps de saint Jacques le Mineur repose encore aujourd’hui à Rome, à côté des reliques de l’Apôtre saint Philippe, dans une église célèbre dédiée aux Saints Apôtres. D’autres fragments de son corps ont été portés dans différentes églises, à Anvers, à Forli, à Langres et à Compiègne.


LXVI

SAINT PHILIPPE, APÔTRE ET MARTYR.



Après l’Ascension de Notre-Seigneur et après la descente du Saint-Esprit sur les Apôtres, saint Philippe alla prêcher l’Évangile dans l’Asie Mineure.

Valentine. Mais pourquoi les Apôtres vont-ils toujours en Asie Mineure ?

Grand’mère. Ils ne commencent pas tous, mais presque tous par l’Asie Mineure, pour aller ensuite dans d’autres pays, comme a fait saint Thomas, par exemple. L’Asie Mineure était un pays riche et peuplé, voisin de la Judée, et de plus, c’était le passage le plus fréquenté pour aller en Grèce, en Italie et dans tout l’Empire romain.

Saint Philippe, après avoir converti beaucoup d’âmes en Asie Mineure, passa en Scythie, où il resta plusieurs années et convertit un grand nombre de païens. Puis il revint en Phrygie.

Étant entré dans un temple, à Hierapolis, il y trouva une vipère monstrueuse que le peuple adorait. Le saint Apôtre se jeta à genoux et pria le Seigneur d’ouvrir les yeux de ce pauvre peuple et de le délivrer de la puissance du démon.

Sa prière fut exaucée, car la vipère poussa un sifflement horrible et mourut aussitôt. Le peuple, frappé de ce miracle, écouta la parole de Philippe et demanda le baptême.

Les prêtres et les magistrats de la ville, ne pouvant souffrir un pareil changement, qui les privait des riches offrandes qu’on offrait à la vipère, se saisirent de Philippe ; ils le fouettèrent cruellement, le crucifièrent, et, pendant qu’il était sur la croix, ils l’assommèrent à coups de pierres, craignant que ses paroles ne convertissent la foule qui assistait à ce sanglant spectacle.

Mais Dieu fit voir combien ce crime lui faisait horreur. Un tremblement de terre épouvantable fit tomber les plus beaux et les plus importants monuments de la ville. La terre s’entr’ouvrit sous les pieds des prêtres et des magistrats et les engloutit dans un abîme qui se referma immédiatement après.

Les idolâtres, effrayés de ce prodige, permirent aux nouveaux convertis de détacher le saint Apôtre. Mais lui, voulant mourir sur la croix comme son Divin Maître, leur défendit de le faire ; et après avoir prié pour ce pauvre peuple aveuglé par ses prêtres, il expira. C’était le 1er  mai, en l’année 54. Quelques auteurs croient que c’était en l’année 87, et que saint Philippe avait 87 ans.

Le corps du Saint fut enlevé et enseveli par les Chrétiens. Une partie de ses ossements est à Rome, dans l’église des Saints-Apôtres, comme je vous l’ai déjà dit, le reste est à Toulouse, dans l’église de Saint-Sernin, à Troyes, à Florence. Sa tête était à Paris, à Notre-Dame, l’autre portion est à l’église de Saint-Jacques et Saint-Philippe-du-Haut-Pas.

Voilà tout ce qu’on sait sur saint Philippe. Maintenant, passons à saint Barthélémy.

Henriette. C’est bien court cette vie de saint Philippe.

Grand’mère. Celle de saint Barthélémy sera plus longue.

Armand. Comment est-il mort saint Barthélémy ?

Grand’mère. D’une mort horrible ; mais tu vas le voir bientôt.

Jacques. Grand’mère, comment se fait-il qu’on sache si peu de choses sur d’aussi grands Saints que les Apôtres ?

Grand’mère. Cher enfant, il y a dix-huit cents ans entre les Apôtres et nous. Dans les premiers siècles, le souvenir des saints Apôtres était vivant dans toutes les Églises qu’ils avaient fondées. Mais ces souvenirs ont été effacés comme tant d’autres par le temps, et surtout par les désordres, les guerres et les troubles de toute espèce qui ont tant de fois bouleversé le monde, depuis la fondation de l’Église. Il faut nous trouver heureux du peu qui nous a été conservé de la vie et du martyre des Apôtres.



LXVII

SAINT BARTHÉLEMY, APÔTRE ET MARTYR.



Lors de la dispersion des Apôtres à Jérusalem, saint Barthélemy se rendit dans l’Inde, en deçà du grand fleuve du Gange. Il évangélisa une grande portion des quarante royaumes de cette portion de l’Inde. Il y fit d’innombrables conversions, y bâtit une quantité d’églises, y sacra plusieurs Évêques, et y établit le Christianisme. On ne sait pas ce qui se passa dans ces chrétientés naissantes ; on sait seulement que quatre cents ans plus tard, quand Démétrius, patriarche d’Alexandrie, y envoya saint Pantène, il y trouva des restes nombreux de christianisme, et des traces du séjour de saint Barthélemy, entre autres, l’Évangile de saint Matthieu.

