XLVII

RÉVOLTE CONTRE SAINT PAUL À CÉSARÉE.
LE TRIBUN ROMAIN LE MET EN PRISON.



Grand’mère. Après s’être arrêté en plusieurs endroits, saint Paul arriva à Césarée. Pendant qu’il y était, il vint un Prophète nommé Agapus. Le Prophète, s’étant approché, prit la ceinture de Paul, et se liant les pieds et les mains, il dit :

Voici ce que dit le Seigneur : « L’homme auquel appartient cette ceinture sera lié ainsi par les Juifs, à Jérusalem ; ils le livreront aux Gentils. »

Marie-Thérèse. Comment cet Agapus pouvait-il savoir cela ?

Grand’mère. C’est le Saint-Esprit qui le lui avait révélé, parce que c’était un très-saint homme.

Les Chrétiens, ayant entendu les paroles du Prophète, conjurèrent Paul de ne point aller à Jérusalem. Mais l’Apôtre leur répondit : « Que faites-vous ? Pourquoi pleurer et affliger mon cœur ? Moi je suis prêt, non-seulement à être lié, mais encore à mourir à Jérusalem pour le nom de Jésus. »

Ils le supplièrent longtemps avec larmes, mais voyant qu’ils ne pouvaient le faire céder à leurs instances, ils le laissèrent aller, disant : « Que la volonté du Seigneur soit faite ! »

Saint Paul partit donc pour Jérusalem, avec son fidèle saint Luc et d’autres disciples de Césarée. Les frères de Jérusalem reçurent saint Paul avec grande joie ; ils allèrent le jour suivant chez saint Jacques ; les prêtres et les Anciens s’y étant rassemblés, saint Paul leur raconta ses voyages et ce que Dieu avait fait pour les Gentils, par son ministère. Tous glorifièrent Dieu et lui dirent : « Tu vois, frère, combien il y a de Juifs qui ont cru ; et cependant ils veulent tous pratiquer les cérémonies de l’ancienne loi. Or, ils ont entendu dire que tu enseignes aux Juifs des autres nations de renoncer à Moïse et à ses cérémonies, de ne pas faire circoncire leurs enfants, de ne pas vivre selon les anciennes coutumes. Que faire donc ? Ils vont apprendre que tu es arrivé, ils vont s’assembler contre toi. »

Louis. Pourquoi les Anciens disaient-ils cela ? Pourquoi avaient-ils l’air d’avoir peur ?

Grand’mère. Parce qu’ils savaient bien combien les Juifs convertis tenaient à leurs anciens usages, et parce qu’ils craignaient pour saint Paul. En outre, ils avaient peur que les Juifs ne s’emparassent de saint Paul et ne le jetassent en prison, pour le faire mourir secrètement.

Les Anciens de Jérusalem lui donnèrent donc ce conseil :

« Nous avons ici quatre hommes qui ont fait vœu de Nazaréens. Prends-les avec toi, purifie-toi avec eux, et paye la cérémonie pour qu’ils se fassent raser la tête. Alors tous penseront que ce qu’on a dit de toi est faux, quand on t’a représenté devenu ennemi de la loi de Moïse. »

Louis. Pourquoi les Anciens disent-ils à saint Paul de payer pour les autres ?

Grand’mère. Parce qu’ils savaient sans doute que ces quatre Juifs étaient pauvres ou fort avares, et qu’ils défendraient saint Paul auprès des leurs, en reconnaissance du service qu’il leur aurait rendu.

Les Anciens ajoutèrent : « Quant aux Gentils qui ont cru, nous avons écrit qu’ils n’étaient pas obligés d’observer ces choses, mais qu’ils devaient s’abstenir de manger des viandes immolées aux idoles, de se nourrir du sang des bêtes étouffées, et de commettre aucune mauvaise action. »

Paul suivit le conseil des Anciens ; il se purifia avec les quatre hommes et entra dans le Temple pour demander aux prêtres quel jour se ferait la cérémonie des cheveux rasés et des animaux offerts à Dieu.

Henri. Comment se purifiait-on ?

Grand’mère. Au moyen de certaines ablutions ; on se lavait le visage, les mains et les pieds avant d’entrer dans le Temple. C’était le symbole de la pureté qu’on avait demandée pour son âme.

Les Prêtres indiquèrent le septième jour.

Mais ce jour-là, des Juifs d’Asie-Mineure, ayant reconnu saint Paul dans le Temple, soulevèrent tout le peuple contre lui, en s’écriant : « Au secours, Israélites ! Voici cet homme qui enseigne partout contre notre nation, contre la loi de Moïse et contre Dieu ; il a profané le. Temple en introduisant des infidèles dans le lieu saint. »

Jeanne. Ces méchants hommes mentaient, n’est-ce pas, Grand’mère ?

Grand’mère. Ils ne mentaient pas tout à fait, ils se trompaient ; car ils avaient vu avec Paul, dans la ville, Trophime d’Éphèse, qui était Grec ; et voyant saint Paul dans le Temple, ils crurent sans doute que Trophime l’y avait accompagné.