Saint Barthélemy passa en dernier lieu dans la grande Arménie.

Armand. Où est l’Arménie, Grand’mère ?

Grand’mère. Du côté de l’Asie Mineure, de l’Euphrate et des monts Caucases.

L’Apôtre entra dans le temple de la capitale, dans laquelle demeurait le Roi Polinius. Une idole habitée par un démon nommé Astaroth, qui rendait des oracles, se tut aussitôt ; on lui apporta des malades, il ne put les guérir.

Les prêtres arméniens, surpris devoir leur grand Astaroth devenu muet et impuissant à guérir les malades, consultèrent une autre idole célèbre pour en savoir la cause. Elle répondit : « C’est la présence de Barthélemy, Apôtre du vrai Dieu, qui force mon compagnon à se taire et qui lui enlève toute sa puissance. Tant que ce saint homme demeurera dans la ville, Astaroth ne pourra ni parler, ni guérir. Barthélemy fléchit les genoux cent fois par jour et cent fois par nuit ; il est toujours accompagné d’une troupe d’Anges ; ils sont invisibles pour les hommes, mais nous, esprits, nous les voyons. Barthélemy annonce le vrai Dieu, auquel seul appartiennent les honneurs du Ciel et de la terre. »

Henri. C’est singulier qu’un démon ait si bien parlé d’un saint ; c’est contre lui-même qu’il témoignait.

Grand’mère. Certainement ; aussi ne le faisait-il que forcé par Dieu, son maître tout-puissant.

Les prêtres d’Astaroth, entendant cette réponse, se mirent à chercher de tous côtés ce Barthélemy contre lequel ils étaient remplis de fureur.

Louis. Pourquoi cela ? Qu’est-ce que cela leur faisait que cet abominable Astaroth fût devenu muet ?

Grand’mère. Cela faisait du tort à leurs bourses, parce que ceux qui venaient consulter cette idole lui apportaient de riches présents en argent, en bijoux et en étoffes précieuses ; les prêtres s’emparaient de ces dons. Astaroth, ne pouvant plus rendre des oracles ni guérir les malades, ne recevait plus rien. C’est pourquoi ils cherchaient saint Barthélemy pour le tuer.

Mais ils eurent beau chercher, ils ne le trouvaient pas, parce que le bon Dieu rendait leurs recherches inutiles.

Ils ne l’auraient donc jamais trouvé, si Barthélemy n’eût révélé sa présence par la délivrance des possédés, la guérison des malades, et par d’autres prodiges qui remplirent les infidèles d’admiration. Les prêtres n’osèrent pas le maltraiter devant cette foule qui le protégeait.

Le Roi lui-même, ayant entendu parler de ces prodiges, le fit venir dans son palais et le supplia avec instance de guérir sa fille qui était possédée d’un démon furieux.

Barthélemy la guérit sur-le-champ. Le Roi en fut si heureux et si reconnaissant qu’il lui envoya quelque temps après plusieurs chameaux chargés d’or, d’argent, de pierreries précieuses, de vêtements magnifiques.

Le Saint, auquel Dieu fit connaître les intentions du Roi, se tint si bien caché, qu’on ne put le trouver. Les serviteurs chargés de remettre les présents du Roi au saint Apôtre, n’osant confier à des étrangers de si précieux trésors, les rapportèrent au palais. Aussitôt Barthélemy vint se présenter lui-même au Roi Polinius, qui se trouvait seul dans sa chambre ; il entra sans que les portes eussent été ouvertes, et il lui dit :

« Ce n’est ni l’amour de l’or, ni des pierres précieuses, ni d’aucune de tes richesses qui m’a amené dans ton pays, ô Roi ; c’est le zèle des âmes, le désir de te faire connaître la vérité, afin de te faire arriver à la vie éternelle. Je ne te demande que d’écouter mes paroles, de reconnaître le vrai Dieu, d’abandonner le culte de tes idoles qui sont des démons abominables. Viens au temple avec moi et je te ferai voir par toi-même la vérité de mes paroles. »

Polinius consentit à accompagner au temple le saint Apôtre. Ils arrivèrent devant l’idole.

« Dis ce que tu es et de quel lieu tu viens, Astaroth ! Dis si tu es le Dieu qu’on doit adorer, s’écria Saint Barthélemy.

— Ta puissance plus grande que la mienne m’oblige, saint homme, à te répondre, dit l’idole. Je ne suis pas un Dieu ; je ne suis qu’un misérable esprit condamné aux flammes éternelles pour m’être révolté contre Dieu, mon créateur. Les oracles que je prononce ne sont que des tromperies ; je ne prédis que le mal que je puis et que je veux faire, le bien que je ne veux pas empêcher exprès pour faire croire à mes prédictions. Les guérisons que j’ai opérées sont fausses, car je donnais moi-même par malice les maladies que j’avais la puissance de faire disparaître. »

Après cette confession, l’Apôtre lui dit :

« Je t’ordonne de briser toutes les idoles du temple et de te retirer pour jamais dans un lieu où tu ne pourras faire de mal à personne. »

Astaroth fut obligé d’obéir. Le brisement de toutes les idoles fit un tel effet sur l’esprit de Polinius et de tout son peuple, qu’ils se convertirent à Jésus-Christ et demandèrent instamment le baptême.

Douze villes de ce royaume suivirent l’exemple de leur Roi. Elles eurent le bonheur de recevoir l’explication de la doctrine de Jésus-Christ de la bouche même de saint Barthélemy ; il les baptisa tous ; l’Apôtre en choisit quelques-uns parmi les plus fervents pour en faire des prêtres et des diacres, afin qu’après lui les fidèles pussent continuer à recevoir les Sacrements et l’instruction nécessaires.

Les démons, ne pouvant souffrir la ruine de leur empire et l’établissement du Christianisme, excitèrent contre le saint Apôtre les prêtres des idoles. Le Roi Polinius était trop fervent chrétien pour écouter les rapports mensongers et les conseils perfides des idolâtres. Ils s’adressèrent donc à son frère Astyage, qui régnait sur une partie de l’Arménie. Les prêtres lui persuadèrent que le culte des idoles allait périr, si Barthélemy continuait ses prédications ; qu’il fallait à tout prix faire mourir ce sacrilège qui détruisait leurs dieux et pervertissait les peuples.

Astyage écouta leurs paroles ; il attira saint Barthélemy dans ses États sous prétexte de vouloir connaître la vérité. Dès que l’Apôtre fut arrivé, Astyage le fit saisir et amener devant lui.

Henriette. Comment saint Barthélemy a-t-il été chez ces méchants ? il devait bien prévoir le danger qu’il courait.

Grand’mère. Il le prévoyait certainement, chère enfant ; mais il avait fait le sacrifice de sa vie en la consacrant au service de Notre-Seigneur. La prédication chez les peuples barbares était la partie principale du ministère des Apôtres, et ils devaient tout risquer pour courir la chance d’arracher quelques âmes au démon.

Le Roi, le voyant devant lui, lui demanda :

« Est-ce toi qui as perverti mon frère Polinius et détruit les dieux de sa nation ?

— Il n’y a d’autre Dieu de toutes les nations, répondit le Saint, que le souverain Créateur qui règne dans les cieux avec son fils unique Jésus-Christ. Les dieux que tu adores sont des démons qui ne méritent que le mépris. Ainsi, je n’ai détruit le culte d’aucun dieu, mais j’ai seulement démontré l’imposture des démons. Je n’ai point perverti le Roi Polinius ; je lui ai montré le chemin de la vie éternelle, hors duquel personne ne peut être sauvé. »

Quand il eut fini de parler, une idole tomba par terre et se brisa en mille pièces.

Astyage, furieux de la perte de son idole et des paroles de saint Barthélemy, le fit fouetter rudement. Ensuite, par une barbarie qui surpasse tout ce que nous avons vu jusqu’ici, il le fit écorcher vif depuis le haut de la tête jusqu’à la plante des pieds ; de sorte que n’ayant plus de peau, le Saint n’était qu’une masse de chair sanglante percée de place en place par les os.

Valentine. Ah ! Quelle horreur !

Camille. Quelle abominable cruauté ! Comment des hommes peuvent-ils commettre de semblables atrocités !

Élisabeth. Pauvre saint Barthélemy ! Quel affreux martyre il a souffert !

Jacques. Comment le bon Dieu a-t-il pu supporter une si atroce méchanceté sans hacher ces monstres en mille millions de morceaux ?

Louis. Quels scélérats que ces gens-là !

Madeleine. Aussi je crois qu’ils sont bien sévèrement punis.

Grand’mère. Tu ne te trompes pas, et Jacques va être content. Aussitôt après l’exécution, les démons se saisirent d’Astyage et des prêtres complices de ce crime abominable. Ils les tourmentèrent pendant trente jours de la façon la plus cruelle ; après quoi ils les étranglèrent, pour continuer à les tourmenter dans les enfers pendant toute l’éternité.

Henriette. Je suis contente de la punition de ces scélérats.

Jeanne. C’est pourtant triste de penser qu’ils sont dans [’enfer pour toujours !