Aussitôt, toute la ville fut en révolution ; le peuple accourut en foule. On se saisit de Paul, on l’emmena hors du Temple, dont on ferma les portes ; et comme ils se disposaient à lapider le saint Apôtre, le tribun de la cohorte romaine…

Louis. Qu’est-ce que c’est que le tribun et la cohorte ?

Grand’mère. Le tribun était le chef des soldats romains qui gardaient la ville ; la cohorte était le régiment ou le bataillon de soldats commandés par le tribun.

Le tribun, ayant appris que la ville était dans le trouble et la confusion, prit avec lui des soldats et des centurions, et courut du côté où était l’émeute. Quand les Juifs aperçurent le tribun et les soldats, ils cessèrent de frapper saint Paul. Alors, le tribun s’approchant, se saisit de lui ; et, l’ayant fait lier avec des chaînes, il demanda qui était cet homme et ce qu’il avait fait.

Jacques. Ce tribun est bien injuste ; pourquoi a-t-il fait enchaîner ce pauvre saint Paul, avant de savoir seulement qui il était ni ce qu’il avait fait ?

Grand’mère. Il était certainement fort injuste ; mais les Romains étaient durs, et ils n’y regardaient pas de si près, surtout quand il s’agissait d’un pays conquis, comme était la Judée.

Le tribun, ne pouvant savoir ce qui en était, à cause des cris de tous ces gens qui se contredisaient et qui faisaient un tumulte effroyable, commanda qu’on emmenât Paul au camp romain. C’était la forteresse Agrippa qui se trouvait près du Temple. Lorsque saint Paul fut arrivé sur les marches de la forteresse, il fallut que les soldats le portassent pour le préserver de la violence du peuple en fureur, qui suivait en criant : « Tuez-le, tuez-le ! » Comme vous le voyez, mes enfants, le Disciple était traité comme le Maître.

Lorsque saint Paul allait entrer dans le camp, il dit au tribun :

« M’est-il permis de dire quelques mots ? »

Le tribun lui dit : « Sais-tu parler Grec ? N’es-tu pas cet Égyptien qui, ces jours derniers, a excité une révolte, et qui a conduit dans le désert quatre mille insurgés ? »

Saint Paul répondit : « Non. Je suis Juif, né à Tarse, en Cilicie, et citoyen de cette ville, qui est très-connue. Permettez-moi, je vous prie, de parler au peuple.

— Parle, » lui répondit le tribun.

Paul, se tenant debout sur les marches, fit signe au peuple qu’il voulait parler. Il se fit aussitôt un grand silence. Paul leur parla en Hébreu, ils furent encore plus attentifs, et il leur dit : Qu’il était Juif comme eux, qu’il avait été instruit dans la religion juive par un homme connu de tous, nommé Gamaliel ; qu’il était attaché à la loi et zélé comme eux tous pour la défendre ; qu’il avait jadis, par respect pour la loi, persécuté, emprisonné, enchaîné et fait fouetter tous les Chrétiens qu’il pouvait découvrir ; que c’était lui qui avait gardé les habits de ceux qui avaient lapidé Étienne. Il leur raconta sa conversion et comment le Seigneur lui avait dit : « Va, car je t’enverrai au loin pour prêcher la foi et le salut aux Gentils. »

Jusque-là, les Juifs l’avaient écouté en grand silence ; mais quand il eut prononcé le mot de Gentils, ils se remirent à crier : « À bas ! À bas ! Tuez-le ! Il doit mourir ! »

Jeanne. Ces vilains Juifs ! Ils sont comme des bêtes féroces !

Grand’mère. Ils étaient encore ce qu’ils avaient été pour Notre-Seigneur. Les Juifs de tous les temps depuis Jésus-Christ, ont conservé cette haine aveugle inspirée par le démon, contre les Chrétiens serviteurs de Jésus.

Le tribun, voyant la fureur de ces Juifs qui criaient, qui jetaient leurs manteaux à terre, et faisaient voler des flots de poussière, ordonna que Paul fût mené dans la forteresse, et qu’on le battît de verges jusqu’à ce qu’il avouât pourquoi le peuple était si irrité contre lui.

Quand Paul fut attaché avec des courroies, il dit au centurion :

« Vous est-il permis de fouetter un homme qui est citoyen romain et qui n’a pas été condamné ? »

Le centurion, entendant Paul parler ainsi, alla trouver le tribun et lui dit que Paul se disait citoyen romain, qu’il fallait prendre garde à ce qu’on allait faire. Aussitôt le tribun vint à Paul et lui dit : « Dites-moi, est-il vrai que vous soyez citoyen romain ? — Je le suis, répondit Paul ; je le suis non comme vous qui avez acheté ce droit fort cher, mais par droit de naissance, étant né à Tarse, dont les habitants ont reçu de César-Auguste le titre de citoyens romains. »

Les soldats qui devaient le fouetter se retirèrent. Le tribun eut peur, voyant que Paul était réellement citoyen romain, et qu’il l’avait fait lier, ce qu’il n’avait pas le droit de faire.