Grand’mère. Tu as raison, chère enfant ; mais ils avaient, comme nous l’avons tous, le choix entre le paradis et l’enfer. Saint Barthélemy le leur a assez de fois répété. — Ils ont choisi l’enfer. — Des pauvres païens ignorants ont mieux compris la vérité des prédications du saint Apôtre ; ils ont choisi le Ciel et ils y sont. Que de gens dans le monde font le choix déplorable de ces faux prêtres arméniens !

Le Roi Polinius fut plus sage que son frère ; il abandonna la couronne, et consacra sa vie au vrai Dieu ; il fut, dit-on, le premier évêque d’Arménie, et pendant vingt ans il travailla avec zèle à affermir et à étendre la religion chrétienne.

Il fit recueillir avec le plus grand respect le corps écorché du saint martyr et sa peau toute sanglante ; il les fit enterrer avec beaucoup d’honneurs dans Albane, ville de la Haute-Arménie, mais qui n’existe plus. Ces reliques, transportées d’abord à Bénévent par un saint religieux missionnaire, sont maintenant à Rome, sauf la peau qui est restée à Bénévent, et la tête qui est à Toulouse, dans l’église de Saint-Sernin.

Camille. Quelles belles reliques a cette église de Saint-Sernin !

Grand’mère. Oui, de toutes les églises de France, elle est peut-être la plus favorisée. Entre autres reliques précieuses, elle possède encore la tête entière de saint Thomas d’Aquin. Aussi est-elle très-visitée par les fidèles de Toulouse et par les étrangers qui visitent la ville.

Passons maintenant aux Apôtres Simon et Jude.

LXVIII

SAINT SIMON ET SAINT JUDE, APÔTRES ET MARTYRS.



Grand’mère. Saint Matthieu appelle saint Simon le Cananéen, parce qu’il était de la petite ville de Cana, en Galilée.

Louis. Est-ce la même où Notre-Seigneur a changé l’eau en vin, à une noce ?

Grand’mère. Précisément, c’est la même.

Saint Jude était frère de saint Jacques le Mineur, et comme lui, cousin de Notre-Seigneur. Son vrai nom était Judas ; on l’appelait aussi Thadée, comme on le voit dans les Évangiles de saint Matthieu et de saint Marc. Pour ne pas le confondre avec Judas Iscariote, le traître, on l’appelle communément Jude ou Thadée. Quand les apôtres se séparèrent, après la Pentecôte, Simon et Jude partirent : le premier, pour l’Égypte, le second, pour la Mésopotamie, province de l’Asie. Quelques auteurs assurent que saint Simon quitta l’Égypte pour aller prêcher la foi dans toute l’Afrique et puis dans l’Angleterre ou Grande-Bretagne, et que saint Jude alla dans l’Arabie. Ensuite tous deux retournèrent en Perse, où les Juifs avaient été jadis emmenés en captivité. On ne sait aucun détail certain sur leur Apostolat dans l’Asie. On raconte qu’à leur arrivée en Perse, dans le camp de Baradach qui marchait avec une nombreuse armée contre les Indiens, toutes les idoles devinrent muettes.

Armand. Elles parlaient donc, ces idoles ?

Grand’mère. Oui, elles parlaient pour rendre des oracles, par la puissance du démon, comme les idoles de l’Arménie. On alla consulter une idole du voisinage pour savoir ce qui causait leur silence.

L’idole répondit que c’était la présence de Simon et de Jude qui en était cause, et que leur puissance était si redoutable qu’aucun esprit ne pouvait paraître devant eux.

Les soldats, effrayés et furieux, demandèrent à leur chef Baradach de faire mourir les étrangers dangereux qui empêchaient les dieux de parler. Baradach, homme juste et modéré, ne voulut pas faire mourir les Apôtres sans leur avoir parlé lui-même et sans avoir examiné si les craintes que témoignaient ses troupes étaient fondées.

Il fit donc venir les deux Apôtres ; il les interrogea longuement ; et ne voyant dans leurs réponses que sagesse et bonté, il ne voulut pas leur faire de mal, et les prit même en affection.

Marie-Thérèse. À la bonne heure ! Voilà un brave homme, quoique païen.

Grand’mère. Aussi fut-il récompensé de sa bonne action. Les Apôtres lui démontrèrent les impostures de ses idoles et de ses magiciens.

« Interrogez-les, lui dirent les Apôtres, sur le résultat de la guerre que vous allez entreprendre ; nous leur accordons la liberté de parler. »

Les idoles, interrogées par le capitaine devant les soldats assemblés, répondirent avec leur méchanceté ordinaire, que la guerre serait longue, sanglante et que la victoire resterait douteuse.

« C’est un mensonge, s’écrièrent les Apôtres. Bien au contraire, dès demain, à pareille heure, des Ambassadeurs Indiens viendront dans le camp pour faire leur soumission et demander la paix à des conditions très-avantageuses pour vous. »

La chose arriva comme l’avait prédite saint Simon et saint Jude. Cet événement frappa si vivement Baradach, que non-seulement lui et la plupart de ses soldats, mais encore le Roi, qui était à Babylone, toute la famille royale et une grande partie de la ville se convertirent, assure-t-on, à la foi du Seigneur.

Deux magiciens fameux, Zoroës et Arphaxad, cherchèrent, par leurs enchantements, à empêcher ces conversions. Mais les Apôtres prouvèrent leur imposture et les obligèrent à fuir pour ne pas être déchirés par le peuple.

Simon et Jude parcoururent ensuite plusieurs villes de Perse, pour y prêcher la religion de Jésus-Christ. Les deux magiciens les ayant précédés dans une de ces villes, ameutèrent le peuple par leurs mensonges. Simon fut traîné devant l’image du soleil, et Jude devant celle de la lune, pour offrir de l’encens à ces divinités.

Au lieu d’obéir, les Apôtres brisèrent ces idoles, en invoquant le nom de Jésus-Christ. Les prêtres, furieux, les firent mourir cruellement. Saint Simon fut scié en deux, et saint Jude, après avoir subi plusieurs tortures cruelles, eut la tête tranchée.

Dieu ne laissa pas leur mort sans punition ; car à l’heure même, bien que le temps fût très-calme, il s’éleva une si terrible tempête, que les temples des faux Dieux furent renversés, leurs images réduites en poussière ; les deux magiciens et un grand nombre de païens furent brûlés par le feu du ciel, ou écrasés sous les ruines de leurs temples.

Le Roi, qui s’était fait chrétien, fit transporter à Babylone les corps des saints martyrs et les plaça dans une église magnifique qu’il fit bâtir en leur honneur. Plus tard, leurs ossements sacrés furent apportés à Rome, dans l’église de Saint-Pierre, où on les vénère encore aujourd’hui.

L’Empereur Charlemagne les transporta à Toulouse, dans l’église de Saint-Sernin.

Élisabeth. Encore ? l’église de Saint-Sernin a du bonheur ; elle contient des reliques de presque tous les Apôtres !

Madeleine. J’en suis bien contente, car Toulouse est ma patrie ; c’est là où je suis née.

Grand’mère. À présent, il nous reste à connaître la fin de saint Matthieu et de saint Mathias. Mais ce ne sera pas long, car on a très-peu de détails certains sur leur Apostolat et leur martyre.

Louis. Tant pis ; je voudrais qu’il y eût encore beaucoup de choses à raconter.

Madeleine. Je trouve que l’histoire des Martyrs est la plus belle, la plus touchante, et la plus intéressante des histoires.

Grand’mère. Tu as bien raison, mon enfant. Si au lieu de lire, comme on le fait trop souvent, un tas de contes et de romans, on lisait la Vie des Saints, on y apprendrait mille choses bonnes et utiles qui vaudraient bien mieux que ce qu’on apprend en lisant des livres frivoles très à la mode de nos jours.


LXIX

SAINT MATTHIEU, APÔTRE ET MARTYR.



Grand’mère. Après l’Ascension de Notre-Seigneur, après la Pentecôte et la dispersion des Apôtres, saint Matthieu prit le chemin de L’Égypte, puis de l’Éthiopie, pour y commencer ses travaux apostoliques. On sait, mais sans en avoir les détails, qu’il y souffrit beaucoup, qu’il y fit une multitude de miracles et un nombre infini de conversions. Il menait la vie la plus mortifiée, ne vivant que d’herbes et de légumes, et ne mangeant jamais de chair.

Henri. Comment pouvait-il ne vivre que d’herbes et de légumes ? Il devait être exténué de faiblesse.

Grand’mère. Le bon Dieu lui donnait des forces pour surmonter toutes ses fatigues. Sans ces grâces particulières, les Apôtres auraient tous succombé à la vie austère qu’ils menaient, aux fatigues, aux souffrances qu’ils enduraient.

À son arrivée en Éthiopie, saint Matthieu fut reçu dans la ville de Nadaber, par cet eunuque de la reine Candace, que saint Philippe avait baptisé comme vous l’avez vu dans les Actes des Apôtres.

Il trouva dans cette ville deux magiciens nommés Zoroès et Arphaxad, les mêmes qui plus tard furent chassés de Babylone (comme nous l’avons vu) par les apôtres Simon et Jude. Les magiciens trompaient le pauvre peuple par des semblants de miracles, avec l’aide du démon. Quand on vit les grands et vrais miracles de saint Matthieu, on commença à douter du pouvoir des magiciens. Ceux-ci, craignant de voir diminuer leur influence, invoquèrent le démon et en obtinrent deux dragons énormes qui devaient répandre la terreur dans tout le pays.

Quand ces dragons apparurent, l’épouvante s’empara de tous les habitants ; mais saint Matthieu, ayant fait le signe de la croix, rendit ces animaux doux comme des agneaux, et les obligea de retourner dans leurs cavernes.

Armand. Qu’est-ce que c’est que des dragons ? Je n’en ai jamais vu.

Grand’mère. Ce sont des espèces d’énormes serpents, avec deux pattes armées de griffes.

Henriette. Il me semble que personne n’en a jamais rencontré.

Grand’mère. Non, il n’y en a plus de notre temps et je ne sais pas s’il y en a jamais eu.

Henriette. Mais puisque vous dites, Grand’mère, que saint Matthieu les a rendus doux comme des agneaux, c’est qu’il y en avait donc.

Grand’mère. Ces dragons étaient peut-être des énormes serpents que l’on a appelés dragons en raison de leur énormité ; ou bien le démon a pu réellement faire apparaître deux monstres inconnus qui ont disparu sur l’ordre de saint Matthieu.

Quoi qu’il en soit, la disparition de ces monstres, serpents ou dragons, rassura si bien le peuple sur les menaces des magiciens imposteurs, que le saint Apôtre eut toute liberté pour prêcher le Christianisme. Plusieurs se convertirent et reçurent le baptême.

Un autre miracle, plus éclatant encore, augmenta l’influence du Saint et convertit un nombre considérable de païens. Une fille du Roi étant morte, ce prince désolé envoya chercher les magiciens pour ressusciter sa fille. Ils employèrent inutilement tous les enchantements possibles, sans pouvoir y réussir.

Saint Matthieu, ayant été appelé à son tour, invoqua simplement le nom de Jésus-Christ sur le corps de la jeune princesse, qui revint immédiatement à la vie.

Ce miracle amena la conversion du Roi, de la Reine, de la famille royale et de toute la province. Ce fut une douce consolation pour le fidèle Apôtre.

Il en eut une autre peu de jours après.

La princesse Iphigénie, qui était un prodige de beauté, d’esprit et de science, ayant entendu le Saint parler du bonheur des jeunes filles qui se consacrent à Dieu, voulut comme elles n’avoir d’autre époux que Jésus-Christ ; elle se voua tout entière au service de Notre-Seigneur. Quelques jeunes filles de sa suite suivirent son exemple. D’après le conseil du saint Apôtre, elles se retirèrent toutes dans une maison particulière, pour y vivre sous la direction de la Princesse, selon la règle que leur prescrivit saint Matthieu.

Après la mort du Roi Égype, son frère Hirtace s’empara du royaume et voulut épouser sa nièce Iphigénie. Il pria saint Matthieu de faire consentir sa nièce à ce mariage. Le Saint l’engagea à assister à L’exhortation qu’il allait prononcer dans le nouveau monastère ; il connaîtrait ainsi le conseil que recevrait la jeune princesse. Hirtace s’y rendit sur-le-champ. Mais l’Apôtre, bien loin de conseiller le mariage que désirait Hirtace, ne parla que de l’excellence de la consécration à Jésus-Christ, et de la grande et éternelle récompense que mériterait la Princesse en persistant dans son sacrifice.

Hirtace, ayant entendu ce discours, entra dans une grande colère. Il sortit de l’église ; et, pour punir l’audace du saint Apôtre, il envoya des bourreaux auxquels il donna l’ordre de le tuer à l’heure même. Ils trouvèrent saint Matthieu devant l’autel, à la fin du sacrifice de la messe, et se précipitant sur lui, ils le massacrèrent au pied même de l’autel, qui fut teint de son sang.

Ce fut dans la ville de Nadaber que saint Matthieu fut martyrisé ; ses reliques y furent conservées jusqu’en 1080. À cette époque, son corps fut transféré à Salerne, dans le royaume de Naples ; de là, sa tête fut portée, une partie en France, dans la cathédrale de Beauvais, et une autre portion dans celle de Chartres.

Louis. Est-ce que le méchant Hirtace ne fut pas puni de son crime ?

Grand’mère. La tradition dit qu’Hirtace, n’ayant pu obtenir le consentement d’Iphigénie pour son mariage, fit mettre le feu au palais qu’elle habitait pour l’obliger à en sortir. La Princesse et ses compagnes restèrent au milieu des flammes sans être atteintes ; ces mêmes flammes se retournèrent contre le palais d’Hirtace, situé tout auprès, et le consumèrent en entier avec toutes ses richesses. Le fils d’Hirtace fut saisi, dit-on, par un démon cruel qui l’entraîna sur le tombeau de l’Apôtre, l’obligea à publier tous ses crimes et ceux de son père, après quoi il l’étrangla.

Hirtace lui-même fut subitement couvert d’une lèpre épouvantable ; son corps ne fut qu’une plaie, les médecins essayèrent inutilement de le guérir, ou du moins de soulager ses cruelles souffrances. Hirtace désespéré, fou de douleur, se jeta sur son épée, se perça le cœur et mourut.

Élisabeth. Est-ce très-certain, Grand’mère ?

Grand’mère. Ce n’est pas aussi authentique que ce qui a rapport à la vie et à la mort de saint Matthieu, mais pourtant c’est rapporté par d’anciens auteurs dignes de foi.


LXX

SAINT MATHIAS, APÔTRE ET MARTYR



Grand’mère. En terminant, je vous dirai quelques mots sur les actes et le martyre de l’Apôtre saint Mathias. C’est malheureusement très-peu de chose et assez vague. Tout ce qu’on sait avec certitude, c’est que saint Mathias, après avoir été nommé pour remplacer le traître Judas comme douzième Apôtre, reçut avec ses nouveaux Frères le Saint-Esprit le jour de la Pentecôte. Il fut désigné pour prêcher Jésus-Christ en Judée ; il convertit un grand nombre de Juifs et mit un zèle ardent dans son Apostolat ; il alla jusqu’au fond de l’Éthiopie, il y prêcha pendant plus de trente ans. Les Juifs et les Gentils, furieux de ses nombreuses conversions, se réunirent contre lui, le lapidèrent, après quoi ils lui tranchèrent la tête pour être bien certains qu’il n’en reviendrait pas. Il mourut en l’année 63, sous l’empire de Néron. Ses reliques furent apportées à Rome par sainte Hélène, mère de Constantin ; elles sont déposées dans l’Église de Sainte-Marie-Majeure.


LXXI

MARTYRE DES SAINTS ÉVANGÉLISTES, SAINT LUC ET SAINT MARC.



Grand’mère. Ma tâche serait finie, chers enfants, si je ne voulais vous dire encore quelques mots sur les évangélistes saint Luc et saint Marc.

On croit, sans en être certain, que saint Luc, après avoir terminé le livre des Actes des Apôtres, pendant que saint Paul était en prison à Rome, quitta son cher maître pour continuer à prêcher la foi. On ne sait pas au juste dans quel lieu il se rendit ; d’après certaines traditions, il alla dans les Gaules après avoir parcouru le nord de l’Italie. On ne sait même rien de certain sur le lieu de sa mort, ni sur son genre de mort. Quelques auteurs assurent qu’il fut martyrisé, les uns en Grèce, les autres en Bythinie. D’autres auteurs grecs donnent comme certain qu’il mourut en Grèce, de fatigue et de vieillesse, à l’âge de quatre-vingt-quatre ans.

La vie et la mort de saint Marc sont plus connues. On sait qu’après avoir écrit l’Évangile à Rome, sous les yeux de saint Pierre, et après avoir passé quelques années à Rome avec ce grand Apôtre, il alla en Égypte, par ses ordres, pour annoncer l’Évangile à ces nations barbares ; il y fit de nombreuses conversions ; il fonda la célèbre Église d’Alexandrie, qui compta depuis tant d’illustres théologiens.

Cette Église d’Alexandrie avait tant de renommée, que même pendant les persécutions, elle demeura presque constamment paisible. Les païens n’osaient pas y toucher, par respect pour sa grande réputation d’éloquence et de savoir.

Les prédications et l’exemple de saint Marc inspirèrent à plusieurs fidèles le désir de se consacrer entièrement à Dieu, et de se retirer du monde pour aller vivre dans le calme et la solitude. Ces déserts de la Thébaïde, près du Nil, sont restés célèbres dans l’histoire des premières années du Christianisme. Les solitaires y vivaient seuls, ne voyant personne du dehors.

Valentine. Et où demeuraient-ils ? Est-ce qu’ils ont bâti des maisons ?

Grand’mère. Non. Ils vivaient dans des cavernes, dans des cabanes ou des grottes ; priant presque toujours, se visitant souvent pour réunir leurs prières, et pour s’exciter à l’amour de Notre-Seigneur.

Henriette. Mais de quoi vivaient-ils ? Il n’y avait dans ces déserts ni blé, ni fruits, ni rien de ce qui est nécessaire pour vivre ?

Grand’mère. Il est probable qu’en outre de ce que leur apportaient les fidèles, ils vivaient avec la plus grande sobriété, d’un peu de pain et d’eau, de racines crues et de quelques herbes qu’ils trouvaient dans les montagnes. Les plus faibles y ajoutaient de l’herbe d’hyssope.

Louis. Qu’est-ce que c’est : l’hyssope. Est-ce bon ?

Grand’mère. C’est une herbe très-fortifiante et d’un goût très-amer ; c’était très-mauvais, mais les Saints solitaires ne regardaient pas au bon ou au mauvais goût ; ils ne mangeaient que pour se soutenir, et l’hyssope leur donnait des forces. Plusieurs d’entre eux ne mangeaient que tous les trois jours ; d’autres restaient jusqu’à cinq ou six jours sans prendre aucune nourriture.

Henriette. Comment ? Est-ce possible ?

Grand’mère. Dans nos pays, il ne serait guère possible de vivre ainsi. Mais en Égypte, comme dans tous les pays chauds, on a besoin de très-peu de nourriture.

La réputation de sainteté de ces premiers solitaires excita la colère des païens. Voyant que leurs faux dieux étaient de plus en plus abandonnés, ils résolurent de tuer saint Marc, comme l’ennemi le plus dangereux de leurs idoles, et celui qui avait le plus d’influence sur les Chrétiens.

Saint Marc fut averti du projet des ennemis de Dieu et se prépara au martyre. Mais, pour ne pas laisser les Chrétiens sans secours, il désigna pour son successeur un homme de grande vertu nommé Anien ; il fit aussi trois prêtres et sept diacres. Il les laissa à Alexandrie et alla passer deux années encore dans la Pentapole, pour y consolider la foi qu’il y avait déjà prêchée.

Valentine. Qu’est-ce que c’est que la Pentapole ?

Grand’mère. C’est un mot qui veut dire cinq villes et qui vient du grec : Penté, cinq ; Polis, ville.

Il revint ensuite à Alexandrie, en Égypte ; il trouva le nombre des Chrétiens considérablement augmenté. Les païens, avertis de son retour, exécutèrent aussitôt le projet abominable qu’ils avaient formé avant son départ.

Le jour de Pâques tombait cette année sur le jour auquel les païens célébraient la grande fête du bœuf Apis, leur Dieu le plus honoré.

Pendant que saint Marc célébrait la sainte Messe, ils le saisirent, lui jetèrent une corde au cou et le traînèrent dans les rues jusqu’à la prison de la ville. Ils l’y enfermèrent tout meurtri dans un cachot infect, et l’y laissèrent jusqu’au lendemain. Il passa le reste du jour et la nuit à remercier Notre-Seigneur Jésus-Christ de l’avoir jugé digne du martyre. Ses souffrances étaient cruelles, car son corps était tout écorché, une soif ardente le dévorait, et la corde qu’on lui avait attachée au cou l’étranglait à moitié.

À minuit, la terre trembla, un Ange apparut à saint Marc et lui dit :

« Marc, serviteur de Jésus-Christ, ton nom est écrit sur le livre de la vie éternelle ; tu es compté au nombre des Apôtres, ta mémoire restera vénérée sur la terre. Les Anges recevront ton esprit ; tu n’as plus longtemps à souffrir en ce monde. »

Le Saint remercia le Seigneur des grâces dont il le comblait et le pria de recevoir son âme en paix. Alors Jésus lui-même lui apparut, et lui dit en le bénissant :

« Marc, mon Évangéliste, La paix soit avec toi ! »

Aussitôt que jour parut, les païens tirèrent Marc de sa prison avec autant de rage que le jour précédent ; ils saisirent la corde et le traînèrent de nouveau dans les sentiers raboteux, jusqu’à ce qu’il expirât.

Ils voulurent brûler son corps pour l’enlever plus sûrement à la vénération des Chrétiens, mais ils en furent empêchés par un épouvantable ouragan, accompagné de grêlons et de pierres énormes qui en tuèrent un grand nombre.

Les Chrétiens enlevèrent le saint corps, l’ensevelirent et le déposèrent en un lieu sûr. Depuis, ces reliques furent transportées à Venise, dans une église magnifique qui porte le nom du Saint. La ville prit pour emblème le lion de saint Marc, avec ces paroles que lui adressa Notre-Seigneur dans sa prison :

Pax tibi, Marce, evangelista mi !



LXXII

CONCLUSION.



Grand’mère. Nous voici, chers enfants, arrivés à la fin de mon récit. Les Actes des Apôtres complètent l’Évangile, que je vous ai raconté précédemment ; le martyre des Apôtres et des Évangélistes termine l’histoire des premières années de l’établissement de l’Église catholique. Lisez et relisez, sans vous lasser, ces deux volumes qui font partie de ce qu’on appelle le Nouveau Testament ; mais vous trouverez bien des pages admirables et omises à dessein dans mon récit, parce que les plus jeunes d’entre vous ne les auraient pas comprises.

Les enfants embrassent, remercient leur grand’mère, et se retirent en parlant avec animation de ce qui les a le plus frappés dans l’histoire et dans le martyre de ces grands Chrétiens qui eurent l’honneur insigne d’être choisis entre tous les hommes par le Fils de Dieu, notre Seigneur et Rédempteur Jésus-Christ, pour être les premiers témoins de sa sainte vie et de ses miracles, les premiers prédicateurs de son Évangile, les colonnes immuables de son Église, et les Pères de tout le peuple Chrétien.



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